Mardi 18
juillet
Nous
prenons à toute allure la route de Saint-Lô. La pluie a changé l'aspect des
choses qui paraissent élargies, plus réelles. L'absence de poussière modifie
le relief et le contour des formes. Le bombardement est vif Nous dépassons le
point nous nous étions arrêtés tout à l'heure. Mais bientôt nous abandonnons
la jeep et, en nous protégeant le long des haies qui bordent la route, tantôt
à droite, tantôt à gauche, nous atteignons une usine, à la haute cheminée
intacte, qui sert de P.C. Très proches de nous, les déchirements impitoyables
des salves amies ; un peu plus loin, l'explosion grave et longue des obus
ennemis. Voici Saint-Lô. J'aperçois au loin les deux tours symétriques de la
cathédrale, debout. Debout comme Saint-Étienne de Caen, debout comme la cheminée
de l'usine.
Les
premières rues encombrées de soldats, de tanks, de voitures radio en action
offrent un aspect lamentable de désordre, de flétrissure et de pillage.
J'avance un peu. Les obus tombent. Le spectacle de désolation, je ne dis pas
d'annihilation, continue. Pas un civil. La ville est morte. Seuls des panonceaux
sont demeurés : Cidre Godard, Café ; Café James, Cidre. La ville est moite,
mais les maisons semblent vivre. Des rideaux de tulle, à une fenêtre sans
vitres, se soulèvent avec la régularité d'une respiration et semblent tirés
par une invisible présence.
Vont et
viennent des chiens errants comme erre sur les routes un bétail sans maître
que, pour l'instant, personne ne cherche à rassembler.
Inutile
d'aller plus avant. Les premières patrouilles reviennent. On n'a pas découvert
un seul civil.
Nous
rentrons à la division et campons, non loin, à Saint-Clair-sur-Elle.
Mercredi
19 juillet
À pied,
je me rend à l'usine où le commandant du P.C. que
j'ai rencontré hier soir me dit que les patrouilles, ce matin encore, n'ont
rencontré aucun français vivant à Saint-Lô. Seul un cadavre civil a été découvert
dans une rue. Quel affreux symbole ! Tout Saint-Lô… un cadavre ! Les maisons
s'écroulent. Les rues sont dangereuses. Une des tours de la cathédrale a été,
pendant la nuit, détruite par les obus allemands. Elles n'avaient pas été
touchées par le bombardement des alliés. Elles le sont par l'ennemi.
Extraits Un journaliste sur le front de Normandie. Bibliographie...