MÉMOIRES

1939-1944

Je suis parti de Beaucoudray avec mes parents en l'an 1930. Le 29 septembre pour la ferme du château de Beuvrigny. Ce sont mes parents qui exploitaient cette ferme de 34 hectares, elle se trouve entre le château et l'église. Je suis l'aîné de 7 enfants, j'ai 5 frères et une sœur. J'ai fréquenté l'école de Beuvrigny dans le département de la Manche jusqu'à l'âge de 13 ans. La scolarité était obligatoire jusqu'à 14 ans, mais il y a eu le décès de ma mère le 10 février 1939. Et, moi tout content, de ne plus aller à l'école, cela ne me paraissait pas important. Je me voyais déjà plus grand sans songer à l'avenir. Ce qui me pousse à écrire ceci c'est le récit de notre jeunesse vécue pendant la Guerre de 1939 à 1944 à Beuvrigny (50). Pour vraiment vous raconter ce que j'ai vu et vécu, vous excuserez les omissions dans certains témoignages n'ayant plus de dates précises.

En plus ce qui me fait souvent penser à cela c'est surtout la période du débarquement. Durant de longs jours nous nous demandions ce qu'allaient devenir les troupes alliées débarquées sur notre territoire, face à l'occupation allemande. Ce dont on ne parle jamais, le rôle de la croix rouge et l'hôpital allemand installé à Beuvrigny du 07 juin 1944 jusqu'à la libération que nous attendions de jour en jour. Au moment ou j'écris cette histoire j'ai 60 ans, et je suis maire de la commune de Beaucoudray. Je me souviens lors de la déclaration de la guerre j' avais 13 ans, et à la ferme du château mes parents emploient comme ouvrier un journalier. Le temps passe, et l'année 1940 arrive lorsque notre père achète un poste de radio T.S.F. par catalogue, mais malheureusement pour lui, celui-ci tombe en panne et il faut le renvoyer à Paris pour réparations. Nous savions de toute façon comment les allemands envahissaient la France.

Un dimanche matin, dans le ciel au nord, il y avait une fumée noire. Renseignements pris, le pétrole brûle à Rouen. Les jours suivants des réfugiés du nord de la France arrivent à la ferme avec leurs gros chevaux boulonnais. Le lundi suivant notre père part au marché de Torigni sur Vire puis il a l'idée d'aller voir à la gare si le poste de radio est arrivé, par chance il est là. Quand il rentre à la ferme le midi, nous sommes tout joyeux mais quelques jours plus tard, les soldats allemands arrivent. Ils sont mélangés avec nos soldats français qui rentrent quelques uns en tenue militaire, d'autres habillés en civil, c'est là que l'on revit notre commis (ouvrier agricole).

L'occupation allemande est là.

Je me souviens, l'avant veille qu'ils arrivent, environ 7 avions sont passés à basse altitude. Jamais je n'en avais vu autant en une seule fois. Dessus il y avait des croix et on les regardait poursuivre leur route. Après un certain temps, nous entendons une détonation. Le lendemain nous apprenons : un train a été bombardé à la gare de Folligny, les jours suivants les personnes des alentours sont allées chercher des chaussures provenant de l'armée. Par la suite comme l'occupant est toujours là, nous avons ordre de déposer toutes les armes en notre possession, revolvers, fusils de chasse. Puis arrive l'ordre pour les soldats français qui sont rentrés de se faire pointer à Saint-Lô toute les semaines. Alors une bonne partie de ceux déjà rentrés chez eux s'y présentent jusqu'au jour où ils en ont gardés quelques uns. Voyant cela, les autres ne se font plus pointer.

Tout le monde avait peur des représailles. Un nommé Albert R  qui était commis de ferme n'est pas revenu du pointage à Saint-Lô. Nous sommes autorisés à aller voir tous ces braves français qui sont gardés par les occupants.

Un jour, avec notre père, puis Henriette la femme d'Albert R qui était servante à la maison, nous partons de Beuvrigny pour voir Saint-Lô avec la voiture à cheval. Arrivés place du champ de Mars, renseignement pris, les prisonniers sont place Sainte Croix. Nous y allons. Cela me fait drôle de voir de chaque côté de l'entrée 2 mitrailleuses et ces soldats allemands qui nous contrôlent à l'entrée. Nous sommes autorisés à voir Albert R, et comme d'autres, nous avons obtenu l'autorisation de sortir avec lui pendant un certain temps. Ensuite, il fallait revenir sous la garde des " habillés ". on sait qu'ils n'ont aucun sentiment. Mais très vite plus question de leur rendre visite car ils partent pour l'allemagne. Alors ) la suite de cela, ceux qui continuaient à se faire pointer ne se sont plus présentés. Et on se demande bien comment ils arrivent à sortir, risquant de se faire cueillir par les allemands qui sont partout.

Tout ceci se passe au mois de juin 1940.

J'avais 14 ans et demi, puis arrive l'ordre de déposer toute les armes à la gendarmerie de Tessy sur Vire. Notre père remet son fusil de chasse ( à percussion centrale) par crainte des envahisseurs de la france. Mais il ne l'a jamais revu comme pratiquement tous ceux qui l'ont déposé.

Enfin il fallait bien que quelques uns les remettent, pour que d'autres en conservent cachés dans divers endroits. Par contre ils nous ont laissé nos postes de radio, que l'on écoute sagement tous les jours pour suivre les évènements. Alors là nous entendons toutes sortes de nouvelles par paris, Stuttgart, Vichy, tous pour nous détourner des vraies réalités, puis des informations viennent d'Angleterre.

Je me souviens de l'appel du Général de Gaulle le 18 juin 1940, " les français parlent aux français ".

À la maison pendant cette émission il ne fallait surtout pas faire de bruit car elle était toujours brouillée par un bruit agaçant pour détourner les écoutes. Cela devait durer pendant 4 ans. Un jour, le maire de notre commune a reçu l'ordre de trouver un local pour mettre sous les verrous tous les postes de radio. Ils sont déposés au château de Beuvrigny.

Les premiers jours, cela nous a semblé drôle de ne plus avoir de nouvelles, mais par la suite on en a eu quand même.

Je reviens en arrière pour vous raconter comment l'on vivait l'occupation allemande de 1940 à juin 1944.

Au début, on avait peur, puis de jour en jour, l'on continuait notre travail, constatant que dans nos campagnes, cela passait a peu près bien. Les soldats se trouvaient moins nombreux, il fallait bien commercialiser les bestiaux c'est à dire mener à pied les bêtes aux différentes foires, Torigni sur Vire, Saint-Lô.

Nous partons de bonne heure le matin, nous faisons de petites haltes en route, les petits cafés de campagne pour nous sont des relais. Puis quand ils sont vendus, nous faisons la livraison à la gare. Alors là, on attend le train, ou les ponts pour monter les bestiaux dans les wagons. Puis les acheteurs prennent leur temps, nous patientons. Enfin il était très rare de revenir à pied. Nous trouvons toujours quelqu'un avec une carriole pour nous rapprocher.

De temps en temps, nous voyons une compagnie de soldats allemands, avec des chevaux pour tirer des pièces d'artillerie et les munitions stationnées dans nos campagnes. et au fur et à mesure que les jeunes quittent l'école, ils restent pratiquement tous chez leurs parents ou vont travailler dans les fermes aux alentours. De ce fait, nous sommes nombreux dans la campagne.

Alors voila, comme divertissement d'abord tous les dimanches la messe, cela est sacré. L'après midi, nous allons à Torigni sur Vire, où se trouve un cinéma tenu par Monsieur Laperelle. Il est construit depuis le début de la guerre. Il se situe au carrefour, et la salle est belle. Nous y allons soit à pied, ou en vélo. Si on désire de la place, nous devons arriver de bonne heure car la salle est vite comble. Pourtant le film passe en semaine, et même trois fois le dimanche. Souvent les allemands sont là parmi nous. Avant le vrai film nous avons le documentaire sur les actualités. Nous voyons la guerre qui continue avec un avantage pour l'Allemagne. Entre nous dans la salle de cinéma nous gardons le secret et nous savons que les verts de gris sont pris un peu partout.

Enfin malgré tout, nous aimons aller à Torigni sur Vire, mais il faut rentrer à la fin pour soigner les chevaux et autres bestiaux.

Nous sommes nombreux comme jeunes à la campagne, une très bonne ambiance règne et surtout la solidarité. Comme beaucoup de français sont prisonniers en Allemagne, on s'intéresse énormément à eux pour avoir de leurs nouvelles. Puis petit à petit dans les communes ce la s'organise pour leur envoyer des colis de ravitaillement. Des responsables sont nommés. Pour Beuvrigny avec le canton de Tessy sur Vire, c'est Madame Yves de Heurtemont en relation avec l'abbé Louis Choux, curé de Beuvrigny et Saint Louet sur Vire. De temps en temps, le maire de Beuvrigny organise avec l'aide des volontaires de la commune des kermesses pour recueillir de l'argent afin de confectionner des colis pour les prisonniers.

Beaucoup de monde venait à ces kermesses toujours bien organisées. cela fonctionnait bien.

Nous les jeunes de la commune avions des cartes de tabac, pour du gris. Nous pouvions nous en passer, mais les anciens non. Alors ils roulaient fréquemment une cigarette de ce " paquet carré de gris " et quand ils étaient en manque ils mettaient des feuilles de noyaux de doches à la place.

Alors on mettait un peu de tout à sécher au soleil pour faire de la fumée. Nous avons mis dedans du crottin de cheval, après l'avoir fait sécher au four à pain. Ensuite ce paquet nous l'avons remis à ce brave homme, si heureux d'avoir à fumer qu'il nous remercie en partant.

Mais revenons à la kermesse, nous récoltons les paquets non fumés par les jeunes pour les mettre en jeu. Alors avec deux baguettes de billard, nous devons le transporter à deux mètres, et il ne doit pas tomber à terre, sans cela la partie est perdue. Et bien, cela fonctionne très bien, les fumeurs y laissent " gros d'argent " pour gagner ce gris qu'ils adorent tant.

Ce qui fait aussi recette à la fête c'est le jeu de massacre. Cela ne se passe pas comme au chamboule tout, où on doit faire tomber les boites posées sur une table. Un jeune homme volontaire, plutôt bon caractère, remplace la table et une boite sur la tête qu'il faut faire tomber. En principe il en ramasse beaucoup de coups sur la tête, il n'y avait pas de pitié. Si le même joueur réussit à faire un certain score il gagne soit une bouteille ou autre chose. Je vous assure dans ceux qui se portent volontaires, beaucoup sont roublards, mais cela doit être dur à supporter.

Puis les lapinodromes et bien d'autres jeux ont des décors formidables.

L'abbé Choux organise de petites pièces de théâtre. Notre prêtre est aimé de tous, il rassemble les jeunes filles et les garçons pour que nous passions de bonnes soirées. par moments, il se fâche quand cela ne se passe pas comme il veut. Ensuite sans rancune chez cet homme de grand cœur, avec son petit pompon nous reprenons la route. Mais par contre dans son église, il n'est pas toujours facile, il se fâche de temps en temps.

Puisque je vous parle de lui, il aime beaucoup les plantes rares et les fleurs. Il possède une très grande serre que beaucoup de monde vient visiter. Son travail est très précieux puisqu'il communique avec les grands fleuristes de Paris, et parfois l'hiver il est heureux quand on fait appel à lui pour certaines plantes à sauver du froid. Il y beaucoup de bénévoles pour lui faire son bois. Il faut l'abattre, le scier, le casser, l'emmagasiner, sa serre étant chauffée, il se relève la nuit pour maintenir sa chaudière à la température voulue.

À chaque fête religieuse, des jeunes sont embauchés pour mettre sur l'autel ses beaux palmiers. Ils sont dans de grands containers, cela est très lourd à déplacer avec de grand bâtons de bois. Son église est magnifiquement décorée avec toutes ses fleurs. Son " plus grand coup d'exploit " le 16 novembre de chaque année : ce jour là est pour Beuvrigny le jour de l'adoration perpétuelle. les jeunes de nos jours ne savent plus ce dont il s'agit. Et bien voilà, tous les jours le diocèse de Coutances, Avranches et dans le reste du département, on expose " le saint sacrement ". Chaque commune a son jour fixé pour cette adoration. Le prêtre de la commune invite pratiquement tous les prêtres du canton, et des amis. Cela commence le matin par la grande messe, à midi les enfants de chœurs, les chantres, l'organiste d'harmonium ou violon, prêtres et amis sont invités à déjeuner. La journée se termine par les vêpres, et comme tout ce passe durant l'occupation allemande, nous n'avons pas de moyen de locomotion, nous allons chercher les prêtres suivant un itinéraire établit par monsieur le curé.

Je me souvient du 16 novembre 1943 après les vêpres avec une jument qui s'appelle " Pâquerette " sur la carriole avec monsieur l'abbé Hochet, curé doyen de Tessy sur Vire, l'abbé Turgis curé de Fervaches, l'abbé Lecoq curé de Moyon. Ce sont des hommes costauds alors pour monter la côte Hylly. " Pâquerette " peinait beaucoup. J'en ai laissé un à Tessy sur vire, puis à Fervaches et le dernier à Moyon. Là pas de chance le curé a besoin de moi pour faire son cidre. Au mois de Novembre, les jours sont courts, le brave abbé Lecoq curé de Moyon m'a invité à rester manger le soir avec tous les braves gens de la commune. Je me suis laissé faire et l'ambiance était très bonne puisque j'avais mon petit pompon.

Après j'ai repris la route devant la poste mais je ne connaissais nullement la route. Pas de panneaux de signalisation dans les carrefours de ces petites routes, il fait nuit, je me suis perdu. À un moment j'ai reconnu le carrefour du Val, donc j'ai vite retrouvé Tessy sur Vire, puis je suis rentré à Beuvrigny.

De ferme en ferme, nous nous regroupons souvent pour passer nos soirées. Nous dansons au son des accordéons que nos parents possèdent, à faire des farces quand cela se présente surtout avec les nouveaux jeunes qui arrivent dans le secteur. mais il ne faut pas oublier qu'eux aussi connaissent quelques plaisanteries, aussi il faut être prêt pour accepter les leurs.

Mais au mois d'avril 1942, les jeunes nés en 1922 doivent se faire recenser par les mairies. Ils partent travailler en Allemagne. Le fils du maire de la commune est de ceux là. On commence à regarder autour de nous.

Je me souviens, les fausses carte d'identité se fabriquent clandestinement. Avec mon père, nous sommes partis un lundi au  marché de Torigni sur Vire porter des cochons sur l'ancienne place qui se trouve vers la poste actuelle. Nous nous arrêtons souvent au relais pour manger ou boire au café Lesiot en descendant la rue qui vient sur Tessy sur vire à l'angle de petite rue. Je vois encore mon père dans le fond du café à une petite table pou faire une carte d'identité pour L B. Il est employé à la maison, puis pour Désiré C qui est employé chez Monsieur L V puis forcément pour beaucoup d'autres.

Mais hélas les nouvelles vont vite et Monsieur L est arrêté et la suite n'est pas belle pour lui.

Par la suite, on se méfie beaucoup. par moments, je vous assure que les maires de l'époque ne sont pas heureux des réquisitions de bestiaux à livrer à l'occupant.

Les cartes de rationnement de tabac, nourriture, habillement et bien d'autres font leur apparition, cela se gâte.

Moi j'ai un furet et, je vais souvent à la chasse au lapin de garenne avec de nombreux amis. J'ai une bonne chienne qui s'appelle diane. Elle est extra. Elle en attrape beaucoup au gîte, à la course, ou s'ils sont dans certains terriers, elle prévient. Alors, en échange des bourses aux lapins, nous réussissons à avoir du beurre en contre partie. Ensuite nous faisons le partage uniquement pour s'amuser et passer son temps à les offrir à ceux qui en ont besoin.

Mais voilà qu'un jour la Feldkommandantur de Saint-Lô envoie aux maires une déclaration. Ceux qui possèdent un furet pour aller à la chasse doivent faire une déclaration en mairie.

Le maire me parle de ceci et heureusement vous allez voir la suite :

Oui il y a un nommé Marcel de deux ans plus âgé que moi, qui aime venir avec moi, et désire posséder un furet et des bourses aux lapins. Bref Marcel est employé chez Monsieur et Madame V  A à Domjean, et voilà qu'un jour il a la surprise de voir la Gestapo venir le contrôler. Les allemands constatent qu'il a un furet, il leur dit que c'est celui d'Allyre Lohier de Beuvrigny. Et un matin, à ma grande surprise, La Gestapo arrive en side-car. Les allemands avec leur grand collier pendu autour du cou interpellent mon père. Ils lui demandent où je me trouve. Je soignais les chevaux quand j'ai aperçu les allemands en face de moi. Cela me fait tout drôle. Ils me demandent si je vais à la chasse avec M G et le furet. Je leur réponds " oui " mais j'ai une autorisation de la Kommandantur 722 à Saint-Lô. Ils me demandent de la leur montrer, comme je l'ai sur moi dans mon portefeuille je la présente. Ils me répondent " très bien ", puis ils sont repartis, quel soulagement pour moi et Marcel.

Par la suite malgré toute l'amitié éprouvée pour les amis, nous nous disions entre nous " ils sont capables de nous déporter ".

À un moment fin 1943, nous avons vu les allemands avec environ 70 voitures amphibies toutes neuves. Elles possédant des petites roues, une hélice à l'arrière ne font pas de bruit. Ils font des manœuvres sur le grand étang de Beuvrigny. Ils pensent partir pour l'Angleterre avec de si jolis petits engins. Ils fonctionnent très bien et sont rapides.

Le marché noir existe : l'on échange du beurre pour avoir des pneus de vélo, des fer à chevaux et bien d'autres choses que je ne puis inscrire.

Les cartes de ravitaillement : sucre, pain, sel, savon etc. sont gardées précieusement.

On fabrique son savon avec divers procédés principalement de la soude caustique avec des feuilles de lierre.

À la place du sucre, nous utilisons de la " saccharine ".

N'ayant plus de sucre pour faire de la confiture on fait du sirop. Le matin au mois d'octobre on commence la préparation avec du cidre doux, des pommes, des carottes, de la citrouille. Nous finissions le lendemain dans la matinée. Nous passions toute la nuit pour bien surveiller tout ce travail d'art.

Voila comment cela se passe à l'aide de deux grands chaudrons en cuivre, on fait chauffer le cidre, et avec une louche on transvase petit à petit dans l'autre chaudron. Il ne doit y avoir aucun arrêt dans le bouillonnement. Donc, la deuxième journée le matin tout est préparé : carottes, citrouilles coupées le plus petit possible. Ensuite on mélange tout ensemble jusqu'à ce que tout soit bien cuit et le sirop est terminé. Il ne reste plus qu'à mettre le contenu dans des récipients.

Puis l'hiver 1943-1944 arrive. Nous commencions à reprendre espoir. Nous savons par le bouc à oreille que quelque chose se passe. Nous pensons au débarquement pour être délivré des allemands. Il ne faut pas commettre des imprudences.

Nous avons un appelé Monsieur Désiré L de Saint-Martin-Don (calvados) qui fait beaucoup de couverture en paille tout en exploitant sa petite ferme. C'est avec lui que j'ai appris à faire ce dur métier. Par la suite, j'ai continué jusqu'en 1957.

Au début de 1943, il a son bois à faire. Nous sommes nombreux, nous avons décidé d'aller au printemps lui faire des fagots ainsi qu'une corvée de bois. Vous pensez bien, cela nous intéresse.

Bref nous voilà arrivés le matin de bonne heure chez Monsieur L à Saint-Martin-Don (14). Nous avons mis une bonne ambiance. Après nous nous sommes retrouvés le soir à manger, puis les jeux de cartes se sont mis en route. Il est minuit lorsque nous nous sommes dit : nous ne sommes pas rentrés à Beuvrigny. Pour revenir, il faut passer Campeaux et le grand carrefour du Poteau qui est l'embranchement de la route à grande circulation Saint-Lô, Vire, Caen, Granville et pas question de voir ailleurs. Il faut passer la Vire ou entreprendre un grand détour.

Nous partons à la grâce de dieu, et en arrivant au carrefour du Poteau, où il n'y a personne, ravis, nous tournons à gauche pour prendre Pont-Farcy. pas de lumière, et puis voila que derrière nous on entend une pétarade de moto. Nous ouvrons les yeux et les oreilles, pas de doute ce sont les allemands. Nous trouvons une carrière dans laquelle nous nous engouffrons. A proximité de là, il y a une ferme que l'on connaît bien. Elle appartient à Monsieur et madame Albert B de Guiberville où habite maintenant leur fils Eugène B. Nous pensons que les allemands nous ont vus. Apparemment non. Nous sommes cachés derrière la haie. Ils passent, mais ils continuent leur chemin. les vélos camouflés, nous nous sommes approchés de la ferme pour se faire connaître.

Nous sommes très bien accueillis, nous " prenons un bon coup de cidre puis du café ". Les motos repassent, alors prudence, après tout cela, plus question de reprendre la route. Nous récupérons nos vélos et sommes revenus à travers champs jusqu'à nos domiciles. Le lendemain, l'on se dit que nous avons pris trop de risques.

Le Doryphore est un insecte que ne connaissions nullement au début de la guerre. Tous les ans, il orne les affiches dans les communes qui les apposent sur les emplacements réservés à cet effet. Ces grandes affiches que je vois encore avec des pieds de pomme de terre et ce joli insecte rayé. Si nous en trouvons un jour dans nos champs, nous devons le déclarer en mairie. Alors un jour un brave cultivateur a mis quelques unes de ces petites bestioles dans une boite. La curiosité l'emporte. Nous accourrons, ce sont bien des doryphores. hélas oui, il s'agit de Monsieur A L. Alors nous allons voir ces patates, et à cause de cela la récolte est triste. Mais l'année d'après, plus besoin de nous demander ce qu'elles sont ces sales bêtes. Nous en avons tous, dans les écoles, les instituteurs reçoivent des avis pour aller l'après midi dans les fermes  avec tous les enfants pour recueillir les doryphores. Ils les mettent dans des boites, puis nous brûlons pour les détruire. Vous pensez au début les enfants sont contents mais à la fin de tout ce travail, il s'ennuient.

Avec notre père nous nous rendons dans le champ sur le bord de la route où nous avons fait 60 ares de pommes de terre, nous en trouvons tellement que le midi en plein soleil nous avons des abeilles qui volent. Il n'y a plus de feuilles, si on en arrache un plant, ils mangent les patates. Par la suite pour subsister, ils s'attaquent aux feuilles d'épines de chênes. Ensuite nous les voyons sur la route, ils marchent par bandes, incroyable mais vrai. 
Que faire ?

Les produits pour les détruire n'existent pas. Quand on a arraché les 60 ares, notre père n'a pas retrouvé sa semence, voyez comme les dégâts sont importants. Plus besoin d'affiches pour reconnaître ces sales bêtes qui existent encore de nos jours.

Tout ceci est en dehors de l'occupation mais je tiens à en faire part. Nous avons vécu cela pendant cette période là.

L'année 1944, toutes les nuits passent avions sur avions pour bombarder l'allemagne. Nous trouvons dans les champs des paquets de papiers argentés (morceaux de papier d'aluminium que les alliés larguent pour déjouer la surveillance allemande. Sur leurs radars, ils voient des milliers de points) par bande de 2 à 3 cm, les uns nous disent que c'est pour atténuer le bruit de ces forteresses volantes, est ce vrai ? Je n'ai jamais pu en avoir la confirmation, mais il y en a qui le savent.

Puis de jour en jour le temps passe dans l'attente du grand jour : le débarquement. Le lundi 5 juin, je suis à charrier du bois pour E L qui habite le village Gatefer. Nous le prenons dans le bois du parc. Le soir je suis resté manger avec eux. je suis rentré avec le charretier et les chevaux sans me douter qu'il se passe quelque chose. À la maison, j'ai soigné les chevaux puis au lit.

Mais voilà que le lendemain matin vers 5 heures réveil en sursaut.

Nous sommes le mardi 6 juin. On entend, lointain, un bruit sourd et continu. les avions mitraillent, et les bombes qui tombent, cela nous surprend. Vite debout, on s'aperçoit qu'à la Haute Ferrière la maison de G, inhabitée en ce moment, est en flammes. Le temps est bas, une épaisse fumée masque les environ. Puis les avions continuent à passer très bas. Nous savons enfin ce qui se passe. Nous avons trouvé des tracts qui nous annoncent le débarquement des troupes alliées pour nous libérer. Ils nous préconisent des consignes de prudence. je vous assure que c'est la grande joie, puis dans la journée les bruits vont vite, " c'est le débarquement ".

Mai voila que le 6 juin au soir, une voiture allemande arrive au château de Beuvrigny. Elle ne reste pas longtemps sur les lieux.

Pour vraiment suivre les évènements qui se sont passés à Beuvrigny à cette époque, je vous situe le leu du château : le calvaire et une allée de sapins entre le carrefour et l'église, quelques hêtres et chênes du carrefour pour rejoindre le pigeonnier qui existe toujours à droite face au château, de chaque côté une très belle avenue d'ormes avant d'y arriver, de l'autre côté à gauche dans  le même genre que le pigeonnier deux grands fours avec fagotier qui ont un escalier pour y monter. malheureusement ils n'existent plus à cause d'un incendie, après la guerre. Pour les reconstruire, il aurait fallu engager trop de frais.

Derrière ces fours, un grand bâtiment qui à l'époque sert de grange puis des étables et deux caves, en grande partie utilisées par la ferme exploitée par Monsieur É L. Elle est toute couverte de chaume, à droite avant d'arriver au château à partir de l'avenue des tilleuls, jusqu'au pignon Nord Ouest du château ; ce très grand bâtiment aussi est couvert en chaume. Au bout de ce bâtiment, au nord près de l'avenue des tilleuls se trouve la maison des ouvriers, occupée par un couple avec des enfants.

Face au château une belle pelouse, le château lui même, je ne le trouve pas beau à cette époque. Il est couvert avec de l'ardoise pointée sur bois. Sur les murs, nous ne voyons aucune pierre. Il est recouvert d'un enduit, de grands traits noirs à la règle découpant des panneaux de 70 sur 40. Au pignon Sud, une grande serre et dedans il y a de belles vignes. Entre les grandes et le château sud une autre vieille maison en chaume.

Si je vous parle beaucoup de ce lieu c'est que beaucoup de choses se sont passées à Beuvrigny.

C'est bien dans cette commune le mercredi 7 juin après midi que commence à s'organiser le grand hôpital allemand. Il sont montés sur la toiture pour mettre une immense croix rouge. Par la suite, dans les champs autour, ils en ont fait autant.

Là les jours suivants Monsieur et madame de Heurtemont sont expulsés de leur château pour se réfugier chez leur fermier où ils restent jusqu'à la libération. Je vous assure qu'ils assistent à cela d'un mauvais oeil.

Alors arrivent ici même tous les blessés allemands venant des lieux des combats, plus ceux qui décèdent en cours de route.

Derrière les granges, sous les ormes, dans de grands camions, les allemands installent des appareils radio.

Il se trouve qu'un jour dans la semaine sur la route de Tessy sur Vire près de la ferme de Monsieur Maurice G à Fourneaux pour venir à Beuvrigny, les allemands trouvent 4 jeunes gens sur la route, ils les embarquent ; il s'agit de Monsieur G, coiffeur à Tessy sur Vire, S ... travaillant aux établissements Guérin, Monsieur G, Monsieur H B de Domjean, leur mission est de venir au château tous les jours pour enterrer les morts. Mais la situation s'aggrave très vite, Monsieur le maire de la commune doit réquisitionner 40 personnes tous les jours pour les enterrer. Puis à Domjean, le maire doit aussi réquisitionner des jeunes pour donner un coup de main.

Voila comment cela se passe au début, les 4 jeunes pris sur la route déshabillent les soldats allemands morts pour les mettre en rangs dans le pigeonnier. pendant ce temps une autre équipe creusait des trous de 80 cm environ de profondeur juste dans le champ appelé le Costil de la grange qui se trouve entre la grange et le château au sud. Ils ont l'idée de faire différents paliers mais cela devient increusable, le terrain est dur, et le temps presse. L'autre champ, au bout, nommé la pièce du Bois sert pour faire du foin. Nous sommes désignés pour faucher. Tous les jours, l'après midi là, ils enterrent les corps nus. Ils sont  amenés sur un chariot. Avant de mettre le mort dans la fosse, on lui met de l'herbe dessous le corps, puis de l'herbe par dessus, et de la terre. Une petite bouteille verte est déposée sur chaque corps. Y sont inscrits son nom, sa date de naissance et le jour de son décès.

Dans la commune de Domjean à 2 km de Beuvrigny, le maire est obligé de fournir au commandant allemand des jeunes pour nous aider à Beuvrigny, mais aussi pour garder des réserves d'essence qui sont stockées dans sa propriété.

Mais je vous assure que les jeunes préfèrent venir à Beuvrigny car là au point de vue de la sécurité nous sommes privilégiés. Les américains savent bien que l'hôpital soigne aussi leurs blessés. Les pauvres blessés sont soignés. Ils ne sont pas heureux, ils sont en attente de guérison dans la grande serre en plein midi.

Vous voyez au mois de juin et juillet, forcément nous en voyons quelques uns se promener dehors, mais il nous est interdit de leur parler.

Au départ, la cuisine se faisait chez nous dans la cour, avec la grande marmite, mais l'eau est venue à manquer, le puits est devenu sec, alors nous faisons la cuisine à côté du château derrière la maison des gardiens. Elle se situe près de l'avenue des tilleuls, et elle existe toujours. les allemands se sont mis à descendre tous les beaux meubles du château. Ils les apportent près de la cuisine, et c'est un nommé François A qui habite à Beuvrigny, à la lande, qui casse tout le mobilier pour faire marcher la cuisine. Il agit sur ordre, il en est tout retourné.

D'autres personnes vont à Pont-Farcy chercher des fleurs avec le banneau chez le fleuriste. Ce n'est pas toujours marrant, car il y a les avions américains qui sont toujours là à surveiller et bombarder le pont de Pont-Farcy. Nous ne sommes pas pressés de partir pour cette mission. Au début les croix étaient réalisées au bout des granges par des allemands de métier. Puis ils fleurissent les tombes. Mais très vite les allemands se sont trouvés dépassés par le nombre important de blessés et morts. Des cars de la croix rouge arrivent pour prendre des blessés sur des brancards, dehors, jusqu'à la route. Nous les rangions les uns à coté des autres.

Des réfugiés arrivent de partout. Dans un bâtiment, un jour à la maison, une femme a mis au monde son enfant et c'est le capitaine allemand qui s'est occupé d'elle. Je sais de qui il s'agit mais je garde l'anonymat. Ce capitaine habite et couche dans une chambre près de l'église chez Louis V. Nous l'estimons car s'il y avait un malade dans la commune, nous le prévenions et il faisait son travail de docteur. Plusieurs années après la fin de la guerre, il est revenu chez Louis V, lui demandant s'il avait du calva à vendre ; forcément Louis a dit " non ".

Comme réponse l'allemand lui répond : je sais où il se trouve. Il est avec sa femme une Hollandaise et lui raconte les évènements passés. J'ai couché la haut, chez vous, Louis à ce moment a vite compris et l'a invité à sa table. Ce capitaine lui confie " je passe avec ma femme pour lui expliquer que je n'ai jamais fait de mal à personne et ne craint rien ".

C'est certainement vrai, vous allez voir par la suite.

Le four qui est à l'intérieur de la ferme n'arrête pas. la aussi le pain est fait par un allemand pour l'hôpital.

Mon père se sert aussi du four. Il y a beaucoup de monde à nourrir. Il s'entend avec l'allemand pour que chacun à son tour passe. Il y a sacs  de très bon sel de Bayonne. De temps en temps, nous lui en piquons pour passer à d'autres personnes. Comme il y a de nombreux réfugiés, nous en avons l'utilisation. cela rendait de grands services car tout autour il y avait de nombreux réfugiés. Le pire est de se procurer de la farine, nous allons à travers chemins couverts avec l'âne au moulin de Fervaches chez tardif. Pour ceux qui doivent y aller il y a toujours l'aviation. Pire, en arrivant au moulin, nous empruntons le pont, qui à ce jour n'a jamais été reconstruit. les avions américains bombardent tous les ponts sur la rivière de la Vire.

Il y au lieu-dit " les Hogues " un coin surélevé. Là, dès le début du débarquement, il y a des pièces de D.C.A. Elles se trouvent à environ 2 km, mais jamais ils ne braquent leurs tirs vers l'hôpital.

La preuve en est, donnée par les avions qui survolent très bas l'hôpital. Un jour, je me souviens très bien, ce doit être un grand gradé militaire allemand qu'ils enterrent, il y a du monde dans le champ. Nous sommes une soixantaine de civils et 100 hommes allemands qui présentent les armes. les avions américains nous ont survolés mais aucun n'a tiré.

par contre un jour au mois de juin, je suis dans le champ nommé " la Queste ". Ce matin, dans ce champ, nous allons couper du trèfle blanc ou rouge pour les chevaux. J'ai ma jument Pâquerette sur le banneau avec mon chargement de trèfle. Tout à coup, 10 vagues de 4 avions. Quarante avions d'un seul coup qui survolent Tessy sur Vire et là où je suis. Ils sont passés tout prêts des D.C.A. mais ils n'ont pas mitraillé. Ils ont repéré près du cimetière de Tessy sur Vire un convoi allemand sur la route. Il n'est pas épargné. Quand j'ai vu cela, j'ai très vite abandonné la voiture et le cheval pour me réfugier chez Madame G.

J'ai eu peur qu'ils prennent pour cible mon banneau et qu'ils le mitraillent. J'ai attendu que cela passe et à ma surprise, Pâquerette, fidèle, est toujours là.

Chez nous, la famille Lohier, une chambre est réquisitionnée pour loger 2 civils qui font la cuisine des officiers. Un jour, il se trouve que 2 réfugiés viennent à la maison. Comme c'est la coutume, nous nous assoyons pour boire un coup. Le fils de ces deux réfugiés arrive et se met à table avec nous, ces gens habitent Saint-Lô.

Tout à coup, cela fait froid dans le dos, pensez vous : le jeune de 21 ans se trouve face à face avec le civil qui couche chez nous. Il descend l'escalier, venant de reconnaître le civil. Le jeune de 21 ans quitte rapidement la maison. Ses parents qui sont là avec nous à table, font signe à notre père de sortir et lui disent qu'il faut être très prudent. Le civil qui couche chez nous avec sa femme (ou non) car elle fréquente beaucoup les allemands, ayant livré le jeune homme de 21 ans aux allemands à la gare de Saint-Lô. Mais malheureusement pour lui, il a réussi à s'échapper. Celui dont je vous parle, qui couche chez nous, parle très bien l'allemand. Il est arrivé chez nous vers le 14 juin, et il s'appelle Dufour paraît-il. Avait-il un autre nom ? De toute façon, nous avions peur de lui. Il s'intéressait à tout, un vrai traître. Quand nous savions que ce Dufour était dans nos murs, nous parlions avec prudence. Il était plus allemand que certain allemands que nous connaissions bien. la preuve, il y avait un soldat allemand que l'on voyait souvent ne rien faire, rester couché sous le pressoir. Et qui ne demandait qu'à être libéré un jour. Il a justement peur de ce Dufour.

Le moment où il est arrivé le plus de blessés, c'était à partir du 15 juillet, et les jours suivants, des civils et des militaires.

Un certain jour, il est descendu chez nous environ une trentaine de soldats allemands en vélos, tout recouverts de terre et de sang ; pris par la fatigue, ils se sont allongés sous les pommiers. parmi eux un allemand qui parle un peu le français demande à notre employée Madame Dubourg Louise née Lebas (son mari est prisonnier) de lui attraper une poule et de la cuire à l'eau. Ce qu'elle a fait et bien à lui tout seul, il a mangé la poule à la table et nous a raconté les horreurs du front de bataille près de Saint-Lô. Dans sa compagnie, il n'y a que très peu de rescapés. Tous les jours nous voyons les allées et venues des chars, des camions etc. qui viennent s'abriter derrière le château dans le bois au repos.

Il n'y a plus de radio mais nous avons des nouvelles quand même toutes les après-midi par un petit poste à galène qui existe à la ferme du manoir chez Eugène M. À compter du jour du débarquement, les deux, trois premiers jours, les nouvelles sont bonnes puis plus mauvaises car nous apprenons que les alliés n'avançaient pas aussi vite qu'ils le voulaient. Nous continuons d'espérer quand même mais dans le fond de notre cœur nous étions angoissés. Quand nous avons vu qu'ils tenaient bon, nous reprenions espoir Nous nous disions : ils ne sont pourtant pas loin, ils ne viennent pas vite. Nous avions du mal à imaginer ce qui se passait.

Tous les jours au matin par vague, les forteresses les unes après les quatre passent au-dessus de nous, cela nous remonte le moral car elles vont certainement vers l'Allemagne. Nous nous disons, elles vont frapper fort aujourd'hui. Un matin de bonne heure, je vis une forteresse revenir seule. J'ai pensé qu'elle revenait d'une mission de bombardement, elle volait très bas, elle avait des ennuis de moteur. je pense qu'elle est rentrée à sa base aérienne, le pilote était certainement gêné, cela se comprend.

Comme je vous l'ai raconté plus haut, beaucoup d'allemands étant chez nous, nous avons eu l'idée d'enterrer du linge, des bijoux, tout ce qui nous semble bon de sauver de crainte que cela ne tourne mal. J'étais dans la cour avec mon chargement, voila que tout à coup les allemands arrivent dans la cour. E L voyant cela prend un sac de toile et une chaise, il monte dessus pour prendre son fusil caché dans la maison sur l'armoire, le met dans son sac et vite sort dehors et va dans la cave, juste en face de la maison, pour le camoufler sous les tonneaux. Je vous assure que j'ai eu peur, il va nous faire fusiller. Mais les allemands ne se sont aperçus de rien. Heureusement c'était un fusil de chasse calibre vingt, percussion centrale. Après cela nous avons pris un bon café pour nous remettre de nos émotions. Nous avons enterré tout le nécessaire dans des cuves, c'est un tonneau que nous avons scié en deux avec de la paille autour.

Tous les jours les civils qui travaillent aux cimetières allemands sont commandés par un allemand qui parle bien le français, on l'appelle " le caillé " parce qu'il a une tache blanche dans les cheveux, il est intraitable. Il nous arrive d'avoir des discussions très dures avec lui, nous sommes obligés de lui obéir. Quand quelqu'un manque, cela ne le dérange nullement d'aller chez lui et de le ramener au travail avec le fusil, et à coups de baïonnettes dans les fesses. La journée est sure pour lui. Le soir, il loge chez Eugène M au manoir.

Nous savons aussi que dans une ferme un allemand a été habillé en civil et est parti en exode avec les gens de la ferme.

 Il faut de la viande pour nourrir tout le monde à l'hôpital. La fourniture se passe au village l'Aumône à Pleines Oeuvres et toutes les carcasses ont été déversées à Beuvrigny dans le bas de la côte à droite à l'entrée de Monsieur Claude L, dans le bois où il y a une petite carrière où nous prenons de l'argile.

Les morts américains sont enterrés dans un coin réservé juste au-dessous du jardin légumier du château, dans le même champ que les allemands.

Puis de jour en jour, nous voyons bien que nous ne pouvons plus continuer comme ça à l'hôpital. Il faut déménager, alors là moi-même ... nous sommes réquisitionnés avec les banneaux et chevaux. le banneau qui est la propriété de Madame de H est pris avec une jument à la maison qui s'appelle " la soumise " puis une autre chez Monsieur Eugène D. Là dans l'après midi d'un des derniers jours de juillet 1944, nous faisons des chargements de toutes sortes, du matériel ensuite nous attendons la nuit, les voituriers et nous-mêmes nous plaçons sous les tilleuls près du colombier. Tout à coup, le cheval de R H lève le derrière, c'est une carriole, la voiture les bras cassés est retournée complètement. Nous nous disons comment le " caillé " va prendre cela, et bien " oui ", il n'a pas du tout apprécié. Il nous a mis le long du mur du colombier et avec son pistolet mitrailleur, " moi je vais vous fusiller suite au sabotage que vous venez de réaliser ", nous gardons tous le silence.

Puis heureusement voila le capitaine qui arrive. Il voit tout cela... Que se passe t-il ici ?

Nous lui expliquons ce qui s'est produit involontairement. " Bon je suis obligé de prendre des sanctions. En premier lieu, il faut répartir tout ce qui est dans la voiture abîmée, prenez en un peu chacun et mettez le dans les autres voitures, puis avec vous je vais mettre un soldat allemand armé par voiture. Vous ne devez ni abandonner le cheval ou la voiture, il va avoir l'ordre de tirer sur vous si vous n'obéissez pas, cela n'est plus de la rigolade.

R H par contre a le droit de rentrer chez lui. Ou partons nous, nous ne savons pas ? Mais il faut suivre la route direction Guiberville, puis le carrefour du Poteau, direction Campeaux, là avant de prendre Campeaux, arrêt, deux allemands nous quittent. Ils vont à une ferme et apportent de l'avoine pour les chevaux. Mais avant de prendre le pont, nous voyons arriver des colonnes de chars, je ne sais pas combien, ils sont très nombreux. Ils prennent la direction de Saint-Lô. Au même moment, les anglais qui envoient des fusées éclairantes, se mettent à envoyer des obus. Près d'une barrière, l'allemand qui est près de moi descend de voiture, je me dis que s'il ne regarde plus dans ma direction, je vais me sauver, mais manque de chance il est resté.

Prenons patience. Heureusement, les obus n'arrivent nullement près de nous. Et quand les convois allemands ont terminé de passer le pont de Campeaux, nous avons repris la route. En arrivant au lieu-dit le carrefour de la Papillonère, nous voyons que Vire brûle.

Nous prenons la route de Vaudry, puis de Viessoix, le jour se lève, puis le soleil. les avions nous survolent. Nous mettons des bouts de chiffons blancs pour nous faire passer pour des réfugiés en exode, mais encore une fois nous ne sommes pas rassurés car nous avons avec nous toujours notre garde allemand. Nous nous demandons : jusqu'où irons nous ? Il se trouve 11 heures 30 et nous arrivons à Bernières le Patry. Là nous constatons qu'il y a un camp de la croix rouge en campagne. Nous sommes quand même arrivés. Nous déchargeons les voitures. Nous donnons à manger de l'avoine aux chevaux, celle prise en cours de route.

Puis le capitaine nous remercie et il nous dit de rentrer sous sa tente aménagée. Là on pense à nous pour manger, ensuite il faut reprendre la route pour le retour. Avant de repartir, surprise, le capitaine vient nous retrouver et nous donne un peu d'argent sachant que le retour est dangereux. Nos voitures à chevaux peuvent être reprises par d'autres compagnies d'allemands. Nous lui demandons un laissez-passer pour être en sécurité en court de route. Il nous le fait. ce papier est très précieux pour nous et nous nous organisons pour le retour, sauf le cheval de voiture d'E D de Beuvrigny qu'il faut laisser sur place. par contre, il y a la jument de la maison appelée " soumise " attelée sur le petit banneau du château. Alors l'idée m'est venue de l'attacher derrière le mien. Nous repartons par la petite route de traverses au trot. Vers Jurques les roues du petit banneau se sont mises à traîner sur la route. Nous devons nous arrêter, elles ont très chaud, nous demandons de l'huile dans une ferme. Le fermier nous accueille très bien. Nous sommes quand même rentrés à Beuvrigny après plusieurs arrêts en cours de route par les allemands mais avec le papier, pas de problème. Nous nous demandons si nous allons retrouver nos familles sachant que la libération approchait. Je vous assure que les chevaux à cette allure, ils sont recouverts de blanc, tellement par la sueur, nous les avons soignés et nous sommes allés nous reposer.

Le lendemain, tout le monde debout de bonne heure. les allemands me voient avec une barrique à eau à la main pour aller chercher de l'eau. Comme j'ai 18 ans, deux allemands me réquisitionnent avec des amis pour atteler un cheval sur une fourragère, direction la grange. Nous devons obéir. Dans la grange il y a des madriers de bois que nous avons chargés, puis direction chez Louis voisin, dans un plant de pommier. Nous remarquons trois pièces d'artillerie sous les pommiers, l'on me dit de mettre les madriers derrière la haie au Nord Ouest qui existe toujours. C'est  pour placer l'artillerie derrière la haie, face direction Domjean, puis je suis reparti à la maison. revenu au château, car l'eau manque  pour s'occuper des blessés qui arrivent toujours, je vais pour reprendre la barrique à eau que j'ai laissé dans l'avenue des tilleuls. Voila qu'arrivent deux camions allemands qui posent à l'entrée du pigeonnier. Et voila re belote, je suis réquisitionné, à nouveau, pour charger tous les morts qui sont disposés déshabillés dans le pigeonnier. Un allemand les prend soit par les pieds et moi par la tête pour les balancer dans les camions. Puis au bout d'un moment ils me disent de monter dans le camion pour les pousser plus loin, alors j'hésite pour ne pas les empiler, ils me font signe, pas d'importance, pas de pitié, il faut en terminer. je me sentais tout drôle. les deux camions chargé sont partis. Ces morts sont enterrés au chêne Guérin.

L'artillerie se met à tirer des obus au début de l'après midi. Mon père avec les frères et les réfugiés, pendant tout ce temps, préparent les voitures prévoyant un départ pour l'exode. Heureusement car vers 17 heures les allemands prennent la ferme et tout le monde dehors. Alors au moment où notre père décide de partir, là, conscient que les animaux sont enfermés, nous ouvrons les portes d'étables pour laisser les porcs et veaux libres ainsi que les vaches. Nous en prenons deux qui se mènent bien. Elles vont nous suivre. Nous prenons la route par le bas direction Pleines Oeuvres pas question de prendre Pont-Farcy car le pont est souvent bombardé.

Alors nous tournons à gauche et nous montons la côte nommée les Fèvres, mais tout le long de la route le convoi grossit. Nous arrivons, à Pleines Oeuvres chez un appelé Abel Lepage près de la rivière la Vire. Il y a un endroit où l'eau n'est pas montée. Nous pouvons donc passer la rivière à pied, en attendant, chacun son tour. la nuit arrive. Nous nous retrouvons à travers champs pour prendre la route de Pont Bellanger. Comme nous sommes tellement nombreux, nous avons couché dehors en attendant de voir comment sera demain.

Le lendemain, nous reprenons la route de bonne heure, l'après midi, nous arrivons à Landelles. Nous n'allons pas vite car la route est encombrée par cet exode. Nous retrouvons beaucoup de personnes que l'on connaît très bien. Nous nous arrêtons dans des fermes. Les gens sont bien accueillis. Nous voilà arrivés à Landelles où nous retrouvons avec notre brave abbé Choux. Louis nous dit chercher un endroit où aller. " et bien oui ", je viens de voir un exploitant agricole qui est retiré dans le fond des terres. Il souhaite avoir des réfugiés chez lui. Vous prenez la route de Sept Frères. C'est la ferme de Monsieur et madame Albert A. Tout heureux, nous arrivons à l'entrée de la ferme, c'est que nous sommes nombreux. Les réfugiés que nous avons eus pendant un mois et demi chez nous nous ont suivis. Ils étaient venus de Notre Dame d'Elle. Monsieur et Madame D, famille d'ouvriers sont arrivés avec leur brouette et leurs six enfants au total. Nous sommes 17 personnes qui arrivent dans la ferme de monsieur et Madame Albert A. Nous sommes accueillis à bras ouverts, ce sont vraiment de braves gens. Ils ont mis à notre disposition une grange. Nous demandons juste de ne pas être séparés.

Le lendemain matin arrive. De bonne heure voilà deux jeunes S.S. qui n'ont pas le sourire qui arrivent, et me prennent, ainsi que mon frère Eugène. Ils nous disent d'atteler un cheval sur le banneau qui est la. Nous prenons la route avec les deux S.S. vers Saint-Sever. Nous entrons dans une ferme, sous un noyer nous attendons. Puis arrive un camion avec des caisses, mon frère et moi, nous demandons ce que contiennent ces caisses, pas de doute ce sont des munitions. Alors on entasse les caisses dans le banneau puis les S.S. coupent des branches pour le camouflage, un chiffon blanc au bout d'un bâton, nous reprenons la route.

Alors pour vous situer le lieu, la ferme de la famille A est seule sur le versant d'une petite vallée, un ruisseau au fond et sur l'autre flanc de coteau d'autres habitations. C'est là que nous sommes revenus avec le banneau où des officiers allemands nous attendent, avec environ 70 hommes, tous des S.S. Ils descendent les caisses en question, il les ouvrent devant nous, là plus de doute, ce sont bien des munitions. Ils commencent la distribution. Je vous assure que chaque soldat voulait être bien servi. Ensuite ils nous disent " vous pouvez repartir ", pas de temps à perdre. Nous reprenons la route, comme il y a la vallée, nous l'avons contournée. Nous sommes rentrés avec toute la famille et amis qui se demandaient bien où nous étions. Tout heureux de se revoir, nous avons pris " un bon coup de cidre ".

Puis par suite à la fin de la matinée, notre père s'aperçoit qu'ils font des trous dans les haies. Un avion arrive, il passe doucement, assez bas, mais ne ressemble pas du tout à ceux que nous avons l'habitude de voir, certainement un avion américain de reconnaissance. Nous ne pensons pas que les américains puissent être arrivé si vite.

Bref, il est l'heure de manger et comme il fait très chaud, nous décidons de nous mettre à table dehors avec la famille Aumont. Nous sommes de bonne humeur. Comme nous avons amené deux vaches qui sont plus loin dans un champ à la pique, c'est-à-dire avec une chaîne, mon frère Eugène et moi partons les chercher car nous savons qu'elles ont soif. En arrivant à la barrière, les soldats S.S. nos empêchent d'enter dans le champ. Je leur fait comprendre que c'est pour abreuver les vaches que l'on ramène à la maison et nous descendons au ruisseau. À peine les vaches sont-elles arrivées au ruisseau que des mitrailleuses près de nous crépitent. C'est le combat. Vite nous abandonnons les vaches et nous nous rassemblons à la ferme. Nos décidons de nous mettre vite à l'abri. Il y a une tranchée bien aménagée, elle est très bien recouverte de foin. Nous ne pouvons pas tous aller dans cet endroit. Les patrons de la ferme l'ont occupée avec la famille Dumont et leurs enfants.

Quant à nous, il y a une petite écurie qui fait face à la grange. Nous nous réfugions là pour nous abritons. dans la porte un petit volet qui nous permettait de voir ce qui allait se passer. dans ce petit emplacement, nous sommes onze. Pendant une heure environ, les obus tombent et toutes sortes d'engins. Je me souviens que l'officier allemand que nous avons vu ce matin passe à trente mètres de nous avec le revolver à la main, à travers les pommiers. Il se place très vite au Nord de la Grange avec deux autres soldats. Ils attendent là. Voilà que tout à coup on aperçoit cinq  américain en bout du bâtiment au Sud, ils se placent, puis, un par un entrent dans le bâtiment juste devant nous, à ce moment nous agitons un mouchoir blanc pour leur faire voir que nous sommes des civils à cet endroit. Ils nous ont bien vus. Alors que les cinq américains ressortent, au même moment, les trois allemands S.S. tirent sur les américains. Ils tombent, nous nous disons : ils sont morts. ils sont restés à terre et les allemands quittent leur place pour atteindre une haie, mais les cinq américains ne sont pas morts, par bonds successifs, ils reculent dans la vallée. Au bout d'un quart d'heure un américain arrive seul. Pour nous, vraiment, ce moment est très émouvant, il prend mon jeune frère qui avait 4 ans dans les bras et nous fait signe de sortir et de le servir ce que nous avons fait.

Pas fainéant, nous le suivons dans les haies tantôt debout, tantôt couché, nous remontons à l'autre village. Tout au long de notre  parcours, il y a des morts  des deux côtés. Les américains arrivent très nombreux. C'est impressionnant, des noirs, des blancs à la queue leu leu, les premières voitures jeep sont là. L'américain qui nous a libérés demande un interprète.

Il arrive et il nous demande s'il y a encore des civils. Nous lui répondons que oui, dans la tranchée. Ils partent pour les libérer à leur tour. Nous nous retrouvons et tout heureux pas de mort, ni de blessés, un coup de chance. L'interprète nous dit qu'ils vont pouvoir attaquer le village l'après midi et avancer. Le combat est très dur. À la nuit, ils arrêtent. Le lendemain matin, cela est terminé, nous retournons voir un bien drôle de spectacle. Les américains ont subi de gros dégâts. Je me souviens le même soldat allemand S.S. bien planqué dans un bout de chemin à lui seul en a tué neuf avant d'être tué lui-même. Nous avons regardé ses papiers, il avait à peine 18 ans. Beaucoup d'autres américains sont tués ainsi que des allemands au pourtour de la ferme et dans les champs.

Il fait très chaud. Monsieur et madame Albert A, les propriétaires sont obligés de sortir. Des français pillent les morts. Comme Monsieur et Madame A ont des toiles de tente, les uns après les autres, nous recouvrons les cadavres.

Nous sommes stupéfaits de voir les français agir de cette façon. Ces gens ont perdu leur vie pour nous libérer. Nous décidons de renter dans l'après midi. À Landelles, plein de soldats américains nous distribuent des cigarettes et des conserves à volonté, c'est la fête. Nous racontons notre libération aux gens que nous connaissons bien. Nous en avons vu en 24 heures, je vous assure, que tous se demandent si cela est possible. le lendemain nous pensons que tout est fini. Il y a un cerisier, nous sommes dedans pour cueillir des cerises, tout d'un coup voilà des obus qui se mettent à tomber autour de nous, sans doute les allemands qui nous envoient cela, quelle imprudence.

Le lendemain mon frère Eugène et moi avons pris chacun un vélo. Le matin, nous sommes arrivés à Beuvrigny, il n'y a pas eu de combat, des américains un peu partout. dans les maisons les meubles sont déplacés et mis devant les fenêtres. Ils sont complètement vides de leur contenu, c'est le désordre complet.  Nous sommes repartis à Sept Frères pour annoncer ce que l'on avait constaté, puis tout le monde décide de repartir pour Beuvrigny. Malgré le désordre, quelle joie de rentrer chez soit !  



Le doryphore
Les difficultés de plus en plus sérieuses pour l'approvisionnement général de la population se firent jour après l'occupation avec les exigences de plus en plus intensives des denrées alimentaires qui partaient vers l'allemagne. Tout cela a fait que les rations de viande, très réduites, ne pouvaient être compensées par un apport complémentaire.  Ainsi la pomme de terre devenait un légume nutritif de plus en plus apprécié. Quand celle ci mises en terre au printemps germaient convenablement, en quelques jours, un champ en pleine végétation pouvait être dévoré par un insecte qui avait fait son apparition au cours des années précédentes. C'est un parasite à multiplication susceptible de donner trois générations par an. depuis cette époque, les agronomes ont mis au point des traitement appropriés efficaces qui ont permis la quasi disparition de cet insecte prédateur. Pendant les années d'occupation, il fallait surveiller chaque plant de pommes de terres et, si on s'apercevait qu'il était parasité, il fallait  cueillir chaque doryphore un par un et plant par plant pour que la récolte ne soit pas anéantie. les occupants furent surnommés " doryphores " selon les définitions du dictionnaire (militaire, fléau redoutable, parasite). Une des définitions du dictionnaire était : soldat de la Grèce antique. 

La Chapelle Heuzebrocq

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sous la neige janvier 2003

sous la neige