PRÉFACE

Pendant ces années noires de l'occupation, ils n'avaient qu'un prénom, Émile ou Albertine, Jules, Gustave ou Andrée, ils et elles s'étaient souvent connus dès l'enfance à l'école de Saint-Lô, d'Avranches ou de Granville.

Leurs mères les accueillaient pour une nuit, lavaient et raccommodaient leur linge, leurs sœurs les prévenaient des dangers ou ravitaillaient dans un abri de carrière celui qui maniait la ronéo.

Les tracts étaient transportés. les petits journaux distribués dans une habitude de clandestinité apprise aux rudes coups de la répression nazie ou vichyste.

Ils étaient agriculteurs, forgerons, charpentiers, cheminots, instituteurs, postiers ; pour eux, une chose comptait : chasser l'envahisseur nazi. Pour cela. un combat sans autre souci que la victoire.

Qui les avait recrutés ? Ils ne l'ont pas toujours su tout de suite.

Arrivait un émissaire de Libé-Nord, de C.N.D., de l'O.C.M., des F.T.P. Il était le bienvenu et, s'il avait en plus des conseils, quelques moyens pour la propagande et l'action, il était accepté comme responsable.

Et quand le réseau Brutus leur délégua Maurice avec un poste émetteur. les conditions de combat se modifièrent : renseigner Londres sur les sabotages, sur le recrutement et aussi sur les besoins.

Alors ils devinrent vraiment l'Armée des Ombres. Depuis Cherbourg, les sabotages, les actions de guérillas s'étendirent au sud et débordèrent le Bocage.

Un autre prénom s'ajoute : Claude, le major anglais de S.O.E. qui va préparer avec eux les actions efficaces avant et après le débarquement du 6 juin.

Les plans : violet pour détruire les communications téléphoniques allemandes ; vert pour détruire le réseau ferré vers la Normandie et le Cotentin ; tortue pour harceler en guérilla l'arrière des troupes allemandes.

Une cohésion parfaite entre les groupes de F.F.I. d'origines différentes. soit de recrutement, soit territoriale, a assuré le succès total de la mission Helmsman.

Tout cela, hommes et femmes font accompli sans bruit, farouchement, dans le danger mais aussi dans la certitude de la victoire finale.

Et tout ces prénoms sont devenus des noms ; des noms sur des stèles et monuments du souvenir pour ceux qui sont morts torturés, fusillés, en déportation ou écrasés sous le bombardement américain de la prison de Saint-Lô, alors qu'ils attendaient la délivrance.

D'autres, survivants, ont repris leur nom de famille, ont siégé dans un Comité de Libération d'union, ont repris ensuite leur métier et sont restés fidèles à la Résistance.

Certains, et c'est le mérite d'André DEBON et de Louis PINSON, ont voulu que ne se perde pas l'exemple de ces héros du Bocage.

Ils ont patiemment recueilli les témoignages de leurs copains, consulté les archives, relevé les comptes rendus des États-majors alliés et ils ont rassemblé le tout dans ce livre criant de vérité et bouleversant dans ses détails.

Que ce livre reste la preuve de ce que fut la résistance de gens du peuple, qui n'étaient pas préparés à un tel héroïsme, et qui surent magnifiquement nous en donner l'exemple.

Lucie AUBRAC

cofondateur de Libération-Sud Commandeur de la Légion d'Honneur Croix de Guerre

Médaille de la Résistance avec rosette


CHAPITRE 1

DU DÉSASTRE DE 1940 AU REFUS DE LA SERVITUDE : 1940-1941

1 – La montée des périls 1921-1939

La guerre, l'occupation, la Résistance, la Libération dans le Bocage Normand ne peuvent être considérées uniquement au niveau de notre petite région. Les problèmes posés. les luttes, les sacrifices ne peuvent être isolés de ceux que connut la France entière. Et le sort de notre pays lui-même fut lié aux événements européens et même mondiaux.

C'est pourquoi, sans prétendre faire un résumé d'histoire, il nous a paru souhaitable de rappeler très sommairement :

- la montée du national-socialisme ;

- le déclenchement de la guerre ;

- son extension à l'Europe, puis au monde entier.

 

L'ascension du National-Socialisme

La misère, le désespoir, dix millions de chômeurs, facilitent la prise du pouvoir par Hitler. Dès 1921, il a créé les S.A. (sections d'Assaut), qui persécutent les Juifs, saccagent leurs magasins. Organisées militairement et armées, ce sont les Chemises Brunes.

1925 : Hitler crée la Schutz-Staeffel (les S.S.). Leur emblème est la tête de mort. Les Nazis sont 3.000 en 1920. Ils obtiennent 18 % des voix en 1930. 36 % en 1932.

Le Maréchal Hindenburg appelle Hitler à la tête du gouvernement.

Février 1933 : Les S.S. organisent les premiers camps de concentration : Dachau, Buchenwald, destinés, à l'origine, aux opposants au régime. Les Nazis incendient le Reichstag ; mais accusent les communistes.

Le parti communiste allemand est dissous et les partis centristes se sabordent, tandis qu'au printemps le parti social-démocrate est interdit à son tour. Les syndicats sont dissous. En juillet 1933, il ne reste que le parti nazi, le parti unique.

Hitler fanatise les foules : un seul État, un seul Peuple, un seul " Führer ".

La police est partout. Encadrés dans les Jeunesses Hitlériennes, les enfants s'entraînent au maniement des armes et à la délation, même de leurs parents. C'est ensuite un enchaînement d'événements qui font monter la tension en Europe.

Janvier 1935 : Rattachement de la Sarre à l'Allemagne.

Mars 1936 : Occupation et remilitarisation de la Ruhr.

1936-1937 : Hitler aide Franco contre les républicains espagnols. Au retour de la légion " Condor ", responsable des massacres de Guernica, le maréchal Gœring déclara : " La flotte aérienne allemande était obligée d'incendier, pour montrer au monde de quoi elle était capable " (España - Éd. du Seuil).

Mars 1938 : L'Anschluss : Hitler annexe l'Autriche.

Septembre 1938 : Il réclame une partie de la Tchécoslovaquie (Les Sudètes).

A la conférence de Munich, la France et l'Angleterre cèdent. On croit que Daladier (accueilli à Paris avec enthousiasme) et Chamberlain ont sauvé la paix.

Lucide, Winston Churchill déclare aux Communes : " L'Angleterre avait le choix entre la guerre et la honte. Ses ministres ont choisi la honte et ils n'éviteront pas la guerre. "

L'escalade de la violence reprend de plus belle :

Mars 1939 : Partage de la Tchécoslovaquie. Mussolini occupe l'Albanie. 23 août 1939 : Pacte de non-agression germano-soviétique.

1er septembre 1939 : Hitler envahit la Pologne.

Le 3 septembre 1939 : La France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne, en application du pacte qui les lie à la Pologne.

La drôle de guerre (septembre 1939 - 10 mai 1940)

La Pologne est écrasée en moins d'un mois et partagée entre l'Allemagne et l'U.R.S.S.

En France, c'est la " drôle de guerre " : un front stable, quelques escarmouches de corps francs et quelques combats aériens. Radio-Stuttgart annonce les déplacements des divisions françaises, avant même que nos soldats en soient informés par leurs propres officiers.

Drôle de guerre pour les soldats du contingent : appelés en 1936, ils feront deux ans de service militaire ; libérables en 1938, ils restent sous les drapeaux jusqu'en novembre.

Quelques mois de permission. Mobilisés à nouveau au printemps 1939 quand Hitler envahit la Slovaquie et Mussolini l'Albanie, ceux de la classe 1936. qui seront faits prisonniers resteront ainsi absents neuf ans (huit ans pour les appelés de 1937).

Les Français se croyaient à l'abri, protégés par la ligne Maginot, alors que n'importe quel 2` classe mobilisé dans la Meuse ou les Ardennes pouvait dire, en venant en permission : " Ils ne franchiront pas la ligne Maginot ; mais ils en feront le tour. " Aucun système de défense n'existait entre le Luxembourg et Dunkerque, la Belgique s'y étant opposée.

A la suite du pacte germano-soviétique, le P.C.F. est interdit par le gouvernement Daladier. Les députés communistes, chassés du Parlement, deviennent des clandestins.

Dans les milieux syndicaux, Pierre Rouxel, instituteur à Équeurdreville, secrétaire-adjoint du S.N.I. pour la Manche, est déplacé dans l'Indre ; Armand Roquet, instituteur, bien que sans lien avec le parti communiste est muté de Combourg (I. et V.) à La Mancellière (Manche). Six mois de suspension de traitement, pour un article qui ne fut même pas publié, la censure l'ayant interdit. Debroise, un sabotier-cercler de Saint-Laurent-de-Cuves, fut emprisonné pour des propos hostiles à Daladier. Pendant que Daladier faisait ainsi la chasse aux sorcières, Hitler ne perdait pas de temps :

9 avril 1940: Invasion du Danemark, puis de la Norvège. A la mi-avril, un corps expéditionnaire franco-anglais, débarqué à Narvik, ne fit que retarder de quelques jours l'occupation complète de la Norvège par les Nazis.

La débâcle (mai-juin 1940)

10 mai 1910: L'Allemagne envahit la Hollande et la Belgique. Les forces françaises et anglaises y envoient leurs meilleures divisions. Le 12, les " Panzer" percent à la charnière Sedan-Givet. puis foncent vers la Mer du Nord et Dunkerque.

Hollandais et Belges capitulent. Les Anglais et 110.000 Français rembarquent à Dunkerque.

Ce qu'on appelait la cinquième colonne (espions et saboteurs favorisant l'avance allemande) intervient sur les arrières de l'armée française.

Combats sur la Somme : C'est l'exode pour dix millions de civils qui fuient sur les routes. Les " Stukas " mitraillent tous les convois militaires et civils. La Luftwaffe est relayée par l'aviation de Mussolini à partir du 10 juin, tandis que l'aviation française est invisible.

C'est la débâcle : le 14 juin, les Allemands sont à Paris, puis sur la Loire, à Bordeaux, à Lyon, malgré quelques combats de retardement. Des ponts sautent, d'autres non. Les Cadets de Saumur se font tuer en défendant le pont sur la Loire. De jeunes soldats se rendent sans avoir combattu : prisonniers sans même avoir été habillés et équipés.

Le 17 juin, Pétain annonce d'une voix chevrotante : " C'est le cœur serré que je mous dis qu'il faut cesser le combat. " Les négociations commencent le 19 ; l'armistice est signé le 22 juin. La ligne Maginot résiste encore.

Tous s'imaginent que nos 1.500.000 prisonniers vont rentrer. En réalité, ils sont emmenés vers l'Allemagne... pour cinq ans. La plupart des civils réfugiés mettront un mois ou deux avant de pouvoir rentrer chez eux.

La Ill" République disparaît dans la tourmente. Le 10 juillet, Pétain est investi des pleins pouvoirs par ce qui reste de parlementaires (469 pour et 83 contre).

Les Chambres sont dissoutes ; la " Révolution Nationale " débute. Le chef de l'État (84 ans) a même le droit de désigner son successeur : ce sera Laval, puis Darlan, puis de nouveau Laval. Derrière le Maréchal, une partie de la France est prête à collaborer avec l'occupant.

La France est démantelée :

- zone occupée et zone non occupée, séparées par la ligne de démarcation ;

- zone réservée, au nord de la Somme, d'où Hitler se prépare à envahir l'Angleterre ;

- annexion au Grand Reich des trois départements d'Alsace-Lorraine.

A partir de 1941, c'est toute la zone côtière qui deviendra " zone interdite ", pour y construire le mur de l'Atlantique, avec des zones rouges, comme la Hague dont les habitants sont évacués.

Le 18 juin 1940, une voix s'était levée : celle de Charles de Gaulle. Rares furent ceux qui l'entendirent ; dix millions de Français étaient sur les routes, et en de nombreux endroits dans la Manche, le courant électrique était coupé.

2 - Le carcan (1940-1941) L'occupation de la Manche : juin 1940

L'arrivée des troupes allemandes dans notre région en juin 1940 a été précédée par le mitraillage des trains et des bombardements, comme celui de Folligny, moins meurtrier toutefois que celui de Rennes, qui a lieu le même jour, le 17 juin.

L'armée anglaise se replie vers Cherbourg : quelques Tommies isolés regagnent Jersey, quelques-uns se " planquent ". Pris en charge par Marland, ils seront bien encombrants par la suite.

L'armée française livre des combats sporadiques. Les estafettes allemandes arrivent à Avranches, Granville, Coutances, le 17 juin. Appel du Général de Gaulle le 18 juin. Quelques jeunes répondent à cet appel et rejoignent l'Angleterre à partir d'Agon et de Granville. Armistice le 22 juin. Mais, dès le 20 juin, le département de la Manche est entièrement occupé par les Allemands.

Pour eux, l'écrasement de l'Angleterre sera réalisé à court terme. N'occupent-ils pas les îles anglo-normandes '."Jersey, depuis le 29 juin). En août et septembre 1940, la puissante armée de Hitler se prépare à débarquer en Angleterre.

Or, la guerre allait durer cinq ans. L'Angleterre tiendrait bon et son exemple ferait renaître la confiance.

Pendant ces cinq années, le régime nazi avec ses S.S. fanatiques, allait dépasser toutes les horreurs connues ou imaginables. Il fut aidé par les nazillons de France, tous ceux qui avaient dit : " Plutôt Hitler que le Front Populaire ", aidé aussi par des Français dénonciateurs, indicateurs, policiers-tortionnaires.

Le pillage

En attendant, le pays subissait un véritable pillage. D'abord, une énorme indemnité était due par la France, en application des conventions d'armistice : 400 millions de francs par jour (soit plus de deux millions de FF 1986). Un autre pillage, plus insidieux, était légalement organisé : le Deutsche Mark valait 20 F au lieu de 5 F en 1939. Alors les occupants " se goinfraient ".

A Avranches, un soldat allemand serait mort étouffé en mangeant des saucisses!

Ils achetaient, ils bouffaient ! Qui ne se souvient des omelettes énormes (12 œufs par personne), des repas pantagruéliques, et de l'accompagnement en boissons ? Bien des commerçants croyaient s'enrichir, alors que ce qu'ils venaient de vendre mettrait des années avant de reparaître en magasin.

Ils achetaient tout : le linge, le savon, les colifichets, les tissus, la parfumerie, les souliers, les vêtements, le chocolat.

A La Haye-Pesnel, Georges Peuvrel, avant d'être C.V.R., commença la résistance en faisant le vide dans ses rayons, pour vendre le moins possible à l'occupant. Ce n'est pas un exemple unique, mais relativement rare.

Brèves illusions

1938 : Munich ! La Tchécoslovaquie a été sacrifiée, mais la guerre n'a pas été évitée.

1940 : Les gens, dans leur grande majorité, sont soulagés que la guerre soit terminée chez nous. Dans la Manche comme ailleurs, les Français trouvent les Allemands disciplinés et corrects.

Les affiches sont là pour le rappeler.

Dunkerque, Mers-el-Kébir ont exacerbé le sentiment anti-anglais. Avec le projet d'invasion de la Grande-Bretagne par la Wehrmacht apparemment invincible, on croit à la fin prochaine de la guerre, on croit au retour prochain des prisonniers. Illusion !

Dès septembre, le Kreiskommandant Von Pasquali fait rassembler les démobilisés de l'arrondissement d'Avranches, même ceux qui rentrent de zone libre. Il les dirige sur Saint-Lô, où ils rejoignent des dizaines de milliers de prisonniers de guerre enfermés notamment à la caserne Bellevue, à l'ancien Haras. Ils attendent, eux aussi, la libération et ils peuvent recevoir des visites. Puis, à partir de fin novembre, ils sont embarqués par convois successifs dans des wagons surchargés à destination de l'Allemagne, vers les stalags ou les commandos.

Jean-Baptiste Etienvre, instituteur à Saint-Martin-de-Landelles, fut de ceux qui s'évadèrent de Saint-Lô. Il prendra une part active à la Résistance. Et nous nous souvenons d'amis communs qui disaient alors : " Oui, mais il va en faire partir un autre à sa place. " Tant il est vrai que la Résistance ne fut pas une création spontanée mais un lent cheminement.

La perte des libertés devint sensible progressivement, quand les règlements, les restrictions, les contrôles de toute nature s'imposèrent à tous et partout.

Près d'un demi-siècle a passé ; les souvenirs s'estompent, et les jeunes, qui n'ont connu que la société de consommation, imaginent difficilement qu'il y eut une société de restrictions où tout devint introuvable, même si le Sud de la Manche, essentiellement rural, ne connut pas avec la même rigueur les privations, le froid et la faim qui sévirent dans certaines agglomérations.

Cœrcition

Ce fut d'abord la carte d'identité obligatoire, ce qui n'existait pas auparavant ; puis l'interdiction de sortir après le couvre-feu, à moins d'avoir un " ausweiss " (laisser-passer).

Dès les premiers jours également, l'obligation de remettre les fusils de chasse et les armes en mairie, l'interdiction d'écouter la radio anglaise, seul ou en groupe. La densité de l'occupation fut toujours très forte dans la Manche, département côtier. La croix gammée flotta sur chaque bâtiment où s'installa une " Kommandantur ". Châteaux et maisons bourgeoises furent occupés par les officiers, la troupe occupant les écoles et les bâtiments publics. Les rares communes qui échappèrent à l'occupation ne le durent qu'à l'absence de confort et... d'électricité.

Plus d'éclairage public ; les vélos et les voitures circulaient avec un éclairage restreint, les phares recouverts réduits à une simple fente. Les heures d'utilisation du gaz, en ville, furent réglementées, les heures d'ouverture des magasins également.

Les restrictions et les réquisitions

Les restrictions alimentaires furent imposées avec les cartes et les tickets pour le pain, la viande, le lait, les matières grasses, le fromage, le sucre, le riz, le tabac, le textile, le café, etc. Il fallut des bons d'achat pour les chaussures et les vêtements ; les chaussures à semelles de bois et les sabots se généralisèrent. Circulation et vitesse réduites pour les véhicules, les " gazos " fonctionnant au charbon de bois remplacèrent les moteurs à essence. Cartes d'acheteurs obligatoires sur les marchés (beurre, viande), restrictions aussi sur le charbon, l'électricité ; les bouteilles de butane disparurent ; le bois devint hors de prix.

Après les réquisitions de paille, de fourrage, de pommes de terre, de farine, ce fut l'alcool... pour réchauffer les soldats allemands sur le front russe !

Collecte de vieux vêtements, des chiffons, des métaux non ferreux, le déboulonnage des statues pour les fondre. La laitière normande de Saint-Lô connut ce sort, mais la statue de Napoléon resta à Cherbourg, car il menaçait l'Angleterre !

Les " ersatz " se multiplièrent ; mais aussi de vieilles recettes : le savon à la feuille de lierre, le café à l'orge grillée et au lupin, la salade, sans huile, au lichen d'Islande. On apprit à faire des pâtes, du tabac à feuille d'armoise, du Pernod au " calva ", à filer la laine au rouet et à tanner les peaux de lapin. Parallèlement, s'instaura un marché clandestin, le marché noir qui fit monter les prix. Les premières régions touchées étaient celles à proximité des voies ferrées puis la prospection s'étendit. Ceux qui n'avaient rien à échanger étaient les plus démunis en raison de la hausse des prix. L'abattage clandestin permit l'envoi de colis vers les villes. Le vélo fut le meilleur moyen de locomotion pour aller se ravitailler sur place, mais les pneus étaient aussi difficiles à se procurer que pour les voitures.

Le calendrier des Postes fut remplacé par un portrait du Maréchal Pétain, portrait qu'il fallut afficher dans les écoles. A la belle saison, maîtres et élèves ramassaient les doryphores sur les plants de pommes de terre. Sous prétexte de prévenir tout sabotage, les hommes furent appelés à garder les lignes téléphoniques, les ponts et les voies ferrées. La pêche fut interdite en zone côtière.

Fin mars 1944, tous les postes de radio devaient être déposés dans les mairies.

Pour fournir la main-d'œuvre dont l'Allemagne avait besoin, ce fut la " Relève ", l'appel aux volontaires pour aller travailler outre-Rhin. Pour trois volontaires, le Reich libérerait un prisonnier de guerre, proportion qui ne fut jamais respectée. La relève n'ayant pas eu le succès escompté, à partir de 1942, ce fut le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Des jeunes gens, par classes entières, devaient fournir la main-d'œuvre, soit en Allemagne, soit pour construire le Mur de l'Atlantique.

A partir de juin 1944, les cultivateurs, avec leurs véhicules et leurs chevaux, encadrés par les soldats allemands, furent astreints à effectuer des transports de munitions vers le front. Tandis que les derniers jours de juillet, il fallut creuser des trous individuels pour les soldats allemands, le long des routes.

L'application progressive de toutes ces mesures lassait les plus calmes et l'esprit de résistance finit par se généraliser.

La collaboration

Malheureusement, se développa aussi un climat de délation, principalement pour détention d'armes.

A l'arrivée des Allemands, Mme Lechartier, cultivatrice à Dragey, avait seule la charge de la ferme, son mari étant prisonnier. Quand elle pensa à remettre le fusil en mairie, il était trop tard !... Elle le cacha.

M. Lechartier étant rentré de captivité, ils furent arrêtés tous les deux à la suite d'une dénonciation. Mme Lechartier ayant disculpé son mari, la FeId Kommandantur de Saint-Lô la condamna à dix-huit mois de prison. Elle fut ensuite internée à Troyes du 15 avril au 10 décembre 1942. Libérée pour la naissance du troisième enfant, elle fut emprisonnée à nouveau à partir du 2 mars 1943 et ne fut libérée que le 10 juillet 1943. Il y eut - hélas ! - beaucoup d'autres exemples, suivis souvent d'exécutions.

Les lettres anonymes portaient sur la détention de pigeons-voyageurs, d'armes et sur l'écoute de la radio anglaise. Mais il y eut aussi des dénonciations de réfractaires au S.T.O., de résistants, de pilotes alliés.

Juin 1940 : Le Maréchal Pétain (84 ans) est installé à Vichy, avec les pleins pouvoirs. Il a aussi la confiance des anciens combattants de 1914-1918, dans les deux zones. On pense, on espère qu'il louvoie pour obtenir des concessions de l'occupant.

Mais à Montoire (Loir-et-Cher), Pétain rencontre Hitler le 22 octobre 1940, et déclare :

" J'entre dans la voie de la collaboration. "

La Manche connut moins d'authentiques collaborateurs que le Calvados, où Zoretti et Marie Langlois entraînèrent à leur suite un bon nombre de jeunes pacifistes intégraux.

Néanmoins, il y eut des ultras de la collaboration, serviteurs du nazisme qui géraient des officines du P.P.P. de Doriot (Degroote à Saint-Lô, Peters à Villedieu), du R.N.P. de Déat, des Francistes de Bucard et du M.S.R. de l'ex-cagoulard Deloncle.

En 1944, Panzani, collaborateur notoire, fut nommé Sous-Préfet et s'installa à Mortain.

La L.V.F. (Légion des Volontaires Français) avait ouvert, sans grand succès, à Avranches, Granville et Villedieu, des locaux de recrutement pour l'engagement de jeunes Français dans la Wehrmacht. Un certain nombre de ces engagés combattirent sur le front de Normandie, en uniforme allemand avec un écusson bleu-blanc-rouge.

La L.V.F. créa, le 24 août, une permanence à Avranches, dans le bureau du Syndicat d'Initiative. On lit dans la presse :

" L'inauguration par M. le Lieutenant Lanz, délégué régional adjoint pour la Manche et le Calvados, accompagné de Mme Lanz, de MM. Cauchemez, délégué départemental et René Marie, de Paris, délégué d'arrondissement, s'est déroulée en présence de M. Dop, sous-préfet d'Avranches-Mortain, de MM. Roques, commissaire de police, Lambert, directeur de la B.N.C.1., Bourdon, négociant et diverses personnalités... Des applaudissements chaleureux saluèrent les discours et cette inauguration se termina par un vin d'honneur.

" Ajoutons qu'un banquet avait été préparé dans un hôtel de la gare, mais la presque totalité des Avranchinais, qui avaient assisté à contrecœur à la séance inaugurale, avaient trouvé des motifs d'excuse, ce qui froissa beaucoup les organisateurs. " (A. Marie, Avranches : Souvenirs de l'occupation et de la libération, p. 69.)

Enfin, au printemps 1944, des miliciens de Darnand, basés à Rennes, se livreront à des opérations de représailles contre les Résistants de Bretagne, de Basse-Normandie et de la Mayenne.

" L'Ordre Nouveau "

Plus encore qu'aujourd'hui, la Manche était, avant l'occupation, un pays de " notabilités ".

La population, essentiellement paysanne, accordait sa confiance aux docteurs, notaires, avocats, pour les mandats de conseillers généraux, conseillers d'arrondissement, maires des chefs-lieux de canton, députés, sénateurs. Parmi eux, à la rigueur, étaient élus quelques soi-disant " agriculteurs ", jamais un authentique paysan.

Tout ce qu'on appellerait Centre et Droite était très majoritaire, mais sans partis politiques constitués, comme c'est le cas aujourd'hui.

A gauche, le parti socialiste (S.F.I.O.), le parti communiste (S.F.I.C.) n'existaient que dans la région cherbourgeoise, à Granville, dans le secteur Sourdeval-Gathemo. Saint-Lô était essentiellement une ville administrative.

Côté syndicats, la C.G.T., réunifiée en 1936, fut interdite par Vichy dès l'été 1940. La C.F.T.C. (la C.F.D.T. n'existe que depuis 1964) avait peu de syndiqués. Les syndicats agricoles étaient inexistants ; le mouvement des bouilleurs de cru avait failli tourner à l'émeute en 1935 - mais sans base syndicale réelle, le syndicalisme agricole ne se développera qu'après la guerre, remplaçant le corporatisme imposé par Vichy dès décembre 1940.

En juin 1940. les parlementaires du département votèrent les pleins pouvoirs à Pétain, sauf Joseph Lecacheux, député de la circonscription de Valognes.

Dès l'arrivée des Allemands à Cherbourg et à Granville, les éléments considérés comme subversifs furent convoqués dans les commissariats de police : communistes, anarchisants, objecteurs de conscience, secrétaires de comités antifascistes, fichés par la police française, ainsi que les Israélites à qui sera imposé en 1942 le port de l'étoile jaune.

Une administration docile à l'excès, qui va au-devant des désirs de l'envahisseur, a fourni les noms. A Granville, outre trois ou quatre communistes " fichés " et les anciens des Brigades Internationales, Louis Blouet est de ceux qui doivent se faire contrôler. Il n'habite plus Granville et son dossier est transmis à la sous-préfecture d'Avranches. Le secrétaire Louis Hédouin fait savoir à M"' Blouet, professeur au cours complémentaire d'Avranches, que le dossier de son mari est classé.

Le nom de Pinson figurait aussi à Granville sur les listes, comme secrétaire du Comité antifasciste local (1936-1937), après Blouet (1935-193( fr. Mais il y avait à Granville un autre Pinson, Georges, également instituteur et antifasciste ; il était prisonnier. On oublia les deux Pinson.

En zone dite libre, le régime de Vichy organisa le procès de Riom, où l'accusé... principal, Léon Blum, devint l'accusateur.

Les Juifs furent exclus des administrations. Tout fonctionnaire put être révoqué par simple décret ministériel. Au mois d'août 1940, le Général de Gaulle est condamné à mort par contumace. Une loi du 13 août 1940 visa les francs-maçons. Des enseignants furent contraints à demander leur retraite, pour éviter la révocation, tels : Jules Desmonts, directeur de l'E.P.S. de Granville, et Albert Yger, de l'École d'Agriculture de Sartilly.

Enseignants et magistrats devaient certifier - sous peine de révocation - qu'ils n'appartenaient pas à la franc-maçonnerie. Furent révoqués : R. Delaunay, professeur à Saint-Lô, Brochard et Jean Goubert, d'Equeurdreville, Launay, du cours complémentaire de Bréhat, E. Flaux. Quant à André Godier,ancien professeur à l'École Normale de Saint-Lô, il avait quitté la Manche. On supposa qu'il était à Dakar, mais c'était un cousin. Il fut retrouvé à Dieppe et révoqué... Galuski, vénérable de la Loge de Coutances, fut arrêté, le 23 janvier 1941, pour avoir refusé de donner la liste des francs-maçons. Agé de 80 ans, il fut maintenu en prison jusqu'à fin mai 1941.

La Ligue des Droits de l'Homme, la C.G.T. et la C.F.T.C. furent dissoutes.

Des enseignants syndicalistes furent déplacés d'office : Laplace-Dolonde envoyé en Ille-et-Vilaine ; d'autres furent révoqués, comme Lenesley, ou astreints à résidence, comme Jean Lamotte à Airel. Les institutrices de 50 ans célibataires ou sans enfants furent mises à la retraite d'office, telles : Mlle Lenormand à Granville, Mme Viquesney d'Équeurdreville, qui vint résider aux Cresnays, chez sa fille.

Les Écoles Normales d'instituteurs furent supprimées : les élèves instituteurs de la Manche préparèrent le Bac au collège d'Avranches.

On en vint à poursuivre des instituteurs sous de fallacieux prétextes de " droit commun ", ainsi Bretagne, de Virey, poursuivi pour avoir pris deux paires de chaussures lors du bombardement de Folligny. Par contre, des personnes en ayant ramené à pleins tombereaux - pour les vendre les années suivantes - ne furent pas inquiétées.

Malgré la dissolution du Syndicat des instituteurs, certains cantons collectèrent des fonds pour les victimes de cette répression. L'argent fut envoyé à Marcel Leclerc, replié à Saint-James, puis, après son arrestation, à sa belle-sœur, Mlle Grandguillotte, résidant alors à Saint-Hilaire-du-Harcouét.

" Dénoncé comme communiste ! " Muté d'Ille-et-Vilaine dans la Manche, suspendu sans traitement pendant six mois, secrétaire de mairie à La Mancellière, Armand Roquet nous a raconté comment et pourquoi il passa pour un communiste :

" Un dimanche soir d'élections corporatives agricoles, nous attendions au café Desfoux le passage des gendarmes qui " font " la tournée des communes pour centraliser les résultats et les procès-verbaux au chef-lieu de canton. Il y a là le maire, l'adjoint, le syndic, les notables de la corporation, et moi le secrétaire de mairie. Les gendarmes finissent par La Mancellière... Un peu éméchés par leur passage dans les autres communes ; mais ils sont invités à trinquer encore une fois. Soudain, le plus âgé me dévisage et s'exclame : " Tiens, vous êtes encore là ? C'est bizarre ! - Et pourquoi donc, dis-je d'un ton badin. - Pourquoi ? Eh bien, on vous a dénoncé comme communiste, et ça n'a rien fait. " Silence de mort dans l'estaminet. J'exige des explications. Elles viennent tout droit.

" Les Allemands ont demandé, à travers toute la France occupée, que leur soient signalés les fonctionnaires communistes, partout, même à Isigny-le-Buat.

" Le chef de brigade ne voulait pas renvoyer un état néant ; personne ne me connaissait ; je venais d'arriver ; alors, on m'a désigné comme communiste, pour sauver l'honneur du canton ou celui des gendarmes ! Le plus jeune tenta de minimiser l'incident : mais j'étais remonté : " Vous êtes de beaux saligauds. J'ai reçu, en effet, ordre des Renseignements Généraux, pour me faire pointer chaque jour à la brigade ; et j'ai refusé. Je suis le seul homme ici, capable de prouver n'être pas communiste, car j'appartiens à un autre parti. J'ai été candidat au Conseil Général avec mon étiquette : socialiste. Renseignements pris à mon poste précédent (Combourg), il a bien fallu en convenir. J'ai d'ailleurs dit aux deux inspecteurs : j'aurai droit au pointage quand ce sera le tour des socialistes. " Mais j'étais à cent lieues de penser que vous, gendarmes d'Isigny, étiez mes accusateurs. Vous ne l'emporterez pas au paradis : je vous retrouverai après la guerre, j'en prends à témoin tous les présents. ils étaient tous littéralement sidérés.

Et Armand Roquet conclut : " A la libération, le chef de brigade avait été muté ; mais je l'ai retrouvé. Et il était déjà arrêté et poursuivi pour d'autres délits ; alors, je ne lui ai pas appuyé sur la tête. "

Mais la dénonciation de ce " chef de gendarmerie " aurait pu conduire Armand Roquet au camp de concentration.

 

Un refus de la collaboration économique

Selon l'Administration et les Services Économiques, les cultivateurs devaient fournir le ravitaillement destiné à approvisionner les populations des villes.

Mais les collectes et réquisitions de denrées servaient, en premier lieu, à ravitailler les forces d'occupation.

Avant la guerre, Eugène Hamel, commerçant au Neufbourg, près de Mortain, collectait le beurre et les œufs dans le Mortainais, et les revendait sur les marchés de Cherbourg et de Caen.

En juin 1941, il reçut la lettre suivante :

" Monsieur Armand Rambaud

9, rue de Grenelle

Vélizy (S. - et - O.)

Paris, le 16 Juin 1941

Monsieur,

" Par M.Farcy, Contrôleur Technique Principal, du service central du Mouvement S.N.C.F., qui a eu avec vous des relations d'affaires, j'ai eu connaissance de votre adresse.

" Je suis en association, avec un commerçant de Vélizy, en possession d'un ordre de ravitaillement des années d'occupation, dûment signé des Kommandantur de Versailles et de Paris.

" Ce commerçant peut donc, en toute .sécurité pour vous et pour nous, recevoir de grosses quantités d'œufs, voire même agir par réquisition.

" Nous serions donc acquéreurs, dans le cas où ma demande vous intéresserait, d'une quantité d'œufs pouvant aller jusqu'à .50 000 par semaine ; c'est-à-dire le plus que vous pourriez nous donner.

" Les Autorités allemandes nous réclamant des œufs d'urgence, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire connaître le plus rapidement possible, votre réponse et, dans le cas affirmatif vos prix.

" Nous pourrions recevoir la marchandise contre remboursement, ou accompagnée de facture, dont le montant serait acquitté de la manière que vous aurez agréée.

" Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

" P.S. : Sur votre demande, je vous donnerai des renseignements plus précis par retour du courrier (duplicata de papiers en possession de mon ami, et adresse des expéditions). "

Notons que ce ravitailleur de l'armée allemande pouvait recourir à la réquisition, sans discuter les prix.

Notre ami Eugène Hamel répondit, non sans humour, que les poules pondaient moins depuis l'occupation.

" Le 18 juin 1941,

" Monsieur,

" En réponse à votre lettre du 16 courant, je vous fais savoir qu'il ne m'est pas possible de vous expédier des œufs, la quantité ayant diminué de 80 %. Je continue donc à livrer mes anciens clients et ne cherche nullement à en créer de nouveaux.

" Avec tous mes regrets, veuillez agréer, Monsieur, mes sincères salutations.

" Eugène Hamel

Par la suite, Hamel eut des ennuis pour ne pas avoir manifesté assez d'empressement dans la collecte du beurre et des œufs.

En 1943, il fut même déféré devant le tribunal d'Avranches, ainsi qu'un de ses collègues, André Chauvin, de Mortain, sur plainte d'un grossiste de Caen que nous retrouverons plus tard, après la libération, condamné pour collaboration.

Tous les deux eurent donc à répondre devant le Juge d'Instruction Jack Blouet, mais celui-ci comprit fort bien leurs motivations car il était, lui aussi, un résistant.

3 – Les débuts de la Résistance Que faire ?

Le refus d'Eugène Hamel est loin d'être général et, pendant de longs mois, la population, dans sa majorité, subit l'occupation, plutôt qu'elle n'agit.

Les mesures de Vichy : révocation, suspension de fonctionnaires. remplacement de conseillers municipaux, d'adjoints... ne concernent que les intéressés. Les autres se préoccupent du ravitaillement quotidien. C'est d'ailleurs l'accroissement des contrôles, réquisitions, restrictions, qui est le plus vivement ressenti. Chaque jour, l'étau se resserre, la perte des libertés s'accentue.

A la surprise générale, l'Angleterre ne capitule pas. Comme Napoléon lr` au camp de Boulogne, en 1804, Hitler se prépare à envahir la Grande-Bretagne. La Luftwaffe déclenche la bataille pour la maîtrise des airs ; elle tente de détruire au sol les avions anglais, mais ceux-ci, disposant alors de radars, échappent à la destruction.

Malgré des tonnes de bombes qui écrasent Londres et les grands centres industriels, la R.A.F. (Royal Air Force) tient tête et inflige des pertes sérieuses aux assaillants. Après deux mois d'un pilonnage intensif, de jour comme de nuit, cette bataille d'Angleterre tourne à l'échec de Gœring et de son aviation.

Alors Hitler se tourne vers l'Europe. En octobre 1940, ses troupes entrent en Roumanie pour " protéger les pétroles ", tandis que Mussolini attaque la Grèce.

En mars 1941, les Allemands sont en Bulgarie et, en avril, en Yougoslavie, conquise en une semaine. Puis ils entrent en Grèce - pour aider Mussolini - et en Crète, occupée par une division de jeunes parachutistes qui viendront au repos dans la Manche en 1942. A part la Suède et la Suisse, l'Europe est sous le contrôle hitlérien avec des gouvernements nazis locaux.

L'Espagne de Franco, le Portugal de Salazar ont des régimes de type fasciste, mais restent officiellement neutres. Enfin, le 21 juin 1941, l'armée allemande pénètre en U.R.S.S. La guerre est alors un plein succès pour les nazis... jusqu'à l'hiver 1941-1942.

Que faire alors que l'Allemagne domine la totalité de l'Europe, que l'Angleterre est affaiblie et que les U.S.A. restent à l'écart du conflit ?

Premières réactions

Néanmoins, dans cette période sombre, se multiplient des tentatives pour gagner l'Angleterre et, ainsi, rejoindre les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle.

Dès juin 1940, Jules Leprince, pêcheur à Granville, assure le passage, vers Jersey, de plusieurs jeunes désirant rallier les F.F.L., dont Jean Robin qui, malheureusement voit mourir près de lui, en cours de route, Marcel Mauduit. fils d'un charcutier de Granville, tué dans un bombardement à Guernesey.

René Duval et cinq autres jeunes rejoignent Jersey, grâce à Guillot, du Passous, et au pêcheur Legraverend d'Agon.

Persiflage

" Battus par les chars et les avions allemands, les Français prennent leur revanche dans le domaine de l'esprit ", écrit Henri Amouroux, dans la " Vie des Français sous l'occupation ". Dans " Le peuple réveillé ", il cite le cas de Gournay, Directeur du journal " Le Mortainais ". Celui-ci, fin août 1940, avait publié un texte humoristique que le censeur allemand ne remarque pas quand la morasse lui fut présentée. Gournay fut dénoncé et paya une amende.

Au printemps 1942, il édita un texte que le chanoine Blouet, archiprêtre de Mortain, destinait aux fidèles. Gournay fut à nouveau poursuivi pour ce soi-disant tract. Son dénonciateur l'ayant signalé directement au Grand Quartier Général, il fut condamné par le Tribunal allemand de Saint-Germain-en-Laye, siège du G.Q.G.

 

La radio anglaise

Il faut se souvenir qu'à l'époque, non seulement la télévision n'existait pas, mais les récepteurs radio étaient encore un luxe. D'ailleurs, tout le monde n'avait pas le courant électrique et les transistors ne se généraliseront que vingt ans plus tard.

On se regroupait pour entendre les nouvelles que ponctuait l'indicatif - les quatre coups - suivis de : " ici, Londres. " La radio anglaise. écoutée malgré le brouillage, fit mieux connaître de Gaulle. la France Libre, nos alliés. La B.B.C. donnait des conseils, parfois des consignes telles que : inscrire la Croix de Lorraine de la France Libre ou les " V " de la Victoire.

Certes, beaucoup de Français se contentèrent d'écouter la radio - ce qui était déjà un délit - mais, petit à petit, à travers la B.B.C., l'idée de participer à la lutte prit corps, surtout chez les jeunes.

Au mois de janvier 1941, des V. signifiant Victoire, sont ainsi inscrits, sur les portes des collaborateurs, sur les affiches allemandes et même, à Villedieu, sur la porte de la Feldgendarmerie. Amaury Vimond et Auguste Le Carpentier. arrêtés, trouvèrent un alibi valable, nais Roger Dutertre qui était venu chez son oncle, juge de paix à Villedieu fut arrêté à Hudimesnil, par un gendarme français accompagnant les feldgendarmes. Emprisonné à Saint-Lô, condamné en avril, il fut incarcéré à Caen jusqu'au 9 septembre 1941.

Des sabotages

Dès le 14 septembre 1940, la Feldkommandantur de Saint-Lô fit afficher dans toutes les communes un avis sur lequel on put lire :

" Plusieurs actes de sabotage ont été commis ces derniers jours. Des câbles militaires ont été coupés. On a même attaqué des soldats allemands... " Vrai ou faux ?... les menaces suivaient.

Nous savons que, dès le 27-8-40. Isidore Restoux avait effectué une coupure de lignes à Saint-Martin-de-Landelles. Il n'y avait donc pas que des menaces dans l'affiche allemande, mais aussi sans doute un constat.

Il nous a été remis un extrait du journal " l'Avranchin " du 20 février 1941: " A plusieurs reprises, une, jeune fille avait sectionné des câbles... "

Grâce aux renseignements fournis par M. et M- Vivier, d'Avranches, nous avons retrouvé, dans la Nièvre, le Commandant d'aviation Laruelle et son épouse, née Émilienne Soulard. Nous avons pu reconstituer le drame du " Buhara " et, d'autre part, les péripéties de leur double déportation en Allemagne.

Émilienne Soulard écoutait la radio anglaise, chez une commerçante. Avec de simples ciseaux, elle coupa à quatre reprises un câble électrique posé sur le sol, près de la ville d'Avranches. il y eut enquête et les soupçons se portèrent sur un voisin : M. Couëtil dont la famille était bienfaitrice des enfants Soulard.

La jeune fille ne savait comment résoudre ce problème de conscience. Elle écrivit à la Kommandantur que les coupures " avaient été faites par une femme, mais que celle-ci était partie à l'étranger ". Ceci après avoir coupé le câble à nouveau !

Émilienne fut arrêtée le 14 février 1941. Les papiers compromettants qu'elle brûlait furent partiellement récupérés par un policier français, et elle fut conduite à la prison de Saint-Lô. Et les fils furent à nouveau coupés ! Par qui ? Nul ne le sait, mais il est permis de supposer que quelqu'un avait voulu venir en aide à Émilienne Soulard. Cette tactique, pour égarer les recherches, fut fréquemment employée par les Résistants.

La Cour Martiale, en raison de son jeune âge, la condamna à cinq ans de détention. Après les prisons de Caen et Troyes, elle connut la déportation le 21 juillet 1943.

La Buhara

Le 12 février 1941, quinze jeunes gens, dont l'un avait 16 ans (Maurice Guéret) réussissaient à quitter, au milieu de la nuit, la baie de la Frênaye (Côtes-du-Nord), à bord du cotre " Le Buhara " qu'ils avaient acheté pour gagner l'Angleterre. L'aîné de tous : le moniteur-pilote Jean-Magloire Dorange avait 30 ans. Beaucoup étaient pilotes ou élèves-pilotes, deux étaient marins, tous enfin étaient d'ardents patriotes.

L'aventure se terminera mal, pour une raison bien simple : l'essence, que les jeunes gens avaient subtilisée aux Allemands, avait un indice d'octane trop élevé pour le moteur du bateau qui rendit l'âme au large de Guernesey. L'absence de vent ne permettait pas l'usage de la voile. On imagine sans peine la consternation qui dut régner à bord, comme aussi l'angoisse qui les étreignait tous.

Soudain les jeunes gens virent apparaître à l'horizon la fumée d'un navire. Londres était au courant de leur expédition. Ils se persuadèrent que c'était un bateau anglais qui venait à leur rencontre. Las... quel choc de voir un patrouilleur allemand les accoster !

Emmenés à Cherbourg le soir même, ils furent transférés le 3 mars à Saint-Lô où ils devaient être jugés.

La mère de l'un des jeunes pilotes : Mme Devouassoud qui avait participé au financement de l'achat du " Buhara " fut également internée à Saint-Lô comme complice. Elle sera déportée en Allemagne.

Tous furent condamnés à mort, sauf le plus jeune.

Après plaidoirie du capitaine allemand Rolls, la peine sera commuée en travaux forcés à perpétuité, excepté pour Pierre Devouassoud et Jean-Magloire Dorange qui furent fusillés le 12 avril, la Cour étant décidée à faire un exemple.

Durant leur longue détention (1941-1945), deux de ces jeunes : Pierre Canvel et Auguste Zaleski moururent d'épuisement. Aujourd'hui, quatre seulement sur quinze partis en 1941 sont encore vivants.

Lors de son transfert à Saint-Lô le 3 mars 1941, le pilote Robert Laruelle. alors âgé de 18 ans, était malade avec 40° de fièvre. Il fut placé dans une cellule équipée d'un poêle. Une jeune fille fut mandatée pour allumer celui-ci avec une pelletée de charbon provenant de la cellule des femmes. C'était Émilienne Soulard. Dans les jours qui suivirent, ils se virent sans pouvoir se parler ; mais après quatre années de captivité, ils se retrouvèrent... et ne se sont plus jamais séparés depuis.

Émilienne Soulard, ayant refusé de travailler, fut sanctionnée sous la forme d'un départ pour Ravensbrück ; un terrible bombardement désorganisa le convoi et elle se retrouva en prison à Darmstadt. Robert Laruelle passa les quatre années en forteresse à Düsseldorf. Épisode ubuesque de sa libération : il dut aller la réclamer lui-même aux Américains, grâce à une permission accordée par le Directeur de la Zuchthaus

Le 8 mai 1945, enfin libéré, il se retrouva à Paris avec ses camarades survivants : c'était la Fête de la Victoire. Une estrade était installée pour fêter le retour des rapatriés ; mais l'allure insolite de ces jeunes ne plaisant pas aux forces de la police parisienne, ils furent fermement invités à passer derrière l'estrade.

De son côté, Émilienne fut libérée en avril 1945 par les troupes américaines. De retour à Avranches, lors d'une réception en l'honneur des rapatriés, agressée par une personne qui la traita de " boche ", elle reçut deux gifles qui, inutile de le dire, furent rendues aussitôt. Mais la justice française condamna Émilienne à 50 francs d'amende pour coups !

Tous deux gardent un souvenir amer de leur retour, on le comprend. Que justice leur soit rendue, pour avoir été parmi les premiers artisans de l'esprit de la Résistance.

Mme Devouassoud qui fut, par un effet du hasard, la compagne de cellule d'Emilienne, lui prodigua, ainsi qu'à Robert Laruelle, beaucoup d'affection, transférant la tendresse qu'elle avait pour son fils unique. fusillé avec Jean-Magloire Dorange.

" Faisant preuve d'une volonté peu commune, M. Devouassoud cacha l'atroce vérité et, dans sa prison, la maman, quand elle le pouvait, tricotait pour son petit " gars ", son unique enfant qui n'était plus de ce monde ! "

(Albert Desile : Des sombres années de l'occupation aux chemins de l'été 1944 - page 35.)

Elle est décédée à Valognes le 5 mars 1986. Le service religieux a été célébré à l'abbaye ale Montebourg, sur le lieu où son fils avait crié, face au peloton d'exécution : " Vive la France ! Vive l'Angleterre ! "

Il avait vingt ans.

Le récit de la glorieuse aventure du Buhara, rédigé par Victor Quéret le 11 avril 1941, fut remis à la fille du gardien-chef français de la prison : Odette Pannier. Marcel Daguts reproduisit le texte qu'elle fit distribuer à Saint-Lô ; pour ce motif elle fut arrêtée et emprisonnée plusieurs mois.

Cette affaire eut un grand retentissement : " Le dimanche suivant l'exécution, celui qui allait devenir Monseigneur de Chivré annonça au prône : " Tel jour. messe pour Pierre et Jean Magloire, morts pour la France. " Le jour dit, malgré l'heure matinale, l'église Notre-Dame était comble. Des gens de toutes conditions, de toutes convictions religieuses ou philosophiques assistaient à l'office, transformé en messe solennelle, avec la chorale reconstituée à l'improviste par le vicaire. Interrogé dans la matinée par la police allemande, le chanoine de Chivré argua qu'il avait trouvé les honoraires de messe dans un tronc, avec les intentions, et qu'il n'avait fait que son devoir de prêtre. Pieux mensonge évidemment " (témoignage de Mme Jeanne Potier - Saint-Lô).

Les passagers du " Buhara " étaient presque tous des pilotes d'aviation ou des élèves-pilotes. De même, Pierre Desprez et René d'Oliveira, de Tourlaville, après avoir traversé la ligne de démarcation, rejoignirent l'Angleterre par Marseille et les Antilles. En 1944, Desprez fut abattu par la Flak (la D.C.A. Allemande), en attaquant des rampes de lancement de V.1 dans le Nord.

Autre performance extraordinaire : celle de Jean Hébert et Denis Boudard, qui s'envolèrent de l'aérodrome de Carpiquet (Calvados), le 29 avril 1941, sur un avion volé à la Luftwaffe, évasion qui fut rapidement connue dans toute la Basse-Normandie. Jean Hébert fut tué en opération aérienne ; Denis Boudard dirige un des clubs de Carpiquet.

Les années suivantes, tentant de franchir la frontière d'Espagne. et, de là. l'Angleterre, plusieurs jeunes réfractaires furent arrêtés et déportés.

Tels furent les cas de :

- René Lechartier, de Genêts, arrêté en mars 1943, déporté, et décédé au camp de Maïdeneck ;

- Alain Bourgine, fils d'un ancien maire du Neufbourg, aspirant dans l'armée de l'Armistice, déporté à Dora, mort à Bergen-Belsen en avril 1945 ;

- Michel et Raoul Lecostey, arrêtés près d'Orthez, déportés à Buchenwald. ils étaient partis de Saint-Jean-du-Corail, près de Brécey, où leur sœur était institutrice. Raoul ne revint pas de Buchenwald, mais Michel fut longtemps professeur au C.E.T. de Granville.

Par contre, Pierre Barrier et Maurice Nonet-Raisin, grâce à Eugène Vigot, de Saint-Lô, trouvèrent une filière pour passer la frontière. Après avoir été incarcérés à Miranda, en Espagne, ils purent rejoindre les F.F.L.

Maurice Faucon, Président des Anciens de la 2e D.B. Manche-Sud. connut les mêmes conditions d'internement.

Regroupements et premiers tracts

Les premiers regroupements se font surtout dans le cadre professionnel : cheminots, postiers, enseignants. Mais, en raison du grand nombre de prisonniers, il y a des vides dans toutes les administrations, et, de plus, la prudence s'impose.

Des prêtres prennent ouvertement une position antinazie : l'Abbé Bourget, professeur à l'Institut N.D. d'Avranches, qui deviendra un des membres du Comité Départemental du Front National, l'Abbé Feuillet, de Villedieu, le Curé de Cuves, personnage au franc-parler.

Quelques maires contestent les mesures de mise au pas imposées par l'occupant : utilisation des locaux publics et réquisitions diverses.

Le régime vichyste avait édicté une Charte du Travail avec des corporations remplaçant les syndicats. René Belin, syndicaliste, munichois rallié à Vichy, devient sous-secrétaire d'État puis Ministre de la Production Industrielle.

Mais la C.G.T., interdite, donc clandestine, se reconstitua dans la Manche, avec Joseph Bocher pour la marine marchande et André Defrance pour les travailleurs de l'Arsenal de Cherbourg ; toutefois l'influence n'en fut pas immédiate dans le Sud de la Manche. Quant au Parti Communiste, il reprit corps dans la région de Cherbourg ainsi qu'à Granville et chez les granitiers de Mont-joie ; les contacts furent rétablis entre ces différents groupes.

Quelle était l'origine des premiers tracts communistes ? Vraisemblablement provenaient-ils d'un groupe formé autour d'Auguste Havez, alors dans la région de Nantes (déporté à Mauthausen en 1942) et de Charles Tillon qui, de Bordeaux, dès 1940, a engagé la lutte à la fois contre l'occupant et contre Vichy.

Le Parti Socialiste, également clandestin, regroupa ses adhérents à Pontorson et autour de Saint-Hilaire-du Harcouet. Au début de 1941, un appel ronéotypé fut adressé à tous ceux qui, avant guerre, adhéraient aux comités antifascistes de la région de Granville. Ces lettres furent postées en divers endroits par Louis Blouet alors qu'il se rendait à Tours, à bicyclette.

A Avranches, les premiers tracts locaux émanèrent d'un noyau résistant formé par Désiré Lerouxel, adjoint au maire, révoqué parce qu'il ne pratiquait pas une politique de collaboration, ainsi que le lui reprocha le Sous-Préfet, M. Dop (déclaration de Jean Lerouxel, fils du précédent). Le maire-adjoint, destitué, obtint rapidement le concours de Marcel Lucas, commerçant et de François Brière, entrepreneur.

La première distribution eut lieu le 8 mai 1941. Les frères Barbieux qui l'avaient effectuée furent emprisonnés peu de temps après. Par la suite, le teinturier Gaston Georgel, le facteur Gabriel Lassus et le Docteur Lebreton se regroupèrent autour de Désiré Lerouxel et le noyau jusqu'alors autonome se rattacha à Libé-Nord.

Les premiers tracts d'origine gaulliste imprimés à Londres furent découverts, encore enveloppés dans des emballages de toile de chanvre, aux environs de la Butte-ès-Gros à Lolif, à l'automne 1940.

" Récemment, Maître Leprieur, maire d'Avranches, m'a appris qu'il en avait été lancé par avion, aux environs de Dragey ; il en a retrouvé un, jauni, mais très lisible qui figure en annexe.

" La date de ce lâcher de tracts n'est pas indifférente : nuit du 10 au 11 novembre 1940. Je peux le préciser d'après la date de mon déménagement de Genêts à La Haye-Pesnel.

" J'en fis circuler à La Haye-Pesnel parmi des gens sûrs ; j'en adressai également par la poste : des contacts furent ainsi établis avec des collègues du département. Le Dr Gonfroy qui venait d'installer son cabinet à Agon, m'en demanda deux fois.

(Témoignage de Louis Pinson.)

Selon Roger Dutertre, ces mêmes tracts furent distribués à Granville et à Villedieu.

Le début des réseaux : Marland

Ces tracts, dès 1940, dans la zone côtière d'Avranches à Bréville, ne sont pas sans rapport avec le début des réseaux. Certes " Moulines " n'aura aucune liaison avec le Sud du Département avant l'été 1942, mais un réseau " franco-belge " a pris contact très rapidement avec Gustave Belloir, officier en retraite à Saint-Jean-le-Thomas.

A Granville, le capitaine Robert Guédon, blessé en 1940, soigné clandestinement, a échappé à la captivité. Après avoir rencontré en zone libre son ancien condisciple Frenay. il fera distribuer, au début de 1941, un journal clandestin : " Les petites Ailes ", puis des publications du M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale) créé par Frenay.

Fin 1941, recherché par la Feldgendarmerie, il partit pour l'Afrique du Nord. Une perquisition effectuée à Granville amena l'arrestation de Mlle Bindault qui, sous le couvert de la Croix-Rouge, assurait la liaison entre Granville et Caen. Elle sera déportée en Allemagne jusqu'en mai 1945.

" Maurice Marland est indiscutablement un des premiers résistants. Tous ceux qui l'ont eu pour professeur à l'École Primaire Supérieure de Granville (devenue collège en 1937), en ont gardé un souvenir inoubliable. Il savait créer l'enthousiasme, faire aimer le français à ceux qui n'en avaient pas envie. Il pratiquait les méthodes audio-visuelles dans l'enseignement de l'anglais... avec plus de 20 ans d'avance. Bref, nous l'aimions.

C'est en Pologne, après la Première Guerre mondiale, qu'il avait pris des contacts avec les services britanniques. Il nous en a parlé, et de tant d'autres choses encore (littérature, théâtre, cinéma, philosophie) que l'enseignement officiel ignorait alors " (témoignage d'anciens élèves de Marland).

Mais si des Britanniques lui avaient laissé un poste émetteur, il n'aurait su qu'en faire. Persuadé que le technicien en cette affaire ne pouvait être que Lucien Finck, nous avons demandé à Edmond Finck, lui-même ancien élève de Marland, de donner son avis.

La réponse corrobore ce qui avait déjà été établi par M. Leclerc : Lucien Finck fut un des meilleurs informateurs de son groupe de résistance, et cette activité résistante débuta très tôt. Chef d'atelier à l'entreprise de fonderie et de réparation mécanique Legoupil, il était en contact avec les Allemands qui contrôlaient l'activité portuaire de Granville. D'une famille d'origine alsacienne. il comprenait assez bien la langue des occupants ; ce qui lui permettait de noter des renseignements utiles, en particulier sur le matériel acheminé sur les îles anglo-normandes. Quant à son fils : Edmond Finck, élève-maître à l'École Normale d'instituteurs de Saint-Lô, il a, dès le début, participé aux liaisons entre son père et Marland.

Et, selon les circonstances, ce rôle d'informateur s'est accru les années suivantes. Mais, en ce qui concerne une éventuelle transmission vers Londres par radio, ce ne fut jamais le travail de Lucien Finck. Marland n'a jamais rien dit de son " pianiste " ; et, à la Libération, aucun radio clandestin ne s'est fait connaître. Donc le mystère demeure.

Quant au capitaine Robert Guédon, lors de sa première rencontre avec Frenay, en zone libre, il déclara que ses renseignements étaient transmis à Londres par un groupe de Granville, appartenant, croyait-il, à l'Intelligence Service ; ce qui ne répond pas à la question : Comment ? Par qui ? - Il est donc peu vraisemblable que Robert Guedon ait apporté un poste émetteur à Granville en 1941, en vue d'en expliquer le fonctionnement à deux Granvillais : Bindault et Fonlupt, car en 1941, Frenay demandait encore à son ami Robert Guedon : Mais, quand donc auras-tu le contact avec Londres ? "

La nuit du 9 juillet 1941, Burdeyron, agent du S.O.E. d'origine française fut parachuté aux environs d'Avranches. Son radio " Xavier ", reconnu par un

gendarme ayant été arrêté, quelques jours après, Burdeyron se dirigea sur le Calvados.

(D'après H. Noguères - Histoire de la Résistance, Tome II, page 42 et M.A.D. Foot, S.O.E. in France.)

Dans " La nuit finira ", de Frenay, il est question d'une " antenne ", dans le sens d'une équipe d'information à Caen " qui recueille également de précieux

renseignements, qu'elle parvient à acheminer sur Londres, niais qu'elle communique aussi à Robert ".

Bertin de la Hautière, dont les contacts commencent par le Nord-Cotentin, procède de même : c'est le réseau Saint-Jacques. A l'époque, il recrute, entre autres, la famille Picot. originaire d'Yvetot-Bocage, pour les renseignements et Antoine Pery, garde-champêtre à Octeville, pour l'équipement d'un groupe " Action ".

La première arrestation de Marland eut lieu en juin 1941. Origine de l'accusation : il avait fait chanter le " God save the King " à ses élèves. Or, les Allemands avaient interdit ou expurgé un grand nombre de livres d'histoire et de français dans les écoles. Mais pour le " Boys'own book " de Camerlink, en usage au collège de Granville, ils avaient omis de faire enlever l'hymne national britannique. Interrogé, Marland leur dit : " Si vous aviez fait enlever ce texte, je ne l'aurais pas fait apprendre à mes élèves. Comme vous l'avez laissé, j'ai cru devoir le faire étudier, car je suis discipliné.

L'avait-on dénoncé ? C'est certain. Accusé d'avoir une liaison radio avec les Anglais ? Peut-être. Mais Marland maniait l'imprudence à la façon des " Trois Mousquetaires " d'Alexandre Dumas.

Deux ans plus tard, la seconde perquisition sera beaucoup plus poussée, et la détention durera du 18 juin 1943 à septembre 1943.

Les granitiers et Sourdeval

Le cas d'Émilienne Soulard témoigne que des sabotages furent réalisés dans la Manche, dès le début de l'occupation, généralement des fils téléphoniques coupés.

Résistance organisée ou actes individuels ? il est difficile de le dire, sauf pour le secteur Brécey, Saint-Pois, Gathemo où ils furent sciemment organisés par les granitiers de Montjoie.

Les collines granitiques qui s'alignent au nord de la vallée de la Sée ont généré un milieu économique et social très particulier, dans ce bocage du Sud de la Manche, à dominante nettement paysanne : c'est le monde des granitiers qui, dans les années 1930-1940, était encore très actif.

Par exemple, l'entreprise Rivière, à Villedieu, occupait alors une centaine d'ouvriers granitiers. Vire constituait un autre centre de travail de la pierre d'une importance analogue. Et cette industrie florissait dans tous les lieux d'extraction : Saint-Michel-de-Montjoie, Champ-du-Boult, Le Gast, Gathemo, pour ne citer que les plus connus. La population de cette région, confrontée aux problèmes de 1930, de la crise économique et du chômage. connut l'effervescence du Front Populaire en 1936 à des degrés divers.

La population est mi-ouvrière, mi-paysanne. L'homme t4j1le le granit, la femme exploite une petite ferme sur un sol pauvre comme le rappelle ce vieux dicton : " A Mortain, plus de pierres que de pain. "

Quand les granitiers s'organisent et se syndiquent. ils restent marqués par un tempérament individualiste ; ils ont la tête près du bonnet et, à la suite de grèves ou simplement de heurts personnels, ils partent tailler la pierre dans une autre région, tout en gardant des parents ou des amis là où ils ont précédemment vécu. Des liens se tissent ainsi de la pointe du Finistère à celle de la Hague : les grands-parents de Le Cann venaient de Plougastel ; les Hilliou, fixés à Saint-Michel-de-Montjoie, venaient des confins des Côtes-du-Nord et du Morbihan. Il y avait donc des possibilités de contact entre la Basse-Bretagne, Louvigné-du-Désert, Vire, le Mortainais, Flamanville et la Hague.

Cette particularité sera largement utilisée par les réfractaires au S.T.O. mais aussi par les résistants dont les responsables départementaux et inter-départementaux trouvèrent ainsi des " planques ", dans des coins isolés, parmi des gens sûrs.

C'est pourquoi, lorsque les responsables départementaux du Parti Communiste - à ce moment-là Roger Bastion et Henri Corbin - vinrent rendre visite aux granitiers du Sud, en compagnie de Roger Aumont, de Sourdeval, ils n'eurent aucune difficulté à réanimer clandestinement la vie politique et à engager les premières manifestations de résistance. Cependant, pour des raisons de sécurité, la forme changea. L'organisation fut modifiée, à raison de groupes de trois membres dont un seul avait, théoriquement, des rapports avec l'organisation supérieure.

C'est ainsi que, dès la fin de 1940, une activité antiallemande fut sensible dans ce secteur, se traduisant essentiellement par la distribution de la presse clandestine du Parti Communiste. Et ceci en dépit de l'absence de l'ancien secrétaire de Champ-du-Boult, Pierre Blaise, qui, prisonnier et s'étant évadé, avait dû reprendre le chemin de la captivité après dénonciation par un voisin.

La petite ville de Sourdeval fut marquée, dès 1940, par une forte activité collaborationniste exercée par plusieurs membres de la petite bourgeoisie sourdevalaise : le Maire (dont le fils était pétainiste inconditionnel) et quelques notables, tels le chirurgien-dentiste, le tailleur, le bijoutier, militants en vue du P.P.F. Le climat ainsi créé par ce clan de collaborateurs était une véritable provocation pour tous les patriotes sourdevalais qui réagirent en conséquence.

C'est Roger Aumont qui aida le responsable départemental du P.C.F. à reprendre le contact dans la région de Gathemo. Aumont habitait un petit logement, route de Vire, avec sa femme Irène et leurs deux enfants. Il y exerçait la profession de fromager et effectuait les livraisons aux épiciers détaillants de la région. Fervent patriote, Roger Aumont commença, dès juin 1940, à mener une campagne de propagande antiallemande dans l'opinion sourdevalaise, en opposition aux démonstrations du clan de notables pétainistes et pro-allemands. Il galvanisa très vite les énergies et, autour de lui, peu à peu, des Sourdevalais reprirent confiance et engagèrent, chacun à leur manière, le combat contre l'occupant.

André Defrance implante le Front National dans la Manche

Fin mai 1941, André Defrance organisa une grève d'une journée parmi les charpentiers travaillant au terrain d'aviation de Gonneville (aujourd'hui l'aérodrome de Cherbourg-Maupertus). Cette grève, effectuée par une centaine de personnes, eut un plein succès ; elle permit de faire connaître la " Voix Ouvrière ", journal clandestin de la C.G.T., comme aussi d'appuyer la grève des mineurs du bassin du nord de la France. L'union réalisée sur le chantier de Gonneville fut une incitation supplémentaire pour la création du " Front National pour la Libération, l'Indépendance et la Renaissance de la France " (F.N.).

Mais le jour même où l'Allemagne attaquait l'U.R.S.S., le 22 juin 1941, tous les responsables communistes furent arrêtés. Henri Corbin put échapper à la rafle grâce à ses deux voisins socialistes Henri Lecrès et Jean Goubert - professeur révoqué par Vichy - qui lui procura une carte d'identité. Corbin et André Defrance se rendirent chez Louis Hilliou à Saint-Michel-de-Montjoie. De là, Corbin passa dans la Somme où, plus tard, il tombera épuisé, après avoir consacré toutes ses forces à la Résistance.

Lors de la création du F.N., les mots d'ordre se résumaient comme suit : " Saboter la mainmise économique de l'occupant .rur notre pays, s'opposer aux réquisitions, restaurer le sentiment de l'indépendance nationale. " Mais, très vite, le problème d'une opposition plus dure va se poser. II s'agissait de créer une pointe " dure au mouvement, par la mise en place d'une organisation spéciale (l'O.S.). C'est l'O.S. qui est à l'origine de ce qui devint, par la suite, les Francs Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.).

L'action s'engagea donc contre le dispositif militaire de l'occupant. Pendant les vacances scolaires de 1941, la ligne téléphonique aérienne, comptant 24 fils, établie par les Allemands, à usage militaire exclusif entre Brest et Berlin. fut sabotée. Elle fut coupée entre Champ-du-Soult et Gathemo, route de Vire, sur le territoire de Gathemo. L'action fut exécutée par des membres des comités F.N., sous la direction d'Henri Corbin.

Inutile de dire que cette action provoqua la colère des responsables allemands de la Feldkommandantur d'Avranches qui, en mesure de représailles,décrétèrent l'obligation, pour tous les hommes valides de 20 à 65 ans, de monter la garde le long de la ligne aérienne, sur le territoire de la commune de Gathemo. Les postes de garde étaient distants d'environ 200 mètres. Les deux hommes composant chaque poste étaient relayés toutes les six heures.

L'instituteur de l'école des garçons, André Debon, originaire de Saint-Laurent-de-Cuves, refusa d'assurer la garde lors de la rentrée en septembre, s'appuyant sur des raisons de service et l'obligation d'assurer son enseignement.

Mais, finalement, devant les démarches répétées et de plus en plus pressantes du maire et des gendarmes, il dut s'incliner. C'est ainsi que, montant la garde en compagnie de Marius Delahaye, un des membres du comité du F.N., il eut l'occasion d'avoir avec celui-ci des échanges au terme desquels il se déclarait d'accord avec les objectifs du Front National.

La garde se prolongeant, le mécontentement s'aggrava. C'est ainsi qu'une pétition fut rédigée et signée par tous les hommes valides, demandant que soit mis fin à cette obligation. Une visite du Sous-Préfet, appuyé par la gendarmerie, resta apparemment sans résultat. Puis, quelques jours plus tard, l'ordre arriva de cesser la garde.

Deux semaines après, André Debon fut muté à Sourdeval, mais, entre temps, l'institutrice de l'école des filles, M- Pedrelli, avait apporté son adhésion au F.N. ainsi que son mari, un antifasciste d'origine italienne.

A Saint-Sever, la mère de Roger Aumont abritait dans son salon de coiffure les activités d'un petit groupe avec la participation de son deuxième fils et du garçon coiffeur André Blouet. Une machine à écrire y fonctionnait pour divers objectifs et le groupe sortait, par ses propres moyens, des documents de propagande anti-allemande qui étaient, soit distribués, soit acheminés par voie postale.

A Montjoie, en décembre 1941, André Defrance fait la connaissance d'Arsène Paris, agriculteur à Saint-Michel-de-Montjoie qui va donner également son adhésion au F.N. Lié, par sa femme, à la famille Hilliou, Arsène Paris constitue désormais un nouveau point d'appui qui devait s'avérer, par la suite, extrêmement précieux : hébergement de responsables, " planque de matériel ", etc. Arsène Paris était de santé fragile, ce qui avait entraîné sa réforme en 1939 ; mais ce handicap ne l'empêchera pas de faire preuve d'une activité méthodique étonnante jusqu'à la libération. Sa fille. Renée Paris, couturière, ainsi que son futur gendre Roger Palaric lui apporteront toute l'aide dont il a besoin.

A titre individuel, dès 1940, Paris s'était plié de fort mauvaise grâce aux demandes de l'occupant, refusant toujours tout à priori et ne cédant qu'à la dernière limite. Cette attitude s'affirma en 1941. Son refus d'obtempérer aux réquisitions et de ravitailler les Allemands lui valut de nombreux accrochages ; un jour, il fut même mis en joue. Son adhésion au F.N. allait lui donner des possibilités accrues de s'opposer à l'occupant.

Fin 1941, le Comité local s'était donc renforcé à Montjoie par l'adhésion de la famille Paris, les frères Hilliou constituant toujours le fer de lance dans la région de Gathemo et de Champ-du-Soult. Les ramifications s'étendent sur Saint-Pois avec Ernest Letondeur, sur le Gast avec Gérard Honoré. L'activité de Louis Hilliou débordait même largement sur le Calvados puisqu'il participa à l'organisation de groupes dans la région de Vire.

A Mortain, Roger Aumont, par ses relations personnelles, avait fait la connaissance de la famille Tyrel qui gérait une succursale de " la Ruche ". Catholiques pratiquants, les Tyrel étaient aussi de fervents patriotes et ils avaient trouvé chez Roger Aumont un profond écho à ce qu'ils ressentaient eux-mêmes. Aussi, leur adhésion au Front National ne posa-t-elle aucun problème. Le magasin " la Ruche ", lieu de rencontre par excellence, constitua, à partir de ce moment-là, un centre de propagande particulièrement efficace, Mme Tyrel n'hésitant pas à glisser les tracts du Front National au fond des paniers des ménagères, sous les denrées achetées.

Le Cann, artisan-granitier à Villedieu en 1935, avait été fait prisonnier en 1940. En 1941, il rentra au pays avec de faux papiers et reprit des contacts avec ses camarades de Vire et de la région de Gathemo, notamment avec François Hilliou. Celui-ci, accompagné d'un autre camarade, vint le voir à Villedieu pour lui présenter André Defrance qui lui proposa, après un court exposé sur les objectifs du Parti Communiste et la création du Front National, de mettre en place, à Villedieu, un groupe de trois, base d'un Comité.

D'une part, Le Cann pouvait compter sur Rémi Ozenne, huissier qu'il connaissait bien et, d'autre part. il se rendit tout de suite chez Robert Storez pour connaître sa position. Bien que toujours membre du Parti Socialiste, celui-ci donna son adhésion sans hésiter et le groupe de trois fut constitué le jour même.

Au début, l'activité se limitait à deux tâches :

- diffuser le matériel de propagande antinazie, ce qui fut essentiellement la tâche de Roger Le Cann,

- recruter et créer d'autres groupes de trois, à partir de Robert Storez.

Sa fille, Nelly, en constituera un à Hambye où elle était institutrice, avec Hippolyte Gancel, le restaurateur Roger Lemière, puis l'entrepreneur Torchio, et un autre, à partir d'Auguste Lecarpentier, instituteur à La Bloutière qui, dès le début de 1941. avait fourni des renseignements à Roger Dutertre, agent de liai-son de Marland.

Robert Storez, paralysé des deux jambes à la suite d'un accident de travail, ne pouvait se déplacer qu'en fauteuil roulant. Très courageux, d'une énergie peu commune, il étonnait par sa capacité de travail et son action fut toujours très appréciée.

Si André Defrance et Henri Corbin avaient réussi à éviter l'arrestation à Cherbourg, il n'en fut pas de même pour trois communistes granvillais : Loncle, Lamort et Passot - qui, emprisonnés le 22 juin 1941, puis internés à Gaillon, dans l'Eure, furent finalement déportés. C'est pourquoi Defrance, évitant Gran-ville, implanta les bases du F.N. sur la côte au Sud de la ville.

C'est par Louis Pinson qu'il fit la connaissance de Michel Thomann, gardien de la colonie de vacances de Saint-Ouen à Jullouville. Un recrutement très large s'organisa autour de Thomann et Francolon : des carriers de Carolles et saint-Michel-des-Loups qui stockeront des armes et des explosifs, des cultivateurs et des artisans de Bouillon, des enseignants, des employés. de même que les groupes déjà formés par Alexis Vert et A. Digée à Carolles.

Fin 1941, les forces du F.N. dans la région sont donc en place.

Déjà une déportation, mais le F.N. progresse

Sourdeval doit à l'action de Roger Aumont la naissance d'une série de groupes qui, sans se rencontrer, agissent dans le même sens : le percepteur Marcel Gombert et son employé Petitpas, le transporteur Pierre Cheruau avec le bourrelier Eugène Fortin et le chauffeur Champagnac, l'ouvrier Jacques Bazin avec le boucher " Pierre " et l'hôtelier Jules Lansade fils.

En septembre 1941, un train de matériel allemand ayant été signalé en gare de Sourdeval, Aumont avait pris des dispositions pour en effectuer le sabotage ; mais, faute d'expérience sans doute, la tentative avait échoué.

Le 22 octobre 1941. les Allemands exécutèrent un grand nombre d'otages et d'emprisonnés, à Nantes, Bordeaux, Châteaubriant. Dans cette dernière ville, l'exécution de Guy Môquet, un garçon de 17 ans, suscita une grande indignation chez tous ceux qui en furent informés.

Roger Aumont, assisté de Jules Lansade, de Jacques Bazin et de quelques autres, lança une collecte et le 1er novembre, déposa une gerbe devant le Monument aux morts. Le maire, collaborateur, fit disparaître le ruban portant l'inscription : " Aux fusillés de Nantes et de Bordeaux ", mais toute la bourgade s'en émut et l'opinion publique sourdevalaise manifesta son accord avec le geste d'Aumont, à tel point que l'opération fut renouvelée le 11 novembre.

C'est alors que le maire informa la police des Renseignements Généraux à Saint-Lô qui dépêcha un inspecteur à Sourdeval pour arrêter Roger Aumont le 12 novembre. Déporté à Auschwitz, Roger Aumont ne devait jamais revenir, disparu dans ce camp de triste mémoire. Mais cette déportation, jointe à l'exécution d'otages pour simple délit d'opinion, accrut la détermination de ceux qui, déjà, avaient opté pour la résistance à l'occupant.

Fin novembre 1941, Gombert, Cheruau, Petitpas et l'instituteur Delorme adhèrent au Front National.

Son mari disparu, Irène Aumont continua la lutte. Elle reçut les responsables de passage, leur assurant gîte et couvert et sa maison resta ouverte aux résistants, en particulier à André Defrance. Jamais on ne la vit se plaindre, faisant preuve d'un grand courage dans l'adversité, sa vie accaparée par deux objectifs : élever ses cieux enfants, aider la Résistance. Beaucoup de réunions se tenaient chez elle. Elle entretenait, comme le faisait sa belle-mère à Saint-Sever, tout un réseau d'information par voie postale et par des distributions personnelles aux gens qu'elle connaissait bien.

De Folligny à Cérences et Coutances, les maillons de la chaîne étaient constitués principalement de cheminots. Bien implanté dans le département, tout particulièrement dans le Mortainais et l'Avranchin, le Front National devait rester, jusqu'en 1944, le mouvement le mieux structuré.

ANNEXES

I - Compte rendu d'activité d'André Defrance

Nous avons montré le rôle important d'André Defrance dans les débuts de la Résistance. Rappelons également qu'il avait été mobilisé en 1939 : Croix de Guerre à l'ordre de son régiment : le 315e d'Artillerie.

Au début de 1942, il quitte la Manche pour animer les groupes F.T.P.F. de l'Oise puis de la Seine-Inférieure. En plein jour, il dirige la destruction d'un dépôt de sept locomotives à Rouen-Martainville. Le 31 octobre 1943, il attaque le cinéma Cinédit " réquisitionné et affecté aux seuls besoins de l'armée d'occupation ". Il dirige la même expédition contre le Select-Cinéma du Havre, opération menée contre Alie, l'un des plus redoutables policiers pro-allemands de Rouen.

André Defrance fournit également des papiers d'identité pour des aviateurs, notamment un d'origine norvégienne recueilli par une institutrice de Pissy-Pôville et deux autres hébergés par M. et M- Bernanos, de Rouen, parents de l'écrivain.

Fin 1943, le colonel " Émile " (Albert Ouzoulias) le désigne comme Commissaire Militaire pour la région basquo-landaise. Le 15 janvier 1944, il est arrêté alors qu'il se rend à Tours pour prendre contact avec un lieutenant F.T.P.F., chef d'un maquis mobile, et lui remettre de l'argent ainsi que des titres d'alimentation.

Il est mis entre les mains de la Gestapo, avec trois jeunes gens (un Français, deux Hollandais). Comme eux, il déclare qu'il cherchait à passer la frontière. On le transfère à Compiègne, où il restera jusqu'au 27 avril 1944.

Il y rencontre Paul Le Goupil qu'il avait connu à Rouen. Ils feignent de ne pas se connaître, car les Allemands ignoraient tout de l'activité de Defrance en Seine-Inférieure, sinon ils l'auraient fusillé.

Transféré à Auschwitz, il y arrive le 1 mai après un voyage atroce à plus de cent par wagon. Ensuite c'est Buchenwald et Flossenburg.

Évacué avec 800 malades le 20 avril 1945, il s'évade le 25 et est recueilli par les Américains le 27.

Il est mort à Equeurdreville le 8 juillet 1952, après une vie toute de droiture et de fidélité à ses convictions et à son pays.

Poème apparemment favorable aux Allemands, trouvé par eux dans la poche d'un Français...

I - II

Aimons et admirons le Chancelier Hitler

L'éternelle Angleterre est indigne de vivre

Maudissons, écrasons ce peuple d'outre-mer

Le nazi sur la terre sera seul à survivre

Soyons donc le soutien du Führer allemand

De ces navigateurs la race est maudite

A eux appartient l e juste châtiment

La palme du vainqueur répond au vrai mérite.

En réalité, en pliant la feuille en deux, on découvre un tout autre contenu. Les autorités ne s'y sont pas trompées. Ce " jeu de mots " vaudra six mois de prison à son auteur...

Aimons et admirons L'éternelle Angleterre Maudissons, écrasons Le nazi sur la terre, etc.

A Saint-Lô, ce texte fut publié sous forme de tract par Marcel Daguts.

CHAPITRE 2

LES ANNÉES SOMBRES ET DIFFICILES
(1942 - AOÛT 1943)

Certes, tout fut difficile pendant ces années d'occupation. Mais la période 1942-1943, marquée par plusieurs séries d'arrestations en chaîne, fut particulièrement douloureuse pour les Résistants de la Manche. La Résistance en sortit plus démantelée qu'elle ne l'avait jamais été.

De plus, à cette époque, la situation internationale ne portait pas à l'optimisme. En 1942, tout semblait plus sombre encore qu'en 1941, car la guerre s'était étendue au monde entier et les régimes fascistes ne connaissaient alors que des succès.

1 – Le conflit devient mondial

 

Fin 1941, les Nazis dominent et occupent pratiquement l'Europe entière. A l'est, ils parviennent à 100 kilomètres de Moscou. L'hiver et une première offensive soviétique stoppent leur progression ; mais elle reprend au printemps suivant, les amenant au Caucase. à la Volga et devant Léningrad.

La guerre s'étend

Sans déclaration de guerre. le 7 décembre 1941, le Japon attaque, par sur-prise, la flotte américaine à Pearl-Harbor (îles Hawaï). Les U.S.A. entrent alors dans la guerre, qui va s'étendre au monde entier.

Mais les Japonais avancent d'une manière foudroyante en Chine, en Indochine, Malaisie, Birmanie et à Singapour. Ils occupent les îles de l'Indonésie, alors colonie hollandaise. Ils menacent l'Inde, colonie anglaise, ainsi que l'Australie. La Chine communiste de Mao-Tsé-Toung et la Chine nationaliste de Chang-Kaï-Chek sont coupées de leurs voies de ravitaillement par mer.

En Afrique, les divisions de l'Afrika-Korps, venues au secours des Italiens, avancent de plus de 1 000 kilomètres, jusqu'aux portes d'Alexandrie, prêtes à couper le Canal de Suez.

La menace de fascisation pèse sur le Inonde entier, car les puissances de l'axe Japon-Allemagne-Italie sont toujours et partout victorieuses. Le raid anglo-canadien de débarquement sur Dieppe (août 1942) ne pouvait être qu'un échec. abstraction faite de l'intérêt qu'il a pu présenter pour la préparation du 6 juin 1944.

Soudain, à la fin de l'année 1942, le monde peut déceler un changement décisif dans le processus de la guerre, changement particulièrement sensible dans le seul mois de novembre 1942 :

- C'est la défaite de Stalingrad, suivie, début 1943, par la reddition de Von Paulus avec les débris de son armée déjà allégée de 300 000 hommes.

- C'est aussi El-Alamein où Montgomery, victorieux de Rommel, fonce sur la Tunisie et fait sa jonction avec l'armée Leclerc partie du Tchad.

- C'est encore le débarquement des Anglo-Américains au Maroc et en Algérie.

En riposte les Allemands occuperont la zone libre française, la Corse, la Tunisie, mais ne réussiront pas à s'emparer de la flotte française qui se saborde en rade de Toulon.

C'est à ce moment-là que le Général de Gaulle remplace le Général Giraud, et, l'année suivante, il sera reconnu Président du C.F.L.N. (Comité Français de Libération Nationale).

Il faudra attendre le printemps suivant pour que les Alliés occupent la Sicile. puis passent en Italie, tandis que, dans le Pacifique. les Américains engagent, au prix de pertes considérables, la reconquête progressive des îles en direction du Japon.

 

Résistance dans tous les territoires occupés

Dès le début de l'invasion de l'U.R.S.S., les partisans soviétiques luttent sur les arrières des troupes allemandes, mobilisant plusieurs divisions.

1942 est une année décisive pour les Résistants. Le S.T.O., imposé dans tous les pays occupés, s'accompagne de sabotages et du refus de cette servitude.

Des groupes de partisans se forment en Pologne, en Norvège, en Yougoslavie avec Tito, en Grèce, en Albanie, en Italie même, et en France. Dans tous ces pays, Partisans et Résistants doivent lutter contre l'occupant mais aussi contre les collaborateurs.

Ces quelques pages de rappel de dates et de faits essentiels nous éloignent-elles de ce qui se passait dans l'Avranchin et le Mortainais ? Pas vraiment, car les Résistants et ceux qui se sentaient moins engagés suivaient, jour après jour, les progrès de tous nos Alliés en compulsant les cartes des atlas ou des journaux. Nous avons repris confiance après El-Alamein, le débarquement au Maroc et Stalingrad. Il nous a paru nécessaire de le rappeler.

2 – Lents progrès des réseaux et du Front National (F.N.)

La Résistance en France présente alors deux aspects distincts : les Mouvements (O.C.M. - Libé-Nord - Front National), et les Réseaux, chargés de la collecte et de la transmission des renseignements.

Les réseaux

Le plus connu sur le plan national est la Confrérie Notre-Dame, du Colonel Rémy, mais il y eut un grand nombre d'autres réseaux.

Cherbourg, avec le port militaire, l'Arsenal et deux zones très fortifiées à l'est et à l'ouest, et même des rampes de lancement de V.1 et de V.2 (en 1944) fut, avec le Cotentin, la zone principale de prospection des divers réseaux, organisés pour acheminer les renseignements vers l'Angleterre.

Gilbert Védy constitue un réseau à Tourlaville ; sous le couvert de la Défense Passive, il obtient des renseignements militaires. Dénoncé il gagne Paris en juillet 1942. Par la suite. sous le nom de " Médéric ", il assure quatre liaisons entre la France et l'Angleterre pour le réseau Ceux de la Libération.

L'implantation de défenses côtières allemandes à Jersey, Granville, Saint-Malo, fut régulièrement signalée à partir d'Avranches et Granville.

Dans notre région, le réseau franco-belge dépendant de la R.I.F. (Résistance Intérieure Française), était représenté par Gustave Belloir, ancien officier d'origine avranchinaise, mais résidant à Saint-Jean-le-Thomas. In 1942, André Le Barbanchon, grand blessé de guerre, professeur de dessin au collège Littré, fut chargé de recruter des agents de la S.N.C.F. Selon le livre de Marcel Leclerc, ceux-ci, pour prouver leur détermination, devaient dérober un masque à gaz aux Allemands et le remettre à leur chef. Ceci nous paraît constituer un risque disproportionné et parfaitement saugrenu. Néanmoins, M. Belloir, qui avait déjà dépassé la soixantaine, fournit, pendant une année, des relevés d'emplacements de batteries et de casemates, qu'il transmettait à Paris. L'année suivante, après une dénonciation, le réseau fut démantelé (29 arrestations) et M. Belloir mourut en 1944, après avoir été déporté à Mauthausen.

Après l'arrestation de Mlle Bindault, de Granville, le réseau mis sur pied par Robert Guédon fut totalement anéanti, par l'arrestation de René Vivien, un Barnevillais originaire de Granville. La Confrérie Notre-Dame, dirigée par Gilbert Renaud, connu sous le nom de Colonel Rémy, établit des contacts avec Pierre Mignon, alors aux Ponts et Chaussées à Avranches.

L'O.C.M., avec Bertin de la Hautière, connu sous le nom de " Moulines ", recrute d'abord dans le nord du département, et, en 1942, ne parvient pas à toucher l'Avranchin et le Mortainais, un coin perdu, par rapport à Cherbourg et Valognes.

Au cours de l'année suivante, Alfred Glastre accompagne Moulines à La Haye-Pesnel, Avranches, Mortain, Villedieu, etc. A La Haye-Pesnel, Jean Marie, teinturier à Granville, résidant à La Lucerne-d'Outremer, devient chef d'un groupe Centurie qui compte Paul Guiton, entrepreneur, Lethimonnier, quincaillier, Georges Peuvrel, des gendarmes et quelques cheminots de Folligny.

Les divers groupes n'avaient pas de cloisons étanches ; par Jean Marie, la liaison était assurée avec Granville et le groupe Marland, et par Edmonde Mate-lot, avec Gustave Moulin (Brécey).

La générosité naturelle de Maurice Marland lui avait fait prendre en charge trois Écossais, soldats britanniques, qui avaient raté l'embarquement pour Jersey en juin 1940. L'un d'eux décida de se rendre, mais les deux autres s'avérèrent fort encombrants.

Jim Mac Loren fut hébergé pendant neuf mois à Granville et, après l'incarcération de Mme Enguehard, il fut envoyé à Longueville où il resta près d'un an, hébergé par M. Lebayon. Ensuite, il fut logé chez deux ou trois personnes différentes jusqu'au moment où Edmonde Matelot, de La Lucerne, trouva un lieu de placement sûr, grâce à Gustave Moulin de Brécey.

C'était chez Joseph Garnier, retraité des P.T.T., dans un petit manoir, à Marcilly. Il fut impossible de garder Jim en raison de ses imprudences car, un beau jour, il s'en alla tout seul chez un dentiste d'Avranches. Ce n'est qu'en septembre 1942 que Mlle Matelot l'emmena prendre le train à Villedieu, pour le confier au Consulat des États-Unis, à Marseille.

Quant à Robert Craig, ce ne fut pas plus simple, et ce fut encore plus long ! Après Granville où, ne parlant pas le français, il passait pour breton, il fut conduit en 1944 à Hyenville. Le Dr Pigaux l'emmena à Paris par le train et, de là, il fut transféré en Suisse, grâce à la filière dans laquelle intervint le Dr Bergevin.

En 1942 et 1943, le groupe Marland, rattaché au réseau Brutus, recueillit des renseignements sur Granville, Jersey et l'arrière-pays, essentiellement grâce à Finck père et fils. En même temps, des sabotages eurent lieu et des contacts furent pris avec les membres du Front National et de l'O.C.M. Au début de juin 1943, un long rapport fut adressé, concernant Jersey et Guernesey.

Bien qu'elle concerne le Calvados, on ne peut passer sous silence une des plus belles réussites dans le renseignement, ce fut l'œuvre d'un entrepreneur de peinture caennais : Ruchez.

Il appartenait au Réseau Centurie. En 1942, il lut dans les journaux un appel d'offres, pour refaire les papiers peints et les peintures dans les bureaux de l'organisation Todt.

Il se présenta au siège de l'entreprise, fut introduit dans les bureaux d'un

colonel. Sa candidature fut retenue.

Pendant que ce colonel était appelé dans un bureau voisin, il déroba un

des douze exemplaires d'un dossier : " Sehr geheim " (très secret). Il le dissimula derrière un cadre de la pièce même ; car il savait qu'il serait fouillé à la sortie. comme il l'avait été à l'entrée.

Le lendemain, il revint avec son matériel, et commença son travail. Il dissimula le dossier dans un rouleau de papier peint. Il s'agissait des plans du " Mur de l'Atlantique "... Par l'intermédiaire de Léonard Gilles, ce dossier parvint en Angleterre.

Quand la construction du " Mur de l'Atlantique " commença, les Anglais purent constater que les plans étaient scrupuleusement suivis !

Développement du Front National et création des F.T.P.F.

A Montjoie, Arsène Paris mettant à profit sa position de Conseiller municipal lance une pétition pour s'opposer à la réquisition des chevaux. Après avoir

recueilli 73 signatures, il l'envoie au Préfet.

Des adoucissements, des résultats positifs sont obtenus. Les gens en

concluent que la protestation est payante pour les réquisitions comme elle l'avait

été pour la garde à Gathemo en 1941.

Cette action liée à la vie rurale contribue à l'affermissement de la résistance locale.

Dans les premiers mois de 1942, l'organisation et l'action s'amplifient

dans toute la région. André Defrance faisait la liaison avec Paris, apportant, pour la Manche, le matériel imprimé sur le plan national, tant par le parti communiste

que par le Front National.

Nous l'avons vu, en plein hiver 1941-1942, après sa descente du train à Vire,

venir à pied dans la neige jusqu'à Sourdeval, avec le matériel empaqueté dans un sac de chanvre, qu'il transportait sur son dos. Cette détermination, ce courage simple ne manquaient pas d'impressionner ceux qui. alors, ont eu l'occasion de le côtoyer. Il rédigeait des tracts locaux, soit au titre du P.C., soit au titre du F.N.

il est certain que, malgré les progrès enregistrés, il restait une masse de Français encore hésitants et désemparés. Ces tracts étaient rédigés pour les détourner de toute confiance vis-à-vis de l'occupant, pour qu'ils s'opposent aux réquisitions. Ils visaient aussi à détruire l'image de Pétain, vainqueur de 1914-1918, " bon Français ". Le gouvernement de Vichy était vigoureusement attaqué en particulier le premier ministre de l'époque : Pierre Laval.

l,es mots d'ordre s'étaient diversifiés ; il y avait toujours les directives d'opposition aux réquisitions des Allemands et à leur mainmise économique. Mais on voyait apparaître l'appel aux armes et la préparation à une libération par le sabotage pur et simple et aussi par l'action armée.

Dans la région cherbourgeoise, les groupes de l'O.S. (Organisation Spéciale) mis en place par André Defrance vont être remplacés par les F.T.P. du groupe " Valmy ". La même tâche est confiée dans le sud à Victor Leray qui,

recherché à Flers, a trouvé refuge chez Arsène Paris, à Saint-Michel-de-Montjoie, avant de s'installer à Granville. L'action résistante d'André Defrance va se prolonger dans la Manche jusqu'au début de 1942.

Defrance est aidé, sur l'ensemble du département, par Roger Bastion (dit Louis), Henri Messager (dit André), puis par Albert Bizet (dit Albert). Tous ces hommes organisent, au nord comme au sud, des groupes qu'ils souhaitent voir évoluer vers des noyaux militaires, des sections F.T.P.F. (Francs Tireurs et Parti-sans Français).

La région de Flers joue un rôle important dans le développement de la Résistance armée. Le colonel Fabien y trouve un refuge pour sa fille, en octobre 1941. Saniez lui remet, en gare de Flers, des explosifs dérobés à Saint-Clair-de-Halouze et José Espoletta, de Ger, lui procure des révolvers (17 novembre 1941). Renseignements fournis par Vigile, correspondant de l'Orne du C.H.G. (Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale).

Efforts de propagande antinazie

Pendant l'hiver 1941-1942, avec l'aide de Messager, Defrance récupère au moulin de Gonneville - où Mme Defrance avait été réfugiée - une machine à écrire, du matériel de propagande, des armes ; tout cela avait échappé aux investigations de la soixantaine d'Allemands qui, en octobre 1941, étaient venus arrêter Mme Defrance, Mme Siouville (sœur de Defrance) et M. Siouville, son beau-frère. Le stock est transporté chez Paris, à Saint-Michel-de-Montjoie.

La ronéo est mise en place. Avec de grandes difficultés et en multipliant les précautions. le matériel de propagande est ronéotypé et réparti. Les distributions sont effectuées par les groupes : Le Cann à Villedieu, André Blouet à Saint-Sever, Arsène Paris à Montjoie, Louis et François Hilliou à Gathemo et Champ-du-Boult, André Debon à Sourdeval, Tyrel à Mortain. Des tournées à vélo étaient faites, pour atteindre les petites communes voisines de presque tout le Mortainais. Peu à peu, toute la région fut consciente de l'existence de la Résistance locale, jusqu'au fond des campagnes.

Récit de André Debon (alors instituteur à Sourdeval)

Compte tenu du climat de collaboration qui régnait chez certains notables de la bourgade, il fallait prendre beaucoup de précautions pour distribuer les tracts, ce qui se produisait à peu près chaque mois. Je choisissais, de préférence une nuit sans lune, par temps sec ; et je partais seul, vers minuit, en chaussons, et la musette sous le bras. Il fallait parcourir les rues les plus importantes, et jeter les tracts à la volée, en les éparpillant le plus possible ; je m'arrêtais tous les dix mètres, en écoutant attentivement. Si je n'entendais aucun bruit. j'avançais à nouveau, après avoir lancé une poignée de tracts. Si j'entendais des bruits suspects, je prenais une autre direction. De cette façon, il me fallait plus de deux heures pour parcourir la petite ville.

" Puis, nous avons pensé à la campagne, aux alentours. Là, j'ai utilisé le vélo C'est comme ça que j'ai fait la vallée de Brouains, Chérencé, Saint-Barthélemy, etc. Une fois, j'ai été aidé par Roger Carchon, alors instituteur à Saint-Barthélemy, qui a fait la tournée à vélo avec moi. C'était un ancien camarade d'école à Villedieu. Je ne savais pas, à ce moment-là, que sa sœur allait devenir indicatrice et la maîtresse de Le Noury, mercenaire de la Gestapo. Je dois dire que Roger Carchon a toujours été loyal, antiallemand, et qu'il l'a prouvé. Requis pour le S.T.O., il partit (ou fut envoyé) en Allemagne et mourut peu après la fin de la guerre. Cet hommage doit lui être rendu, pour que les choses soient claires.

" Après chaque distribution à Sourdeval, au petit matin, régnait une grosse effervescence. D'un côté, il y avait des gens qui sortaient, à peine éveillés, qui prenaient les tracts par terre et, après les avoir lus, rentraient précipitemment pour en cacher quelques-uns, puis faire part à d'autres de l'événement. Par ailleurs, les collaborateurs. fous de rage. se jetaient sur le téléphone, appelaient le maire. qui faisait venir le garde-champêtre, auquel il intimait... l'ordre de ramener tous les tracts qui traînaient dans les rues, et de les détruire ; certains disaient que le garde-champêtre, quand il n'était pas observé, les jetait dans les coins, se contentant de dégager la chaussée. Puis, le maire appela la police, à Saint-Lô. L'inspecteur des Renseignements généraux, Laniez descendit sur place et fit son enquête. La deuxième fois, il mangea au restaurant Vaudouer, à une table voisine de celle où j'étais attablé avec deux camarades : un mécano et un maçon, qui parlaient innocemment des tracts trouvés le matin. Puis, on ne le vit plus à Sourdeval, aux autres distributions. Un soir, vers minuit, je sortais de chez M- Aumont, après une réunion. Quand j'arrivai au carrefour de l'Hôtel de la Poste, une lampe électrique s'alluma. C'étaient les gendarmes. Je racontai que j'étais allé chercher un fromage, que j'avais effectivement dans ma poche, mais l'un des gendarmes, Rault, était très agressif, et j'ai pensé, tout de suite, qu'il y avait danger.

" Effectivement, quelques jours après (au mois de juin 1942). alors que je faisais la classe, je vis arriver Petitpas qui me (lit, de la part de Gombert : " Partez tout de suite, immédiatement, car il y a un mandat d'arrêt vous concernant qui vient d'arriver en gendarmerie. " Gombert avait été prévenu par un gendarme pro-résistant, dès l'arrivée du mandat d'amener. Je suis revenu à mon bureau ; j'ai dit aux élèves de partir sur-le-champ. je suis monté à ma chambre prendre ma valise et j'ai enfourché mon vélo. En un quart d'heure, j'avais quitté Sourdeval et l'enseignement. Ma mère eut plusieurs visites de la police à Saint-Laurent-de-Cuves, puis cela cessa.

André Debon se réfugia chez une tante, institutrice en retraite, à Paris, où il participa au Front National avec Ginette Hamelin et Jany Sylvère.

Après le départ de Defrance, Bastion et Messager constituèrent des groupes de trois, dans l'Arsenal de Cherbourg. A Villedieu, ils s'appuient sur Roger Le Cann, Robert Storez et l'huissier Rémy Ozenne. Un groupe s'étoffe à Hambye autour de Gancel, Nclly Storez, l'entrepreneur Torchio avec Roger Lemière, encaisseur, un négociant du Repas, Blanchon et Laisné à Cérences. Comtesse, employé S.N.C.F. et Lorence ont établi une véritable imprimerie clandestine, dont les tracts sont expédiés grâce aux cheminots de Folligny, Cérences et Coutances.

3 – La Cour Martiale de Saint-Lô

Après le procès des quinze jeunes gens du " Buhara ", Pierre Devouassoud et Jcan-Magloire Dorange furent fusillés à Montebourg. Pourquoi Montebourg ? Nul ne le sait !

Par la suite, le Tribunal Militaire allemand, siégeant à Saint-Lô, a prononcé des condamnations à mort tout au long des années d'occupation ; les exécutions eurent lieu près de Saint-Lô, au champ de tir.

Si nous avons intitulé les pages suivantes : la Cour Martiale de Saint-Lô, c'est qu'en 1942, il s'agit d'exécutions en série : sept le V octobre, trois le 24 novembre, deux le 31 décembre, pour un seul procès.

Par la suite, on continua de fusiller - le plus souvent pour détention d'armes ou sabotage - mais le système nazi ayant besoin de main-d'œuvre, les déportations se substituèrent aux exécutions, dans la plupart des cas.

Une série de sabotages

La cheddite récupérée dans les carrières du Mortainais et stockée chez Arsène Paris, est ramenée à Cherbourg par Jules Mesnil, chauffeur aux Transports Départementaux. Arrêté en février 1942 pour diffusion de tracts, réunions à son domicile, hébergement de clandestins, détention d'armes, il fut " libéré en septembre suivant, et mourut trois semaines plus tard, des suites des tortures subies pendant sa détention.

Marie Lesage, commerçante à Équeurdreville, fut déportée pour avoir hébergé Bastion. Arrêtés à Cherbourg, en février 1942, Achille Mesnil, Louis Canton, Bastion et Henri Messager seront fusillés au Mont-Valérien le 21 septembre 1942.

En avril, les deux Lemaire, père et fils, et Alfred Bizet, dit " Albert ", arrivent dans la Manche. Leur hébergement est assuré par Jean Lamotte, instituteur à Airel ; ils sont également accueillis par le ménage Parry, à La Trinité, des cheminots comme Alexandre Avoyne, au passage à niveau de Trelly, des restaurateurs : Thoman fils, à Saint-Pair, et Guillot à Agon.

Le mouvement continue ; et le groupe de Bouillon, Carolles, Saint-Pair se développe : Charles Pinson, instituteur, en relation avec des secrétaires de mairie ravitaille les clandestins en tickets d'alimentation.

Victor Leray et son fils Georges, granitiers de Flers, arrivent, pour mettre en place un groupe F.T.P. à Granville. Victor, le père. employé à l'entreprise Todt se met en relation avec un groupe de marins (Dossiers C.V.R.) et son fils avec Louis Blouet. " C'est avec toi que j'ai le plus travaillé ", lui écrit Georges Leray, le 17 juillet 1947.

De son côté, notre camarade Blouet précise : " .le m'embauchai sur les

docks. où je pouvais glaner des renseignements sur les troupes stationnées dans les îles anglo-normandes, procédant à des sabotages sur le matériel de guerre qu'il m'arrivait fréquemment d'avoir à charger, faussant les culasses de fusils, retirant la poudre en lamelles des gargousses " (Lettre de L. Blouet à R. Ruffin du 4 août 1977).

Pedro Peregort et treize républicains espagnols, employés à la fabrication

du charbon de bois en forêt de Ger. sabotent la production destinée aux gazogènes.

Les documents allemands notent le sabotage de quatre lignes téléphoniques à Villedieu, le 8 avril 1942 et. le 12 du même mois, un suspect est arrêté : " On a tiré d'une maison sur un soldat allemand. " En juin, 15 hommes, avec Gustave Jurczyszyn, détruisent, à Cherbourg, les établissements Grouard, occupés par les ateliers de réparation de trois services allemands. Les jours suivants, ils s'attaquent aux stocks de l'usine Amiot, et au parc d'artillerie, en utilisant des explosifs provenant du Mortainais.

Le 25 juin, à Coutances, Charpentier et Tirel incendient un dépôt allemand de denrées alimentaires et matériel automobile. Les explosifs ont été fabriqués en utilisant de l'acide sulfurique fourni par Jumel et Chapron, employés à Cérences.

L'arrestation de Jurczyszyn et des deux Lemaire

Au début de juillet, la police française apprend l'existence d'un dépôt d'armes dans la région cherbourgeoise. Elle arrête Jurczyszyn, puis tente de mettre la main sur les Lemaire, au passage à niveau de Trelly, opération suivie d'un vaste coup de filet, amenant une vingtaine d'arrestations dans tout le département.

Déclaration de Louise Avoyne

 

" Le 4 juillet 1942, les responsables F.T.P.F. Lemaire père et fils étaient chez nous. La B.S.N. de Rouen, dirigée par le Commissaire Laniez, avait repéré notre maison, nous ne savons comment. Nous savons seulement que ces policiers étaient allés précédemment chez M"" Theil, au P.N. n° 46 à Cérences. Lorsqu'ils arrivèrent, ma sœur Marguerite était seule. Les policiers déclarèrent que nous abritions deux hommes. Malgré les dénégations de ma sœur, qu'ils tenaient sous la menace d'un revolver, ils pénétrèrent dans la chambre. Nos responsables l'avaient barricadée, pour avoir le temps de s'échapper par les fenêtres. Ils réussirent à s'enfuir, après avoir traversé la rivière " La Sienne ", et se cachèrent dans les dépendances d'une ferme. " Mais ils furent arrêtés à Quettreville le lendemain.

Le jugement

Les journaux et hebdomadaires locaux rendirent compte du jugement du tribunal militaire. Nous donnons, ci-dessous, le texte paru dans : " Le Réveil de Granville " en date du 14 novembre 1942 :

Le tribunal militaire allemand de Saint-Lô condamne à mort 13 terroristes

" Le tribunal militaire de Saint-Lô a jugé 20 personnes aux ordres d'organisations communistes secrètes, pour la plupart domiciliées à Cherbourg et accusées d'avoir commis des actes de sabotages contre l'armée allemande, Ces organisations dissimulaient leurs agissements et leurs crimes sous les dénominations suivantes : " Le Front National " ou " Les Patriotes Français ".

" C'est ainsi qu'ils espéraient entraîner, dans une activité ouverte contre les troupes allemandes d'occupation, des Français, qui, par ailleurs, n'avaient pas d'attache directe avec la 3e internationale et, en particulier, soutenir les Anglais en cas de débarquement.

" Parmi les accusés se trouvaient des ouvriers avant déjà milité avant la guerre dans le parti communiste, mais aussi des jeunes gens et des femmes avant rallié les organisations terroristes après l'armistice.

" L'accusé principal : Gustave .Jurczyszyn, âgé de 21 ans, est un fils de Polonais, naturalisé en 1925. Il était accusé des crimes suivants : d'avoir appartenu à des formations de francs-tireurs, d'avoir favorisé l'ennemi, d'avoir stocké des armes et des explosifs, d'avoir incité à des actes de violence armée contre la Police, et de tentative d'assassinat.

" Les autres accusés, pour la plupart ouvriers et employés des chemins de fer, étaient convaincus des mêmes crimes généralement par eux reconnus.

" L'accusé principal Jurczvszyn avait essayé de résister, les armes à la main, lors de son arrestation par la police française ; car l'activité des accusés était aussi bien dirigée contre l'armée allemande que contre l'État français.

" Devant la gravité des actes, le Tribunal Militaire allemand a prononcé des peines sévères. En conséquence, 13 accusés ont été condamnés à la peine de mort, cinq autres aux travaux forcés à perpétuité, cinq autres à des peines variant de 1 à 4 ans de réclusion. Un accusé a été acquitté.

" Neuf des condamnés à mort ont été fusillés le 1er octobre. L'exécution des quatre autres terroristes a été ajournée, ces derniers devant être entendus dans d'arrhes procès, actuellement en cours d'instruction. "

Cet article est daté du 14 novembre 1942 : alors que le Tribunal Militaire avait siégé du 15 au 18 août. Le jugement se termine en précisant que : " Quatre autres terroristes seront entendus dans d'autres procès en cours d'instruction. "

C'est que les nazis espéraient obtenir des aveux de ces quatre condamnés à mort, pour procéder à de nouvelles arrestations.

Alexandre Avoyne fut fusillé à Saint-Lô le 1er octobre. Mme Avoyne et ses deux filles : Marguerite et Louise, seront déportées en Allemagne.

Cinq autres furent fusillés le 1er octobre : Maurice-Joseph Lemaire (le père), Félix Bouffay, Yves Duboscq, Raymond Potier et Léon Theil.

Lucien Delacour, Gustave Jurczyszyn, Maurice-Arthur Lemaire (le fils, dit " André ") seront fusillés le 24 novembre 1942.

Daireaux, Tyrel, Barbey, Stéphane Comptesse et Albert Delacour moururent dans divers camps de concentration. Ils étaient presque tous employés à la S.N.C.F.

D'après M. René Dieutegard, la police n'avait pas trouvé les deux Lemaire cachés dans une ferme. ils furent arrêtés le lendemain à la suite d'une dénonciation... qui fut suivie de plus de vingt morts. Le jugement indique : " Un accusé a été acquitté ". Il s'agit vraisemblablement de la personne qui permit l'arrestation de .Jurczyszyn, après avoir découvert incidemment, un stock d'armes dans le logement occupé précédemment par Jean-Michel. Celui-ci, instituteur à La Glacerie, avait été muté dans l'Orne, l'année précédente. Totalement étranger à cette affaire, il fut néanmoins déporté, et mourut à Neuengamme.

Autres arrestations

Émile Pinel, responsable F.N. pour le Nord du département et l'interrégional Bizet (Gilbert) ayant échappé aux mailles du filet se retrouvent à Folligny. Ils sont conduits chez Arsène Paris où ils retrouvent Mme Pinel qui s'y est réfugiée.

De là, ils rejoignent la région parisienne. Arrêtée le 23 avril 1943 à Amiens, Jane Pinel fut déportée à Ravensbrück.

Parallèlement, d'autres groupes agissaient à leur façon par des manœuvres d'intimidation en direction des collaborateurs. Ainsi, à plusieurs reprises à Sourdeval, dans le courant de 1942, les vitrines des commerçants collaborateurs sautèrent : celle du bijoutier, puis celle du tailleur, à deux reprises.

Quant à Konrad, il avait trouvé, un matin, un couteau planté dans sa porte. Une corde, attachée au couteau, pendait avec un nœud-coulant à l'extrémité.

Il y avait, bien sûr, des enquêtes. " Pierre ", le charcutier, avait même été arrêté pendant une quinzaine de jours ; mais il avait été relâché.

Par contre, des événements plus graves se produisirent le 30 septembre 1942, notamment à l'Hôtel de la Poste, où une perquisition fit découvrir - paraît-il - des armes cachées dans le jardin ; puis l'arrestation de Jules Lansade, qui fut déporté. On ne devait plus le revoir.

Jacques Bazin fut arrêté le même jour, et également déporté, accusé de bris de vitrine et de complicité avec Lansade.

La mère de Lansade et Irène Aumont furent également internées pendant un mois, puis furent finalement libérées. Aucune d'elles n'avait fourni d'indication au cours des nombreux interrogatoires auxquels elles furent soumises.

Arsène Paris change de domicile, il s'installe à Saint-Laurent-de-Cuves, près de Coulouvray, emportant avec lui le matériel d'imprimerie qui, finalement, sera installé près de Villedieu.

En septembre une perquistion a lieu chez Marius Delahaye.

Le 9 novembre 1942, la Gestapo vint au Bois Normand, à Champ-du-Boult pour arrêter Louis Hilliou. Celui-ci ne rentra pas chez lui, resta dans la Manche jusqu'au 26 décembre, date à laquelle " Gilbert " - le responsable interdépartemental - l'envoya dans l'Oise, où il fut chargé d'organiser la résistance paysanne et le camouflage des réfractaires au S.T.O.

Les deux frères, Lucien et Marcel Colin, dont le père, un enseignant révoqué par Vichy. gérait les Nouvelles Galeries à Avranches, furent interceptés à Caen, au cours d'une manifestation d'étudiants. Pris comme otages, déportés, ils moururent à Auschwitz en 1943.

Un événement important. sans rapport apparent avec la Résistance, est l'arrivée, en 1942, dans le sud du département, d'élèves du primaire et du secondaire, repliés de la région de Cherbourg : le collège de filles de Cherbourg à Mortain : les cours complémentaires à Sourdeval pour les filles, et Saint-James, pour les garçons, les classes primaires dans les cantons de Saint-Pois, Brécey, Le Teilleul, Juvigny et Saint-Hilaire. Il en résultera des échanges entre Cher-bourg et le Mortainais, et plus de facilités pour ceux qui tenteront d'échapper au S.T.O. créé en septembre 1942. Et c'est ce qui explique la présence de Marcel Leclerc à Saint-James, de René Unterreiner et d'autres enseignants cherbourgeois dans le Mortainais.

4 – Au F.N.: Le rôle de " Paul " dans une période tragique

Gravement éprouvés après l'arrestation de Jurczyszyn et des Lemaire, l'organisation se reconstitue avec Robert Colléate dit " Paul ". Il fut hébergé par Jean Lamotte, à Airel, qui le mit en relation avec des personnalités de la région de Saint-Lô. Le nord du département ayant été très touché par les arrestations (juillet-novembre 1942), " Paul " se chargea d'abord d'organiser le centre et le sud du département, où il pouvait disposer de refuges.

Réorganisation F.N.-F.T.P.F.

Par l'intermédiaire de Jean Lamotte, il peut prendre contact avec Ogé. Inspecteur de l'enseignement primaire, et avec Louis Defond, directeur de l'École Normale d'Instituteurs à Saint-Lô, avec Aimard, de la coopérative " La Fraternelle ", Raymond Lepuissant, secrétaire aux Assurances sociales, Jules Rihouey, de la S.N.C.F. Il fut également mis en relation avec Mme Nicol, qui dirigeait à Torigny, un groupe d'élèves réfugiés d'Équeurdreville, et avec Brûlé, distillateur, à Condé-sur-Vire. Celui-ci avait antérieurement constitué un groupe avec son contremaître Alfred Duros, Malherbe, de Quibou et Beaufils, de Paney Raymond Brûlé, officier de réserve, habitait Coutances, où sa femme était directrice de l'École Normale d'institutrices. Il avait recueilli dans cette ville, l'adhésion du professeur Régis Messac, du juge Laplatte, de plusieurs enseignants et de Yves Le Bars, inspecteur de l'Enregistrement, dont voici le témoignage.

En janvier 1943, je fus mis en relation avec " Brulé-Beaufils ", puis avec " Paul " qui nie confia la fonction de chef de secteur pour Coutances, en liaison avec Eugène Lepetit, professeur au Cours complémentaire.

" Nous adoptâmes un plan d'action qui comportait trois points :

1) la recherche et l'acheminement des renseignements ;

2) le recrutement, le camouflage des F.T.P. et leur ravitaillement ;

3) la rédaction et la diffusion de la version départementale du " Front National ". "

Les numéros de mars à mai 1943 de l'édition locale (Manche) du journal " Front National " peuvent être consultés aux Archives Nationales et aux Archives départementales de Saint-Lô.

Yves Le Bars avait rencontré un imprimeur de Coutances qui, pour des raisons d'ordre technique. ne pouvait assurer le tirage d'un journal. Il conseilla de prendre rendez-vous avec Joseph Leclerc, de Saint-Lô, directeur-fondateur de " La Manche Libre " en 1944.

Le premier contact avec Joseph Leclerc fut singulier :

En plein midi, il (Colléate) me surprit en passant, comme un voleur, par-dessus le mur de mon jardin au moment où je m'y trouvais. "

Méfiance et premier refus de Joseph Leclerc, mais " Louisot " (pseudo de Colléate) revint et insista : " Je sais quels sont vos sentiments, vous ne pouvez pas refuser. "

Leclerc poursuit :

" Dans ma seconde rencontre, je précisai que pour rien au monde, je n'imprimerais quoi que ce soit qui heurterait ma conscience. Accord total. En fait je n'ai jamais eu à refuser un texte, une phrase.

" Après avoir donné mon accord, je dus faire l'achat d'une police de caractères différents de ceux employés pour la clientèle habituelle.

" Mon ami, Théo Lechevallier fuit chargé par moi d'aller chercher les caractères chez Radiguet, fournitures d'imprimeries, maison alors bien connue. Je prévins Théo de ne pas se faire connaître, de ne pas dire pour quel imprimeur il venait, de déposer simplement le bon de commande, sans indication de firme, sur le comptoir, d'en attendre la livraison, de payer en billets de banque, de quitter les lieux immédiatement en cas de questions.

" En fait, il n'eut pas un mot à prononcer. Je puis en déduire alors que Radiguet approvisionnait des imprimeries clandestines et avait deviné de quoi il s'agissait.

" C'est dans un café, du côté de Barbès-Rochechouart, que Théo Lechevallier me remit le colis. "

" La répartition du journal se faisait par l'intermédiaire de Raymond Lepuissant, qui devint plus tard secrétaire général de la Caisse de Sécurité sociale de la Manche.

" Entre lui et moi existait une différence considérable d'idéologies. Les hasards de la Résistance mirent en miettes ce mur de séparation. La rencontre eut lieu à l'heure prévue, boulevard du Nord. J'ignorais qui serait au rendez-vous ; et lui-même ne savait quelle personne il allait rencontrer. Nous marchâmes un long moment à distance l'un de l'autre ; précautions et réflexions nous y obligeaient. Puis il n'y eut plus à hésiter. Poignée de main, regards croisés et même bloqués l'un sur l'autre. Quelque cent pas ensemble pour la transmission des consignes sur l'impression, la livraison, la distribution d'un journal clandestin. Puis la séparation. " (La Manche Libre : 3 août 1980).

" En plus du journal, des fausses cartes d'identité furent imprimées et dissimulées dans la vieille poutre d'une pièce du rez-de-chaussée.

" Quelques temps après, " une jeune femme, fort belle d'ailleurs ", fut embauchée au journal, sur recommandation d'une boulangère très honorable, Mme` Hélye, qui voulait absolument la faire entrer chez moi pour lui rendre service. Un " beau jour "comme on dit, j'appris que la belle couchait tous les soirs dans une maison de la Falaise, réquisitionnée par les Allemands qui l'habitaient après en avoir expulsé les propriétaires. "

" Je ne pouvais la renvoyer, je redoublai de précautions. Après la sortie du second journal, je fils inquiété par les Allemands. Un major, accompagné de deux feldgendarmes vint plusieurs fois n'examiner, alors que j'étais alité... Mes frères furent également interrogés... " (Lettre de J. Leclerc).

" Un soir où les choses tournaient mal, un prêtre de mes amis alla frapper à la porte de Rayrnond Lepuissant, pour le prévenir de la situation, et lui conseiller d'agir en conséquence. il dut être surpris de ce nouvel hasard de la Résistance : un prêtre à sa porte ! (La Manche Libre : 3 août 1980). "

Sur les problèmes d'organisation Yves Le Bars précise :

" En mars, la première réunion départementale des chefs de secteur eut lieu chez moi, avec " Paul ", Duros (région de Condé-sur-Vire), Francolon, Le Cann, Messac et moi. A chacun de ses passages à Coutances, " Paul " prenait possession à mon domicile, de l'argent, des vivres et des titres d'alimentation collectés pour les F.T.P. Je lui remettais en même temps les renseignements recueillis, les articles destinés au journal dont certains étaient rédigés par Laplatte, juge auprès du tribunal civil de Coutances. La deuxième réunion départementale eut lieu à Saint-Lô, au mois d'avril 1943.

Au mois de mars, Yvonne Dissoubray, enseignante de Seine-Maritime, fut chargée de la propagande auprès des femmes de la Manche : distribution de tracts, inscriptions sur les murs, collecte de ravitaillement et de vêtements pour le maquis, mais aussi tous actes pouvant démoraliser l'ennemi (l'une d'entre elles incendia une voiture de paille destinée aux Allemands).

" J'ai parcouru le département avec " Paul ", c'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Alexis Vert à Carolles, de la famille Francolon à Bouillon et à Saint-Pair, de deux Luxembourgeoises qui étaient repliées là : deux antifascistes sympathiques, mais je me sentais intimidée dans leur maison luxueuse.

" A Equeurdreville, chez un camarade travaillant au port, il n'y avait pas de lit pour moi, alors on a mis une paillasse d'enfant par terre et un oreiller au bout. pour que la couche fût assez longue.

" Fin avril, nous sommes partis, " Paul " et moi, sur un tandem que des amis nous avaient prêté. Pas très rassurée la première fois. Vais-je savoir ? Eh bien, oui... Nous sommes passés par Saint-Michel-de-Montjoie, Saint-Pois, puis revenus à Granville, Carolles. Genêts ; et comme c'était le moment de Pâques, les gens nous disaient : " Bonne promenade, les jeunes ! " Puis nous sommes arrivés à Cherbourg début mai.

(Témoignage Yvonne Dissoubray).

Rôle de Villedieu-Hambye en 1943

La région de Villedieu-Hambye semble avoir joué, à ce moment-là, le rôle de plaque tournante essentielle pour les responsables du Front National et des F.T.P.F.

A Villedieu, la maison die Roger Le Cann devint progressivement très fréquentée. Au début " Paul " y venait seul. Ensuite, y trouvèrent asile le responsable interdépartemental Edouard Dumuin dit " Gilbert ", puis Yvonne Dissoubray, responsable de la propagande auprès des femmes, et aussi d'autres résistants de passage. Enfin, la réorganisation et les reprises de contact provoquaient d'assez fréquentes visites des interrégionaux Auguste Delaune (Raoul) et Maria Rabaté (Luce), responsable nationale de l'U.F.F. (Union des Femmes Françaises). De nombreuses réunions eurent lieu chez Le Cann, et il n'était pas rare de trouver 6 ou 7 personnes en même temps chez lui. Il s'en ouvrit à Delaune qui l'aida, avec Storez, à résoudre de meilleure façon le problème des hébergements.

L'hébergement chez Le Cann de Auguste Delaune et Maria Rabaté se poursuivit sans difficulté jusqu'en mai 1943, grâce à une politique de prudence et de précautions élémentaires nécessitées par l'activité clandestine. Les autres responsables de passage s'organisèrent pour trouver gîte et couvert ailleurs, car les possibilités d'hébergement étaient nombreuses dans les environs : Hambye, Saint-Sever, ainsi qu'au Chefresne, chez Georges Gautier où " Paul " se rendit souvent jusqu'en mai 1943. Une petite maison fut mise à sa disposition pour des réunions.

Pendant cette période, centrée sur Villedieu, Robert Storez joua un rôle important. Voici comment il décrit lui-même son travail à cette époque :

" Je fus appelé à recevoir le courrier clandestin destiné aux responsables du département. Les rendez-vous importants avaient lieu à mon domicile, jusqu'au jour où je crus plus prudent de procurer à nos camarades un local relativement confortable au Chefresne, commune rurale distante de 10 kilomètres de la gare de Villedieu.

" Responsable du courrier clandestin, je fils, en outre, chargé de la réception en gare du matériel de propagande et de sa répartition à travers le département de la Manche. De plus, je fils chargé de centraliser tous les renseignements d'ordre militaire et politique recueillis dans le secteur sud du département et j'avais l'entière responsabilité des deux rapports, l'un militaire, l'autre politique, que je rédigeais tous les quinze jours et que je remettais au responsable départemental F.N. "

Dans ce travail, Robert Storez, paralysé des deux jambes, s'appuyait sur sa fille Nelly qui assurait toutes les livraisons et transports nécessités par les responsabilités de son père.

Les groupes F.T.P.F. du sud reprirent leur activité dans trois directions : aide aux réfractaires, propagande accrue contre l'occupation, sabotages et coups de main.

Actions entreprises

Dans la région de Villedieu

Quatre adhésions nouvelles renforcèrent le groupe de Hambye qui, jusqu'alors, était resté intact :

- le chef de groupe, Hippolyte Gancel, a fait adhérer son beau-frère,

Jules Richard, réfractaire au S.T.O. Celui-ci rejoindra les F.T.P.F., après un passage à Saint-Michel-de-Montjoie, puis à Saint-Germain-de-Tallevende ;

- Germaine Bourgeois, secrétaire-adjointe à la mairie, a adhéré dès janvier ;

- Lucien Leherpeur, instituteur, et Charles Cousin, clerc de notaire, arri-

vent en février et mars 1943.

Plusieurs actions sont alors entreprises :

- en février 1943. un Allemand conduisant une vachère est désarmé sur la route de Villebaudon par Robert Collétate, alors que celui-ci est abrité chez Jean Torchio :

- fourniture de faux papiers et de tickets d'alimentation à divers réfractaires ;

- organisation d'un coup de main sur la mairie de Hambye pour obtenir les tickets d'alimentation de février 1943 ;

- distributions de tracts et de journaux clandestins dans les environs.

Divers sabotages sont effectués par le groupe d'Alexis Vert, de Carolles, en particulier sur la voie ferrée, à Équilly près de Folligny, mais la tentative de déraillement échoue, ce que relate l'Ouest-Éclair " du 16 février 1943.

Dans la région de Granville

En mars, Colléate qui, dans la région de Granville, est connu sous le nom de " Roland ", reçoit de Francis Potier le plan du central téléphonique installé dans la maison du commerçant Chartier.

Début avril. Valère Poisnel et Ernest Letondeur, de Saint-Pois, lui apportent, à Beauchamps, de la cheddite fournie par Ernest Houstin, carrier au Gast.

Le I l avril 1943, " Roland ", Digée, Francolon, Potier et Paul Chartier sabotent le central téléphonique à l'explosif. Ensuite, sur 7 kilomètres, ils procèdent à des coupures du câble souterrain reliant Granville au Q.G. allemand de Saint-Germain-en-Laye (Communiqué F.T.P.F., n° 28 : " France d'Abord " du 15 mai 1943, confirmé par les archives allemandes).

Le lendemain, une réunion a lieu chez Francolon, au Hamel, à Bouillon. Y assistent Duchêne et sa femme, l'instituteur Charles Pinson, Colléate, Yvonne Dissoubray et Maria Rabate, dirigeante de I'U.F.F. (Union des Femmes Françaises).

Dans la région de Gathemo

Les fils de Delphin Poisnel, de Coulouvray-Boisbenâtre, travaillant au Gast dans la carrière de granit, ont founi, début avril, la cheddite utilisée dans le sabotage du central téléphonique allemand à Granville.

Puis une série de sabotages est entreprise sur la fameuse ligne téléphonique de 24 fils, Brest-Berlin, qui avait déjà été coupée en 1941.

Fin avril " Roland ", qui est alors chargé des questions militaires, organise avec le groupe de Saint-Pois-Montjoie, une coupure au lieu-dit " La Détourbe ", à Brécey : travail exécuté par ceux qui ont fourni la cheddite, Ernest Letondeur et Valère Poisnel, accompagnés de Marcel Poisnel.

Le 9 mai, une nouvelle coupure de ligne est réalisée sur le territoire de Saint-Pois par Roger Palaric, Marcel Hilliou et Émile Honoré, sous la direction de Arsène Paris.

Dans le courant de l'été, deux autres coupures seront effectuées, avec Joseph Hilliou et Eugène Morel, l'une à Saint-Laurent-de-Cuves, l'autre à Gathemo.

Pendant toute cette période, le responsable technique régional André Loison, interpellé le 10 mars à Cherbourg par la police, n'en continue pas moins sa tâche difficile, parcourant le département, soit avec du matériel de propagande, soit avec les machines.

Au moment où, recherché par la police, il doit faire preuve de prudence, il reste quelque temps dans la région de Saint-Sever ; il y fait la connaissance de Jean Maurice, secrétaire de mairie à Mondeville, résistant du Calvados, en liaison avec le groupe de Saint-Sever et qui a une bonne expérience de sabotages de voies ferrées.

Fin avril, Loison prépare, en collaboration avec Régis Messac, un tract et une brochure pour le 1er mai. C'est Régis Messac (professeur à Coutances) qui rédige les documents. Avec l'aide de Jean Maurice, André Loison transporte une ronéo à Saint-Michel-de-Montjoie, pour assurer le tirage. Il parcourt le département à bicyclette pour approvisionner les groupes connus : Coutances, Saint-Lô, Cherbourg, puis Granville où il remet le matériel de propagande chez le vétérinaire Ambroise Colin. Le matériel comprend aussi la part destinée à Victor Francolon à Bouillon. Par l'intermédiaire de Joseph Garnier, de Marcilly,

Paul " se prépare à prendre contact avec Raymond Le Corre, de Libé-Nord. Lostoriat et André Loison préparent la rencontre.

Car c'est dans le nord du département que Colléate veut reconstituer le mouvement. Il est hébergé chez Georges Martin, institueur à Gatteville, ou chez les parents de Auguste Lecarpentier à Barfleur, et prend quelques contacts à Equeurdreville. Au cours d'un voyage à Barfleur. il recrute Suzanne Crevon qui travaille à la Kriegsmarine et qui pourrait lui donner des renseignements.

Ces renseignements sont centralisés par Robert Storez, de Villedieu. Tout le courrier concernant " Paul " est adressé à une imaginaire " M"" Renée Richard " à Bourguenolles. " Tu n'as rien à craindre, avait dit Storez à " Paul ", car elle est sourde-muette. " Ce courrier est délivré par le facteur Cornu, membre du F.N.

Storez a noté que les renseignements fournis par Suzanne Crevon, alias " Madeleine Lefèvre ", sont tout à fait anodins. Aussi lorsque celle-ci fixe un " rendez-vous important " à Colléate chez elle, rue de l'Alma à Cherbourg, Storez tente de dissuader " Paul " de s'y rendre.

Arrestation de " Paul " (4 mai)

Voici comment Yvonne Dissoubray résume la suite :

" Arrivés à Équeurdreville, " Paul " dit à nos hôtes et à moi qu'il avait un rendez-vous à Cherbourg, mais que ce ne serait pas long. Le lendemain, nous devions rencontrer Raymond Le Corre, de Libé-Nord, pour former un comité de liaison de nos deux mouvements. Mais ce soir-là, nous l'avons attendu en vain ! Le lendemain, le camarade d'Equeurdreville m'a emmenée en tandem à la gare de Cherbourg. Je descendis à la première gare : Martinvast.

" A deux, nous avions l'air d'un couple en balade ; mais seule, sur un tandem, j'étais plus repérable. Enfin, tout s'est bien passé. Heureusement, il faisait beau ; mais vous ne pouvez pas vous imaginer comme c'est pénible de pédaler seule sur un tandem ! Et Dieu sait s'il y a des côtes dans la Manche, côtes qu'il fallait monter à pied !

" Je suis arrivée dans la soirée chez les Le Cann ; il y avait là Auguste Delaune. Nous nous sommes concertés : pas de doute " Paul " était arrêté. "

Le lendemain, la région de Villedieu était alertée par Robert Storez, sa fille Nelly, et Auguste Lecarpentier, alors instituteur à La Bloutière. Avant que Granville, le Mortainais et l'Avranchin ne soient avisés, la répression s'abattait.

Certains chefs de groupes n'étaient connus que de " Paul " et il fut impossible de les prévenir.

Y. Dissoubray reprit la route, à bicyclette cette fois :

" Je suis passée, entre autre, à Torigni chez la directrice d'école, M, Nicol. J'ai rencontré une camarade de l'E.N. de Rouen. Comme j'ai passé l'après-midi avec ma compagne, je ne suis pas allée à Condé et, ce jour-là, les Allemands arrêtèrent Duros.

" Quelqu'un est arrivé à l'école, disant : Attention " Paul " a parlé. Maria Rabaté, qui prenait le train à Saint-Lô, avertit Lepuissant, et moi, à bicyclette, je suis allée partout où je connaissais.

" Quelques jours plus tard, j'ai rencontré Maria Rabaté dans une station de métro convenue d'avance. " Je croyais bien ne jamais te revoir ! Qu'est-ce que j'aurais dit à ton papa ? " (Mon frère et ma sœur étaient déjà déportés).

" Ensuite je suis passée dans les Côtes-du-Nord et ne suis revenue dans la Manche que fin août, pour indiquer à un nouveau responsable ce qui restait de liaison. C'est là que j'ai pu mesurer l'importance des dégâts. "

Une vague d'arrestations (mai-juin 1943)

En effet, les arrestations se succèdent, d'autant plus facilement qu'en arrêtant " Paul ", la Gestapo avait trouvé sur lui le carnet de ses rendez-vous :

- Le 5 mai : Paul Chartier est arrêté à Granville. Déporté au Struthof, il meurt le 22 février 1944.

- Le 6 mai : Julien Fleury, arrêté à La Haye-du-Puits. bien que n'appartenant pas au Front National ; tuais inscrit sur la liste de Colléate (interné à Saint-Lô, libéré le 26 juin 1943).

- Le 7 mai Victor Francolon, arrêté à Bouillon. Déporté à Natzweiller-Struthof, décédé le 15 février 1944.

- Le 7 mai : Louis Chollet (Lechat), distributeur de tracts, arrêté à Granville (déporté à Natzweiller-Struthof, puis à Dachau).

- Le 7 mai André Loison et Jean Maurice, arrêtés à Saint-Michel-de-Montjoie, déportés à Struthof, puis à Gross-Rosen.

- Le 7 mai Raymond Brûlé et Alfred Duros sont arrêtés à Condé-sur-Vire. Ils seront déportés au Struthof, Gross-Rosen, Dachau où Duros meurt le 1er mai 1945, le lendemain de la libération du camp !

- Le 7 mai : Georges Gautier et sa femme, arrêtés au Chefresne, pour avoir loué à Robert Storez une maisonnette servant d'hébergement et de lieu de réunion. Mme Gautier est libérée, son mari déporté au Struthof et à Dachau où il meurt le 3 février 1945.

- Le 7 mai Émile Lecarpentier, arrêté à Barfleur, pour hébergement de Colléate, déporté à Natzweiller-Struthof, décédé le 26 mai 1944. Son fils Auguste Lecarpentier, instituteur à La Bloutière, prévenu par un gendarme de Villedieu, échappe aux poursuites ; il reste un temps, incognito, à Villedieu, chez M"'° Storez, sous un déguisement féminin, répondant au prénom de Jacqueline. Après décembre 1943, il est hébergé chez Hébert, charron à Courson (Calvados). De même Georges Martin, instituteur à Gatteville, qui devient clandestin après l'arrestation de " Paul ".

Autres arrestations :

- Le 8 mai, à Coutances : Eugène Lepetit, déporté à Natzweiller-Struthof, à Gross-Rosen, Dora, Bergen-Belsen.

- Le 9 mai : Claude Laplatte, qui a rédigé les tracts, incarcéré 18 mois dans une prison militaire en Allemagne.

- Dans la nuit du 9 au 10 mai : Ange Leparquier, d'Équeurdreville, qui avait hébergé Colléate, déporté à Natzweiller-Struthof, où il meurt le 7 mai 1944.

- Le 10 mai : Régis Messac, arrêté à Coutances. déporté à Natzweiller-Struthof, puis à Gross-Rosen où il meurt le 17 novembre 1944.

Ceux qui en réchappent

Hippolyte Gancel, chef de groupe de Hambye, fut arrêté le 9 mai égale-ment. Emprisonné à Saint-Lô, puis à Fresnes, il simula la folie et fut libéré le 28 octobre. S'apercevant ensuite qu'il était " filé ", il abandonna son domicile. Pendant son arrestation, Jean Torchio et M' Gancel firent disparaître les armes, munitions et tracts dissimulés dans l'épais mur pourvu d'un lambris derrière le bureau de Gancel à l'école d'Hambye.

Le 9 mai également, Raymond Parry eut la visite de la police pour avoir hébergé des clandestins. " Aujourd'hui, on doit m'opérer de l'appendicite ", dit-il. Hospitalisé à Villedieu, sa jambe artificielle (suite d'accident) enlevée, il sortit de l'hôpital déguisé en religieuse grâce à la complicité du gendarme Pierre Roger.

Le message personnel : " Je reviendrai à la Trinité " ayant été entendu à la radio de Londres, on crut qu'il avait gagné l'Angleterre. En réalité il était dans la région parisienne.

M. Parry, qui exploitait une ferme, continua d'héberger réfractaires et déserteurs de l'armée allemande : Autrichiens, Tchèques, etc., dans ce que Parry appelait " Le Kolkhoze ".

Toujours le 9 mai, Georges Letondeur fut arrêté à Coulouvray-Boisbenâtre, chez ses parents. Trompant la surveillance de ses gardiens, il réussit à s'évader dans les bois. Quant à Ernest Letondeur, prévenu à temps, il trouva refuge chez les cultivateurs Honoré, puis Delphin Poisnel.

Le 10 mai, Robert Storez fut arrêté à Villedieu. Dès son entrée à la prison de Saint-Lô, il fit passer un message à Roger Le Cann : " Que le canard se mette au vert " , signifiant qu'il fallait rompre tous les contacts.

Robert Storez, dont nous avons déjà souligné la prudence. demanda à être
confronté avec " Paul ". Quand celui-ci assura que Storez était membre du Front
National, il lui fut possible de prouver que " Paul " était un menteur en disant :
" Vous voyez bien, il parle de quelqu'un (Mlle Richard) qui n'existe pas. " Il
ajouta que " Paul " était arrivé un soir, trop tard, pour repartir en raison du
couvre-feu, qu'il lui avait donné à manger, l'avait hébergé une nuit. Rien de plus.
Devant les nouvelles accusations de " Paul ", le Président de la Cour Martiale se serait écrié : " M. Colléate, assez de noms ! " (Propos rapportés par Storez).

A la question : " Et votre ami Le Cann, où est-il '? " Storez répondit : " Il est mort. " Effectivement, le grand-père, qui s'appelait Roger Le Cann, était décédé pendant cette période.

Cette confrontation marqua un temps d'arrêt dans les recherches de la Gestapo.

Transféré à Fresnes, Storez passa en jugement le 13 décembre 1943. Colléate ayant été fusillé le 22 septembre, la seule charge contre lui fut la déclaration de Suzanne Crevon - une personne qu'il n'avait jamais rencontrée !

Jugement remis ; le 28 décembre 1943, Storez fut acquitté et libéré. C'est, sans doute, disait-il, " parce qu'il aurait fallu qu'ils me tiennent à deux pour me fusiller ! "

Ernest Wattequand, arrêté à Regnéville, le 7 juillet, fut libéré le 5 janvier 1944. Quant à Yves Le Bars, appréhendé le l 1 mars à Coutances, sa libération date du 23 septembre, ainsi que celle de Ambroise Colin, vétérinaire de Granville interné depuis le 20 mai :

" J'ai été interné à la prison de Coutances, puis à celle de Saint-Lô ; j'ai été soumis pendant 35 jours au régime cellulaire ; puis j'ai partagé la cellule du juge Laplatte et, enfin, nous fûmes entassés à 13 dans une petite pièce étroite éclairée par une minuscule fenêtre grillagée.

" Nous avons tous passé en Cour Martiale à Saint-Lô les 3, 4 et 5 septembre 1943. " Paul ", qui avait déjà été martyrisé fut condamné à mort, et fusillé à Saint-Lô. Acquitté " faute de preuves ", j'ai été libéré le 23 septembre 1943, en même temps que Colin, vétérinaire à Granville.

M. Lepetit, rescapé d'un des camps de la mort, a été le témoin des souffrances atroces endurées par plusieurs de ses camarades. "

(Témoignage Yves Le Bars, 20 octobre 1947).

Plus qu'une imprudence

Les arrestations qui suivirent celles de Gustave Jurczyszyn et des deux Lemaire. père et fils, furent opérées sur les indications de deux dénonciateurs.

Par contre, celles qui suivirent l'arrestation de " Paul " (qui s'appelait " Roland " dans la région de Granville, et " Louisot " pour J. Leclerc) ne semblent dues qu'à un manquement aux règles élémentaires de sécurité.

Certes, Suzanne Crevon était une auxiliaire des nazis : dans une lettre interceptée le 12 mai 1943 par François Truffaut, " Madeleine " écrivait à sa mère à Saint-Vaast-la-Hougue, que " le communiste était arrêté et que cette opération lui rapporterait assez pour qu'elle n'ait plus besoin de travailler. " Enfin, elle conseillait de brûler la lettre. Fin 1943, elle jugea prudent de partir en Allemagne et fut condamnée à mort par contumace, à la libération.

La prudence aurait dû imposer un minimum de méfiance à l'égard de Suzanne Crevon. Robert Storez l'avait bien compris, lui qui, n'ayant jamais rencontré cette " Madeleine ", avait pourtant conseillé à " Paul " de se méfier

d'elle.

" A " Paul " torturé, méconnaissable, je fus confronté et je crois lui devoir la vie. Il déclara d'abord me connaître ; je niai, conformément à notre accord. " Si, M. Leclerc. vous me connaissez... Je suis allé vous voir, vous avez refusé de m'entendre et vous m'avez chassé. " Je lui garde plus que de l'estime, plus que de la reconnaissance. Aurais-je été aussi solide '? "

Tel est le témoignage, capital à nos yeux, que nous a communiqué M. Leclerc, directeur de La Manche Libre.

J'étais dans le même état que " Paul ", enchaîné comme lui. Il affirma m'avoir rencontré à Hambye ; je niai. Frappé, sous ses yeux, je continuai à nier... jusqu'au bout en application des consignes qu'il nous avait données lors de sa première visite. (Hippolyte Gance!).

" Je fus acquitté. faute de preuves " (Yves Le Bars).

D'autres résistants du réseau, parmi lesquels Jean Lamotte et Yvonne Dissoubray, ne furent aucunement inquiétés : ils ne figuraient pas sur les listes d'adresses trouvées sur " Paul ". Quoi qu'il en soit, c'est la tenue de telles listes qui constitue la faute capitale de cet homme qui. par ailleurs, sut faire preuve de courage à plusieurs occasions et eut le mérite de rassembler au sein du F.N. des résistants appartenant à des milieux très divers.

5 – L'aide aux aviateurs alliés " Les trois amis de Léandre

Le 29 mai 1943, des aviateurs américains sautèrent en parachute au-dessus du V, en Pontaubault ; ils dérivèrent vers Ducey, tandis que leur appareil. une forteresse volante, atteint par la Flak, s'abattait vers Saint-Georges-de-Livoye.

Ce fut un vrai remue-ménage parmi les Allemands cantonnés dans la région. Un des membres de l'équipage américain, blessé, fut repris le jour même. Deux autres furent recueillis par Léandre Rochelle, cultivateur au village de Lentille, en Poilley, qui les mit en sûreté.

Le soir, vers minuit, un troisième aviateur fut amené, lui aussi, à Lentille par un voisin. " Être fusillé pour deux ou pour trois, c'est toujours la même chose ", dit Rochelle, " mais, au moins, fournissez-lui un costume civil. " Les trois aviateurs passèrent la nuit dans un petit bois où Rochelle leur apporta du ravitaillement.

Léandre Rochelle, père de six enfants, fut conforté dans sa décision, par son épouse, une femme énergique. Ce cultivateur était également syndic de la corporation paysanne. Homme intègre, il ne pratiquait pas le marché noir, mais il rendait service à de nombreux citadins, en assurant leur ravitaillement à un prix correct. C'est ainsi qu'il avait fait la connaissance de Bertie Pierre, rédacteur principal de la S.N.C.F. à Paris-Saint-Lazare. Celui-ci, alors en vacances dans la région, proposa d'assurer le rapatriement des trois Américains.

Le lendemain, les aviateurs restèrent cachés dans le bois mais, les recherches paraissant abandonnées, ils furent logés à la ferme le dimanche soir, les employés allant coucher dans le fenil. Lamiche, garagiste à Pontaubault, acheta leurs billets pour Paris. Le lundi, après un bon repas, ils furent conduits à la gare de Pontaubault, précédés d'un employé à bicyclette en éclaireur.

Dans la voiture à cheval, deux aviateurs étaient couchés à l'arrière. Léandre Rochelle et son " commis " étaient sur le siège avant, avec le troisième Américain.

Au carrefour du V, deux Feldgendarmes montaient la garde. Rochelle mit le cheval au pas, alluma une cigarette, et passa sans encombre. A la gare, Bertie Pierre attendait les voyageurs... Il eut quelques difficultés à les faire changer de train à Folligny mais le reste du trajet se déroula, sans problème. A Paris, il confia les trois hommes à ses parents, prit contact avec la Résistance qui les fit passer en Suisse, dès le L' juin. Le 9 juin, deux messages personnels de la B.B.C. furent captés : " Les trois amis de Léandre sont bien arrivés. "

L'affaire avait été rondement menée, grâce à la filière " Résistance Fer ".

Un autre Américain avait atterri vers Chalendrey. A partir du 31 mai, il fut hébergé aux Pougeolières, par Auguste Henry et son amie Hélène Abraham.

Six semaines plus tard, Marcel Leclerc, alors à Saint-.James, reçut la visite d'une jeune fille en vacances chez sa tante Hélène Abraham. L'officier U.S. Rex Ormes souhaitait regagner l'Angleterre et Auguste Henry ne savait comment résoudre ce problème. Marcel Leclerc rendit visite à André Parisy, pensant qu'Il connaîtrait une filière d'évasion.

Bertie Pierre, trop surveillé, ne pouvait plus s'en charger. D'ailleurs par la suite, il fut condamné à mort par contumace par le Tribunal Militaire de Caen.

Thieurmel, cultivateur à Céaux, ramena l'Américain qui fut hébergé chez Jouenne. Rochelle se proposa pour le convoyer jusqu'à Paris. Mais Parisy s'y refusa, en raison des six enfants de M. et M Rochelle et demanda à Jean Roulier de s'en charger. L'aviateur, amené à l'épicerie Pellerin, passa la nuit chez M Lahuppe, parente du docteur Roulier, à Avranches. Le lendemain, Rex Ormes, muni d'une fausse carte d'identité prenait le train, le cou entouré d'une grosse écharpe et paraissant très malade...

Arrestations et déportations

Un agent de la Gestapo s'était introduit dans la filière parisienne. Jean
Roulier devait conduire Rex Ormes au café Barbotte, près de la gare du Nord ;
mais au petit jour, la police allemande arrêta le D' Roulier, son épouse et leur
petit-fils, à leur domicile. Ensuite, la Gestapo arrêta Henry et Hélène Abraham à
Chalendrey, Parisy à Céaux. Leclerc à Saint-James, M Lahuppe à Avranches et
Rochelle à Poilley, le 30 août. L'arrestation de Suzanne Leclerc, suspectée de
complicité, ne fut pas maintenue. Les autres accusés furent transférés à Saint-Lô.
Le 7 juin 1984. inaugurant l'école André-Parisy, rue de la Liberté à
Avranches, le maire, Maître Leprieur, rappela qu'André Parisy, " malgré les tor-

turcs. sut s'imposer la loi du silence, ce qui permit la libération - faute de preuves - de M'5 Lahuppe et de Léandre Rochelle ". Les autres furent déportés ; seul Marcel Leclerc survécut, gravement affaibli.

Le Dr Roulier mourut au Struthof le 4 mars 1944 ; Mme Roulier, déportée à Ravensbrück tomba d'épuisement, quelques jours après la libération du camp, en mai 1945. Leur fils Jean décèdera un an plus tard à Durtol dans le Puy-de-Dôme.

Auguste Henry est mort à Dachau peu après la libération. Hélène Abraham est " disparue " à Ravensbrück. Après les conditions épouvantables de l'hiver 1944-1945, atteint de typhus et de dysenterie, André Parisy succombe d'épuisement le 5 mai 1945, à la veille de la libération du camp d'Ebcnsee. Le 23 mai 1943, à Saint-James, Marcelle Lecerf, gravement handicapée, fut déportée à Ravensbrück, pour avoir hébergé un militaire anglais.

La Gestapo et ses auxiliaires

La police allemande recrutait parmi les Français des indicateurs dont le travail consistait à écouter les conversations, attirer la confiance, s'introduire parmi les résistants. Ensuite, la Gestapo procédait aux arrestations.

Le 12 août 1943. Queuin né à Évreux en 1922, domicilié à Saint-Lô se présenta chez Lestas, boucher au Teilleul, demandant à être logé, se faisant passer pour un réfractaire au S.T.O. Il laissa maladroitement tomber sa carte d'agent de la Gestapo de Saint-Lô.

Roger Minne et Jean Roger, réfractaires et résistants saint-lois, hébergés par Lestas, parvinrent à fuir à temps. (Fichier M. Leclerc, Archives départementales, Saint-Lô).

Le Y.P.F. de Doriot avait aussi, dès 1941, son " Bureau Y ", chargé de la lutte contre les Résistants et Jean-Paul Brunet, dans un livre sur Doriot (Éditions Balland) nous apprend que son représentant dans la Manche était un ancien gendarme : Taillandy (note des R.G. de Saint-Lô, en date du 14 avril 1944).

Raoul Kiffer officier d'aviation " retourné " par les services secrets allemands, fut l'artisan de la destruction du Réseau Interallié F.2 à Cherbourg et dans le Calvados. Il ne fut pas pour autant démasqué et, en 1944, on le retrouva introduit dans la Résistance en Haute-Normandie, participant aux parachutages... puis aux arrestations.

Les Allemands avaient aussi de redoutables agents, tels : Hugo Bleicher. qui débuta à Cherbourg, puis à Caen, avant de devenir un des plus dangereux agents de la Gestapo parisienne à l'origine du démantèlement de plusieurs réseaux et des mouvements Défense de la France et O.C.M.

Le 3 novembre 1941, Bleicher arrêtait, en gare de Cherbourg, Raoul Kiffer... qui se mit au service des Allemands. Cette arrestation est à l'origine de l'élimination du Réseau Interallié et de l'extraordinaire aventure de " La Chatte ", l'espionne qui servit les Alliés, puis les Allemands, et passa en Angle-terre en 1942.

En novembre 1941. l'officier polonais Roman Czarnianski, chef du Réseau Interallié, fut arrêté à Paris. Son opérateur-radio et son adjoint direct : l'aviateur français Georges Bourcier réussirent à s'échapper. Ce dernier. condamné à mort, par contumace, par un tribunal allemand, passa en Algérie. rentra en France et vint... dans le Mortainais.

Nous le retrouverons, en juillet 1944, au marquis de Saint-Georges-du-Rouelley.

6 – La détresse des déportés

Ce n'est qu'en 1945 que l'existence et le fonctionnement des camps de concentration furent connus (lu grand public.

A partir de 1942, la déportation massive des Résistants s'était substituée à la peine de mort. Cette extermination par le travail ne connaîtra pas de répit. Des convois de déportés-résistants partiront encore en août 1944.

Pendant la période : " les années sombres et difficiles ", plus de cent trente personnes de la Manche (résistants, maquisards, Israélites) furent déportées.

Marcel Leclerc est connu pour son livre sur : " La Résistance dans la Manche ", que nous avons évoqué dans l'avant-propos.

Il a également édité une plaquette d'une soixantaine de pages. intitulée : " Souvenirs de ma déportation en Allemagne ". De ce témoignage bouleversant, qui mériterait d'être intégralement reproduit, nous donnons deux textes : " Le premier appel " et " Noël ". les autres extraits concernent des déportés de la Manche dont les noms ont été cités dans le chapitre : " Les années sombres et difficiles ".

Il va de soi qu'il s'agit d'un hommage, de notre part, à tous nos camarades déportés-résistants.

Au Struthof : le premier appel

" Nous voici enfin prêts pour l'appel du midi.

Le spectacle est impressionnant. Sur les sept plates-formes étagées, couvertes de neige, les détenus sont alignés impeccablement, flanqués du chef de block au brassard noir. Tout en haut, dans un mirador, un soldat casqué, emmitouflé dans sa longue capote verte, veille le doigt sur la mitrailleuse braquée vers nous ; sur la plate-forme supérieure se tient le groupe des S.S. entourant le commandant du camp. le sinistre Kramer.

Nous grelottons sous la bise glacée. Soudain apparaît un camion, duquel sont immédiatement sortis des cadavres sanguinolents, puis des détenus. encore vivants, que l'on transporte en les traînant dans la neige, jusqu'aux deux blocks du " Revier " (infirmerie).

" Ce sont des tziganes, apprendrons-nous le soir.

" L'épouvante nous saisit : nous commençons à comprendre la cruauté du sort qui nous attend.

" Un ordre guttural : les rangs se figent. Au passage du surveillant S.S., les hommes de chaque block se découvrent et s'immobilisent dans un rigide garde-à-vous. La froidure mord les crânes tondus, les oreilles bourdonnent, les dents claquent, les corps frissonnent.

" Lentement, nous dévisageant de son regard d'acier, le S.S. nous dénombre comme s'il s'agissait d'un troupeau. Enfin, le militaire gravit les escaliers des différentes plates-formes et vient rendre compte au commandant Kramer. Mais avant de nous permettre de rompre les rangs, celui-ci juge opportun de souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants. Il nous apostrophe : " Viles créatures de Paris, vous avez lutté contre la grande Allemagne par des moyens honteux ; nous allons régler votre sort et si vous savez pourquoi vous êtes entrés dans ce camp, sachez que vous n'en sortirez jamais, si ce n'est par la cheminée du crématoire.

" Atterrés, nous regagnons à pas lents et en silence, le bloc 10. "

Noël

Le jour de Noël 1943, alors que chacun s'apprêtait à goûter une soupe substantielle, une sorte de ragoût appelé " goulasch " servi pour marquer ce jour exceptionnel de fête, alors qu'il gelait à pierre fendre et que de longues stalactites de glaces pendaient au toit de nos blocks, soudain, on ordonne le rassemblement de tous les détenus sur la place d'appel ! Précipitamment, sous la menace des coups, nous courons et nous alignons par rangs de cinq. Sur la deuxième plate-forme, une potence est dressée. Du bunker (block de la prison située au bas du camp. vis-à-vis du crématoire), montent deux camarades dont les mains sont enchaînées derrière le dos. Un soldat S.S. les accompagne. la baïonnette prête à piquer. Tous les occupants des blocks sont là, impeccablement alignés, sur les plates-formes qui leur sont assignées. A voix basse, on échange quelques mots. Nous sommes atterrés.

" Là-haut, l'un après l'autre, chacun des condamnés monte sur une estrade, un camarade leur passe la corde au cou, retire brusquement l'estrade, et le corps agité de soubresauts convulsifs se balance, tandis que la tête se penche. horrible. La bise glaciale nous mord, les pieds s'engourdissent dans la neige, les dents claquent. Le temps s'écoule, interminable. Soudain, un ordre guttural ! C'est le défilé des détenus qui commence. Nous montons les gradins en ordre, nous passons devant les pendus. Ordre impératif de regarder cette bouche crispée, cette langue pendante, violacée, ce teint blême, ces yeux révulsés. Remplis d'horreur et de crainte, nous regagnons le block. Notre goulasch nous attend, refroidi. La fringale est plus forte que l'émotion ; nous ferons honneur à ce repas, exceptionnel à tous points de vue !

" Le chef de block nous apprend que ces deux camarades étaient en prison depuis un mois, recevant tous les matins 25 coups de bâton, ne touchant une maigre soupe que tous les quatre jours, enfermés dans un local étroit où on ne pouvait se mettre debout. Ils avaient tenté de s'évader du camp.

" Ce n'est qu'au dortoir que cette vision des pendus troublera notre sommeil de cauchemars hallucinants. en cette nuit de Noël, épouvantable, destructrice de toute espérance. (Passage extrait d'une relation d'Arthur Poitevin, ancien déporté).

" Fort heureusement, cette scène ne s'est pas renouvelée pendant notre captivité au Struthof. Sans doute le devons-nous à la mutation pour le camp de Bergen-Belsen, vers la fin de l'hiver, du bandit Kramer qui dirigeait le camp depuis notre arrivée. "

La vie quotidienne

" Nous voici alignés, nus, sur deux rangs, sous la garde de deux brutes qui ne ménagent pas leurs bourrades. L'un de nous. Raymond Brûlé, ancien officier, indigné, s'avance pour protester : il est gratifié d'une gifle magistrale, pour lui faire comprendre que, désormais, nous entrons dans une société nouvelle.

" Mais dès que la colonne gravit le chemin qui mène à la sablière ou à la route en construction, les kapos hurlent, frappent de leur gourdin, les S.S. excitent leurs chiens qui mordent les chevilles des malheureux détenus. C'est le sauve-qui-peut ! Chacun tente de se masser vers le centre de la colonne pour éviter les coups.

" Fort heureusement, mon ami Parisy qui a été désigné avec moi pour la construction de la route, plus robuste, échangera la pioche ou la masse, que je ne réussis pas à manier, pour la pelle qu'il a pu se procurer dans cette cohue.

" Les dix hommes de ma table abandonnèrent pendant plusieurs semaines leur cuillerée de confiture ou celle de fromage blanc pour soutenir notre ami, Émile Lecarpentier, souffrant d'un ulcère à l'estomac.

" Dans cet enfer, il est cependant un havre de tranquillité, c'est le " Revier ", c'est-à-dire l'infirmerie.

" Pour être admis, la température prise sous l'aisselle devait atteindre au minimum 39°. Mais avant de gagner le lit, il était obligatoire d'être parfaitement Propre et de passer sous la douche glacée. Bien des malades, atteints de pneumonie ou d'autres maladies graves, ont été achevés par ce passage sous l'eau froide. Ceux qui ne pouvaient tenir debout recevaient cette douche, couchés sur la dalle. C'est ainsi que mourut le docteur Boulier, arrivé dans le même convoi et impliqué dans la même affaire que moi.

" Le pauvre Guerry était mal en point, outre son phlegmon dont la plaie suppurait, il était atteint de diarrhée. Et comme nous ne disposions d'aucun papier, c'était avec nos doigts que nous tentions de nous nettoyer après usage des latrines.

" Nous approchions du dimanche, jour où le rutabaga habituel de notre menu était remplacé par une soupe aux nouilles, assez épaisse. Nous considérions cette soupe comme un festin que nous ne voudrions pas manquer. Guerry, appréhendant de ne pas tenir jusqu'au dimanche, dit à son voisin Gautier : " Si je meurs dimanche, avant midi, je te donne ma soupe, tu la partageras avec Leclerc. "

" Je me rendis au bloc 11 , puis je m'efforçai clopin-clopant de descendre les degrés menant au service de désinfection, pour reprendre contact avec mon ami André Parisy, qui servait la chaudière alimentant à la fois l'étuve et le crématoire. Heureux de me revoir, Parisy échange mes loques contre un vêtement plus adapté, sinon plus confortable.

" L'ingéniosité déployée par les malades pour rester à l'infirmerie s'ajoutait à cette complicité de nos camarades médecins. C'est ainsi que Georges Gautier, cité plus haut, atteint d'une forte grippe, n'hésita pas à gober un crachat d'un tuberculeux bacillaire, à le garder dans sa bouche jusqu'au passage de I' " infirmier " et à l'expectorer dans le crachoir pour analyses. Bien entendu, le rusé camarade fut reconnu contagieux, emmené à la salle réservée aux tuberculeux où il passa la plus grande partie de sa détention. Hélas ! le typhus devait l'emporter en février 1945.

" Vers cette date arrivent au camp Alphonse et Fernand Davy, deux jeunes de Pontorson. Nous sommes restés amis depuis.

" Tous les détenus N.N., qu'ils aient été ou non condamnés par un Tribunal allemand, devront être présentés à Breslau devant le Tribunal du Peuple qui prononcera la sentence définitive.

" C'est ainsi que mes camarades de Coutances dont mon compagnon de lit, l'instituteur Eugène Lepetit, l'industriel Raymond Brûlé, époux de la directrice de l'École Normale de la Manche, et le professeur Régis Messac, arrêtés au début de 1943 partirent pour Breslau. Lapierre et moi pensions que nous ferions partie du prochain convoi prévu pour la fin août.

" Nous mangeons debout ou, quand il fait sec, assis au milieu de tas d'immondices. Les Français se font tout d'abord remarquer parce qu'ils pèlent leurs pommes de terre : les Russes, les Polonais, ramassent soigneusement les pelures que nous avons jetées et les mangent. Mais bientôt, à notre tour, tenaillés par la faim grandissante, nous serons moins délicats et nous mangerons intégralement notre ration.

" Le typhus se répand de plus en plus, les morts sont si nombreux que pour aller aux lavabos, nous sommes contraints de piétiner les cadavres que l'on a étendus en tas dans ce seul endroit relativement frais du block. Le " corbillard ", cette horrible charrette traînée par quatre détenus, qui passe chaque jour pour charger les cadavres, est toujours plein et les crématoires ne parviennent plus à réduire en cendres toutes ces cargaisons de morts.

" Je découvris Antoine Peyry, garde-champêtre à Octeville, dans la banlieue, à deux kilomètres de mon domicile. J'avais appris son arrestation près d'un an avant que mon tour n'arrive. Inutile de dire toutes les confidences que nous nous rimes. Je lui apportai des nouvelles de Saint-James d'où il était originaire, et lieu de repli des enfants réfugiés de Cherbourg, que je dirigeais lors de mon arrestation. Il insista beaucoup pour que nous restions ensemble.

" Nous sommes au 31 janvier. On appelle Antoine Peyry. Il vient bientôt, m'annonçant joyeux : " Je suis libéré du camp de concentration ; les Allemands me font connaître que la peine de 3 ans de travaux forcés qu'ils m'avaient infligée est terminée. Je deviens un travailleur libre ! " Nous nous étreignons longuement et avant de nous séparer il affirme : " Je pourrai t'envoyer des colis, puisque je pourrai circuler librement. Prends courage, c'est bientôt la fin de cette si longue guerre. " Je ne devais jamais revoir mon camarade Peyry, si brave et si sincère : il devait s'éteindre quelques semaines plus tard dans un des kommandos de Dachau. non sans avoir goûté amèrement l'hypocrisie de nos geôliers. "

Déportation des Israélites

Après le décret du 29 mai 1942, les personnes de race juive furent astreintes à porter une étoile jaune à six branches, avec l'inscription : " Juif " en noir.

16 juillet 1942 : c'est la grande rafle du Vel d'Hiv. Treize mille juifs arrêtés par des Français, puis conduits à Drancy et, de là, déportés en Allemagne.

La Manche n'échappe pas à ces arrestations : M'" Mordo Bida, organiste à l'église de Hambye, aveugle, est arrêtée malgré l'intervention de l'abbé Georges Gautier. Prisons de Saint-1,ô, Fresnes, Nancy ; puis on perd sa trace.

Le 14 juillet 1942, arrestation de M. Rosenthal et de son fils, rue de Changeons à Avranches. Mme Rosenthal vient d'avoir un enfant ; on la laisse à la maison mais on vient l'arrêter trois mois plus tard...

M. et M Thomas, de Saint-Loup, qui ont l'enfant en nourrice, obtiennent de la garder chez eux. La petite Estelle Rosenthal est la seule survivante de la famille. Après avoir été institutrice dans la Manche, elle vit en Israël.

En octobre 1943, arrestation des familles Albagli et Lobel, à Mortain.

" La famille Albagli, qui vivait à l'Hôtel du Cheval Blanc à Mortain, sera déportée et disparaîtra au camp d'Auschwitz. Le docteur Lobel, médecin à Ger, restera au camp de Drancy jusqu'à l'arrivée des Américains. "

" M. et Mme Mainemer, route de Saint-Quentin à Avranches, vendaient sur les marchés de la région. Le 27 juin 1942, deux feldgendarmes se présentèrent au domicile des Mainemer et, firent part à la femme de ce qu'ils avaient été dénoncés pour ne pas porter l'insigne des Juifs. Ils interrogèrent longuement la mère et les filles, puis se retirèrent. Une huitaine de jours après, trois,feldgendarmes, dont un officier, revinrent chez les Mainemer et, de nouveau, les questionnèrent et les menacèrent. Une troisième fois, le 14 juillet, de bonne heure le matin, ils revinrent mais ce fut pour arrêter les époux Mainemer qui, d'abord emmenés à Pithiviers, furent déportés en Allemagne ou en Pologne, d'où ils ne donnèrent. jamais signe de vie " (Extrait du P.V. de la Cour de Justice).

Leurs deux filles trouvèrent refuge chez M. Bitard, directeur de l'usine à gaz à Avranches. Puis sœur Mondo, religieuse de Saint-Vincent-de-Paul les conduisit à Caen, dans un établissement religieux. Plus tard en 1948, elles partirent aux U.S.A.

L'appel au meurtre

L'antisémitisme des nazis n'avait d'égal que celui des écrivains collaborateurs, dont le Dr Destouches, plus connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline.

L'écrivain allemand Ernst Junger rapporte ainsi les propos que lui tenait cet écrivain " français ".

" Il dit combien il est surpris, stupéfait que, nous, soldats, nous ne fusillions point, nous ne pendions point, n'exterminions pas les Juifs "...

Dès 1941, l'écrivain Robert Brasillach écrivait : " Nous répétons qu'ils doit bien y avoir à Toulouse comme à Grenoble des têtes de communistes ou de gaullistes connus. Ne peuvent-elles tomber ?

" L'important, c'est de trier, de juger, de condamner, d'exécuter. "

 

Un camp de concentration tout près de chez nous

A 15 km de nos côtes, les habitants d'Aurigny avaient presque tous quitté leur îlot avant l'occupation des îles anglo-normandes.

Des fortifications y furent établies ; les travaux, dirigés par des militaires allemands de l'organisation Todt, furent effectués par des prisonniers russes. Obligés de travailler jusqu'à épuisement, ils moururent en grand nombre et plusieurs furent ensevelis dans le béton du " Mur de l'Atlantique ".

II y eut aussi des requis : républicains espagnols raflés en France. 'Tchèques, Belges. Hollandais, Français. Ceux de France étaient des réfractaires du nord du département et un de Gavray, Stanislas Laquerre. Il disparut, ainsi que plusieurs autres, le 9 juillet 1944. dans le bombardement des navires qui les ramenaient vers Saint-Malo.

Au début de juillet 1943, deux convois d'Israélites passèrent à Cherbourg, à destination d'Aurigny. Un troisième convoi les rejoignit au mois d'octobre suivant.

Le camp de concentration " fonctionna " à 1.5 km des côtes de la Hague, recevant également des déportés politiques, des condamnés de droit commun. des résistants tels le Dr Buot, de Caen.

Pas question de s'évader d'Aurigny. Robert Delannée réussit à rentrer à Cherbourg en se faisant passer pour malade. S'échappant de l'Hôpital Militaire. il se réfugia à Brécey où sa mère était réfugiée avec ses jeunes frères.

Recherché dans cette région, il partit vers Saint-Malo. En juillet 1944, il y retrouva un autre requis d'origine cherbourgeoise, évacué d'Aurigny : John Letellier. Tous deux rejoignirent Brécey et ensuite participèrent à la mission Helmsman " .

En 1984, le maire de Cherbourg a reçu une lettre d'un journaliste de la T .V. de Lvov, au sujet d'un Ukrainien, interné à Aurigny qui, évadé de Cherbourg, avait rejoint les partisans français. Nous n'avons pu retrouver dans le département la trace de " Stepan " Laurentievitch Gannotchka. Peut-être les cheminots l'ont-ils aidé à rejoindre un maquis d'un autre département ?

Un rescapé témoigne

Les déportés raciaux d'Aurigny étaient des Israélites mariés à une aryenne. C'était le cas d'Albert Mendelbaum qui tenait un commerce de nouveautés à Avranches. Arrêté une semaine après les Mainemer, il fut détenu à Saint-Lô jusqu'au I I septembre 1942, puis à Drancy jusqu'au 10 juillet 1943 ; de là à Querqueville, puis Aurigny où il arriva le 10 août 1943.

Les travaux du Mur de l'Atlantique étant achevés, le 8 mai 1944, il fit partie d'un groupe de déportés emmenés par bateau à Boulogne-sur-Mer, en attendant leur transfert en Allemagne. Le 13 juin 1944, sa femme, née Bailleul, le fit évader ; tous deux se cachèrent à Boulogne, puis à Paris, jusqu'à la libération de la capitale, et rentrèrent à Avranches le 3 septembre 1944. Albert Mendelbaum décéda en 1958.

En 1945, il témoigna contre son dénonciateur :

Le 21 juillet 1942, quelques jours après l'arrestation de M. et Mme Mainemer, j'ai été arrêté par la police allemande, en qualité de juif. La cause de cette arrestation, c'est le défaut de port de l'étoile jaune. Les policiers se livrèrent à plusieurs perquisitions, renouvelées à des jours différents. Puis ils revinrent une dernière fois, pour procéder à l'arrestation de ma femme et de moi-même.

" Quelques jours plus tard, ils arrêtaient ma belle-sœur, Juliette Bailleul, et Mlle Amiot, qui avaient prêté leur nom à mon commerce, afin que je puisse continuer à l'exercer. "

Son dénonciateur se débarrassait de Juifs qu'il détestait mais aussi de concurrents qui le gênaient.

Sa carrière de délateur continua jusqu'en 1944 ; il fournit, au printemps, une liste de 21 noms de personnes taxées par lui de communistes. gaullistes ou francs-maçons. L'inspecteur des R.G.. Basset, ne fit qu'un simulacre d'enquête et. grâce à lui, l'affaire en resta là.

7 – Rapports gaullistes-communistes

" On a souvent tendance à considérer l'O.C.M. comme un rnouvement animé par des gens de droite, Libé Nord par des socialistes, le Front National et les F.T.P.F. par des communistes. Dans la pratique, les Résistants de la Manche - comme de partout, sans doute - ont rejoint l'organisation qu'ils ont trouvée, et on trouve de tout, partout...

" Résistants des réseaux et Résistants des Mouvements avaient un point commun : ils risquaient l'arrestation, la déportation, la mort ".

Les rendez-vous de Champrépus

Les premiers contacts entre résistants communistes et gaullistes semblent remonter à 1942.

C'est alors que Beaufils, de l'État-Major F.T.P.F., connu sous le nom de " Joseph ", rencontre Gilbert Renaud, dit le " Colonel Rémy ".

Malgré ce qui les sépare sur le plan politique - et le moins que l'on puisse dire est que la distance est grande ! - les deux hommes sympathisent.

Dès juin 1942, Beaufils et Rémy ont discuté les modalités de l'opération de transfert d'armes qui a abouti, en août. à la rencontre entre le chalutier de la section C de la Royal-Navy, et " l'Audacieuse ", au large de Belle-11e, en août 1942.

Janine Jugeau rencontre, près de Villedieu-les-Poêles, un représentant local du service secret gaulliste : Michel de la Croix-Vaubois.

La Croix-Vaubois est conservateur des Eaux et Forêts. C'est dans un endroit isolé, au lieu-dit " Champ-Prepis ", qu'il fixe ses rendez-vous.

Nous pensons qu'il s'agit de Champrépus, entre Villedieu et Granville. Mais pourquoi La Croix-Vaubois et J. Jugeau venaient-ils là, alors que tous deux habitaient près de Rouen ?

René Jugeai. ingénieur chimiste, avait un alibi : la visite des tourbières de Gathemo et des centres de carbonisation du bois qui lui ont permis d'abriter des républicains espagnols clandestins dans l'Orne et à Ger.

La Croix-Vaubois venait-il pour les Eaux et Forêts (Saint-Sever) ? Avait-il une ferme ou des amis à Champrépus ? On ne sait. Il est mort en déportation : aussi avons-nous tenté de retrouver Janine Jugeai, née en 1913, par l'intermédiaire de Faligot.

Charles Tillon n'a pu nous fournir l'adresse, mais il précise :

" C'était alors, dans le Comité Militaire National, notre ami Marcel Prenant, qui avait les contacts avec " Joseph " (Beaufils). Lui, travaillait aux rapports avec Rémy. En échange, nous devions recevoir des armes et de l'argent de Londres. Mais. dans la pratique, les rapports se gâtèrent car le B.C.R.A. était aux mains de Passy et Soustelle. Londres a toujours voulu considérer les F.T.P.F. comme soumis aux ordres du P.C. L'histoire a montré que les F.T.P.F. se sont battus et ont su mourir, avant tout, au service de la Nation. "

(Lettre de Charles Tillon, du 15 janvier 1986.)

Pour Janine Jugeau : " Ça a dû commencer vers la fin de 1942. J'apportais des documents à ces rendez-vous de Champ-Prépis où je rencontrais des inconnus, jamais les mêmes ; parfois avec l'accent anglais, mais le plus souvent français. Comme l'endroit était absolument désert, on ne risquait pas de se tromper. On arrivait par un chemin différent et on se croisait. On avait un mot de passe, quand même. Je leur remettais des documents que je tirais, bien entendu, de mon chapeau. "

(Service B - op. cité page 43.)

L'activité de Marland

Est-ce par Champrépus et Villedieu que les renseignements de Marland transitaient ? Nul ne peut l'affirmer, ni Finck, ni Dutertre, ni Ronceray tous les trois de ce groupe. Les filières varièrent, sans doute. Nous avons reçu une lettre de G. Delanoë, actuellement à Méautis.

Lorsqu'il était à Yquelon, âgé d'une douzaine d'années, il cachait dans ses chaussettes les messages de Marland. Il accompagnait une dame qui, prenant le train, les remettait à un poste émetteur, dans la Sarthe. Que ce soit par Villedieu, la Sarthe ou ailleurs, les renseignements furent acheminés.

En 1942 et 1943, le groupe Marland, rattaché au réseau " Brutus ", recueille des renseignements sur Granville, Jersey et l'arrière-pays, essentiellement grâce à Finck, père et fils. En même temps, des contacts sont pris avec les membres de l'O.C.M. et du Front National, avec participation de certains d'entre eux aux sabotages de la région dont nous avons déjà parlé.

Au début de juin 1943, un long rapport est adressé, concernant Jersey et Guernesey : " Professeur, je vous aurai " lui disait Kin, le Sonderführer. Le 18 juin 1943, Marland fut arrêté sous l'inculpation d'espionnage. Lors de la perquisition à son domicile, les services allemands allèrent jusqu'à découdre la couverture piquée de son lit, pour trouver quelque indice. Après interrogatoire au Norrnandy-Hôtel, aujourd'hui centre de thalassothérapie, où siégeait la Kommandantur, il fut interné aux prisons de Saint-Lô, Caen et Fresnes. On le relâcha fin septembre. D'autres Granvillais furent arrêtés, tels Jules Leprince et Mauduit.

Marland, aimé de tous ses anciens élèves, était en relation avec André Parisy (féaux), Charles Pinson (Bouillon), Louis Blouet (Saint-hilaire), Louis Pinson (La Haye-Pesnel, puis

Brécey), Maurice Lebigot (Mortain), etc., qui organisaient le camouflage des réfractaires.

Autres contacts

A Virey, des réunions chez J.-M. Levesque regroupent le Dr Cuche, Louis Blouet et J.-B. Etienvre.

A Saint-Hilaire-du-Harcouët, Charles Ruault forme une équipe hostile à l'occupant, en relation avec Julien Lamanilève.

Un groupe se forme à Juvigny, autour du Dr Robert Lemonnier.

A Folligny, Robine et Jeanne, de la S.N.C.F., provoquent l'incendie de treize wagons de fourrage ; ils sont en relation avec Jean Marie. Georges Peuvrel et Paul Guiton, de La Haye-Pesnel.

A Avranches, Georgel et sa femme sont en rapport avec Granville, par l'intermédiaire de Charles Hubert. Chivet, Directeur du Centre d'amplification, est contacté par le réseau des P.T.T., en avril 1943.

Jean Vauzelle, réfractaire au S.T.O. au Val-Saint-Père, prend contact avec le D` Lebreton, Lucas et Désiré Lerouxel.

Maurice Lelaisant, de Marcey, fournit des renseignements à Gustave Belloir, de Saint-Jean-le-Thomas, puis à Résistance-Fer.

A partir de l'automne 1943, tous ces groupes isolés auront une structure plus organisée, quelle que soit leur origine : Libé-Nord, O.C.M. ou F.N., et leur efficacité en sera accrue.

A Mortain, Louis Forestier et Mauduit, des Contributions Indirectes. aident les réfractaires en fabriquant des faux papiers d'identité. A la fin de l'année scolaire 1941-1942, Untereiner arrive à Mortain avec le collège de filles, replié de Cherbourg. Au cours de l'été, il devient le représentant de l'O.C.M. pour le sous-secteur de Mortain. Son chef est Adolphe Franck, instituteur d'origine lorraine, interprète à la Préfecture.

Franck a engagé son jeune collègue, René Wilhelm, ancien élève de l'École Normale de la Moselle, détaché depuis le 1er octobre précédent comme interprète à la Préfecture. Il devient son adjoint pour organiser le Réseau et son suppléant éventuel. "

(Marcel Leclerc : La Résistance dans la Manche, p. 99.)

Chose surprenante, ce suppléant de Franck se trouvait, en juillet 1944, dans l'armée allemande : " antiallemand et francophile " selon Marcel Leclerc (p. 199). mais néanmoins intégré aux services de la Feldgendarmerie lors de son séjour à Saint-Jean-du-Corail... (15 juin-31 juillet 1944).

ANNEXES

M- Geneviève Jurczyszyn, née Héleine, fut condamnée à cinq mois d'emprisonnement par la Feldkommandantur 722, Saint-Lô, pour s'être fait envoyer " différentes lettres détournées de la censure émanant de son mari incarcéré à la prison de Saint-Lô " et lui avoir fait parvenir du courrier à la prison de Coutances.

Nous avons retrouvé aux Archives Nationales un poème de Gustave Jurczyszyn : " La Mer ", daté du 24 mars 1942, écrit à la prison de Coutances. Nous l'avons envoyé à son fils Serge à Cherbourg :

La Mer

 

Je suis un enfant du rivage

J'ai vu le jour tout près des flots ;

Ce vent qui souffle du grand large

Je l'entendis de mon bateau.

La mer cette douce enjoleuse

Me captive tout doucement

Son murmure, divine berceuse

Hante mes beaux rêves d'enfant.

Au rythme gai des avirons

Le soir à l'heure de la marée,

La barque creuse un long sillon

Et vogue vers sa destinée.

Mais si la tempête fait rage

Et que la mer dans sa fureur

Vient s'écraser sur le rivage

Sa majesté trouble mon cœur

O toi, Reine des amoureuses

Tu es belle éternellement

Mais je crains ta folie furieuse

Et ne serai point ton amant

Gustave JURCZYSZYN le 24 mars 1942 (Prison de Coutances)

" Ils étaient tous des hommes et des, femmes épris de paix aimant la vie de tout leur être, mais la guerre les obligea à prendre les armes : ils devinrent des Partisans. "

Vie de Manouchian, p. 99, Éd. Français Réunis.

 

Serge Jurczyszyn a conservé l'original de la dernière lettre écrite par son père avant d'être fusillé, après sa seconde incarcération :

Prison de Saint-Lô, le 24-11-1942.

" Ma petite femme bien-aimée, mon cher petit garçon, mes biens chers parents et amis.

" A vous tous je dis un dernier adieu. Ce matin vers 8 heures je serai fusillé et, à l'heure où vous avez connaissance de ces lignes, je ne suis qu'un mort regretté parmi tant d'autres victimes de cette guerre infâme.

" !l est probable, ma chère petite femme, que tu ne saches pas encore les motifs de mon arrestation ; je pense qu'il ne "t'est pas interdit de te le dire ici... (passage illisible...)

" J'ai agi comme un franc-tireur. En somme j'ai joué, j'ai perdu aujourd'hui. Je pense être et espère être aussi courageux dans la mort que je le fus dans la lutte.

" Ma petite femme bien-aimée, c'est pour toi seulement que je regrette ; te voici veuve à vingt ans avec un enfant ale six mois. Je sens que j'ai brisé ta jeunesse aussi je pars avec l'espoir de ne pas briser ta vie entière. Je ne te donne pas d'autres détails, tu dois me comprendre et tu dois penser à notre enfant. Je te demande d'en faire un brave garçon et de lui enseigner plus tard ce que fut son père. Ma chérie, en face de la mont et devant mon destin d'aujourd'hui, je n'ai aucune haine pour l'armée allemande, je pense que ce sont des soldats qui exécutent les ordres donnés.

" Par contre, je maudis les Français qui nous ont conduits au bord de cet abîme. Seuls des Français sont responsables de cet état de chose, et je te demande de regarder la vérité en face, et de juger comme moi les vrais coupables. C'est à toi que j'adresse ces lignes et je te demande de les communiquer à toute la famille ainsi qu'à tous ceux qui m'ont gardé leur affection. Il est possible que, dans l'avenir, les corps des fusillés soient rendus à leur famille. Dans ce cas, j'aimerais aller reposer soit à Cherbourg soit à Gatteville, afin qu'une main vienne de temps à autre fleurir mon pauvre tombeau. On pourra toujours reconnaître mon corps grâce à mon dentier, tu sais que j'ai seulement quatre dents à moi au fond de la bouche, tout le reste est un appareil. Je pense, ma chère petite, qu'au reçu de cette lettre tu viendras à Saint-Lô, chercher ce qui reste de mes affaires, ce seront des souvenirs. Mon portefeuille contient un poème d'adieu à la vie, écrit depuis le 27 juillet, ainsi que quelques pellicules de photos que tu seras certainement heureuse de retrouver. Je pense, ma chérie, que dans trois jours, notre cher petit aura six mois et que je ne le reverrai plus. Ce serait pour moi un grand chagrin si je pouvais encore avoir du chagrin. Je dois encore, avant de mourir, attirer ton attention sur la parfaite correction de nos gardiens allemands et sur les gentillesses qu'ils ont eu à notre égard. Les seuls mauvais traitements que j'ai subis sont venus de la police française, je te dis : espère en l'avenir, transmets mes adieux à tout le monde, embrasse une dernière fois ma mère, mes frères et sœurs, toute la famille et la tienne et surtout notre cher petit, comme je t'embrasse avec ferveur par la pensée avant de quitter la vie. Une dernière fois, mille tendresses et mille baisers et adieu toi que j'ai aimée trop peu de temps et qui fut l'unique passion de ma trop courte existence. Puisses-tu être heureuse sans moi, aussi heureuse que j'eus voulu te rendre moi-même. Ma dernière pensée es! pour toi, et pour tous ceux qui m'ont aimé.

Ton mari qui meurt aujourd'hui pour son idéal. "

G. Jurczyszyn.

La famille Jurczyszyn :

Lucien, né en 1917, engagé volontaire, mécanicien d'aviation F.F.L., décédé.

Gustave, né en 1918, F.T.P.F., fusillé à Saint-Lô.

Jean, né en 1919, prisonnier de guerre.

Pierre, élève-instituteur à l'EN. de Saint-Lô, maquisard en Côte d'Or, fusillé au Mont-Valérien.

Leur sœur avait onze ans à l'époque. Son frère, Pierre, fut arrêté à Dijon en même temps que le frère de son futur mari.

" Cette époque ne m'a laissé que tristesse et amertume ", nous a-t-elle confié.

CHAPITRE 3

VERS UNE RÉSISTANCE PLUS STRUCTURÉE
(AOÛT 1943 - MAI 1944)

1 – L'affermissement de la Résistance L'opposition au S.T.O.

En octobre 1942, tous les hommes de 18 à 50 ans et les femmes de 21 à 35 ans sont recensés. Le 16 février 1943, le gouvernement de Vichy (Pierre Laval) décrète, pour tous les jeunes de classes 1940 (2` au 4' trimestre), 1941 et 1942, l'obligation de réaliser une période de travail en Allemagne.

Dans les communes, l'opposition à ce Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) se manifestera de façons diverses, selon les conditions locales. Il est certain que dans certaines communes où le climat de résistance n'était pas suffisamment sensible, les jeunes requis ne voyaient guère d'autre solution que de se rendre à la convocation qu'ils avaient reçue. Par contre, là où existait un groupe d'hommes hostiles à l'occupant et que cela se savait, les jeunes requis avaient un appui et beaucoup ne partirent pas. On leur trouvait tout de suite une " planque " et on savait où se procurer des faux papiers.

Par leur refus, ils choisissaient la clandestinité et devenaient des résistants potentiels ; certains tentèrent de rejoindre la France Libre, d'autres des maquis. Ils étaient disponibles pour des actions contre l'occupant. Un bon nombre de réfractaires au S.T.O. trouvèrent refuge dans les fermes de l'Avranchin et du Mortainais. Si plusieurs jeunes gens vinrent de la région parisienne en Basse-Normandie, d'autres quittèrent la Manche. M. François Brière, dans le cadre de l'entreprise Bollard (Travaux publics), assura des relais sur plusieurs chantiers. MM. Legrand et Leroyer, artisans, contribuèrent au camouflage de nombreux requis. M' Marcellier, notaire à Brécey, fut emprisonné pour en avoir abrité.

Les administrations en accueillirent également, sans s'inquiéter de leur véritable identité : Jean et Louis Osmond furent ainsi employés aux P.T.T. à Saint-Lô, jusqu'au moment où ils furent dénoncés. Edmond Finck, en situation irrégulière, fut hébergé à l'École Normale de Saint-Lô où le Directeur Louis Defond était lui-même adhérent du Front National.

Créé en 1942 avec Jean Durriau (Contrôle économique), Liébard (Ponts et Chaussées), Endelin (préfecture), le N.A.P. (noyautage des Administrations Publiques) facilita le camouflage des requis, jusqu'au moment où le Préfet Faugère fut arrêté par les Allemands, le 14 mai 1944. Le Directeur du Ravitaillement Général, appartenant à un réseau S.O.E., fut également déporté. Sous couvert de Défense Passive, des groupes de Résistants se renforcèrent à Granville, Saint-Lô, Tourlaville et le Secours National, d'essence vichyste, servit de couverture à son directeur saint-lois Queguigner, pour développer le réseau F.2.

Nous verrons que Bernard Priolet, du groupe F.T.P.F. d'Avranches acceptera un emploi au Commissariat à la main-d'œuvre où, avec François Doré du Génie Rural, il fournit un grand nombre de faux documents pour saboter les départs des S.T.O. vers l'Allemagne.

Grâce aux questionnaires remplis par les maires après la guerre, nous avons une idée de ce qui se passa dans les communes de notre région. Ainsi, à Marcey-les-Grèves, sur 16 appelés, 7 seulement partirent et les 9 autres se dispersèrent dans la campagne. A Perriers-en-Beauficel, où pourtant aucune résistance organisée ne fut notée, les 1 1 requis sont tous restés et 14 autres, venus d'autres régions, se sont installés dans la commune. A Barenton, sur 100 appelés, deux seulement sont partis.

" L'as de trèfle "... n'est pas arrivé

En 1947, le Directeur de l'institut Néerlandais de Documentation de guerre transmettait à son homologue français " un tuyau en bois contenant une lettre " que les flots avaient rejeté sur une plage hollandaise. Il s'agit d'un message datant de l'automne 1943, confié à un pigeon-voyageur, qui ne put atteindre l'Angleterre.

Nous avons recopié intégralement ce texte qui évoque la question des réfractaires : " C'est avec une très grande joie, en allant labourer mon champ, que j'ai trouvé cet agent de transmission. Au point de vue militaire, je ne pourrais vous donner beaucoup de renseignements, car j'habite dans le département de la Manche, dans un hameau d'une petite commune d'un canton où passe la grande route de Saint-Lô à Avranches. Dans les environs, il n'y et que quelques Allemands qui se trouvent à un poste d'observation. Quant au moral de ces messieurs, il est assez bon ; ils parlent de se mettre en civil au moment du débarquement allié et ils voient bien que la guerre est perdue pour eux.

" Au sujet de la radio, tout le monde écoute les émissions de la BI.BI.CI. et information quart d'heure français. Chez nous, en campagne, nous entendons très nettement et nous invitons les amis à venir écouter ; nous, jeunes, ce qui nous intéresse, c'est d'entendre raconter les exploits des aviateurs, marins et soldats de toutes armes, soit Français, soit Anglais. Ce que tout le monde attend. c'est la libération de la France ; avec impatience, nous vous attendons avant que la France soit vide de ses jeunes enfants prêts à combattre. La classe 43 vient d'être appelée. Les jeunes requis devaient se présenter à Saint-Lô le 24 septembre ; de source certaine, il s'en est présenté le sixième. Après les hommes, c'est le cheptel qu'il fard donner ; en ce moment, nous avons de grosses réquisitions de bêtes à cornes ; et d'ici quelques semaines, il faudra leur livrer notre grain.

" Le moral français est toujours bon, malgré les bombardements qui .sont assez dévastateurs pour les civils. Et si, par malheur, un avion allié est abattu, et s'il y u des victimes parmi ses occupants, on leur fait des funérailles, avec des monceaux de fleurs et en présence de milliers de personnes.

" Vous trouverez peut-être que ces renseignements sont de petite importance mais je nue peux vous dire autre chose, car je ne suis qu'un petit ouvrier agricole ; et espérant que le messager fera bon voyage. J'ai tenu à vous le renvoyer, afin qu'il vous serve par ailleurs. A bientôt, et courage !

" Voici le message que je désirerais entendre le mardi 5 et le mercredi 6, aux informations de l9 h 30 ou autre, en cas d'empêchement : " l'as de trèfle est bien arrivé ". "

Un excellent record

" C'est le département de l'Eure, et en second lieu l'arrondissement d'Avranches, qui détiennent le record du nombre des réfractaires ".

M. Guesnier, maire de Saint-James, commentait la situation en ces termes : " Ils en réquisitionnèrent beaucoup ; les listes étaient longues et ils devaient y puiser sans cesse. Il y en avait très peu à répondre, car les gars étaient insaisissables, toujours prévenus du moyen de s'enfuir, sauf quelques rares cas ; et les malingres, généralement, s'y rendaient avec la certitude de la réforme. Je ne doute pas que les médecins boches devaient avoir une piètre opinion de notre jeunesse, avec les échantillons qu'ils recevaient. Notre fierté n'en souffrait pas au contraire ! "

Indépendamment des réseaux constitués, les fausses cartes d'identité et les tickets d'alimentation furent aussi fournis par les secrétaires de mairie. Dans les communes rurales, c'étaient souvent les instituteurs connaissant bien la population. On ne peut citer tous les médecins qui délivrèrent des exemptions, motivées par des certificats de non aptitude au travail.

De la clandestinité au maquis

Lorsque les conditions le permettaient, beaucoup de réfractaires ralliaient la Résistance.

Jacques Cuny et Jean Vauzelle, réfractaires venant de la région pari-sienne, trouvèrent refuge, l'un à Saint-Pois, l'autre au Val-Saint-Père, puis rejoignirent à la fin de 1943 le groupe de résistance formé au Parc (Sainte-Pience), De même, Michel Tauzin, fuyant la capitale, rejoignit André Debon à Saint-Laurent-de-Cuves en juillet 1943.

François Hamel, de Saint-Pois, adhère au groupe d'Arsène Paris. C'est lui qui assurera les liaisons avec les résistants de Gathemo-Champ-du-Boult dirigés par Joseph Hilliou et ceux de Saint-Laurent-Coulouvray-Montjoie-Saint-Pois sous la responsabilité d'A. Paris.

D'autres jeunes quittèrent le département. Pierre Jurczyszyn, élève-maître à l' cale Normale de Saint-Lô, rejoignit un maquis en Côte d'Or. Arrêté au stade de Dijon il fut fusillé au Mont-Valérien et inhumé à Saint-Ouen. Louis Rachinel, de Saint-Lô. membre de l'Organisation Spéciale puis chef du groupe F.T.P.F. " Victor Hugo ", dut quitter Paris en 1943. Arrêté en février 1944, il fut fusillé près de Montpellier.

A Pontorson, Gaston Lebarbier recrute des camarades avec lesquels il effectue des sabotages de véhicules et de lignes téléphoniques... Pendant l'été 1943, ce noyau de jeunes réfractaires rejoint le maquis installé dans la forêt de la Hunaudais, entre Plancoét et Lamballe, qui dispose d'armes et d'instructeurs canadiens. Après un séjour d'un mois, les maquisards de la Hunaudais doivent se disperser. Ceux qui rejoignent Pontorson sont victimes d'une dénonciation : Didier Bourget, Jules Jalouin, Tesnière, et René Gilbert connaîtront la déportation.

Rémy Tonnelier évite l'arrestation à Pontorson, mais il sera victime, en 1944, d'un banal contrôle d'identité. Par un malheureux concours de circonstances, il se trouvera alors face à face avec un agent français de la Gestapo qui le reconnaît comme ex-maquisard de Tournemine-en-Plédéliac ; il est immédiatement déporté.

Gaston Lebarbier, qui s'était évadé de la prison de Dinan, retrouve Alphonse Davy et son cousin Fernand. Il participera avec eux aux sabotages organisés par Jean Turmeau à partir de décembre 1943.

Les réfractaires constituèrent une réserve de forces considérables pour la Résistance car bon nombre d'entre eux ont, par la suite, désiré participer à la reconquête de l'indépendance nationale. Le maire de Perriers-en-Beauficel a précisé, par exemple, que deux des réfractaires hébergés dans la commune rejoignirent la Résistance.

Deux difficultés ont incontestablement freiné cet élan :

- d'une part, l'armement était pratiquement inexistant, et nous verrons plus loin que la Manche ne profita de rares parachutages qu'à partir de mai 1944. Les quelques groupes qui entreprenaient des actions armées étaient eux-mêmes très insuffisamment équipés. Dans ces conditions, il était difficile de procéder à un recrutement intensif ;

- d'autre part, si les bonnes volontés ne manquaient pas pour encadrer les unités, l'expérience et la compétence militaires faisaient souvent défaut, car il faut bien convenir que les officiers d'active ou de réserve ne se manifestaient guère pour assurer ces responsabilités, tout au moins dans le sud de la Manche.

pu S.T.O. au camp de concentration

En décembre 1942, Victor Pitel, de Marcey, fut requis par deux Allemands, sur son lieu de travail, et envoyé en Rhénanie ainsi que trois autres jeunes Avranchinais. L'un d'eux, Pierre Anfray, profita d'une permission pour devenir réfractaire.

Mais Victor Pitel, lui, fut emprisonné en septembre 1943 : il avait écrit une lettre qui, interceptée, fut jugée injurieuse pour l'Allemagne.

Après cinq mois de prison, il fut dirigé sur un camp, près de Buchenwald, puis à Neuengamme, et affecté au creusement de galeries destinées à installer une usine souterraine. Évacué au moment de l'avance des Alliés, son convoi fut décimé par la dysenterie et le typhus et, lui, se retrouva dans un camp anglais. après huit jours de coma.

Pendant son séjour en camp de concentration, Victor Pitel dut assister à neuf pendaisons pour tentative d'évasion.

Avec les partisans norvégiens

Originaire de Brécey, Marcel Boursin était alors commis-boucher à Avranches ; il fut envoyé à Stettin et, de là, au nord de Bergen en Norvège, à " Ardal " où les Allemands voulaient construire une usine d'aluminium. Avec ses camarades français, c'étaient des travaux forcés très durs, mais aussi du sabotage, ce qui empêcha les usines d'Ardal de démarrer sous la direction des Allemands. Comme l'on sait, ces usines n'ont été mises en service qu'après la guerre (Extrait traduit d'un journal norvégien du 21 octobre 1985).

Petit à petit, M. Boursin prit contact avec la population locale et apprit un peu de norvégien. Envoyé dans le sud du pays, fin 1944, il rejoignit les partisans dans la région montagneuse du Télémark, en janvier 1945. Ensuite, il passa en Suède et rentra à Avranches le 22 juillet 1945.

Considéré comme simple S.T.O. en France, Marcel Boursin a reçu la médaille d'argent de la Résistance norvégienne.

F.N.: Avec les F.T.P.F. bretons

En l'été 1943, le Front National de la Manche se retrouvait dans un état de choc, amoindri par les arrestations, coupé de ses dirigeants départementaux, régionaux et nationaux. Les groupes du nord et du centre du département avaient etc fortement marqués par les épreuves successives de juillet 1942 et de mai 1943. Par contre, le Mortainais n'avait pratiquement pas été touché, exception faite par les arrestations de André Loison et Jean Maurice, opérées à Saint-Michel-de-Montjoie. Bien que l'émotion ait été forte, les forces étaient restées à Peu près intactes, nais isolées, et les groupes de Paris et Hilliou poursuivirent leurs activités dans le cours de cet été 1943 ; c'est ainsi que les coupures de câbles de la ligne militaire allemande se reproduisirent plusieurs fois.

Cependant. pour la plupart des groupes, l'isolement cessa peu à peu par la reprise de contacts organisés. Mais c'est par la Bretagne que la liaison se rétablit. L'artisan de ces nouveaux contacts fut d'abord Pierre Jaouen (dit " Auguste "), un nom d'ailleurs bien breton. Cette articulation avec la Bretagne, et plus particulièrement avec l'Ille-et-Vilaine, devait se maintenir jusqu'à la fin de l'occupation, et prendre une importance décisive avec le débarquement de juin 1944.

Déjà, à Saint-Hilaire-du-Harcouèt, une liaison de fait existait avec les F.T.P.F. d'Ille-et-Vilaine. Dès novembre 1942, un noyau de résistance isolé se forma avec le coiffeur Charles Ruault, qui venait de s'installer à Saint-Hilaire, venant de Vire, où il s'était senti menacé, suite à une série de larcins opérés avec quelques camarades au détriment des Allemands. Le petit groupe se composait (outre Charles Ruault) de quelques commerçants notoires : le boucher Lemonnier, le photographe Lefebvre, les garagistes Michel et Jacques Tostivint, en tout une dizaine de membres.

Charles Ruault entra en contact avec Julien Lamanilève qui, dans l'Ille-et-Vilaine notamment à Fougères, avait accompli de très nombreuses actions résistantes et était recherché par la Gestapo. C'est pourquoi, à l'époque, il avait transféré son activité en Mayenne ; mais il gardait avec Saint-Hilaire des contacts suivis et participa à la mise en place du groupe en formation. Ainsi, ce groupe, muni d'un cachet du " Commissariat Central de Caen " fourni par Julien Lamanilève, délivra de nombreuses fausses cartes aux réfractaires locaux.

D'autre part. la propagande anti-allemande put s'exprimer dans la ville. par exemple à l'occasion du 11 novembre 1942. Les 9 et 10 novembre, un cachet fut confectionné, et des papillons furent imprimés par ce rnoyen, avec l'inscription : " Courage – nous vaincrons. " Le 11 au matin, les papillons étaient collés sur les vitrines des magasins. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que Jaouen ait songé à faire de Saint-Hilaire un centre de liaison pour les groupes F.T.P.F. de la Manche, Lamanilève pouvant assurer cette direction.

D'ailleurs, à Saint-James, une situation du même genre existait. Un groupe, animé par le D' Mothay opérait depuis 1940. A partir de 1942. le D` Mothay apporta une aide aux jeunes requis par le S.T.O.: il en réforma un grand nombre.

Georges Legourd, jeune mécanicien qui travaillait au garage Renault. géré par M. Joseph Huard, entretenait, lui aussi, des contacts avec Julien Lamanilève.

il n'avait que 16 ans, mais il était déjà animé par une volonté de résistance peu commune. En juillet 1943, il réussit à convaincre Julien de le laisser adhérer aux F.T.P.F.

Tout seul, il se mit au travail. Il profita des transports commandés, effectués pour le compte des occupants, pour repérer les véhicules stationnés dans la campagne environnante : camions, chenillettes, tanks. Chaque fois que c'était possible, il revenait de nuit et démontait des pièces maîtresses (carburateurs, delcos, etc.). Chaque immobilisation de véhicule le comblait de joie.

Un soir, il fut surpris auprès d'une chenillette, alors qu'il venait de mélanger du sucre à l'essence du réservoir. Il se glissa sous la chenillette et y resta blotti sans bouger pendant deux heures, pour éviter les Allemands en alerte, recherchant aux alentours l'ombre qu'ils avaient entrevue. Heureusement pour Georges, ils n'avaient pas de lampe électrique ! De la même façon, il subtilisa aux Allemands des armes légères et des munitions. il fabriqua à l'atelier, pour Lamanilève, des " tourne-à-gauche " destinés à déboulonner les rails.

Une sorte de triangle, Saint-Hilaire-Fougères-Saint-James, se mit à fonctionner à partir de décembre 1943. Ce fonctionnement est illustré par le fait suivant, qui prend place en janvier 1944 :

Les F.T.P.F. d'ille-et-Vilaine ont besoin d'une voiture pour assurer les liaisons entre les groupes. Leur responsable Pétri charge Julien Lamanilève de résoudre ce problème. Georges Legourd, qui opère à ce moment-là sur Saint-Hilaire, " prélève " une voiture dans un garage de la Place Nationale, la conduit immédiatement à Fougères, pour son frère Édouard, qui travaillait dans un garage de la ville. Mais Édouard est arrêté.

Entre-temps, à la suite d'un cambriolage de tickets d'alimentation, opéré en mairie de Beaucé, près de Fougères, les gendarmes emprisonnent Georges Legourd, le l" février 1944.

Il devait subir, avec son frère. le sort habituel des résistants arrêtés : coups et tortures par les agents du S.P.A.C., prison de Fougères, prisons de Rennes et Angers, puis le camp de Compiègne, avant celui de Neuengamme. Quand il revint, pesant 29 kg, sa santé était gravement altérée et il mit longtemps à se remettre de son internement.

Pour revenir à Pierre Jaouen, il fut facile à celui-ci, en partant de la plate-forme Saint-James-Saint-Hilaire, de reprendre des contacts plus au nord : à Champ-du-Boult avec les frères Hilliou, à Saint-Laurent-de-Cuves avec Arsène Paris qui, de son côté " repêcha " André Debon. Peu à peu les liaisons se rétablirent, sauf avec Villedieu qui semble être resté isolé plus longtemps de la direction F.T.P.F.

Avranches : Implantation d'un groupe F.T.P.F.

Mieux, de nouveaux groupes se créèrent. C'est ainsi qu'en octobre 1943, Pie1Te Jaouen fut amené à rencontrer des résistants à Avranches. En effet, courant 1943, plusieurs initiatives s'étaient développées parallèlement. D'une part, une jeune institutrice de Saint-Brice-sous-Avranches, Louise Hamel née Moreau, avait déjà une activité aux côtés de son mari, employé aux Finances, en relation plus ou moins suivie avec " Libération Nord " par l'intermédiaire de Georges Dubois, instituteur à Saint-Ovin, et beau-frère de Jean-Baptiste

Étienvre, qui représentait " Libé-Nord " dans le secteur sud de la Manche. Les époux Flamel fabriquaient des fausses cartes pour les réfractaires et transmettaient des renseignements à Étienvre.

D'autre part, un coiffeur d'Avranches, Louis Renault, avait des contacts avec les F.T.P. du groupe de Saint-Sever, du fait de circonstances familiales. Il avait constitué, de son côté, une organisation de faux papiers avec " Marc " Feuillet (employé de l'épicerie Bourdon), l'étudiant Bernard Priolet et Marcel Tabur.

Enfin. un petit groupe totalement autonome s'était constitué sous le nom

de groupe " Valmy " et comprenait Pierre Mignon, les frères Barbieux et un

jeune étudiant, Bernard Lebœuf.

Donc, fin 1943. la résistance cherche à s'organiser à Avranches. Les

forces existent. Des contacts épisodiques commencent à s'établir, notamment

entre Renault, Lucas, Tabur, Lerouxel.

Par l'intermédiaire de Mme Jehan, qui tenait un magasin de chaussures à

Avranches, Renault prit contact avec le camionneur Lucien Duclos qui avait déjà sa liaison avec les F.T.P.F. d'Ille-et-Vilaine. A la suite de cette entrevue, un rendez-vous fut organisé en octobre. sur la route de Saint-Quentin. entre Renault, Lucas et Pierre Jaouen. La discussion fit apparaître la possibilité de monter à Avranches un groupe F.T.P.F. armé. La décision fut prise par l'État-Major F.T.P.F. d'Ille-et-Vilaine, de transférer à Avranches un résistant éprouvé dont nous reparlerons, Jean Turmeau. Il aurait pour rôle de diriger le groupe, de le former et, par la suite, d'étendre sa technique à d'autres groupes.

2 – " Jules " et la réorganisation du F.N.

Situation à l'arrivée de " Jules " et " Alfred "

" L'intérim " de Pierre Jaouen fut de courte durée et, très vite, il fut remplacé par le nouveau responsable départemental Léon Pinel, dit " Jules ". Depuis 1941. Pinel était membre d'un groupe de la région de Fougères : il participa ensuite à l'organisation de la Résistance de cette région. Mais, recherché par la S.P.A.C. pour des faits d'ailleurs antérieurs à son illégalité, il passa dans la Manche le 12 mai 1943, tout de suite après l'arrestation de " Paul ". Il était l'homme de la situation et il reprit, dans ce département, le travail d'organisation à partir des contacts que Pierre Jaouen lui fournit dans le courant de l'été 1943.

A son arrivée - selon les indications de Léon Pinel lui-même (1958) -

il disposait des contacts avec des groupes constitués, aux endroits suivants :

- Montjoie, Gathemo, Saint-Laurent-de-Cuves, par l'intermédiaire de

Hilliou et Paris ;

- Granville, par l'intermédiaire d'un militant cheminot ;

- Saint-Lô, par le Directeur de la Coopérative Aimard ; mais les

contacts étaient difficiles ;

- Cherbourg, par Mme Siouville, sœur de Defrance dont le mari était

déporté à Auschwitz, depuis 1941 ;

- Villedieu-les-Poêles, par Roger le Cann ;

- Hambye, par le groupe formé par Roger Lemière ;

- Sainte-Pience, avec Émile Cuny et le propriétaire du château Henri

Plaut ;

- Avranches, avec Renault et Duclos, nais seulement à partir d'octobre 1943 ;

- Saint-Sever, avec André Blouet, niais par l'intermédiaire de Renault.

Comme on peut le constater, les contacts maintenus dans le nord du département étaient très réduits. Ils resteront à peu près à ce niveau et ne se développeront guère. Par contre, dans le sud, les bases solides trouvées en été 1943 allaient permettre à " Jules " de développer l'organisation, de lui donner une bonne capacité de propagande, et de préparer méthodiquement les groupes aux tâches de la libération.

Jules " ne fut pas seul à venir de Bretagne pour aider à remettre sur pied le F.N. et les F.T.P.F. dans la Manche. II était accompagné de deux autres résistants éprouvés : René Berjon (" Émile ") et Jean Turmeau (" Alfred ").

Au titre du F.N. d'Ille-et-Vilaine, en 1942 et 1943, " Émile " avait été chargé de l'organisation et du recrutement des F.T.P.F. C'est grâce aux renseignements recueillis près des cheminots que son fils, André Berjon dit " Auguste ", organisa le déraillement de Noyal-Acigné, près de Rennes, le 10 juillet 1943. Cette opération spectaculaire (un train de troupes, hors horaire normal vint s'encastrer dans celui qui venait de dérailler), fut effectuée avec la participation de Louis Pétri et Jean Turmeau.

" Émile " fut chargé spécialement de reprendre les contacts avec la région de Cherbourg, son beau-frère Bourdeauduc lui assurant un relais à Sottevast et la mairie d'Equeurdreville lui fournissant des cartes d'identité.

Responsable politique, il fut le représentant du F.N. dans toutes les discussions qui aboutirent à la création du Comité Départemental de Libération.

Quant à Jean Turmeau, entré dans la Résistance F.T.P.F. en 1942, il est alors étudiant en pharmacie. Son père est le percepteur de Javron, dans la Mayenne. et sa mère directrice d'école maternelle. Actuellement, sa sœur et son beau-frère sont médecins à Ceaucé, dans l'Orne.

En 1943, en Île et Vilaine, il devient le second du Commandant Tanguy (Louis Pétri), qui dirige les F.T.P.F. du département. Il organise plusieurs déraillements à Guichen, Combourg, Cesson, Bonnemain. Arrêté le 3 septembre 1943, il s'évade le 7 septembre de la prison de la Prévalaye, en descendant deux étages accroché à la gouttière. C'est à la suite de ces événements qu'il est nommé responsable départemental militaire pour la Manche, en même temps que " Jules " était désigné à l'organisation.

A leur arrivée dans la Manche, ces trois responsables : " Jules ", " Emile " et Jean Turmeau, dit " Alfred " trouvèrent le gîte et le couvert chez M Albertine Jehan qui tenait le magasin de chaussures " Au Chat Noir " à Avranches, ensuite chez Feuillet.

Nous transcrivons ici le récit de Mme Jehan à Mme Flamel :

" Un jour d'octobre 1943, Lucien Duclos me présente " Jules " et, quelques jours plus tard, " Émile " et " Alfred ". Ce soir-là, je suis cuise au courant de leur activité. Ils dînent et couchent à la maison ; par la suite, " Alfred " y reviendra souvent. Il y établira, si l'on peut dire. son quartier général. Son activité est considérable. Il voyage beaucoup, transporte des tracts et des médicaments qu'il entrepose dans ma cave. Un jota-, devant mon inquiétude, avec sa franchise un peu brutale, il me dit : " Si l'on me découvre chez vous, vous risquez la déportation ". "

Malgré ses responsabilités de mère de famille - elle avait deux enfants en bas âge - Albertine Jehan continua à héberger " Alfred " qui. simultanément, avait un autre point de chute chez. M" Chenu, restauratrice à Sainte-Pience.

Les préoccupations de " Jules "

La tâche de Léon Pinel (" Jules "), métallo de la banlieue parisienne, était de toute autre nature. C'était un homme petit et râblé, au visage carré, très sportif et amateur de vélo. Il avait beaucoup de kilomètres à parcourir et il le faisait toujours à bicyclette, sillonnant le département, semaine après semaine. C'était un homme prudent, réfléchi, méthodique et tenace. Son objectif principal fut d'abord l'organisation de la propagande, ce qui ne l'empêcha pas de participer personnellement à deux déraillements. Mais son souci était de bien préparer l'opinion, pour faire de la Résistance un phénomène de nasse. Une de ses premières préoccupations l'ut donc de remettre en route l'appareil technique nécessaire pour réaliser les tirages.

André Debon résidait, à ce moment-là, essentiellement à la ferme de sa mère, à la Baudonnière, en Saint-Laurent-de-Cuves. Coupé de la direction du Front National après les arrestations de mai, il avait reçu la visite de Jaouen, grâce à l'intervention d'Arsène Paris : le contact était retrouvé. En août, il avait fait connaissance, à Juvigny-le-Tertre, de Michel Tauzin, un comptable de la région parisienne, réfractaire au S.T.O. Mme Debon accepta de l'héberger dans la ferme ; André Debon le convainquit rapidement du bien-fondé de la résistance. et il se joignit à la lutte contre l'occupation allemande.

Le jeudi 16 septembre, les deux jeunes gens se rendent à pied à Gatheno, à travers champs. Le premier contact a lieu avec les époux Pedrelli, elle institutrice, lui maçon. Après une visite à Marius Delahaye en fin d'après-midi, c'est François Hilliou qui est réveillé, tard dans la soirée. Il possède une documentation composée de tracts récents du F.N., d'imprimés relatifs aux problèmes d'organisation et à la formation des groupes de trois, de directives de formation, etc.

En octobre, les nouvelles des opérations sur les différents fronts étaient bonnes : les Anglais sur la route de Rome en Italie, le débarquement allié en Corse, les armées soviétiques franchissant le Dniepr. Il n'est pas étonnant que. dans de telles conditions, les convocations de la classe 44, arrivées le 12 octobre, n'aient eu aucun succès. Les appelés refusèrent en bloc de signer l'accusé de réception de la convocation ; ce fut le cas de l'employé de la ferme de la Baudonnière, Henri Vaugrente, qui prit sa valise et disparut de la commune.

François Hilliou rencontra " Jules " à Saint-Laurent-de-Cuves le niercredi 20 octobre : la décision fut prise de confier à Michel Tauzin et André Debon " l'appareil technique " destiné à faire renaître la propagande locale de ',organisation. Michel Tauzin était familiarisé avec les machines à écrire, ronéos et stencils et il s'avéra être un excellent rédacteur : cette formation faisait de lui l'homme de la situation. Restait à résoudre le problème de la localisation du futur atelier de travail : il était difficile d'imaginer un lieu absolument sûr ; en effet, les perquisitions se multipliaient en raison de la faiblesse des réponses paysannes aux réquisitions. Le refus quasi général opposé par les jeunes aux convocations pour le S.T.O. ajoutait une raison supplémentaire de craindre les descentes de police intempestives.

Mise en place des moyens de tirage

Finalement, il fut décidé de creuser un abri dans une petite carrière, située en pleine campagne et dépendant de la ferme Debon. Là, pensait-on, Michel Tauzin pourrait assurer la production des tracts et journaux envisagés, bien à l'abri de toute indiscrétion.

Début novembre, en quelques jours, la cachette fut creusée par Debon et Tauzin, puis étayée sommairement pour éviter les risques d'éboulements.

Le matériel se trouvait alors chez Louis Bazin. à Saint-Michel-de-Montjoie, à un peu plus d'un kilomètre de l'Aubrière où habitait François Hilliou. Cette ferme hébergeait également les frères Roland et Marius Porée, Jules Richard et son épouse Eugénie (qui participa à des actions sur le terrain), avec lesquels " Jules " entretenait des rapports suivis. C'est Lucien Duclos, d'Avranches. qui, avec sa camionnette, assura le transport, dans la soirée du 24 novembre et Tauzin, sous les directives de " Jules ", se mit dès lors au travail. Pour donner le change, Tauzin continuait, comme auparavant, à participer dans la journée, aux travaux des fermes avoisinantes. Puis, chaque soir, il regagnait la caverne et, dans la nuit, tapait et ronéotypait les textes que " Jules " lui remettait deux ou trois fois par semaine. Avant leur diffusion, les exemplaires imprimés étaient transportés à Cuves, dans des valises déposées à l'arrêt du car, où un certain " M. Levesque en prenait livraison. Début décembre, pour limiter les intermédiaires, les valises furent déposées dans la gare désaffectée, à l'entrée du bourg de Cuves.

Michel Tauzin nous a précisé quelques détails de la vie qui fut la sienne pendant cette période :

" J'ai sous les yeux une photo de novembre 1943, qui me remet en mémoire un épisode mouvementé de notre activité clandestine. J'y suis photographié à l'entrée d'une grotte que nous venions de creuser, André et moi.

" Le mois de novembre avait été très pluvieux, et nous avions pataugé, presque chaque jour dans la boue, pour rejoindre, à partir de la ferme Debon, la carrière isolée dans les champs où, en une dizaine de jours, nous avions creusé une cachette d'une capacité suffisante pour m'y loger avec le matériel prévu pour la propagande du " Front National pour la Liberté et l'indépendance des Français " dans la Manche-Sud.

" L'entrée de cette carrière était située dans une dénivellation de terrain, et au-dessous d'un champ où on avait récemment étalé du fumier. La voûte de la grotte ne nous paraissait pas très stable et il avait fallu la consolider, ainsi que les parois, au moyen d'étais solides. Nos va-et-vient, plusieurs fois par jour, ne pouvaient pas passer inaperçus ; aussi avait-on persuadé les gens de la ferme et les voisins que. pour ne pas les compromettre. on installait un refuge pour moi, réfractaire au S.T.O., en cas de recherches policières.

" Dans les parois, nous avions aménagé quelques niches, en guise d'étagères, destinées à recevoir les fournitures prévues : papier, stencils, tubes d'encre ; au sol : un logement pour les caisses devant contenir machine à écrire et duplicateur.

" André avait confectionné une table de travail, sous la forme de planches assemblables, que je pourrai démonter aisément, une fois mon travail de duplication terminé : ayant caché toute trace d'activité clandestine, j'aurai alors la place de déplier le lit-cage où je me reposerai le reste de la nuit. Nous avons alors transporté à la caverne : le lit-cage, les éléments de la table démontable, un tabouret et une lampe à carbure. Une porte fut fixée à l'entrée, barrée d'un cadenas. Tout était prêt pour l'activité projetée.

" Le mercredi 24 novembre, à la tombée de la nuit, dans de violentes bourrasques de pluie, nous avons accueilli la camionnette sur la route de " Gourgou " à " Forien ", peu fréquentée et qu'on pouvait rejoindre de notre carrière sans approcher la moindre habitation.

" Par les prés gorgés d'eau, en plusieurs allées et venues, nous avons transporté les lourdes caisses jusqu'à la cachette, où une bouffée de chaleur nous surprit agréablement. " Jules ", écroulé de fatigue et de faim, s'affala sur une caisse. Pendant qu'André courait à la ferme lui confectionner un solide casse-croûte, je commençai à vider les caisses et à répartir dans les caches aménagées les rames de papier, les deux machines et les divers accessoires. Et le travail commença dès la semaine suivante. "

Fonctionnement

Ma production de tracts et de journaux clandestins ne pouvait se faire que la nuit car, dans la journée, pour ne pas éveiller les soupçons. je n'avais pas changé mes habitudes : à la ferme Debon et chez les voisins, je continuais à seconder les journaliers. Bûcheronnages, sciage de bois, confection de fagots (les bourrées), débroussaillage des talus, nettoyage des fossés. " étaupinage ", soins aux animaux, charrois, puis étalement du fumier. empierrement des chemins embourbés et autres travaux de saison m'absorbaient tout le jour. C'est seulement dans la nuit avancée que je pouvais m'attaquer à ma machine à écrire et à ma ronéo Gestetner, bien souvent jusqu'à deux heures du matin. Les dégagements de la lampe à carbure et les odeurs d'encre m'obligeaient à dormir en laissant la porte entrouverte, malgré les nuits glaciales de décembre.

" Quand " Jules " passait à la caverne, avec de nouveaux textes à reproduire, on travaillait bien au-delà de minuit. Ensuite, il restait là pour y dormir et moi, je regagnais discrètement la ferme, par les charrières boueuses, pour finir la nuit au fenil.

Plus tard, il m'apportera un sac de couchage et une canadienne de cuir, pour que mes nuits au grenier soient moins inconfortables. Bien sûr, toute cette période ne s'écoula pas à la planque sans quelques incidents : allumettes trop humides qui refusent de craquer, visite inattendue d'un voisin me surprenant au réveil voûte gorgée d'eau infiltrée qui se soulage goutte à goutte, petits éboulis qu'Un renforcement d'étayage ne retenait qu'à grand-peine.

" De notre grotte, il ne resterait rien... sans cette photo, où l'on voit un garçon de 22 ans, coiffé d'une casquette et vêtu d'un blouson sombre, sortant à mi-corps de sa cachette dont l'entrée est encadrée de solides madriers. Devant lui, un énorme tas de pierres provenant de nos travaux de creusement et, au-dessus de sa tête, cette masse sombre de caillasses et de terre mêlées qui devait, quelques mois plus tard, anéantir à jamais ce témoignage d'une période douloureuse, mais si riche d'activités exaltantes. "

Cette activité se poursuivit jusqu'à fin janvier. A ce moment, les éboulements s'aggravèrent en raison des infiltrations.

Le matériel d'imprimerie fut alors transféré chez Joseph Garnier, à Marcilly. Le transport fut assuré par Gustave Moulin, de Brécey, après avoir pris contact avec Dufresne, chef de gendarmerie : " Arrangez-vous pour que vos gendarmes ne se trouvent pas sur mon parcours. Ce n'est pas de la fraude, c'est pour un motif patriotique. " Le voyage se fit sans difficulté. Tauzin, installé dans une tourelle du château, y reprit son travail.

Toujours en contact avec " Jules ", les valises contenant les documents à diffuser, furent alors déposées à la Crècherie aux abords de la ferme de Martial Fouillard, et sous son contrôle.

Cette production fut assurée, dans ces conditions, jusqu'au début de mars où l'arrestation de " Jules " mit provisoirement fin aux tirages, faute d'approvisionnement en papier et dans l'attente de nouveaux contacts. Par précaution, le matériel fut déplacé encore une fois ; il fut momentanément caché chez Martial Fouilllard, avant d'être remis en service dans une grange attenant à la ferme d'Armand Lallemand, à Saint-Laurent-de-Cuves, au village de Forien.

Extension des groupes

Louis Pinson, alors Directeur du Cours Complémentaire de Brécey, participa auprès de " Jules " à l'extension des contacts :

" Vers la fin des vacances, Lucien Duclos passant à Brécey, m'annonça la visite d'un camarade qui, jusque-là, n'avait de liaisons qu'à Avranches.

" " Jules " arriva quelque temps après, se présentant comme un camarade connu pendant la guerre, en 1939-1940. On discuta de l'organisation des groupes et des camarades que je pouvais lui faire connaître.

" Un bâtiment à usage de garage, séparé des classes, avait une fenêtre donnant sur le chemin du Fonteny. Il fut convenu que les tracts et les journaux

seraient déposés là, par le " convoyeur ". Celui-ci, sans jamais rencontrer les Résistants, connaissait les contacts de " Jules " et pourrait le remplacer, en cas d'arrestation. Les livraisons régulières durèrent jusqu'en mai 1944. Une école n'était pas le meilleur endroit pour loger des clandestins, en raison de la présence d'élèves, de quelques pensionnaires et du personnel. Aussi, après la seconde visite, je conduisis " Jules " au Pont-Roulland où Gustave Moulain était prêt à aider la Résistance. Il accepta de l'héberger à chaque passage. " Jules " et moi étions un peu inquiets de voir tant de gens réunis : M. et M- Moulin, deux grand-mères, le fils Maurice (15 ans), Angèle Marguerite. l'employée et, parfois, un journalier, Auguste. Mais Gustave nous dit : " ici, personne ne parlera, quoi-qu'il arrive " - ce que les événements confirmèrent.

" Par la suite, " Jules " (Léon Pinel), " Émile " (René Berjon) et " Raoul " (Saintellier) y séjournèrent régulièrement. Ils trouvaient un accueil chaleureux, une bonne table et logeaient dans une deuxième maison, à l'écart de la ferme.

" L'école privée Saint-Michel étant occupée depuis l'été 1943. sans aucune possibilité de trouver des locaux de remplacement. je proposai à l'administration académique et au Directeur de l'école privée la solution suivante : quatre heures de classe dans nos locaux, tous les matins pour l'école publique et tous les après-midi pour l'école privée. Cette solution me permit ainsi de me libérer pour seconder " Jules ". A Sourdeval et Mortain, je tentai de prendre des contacts. Venu avant-guerre de Granville, pour mettre sur pied la première section syndicale ouvrière, j'avais rencontré Montécot mais il n'habitait plus là. A Mortain, les Tyrel, gérants de " la Ruche ", étaient repartis vers Abbeville. Un Espagnol, travaillant à la mine avant guerre, avait également quitté la région. Et, à cette époque, je ne connaissais ni Gombert, ni Eugène Hamel, ni Roger Bertrand. A Brouains, je contactai un collègue, Bourguet : il avait déjà été emprisonné pour détention d'armes et ne désirait pas se " mouiller ".

" J'eus plus de succès en indiquant à " Jules " l'adresse de Jean Lamotte, instituteur à Airel, et celle d'Amouriaux à Saint-Jean-le-Thomas, un jardinier que mon frère connaissait. "

" En novembre, j'accompagnai " Jules " à Saint-Hilaire, ches les Blouet. Je connaissais Louis Blouet depuis l'École Primaire Supérieure de Granville et son épouse Madeleine, depuis son arrivée dans la Manche, en 1938. "

" Louis Blouet gérait une entreprise de plomberie et Madeleine était Directrice du Cours Complémentaire de filles. Ils cherchaient, de leur côté, un contact organisé, ayant en puissance les éléments d'un groupe en formation. En effet, ils étaient en rapport avec Félix L'Huissier, restaurateur, qui abritait des réunions de résistants locaux. Il y avait notamment un jeune pompier de Paris, Jacques Navier, qui résidait chez Louis Levesque à Chèvreville, depuis l'automne 1943. Des contacts existaient avec Etienvre (Jérôme), instituteur à Saint-Martin-de-Landelles, membre du mouvement " Libération-Nord ".

" D'autre part, nous avons vu que Charles Ruault, de son côté, avait formé un groupe depuis novembre 1942. Il se trouvait alors pratiquement coupe (le Lamanilève. "

" Tous ces éléments convergèrent et le groupe F.T.P.F. de Saint-Hilaire se constitua autour de Louis Blouet. il se souvient que, quelques semaines plus tard, il vint à Brécey et repartit les sacoches de son vélo bourrées de tracts. Place de la Mairie, sans mauvaise intention, un soldat allemand le heurta. Blouet tomba de bicyclette et les tracts s'étalèrent. L'Allemand s'excusa et l'aida à ramasser tous ces papiers épars ! "

" Nous l'avons déjà indiqué, la bicyclette fut, pendant l'occupation, le moyen de transport le plus efficace, qu'il s'agisse d'assurer le ravitaillement ou d'établir des contacts entre les groupes. "

" Au début de février 1944, lors de l'arrestation de Jean Turmeau, le vélo de " Jules " se trouvait chez Louis Renault, rue des Fossés à Avranches. S'il allait le reprendre lui-même, il risquait de tomber dans une " souricière " tendue par les polices allemande et française. Me rendant à Avranches, je récupérai la bicyclette dans la cour de Louis Renault, pour la remettre chez Gustave Moulin où " Jules la reprit sans risques. C'est ainsi que j'appris que Renault était dans le groupe d'Avranches, mais je ne rencontrai Georges Lourdais, son voisin, que lorsqu'il se réfugia à Tirepied, après les bombardements d'Avranches, le 7 juin 1944. "

" Avant-guerre, " Jules ", cyclotouriste à la F.S.G.T. (Fédération Sportive et Gymnique du Travail) disposait d'un excellent vélo. En 1943, il en avait un de qualité médiocre. Un soir, il arriva à l'école de Brécey avec une bicyclette neuve ! C'était un " cadeau " des cheminots de Saint-Lô qui, ayant repéré un habitué du marché noir, subtilisèrent la bicyclette de celui-ci... au profit de " Jules ".

" Je changeai la selle, le guidon, la peinture ; puis " Jules " reprit son engin de cyclotourisme au Pont-Roulland, chez Gustave Moulin. Et, en 1975, Rihouey, chef de district à la S.N.C.F. m'apprit qu'il avait sorti lui-même ce vélo de la gare de Saint-Lô. "

Gustave Moulin, de Brécey, connaissait beaucoup de monde. il fit connaître à " Jules " l'instituteur de Coulouvray, Louis Juhué, qui fut rattaché à l'organisation qu'Arsène Paris avait mise en place dans les communes de cette région. Secrétaire de mairie. Louis Juhué pouvait fournir un certain nombre de cartes d'alimentation aux Résistants et réfractaires et établir de fausses cartes d'identité.

" Jules " fut également mis en relation, par Gustave Moulin, avec Joseph Garnier, résidant dans un vieux château à Marcilly et qui avait des contacts avec lorganisation " Libération-Nord ". Une série de nouveaux rapports dans la région s'ensuivit, notamment avec Martial Fouinard, cultivateur à Marcilly, et Georges Dubois, instituteur à Saint-Ovin. Toutes ces adhésions allaient se révéler extrêmement utiles par la suite. Elles constituaient autant de nouveaux centres de diffusion de la propagande par tracts et périodiques, systématique-ment ronéotypés par Michel Tauzin.

Bien entendu, " Jules " continuait à faire le tour des groupes déjà existants : Gathemo, Champ-du-Boult (par Hilliou), Montjoie, Saint-Laurent, Coulouvray (par Arsène Paris), Sourdeval (par Irène Aumont), Villedieu (par Le Cann). Il était hébergé chez Paul Hamel à l'école de Saint-Brice, à Avranches, chez M°'° Jehan, Feuillet ou Renault, à Brécey chez Pinson ou Moulin. A Saint-Jean-le-Thomas, il visitait régulièrement le jardinier Amouriaux ; à Bouillon, il voyait Thomann, à Carolles-Bouillon, le cheminot Roussel, et à Saint-Pair, il avait le contact avec un menuisier propriétaire d'un café, ainsi qu'avec un postier de Granville, tous les deux ayant des rapports avec l'O.C.M. de Granville (anciens membres du groupe Francolon).

Ce développement des relations devait aboutir à la mise sur pied d'une trentaine de groupes. dont certains étaient constitués de quelques personnes seulement qui se limitaient à la diffusion de la presse dans leur entourage et à de petites actions. Par contre, certains de ces groupes engagèrent. fin 43 et début 44, des actions de sabotage, grâce à la constitution de noyaux F.T.P.F. armés : Avranches et Saint-Sever, sous l'impulsion de Jean Turmeau

Montjoie, Saint-Laurent. Saint-Pois et Gathemo, Champ-du-Boult, appuyés sur le maquis Guillaume-le-Conquérant de la région de Vire, dans le sud-ouest du Calvados.

Dans la Manche, il ne s'agissait en aucune manière de maquis, mais de groupes d'hommes dont la plupart conservaient leurs occupations quotidiennes (granitiers, fonctionnaires, paysans, peintres, plombiers, mécaniciens, etc.) ; le reste étant constitué par l'apport des réfractaires, clandestins, ou de quelques résistants d'autres régions qui, recherchés, avaient dû fuir leur résidence habituelle. II n'existait pas de concentration permanente de plus de deux ou trois hommes. Les groupes se formaient pour chaque coup de main ou chaque tâche qui nécessitait une action collective.

D'autre part, il n'était pas question, surtout à cette époque, d'engager de quelconques combats, sauf impossibilité de faire autrement ; mais seulement de saboter la machine de guerre, inquiéter l'occupant, saper le moral de ses troupes. Cette tactique désarçonnait les policiers allemands qui avaient beaucoup de difficulté à discerner d'où venaient les coups et hésitaient à identifier de paisibles travailleurs à des " terroristes " chevronnés. Ceci explique que les pertes de la Résistance ont été relativement faibles, et que le bilan de l'action reste, dans ces conditions, largement positif.

Constitution du C.N.R.

Le milieu de l'année 1943 marque le couronnement des efforts de Jean Moulin pour unifier la Résistance sur le plan national. C'est ainsi que, le 27 mai. les représentants de huit mouvements de Résistance et de six partis politiques se rencontrent et décident de s'unir dans le Conseil National de la Résistance (C.N.R.).

Le C.N.R. constitue un bureau permanent de cinq membres dont la première tâche est de rédiger son programme. Ensuite, le bureau porte ses efforts en direction de la formation de comités départementaux de Libération, regroupant, dans chaque département les organisations locales de résistance.

Une commission militaire, appelée le COMAC, est composée de trois membres : Villon, du Front National, Kriegel-Valrimont des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) et de Vogue (C.D.L.R.: " Ceux de la Résistance ").

Le C.N.R. devient alors l'interlocuteur reconnu auprès du Général de Gaulle, de la France Libre et des États-Majors alliés. En septembre 1943, une délégation militaire nationale est créée et des délégués militaires régionaux sont nommés par l'administration de de Gaulle. La Manche appartenait à la région M qui comptait 13 départements : 4 de Normandie (la Seine-Inférieure étant rattachée à Amiens, en prévision de la coupure des ponts sur la Seine), 5 de Bretagne, la Sarthe, la Mayenne. le Maine-et-Loire et la Vendée.

Dans la région, le D.M.R. désigné est Valentin Abeille qui entre en fonction en novembre 1943. il préconise la mise en place d'équipes d'action immédiate ; il donne en exemple le Front National qui " tient ses troupes en haleine en leur faisant exécuter, dès à présent. des sabotages, des escarmouches sans grande valeur stratégique, mais qui suscitent chez l'adversaire un sentiment d'insécurité et donnent de l'allant aux combattants ".

Dans les conditions où nous nous trouvions dans la Manche, après la vague d'arrestations de mai 1943, les contacts étaient difficiles entre le Front National et les autres organisations départementales représentatives. l'O.C.M. et Libé-Nord, et l'unification effective n'interviendra qu'en mars 1944 sur le plan départemental.

Vers l'unification dans la Manche

Par contre, sur le plan local, les collaborations entre membres de réseaux différents, qui avaient déjà plus ou moins existé occasionnellement vont devenir plus systématiques. C'est vrai, en particulier, à Avranches où les trois organisations étant implantées, on verra Renault (Front National) agir souvent en commun avec Lucas (Libération-Nord), et Tabur (O.C.M.). A certains moments, le groupe de Sainte-Pience est composé d'éléments appartenant en fait aux trois organisations. A Saint-Hilaire. si l'essentiel est d'origine F.T.P.F., il y a plusieurs membres venant de Libération-Nord. A partir de la t'in de 1943, l'action des différents groupes a tendance à se fondre davantage dans une action unifiée. 'l'outefois l'action armée et les actes de sabotage sont, pour l'essentiel, réalisés par des groupes F.T.P.F. entraînés à cet effet par des cadres aguerris de cette organisation.

3 – Les déraillements

L'action du groupe " Charles Tillon " d'Avranches (décembre 1943)

Entre-temps. la situation avait évolué à Avranches, par la constitution d'un groupe (groupe Charles Tillon) spécialisé en sabotages et actions militaires sous la direction de Jean Turmeau, qui était entré en fonctions le 23 novembre. La première tâche de Jean Turmeau avait été de former le groupe d'Avranches puis sa responsabilité militaire s'étendit au département de la Manche, " Jules devant régler, de son côté, les problèmes d'organisation des groupes, les questions techniques et la propagande.

Louis Renault s'était occupé du recrutement. Il veilla à s'entourer d'hommes solides et réalistes : son voisin, le peintre Georges Lourdais qu'il connaissait bien et qu'il appréciait pour son tempérament volontaire et audacieux, Louis Morazin, un couvreur et Jacques Mansuy, contremaître, dont le patron était lui-même un résistant du groupe Lerouxel.

En novembre 1943, l'équipe d'Avranches se prépare aux actions de sabotage. Jean Turmeau apporte au groupe toute l'expérience acquise dans des opérations similaires déjà réalisées par lui en Ille-et-Vilaine, tant pour le matériel que pour les techniques à utiliser.

Un des objectifs principaux visés par Turmeau et le groupe était la destruction des moyens de transport de l'ennemi, en particulier les voies ferrées. En l'absence d'explosifs et d'armement en quantité suffisante (le groupe disposait d'une seule mitraillette), la technique la plus sûre était la suivante : choisir une courbe aussi accentuée que possible sur la voie ferrée, déboulonner les éclisses à l'entrée de la courbe, écarter les rails ainsi libérés.

Jean Turmeau avait bénéficié de la formation des cadres F.T.P.F. et avait été bien initié au maniement des armes, des explosifs et des techniques de sabotage. Les directives pour réussir un déraillement lui étaient familières. Elles concernaient essentiellement :

1 – les dispositions de garde : au moins deux hommes, à 150 m de chaque côté de l'opération et. si possible, un troisième au centre ;

2 – le déboulonnage, avec une clef à tire-fonds, ou mieux deux clefs pour déboulonner les éclisses et les boulons des rails. Un fil de fer de trois mètres de long était attaché préalablement aux deux rails. Les boulons intérieurs étaient enlevés, les boulons extérieurs seulement débloqués sur une longueur de 8 à 12 m, selon le type de rail ;

3 – le ripage, avec le fil de fer et le levier ; l'opération de ripage était très rapide.

Si ces dispositions sont observées, le convoi va inexorablement au remblai.

Le succès est certain et nous verrons plus loin que cette technique devait se révéler, en effet, très efficace, l'idéal étant un déraillement dans une tranchée, la plus profonde possible, en courbe à gauche afin que le convoi déraillé poursuive sa route en ligne droite (les chemins de fer français roulent à gauche), démolissant ainsi l'autre voie et l'obstruant pour interdire la circulation dans les deux sens.

Déraillement de la Croix-Verte

Un système de renseignements sur les horaires des trains et la nature des convois est mis au point, avec le concours de camarades cheminots et le premier déraillement du groupe d'Avranches est préparé pour le 25 décembre. La naissance d'une fillette au foyer Lourdais intervient ce même jour et le déraillement est reporté d'une semaine. Il aura lieu dans la nuit du 31 décembre 1943 au 1er janvier 1944.

Louis Renault se souvient des détails de cette première action :

" Un peu après huit heures du soir, nous nous sommes retrouvés tous les six aux Mares et nous avons descendu la " Croix-Verte ". Il y avait aussi Duclos. Nous marchions en silence. D'ailleurs, nous n'avions pas besoin de nous parler. Tout avait été étudié à l'avance : le plan des lieux, le trajet ; les consignes avaient été données et chacun savait exactement ce qu'il avait à faire.

" Arrivés sur les lieux, Morazin et moi montions la garde munis des deux seules armes que nous possédions à ce moment-là (une mitraillette et un colt), tandis que les trois autres se mettaient à dévisser les tire-fonds, pour enlever les éclisses. C'est Duclos - celui qui avait fabriqué la clé - qui l'essaya sur le premier tire-fond. Et voilà qu'un train de voyageurs, sans doute en retard, apparut. Il y eut une minute d'émotion ; mais " Alfred " nous rassura, l'éclisse étant encore en place. Le train passa sans dommages, à notre grand soulagement.

" L'éclisse fut alors enlevée, les rails ripés. Et nous sonnes rentrés par le même chemin. "

Le lendemain matin, à 8 h 45, une locomotive et trois wagons de ravitaillement allemands sortirent du rail et furent détruits. Le mécanicien s'en tira avec une blessure. Tabac, saucissons et denrées diverses étaient éparpillés tout autour ! Les voies restèrent inutilisables pendant quatre jours.

Recrutement, organisation à Avranches et Sainte-Pience

Pendant ce temps, d'autres membres sont recrutés : Jean Turmeau avait fait la connaissance des cousins Davy (Alphonse et Fernand) qui s'étaient déjà fait remarquer à Pontorson et étaient obligés de changer de résidence. Le 25 octobre, ils sont affectés à un groupe en constitution à Sainte-Pience, sous la direction d'Émile Cuny, membre de Libération-Nord, mais qui avait été membre du " Front National " lors d'une résidence antérieure, à Saint-Pois. Ils y arrivent le 2 novembre.

Sur l'initiative de Jean Vauzelle (Libé-Nord), jeune réfugié venant des Mureaux (Seine-et-Oise), Émile Cuny est maintenant " jardinier ". ainsi que son fils Jacques, au château de Sainte-Pience, propriété de M. et Mme Plaut.

D'autre part, le propriétaire Henri Plaut, également de Libé-Nord, a mis à la disposition d'Emile Cuny un pavillon de chasse pour héberger résistants et réfractaires. C'est là que les deux Davy sont logés. Une collaboration de fait existe donc entre Libé-Nord et les F.T.P.F. à Sainte-Pience.

Le dirigeant avranchin de Libé-Nord, Désiré Lerouxel, veille à ce que le " maquis de Sainte-Pience ne manque de rien, et assure tout le ravitaillement, avec l'aide de Marcel Lucas qui, disposant d'une pièce, y entrepose vivres, vêtements, chaussures et médicaments, ainsi que les explosifs et le matériel de sabotage fournis par l'entrepreneur de carrières Louis Legros, employeur de Mansuy. Les médicaments sont fournis par la pharmacie Burgot ; M. Herpin, négociant au Parc. se charge de collecter les vivres ".

M. et Mme Roger Danjou, de Braffais, participent aussi au ravitaillement et procurent des tickets d'alimentation. Mme Chenu, restauratrice, reçoit " Alfred " (Jean Turmeau) lors de ses passages.

A Avranches même, le groupe F.T.P.F. s'agrandit autour de Lourdais par l'adhésion de trois membres nouveaux : Bernard Lebœuf qui vient du groupe autonome " Valmy " dont nous avons parlé, Victor Fleury, de Tirepied et René Blandin, du Grand-Celland.

Autour de Louis Renault, s'organise un groupe dont l'activité va s'orienter vers la fabrication et la diffusion de faux papiers. Il est composé de : Paul Hamel, comptable au Trésor, résidant à Saint-Brice, André Hay, employé au barrage de Vezins, beau-frère de Renault, Marc Feuillet, employé chez l'épicier Bourdon qui, lui, était un collaborateur notoire à Avranches.

Paul Hamel continue, avec l'aide de sa femme, son activité antérieure : fabrication de faux cachets, pour établir de fausses cartes d'identité, des certificats de recensement et fourniture de tickets d'alimentation aux réfractaires et aux résistants locaux. Il est, maintenant, rattaché au groupe Renault. Son domicile, à l'écart de la ville, constitue un lieu de réunions clandestines bien adapté.

André Hay, le quatrième membre du groupe, travaille au barrage de Vezins, pour les " Forces Motrices de la Sélune ". Sa connaissance du barrage et de ses installations sera précieuse.

Cette activité, engagée dans le courant de l'été 1943, se développe par l'adjonction de Bernard Priolet à ce groupe - clerc de notaire et déjà réfractaire au S.T.O.. il vient de recevoir une deuxième convocation. Feuillet du F.N. et Marcel Tabur (de l'O.C.M.), lui conseillent de s'y rendre tout en continuant à travailler avec la résistance avranchinaise.

Priolet accepte et est affecté à Saint-Lô, au Commissariat à la main-d'œuvre. Il assure ses fonctions pendant trois mois, se sentant surveillé, il réussit à se faire réformer grâce à un certificat médical de complaisance. Le groupe s'adjoint aussi le concours de François Doré, natif de Aucey qui, employé au Génie Rural, également à Saint-Lô, aide Priolet à fournir les faux papiers. C'est effectivement une quantité considérable de fausses pièces qui sera ainsi transmise : cartes d'identité, cartes de travail, certificats d'emploi et d'inaptitude au travail. De très nombreux réfractaires et résistants de la Manche-Sud ont pu bénéficier de cette organisation.

En janvier 1944. Feuillet et Priolet parviendront même à subtiliser des cachets officiels du Commissariat à la main-d'œuvre dont avait besoin Jean Turmeau.

Laissons la parole à Marc Feuillet : " Nous sommes partis pour Saint-Lô. Priolet et moi. Là-bas, nous avons invité à déjeuner un certain Julienne, Directeur adjoint au Commissariat à la main-d'œuvre. Priolet connaissait bien cet ardent germanophile, pour avoir travaillé sous ses ordres plusieurs semaines. Il connaissait sa méfiance et sa manie de toujours garder ses cachets dans la serviette de cuir qu'il avait constamment avec lui. En fin de repas, Priolet a réussi à détourner l'attention de Julienne et j'ai pu, pendant ce temps-là, subtiliser le tampon-cachet du C.G.I.M.O. (Commissariat Général Interministériel à la Main-d'œuvre).

" Ensuite, nous nous sommes rendus rue Torteron, à la permanence du P.P.F., en nous présentant comme de possibles volontaires pour l'Allemagne, demandant les conditions, etc. Profitant d'un moment d'inattention de l'employé, nous lui avons " embarqué " des feuilles à en-tête du parti, timbrées du cachet V.Y.F. - L'employé nous a ensuite donné un bon de transport gratuit pour que nous puissions rentrer à Avranches !... "

Morazin forme également un groupe, plus proche des questions matérielles, des problèmes difficiles d'hébergement et de transport, avec le concours d'Albertine Jehan et du camionneur Lucien Duclos qui apporta, tout au long de cette période, une aide précieuse.

Quant à Jacques Mansuy, il s'entoure également d'hommes fiables. D'une part, il engage des rapports avec Raymond Chivet, que Duclos avait présenté à Turmeau. Raymond Chivet est membre du réseau " Jade ", dans le cadre du mouvement Résistance-P.T.T. Spécialiste des câbles téléphoniques et de télé-communications à grande distance, il est arrivé à Avranches en octobre 1942, en provenance de Vierzon. Il s'était déjà signalé par son patriotisme en juin 1940. passant deux circuits sur Londres à partir du centre d'amplification de Boulogne. avant son investissement par les Allemands. Grâce à ces deux câbles, la communication fut maintenue pendant trois jours entre Dunkerque et Londres, ce qui dut faciliter considérablement l'évacuation de Dunkerque. A Avranches, il assure la direction du Centre d'amplification du câble téléphonique Caen-Rennes.

Par l'intermédiaire de son mouvement, Chivet avait une liaison avec Londres. En décembre, avec Turmeau, il est allé reconnaître les sites propres au sabotage des câbles souterrains à Pontaubault, route de Villedieu et route de Granville. Une reconnaissance des câbles aériens qui aboutissent au standard L.S.G.D. est également effectuée et un point de coupure générale est repéré à 50 mètres du Centre. Les deux hommes conviennent que les coupures seront à réaliser par les groupes F.T.P.F., au jour " J ".

D'autre part, Mansuy obtient l'adhésion de Jack Blouet, Juge d'Instruction d'Avranches. Par sa fonction, ce magistrat, qui a déjà rendu des services à la Résistance, va s'avérer très précieux. Mansuy garde également des liens étroits avec Alphonse Davy et son cousin Fernand qui résident toujours à Sainte-Pience. Il s'adjoint enfin un résistant et évadé de la prison de Dinan, Gaston Lebarbier, jadis condamné à mort. A son retour d'Indochine, en 1946, ce résistant, originaire de Pontorson, totalisait neuf citations !

Poursuite des actions de sabotage (janv. 1944)

Après celui de la Croix-Verte, un deuxième déraillement est décidé précédé d'une reconnaissance des lieux. Il aura lieu le 5 janvier 1944, au niveau de la commune de Marcey, en direction de Lolif, à environ deux kilomètres du Pont-Corbet, au village de la Fauvellière. Mettant à profit la première expérience, le rendez-vous est fixé à une heure plus tard, soit 22 h, nettement après le passage du dernier train de voyageurs. Deux hommes montent la garde pendant que les autres exécutent le travail de déboulonnage, déjà devenu une opération plus habituelle.

Le résultat sera le suivant : une locomotive et ses 51 wagons vides sont sur le flanc, en piteux état. et les deux voies sont arrachées sur 150 mètres. Le trafic ferroviaire sera interrompu pendant trois jours, dans les deux sens. Le mécanicien et le chauffeur sont sortis sans dommage de cette affaire.

Le lendemain, les Avranchinais se déplacèrent en grand nombre pour aller constater les dégâts, car la nouvelle avait couru comme une traînée de poudre. Ils pouvaient voir les Allemands faire dégager les voies à l'aide d'une grue sur rails. En démontrant qu'il était possible, même avec de petits moyens, d'atteindre la machine de guerre allemande, les F.T.P.F. d'Avranches ont rapidement permis de rendre crédible l'activité de la Résistance et de fortifier la confiance de tous en la victoire finale.

Ce récit de Mme Lourdais nous rappelle, s'il en était besoin, que le danger quittait rarement les résistants et qu'il les suivait souvent jusqu'à la maison :

Un soir, Jean Turmeau expliquait à mon mari le fonctionnement d'une mitraillette. L'arme était démontée sur la table. Le logement était à l'étage, le rez-de-chaussée servant de magasin de vente. Il y avait - il y a toujours - une cave au sous-sol. La trappe d'accès était si lourde que je n'aurais pu la soulever : aussi, elle restait constamment levée. Les enfants et moi-même, bien habitués, nous ne risquions pas de tomber.

Alors que Georges, mon mari, et Jean Turmeau étaient occupés à monter et démonter la mitraillette, des feldgendarmes en patrouille estimèrent qu'il y avait un rai de lumière trop visible. Depuis 1940, le camouflage de l'éclairage devait être total.

" Ils frappent à la porte et entrent, s'avancent dans le couloir obscur et... tombent dans la trappe. Hurlements... J'arrive, j'explique et ils partent en maugréant, mais sans pousser plus loin la visite du domicile. "

A la suite de ces premiers déraillements, Von Pasquali, chef de la Kommandantur locale, avait décidé de faire désormais garder les voies de chemin de fer aux environs d'Avranches par des civils requis à cet effet.

Cette initiative ne découragea pas pour autant Turmeau et son groupe, mais elle allait néanmoins compliquer leur tâche. Ils décideront de porter les masques pour éviter d'être reconnus et d'engager les gardes-voies à ne pas s'opposer à leurs sabotages : ils devront les convaincre de se laisser ligoter à moins de les y contraindre.

Sabotage de l'usine de Vezins

A Vezins, un barrage sur la Sélune, achevé en 1932. alimente une usine hydro-électrique, la seule de cette importance dans la Manche. Elle fournit du courant à toute la région, jusqu'à Saint-Lô, Rennes et Fougères, en même temps qu'elle alimente l'Arsenal de Cherbourg. C'est un objectif important de la machine de guerre. Le Directeur des Forces Motrices de la Sélune est Bildstein, Alsacien d'origine, qui entretient de " bons " rapports avec Pasquali.

Par contre, le Directeur de l'usine de Vezins est favorable à la Résistance. André Hay, son employé, a toutes facilités pour entrer et sortir de l'usine dont il connaît tous les organes.

Il est décidé d'immobiliser les quatre transformateurs de 65.000 et 35.000 volts, en agissant aussi sur les réservoirs d'huile. Une première expédition est organisée le 15 janvier 1944, avec la participation de Jacques Mansuy, Gaston Lebarbier et les deux Davy. Dans la descente rocailleuse vers l'usine, une chute malencontreuse déclenche une détonation (le l'arme de Fernand Davy. Il faut faire demi-tour, après avoir coupé les fils téléphoniques de l'usine. [opération est reportée au 19 janvier. Elle sera l'œuvre de Fernand Davy, assisté de André Hay, avec la participation de deux camarades F.T.P.F. de Flers, déjà familiarisés avec les explosifs. Les charges de plastic sont toutes prêtes, avec détonateurs et cordons. Elles sont rapidement posées, puis allumées.

L'explosion réussie rendra les transformateurs inutilisables pour longtemps, éliminant toute possibilité de fourniture de courant aux multiples chantiers du " Mur de l'Atlantique ", qui fonctionnaient en Ille-et-Vilaine, Manche et Calvados. Environ 20 tonnes d'huile, denrée précieuse, sont répandues et perdues. Le communiqué F.T.P.F. (rapport d'activité de la Manche, pour décembre et janvier) est précis : " Les matricules 2002 et 2004 et 2 F.T.P.F. ont mis hors d'état de marche deux transformateurs de 65 KV et cieux autres de 30 KV, au barrage de Ve,.ins, gardé par plus de vingt Allemands. Ce barrage alimentait le Sud de la Manche, Saint-Brieuc et Saint-Lô. " (Les matricules 2002 et 2004 étaient originaires de Flets et les deux F.T.P.F. étaient Davy et Hay).

André Mazeline signale cette action au bénéfice des F.T.P.F. de Flers (La Résistance dans l'Orne, p. 29) : " Destruction de l'importante centrale hydro-électrique de Ducey (près d'Avranches), par sabotage h l'explosif de quatre transformateurs et incendie. Cette opération délicate, très habilement et audacieusement conduite, en collaboration avec une équipe F.T.P.F., de la Manche, est couronnée d'un succès complet. "

Premiers déraillements sur Paris-Granville (déc. 1943)

Mme Jehan trouve qu' " Alfred " voyage beaucoup. C'est vrai. Il a divers contacts dans le département et il ne limite pas son activité à la région d'Avranches. Au cours de ses randonnées dans les groupes, il a composé d'autres équipes. A Saint-Sever, sur les indications de Renault, il a fait la connaissance de Roger Colace et André Blouet. A Saint-Michel-de-Montjoie. il a aussi recruté Marius Porée et Jules Richard, qui sont également des F.T.P.F. endurcis.

C'est avec tous ces hommes qu'il réalise les déraillements sur la ligne Paris-Granville, dans la Manche, en y adjoignant, à l'occasion, les frères Davy, Érnile Cuny et Jacques Cuny, Sainte-Pience étant proche de la ligne.

Le premier déraillement a lieu le 5 décembre, vers 4 h, dans la commune de Tanu, voisine de Folligny, au lieu-dit " La Mare Giffard ". Là aussi, il a fallu neutraliser les gardes-voies. La technique utilisée est le déboulonnage, comme à Avranches. Le train déraille : il est constitué d'une locomotive avec douze wagons qui sont détruits ; les voies seront inutilisables pendant 48 heures. Ce jour-là, malheureusement, on a déploré la mort du mécanicien, écrasé sous les décombres.

Venus de Sainte-Pience à bicyclette, les deux cousins Davy étaient sur place au Tanu à deux heures du matin : " Nous avons attendu jusqu'à quatre heures, nous sommes rentrés à bicyclette et, pendant le retour, nous entendions les explosions qui se prolongeaient, les lueurs faisant penser à un feu d'artifice ".

Les archives allemandes font état de ce déraillement, à la date du 3-12-1943, en ces termes : " Attaque d'un train de marchandises entre Folligny et Villedieu, par cinq bandits armés. Gardiens faits prisonniers. Gros dégâts.

Avaient participé à cette opération en plus des deux Davy : Jean Turneau. " Jules " et Richard.

Le second déraillement est programmé le 9 décembre, encore à 4 h du matin. mais à Sainte-Cécile, au Pont de la Cavée, c'est-à-dire au-delà de Villedieu. D'après les rapports de la S.N.C.F., la locomotive est sur le flanc, ainsi que huit wagons de marchandises : les autres wagons sont simplement hors des rails. L'immobilisation des voies a duré 26 heures. Le nombre des Allemands tués se monte à 21. Curieusement, les Archives allemandes font état de deux actions, ce même jour :

" 9 décembre 1943 :.Sabotage de la voie ferrée Flers-Granville, près de

Folligny. "

" 9 décembre 1943 : Attaque d'un train de marchandises près de Villedieu. Gardiens de voie ligotés : 15 wagons déraillés. "

C'est probablement parce qu'un deuxième train est venu s'encastrer dans le précédent. Sabotage ou accident, le matériel de levage avait cédé et les wagons soulevés par grue tombèrent... juste alors qu'arrivait le deuxième train.

S'agissant peut-être d'un accident d'ordre technique, les Allemands préfèrent l'imputer aux " terroristes ". D'où, également, le désaccord des historiens (2 ou 21 victimes).

Dans les archives F.T.P.F. figure un rapport d'activité de la Manche, pour décembre et janvier, où on peut lire : " La grue déblayant le déraillement du 9 s'est renversée et a été endommagée. "

L'action armée des F.T.P.F. (fin 1943 - début 1944)

Ce mois de décembre 1943 marque un durcissement considérable de la lutte armée notamment par les F.T.P.F.

Dans son tome VI (page 235) Amouroux indique : " D'après Soustelle, bien placé pour recenser les actions, ce sont 220 coups de main qui, durant le mois de décembre, ont lieu contre le système ferroviaire. " une liste des actions est donnée à la suite de cette information.

Au début de 1943, l'attaque des voies ferrées par l'aviation alliée fait beaucoup de victimes parmi le personnel roulant et, en outre, les Allemands utilisent des civils comme otages sur les trains. Les sabotages des voies ferrées par les Résistants s'avèreront plus efficaces et moins meurtriers que les mitraillages par l'aviation.

Ce développement de la lutte armée contre l'occupant va encore s'accentuer considérablement début 1944, comme en témoignent ces chiffres tirés d'un rapport de police de source allemande.

Dans " Libération de la Bretagne ", Marchel Baudot souligne :

" L'offensive permanente fut la tactique incessante du Front National et des F.T.P.F. Rien n'était plus démoralisant pour l'adversaire ainsi harcelé de tous côtés, sans pouvoir, la plupart du temps, découvrir les agresseurs. "

Nouveaux déraillements sur Paris-Granville (janvier 1944)

Le 8 janvier 1944. Louis Pinson avait rendez-vous avec " Jules ", au Grippon. près de La Haye-Pesnel :

" Nous devions aller à Granville prendre des contacts, pour obtenir des renseignements sur les mouvements de trains. " Jules " n'était pas au rendez-vous (7). Je décidai de continuer à bicyclette, tout en m'assurant que je n'étais pas suivi.

" Louis Blouet m'avait donné l'adresse d'un de ses amis ; il était absent. Je connaissais un cadre S.N.C.F. ; j'allai le voir le dimanche matin. Il refusa de nous aider et se lança dans une longue palabre anti-F.T.P.F.

" Pour rencontrer Marland en toute sécurité, Albert Colin, mon ancien instituteur, alla le chercher et le rendez-vous eut lieu à l'école Jules-Ferry, en vue de coordonner l'action de Marland et celle du F.N. Entre-temps, je rendis visite à Jules Desmonts qui nie dit : " Je ne vous promets rien, mais je crois que je peux vous faire avoir les renseignements très rapidement ". "

Le 11 janvier, Jean Turmeau organisa ce nouveau déraillement, cette fois à Saint-Aubin-des-Bois (entre Villedieu et Saint-Sever), avec des F.T.P.F. de Saint-Sever et Champ-du-Boult.

" André Plantagenet, de Donville, conduisait ce train de marchandises : le convoi s'étant couché sur le remblai, il fut blessé et brûlé au bras ; à chaque visite chez lui, il nous montrait la photo agrandie de sa " loco " pratiquement hors d'usage. "

(Témoignage de ses cousins. M. et Mme Ch. Piquois, d'Avranches).

Y participèrent, avec Jean Turmeau : Marius porée, de Saint-Miche Montjoie ; Jules Richard, de Hamhye, mais à ce moment, à Saint-Michel Montjoie : André Blouet, de Saint-Sever ; Roger Colace, de Saint-Sever ; Alphonse Davy, du groupe de Sainte-Pience.

Le train complet. locomotive et douze wagons, fut renversé. C'était un chargement de charbon (Archives allemandes : " 11-1-1944: Sabotage voie ferrée Granville-Vire, près de Villedieu : Déraillement de douze wagons : Gros dégâts ".

Exactement une semaine plus tard, c'est-à-dire le 18 janvier 1944, on retrouve à peu près la même équipe, renforcée par Fernand Davy, toujours à Sainte-Cécile, pour le renouvellement de l'opération avec le succès habituel : déraillement d'une locomotive avec six wagons et interruption du trafic ferroviaire pendant 24 heures, sur les deux voies.

Selon les souvenirs de Lecann, il semblerait qu'un autre déraillement se soit situé, fin décembre 1943 ou début janvier 1944, près de Villedieu :

" J'avais contacté Duwald fin 1943, et il m'aidait à distribuer les tracts. Il avait personnellement des contacts avec les cheminots. L'idée de réaliser un déraillement avait fait son chemin parmi eux. Je demandai au père Anquetil s'il pouvait faire une clé, suivant le croquis que je lui présentai. C'était, soi-disant. pour un copain, " pour ouvrir une vanne ". La clef fut faite et je la donnai à Duwald. Malheureusement, au moment de déboulonner, les participants furent dispersés par l'arrivée inopinée d'une patrouille et la clef fut perdue ! Finale-ment, Duwald se résigna à acheter un cadenas, à scier celui du dépôt et le rem-placer par le nouveau dont il garda une clef. Et pour faire le déraillement, les F.T.P.F. " empruntèrent " finalement une clé à tire-fonds de la S.N.C.F. "

L'action eut lieu au Pont du Guihel, une sorte de petit viaduc sur l'Airou. Jacques Cuny, rencontré dans l'Yonne en 1985, ignorait le nom des participants.

Sur Lison-Lamballe, ça continue

Le 20 janvier, un train de permissionnaires est signalé pour le lendemain soir. L'équipe opère de bonne heure, le 21, en début de soirée. près du pont sur la Sélune, à proximité de la gare de Pontaubault. Cette fois encore, les gardes-voies risquent de gêner l'action. Il faut aussi éviter que l'alerte soit donnée par l'un d'eux avant le passage du train. Les F.T.P.F. réussissent à accomplir le déboulonnage sans attirer l'attention, agissant lentement et silencieusement.

L'opération est à peine réalisée que l'on entend arriver le train. A la hâte, le poste de garde le plus proche est averti du danger et les deux gardes finissent par s'éloigner, comprenant mal ce qui se passe, tandis que les Résistants se sauvent en courant de l'autre côté du pont. Derrière eux, à 8 h 05 exactement, se déchaîne un assourdissant bruit de ferraille. Le train est immobilisé, détruit au milieu du pont. Les Allemands sortent des wagons brisés parmi les cris et les hurlements.

Le groupe F.T.P.F. fuit à toutes jambes vers le château de Ille-Manière, forçant son passage dans les ronces et les barbelés ; une chute de Lourdais dans

L un ruisseau provoque une décontraction et un rire général.

Le déblaiement du pont et la réfection des voies interrompent pendant plusieurs jours les communications ferroviaires avec la Bretagne. Incapables de comprendre d'où venaient les coups, les Allemands s'en prendront aux gardes-voies et en incarcéreront six pendant quelques mois.

Le 30 janvier, une rame de 80 wagons bourrés de marchandises est signalée en stationnement en gare d'Avranches. Décision est prise de l'immobiliser par la coupure des câbles de freins. Le soir Mansuy, Lourdais et Renault se rendent à la gare avec des scies à métaux et quelques outils. Ils arrivent sans incident à pied-d'œuvre. Mais là. les choses se compliquent car, finalement, les scies à métaux s'avèrent inopérantes pour couper cette masse de fils tressés : la scie accroche et ne coupe pas. La solution est trouvée par Mansuy qui, avec son couteau à cran d'arrêt parfaitement aiguisé, parvient à couper les fils par petits paquets, sans trop de difficultés.

Les marchandises du train durent être transbordées dans un autre convoi, ce qui provoqua une immobilisation de quelques jours.

Au retour, séparation près du cinéma " le Kursaal ", place de la Mairie. Mansuy s'en va de son côté et les deux autres, habitant rue des Fossés, doivent attendre un long moment la sortie du cinéma, la dispersion des gens et le départ de la patrouille pour rentrer chez eux. Renault raconte :

" Alors, nous repartons et, dans notre rue, nous tombons sur deux Feldgendarmes, tout près de chez Lourdais. Mme Lourdais, de chez elle, a dû assister à toute la scène. Je passe le premier et Lourdais, derrière, se prépare à rentrer chez lui lorsque, d'un coup de lampe électrique en arrière, l'un des " Fritz " aperçoit une monture de scie à métaux dépassant la besace de Lourdais. C'est la sommation habituelle : " Hait ! " Je reviens sur mes pas. Lourdais est en train de s'expliquer, disant qu'il revient de son garage, situé derrière la gendarmerie. Je m'approche et le feldgendarme, braquant sa lampe sur moi, me reconnaît. C'est un de ceux à qui je coupe régulièrement les cheveux. Il fait : " Ah ! Friseur ! "... et il se détend, en voyant qu'il a affaire à un paisible coiffeur.

" On se sépare, chacun visiblement satisfait de la tournure des événements. "

Le communiqué F.T.P.F. pour la Manche fait la synthèse suivante : " Dans le mois de janvier, .5 déraillements ont été effectués ; 5 locomotives et 57 wagons ont été détruits ".

Départ et arrestation de Jean Turmeau, Mansuy chef de groupe

Ces deux dernières actions ont été entreprises sous la conduite de Mansuy.

En effet, Jean Turmeau, qui considère que le groupe est maintenant capable de fonctionner sans lui, en a confié la direction à Jacques Mansuy dont il a apprécié les qualités, alliant le calme et l'audace.

A partir du 23 janvier, Turmeau loge quelques jours chez Mme Jehan, tout en se préparant à rejoindre d'autres groupes. Il est à Cherbourg les 30 et 31 janvier, et le 1er février à Flers. Sans doute était-il filé ? Il est arrêté par les policiers du S.D. de Rouen et emprisonné à Saint-Lô.

Son arrestation a lieu alors qu'il s'apprête à monter dans un car. Il sera exécuté le 11 mai au Champ de Tir, route de Baudre, près de Saint-Lô.

Sans même citer son nom, l'Ouest-Éclair fait état de l'événement en ces termes : " Ce matin, à l'aube, un terroriste, condamné à mort par la Cour Martiale de Saint-Lô pour avoir participé à de nombreux déraillements et sabotages contre l'armée allemande, a été passé par les armes. "

La veille, les Allemands avaient dit au maire de La Barre-de-Semilly (père de H. Gancel) : " Faites creuser une tombe et, demain matin. attendez dans le cimetière avec votre garde-champêtre ".

Le 11 vers 9 heures, un motard arrive : " Vous pouvez fermer la tombe nous avons trouvé ailleurs. "

A l'aube, Gustave Guinard avait entendu des Allemands et, après leur départ, il remarqua des traces de terre rémuée dans le bois, le tout recouvert de feuilles et de mousse. Il en avertit le maire et, le soir, tous deux sondèrent avec une barre de fer. Ils y trouvèrent un cercueil à 50 centimètres et ils signalèrent aux gendarmes ce terrassement suspect... peut-être un crime. La justice fut saisie. Mais la Kommandantur ordonna d'arrêter l'enquête.

En novembre 1944 seulement, on sut qu'il s'agissait de Jean Turmeau. En effet. le beau-frère de Gancel, Jules Richard, identifia le corps grâce à un détail : " Alfred " avait une chaussure réparée avec un talon de bois.

Cette arrestation, malgré quelques remous en chaîne, ne provoqua pas de catastrophe, parce qu'il ne parla pas, en dépit des tortures qui lui furent infligées. Le groupe d'Avranches put continuer son action sans que les principaux acteurs soient inquiétés pour leurs actions de sabotage. Il en fut de même pour Saint-Pience et Saint-Sever, Champ-du-Boult et Montjoie.

Une citation à l'ordre de la Division fut décernée à Jean Turmeau et une croix de Guerre remise à son père en 1946, à La Mancellière.

" Ce matin, à l'aube, un terroriste... a été passé par les armes "

L'Ouest-Éclair ne donnait pas le nom du " terroriste ", simplement parce que les Allemands eux-mêmes ne parvinrent pas à savoir qui était " Alfred ".

Le dernier à l'avoir vu vivant est André Blouet, originaire de Saint-Sever. Venu à Avranches, le 7 juin 1984, pour l'inauguration de l'école André-Parisy, il nous a montré les lettres des parents de Jean Turmeau.

Très jeune, physiquement fragile, Jean Turmeau a su réaliser un travail réfléchi et efficace. Pour tous ceux qui l'ont connu, qui ont travaillé avec lui, il fut un chef incontesté et aimé. En hommage à ce Résistant exemplaire, rien ne convient mieux que le poème de Louis Aragon : " Ballade de celui qui chanta dans les supplices ".

Ballade de celui qui chanta dans les supplices

Et s'il était à refaire

Je referais ce chemin

Une voix monte des fers

Et parle des lendemains

On dit que dans sa cellule

Deux hommes cette nuit-là

Lui murmuraient : capitule

De cette vie es-tu las

Tu peux vivre, tu peux vivre

Tu peux vivre comme nous

Dis le mot qui te délivre

Et tu peux vivre à genoux

Et s'il était à refaire

Je referais ce chemin

La voix qui monte des fers

Parle pour les lendemains

Rien qu'un mot, la porte cède

S'ouvre et tu sors. Rien qu'un mot

Le bourreau se dépossède

Sésame, finis tes maux

Rien qu'un mot, rien qu'un mensonge

Pour transformer ton destin

Songe, songe, songe, songe

A la douceur des matins

Et si c'était à refaire

Je referais ce chemin

La voix qui monte des fers

Parle aux hommes de demain

J'ai dit tout ce qu'on peut dire

L'exemple du Roi Henri

Un cheval poux- mon empire

Une messe pour Paris

Rien à faire, alors qu'ils partent

Sur lui retombe son sang

C'était son unique carte

Périsse cet innocent

Et si c'était à refaire

Referait-il ce chemin

La voix qui monte des fers

Dit : Je le ferai demain

Je meurs et France demeure

Mon amour et mon refus

O mes amis, si je meurs

Vous saurez pour quoi ce fut

Ils sont venus pour le prendre

Ils parlent en allemand

L'un traduit : Veux-tu te rendre

Il répète calmement :

Et si c'était à refaire

Je referais ce chemin

Sous vos coups chargé de fers

Que chantent les lendemains

Il chantait, lui, sous les balles

Des mots sanglants est levé

D'une seconde rafale

il a fallu l'achever

Une autre chanson française

A ses lèvres est montée

Finissant la Marseillaise

Pour toute l'humanité

(Poème de Louis Aragon, éd. de Minuit)

Réactions allemandes

Nous allons voir, toutefois, que la police allemande et ses sbires était sur certaines pistes. La localisation de plusieurs déraillements à proximité d'Avranches concentra les recherches allemandes sur ce secteur.

En effet. deux jours après l'arrestation d' "Alfred ", le 3 février, ce sont les Davy qui sont arrêtés, Alphonse à Pontorson et Fernand à Aucey-la-Plaine. Alphonse est interrogé :

- " Reconnaissez-vous cette personne ? " demande l'officier en montrant la photo de Fernand.

- " Non ", répond Alphonse.

- "Et celle-là ? "

Cette fois, c'était sa propre photo qu'on lui présentait. Lors de son arrestation, Jean Turmeau portait sur lui ces deux photos en vue de faire établir aux deux cousins de nouvelles cartes d'identité ! Alphonse passa 45 jours en cellule, attaché sur un lit. Un peu plus tard, il sera déporté au Struthof, puis à Dachau. ainsi que son cousin.

Le même jour, la police se présente au " Chat Noir ", chez Albertine Jehan. Le logement est perquisitionné et tout est bouleversé. Heureusement, les policiers ne pensent pas à la cave. Le résultat de la perquisition est négatif et ils s'en vont. Le soir même, Renault, alerté, déménage tracts, clefs à tire-fonds et quelques explosifs entreposés sous le bois de la cave. " Jules " survient et, devant cette situation. il conseille à Mme Jehan de fuir et d'entrer en clandestinité. Elle s'y refuse en raison de ses enfants, deux garçonnets de 4 ans. Mais le 6, la police revient et cette fois-ci, Mme Jehan est mise en état d'arrestation, malgré ses protestations de mère responsable de ses enfants, ce qu'elle renouvelle à la prison d'Avranches. Ce même jour. le logement de Renault est perquisitionné également, mais sans résultat.

Le 9 février, Albertine Jehan est emmenée à la prison de Saint-Lô ; elle est à nouveau interrogée, ce qui se renouvelle plusieurs jours de suite.

Une confrontation avec Alphonse Davy, qu'elle ne connaît pas, ne donne évidemment aucun résultat. Elle est finalement libérée, mise sous surveillance à Avranches par Brandt, inspecteur de la Kommandantur. Pendant ce temps, " Jules " s'inquiète, prend des précautions, fait alerter par Pinson le groupe de Gathemo-Montjoie (François Hilliou) et Saint-Laurent-de-Cuves (Arsène Paris). Mais les choses s'arrêteront là dans ce secteur.

Les sabotages se poursuivent

Le 1er février, jour de l'arrestation de Jean Tonneau, le groupe de Mansuy comprenant Lourdais et Morazin, renforcé par Lebarbier et Fernand Davy. avait réalisé un déboulonnage de voie à Céaux, au pont situé près du lieu-dit Carrefour de la Buvette. Le déraillement eut lieu dans la soirée même (à 22 h 25) ; il concernait un petit convoi d'une locomotive avec deux wagons de marchandises qui quittèrent les voies sans que le chauffeur et le mécanicien soient blessés.

Les voies furent néanmoins inutilisables pendant 48 heures.

Communiqué du groupe Charles Tillon (mars 1994) :

" Céaux : déraillement d'un train de marchandises sur un pont deux wagons détruits - mécancien et chauffeur indemnes. "

L'énervement des Allemands allait croissant. En pleine nuit, les villages voisins de Céaux, Précey et Pontauhault furent perquisitionnés ; les habitants, qui n'avaient pu fuir à temps furent rassemblés dans les églises. Un contrôle d'identité fut opéré. M. Marie cite, dans son livre, page 75, l'article suivant :

" Deux habitants de Céaux, M. et Mme Besnard, soupçonnés d'être de connivence avec la Résistance, de cacher des munitions et prévenus d'avoir abrité un réfractaire, furent incarcérés à Saint-Lô. Leur jeune fille Marie, âgée de 16 ans, fut emmenée à la feldgendarmerie puis relaxée. Quant à leur fils François, âgé de 12 ans, qui était malade et alité, il fut interrogé longuement mais eut l'intelligence de ne rien dire. Un mois plus tard, le réfractaire en question - une des causes de l'arrestation des époux Besnard - alla se présenter à l'Ortskommandantur de Granville. Il fut jugé indigne d'aller travailler en Allemagne, fut écroué pendant trois semaines, mais ses employeurs furent libérés et rentrèrent à Céaux. "

Depuis, nous avons appris l'action courageuse de François Mutscheler, jeune Alsacien enrôlé de force dans la Wehrmacht. Profitant de son rôle d'interprète, il réussit à limiter les représailles allemandes en retirant 13 noms parmi les otages de Pontauhault du 2 février.

Il y eut, au cours de ce printemps, une grosse activité de propagande par tracts :

- " Ne partez pas en Allemagne. "

- " Cultivateurs, ne donnez pas vos récoltes aux Boches. "

- " Avranchinais, abstenez-vous de vous présenter pour creuser des fossés antichars autour de la ville. "

Pendant cette période, des personnalités rendirent de grands services à nos amis : Jack Blouet, juge d'instruction, signalant où en étaient les recherches et le docteur Alfred Lebreton prévenant Mme Lourdais : " Attention, aujourd'hui la voiture de la police de Rouen est là "...

Mais quand l'enquête fut confiée à la Gestapo, le danger s'accrut.

Des empreintes de bottes ayant été relevées par les enquêteurs, Morazin dut brûler les siennes, Georges Lourdais également.

Les bruits les plus divers circulaient au sujet des " terroristes ". On disait qu'ils étaient fortement armés, disposant de voitures, habillés en Allemands, etc.

L'année allemande croyait avoir affaire à des " commandos " comme ceux de Dieppe ou de Saint-Nazaire. Et, dès 1942, la consigne de Hitler était : " Tout commando doit être abattu jusqu'au dernier homme, au combat ou en fuite. "

Selon les survivants du groupe Charles l'ilion, Jacques Mansuy, Louis Renault, les Davy, Jules Richard : " Jamais les Allemands n'ont pu croire que c'était du travail d'amateurs ! Ils croyaient avoir affaire à des professionnels ! "

Groupes de Sainte-Pience et Villedieu

On vient de voir que le groupe " Charles Tillon ", sous la direction de Jean Turmeau puis de Jacques Mansuy, avait réalisé une série de déraillements particulièrement réussis depuis décembre 1943.

Sous l'impulsion de " Jules ", dans le courant de novembre et décembre, un nouveau groupe F.T.P.F. se met en place à Villedieu. II est constitué essentiellement de Roger Lelaisant, Ernest Ravilly, Léon Briens, François Pennec, Raymond Mancel et Bernard Debroise, de Fleury. Georges Goffaux est le chef de ce groupe et il a le concours d'André Maurice.

Début février 1944. un déraillement est projeté sur la ligne Paris-Granville, Raymond Mancel est chargé de la préparation matérielle, en particulier de la réalisation des tire-fonds pour déboulonner les rails. Après un premier essai infructueux, l'équipe est finalement munie du matériel nécessaire. Le 16 février, à 3 heures, le déraillement a lieu entre Sainte-Cécile et Saint-Aubin, entre Manche et Calvados, avec la participation du groupe de Sainte-Pience, en particulier Jacques Cuny : quatorze wagons de matériel suivent la locomotive hors des rails et c'est l'immobilisation habituelle des voies.

Par ailleurs, le groupe de Villedieu, comme les autres, reçoit le matériel de propagande fabriqué par Tauzin à Saint-Laurent-de-Cuves, puis à Marcilly et tout est diffusé régulièrement.

Courant février et mars, un besoin de tickets d'alimentation est ressenti. Le groupe de Villedieu, avec Jacques Cuny, prépare un coup de main sur la mai-rie de La Colombe.

4 – Avril 1944 - action de la Gestapo Exemple d'intervention de la Gestapo

Avant de poursuivre, il est nécessaire de donner quelques indications sur l'organisation de la répression allemande à cette époque. A côté de l'organisation militaire allemande départementale - la Feldkommandantur - la police allemande chargée de la répression contre la Résistance - la Gestapo - était assistée par une section de police du parti nazi qu'on appelait le S.D. (Sicherheitsdienst). Ce S.D., qui avait intégré des Français, est décrit de façon détaillée dans une note d'une organisation résistante, le S.N.A., sous la signature " Ancel " (1er avril 1944) :

- " Type de la plus basse police qu'on puisse trouver.

- " Constituée en grande partie par les plus mauvais éléments des différents partis politiques pro-allemands. Ces individus sont presque tous des anciens prisonniers de droit commun n'ayant pas terminé leur peine, mais extraits de prison pour faire cette besogne honteuse. "

Jean-Hérold Paquis, éditorialiste à Radio-Paris alors sous contrôle allemand, avait lui-même subi deux condamnations : pour abus de confiance et escroquerie.

Leur rôle essentiel, délégué par la Gestapo, consistait à faire entrer des " moutons " dans les groupes de Résistants. C'est de cette façon que la Gestapo et le S.D. de Rouen (Alie) ont réussi à annihiler des réseaux du B.O.A., organisation de parachutage du B.C.R.A., dans l'Eure et la Seine-Inférieure, par exemple.

La Manche n'échappait pas à ce système. On a déjà vu le rôle joué par Suzanne Crevon dans les arrestations chez les F.T.P.F., en 1943. Mais il y en avait malheureusement bien d'autres de son espèce.

Le plus célèbre des Allemands de la Gestapo, le fedwebel Junger qui se faisait appeler Dufour, avait organisé le S.D. à Cherbourg en 1942, puis à Saint Lô en 1944, en s'entourant de subalternes français à sa dévotion et bien rétribués. Le plus connu et le plus dangereux s'appelait Albert Lenoury. Originaire de Lingreville, ce manœuvre du bâtiment domicilié à Bricqueville, âgé de 26 ans, se présenta d'abord comme interprète et, poussé par l'ambition, se mit au service de la Gestapo et devint policier. Il avait pour maîtresse Yvette C... de Villedieu, dont la mère complice, se complaisait en la compagnie des Allemands. Lenoury se présentait alors comme réfractaire cherchant de faux papiers, ce qui lui permettait de recueillir des confidences. Yvette C... devait elle-même

glaner des renseignements. C'est ainsi que Lenoury put obtenir des informations sur le groupe résistant de Villedieu.

Ce groupe, avec Jacques Cuny, avait tenté, le 29 mars 1944, un coup de

main sur la mairie de La Colombe pour se saisir de tickets d'alimentation. La tentative fut infructueuse, mais le maire de cette commune adressa néanmoins

une déclaration de vol à Ménard, directeur des Renseignements Généraux à Saint-Lô. Celui-ci se contenta d'informer Storez et classa l'affaire. Mais un certain Peeters, du P.P.F. passa l'information aux Allemands qui firent agir Lenoury.

Roger Lelaisant, de Villedieu, nous a raconté comment furent opérées les arrestations :

" L'activité du groupe à cette époque était surtout portée sur la propagande, la distribution de tracts et de littérature anti-allemande. Mais Raymond

Mancel, notre chef de groupe. et certains d'entre nous participèrent à des déraillements et à l'expédition sur la mairie de La Colombe.

" Le 31 mars 1944, les arrestations s'abattent sur nous. Ce jour-là, je suis attablé avec Debroise au café Varin. Un consommateur en civil est au comptoir.

Après avoir bu deux ou trois " tournées ", cet individu se dirige vers nous et nous interpelle : " Vous êtes gaullistes, hein ? Allez, en avant ! " A ce moment.

deux feldgendarmes font irruption dans le café. Debroise essaie de fuir par l'arrière nais d'autres Allemands sont là.

" I)e la gendarmerie, nous fûmes emmenés à Granville et soumis à des interrogatoires pendant cinq jours, à grand renfort de coups de ceinturon et de

coups de poing, Ravilly, Briens. Goffaux et Mancel furent arrêtés le lendemain 1" avril et les jours suivants et ils furent soumis au même traitement que nous. "

Au souvenir de ces événements, l'émotion est la plus forte et les larmes jaillissent des yeux de notre interlocuteur.

Arrestations à Libé-Nord

Aux premiers jours d'avril, en se rendant de Sainte-Pience au marché de Villedieu, Émile Cuny constate des présences insolites chez Mancel et, pressentant le pire, il revient précipitamment à Sainte-Pience où il met en lieu sûr tout ce qu'il est possible de cacher, alertant tout le monde. Il se rend ensuite à Avranches pour informer les groupes, en premier lieu son fils Jacques et Jean Vauzelle, responsable de Libé-Nord.

Salutaire initiative, car une adresse trouvée chez Raymond Mancel à Villedieu, allait justement orienter les recherches allemandes vers Sainte-Pience et Avranches.

Ainsi prévenu, Jean Vauzelle prend ses distances mais garde le contact avec sa fiancée Édith Gautier, employée chez Georgel (comme Jacques Cuny). Celle-ci le tient informé des suites : la descente de police à Sainte-Pience le 6 avril, l'arrestation dramatique d'Émile Cuny roué de coups, mais restant muet, et celle des autres personnes présentes M. et M Plant, Cuny et M- Chenu, la voisine restauratrice. Heureusement, deux résistants présents peuvent s'éclipser : Henri Le Gall, malgré une balle reçue dans la fuite, et Jean Cessou. Mais les Allemands ne découvriront que deux postes de radio cachés dans le potager.

Après avoir été abrité et protégé au Carmel, Jean Vauzelle juge prudent de quitter Avranches et se réfugie chez la famille Hamel, à Saint-Pois, où il avait été précédemment hébergé. Mais la découverte d'une lettre de Mlle Hamel à Vauzelle mit les Allemands sur le chemin de Saint-Pois où les cieux jeunes gens sont arrêtés le 8 avril. De fil en aiguille, le 9 au matin, les policiers allemands, assistés par la S.D. et le traître Lenoury, atteignent la tête du réseau, à Avranches. Désiré Lerouxel est arrêté, puis le 11, le répétiteur du collège d'Avranches, Louis Barbieux.

Jean Lerouxel, fils de Désiré. témoigne :

Pâques 1944. Le jeudi Saint, j'apprends qu'il y a eu des arrestations au château de M. Plant. J'en fais part à mon père qui est assis à son bureau, au rez-de-chaussée. " Bon ", me répond-il sans marquer de surprise. Il devait pourtant savoir que cela commençait à sentir le brûlé.

" Arrive le jour de Pâques. Je vais à la grand-messe de 10 heures, avec mon père. En sortant de l'église, il me dit : " Si tu veux bien, je voudrais passer chez Georgel, le teinturier de la rue des Fossés. J'ai un petit mot à leur dire ".

" Nous y passons ; mais moi, il me fait attendre dans la rue. J'ai su plus tard qu'il venait de déposer le mot de passe. Il se sentait donc menacé. Le mot de Passe était un billet de 5 F coupé en deux que Mme Georgel cacha dans une jeannette " de repasseuse. Il fallait que le correspondant puisse apporter l'autre morceau. Nous rentrons à la maison et nous déjeunons comme d'habitude. Mon père descend dans le jardin ; il est en blouse grise.

" Tout à coup, j'entends des bruits, je file à la cuisine pour regarder par la fenêtre : " les Allemands ! " Ils venaient de Granville, des Gestapistes. Ils sont entrés, mitraillette à la hanche, et ont aussitôt mis les menottes à mon père qu'ils ont emmené à son bureau. Ils sont ensuite montés à la maison et ont demandé à ma mère où j'étais. Ma mère m'a appelé et, dès que je suis arrivé, un S.S. m'a dit : " J'ai quelque chose pour vous " et il m'a passé des menottes aux poignets. Il a, enfin, passé une paire de menottes à ma mère.

" Heraus ! " a-t-il crié, et nous nous retrouvons dans le bureau, avec mois père. Ma mère lui demande : " Mais, mon pauvre ami, qu'est-ce que tu as fait

" Je n'ai rien fait du tout ! " Les Allemands lui font alors voir des photos et mon père, à chaque fois répond : " Non, je ne connais pas. Connais pas.

" Au bout d'un moment, nouveau " Heraus ! " pour nia mère et moi. Nous remontons donc vers la maison, laissant mon père seul. Là, ils perquisitionnent, fouillent les tiroirs, les armoires, les lits. Puis, ne trouvant rien, enlèvent les menottes à ma mère. Ils s'apprêtent à me les enlever aussi, lorsque l'un d'entre eux dit : " Encore un moment.

" Il me demande de le conduire à la cave. Là. lorsqu'il voit tous les fûts et les bouteilles, il lève les bras au ciel : " Impossible de fouiller tout cela ! "

Heureusement car, après guerre, j'ai retrouvé un revolver dissimulé sous un fût. "

Désiré Lerouxel fut alors conduit à la Kommandantur d'Avranches, puis transféré au Normandy-Hôtel de Granville, transformé en siège de la Gestapo. C'est là qu'au bout de quatre jours de démarches, sa famille put le revoir - mais hélas ! - pour la dernière fois.

" Nous avons, bien sûr, essayé de le revoir. Nous sommes allés à la Gestapo, où un dénommé Junger, qui se faisait appeler Dufour, nous a reçus. Un homme en civil, très courtois, mais qui n'hésitait pas lui-même à maltraiter les prisonniers... Je nous vois encore entrer dans son bureau. " Mme Lerouxel, asseyez-vous. " Je l'ai poussée du coude pour qu'elle prenne place. Moi, je restais debout.

Il a consulté son dossier. " Ce n'est pas possible ; je ne peux pas vous autoriser à voir votre mari avant qu'il ne soit jugé. " Nous avons insisté. Il nous a seulement permis de rédiger un questionnaire par écrit. Nous avons donc marqué quelques questions auxquelles mon père a répondu. C'était tout.

" Nous recevions, néanmoins, de ses nouvelles, de temps en temps. Nous envoyions des gâteaux et des friandises, enveloppés dans du papier à beurre, ce qui lui permettait de nous écrire. Les prisonniers qui allaient travailler en ville se chargeaient de poster les lettres. A Avranches, M. Lassus, qui faisait partie du groupe, les recevait et les remettait à ma mère. Mon père semblait avoir le moral et nous encourageait. "

Tous les emprisonnés sont transférés à Saint-Lô. sauf M"' Hamel, qui est incarcérée à Caen, d'où elle sera libérée le 6 juin. Par contre le même jour, à Saint-Lô, les bombardements écrasent sous les bombes : Ravilly, Pennec et Désiré Lerouxel (avec beaucoup d'autres, comme nous le verrons) Jean Vauzelle, Lelaisant et Louis Barbieux en sortiront vivants.

D'autres arrestations auront lieu à Villedieu en avril : Léon Briens, le 8 et Louis Douchin, le 25.

Le 14 avril, c'est l'instituteur Jean-Baptiste Étienvre, responsable Manche-Sud de Libé-Nord, qui est recherché à l'école de Saint-Martin-de-Landelles. il est arrêté mais, pendant la perquisition, il réussit à fuir à travers champs et n'est pas rejoint. Sa femme, arrêtée comme otage, sera détenue pendant trois jours à la prison d'Avranches.

Quant à J.-B. Étienvre, il est conduit à Saint-Ovin par le Dr Mothay, de saint-James, où son beau-frère, Georges Dubois, est également instituteur. il est hébergé jusqu'au 16 à Saint-Ovin, puis chez Joseph Garnier, au château de Marcilly que Michel Tauzin vient de quitter fin mars. Dans les premiers jours de mai, Étienvre sera accueilli à Brécey à la ferme de Gustave Moulin, où il sera hébergé pendant plusieurs semaines.

" Jules " disparu, " Émile " lui succède

Le 5 mars 1944. Léon Pinel est arrêté à Sens-de-Bretagne, non pour son activité résistante, mais pour avoir inopinément quitté son usine d'Argenteuil en 1941. Néanmoins, il est incarcéré à la prison de Vitré en attendant son transfert en Allemagne.

Au début de chaque mois, il allait en Ille-et-Vilaine remettre l'argent et les titres d'alimentation collectés dans la Manche. La Basse-Normandie et la Bretagne fournissaient les tickets d'alimentation, l'argent, le tabac, les documents destinés aux combattants de la région parisienne. C'est Henriette Berjon, 19 ans, qui assure la liaison entre la Bretagne et le Comité Militaire National des F.T.P.F. Sa mère, Mme Berjon née Brisset (de Rauville-la-Bigot) est, elle aussi, agent de liaison dans le nord de la France.

Le fils aîné, le Colonel André Berjon, est responsable interrégional dans le Nord, après avoir assumé les mêmes fonctions sur trois départements bretons. Le second fils, Pierre, est sur le " Richelieu " qui, après avoir été équipé aux U.S.A., protège les convois dans l'Atlantique-Nord jusqu'à Mourmansk.

Le père. c'est " Émile " ; il ne retrouvera les siens qu'à la fin de la guerre ; toute la famille Berjon est dispersée, mais elle est tout entière dans la Résistance.

Des trois responsables départementaux arrivés à l'automne 1943 chez Mme Jehan, il ne reste donc que René Berjon (" Émile ") : " Alfred " (Jean Turmeau) sera fusillé le I l mai et " Jules " est emprisonné depuis le 5 mars.

" Émile ", cycliste par la force des choses, adopte des tenues diverses. pour déjouer le repérage par la police : pêcheur, jardinier. etc., et continue à maintenir les liens entre les groupes.

Nous sentons que le débarquement approche. La conférence de Téhéran entre les chefs de gouvernements (Churchill, Roosevelt, Staline) avait eu lieu. L'U.R.S.S. avait insisté sur la nécessité de l'ouverture d'un second front, et l'accord s'était fait sur cette base. En Italie et en U.R.S.S. le recul des forces allemandes s'accentuait et la Corse était libérée.

" Émile ", préoccupé par le problème de l'armement des groupes, qui était inexistant en dehors de vieilles armes (essentiellement des revolvers en très Petit nombre) avait pour objectif numéro un d'améliorer cette situation.

Les liens se sont resserrés entre les organisations de Résistance, lors des Premiers mois de 1944. Le Comité Départemental de la Manche (C.D.L.) est

enfin institué le 5 mars 1944. Il sera constitué de 10 membres ; 5 pour l'O.C.M. : Gresselin, Leviandier, " Gaston " Picot, Renoult, Leblond ; 3 pour Libé-Nord : Bocher, Renouf, Berthe Gouemy : 2 pour le F.N.: Berjon et Jean Lamotte.

Beaucoup de critiques sont à faire sur cette répartition : 1) le sud n'est pratiquement pas représenté ; 2) le F.N. est manifestement sous-représenté, par rapport à son importance réelle et ses effectifs. Mais la nécessité de l'union emporte les hésitations et critiques en fin d'avril : et le 3 mai, Gresselin est nommé Président du C.D.L. Déjà, René Berjon avait posé le problème de l'armement et de la nécessité d'agir concrètement pour armer les groupes.

Pour avoir fourni des faux papiers

Le 17 avril, une nouvelle angoisse tombe sur la Résistance à Avranches. Louis Renault vient d'être arrêté. On s'attend au pire. Chacun fait le tour de ce qui " traîne ". Feuillet, du même groupe que Renault rassemble tous les documents compromettants qui sont dissimulés par un autre résistant. Allais, dans un hangar de l'épicier Bourdon, collaborateur " économique " connu. Hamel en fait autant de son côté et transfère tout dans le fenil d'une voisine et amie de la Résistance.

Mme Renault réussit, le 18 avril, à connaître les raisons de l'arrestation de son mari. Il s'agit de faux papiers. C'est Théophile Blesteau, dont le fils a été arrêté porteur de deux cartes d'identité (une vraie et une fausse), qui a dénoncé Renault puis Feuillet, au cours de l'interrogatoire par Brandt, gestapiste de service à Avranches, Mme Renault court avertir Priolet et revient à son domicile, où les Feldgendarmes l'attendent !... Les perquisitions sont opérées chez Feuillet et chez Renault sans résultat...

Puis Froger tombe à son tour. Les trois hommes sont transférés à Saint-Lô, condamnés à six mois de prison, pour " raison patriotique ". Lourdais envisage un moment une opération pour libérer les détenus. Renault - par l'intermédiaire de sa femme - l'en dissuade, compte tenu du caractère de la condamnation.

Ils n'étaient pas arrêtés pour leurs activités principales ; on ne retenait contre eux que la fabrication de cinq fausses cartes d'identité.

Transférés à la prison de Dijon, les détenus s'inscrivirent comme volontaires pour travailler en forêt sur le plateau de Langres. En passant au bourg d'Auberive, quelques habitants leur firent comprendre que le débarquement avait eu lieu ; le 9 juin. ils s'évadèrent du chantier forestier. Le lendemain, ils arrivèrent chez M. Lavier, un cultivateur résistant d'ls-sur-Tille (Côte d'Or) qui les interrogea séparément pour vérifier leurs dires. Sage précaution, car les miliciens utilisaient tous les déguisements, même ceux de détenus évadés.

Renault et Feuillet gagnèrent Dijon ; un copain de détention leur avait donné une adresse qui leur permit de prendre le train pour Paris. Puis, utilisant camions et voitures à chevaux, ils rentrèrent l'un à Brécey, l'autre à Vezins ou Louis Renault prit part aux opérations de la Libération.

Huit jours plus tard, partant d'Is-sur-Tille, Abel Froger et Blesteau arrivèrent eux aussi en gare de Lyon. S'étant procuré des bicyclettes, ils regagnèrent leurs domiciles, non sans mal. Un autre jeune de la région emprisonné en même temps qu'eux, François Doré, mourut en 1946 des suites de la déportation.

5 – Le renseignement :

L'activité secrète d'un gentleman-farmer

Maire de Servon, près de Pontorson, exploitant agricole du domaine familial du " Bois-Chicot ", Claude Rousselle ne parle qu'exceptionnellement de son activité dans la Résistance. A tel point que ses enfants ignorent l'existence d'un document de 200 pages, qui relate l'histoire du réseau Marco !

Son témoignage atteste de l'identité de vue des résistants : ceux des

réseaux et ceux des mouvements qui, souvent, travaillèrent côte à côte, tout en s'ignorant.

" Dès le début de l'occupation, un Saint-Cyrien : Pierre Remay assura des liaisons entre la résistance hollandaise - qui passait ses renseignements par

Bruxelles - et la Suisse, où un officier du service des Renseignements les récupérait.

" Le capitaine Belloir, arrêté à Saint-Jean-le-Thomas le 22 mars 1944 1 appartenait à ce réseau franco-belge. Remay recruta deux adjoints : Paul

Guilhamon, de Paris et Jean Vivier, d'Avranches, puis Lajoux, de Rennes, qu'il chargea du renseignement sur la Bretagne.

" Ami de la famille Vivier, je fus mis en relation avec Guilhamon dès mars 1943. Il me chargea de la collecte et de la transmission des renseignements concernant la Basse-Normandie et sa bordure sud. Rattaché au groupe dit des

" Bretons ", je prenais à I)ol le courrier de Briand (aujourd'hui général de brigade E.R.) pour le remettre à Rennes avec le mien.

" Le recrutement s'était effectué par cooptation de jeunes officiers camarades de Lajoux et de Vivier. J'étais presque le seul à ne pas être militaire ; prisonnier en 1940, j'avais obtenu une affectation spéciale agricole, pour échapper au S.T.O.

" Chacun de nous avait une zone à prospecter autour de son domicile habituel : Le Gall à Brest, Briand à Dinan... et moi à Avranches. Chacun se constituait un petit réseau pour collecter les renseignements dans sa zone. Le tout était très cloisonné ; aucun ne connaissait les adresses des autres ni, d'ailleurs, leur vrai nom. Mon équipe couvrait à peu près tout le département de la Manche, le nord de l'Ille-et-Vilaine, une partie du Calvados, de l'Orne et de la Mayenne.

" A Pontorson, ma " boîte à lettres ", était chez Salace, inspecteur d'assurances : à Avranches, chez les parents de Vivier, au Crédit Industriel de NorMandie. Leur fils, arrêté à Paris le 21 septembre 1943, déporté à Buchenwald, est mort en 1951 au Viêt-nam.

" Fristel, agent S.N.C.F. à Dol, Pierre Rœmer, d'Équeurdreville, fournirent des renseignements. Grâce à Le Cunff, marchand de cycles à Pontorson, j'avais des informations et un bon vélo, ce qui était indispensable.

A Argentan, mon correspondant était l'adjoint du chef de gare, beau frère d'un fermier de mes parents. Par son intermédiaire, je connaissais tous les mouvements ferroviaires de transport de troupes allemandes et leur destination.

A Saint-Lô, il y avait un jeune homme du Génie Rural qui m'informait de l'implantation des troupes allemandes. II ne me connaissait pas sous mon vrai nom. II est mort, peu après sont retour de déportation : c'était François Doré.

" Les renseignements recueillis étaient nombreux, variés et d'importance inégale. Avant le débarquement, le groupe avait réussi à établir l'ordre de bataille des forces d'occupation dans l'ouest, la composition des unités, leur armement et leur moral.

" Les plans des fortifications côtières avaient été relevés. A Granville, l'architecte de la ville, Nillus, avait ses entrées dans la vieille ville évacuée de ses habitants et transformée en camp retranché. Il me fournit les plans de fortifications du Roc et du Fourneau, dispositif qui, en liaison avec Cancale, barrait toute la baie du Mont-Saint-Michel. Rentrant de Granville par la côte, je fus fouillé par une patrouille allemande, à l'entrée du bourg de Genêts. Les plans dépassaient quelque peu des sacoches de ma bicyclette, qui ne furent pas fouillées.

" A la demande du réseau, je recherchai les emplacements de V. I et V. 2. A cette occasion, j'entrai en contact à Cherbourg, avec un abbé qui tenait un foyer de travailleurs de l'organisation TODT. Par lui, je pus déterminer et situer plusieurs rampes de lancement. Cherbourg était très surveillé et. en repartant de la zone interdite, je faillis être arrêté. Je grimpai dans un car surchargé. en utilisant ma fausse identité d'inspecteur de police : une vraie carte établie à Vichy, au nom de Martin ; ce jour-là, on me prit pour un collaborateur !

Sur les rendez-vous de Champrépus, l'activité du groupe Marland, ses moyens de transmission, je ne sais rien de précis.

" En ce qui me concerne, tout était rassemblé à Rennes pour le réseau Kléber-Marco et transporté à Paris, soit par Lajoux qui venait à Rennes, soit par l'un de nous qui allait à Paris. J'ai fait très souvent cette liaison.

Les renseignements les plus urgents étaient transcrits par radio, à partir de la région parisienne. Le poste principal était installé aux Lilas, chez M. Paul Pinson, 10, rue Chassignol ; un autre se trouvait 4, rue de Panama, dans le XVIIi` et, le troisième, dans une villa à Montgeron.

" Les renseignements moins urgents étaient transcrits sur microfilms et récupérés par des sous-marins de la Royal-Navy. D'autres informations transitèrent via Vichy, puis l'Espagne ou le Portugal, utilisant la " valise diplomatique ".

" Vers la mi-mai, à la suite d'arrestations à Paris, les agents de Marco furent regroupés en zone sud, dans le Rouergue, où le général Revers de l'O.R.A. devait leur donner des informations en rapport avec les préparatifs du débarquement. "

Rentré à la veille du 6 juin, Claude Rousselle continua de transmettre ses informations par Rennes. Par la suite, il participa aux activités du S.R. jusqu'à l'armistice du 8 mai 1945, puis en Extrême-Orient (guerre d'Indochine).

Et puis, comme beaucoup d'autres résistants, il reprit ses occupations

antérieures.

6 – La préparation du jour " J " (avril-mai 1944)

Quelque temps avant le jour " J "

Au mois de mai 1944, la ferme de Gustave Moulin, à Brécey, s'est transformée en une sorte de Q.G. de la Résistance. " Émile " y fait de fréquentes visites : Résistants du Front National et de Libé-Nord s'y retrouvent. il faut dire que la maison Moulin est particulièrement hospitalière. Au centre de la grande pièce, la table ovale peut recevoir de 12 à 15 couverts (7 ou 8 rien que pour la famille).

Le milieu de cette table est occupé par une motte de beurre, du lard et plusieurs plats. Les grands-mères, le fils Maurice, l'employée Angèle, participent aux discussions. Fin mai. toute la famille se relaiera pour capter le message annonçant le débarquement espéré. En attendant, Gustave récupère des armes : il possède un 6,35. le maire lui en fournit un autre et Leguillochet, le boulanger, un vieux revolver allemand datant de 14-18. C'est peu, on espère un prochain parachutage. Mais quand ?

Et pourtant, l'imminence d'un débarquement est alors évidente et les résistants, même sans armes, sont prêts à agir.

Le 22 mai, Louis Pinson, remplaçant Berjon (" Émile "), retenu par une réunion du C.D.L., rencontre, à La Haye-Pesncl, Louis Pétri, un interrégional syndical et un délégué du C.O.M.A.C. (mort en août 1944 sur les barricades à Paris). Celui-ci, tout en déplorant notre armement dérisoire, lui précise les directives à mettre en œuvre dès l'annonce du jour " J " : saboter les voies ferrées, couper les communications téléphoniques, contribuer par tous les moyens au succès des Alliés.

La Manche sans armement

La Manche, département côtier, ayant une forte densité de troupes d'occupation, n'a bénéficié d'aucun parachutage d'armes sur son territoire. Fin 1943, l'activité des groupes constitués dans le sud de la Manche et l'espoir d'une prochaine libération, rendent plus impérieuse encore la nécessité de recevoir de l'armement.

Au début de 1944, un parachutage est prévu à Fougerolles-du-Plessis, à la limite de la Manche et de la Mayenne. Message : " Le bruit de la mer empêche les poissons de dormir. " Mais, en raison de l'arrestation de Raymond Derenne et des perquisitions de la milice, il fallut l'annuler. L'interrégional F.T.P.F., Raoul Saintellier, reprit le projet avec Le Cann, dont nous apportons ci-dessous le témoignage. Cette fois encore, tout échouera en mai, par suite de l'arrestation de la filière parisienne :

" C'était au moment de la création des C.D.L. Par les contacts O.C.M., des parachutages pouvaient être organisés par le B.O.A. Mais le terrain était dangereux et nous étions très prudents. C'est Saintellier qui était mon interlocuteur. Il me demanda de trouver trois terrains de parachutage, avec les équipes. J'ai parcouru tout le département. J'eus un contact avec Pierre Blanc, dans la région de Vire, mais dans un climat de difficultés, à ce moment-là, chez les cheminots. Je suis allé dans le nord du département. vers Lessay, où j'ai vu Jean Goubert. Enfin, à Coulouvray, avec André Denolle, nous avons trouvé un terrain qui " collait ", avec une bonne équipe de parachutage où figuraient Poisnel et Ernest l.etondeur. La " planque " pour le matériel, tout y était.

Les plans avaient été faits et transmis et Saintellier m'annonça que le terrain était accepté par Londres. Nous avions les messages, Saintellier repartait pour Paris pour fixer les dates et finir de tout régler.

" En arrivant auprès du bureau parisien, comme il était prudent. il envoya un petit garçon de la rue à sa place, sortit du café et attendit de l'autre côté de la place ; il vit les Allemands sortir du bureau avec le garçonnet. il prit son vélo et partit... Tout était par terre ! "

Même préoccupation à Libé-Nord, début mai, à l'époque où Jean-Baptiste Étienvre est hébergé chez Gustave Moulin. Étienvre a succédé à Rouault, comme responsable du mouvement Libé-Nord pour le sud du département. Il prépare au mieux les éléments recrutés à Ducey, Saint-James, Juvigny, Saint-Hilaire. Mais lui aussi se plaint amèrement du manque d'armes, en proportion du recrutement assuré, environ soixante hommes :

" Il avait été question de parachutage avec Camus (Rouault). Aucune suite : aussi, nous n'avons rien de rien. Pour l'instant, j'ai conseillé, Jàute de mieux, de récupérer immédiatement tous les fusils de chasse et de les mettre en état. C'est avec cela que mes gars sont décidés à descendre du Boche si, demain, se déclenche la bagarre. J'avoue n'être pas très fier quand un chef de groupe me demande des outils. "

" Aussi, je demande - j'implore - qu'on fasse immédiatement l'impossible pour nous pourvoir à tout prix, d'un matériel minimum : c'est-à-dire de deux ou trois mitraillettes par groupe, d'un revolver pour chacun et d'un certain nombre (le grenades. Il nous faudrait en tout : 20 mitraillettes, 60 revolvers

250 à 300 grenades et munitions en conséquence. "

Lettre d'Étienvre (Archives Nationales).

Intervention du C.D.L.

Gresselin, président du C.D.L. (Comité départemental de libération), intervient auprès des régionaux O.C.M. Personne n'ignorait que les B.O.A. (Bureau des opérations aériennes) avait opéré des parachutages dans l'Eure, l'Eure-et-Loir et l'Orne. Beaucoup de ces armes " attendaient " dans des dépôts divers dont plusieurs avaient été découverts par les Allemands.

Finalement, il fut décidé que la Manche pourrait bénéficier d'un armement prélevé sur un dépôt de six tonnes, constitué à la ferme Toussaint, à Moulicent près de Longny-au-Perche. Le 30 avril 1944, Marcel Leblond fut chargé d'en assurer le transfert. Ce n'était pas simple, car il s'agissait d'aller chercher les armes dans le canton du Tourouvre, près de Mortagne ; l'ordre de mission (clandestin) du quatrième Bureau de la région M, précisait : " Prévoir du carburant pour 530 kilomètres ".

" La reconnaissance sur place eut lieu le 1 l mai, le jour même où le groupe " Action P.T.T. - Saint-Lô " bénéficiait, d'autre part, d'un parachutage à Sainte-Marie-Outre-l'Eau, près de Pontfarcy (Calvados).

" Le jour de l'Ascension, le 18 mai, Charles Jeanne, chauffeur, ramena le chargement dans un camion. Il était accompagné de deux gardes du corps et une voiture particulière précédait le convoi avec, à son bord, deux gendames en uniforme : le lieutenant Giudicelli et le gendarme Voisin. La présence d'uniformes de la gendarmerie maritime de Cherbourg joua pleinement son rôle et il n'y eut pas d'incident notable.

" Ferdinand Remirecourt les conduisit à l'ancienne briqueterie de Saint-Martin-d'Aubigny, appartenant à Texier. L'inventaire révéla un approvisionnement insuffisant pour le département et l'absence d'armes individuelles. La répartition en fut faite entre le nord, le centre et le sud du département. Approvisionnement en armes de la Manche-Sud

" René Beijon (" Émile "), prévenu par Jean Marie, de La Haye-Pesnel, prend ses dispositions pour assurer le transport vers le sud. A cet effet, il charge André Debon de se rendre à Coutances, le 22 mai, pour prendre un contact opérationnel :

" J'avais rendez-vous à 13 h 30, sur le parvis de la cathédrale de Coutances, avec un inconnu de l'O.C.M. Il y avait un mot de passe. Je devais demander : " Pardon, Monsieur, n'êtes-vous pas le représentant de la maison ?

Duval-Lemonnier ? " Et la réponse était : " Vous faites erreur, je représente Caïffa ".

" A l'heure exacte, il y avait un homme planté devant le parvis. Je suis allé à lui et lui ai posé ma question. lI m'a répondu qu'il avait effectivement été employé chez Duval-Lemonnier, il y avait bien longtemps de cela ; et il s'est mis à me raconter toute une histoire sur ce qu'il avait fait ensuite ! Je me suis excusé, et Je l'ai quitté. Mais j'étais inquiet sur le déroulement du rendez-vous... Dix minutes plus tard, le bon interlocuteur était là ; il m'a emmené boire un café.

Nous avons fait rapidement connaissance. C'était un homme intrépide : Gaston Picot. Nous sommes allés ensemble reconnaître les lieux près de Périers. Notre lot était de moins de deux tonnes ; nous nous mettons d'accord pour le 31 mai. Eugène Hamel, du Neufbourg, pouvant assurer le transport ce jour-là. De retour à Brécey, par l'intermédiaire de Louis Pinson, je recrute un troisième homme, Louis Hardy, du Grand-Celland. "

Laissons Eugène Hamel raconter la suite : " J'ai trouvé Louis Hardy à l'entrée du bourg de Brécey et André Debon, près de l'école des garçons ; et nous avons pris la direction de La Chaise-Baudouin, puis de Villedieu.

" Arrivés à Saint-Lô. nous nous sommes séparés. Debon est parti sur son vélo en direction de Périers, tandis qu'avec Hardy, j'allais faire une livraison de poules à la glacière du Moulin au Cat..J'étais au courant de l'endroit du dépôt d'armes, juste avant d'arriver à Périers. De toute façon, André nous attendait au bord de la route, comme convenu. Il n'y avait personne en vue et nous l'avons suivi dans le chemin. Tout était prêt à être chargé. Pendant que nous opérions, il y avait des résistants en armes tout autour de la briqueterie.

" Les armes et les explosifs ont été déposés au fond du camion, les cages à poules vides par-dessus. Au retour, nous étions tous les trois à l'avant du camion : moi qui conduisais et les deux autres armés. Pour rentrer, nous avons pris une petite route, un itinéraire bien préparé à l'avance. Pas d'incident. Un Allemand, à pied, nous a demandé de le transporter ; il a grimpé dans le camion car il n'y avait plus de place dans la cabine. A un carrefour, il est descendu et nous a chaleureusement remerciés. Nous l'aurions bien transporté jusqu'à Brécey car, finalement, sa présence dans le camion était rassurante !

" Un peu avant la nuit, nous sommes arrivés à la maison bien isolée de Louis Hardy et avons tout déchargé. Après avoir déposé André Debon, à Brécey, je suis rentré à Mortain, tout seul, avec mes cages à poules, juste avant le couvre-feu. "

Inventaire

A l'inventaire, bien peu de choses, compte tenu de tous les groupes à approvisionner : un P.I.A.T. (Projector lnfantry Anti-Tanks), autrement dit un lance-roquettes, avec seulement deux fusées ; des mines antitanks d'origine anglaise ; des explosifs : plastique, cordon bickford, cordon détonant et détonateurs, plus quelques grenades ; seulement deux mitraillettes et fusils-mitrailleurs, avec chargeurs et cartouches.

La plupart de ce matériel était difficilement utilisable et nous regrettions l'absence presque totale d'armes individuelles. Et que dire du mode d'emploi figurant sur les boîtes de poil à gratter destinées aux repasseuses qui devaient les glisser dans les chemises des occupants !

Il y avait aussi des " crève-pneus ". A première vue, il y avait lieu de croire qu'avec des clous ou des planches hérissées de pointes, nous pourrions obtenir d'aussi bons résultats.

Et pourtant, à l'usage, il fallut réviser notre appréciation. Le groupe de saint-Hilaire, qui utilisa les premiers, constata leur efficacité. Un crève-pneu ressemblait à une boîte de cirage dont le couvercle serait maintenu par du sparadrap. Un trou central pour visser le détonateur et l'engin était prêt à poser. Le pneu n'était pas simplement crevé, mais mis en lambeaux et totalement inutilisable. Le mot anglais : " tyre-burster " aurait été mieux traduit par " explose-pneu " ou " éclate-pneu ", ce qui nous aurait moins déçus que " crève-pneu ". Ces objets, insolites à première vue et qui nous avaient laissés sceptiques, s'avérèrent d'une réelle efficacité. Par la suite, enrobés de plastique ou de cheddite, ils se transformèrent en mines plus ou moins puissantes, selon le résultat recherché. Ils firent merveille pour immobiliser les transports, rendant ainsi les routes impraticables. Conclusion : on n'en eut pas assez !

Répartition

La répartition se fit sans tarder. Louis Blouet, rentrant d'un chantier à Jullouville, passa à Brécey le soir du 31 mai. Le lendemain, il repartit pour Saint-Hilaire, avec Pinson qui se rendait à la correction d'un examen ; ils emmenèrent crève-pneus et explosifs destinés à Saint-Hilaire, dans les sacoches de leurs vélos avec chacun un jambon par-dessus.

Comme il n'y avait pas d'armes individuelles dans le parachutage, ils avaient, en guise de protection, un 6,35 pour deux, revolver fourni par M. Goutière, le maire de Brécey.

Le même jour, 1" juin, André Debon alla chercher chez Hardy, en voiture à cheval, le lot destiné à l'est du Mortaisais et le stocka chez sa mère, à La Baudonnière. Le lendemain, trois groupes vinrent s'y approvisionner : Arsène Paris pour Saint-Laurent, François Hilliou pour Montjoie-Gathemo et le percepteur, Gombert. pour Sourdeval.

Quant au P.I.A.T., que personne ne savait utiliser, il fut caché dans la paille, chez un voisin, Alix. Une des deux mitraillettes " Sten " fut amenée au Pont-Roulland, chez Moulin, où une écoute permanente de la radio de Londres était organisée depuis fin mai, pour capter les messages du débarquement.

L'autre mitraillette l'ut transportée chez Fouillard, à Marcilly, où Louis Blouet et André Pasquier en prendront livraison le 10 juin. Ils ramenèrent à bicyclette, la " Sten ", les chargeurs et les cartouches, à Serouanne (Martigny), malgré la présence de nombreux Allemands. Louis Hardy assurera le transport d'un fusil-mitrailleur Brenn, à Saint-Laurent (ou Saint-Aubin), de Terregatte.

De son côté, par l'intermédiaire de Chivet, le groupe d'Avranches reçut des armes provenant du groupe P.T.T.-Bcaucoudray (parachutage de Sainte-Marie-Outre-l'Eau) qui furent rapportées par Maurice Rosselin, employé de Marcel Tabur.

A leur tour, Paul Guiton et Jean Marie, de La Haye-Pesnel, obtinrent de l'O.C.M. un début d'armement.

Partout, la nécessité d'un armement efficace dominait toutes les préoccupations. En Ille-et-Vilaine, les F.T.P.F., qui avaient pourtant montré une étonnante combativité avec de très faibles moyens. n'avaient bénéficié d'aucun parachutage, contrairement à l'Armée Secrète qui en avait obtenu depuis 1942. sans l'utiliser. France d'abord, journal national des F.T.P.F., écrivait le 1er juin : " Où passent les armes ? " Finalement, sur l'intervention de l'État-Major F.F.I. et du C.O.M.A.C.. Louis Pétri obtint un premier parachutage, près de Louvigné-du-Désert, dans la nuit du 29 au 30 mai ; ce qui permettra aux F.T.P.F. de la région de Fougères d'aborder la réalisation des plans de sabotages liés au débarquement dans de meilleures conditions.

De Saint-Hilaire, le 2 juin, Louis Pinson se rendit à Saint-Lô avec Madeleine Blouet et des professeurs de Saint-Hilaire et de Mortain pour participer à la correction des épreuves du Brevet Élémentaire. Par la même occasion, il assurait des liaisons pour " Émile " avec la Fraternelle de Saint-Lô et la S.N.C.F. (café Guérin). C'étaient les dernières consignes du colonel " Michelin ", commandant la région " M " qui confirmaient celles déjà connues. C'est à cette correction du brevet, le 2 juin, qu'il rencontra Marland pour la dernière fois.

Rentré à Brécey, à bicyclette, il participa, le 4, à l'expédition de mines anti-tanks destinées au groupe d'Avranches.

Voici dans quelles conditions :

Comme les F.T.P.F. d'Avranches devaient participer au sabotage des câbles souterrains, en liaison avec le groupe Tabur-O.C.M., on voulut leur simplifier la tâche dans le déraillement des trains. Le peu de plastic ramené de Périers avait été emmené à Saint-Hilaire ; avec Berjon, on décida d'envoyer les mines antichars à Avranches. Louis Hardy les ayant apportées au Pont-Roulland, je ramenai les deux colis sur le porte-bagages de nia bicyclette le dimanche matin à l'heure de la messe.

" Les mines étaient dans un emballage en bois, les détonateurs à part. bien entendu. Emballées dans de la toile à sac, elles furent étiquetées " Pièces de machines agricoles ", envoyées par le car Bouteloup, de la ligne Sourdeval-Avranches. Mais, directeur d'école, je pouvais difficilement faire l'envoi moi-même. Michel Tauzin les achemina en brouette chez M. Bouteloup et l'expédition fut faite au nom d'un trafiquant des environs, le destinataire étant un certain M. Georges.

Le 5 au matin, Jacques Mansuy en prenait livraison à l'arrêt du car. a l'hôtel Corbin. En fin d'après-midi, Mme Lourdais descendit deux des mines à la gare, dans une voiture d'enfant, portant son dernier-né. La nuit du débarquement. elles étaient en place.

" Sais-tu qui me les a envoyées ? m'a demandé Mansuy... en 1978. On n'en avait jamais parlé auparavant ! "

Les forces F.F.I. dans le Sud de la Manche (début juin)

Nous avons suivi dans leur préparation les groupes du Mortainais et de I'Avranchin déjà constitués par les responsables F.T.P.F. successifs : à Brécey, sous la direction de Louis Pinson, à Saint-Laurent, auquel se rattachent Coulouvray, Saint-Pois, Montjoie avec Arsène Paris, à Gathemo et Champ-du-Boult où les frères Hilliou sont en liaison avec les groupes de la région de Vire, à Sourdeval avec Gombert, à Saint-Hilaire avec Louis Blouet, à Avranches avec Mansuy, à Marcilly avec Fouillard. A la date du 6 juin, ces groupes représentent une centaine d'hommes. Ils opèrent séparément les uns des autres avec des liaisons assurées par " Émile ", André Debon, Louis Pinson et quelques autres.

Du côté Libération-Nord, les choses sont moins avancées niais elles évoluent. Étienvre fait état de cinq groupes, malheureusement pratiquement sans armes au 6 juin : Ducey, Saint-James, Juvigny-le-Tertre, Sourdeval, Saint-Hilaire. soit une cinquantaine de membres. Le groupe d'Avranches a été décapité par les arrestations de Sainte-Pience. Un contact sera pris peu après à Villedieu. Mortain est à reconstituer.

L'O.C.M. est représenté par Marie à La Haye-Pesnel, par Untereiner à Mortain, par Tabur à Avranches. Dans cette dernière ville, l'O.C.M. est active et collabore régulièrement avec Libé-Nord et les F.T.P.F. Par contre, à Mortain, le groupe ne s'est jamais manifesté par des actions contre l'occupant. il s'est cantonné dans le recensement et semble sans liaison depuis l'arrestation de Franck à la mi-mars 1944.

Dans l'est du Mortainais, de nouveaux groupes se sont créés, en liaison avec le département de l'Orne, plus précisément dans le secteur de Domfront, il s'agit de F.F.I. de l'Orne, sous la direction de Lefèvre dit " Richard ", depuis le 22 mai 1944. Ces groupes ont pris naissance dans les conditions suivantes :

Le sous-lieutenant Jean Fouqué avait organisé un service de renseignements dans la région de Montélimar, à partir de février-mars 1943. Mais le 28 septembre, sur le point d'être arrêté, il réussit à s'échapper et gagne Argentan où il est mis en relation avec la direction locale des F.F.I. Il réside à Saint-Cyrdu-Bailleul, avec de faux papiers et, en liant amitié avec l'hôtelier de la gare, M. Messuron, il apprend que celui-ci a caché un stock d'armes avec l'aide d'Albert, un jeune agriculteur. Ensuite, il se procure des munitions et crée un groupe à Saint-Cyr-du-Bailleul : ce groupe " Blida " comprenait huit hommes au moment du débarquement.

D'autre part, en septembre 1943, le Maréchal des Logis chef Constant Dauvergne est muté à la brigade de Barenton. il avait déjà organisé un groupe de résistance à Saint-Domineuc (Ille-et-Vilaine) en 1942. Ayant perdu tout contact avec la Résistance, il protégea les réfractaires locaux de la grande rafle du S.T.O. exécutée par le capitaine Chauviré, en novembre, dans l'est du Mortainais. Il les fit Prévenir pour qu'ils disparaissent et le résultat de la rafle fut négatif.

" Lorsque j'eus acquis une connaissance suffisante de nies hommes et de lu Population, je cherchai à nouveau à me rapprocher d'une organisation de résistance. Par l'intermédiaire du D' Julien, de Barenton, j'entrai en contact avec les F.F.I. de l'Orne et formai un groupe de résistance à Barenton, composé de 18 membres ".

Enfin, un petit maquis était en constitution à Saint-Georges-de-Rouelley. Il comprenait une vingtaine de membres et travaillait en liaison avec le groupe de Lonlay-l'Abbaye dont le chef était Jean Lacaux.

Le groupe de Barenton fut mis en contact avec le maquis de Saint-Georges-de-Rouelley dont il constitua une sorte d'avant-garde et de protection.

Au Teilleul, sept ou huit résistants se sont groupés, niais de façon indépendante. Lonlay-l'Abbaye, Barenton, Saint-Cyr-du-Bailleul formaient trois sections constituant le sous-secteur de Lonlay, sous le commandement d'André Lefèvre. Contrairement à ce qui se passa dans le sud de la Manche où l'encadrement militaire expérimenté manquait à peu près totalement, la région de Dom-front - et l'Orne en général - bénéficièrent d'un encadrement de bonne qualité et de parachutages assurés par le B.O.A.

Il semble que le maquis de Lonlay-Saint-Georges-de-Rouelley avait quelques liens également avec l'organisation F.T.P.F. de Flers qui joua dans la région un rôle formateur important. En effet, un centre de refuge avait été organisé pour abriter les F.T.P.F. de l'État-Major national poursuivis ou en danger d'arrestation. Le futur colonel Fabien y trouva un refuge et, à partir de novembre 1941, il a probablement participé au développement des F.T.P.F. à Flers.

Le groupe de républicains espagnols qui travaillait à la fabrication du charbon de bois pour l'organisation Todt, dans la forêt de Ger, à 10 kilomètres de Mortain, était rattaché à Flers. Dès 1942, un tonnage important de ce charbon de bois avait subi les effets du sabotage des F.T.P.F. Au cours de l'hiver 1943, quatre moteurs pour le sciage du bois avaient été détruits et un camion de 15 tonnes mis hors d'usage.

Ce groupe de Ger était toujours en activité le 6 juin. L'organisation F.T.P.F. de Flers comptait une cinquantaine de membres, alors sous la direction de Saniez ; les F.T.P.F. de Flers ont aidé ceux de la Manche, en matière de formation. Ils ont, nous l'avons vu, participé au sabotage de l'usine hydroélectrique de Vezins et à quelques déraillements autour de Villedieu:

Dans ce secteur, l'équipage d'un bombardier anglais, abattu à Saint-Jeandes-Bois dans la nuit du 8 au 9 mai 1944, fut caché et ravitaillé par Henri Durand, cultivateur aux Gériers, à Ger.

Nous avons dit que les groupes de Coulouvray, Champ-du-Boult et Gathemo avaient des liens de plus en plus étroits avec des groupes F.T.P.F. de la région de Vire, sous commandement du capitaine Isidore : le groupe Urbain. le groupe Van den Bulcke et le détachement Guillaume-le-Conquérant. Ces trois groupes opéraient autour de Vire, tantôt dans le Calvados, tantôt dans la Manche, et l'activité des groupes de Champ-du-Boult et Gathemo se mêla souvent à la leur, en raison des conditions géographiques.

Entre Vire et Condé-sur-Noireau, une organisation d'origine O.C.M. s'était également bien implantée au milieu de petits groupes dispersés. Une coordination s'amorça début 44, sous l'égide du Réseau " Centurie ", dépendant du B.C.R.A., sous la direction d'hommes comme Jean Foucu, et Lenevez, qui avait obtenu un parachutage le 8 septembre 1943.

Jean-Renaud Dandicole, un officier anglais du S.O.E., parachuté en Corrèze le 29 janvier, arriva dans le Calvados en février avec son officier radio Larcher. Il y réalisa l'amalgame des diverses formations, créant ainsi le maquis de Saint-Clair, tandis que Claude de Baissac procéda de même en Mayenne. Des parachutages furent réalisés d'avril à juin : le 18 mai, 5 tonnes d'armes, et le 3 juin, en complément, des postes émetteurs. Début juin, l'ensemble des groupes de cette organisation comptait une centaine d'adhérents dont la moitié d'actifs.

Un peu plus au nord de la Manche, il faut citer quelques groupes importants tout en étant conscients d'oublier quelques petites organisations isolées :

- A Villedieu, malgré les ravages causés par les arrestations de mai 1943 et de mars-avril 1944, un noyau important poursuivait ses activités, avec Le Carin, Storez. Duwald et quelques autres, en liaison avec Hambye. Et. depuis le début 1944, Le Can) était en relation personnelle avec l'interrégional Saintellier.

- A Coutances, l'organisation F.N.-F.T.P.F. souffrait d'un manque de liaison et de contact avec le centre du département et Saint-Lô. A Saint-Lô même, un groupe O.C.M. comptait plusieurs dizaines de cheminots, dont certains actifs. L'activité dans la région d'Agon-Coutainville était surtout liée au renseignement et à l'aide aux aviateurs et parachutistes.

Plus près de Granville, il faut citer :

- Le groupe de Bréhal.

- Le groupe de Trelly (Libé-Nord). qui sera pris en charge par Étienvre, recherché dans la région, plus au sud.

- Le " maquis " du Bois de Buron, lié à la région de Cérences, fort de 13 hommes opérant en petite concentration légère et mobile, sous les ordres de Jumel.

-- La région de Granville et la côte avoisinante (Bouillon, Saint-Pair. Carolles, etc.) où, à côté de l'organisation de Marland consacrée essentiellement au renseignement, agissaient aussi de nombreux F.T.P.F. (sans bonnes liaisons ?) et d'autres groupements plus ou moins structurés, en rapport avec le commandant Godard.

Enfin, il faut réserver une mention spéciale au groupe Résistance-P.T.T. de Saint-Lô qui existait depuis 1941, en liaison avec Henri Leveillé à Caen où existait une solide organisation. Dirigé par Crouzeau, à partir de 1943, le groupe de Saint-Lô comptait une trentaine d'adhérents. Il était en liaison avec le F.N. par Le Puissant et avec l'O.C.M. par Franck. Le plan des lignes téléphoniques du département avait été dressé, ainsi que le projet de sabotages à réaliser en priorité par Clément Seger, avec le concours de Chivet, d'Avranches, dont nous avons déjà parlé. Ce plan fut transmis par Crouzeau à Pruvost et Leveillé à Caen (Plan Violet).

Les forces F.F.I. dans les zones limitrophes

A l'extrême sud-ouest, les groupes de Montanel et Argouges, dirigés par Lansonneur, travaillaient en étroite collaboration avec les groupes d'Antrain, en Ille-et-Vilaine. Un groupe était en formation à Saint-Laurent-de-Terregatte.

Pour terminer ce tour d'horizon, il est nécessaire de dire quelques mots de la Mayenne et de l'Ille-et-Vilaine, qui bordent la Manche, au sud.

La Mayenne avait pris, dans les mois précédents, une grande importance stratégique dans la résistance régionale ; d'une part, le capitaine Claude de Baissac, responsable du Réseau " Scientist ", du S.O.E. (Special Operations Executive), y avait établi son quartier général, près de Saint-Mars-du-Désert. eu s'appuyant sur un solide maquis de 150 hommes répartis en petits groupes ; d'autre part. l'interrégional F.T.P.F. Louis Pétri, qui était également responsable en Ille-et-Vilaine, projetait de s'y installer à Lignières-la-Doucelle, et il semble qu'un bon accord existait entre les deux hommes.

En lisière du département, dans la Mayenne, à 15 kilomètres au sud-est de Saint-Hilaire, de solides groupes F.T.P.F. étaient en action à Landivy et sur-tout à Fougerolles, sous la direction de Julien Derenne.

L'Ille-et-Vilaine a joué un rôle important pour la Résistance en Manche-sud à partir de fin juin, la liaison avec de Baissac, la liaison avec Londres, comme avec l'État-Major F.F.I., tout passait par l'État-Major F.T.P.F. d'Ille-et-Vilaine, avec lequel Emile Berjon entretenait des rapports constants.

En Ille-et-Vilaine, les F.T.P.F. de Pétri avaient déjà fait preuve d'une âpre combativité. En 1943, ils avaient réalisé de nombreux déraillements dont le plus spectaculaire le 10 juillet 1943.

En 1944, avant le débarquement, 88 attentats ou sabotages étaient enregistrés, dont la centrale électrique de Saint-Brice-en-Coglès et trois garages Opel à Fougères. En mars, Julien Lamanilève et Louis Pétri libèrent les Résistants enfermés à la prison de Dinan.

Fin avril, toujours avec Julien et une quinzaine de F.T.P.F., c'est l'attaque de la prison de Vitré et la libération de ses camarades dont Léon Pinel (" Jules "), responsable F.T.P.F. de la Manche jusqu'à mars 1944j.

Quarante-six détenus furent ainsi libérés et conduits par petits groupes vers La Bouéxière. Un accrochage avec la gendarmerie s'y produisit. Six résistants furent repris ; les autres se dispersèrent dans toutes les directions dont plusieurs se replièrent sur la Mayenne et le Mortainais. Un des surveillants de la prison, soupçonné de complicité, fut arrêté.

Dans : " Les hommes du Maquis ", L. Pétri raconte : L'attaque de la prison de Vitré

" Environ trois semaines avant l'attaque, nous en commençâmes la préparation : le plan de la prison nous avait été envoyé, tracé à l'encre sur un vieux bout de chiffon par les camarades prisonniers. Du ravitaillement, des médicaments et de l'essence pour le voyage nous étaient donnés par M. Roger, tandis que M. Macé préparait les échelles de cordage et les tubes de bombes.

" A la suite d'une lettre urgente d'une femme de l'un des captifs, reçue le 20 avril, je rencontrai cette personne à Rennes. Elle m'avertit que les prisonniers devaient passer dans un très proche avenir devant la Cour Spéciale d'Angers. Vous savez ce que cela veut dire !

" Nous projetâmes l'attaque pour le samedi 29 avril, prévoyant de la remettre au dimanche, en cas d'échec. Mes deux lieutenants : Roger Buard et Pierre Brageul, et Josette, femme de liaison, furent envoyés le 28 à Vitré, pour reconnaître les lieur. Le rendu vous avait été fixé à deux kilomètres de Vitré, sur la route de Janzé. En dehors des lieutenants, aucun des F.T.P.F. ne savait exactement le but du déplacement.

" Parti de Rennes en voiture, avec Julien, emportant des échelles, le ravitaillement et les médicaments, je rejoignis au lieu prévu les groupes de la Bouëxière, de Dinan, de Rennes et de Redon. Il était environ I I h du soir.

" A 500 mètres de la prison, la voiture fut garée dans un champ. Nous étions au nombre de 16, portant les échelles, les armes, etc. L'échelle de corde ne s'accrocha pas immédiatement sur le mur ; mais, avec de la patience, nous parvînmes à l'y fixer. Aussitôt après la relève des gendarmes, vers 1 h du matin, je déclenchai l'attaque ; et, les enceintes franchies, les camarades encerclèrent le bâtiment central de la prison.

" Les gendarmes devaient dormir dans une guitoune, près de l'immeuble. Nous étions prêts à tout, et nous avions tout prévu : si nous ne pouvions parvenir à nous faire ouvrir, Boursier, vêtu de la tenue du gendarme Saquer, du Grand-Fougeray, devait donner le change. Mais tout se passa très bien : l'un des nôtres sonna de l'extérieur et, à l'instant où le gardien entrouvrait la porte du bâtiment central, nous nous sommes Jetés sur lui et avons pénétré dans les salles. Surpris dans leur sommeil, effrayés par notre nombre et par nos armes, les gendarmes .se rendirent sans résistance.

" Ce fut un instant inoubliable, le plus émouvant qu'il m'ait été donné de Vivre. Les camarades pleuraient de joie, nous embrassaient. Certains d'entre eux immobilisés ; Fernand mutilé, et Geffroy atteint d'une phlébite, nous demandaient de ne pas nous encombrer d'eux. Mais il n'était pas question de les laisse en arrière.

" Le gardien-chef n'avait remis la liste des détenus politiques et, malgré

leurs supplications, les droits commuons furent laissés dans leurs cellules.

" Après les hommes, nous libérâmes les femmes : Mmes' Lendormy,

Genouel, Brionne.

" Mais une besogne moins joyeuse nous attendait. Tous les prisonniers, en effet, me désignèrent Messenich comme le principal responsable de leurs arrestations. Personnellement, j'avais déjà acquis la preuve de sa trahison et de sa lâcheté au cours de l'affaire Jean Turmeau. Il était d'ailleurs au " mitard " pour 90 jours, pour avoir voulu adresser à la Gestapo une lettre où il se plaignait de la bienveillance des gardiens envers les prisonniers.

" Les détenus sont sortis dans la cour et, par groupes de dix, commandés chacun par un F.T.P.F., partirent vers la Bouëxière. M. et Brionne s'éloignèrent à bicyclette vers Brie. En dehors de trois femmes, les détenues refusèrent de partir, soit par excès de fatigue, soit par peur des tortures, en cas de reprise. Quelques jours plus tard, elles partirent pour Angers et, de là, pour l'Allemagne.

" A 500 mètres de la prison, dans un champ, j'accordai sa dernière cigarette à Messenich, qu'une rafale de mitraillette abattit.

" Le gardien m'avait demandé de couper le fil du téléphone avant notre départ afin qu'on ne lui reproche pas de n'avoir pas alerté. J'avais accédé à son désir et la tenure du gardien que je laissais libre m'avait promis de ne pas donner l'alarme avant 7 h. Il en était 5 quand nous quittâmes la prison ; et je pensais n'avoir rien à craindre avant que tous les prisonniers ne fassent en liberté. Deux faits insignifiants causèrent tous nos ennuis. Premièrement, un de mes camarades oublia sa mitraillette dans le champ proche de la prison où nous nous étions arrêtés. Deuxièmement, Le Gac, qui devait avoir prévu les planques et nous attendre à la Bouëxière, n'était pas au rendez-vous. Eugène Richonune, Boursier et moi, nous perdîmes du temps à essayer de le joindre et, ces recherches se prolongeant, nous commençâmes d'explorer les champs et les bois autour du village.

" Entre 10 et 11 h, les gendarmes Demeure et Lepreux nous rencontrèrent et nous demandèrent nos papiers. Au cours d'un vif combat qui s'engagea, Demeure tira plusieurs balles sur moi, sans n'atteindre et finit par s'écrouler, matraqué par un de mes lieutenants. Lepreux tenta de fuir mais, rejoint et désarmé, fut fait prisonnier, comme son collègue. Je leur laissai la vie, ne leur demandant que la promesse de ne pas alerter les Allemands. "

Pas de gros maquis

On a pu constater, par ce petit tour d'horizon, que la Résistance locale en Manche-Sud existait bel et bien, mais qu'il n'y avait pourtant trace d'aucun

maquis " tel qu'on l'entendait alors dans les milieux attentistes. Aucun groupe ne dépassa jamais la quinzaine d'hommes rassemblés au même endroit. Dispersés dans l'environnement du bocage, ils étaient assez discrets pour répondre aux exigences de la sécurité, mais ils étaient capables d'actions rapides, efficaces. sans risques inutiles.

Sous le titre " Masse de maquis ou maquis de masse ", Charles Tillon a bien défini en quoi consistait cette alternative :

" Ou bien de petits maquis obligatoirement entraînés par leurs conditions d'existence à la pratique de l'action et attirés ainsi dans l'orbite de la guérilla avec les F.T.P.F. ou bien de gros maquis laissés sans moyen d'agir ou sans ordre d'agir. Tel était le problème pressant, depuis la fin de 1943, devenu explosif avec l'approche du débarquement ".

Les plans de sabotage

" Le C.O.M.A.C., comité militaire du C.N.R., où les communistes jouent un rôle déterminant, donne, en mai 1944, des instructions aux chefs départementaux des F.F.I. pour qu'ils mettent en place des groupes d'action immédiate, chargés d'effectuer les sabotages susceptibles de porter les plus graves préjudices à la machine de guerre nazie. Les vues du commandement allié restent pourtant réticentes quant au déclenchement d'opérations de grande envergure ; l'action de masse des F.F.I. ne sera désirée qu'après la constitution d'une tête de pont sur le continent et en relation avec la progression des armées débarquées ".

Ces phrases résument clairement l'état d'esprit des différentes instances supérieures, avant le débarquement.

Dans son intervention au Colloque de Caen, en octobre 1984, le professeur Bradley F. Smith, du Cabrillo Collège en Californie, a expliqué pourquoi les responsables militaires américains, habitués à leurs moyens sophistiqués d'armée régulière ne croyaient pas, ou fort peu, à l'utilité de la Résistance intérieure, dans le cadre d'un débarquement sur le continent. ils changèrent d'avis ultérieurement, comme nous le verrons. Par contre, les responsables de la Résistance intérieure savaient mieux ce qu'on pouvait attendre de leurs organisations.

C'est pourquoi les instructions du C.O.M.A.C. prévoyaient une intervention massive de la Résistance au moment du débarquement. Ces instructions se résumaient comme suit :

1) Plan Violet : sabotage des communications téléphoniques, notamment des câbles à grande distance.

2) Plan Vert : mise hors d'état de fonctionner correctement de l'ensemble du réseau des voies ferrées.

3) Plan " Tortue " harcèlement des convois ennemis, par tous les moyens accessibles, afin de retarder et gêner au maximum les mouvements de l'ennemi : barrages des routes, embuscades, sabotages.

Les groupes des divers mouvements de Résistance du sud de la Manche, de l'Orne, de la Mayenne, de l'Ille-et-Vilaine se sont efforcés, avec leurs moyens souvent faibles, de donner la suite qui convenait aux instructions du C.O.M.A.C. Ils ont ignoré les directives de caractère attentiste et se sont préparés à intervenir au jour " J ".

ANNEXES

Compte rendu d'activité de Léon Pinel (dit ",Jules ")

Après l'arrestation de " Paul " le 4 mai 1943, Léon Pinel fut désigné comme responsable départemental du Front National dès le 12 mai 1943. Domicilié à Argenteuil (33, rue des Bretons), il avait dû se réfugier en Bretagne pour avoir refusé d'aller travailler en Allemagne dans le cadre du S.T.O.

Ouvrier métallurgiste, entré dans la Résistance en 1941, il participe à l'organisation des premiers groupes des environs de Fougères. Recherché par la S.P.A.C. pour ces activités, il vit dans l'illégalité à partir du 12 mai 1943.

Au cours de l'été suivant. Yvonne Dissouhray revient de la région de Plouaret (C. du N.) pour lui fournir les noms des responsables de groupes qui avaient échappé à la tourmente de mai 1943. A partir de ces renseignements. " Jules " assure le recrutement d'une trentaine de groupes F.N. du Mortainais à Saint-Lô et organise la propagande.

La gendarmerie le recherchait pour n'avoir pas répondu à une convocation du S.T.O., et c'est pour ce motif - somme toute dérisoire - qu'il fut arrêté le 5 mars 1944. Incarcéré à la prison de Vitré, il fut libéré le 30 avril par un groupe F.T.P.F. dirigé par Louis Pétri et Julien Lamanilève ; ensuite, il rejoignit le groupe de Montanel, organisé par Lansonneur.

Après la guerre, il reprit ses habitudes de cyclotouriste et de végétarien. Pendant une randonnée en région parisienne, il fit une chute mortelle.

La citation ci-dessous résume le sérieux, l'audace tranquille, la ténacité de cet excellent camarade :

GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
(XIe R.M.)

CITATION A L'ORDRE DU RÉGIMENT N° 234

Le Général de Division Allard, commandant la XIe Région militaire, cite à l'ordre du régiment : Pinel Léon.

Motif de la citation : entré dans la Résistance en 1941, participe à l'organisation de groupes locaux de Résistance dans la région de Fougères. Édite et diffuse tracts et journaux clandestins. Organise groupes F.T.P.F. dans le département de la Manche. Participe à deux déraillements : lignes de Saint-Brieuc-Lison et Paris-Granville. Arrêté le 5 mars 1944, il est délivré le 30 avril 1944 de la prison de Vitré par les groupes du Commandant Tanguy. Rejoint le maquis de Montand (Manche) et participe à différentes attaques contre l'ennemi.

Patriote ardent, a toujours fait preuve de beaucoup de courage et de dévouement.

(Cette citation comporte l'attribution de la Croix de Guerre, avec Étoile de Bronze.)

A Rennes, le 2 janvier 1946 Signé : ALLARD.

 

CHAPITRE 4

HUIT SEMAINES D'INTENSE ACTIVITÉ (15 JUIN - 31 JUILLET 1944)

1 – La nuit du 5 au 6 juin et les premiers jours du débarquement

Les messages

A Brécey, à Saint-Hilaire, à Avranches, fin mai 1944, nous connaissons le texte des messages à capter sur la radio de Londres, et la signification de chacun d'eux. Pour les communiquer à Saint-Lô, " Émile " cherchait le moyen le plus sûr. Gustave Moulin suggéra de confier le texte à son fils Maurice, apprenti coiffeur âgé de 15 ans : " C'est un gamin, personne ne se méfiera de lui ; et puis il aime le vélo et c'est son jour de congé. " Maurice était à l'heure au rendez-vous de Candol et, à 10 heures, il était de retour à Brécey. C'était un lundi, le 29 mai (ou, peut-être, le 22). et " Émile " avait, ce jour-là, une réunion du C.D.L. (Comité Départemental de Libération), ce qui l'empêchait d'aller lui-même à Saint-Lô.

La première tâche était de capter les messages annonçant le débarquement et de prévenir les différents groupes du sud du département.

Bien que les Allemands aient ordonné de déposer tous les postes de radio dans les mairies, un certain nombre avaient été conservés. Mais les coupures d'électricité étaient de plus en plus fréquentes et, dans l'attente des messages, il fallait néanmoins impérativement assurer une écoute permanente de Londres.

Au Pont-Roulland, Gustave Moulin avait, bien sûr, conservé son poste et, comme il produisait son propre courant électrique, grâce à un petit cours d'eau, les coupures ne pouvaient nous gêner. Michel Tauzin revint de Marcilly et, relayé par Mme Moulin et Angèle Marguerite, il attendit les messages dans le moulin à usage de dépendance où le poste de radio avait été installé.

Le 1er juin, le message d'alerte fut entendu : " L'heure des combats viendra " ; ce qui signifiait que le débarquement aurait lieu dans les quinze jours. Le deuxième message indiquant un " débarquement proche ", correspondait à la citation de Verlaine : " Les sanglots longs des violons de l'automne... " Il fut capté dès le lendemain. Le 3, il ne se passa rien, mais le 4 un nouveau message d'alerte fut entendu, suivi le soir de son annulation. On saura plus tard que la tempête avait obligé l'État-Major allié à retarder le jour " J ". Cette période d'attente, bien que n'excédant pas 48 heures, nous parut interminable.

Le lundi 5 vers 18 h, Jean Marie, du groupe O.C.M. de La Haye-Pesnel, arriva à l'école de Brécey pour annoncer à Louis Pinson que le débarquement aurait lieu dans la nuit du 5 au 6. Pinson eut confirmation de cette information quand. à 17 h, puis à 21 h 15, puis 22 h 15, la première citation de Verlaine : " Les sanglots longs... ", fut complétée par le vers suivant : blessent mon cœur d'une langueur monotone ". Cette fois, c'était bien le débarquement tant espéré ! Munis de consignes précises, en direction d'objectifs bien définis, nous avions un rôle important à jouer.

Dans la soirée du 5 juin, deux autres messages suivirent : " Les plus désespérés sont les chants les plus beaux " ; c'était l'ordre de déclenchement du Plan Violet, et : " Les dés sont sur le lapis ", pour application immédiate du Plan Vert.

A Avranches. le 5 juin en fin d'après-midi, Marcel Tabor avait entendu : " L'appel du laboureur dans le matin bruineux. " Il traça un signe convenu sur un panneau de signalisation routière, route de Saint-Quentin : Mansuy et Morazin étaient prévenus. Un autre signe analogue à l'autre bout de la ville informait Lourdais. A Avranches, à l'O.C.M., à Libé-Nord et chez les F.T.P.F., tous étaient prêts pour participer à l'application du Plan Violet et du Plan Vert dans la nuit du 5 au 6 juin.

Opération Overlord

Au soir du 5 juin, les Francs-Tireurs sont prêts à effectuer les sabotages aux endroits prévus, alors qu'est déclenchée la gigantesque opération de débarquement entrée dans l'histoire sous le nom de " Overlord ".

Avant d'examiner en détail les actions entreprises dans le sud du département et les zones limitrophes, nous tenons à rappeler que, sans l'aide de tous nos Alliés, nous n'aurions pas pu nous libérer du joug nazi :

" Des hommes venus d'outre-Atlantique ou Manche débarquent sur nos plages normandes à l'aube (lu 6 juin 1944. Ils savent le risque encouru par eux, malgré la force de feu qui couvre l'entreprise gigantesque scientifiquement préparée.

" Pour la plupart, ce coin de France est terre inconnue et terre ennemie, puisque l'ennemi se l'est appropriée. Aussi leur a-t-on dit qu'il s'agit du salut de la Liberté, cette patrie spirituelle au-dessus de toutes les patries charnelles. Collectivement, le moral est bon.

" Sous l'uniforme, cependant, il y " un homme qui pense à ses amours, il voit sa femme, sa mère, ses enfants, la vie, la mort. Ce n'est pas explicite. Cette part d'âme et de cœur tien dans un cri. Le cri de l'homme qui saule de la barge.

de l'homme frappé à mort, de celui qui perd bras ou jambe. Le cri du camarade de droite et du camarade de gauche, dont les corps volent en éclats.

" Ne pas oublier la peur. La peur tenaille le héros ; il n'existe pas sans elle. Sans elle, il serait simple machine de guerre. Rempli d'elle, il agit au nom de valeurs humaines le dépassant.

" Chaque combattant pense que les mitrailleuses s'en prennent à lui. Pourquoi mourir ici ? Pour Utah Beach, Omaha Beach, La Pointe du Hoc ou la Tour Eiffel. Et pour ce morceau d'Europe à reconquérir ? Non, pour la liberté, répond en eux l'Humanité.

" Le même jour, en plein midi ou soir, des villes, des communes de Normandie s'écroulent, descendent aux enfers. Une mère est agenouillée, hagarde, prés de ses quatre enfants et de son mari, tués. Ce souvenir demeure en mémoire. La Liberté vaut donc si cher ! "

" Le débarquement de la Liberté " : article de notre camarade de la Résistance - C.V.R. - Joseph Leclerc, Directeur de La Manche Libre, à l'occasion du 40` anniversaire).

Plan Violet : communications téléphoniques

Voici comment Louis Pinson, l'un des participants aux sabotages dans la région de Brécey, a vécu la nuit du 5 au 6 juin :

" Debon et Louaisel me rejoignirent à l'école de Brécey vers 20 h ; nous y avons laissé nos cartes d'identité, de sorte que, si nous étions pris au cours du sabotage, les gens pourraient dire qu'ils ne nous connaissaient pas et que nous étions étrangers à la région.

" Nous avons rejoint Tauzin chez Gustave Moulin et, tous les quatre, nous avons quitté la ferme du Pont-Roulland, vers 22 h. - " Et si le débarquement n'avait pas lieu cette nuit ? ", s'inquiéta Mme Moulin. " Eh bien, il faudra recommencer !

Nous sommes partis avec une scie (les tronçonneuses n'existaient pas), des pinces coupantes et des grappins. En guise de protection, le vieux pistolet de 14-18 fourni par Leguillochet et le 6.35 de Gustave Moulin. L'endroit prévu se trouvait au-delà du château de la Brisolière, dans une grande prairie, loin des routes. Le premier poteau. scié à ras de terre, puis le second, se balancèrent, sans amener la rupture des fils, qui étaient très nombreux. Les deux paires de crampons,fournis par Almire Ganelon - les mêmes que ceux utilisés par les agents des lignes - permirent de grimper sans problème au long de plusieurs autres poteaux et de cisailler la totalité des fils. Des dizaines de coupures furent effectués en direction de Saint-Pois ; ailleurs, les fils furent court-circuités, de sorte que la liaison Brest-Berlin ne fut jamais rétablie !

" Pendant que nous opérions, un véritable ouragan d'explosions lointaines s'était déchaîné vers le Nord, déchirant la nuit en embrasant le ciel. En fin de nuit, André Debon partit à la rencontre des groupes Saint-Pois-Montjoie qui opéraient un peu plus loin.

Michel Tauzin alla prévenir le groupe de Saint-l-Iilaire ; je luis indiquai l'itinéraire le plus court, par les bois des Cresnays, l'Eraille, la Roche, puis une

petite route permettant d'arriver sans encombre à la " planque " de Sérouarine près du moulin de Martigny. Tôt le matin. Angèle Marguerite partit prévenir le D' Lemonnier, à Juvigny-le-Tertre et Maurice Moulin se rendit à Sourdeval pour aviser Gombert. Gustave Louaisel rentra chez lui et je pris la direction du Cours Complémentaire.

" Je ne pouvais pas, sans risques, annoncer en clair qu'il s'agissait du jour.). Je me rendis au café Mazier, d'où je téléphonai à l'Inspecteur : " Certains disent que c'est le débarquement ; alors, par précaution, je renvoie les élèves. Qu'en pensez-vous ? Non seulement, j'eus son accord, mais, avant intentionnellement téléphoné d'un café, la nouvelle se répandit rapidement. J'avertis mes collègues, la Directrice de l'école de filles et les directeurs des deux établissements privés.

" A Brécey, les pensionnaires et les élèves furent renvoyés le matin même : leurs vacances allaient durer quatre mois. J'avertis les Cours complémentaires de Saint-Hilaire où les mêmes décisions furent prises.

" Je me rendis à Saint-Pois l'après-midi, avec André Debon, pour rencontrer l'inspecteur primaire, car le certificat d'études de Brécey était prévu le samedi suivant : il fut reporté... à l'automne.

Le 6 au soir, avec l'équipe Serrant-J.B. Roussel, nous avons cisaillé, près de Vernix, la ligne téléphonique qui reliait Avranches au poste de guet de Reffuveille. Curieusement, pendant cette nuit du 6 au 7, les routes étaient tranquilles : aucun convoi allemand ne circulait.

D'autres coupures de lignes téléphoniques furent effectuées ce soir-là :

- Celles des lignes Rennes-Cherbourg et Rennes-Caen curent lieu au Sud-Est de Saint-James. Il en fut de même à Villedieu, avec Marcel Duval.

- Le groupe de Barenton pratiqua la destruction des fils téléphoniques dans la région, depuis fin mai jusqu'au 4 août 1944. Elle était effectuée par Lecrosnier, protégé par deux gendarmes : Barthoneuf et Lecomte. Ce sabotage fut opéré, en particulier au moment du débarquement, aux environs de la gare et à " La Roche ".

Dans la région de Champ-du-Boult, le groupe Van Den Bulcke " a détruit régulièrement les lignes téléphoniques ", notamment dans la période liée au débarquement. De même, le détachement Guillaume-le-Conquérant signale le sabotage, le 7 juin, de la ligne Gathemo-Vire, détruisant 5 poteaux et 200 mètres de fils. Il renouvelle l'opération le 9 juin, sur la ligne de Saint-Michel-de-Montjoie à Vire sur 150 mètres.

Nous ignorerons sans doute toujours un certain nombre d'initiatives prises par des groupes, ou même des isolés, en ces jours décisifs où beaucoup ont eu conscience de la responsabilité qui pesait sur leurs épaules.

A Avranches, Marcel Tabur avisa ses camarades dès le 5 juin, et le groupe O.C.M., en liaison avec le groupe Charles Tillon, coupa la ligne souterraine reliant Rennes à Pontaubault, provoquant la destruction de 120 circuits. A Marcey, la ligne reliant Granville (42 circuits) est sciée et toutes les autres lignes aériennes partant d'Avranches sont également coupées en quatre endroits. Le groupe de La Haye-Pesnel procède de la même façon.

Raymond Chivet avait, dès décembre 1943, prévu et visite, avec Jean Turmeau, tous les emplacements possibles de sabotages. Le 6 juin, dès 2 h du matin, toutes les communications téléphoniques sont coupées et les Allemands convoquent Chivet au centre d'amplification. Il s'y rend et trouve quatre Allemands désemparés : " Plus de téléphone, disent-ils, plus de communications avec Granville, Saint-Lô, Rennes, La Luftwaffe. Peut-être sabotage ?..."

Chivet, qui sait à quoi s'en tenir, prend un air étonné et fait le simulacre de mesurer l'isolement des câbles. I1 leur annonce que toute localisation est impossible et qu'il faut attendre un appareillage spécialisé. Ordre lui est donné de rester sur place. Il s'applique à leur inspirer confiance et est libéré à sept heures. Mais, dans la soirée, il est appréhendé par Brandt et enfermé au presbytère, avec d'autres techniciens du téléphone. Cette mesure est générale sur tout le réseau. L'objectif des Allemands était de neutraliser les spécialistes des lignes souterraines à grande distance en les empêchant ainsi de mettre éventuellement leurs connaissances techniques à la disposition de la Résistance. La confiance régnait...

Plus au nord, le groupe P.T.T. de Saint-Lô, ayant rejoint celui de Villebaudon, procède aux coupures de câbles reliant Saint-Lô à Falaise et Le Mans, ainsi que la ligne souterraine assurant la liaison avec Jersey. Le travail avait été préparé de longue date : le schéma des lignes, réalisé par Clément Seger et Raymond Chivet, avait été acheminé par Crouzeau à Henri Leveillé (Caen) et à Prouvost de l'État-Major National P.T.T.

Certaines lignes locales ayant été rétablies sont immédiatement rendues

inutilisables et la Kreiskommandantur d'Avranches, établie au château de Baffé après les bombardements d'Avranches, est totalement isolée le 21 juin. Un Allemand est désarmé au cours d'une opération analogue. Le câble souterrain reliant Rennes est à nouveau coupé et réenterré le 12 juin, au lieu-dit : " La Vache Enlisée. "

Le 15 juillet, la B.B.C. annonce que les Allemands sont privés de toutes

leurs liaisons téléphoniques. ils ne peuvent plus utiliser que la radio pour leurs

communications entre le front et les arrières.

M. Baudot (" Libération de la Bretagne ", page 16) écrit : " Dès la nuit

du débarquement, les équipes de sabotage se mirent au travail et la Normandie comme la Bretagne se trouvèrent pratiquement totalement isolées du reste de la France, quant aux communications à longue distance. Ces actions causèrent aux Allemands une gêne considérable. "

Dans un document de mars 1945 (Na 17.04.51), le Grand Quartier Général Allemand reconnaît : " Le démantèlement des moyens de communication, particulièrement les lignes reliant les P.C. de l'arrière aux points d'appui, qui furent sabotés par les Partisans et le personnel des Postes, furent une des causes du succès du débarquement allié ".

Les P.T.T. au Plan National

Clément Seger, nommé en janvier 1944 chef du Centre d'Amplification de Saint-Lô, était l'un de ceux qui, en région parisienne, avaient fait partie du groupe de Robert Keller. Au service Renseignements P.T.T. de l'armée, à Alger, trois ingénieurs et six techniciens mirent au point un dispositif d'écoute permettant d'entendre tout ce qui se disait à proximité d'un téléphone.

Combaux, l'un de ces techniciens, fit appel à Keller, ingénieur des P.T.T., pour réaliser des " piquages " sauvages sur les lignes allemandes à grande distance.

Il simula une fausse panne sur 2 câbles, permettant une intervention face au pavillon où tout est prêt pour l'écoute. En présence des techniciens allemands qui ne remarquèrent rien, 90 circuits furent dérivés sur le pavillon au 89, rue Grande à Noisy-le-Grand. Le système fut opérationnel du 20 avril au 18 septembre 1942 et permit d'écouter toutes les conversations de l'État-Major. Après repli de cette installation sur Livry-Gargan, le 15 décembre 1942, Robert Keller fut dénoncé le 25 décembre suivant... Il est mort en mars 1945, à Bergen-Belsen.

Auparavant, il était passé par le Struthof et Marcel Leclerc, alors à l'infirmerie du camp de concentration évoque son souvenir :

" Je me souviendrai toujours de la sollicitude quasi maternelle qu'un de mes camarades, atteint d'un phlegmon au bras gauche, montrait pour m'aider. C'était Robert Keller, Ingénieur des P.T.T., d'origine alsacienne ; un Résistant hors ligne. puisqu'il avait réussi à capter, pendant plusieurs mois, en greffant une connexion sur le grand câble téléphonique souterrain Paris-Metz, toutes les conversations du Grand État-Major allemand... Robert Keller venait souvent me parler... il était très pieux et, quoique me sachant athée, il redoublait d'attentions pour moi. Nous étions ensemble la nuit de Noël 1943. Robert Keller se rendit au chevet de tous les camarades français et étrangers, leur demandant comment on fêlait Noël dans leur famille ou leur pays.

" Le lendemain, c'était l'affreuse pendaison de deux détenus. ".

Le Plan Vert : voies ferrées CHERBOURG-VALOGNES

Au soir du 5 juin 1944, un message personnel de la B.B.C.: " Les dés sort sur le tapis " annonçait le sabotage généralisé des voies ferrées.

A proximité de Cherbourg elles étaient gardées par des soldats allemands, aussi Albert Planque, Lesage et Renard, de Libé-Nord, furent arrêtés avant d'avoir réussi à détruire la voie au niveau de Sideville (La Presse de la Manche, numéro spécial, juin 1984).

Par contre, Paul Remicourt et ses camarades, utilisant les explosifs remis par Gaston Picot, coupèrent la voie ferrée au sud de Valognes, à proximité du passage à niveau de Lieusaint.

La ligne Cherbourg-Coutances, aujourd'hui désaffectée, fut sabotée aux environs de Périers, ainsi que le confirme Charles Laplace-Dolonde.

SAINT-LÔ

Les cheminots, pour la plupart Résistants, avaient été approvisionnés en explosifs après le parachutage de Sainte-Marie-Outre-l'Eau le 9 mai précédent. Sur les instructions du Commandant Villiers-Moriamé (de l'O.C.M.), Charles Bonnel, employé S.N.C.F., est chargé de diriger les équipes de sabotage des voies ferrées autour de Saint-Lô dès que seront captés sur Radio-Londres les messages attendus. Plastic, cordon Bickford, amorces, pétards, crayons de retardement - avec leurs notices d'emploi - sont apportés par Jacques Bouvier dans l'ancien bureau d'octroi situé dans la gare même de Saint-Lô. Après inventaire. l'ensemble est transporté dans le grenier de la gare et caché sous des cales en bois.

Une répartition est faite entre les équipes prévues pour les prochains sabotages : Jean-Baptiste Leboisselier vient chercher la part réservée au secteur de Coutances ; pour celle destinée aux gares de La Meauffe et de Airel, c'est Bonnet lui-même, accompagné de Jules Rihouey qui assure le transport à bicyclette. En cours de route. ils sont stoppés par une patrouille allemande qui se contente de contrôler leurs papiers sans se préoccuper des paquets ficelés sur leurs porte-bagages.

Les explosifs ayant été ainsi répartis, les divers lieux d'intervention sont soigneusement repérés et les horaires bien étudiés... Pour assurer à ces sabotages un maximum d'efficacité Bonnel demande l'avis de Legrand. chef de district au service de la voie : celui-ci lui conseille de placer les explosifs aux deux extrémités d'un rail afin d'en casser deux avec une seule charge ; il lui affirme en outre que, lorsque le jour sera venu, il dispersera ses équipes et que lui-même prendra quelque distance afin que la réparation des voies détruites soit retardée le plus possible.

Le 5 juin. en fin de journée, après diffusion des messages par la B.B.C., les équipes sont prêtes à intervenir. Au nord de Saint-Lô, à La Meauffe par le chef de gare Gédéon Béruel et à Airel par Hervé, les voies sont coupées. Au sud de Saint-Lô, dans la matinée du 6, Bonnel protégé par Rihouey et Jean Cadet fait sauter les voies sur les lignes Saint-Lô-Canisy et Saint-Lô-Torigni.

" Les voies sont bien coupées et gravement endommagées ", précise Bonnel. " Non seulement les rails sur lesquels étaient disposées les charges sont brisés, mais aussi ceux d'en face. En effet, j'avais plus que doublé les charges prescrites. " Jules Rihouey s'est aussitôt rendu au poste de garde en amont où il a pu manœuvrer le dispositif empêchant le train 1600 de quitter la gare de Canisy. Curieux de juger les résultats du sabotage, il retourne sur les lieux où les Allemands accourus s'enquièrent auprès de lui : " Avez-vous vu des jeunes gens ? " - " Non, j'ai entendu des détonations et comme j'en ai reçu l'ordre, je suis là pour empêcher les trains de passer. " Cette conscience professionnelle lui vaut les félicitations des Allemands.

Charles Bonnet conclut, non sans quelque amertume : " Plus aucun train n'est plus jamais passé car, la nuit suivante, l'aviation alliée détruisait totalement la gare et la ville de Saint-Lô. "

AVRANCHES

Un déraillement qui eût pu être très grave, se produisit le 5 juin, à l'entrée du pont de Pontaubault. Sortie des rails, la locomotive roula en travers, sur le ballast ; le parapet sur lequel elle buta, offrit une telle résistance qu'elle s'arrêta... "

(A Marie : Avranches : Souvenirs de l'occupation et de la libération, page 76.)

Cette action ne figure pas dans le compte rendu d'activité du groupe d'Avranches. Mais elle a bien existé : Claude Rousselle, rentrant à Servon, a bien vu cette locomotive, juste avant le débarquement allié.

Le même jour, Louis Pétri et trois autres camarades sont passés à Virey, chez J.-M. Levesque. Ont-ils placé une charge de plastic à l'entrée du pont de Bretagne '?

On ne le saura jamais avec certitude, mais si l'obstruction du pont avait été totale ce soir-là, aucun convoi allemand n'eût pu passer à l'aube du 6 juin 1944. Malheureusement, une voie restait libre !...

A Avranches, le groupe Charles "l'ilion avait déjà payé un lourd tribut : Renault arrêté en avril, les deux Davy déportés, Jean Vauzelle, André Blouet et les deux Cuny, emprisonnés à Saint-Lô.

Il ne reste donc que Georges Lourdais, Jacques Mansuy et Morazin.

De son côté, Gaston Lebarbier avait rejoint le maquis de Lomont et. comme nous l'avons vu dans l'application du Plan Violet, ils participèrent au sabotage des L.S.G.D. (Lignes Souterraines à Grande Distance) avec Tabur et son groupe. Pour le sabotage des voies ferrées, pressés par le temps, ils devaient employer une autre technique que le déboulonnage. D'où leur vint l'idée d'utiliser des mines anti-chars, reçues de Brécey, que M' Lourdais descendit à la gare.

Malheureusement, le résultat escompté ne fut pas atteint, la mine n'ayant pas explosé. Un train venant de Bretagne put donc passer sans encombre, mais il fut quand même détruit quelques kilomètres plus loin, à Folligny, par l'aviation alliée.

Dans la matinée du 6, une locomotive fut sabotée en gare d'Avranches, bloquant la circulation ferroviaire. Le groupe O.C.M. de La Haye-Pesnel assurait un sabotage au plastic entre Montviron et Folligny. La nuit suivante, un groupe de Granville, avec Thélot, sabota la voie Paris-Granville.

BRETAGNE

Pour empêcher l'arrivée des troupes allemandes stationnées en Bretagne. les F.T.P.F. d'Ille-et-Vilaine avaient pour mission de réaliser sept coupures et il n'y eut qu'un seul échec (3). Le même type d'action fut entrepris par un groupe Libé-Nord opérant dans la région de Messac, à proximité de Redon, et sera renouvelé du 6 au 13 juin.

Néanmoins, la ligne la Brohinière-Dinan fut rétablie et la 275e Division allemande achemina 14 trains en direction de la Basse-Normandie. Le premier passa à Avranches, mais fut détruit à Folligny comme nous l'avons vu. Le second, chargé de munitions, ne put atteindre la gare d'Avranches ; il dut s'arrêter à Pontorson. Nous allons préciser plus loin dans quelles conditions.

Dans la journée du 6 juin, Mansuy et Lourdais se rendirent à Pontaubault, arrivant au moment où l'aviation alliée commençait les bombardements des ponts autour de la ville d'Avranches. Après avoir discuté avec des gardes-voies, ils firent sauter l'aiguillage à l'explosif, rendant la voie de Pontorson vers Avranches inutilisable et, accessoirement, en direction de Saint-Hilaire et Mortain.

Cette même nuit également, Louis Blouet, Pasquier dit " Noble( ", et Jacques Navier, plastiquèrent la voie ferrée Saint-Hilaire-Mortain, à peu près à la hauteur du Pointon.

A cette époque, une voie ferrée reliait Avranches à Saint-Hilaire, via Ducey, tandis qu'une autre, par Vitré, Fougères, Louvigné-du-Désert, Saint-Hilaire et Mortain permettait de relier la Bretagne à Vire. Ces lignes, de peu d'importance quant au trafic ferroviaire, pouvaient permettre le transport des troupes venant de Bretagne vers la Manche et le Calvados. Après le plastiquage de Pontaubault, les trains allemands ne pouvaient plus atteindre Folligny.

CALVADOS - ORNE - MAYENNE

Sur Paris-Granville, le groupe du Capitaine Isidore (Vire. Gathemo, Champ-du-Boult) coupa la voie, puis procéda à des sabotages sur l'axe nord-sud Caen-Flers. au niveau de la halte de Grimhoscq.

La mission " Scientist ", de Claude Baissac - un officier britannique originaire de l'Ile Maurice - s'était scindée en deux. Les groupes O.C.M. et C.D.L.R. Calvados-Manche, avec Jean Renaud-Dandicolle, participèrent aux sabotages entre Caen et Vire ; tandis que celui du sud (Mayenne), en liaison avec " Grégoire " (le Commandant F.T.P.F. Séailles) annihilait les communications entre Le Mans et Laval.

Cette collaboration entre les résistants et le S.O.E. (Special Operations Executive) ira croissant jusqu'à la libération. " Dans le département de l'Orne, les lignes secondaires sont sabotées en plusieurs points et rendues inutilisables ", déclare Mazeline, dans : " La Résistance dans l'Orne ". il s'agit de tronçons : Sainte-Gauburge-Le Mesnil-Mauger, Sainte-Gauburge-Bernay, Mortagne-Condé-sur-Huisnes et Caen-Argentan.

Résultats

Il restait encore 12 trains de la 275e Division aux contins de la Bretagne et de la Normandie. Un bombardement de l'aviation alliée en gare de Pontorson eut lieu le 7 juin. vers 15 h. Le 2` train de la division chargé de munitions, était en gare ; mais la riposte de la FLAK fut très vive et seuls quelques wagons de chevaux furent détruits. Les convois furent alors dirigés vers Fougères, mais sans pouvoir remonter vers Vire.

Dans " Libération ale la Bretagne ", Marcel Baudot note que les douze trains " ne peuvent dépasser Vitré ; les voies sont encore coupées et la 275` Division ne pourra parvenir à Saint-Lô que le 11 juin ; elle aura mis cinq jours pour un déplacement de 50 lieues et arrivera trop tard pour jouer un rôle efficace contre la tête de pont solidement établie ".

La 17e S.S. Panzer, la division " Gotz Von Berlichingen " - " les S.S. au poing de fer ", basée dans la région de Thouars au nord de Poitiers, ne peut dépasser Vitré par le train et n'arrive à Saint-Lô que le 11 juin.

Quant à la Division 2e S.S. " Das Reich ", spécialisée dans la lutte contre les Partisans, elle avait été ramenée de Russie dans le sud-ouest de la France pour y anéantir la Résistance.

Le 7 juin, selon les documents officiles allemands, notamment le K.T.B. de l'O.K.W. (Journal de marche de l'État-Major Général), contrairement à ce qui a été souvent écrit, la 2e S.S. Panzer-Waffen S.S.-Das Reich, n'avait pas pour mission de rejoindre le front de Normandie à marches forcées, mais d'entrer immédiatement en action contre le maquis. C'est ainsi qu'à cette date, alors que le gros de la Division part de Montauban en direction du nord, sur Limoges et Tulle, un bataillon du régiment Panzer Grenadier Der Führer et deux Bataillons de Deutschland partent vers le Sud. "

(Témoignage du Lieutenant-colonel Georges Guingouin - Le Monde : 22 et 23 juillet 1984).

Au cours des opérations de représailles, pour anéantir les maquis F.T.P.F. et A.S., particulièrement ceux du Limousin, cette Division s'illustra bestialement comme on sait : 99 pendus à Tulle et la destruction totale d'Oradour-sur-Glane. le 10 juin, où elle fit 642 victimes.

File ne repartit que le 12 juin pour la Normandie où elle arriva beaucoup plus tard (fin juin). cette remarque de l'historien allemand Hans Luther : " Cette division d'élite ne put être placée en temps utile sur le front de Normandie. "

La destruction par l'aviation alliée des nœuds ferroviaires anéantit progressivement tout espoir allemand d'utilisation des voies ferrées. Mais à l'origine, c'est l'application du Plan Violet et du Plan Vert qui a retardé la venue des renforts prélevés en Bretagne ou acheminés depuis la Vendée ou les Deux-Sèvres.

Les déplacements par route furent rendus tout aussi difficiles pour l'ennemi.

Si, curieusement, pendant les journées du 6 au 9 juin, les routes du Sud du département furent pratiquement désertes, et qu'aucun convoi de quelques importance ne fut aperçu, à partir du 10, on assista à l'acheminement vers le front de convois improvisés et hétéroclites : tombereaux, voitures à chevaux de toutes sortes, bicyclettes, tout cela montait lentement, de nuit exclusivement. Le jour, ces convois faisaient halte dans les fermes, matériel et véhicules soigneusement cachés sous les pommiers et autres arbres, car les routes étaient constamment survolées par les chasseurs anglais.

Mais la progression nocturne de ces convois n'était pas pour autant totalement assurée, car la pose de crève-pneus entourés de plastic et l'abattage d'arbres entravaient continuellement leur progression.

Pour assurer le succès de l'opération " Overlord ", le Haut Commandement allié souhaitait que l'action de la Résistance retardât de 36 heures l'arrivée des renforts. Ce retard fut de cinq jours. La tête de pont établie à partir des plages du débarquement de la Manche et du Calvados était consolidée.

L'établissement du port artificiel d'Arromanches allait permettre l'arrivée des renforts en hommes et en matériel. Quant à la Luftwaffe, elle était réduite au silence. Seule, la Flak restait dangereuse pour l'aviation alliée.

Le plan Vert à l'échelon national

Nous avons écrit, au début de ce livre, que les événements ne peuvent être appréciés uniquement au niveau de notre petite région.

Cette remarque est particulièrement valable pour juin 1944 où, dans la France entière, des Résistants ont contribué à la victoire commune, ceux de la S.N.C.F. tout particulièrement. Pendant l'occupation, le réseau ferroviaire français avait toujours été fragile, malgré les 25 000 techniciens allemands des chemins de fer appelés en renfort en 1944. On l'a vu pour la région d'Avranches-Villedieu, fin 1943-début 1944.

Le 6 juin 1944, on assiste à une véritable paralysie du réseau. " Le chef-d'œuvre du maquis se situe sans doute en Bourgogne, dans la région comprise entre Lons-le-Saunier, Châlon, Dijon et Besançon. A partir du 7 juin, aucun convoi ne peut traverser le quadrilatère qui commande toutes les lignes directes et secondaires réunissant la vallée du Rhône à l'Alsace et au Palatinat. Dans la seule région de Dijon. le 7 juin, 37 voies ferrées furent coupées ".

On estime que dans le sud-est, sur l'ancien réseau P.L.M., un millier de trains se trouvèrent retardés par les F.F.I. pour une durée de 15 jours.

A Ambérieu, dans l'Ain, à 1 h du matin, le 6 juin, les résistants locaux font sauter 52 locomotives, en profitant d'une fausse alerte.

" Le 6 juin 1944, à 15 h 30, le Général Revers, Chef de l'Organisation de la Résistance Armée (O.R.A.), prend à Puis, le train pour Toulouse. Il veut vérifier sur place si le Plan Vert de sabotage des voies ferrées fonctionne conformément à ses prévisions. Le train met trois jours pour arriver à destination. " (5)

Les résultats militaires d'une telle action sont importants. A Mailly-le-Camp, des S.S. motorisés doivent s'embarquer pour Avranches. Les lignes menant de Troyes à Chalons-sur-Marne, de Vitry-le-François à Sézanne et Épernay sont alternativement coupées, de sorte que, pendant plusieurs jours, leurs convois tournent en rond et s'efforcent de franchir un invisible blocus. Ils arrivent en Normandie 15 jours trop tard, après que la contre-offensive de Rommel ait échoué. L'absence d'une troupe fanatisée, comme l'étaient les S.S. de Maillyle-Camp, a pu compter dans son échec ".

Quant à une Division envoyée de Russie, il lui a fallu huit jours pour arriver à Strasbourg et 23 jours de plus pour arriver au front de Caen. Pendant ce temps-là, Cherbourg était libéré, ainsi que toute la partie nord du Cotentin.

Ajoutons que les ponts sur la Seine avaient été détruits. Comme le dit Max Hastings, " les Allemands arrivaient encore à acheminer certains trains prioritaires mais le chaos et les retards étaient malgré tout indescriptibles ".

L'État-Major Allemand et le débarquement

Dans son livre : " Sie kommen " (Ils arrivent), l'Allemand Paul Carel explique la lenteur de la réaction allemande devant le débarquement.

En mai, le temps et la mer étaient restés favorables à un débarquement et Eisenhower n'en avait pas profité. Fin mai, Von Rundstedt avertit Hitler que rien ne laissait prévoir une invasion prochaine. Le 4 juin. le service météo de la Luftwaffe à Paris précise qu'en raison du mauvais temps. il n'y aura pas d'attaque alliée avant 15 jours au moins. (Il y eut une forte tempête, ce jour-là, sur les côtes de la Manche ce qui, on l'a vu plus haut, obligea l'État-Major Allié à reporter le débarquement).

5 juin : " Mer démontée, visibilité mauvaise, vitesse du vent = 5 à 10 mètres/seconde. Sans doute n'aurons-nous pas, la nuit prochaine, les habituelles incursions aériennes. " Et Rommel part en Allemagne demander des renforts à Hitler. Il dispose de 58 Divisions en France et trouve que c'est trop peu. " C'est quand l'ennemi accoste qu'il faut que je le batte, c'est-à-dire en 24 heures. "

Le 6 juin, à l h 10 du matin, une Division aéroportée anglaise et deux Divisions américaines sont parachutées dans le Cotentin. " Von Rundstedt n'estimait pas que ce fût une opération importante. Il croyait à une manœuvre de diversion. (Registre téléphonique glu Q.G. de la 7e Armée récupéré par l'armée américaine).

A ce moment-là, l'armada de 6.480 navires apparaît dans les lueurs de l'aube ; c'est la surprise ! Des officiers répètent : " Mais, ce n'est pas possible ! " Lorsque les blindés allemands de la 21e Panzer sont engagés à 6 h 30, c'est déjà trop tard, plus de liaison avec l'arrière ni avec les P.C. des régions. de Saint-Lô et Caen. Pas de recours contre cette invasion massive, appuyée sur des moyens extraordinaires qui augmentent d'heure en heure. Le 12e Panzer S.S. n'interviendra que le 7 juin alors que Bayeux est déjà libéré. Les renforts se font attendre : le 10 juin, la 275e Division de Redon n'est pas encore là, et c'était l'une des plus proches des plages du débarquement. La 2e Panzer Division est restée à Amiens. en prévision d'un débarquement éventuel dans le Pas-de-Calais ou la Picardie. Elle ne sera amenée d'Amiens que le 12 juin et prendra position dans le secteur tenu par les Anglais, vers Villers-Bocage. Cette Division, équipée de chars lourds, est mentionnée " 2e Pz. D " sur les cartes.

Beaucoup d'historiens et d'écrivains confondent cette " 2e Pz.D " avec la 2e S.S. Panzer-Division " Das Reich " qui arrivera beaucoup plus tard et prendra position dans le secteur de Caen. Elle parviendra au nord-est de Villers-Bocage au début de juillet, puis sera ramenée entre Périers et Saint-Lô, avant l'opération : " Cobra ", (25 juillet).

Quant à la 1re S.S. Panzer, elle stationne en Belgique et ne rejoindra le front qu'avec un retard de près d'un mois.

Le débarquement sur nos côtes, les Allemands n'y croyaient pas ! Les Résistants, eux, y ont cru !

Les bombardements des 6 et 7 juin

Pendant le printemps 1944, l'aviation alliée est de plus en plus présente dans le ciel de Normandie. Les bombardiers attaquent, avec plus ou moins de précision et les chasseurs, évidemment plus maniables, harcèlent efficacement les convois allemands, essentiellement sur les voies ferrées.

Bien entendu, tout le monde ignore alors que le débarquement se fera sur les côtes du Calvados et les Allemands s'inquiètent : ils ne savent pas plus que nous où s'établira la tête de pont, mais ils privilégient plutôt l'hypothèse d'un débarquement sur les côtes picardes et le Pas-de-Calais.

Cependant. par précaution, ils ont, depuis des mois, inondé les marais de Carentan, jusqu'au Hommet-d'Arthenay. Sur tous les espaces découverts, ils plantent ou font planter des milliers de pieux - les " asperges de Rommel " - pour gêner d'éventuels parachustistes autour de la Baie du Mont-Saint-Michel et le long de la Sée, à Tirepied.

Dans la nuit du 5 au 6 juin, l'activité aérienne alliée fut d'une intensité extraordinaire. De Brécey, on voyait la lueur des explosions embrasant le ciel tandis qu'un roulement continu grondait au nord.

Dans la journée du 6, l'aviation bombarda les carrefours et les ponts. Le même jour, des tracts furent lancés sur toute les agglomérations, avertissant les habitants qu'il fallait s'éloigner. Mais le vent éparpilla ces tracts aux alentours, et personne n'imaginait à Coutances, Avranches, Saint-Hilaire, Saint-Lô, Vire, etc., ce qui allait se passer.

A AVRANCHES

Le 6 juin. le dépôt d'essence Martel, à la Cocarde, route de Pontorson, et les ponts conduisant à Avranches, furent bombardés, sans être touchés. Le même jour, les F.T.P.F. du groupe Charles Tillon faisaient sauter l'aiguillage de Pontaubault, en le plastiquant.

Mercredi 7 juin : vers 14 h 45, les premières bombes tombent sur la ville. Pendant 3 jours, ce sera l'enfer : bombardements, mitraillages, incendies. Des blessés, des morts, des gens brûlés vifs.

" Afin que l'ennemi soit vaincu -- disaient les tracts - les armées de l'air vont attaquer tous les centres de transport, toutes les voies et moyens de communication vitaux pour l'ennemi ". La gare fut visée d'abord : une rame de wagons incendiée, le poste d'aiguillage soufflé et les environs touchés.

Depuis, il n'y a plus un hôtel à la gare (il y en avait quatre avant-guerre). Une plaque rappelle les noms des cheminots tués en service commandé : Alphonse Brizard. Lucien Lhotellier, Louis Bisson. Francis Baratoux, Albert Fouquet, Marcel Pasturel, Louis Hervé.

Les trois vagues de bombardiers se succèdent ; des immeubles s'écroulent et, partout, des victimes (on en dénombrera finalement 115). Plusieurs mois après, on en retrouvera une vingtaine dans les jardins du " Secours National ". rue Louis-Millet. Dans la vieille ville qui souffrit le plus, quatre morts à la gendarmerie : Jean Hellgouarc'h, Pierre Thomas, Jean Amiot. Henri Sanson.

Les portes de la prison furent ouvertes, alors que plusieurs détenus s'étaient déjà évadés.

" Les rues, pendant deux heures. offrirent le triste spectacle d'un mouvement inaccoutumé de gens apeurés et consternés. Beaucoup, dont les portes ou les devantures étaient défoncées, s'enfuyaient, sans s'inquiéter de ce que pouvaient devenir leurs meubles ou leurs marchandises. L'essentiel, pour eux, était de mettre leur famille à l'abri. " (A. Marie : Souvenirs de l'occupation et de la libération. p. 131. Éditions de l'Avranchin 1949).

La ville était sans eau, sans gaz, sans électricité. Le mercredi soir, plus de

6.500 personnes avaient quitté Avranches, dont 3.500 se trouvaient à Saint-Senier. L'après-midi du 10, les bombes causèrent de gros dégâts mais la population avait fui vers Saint-Martin, Saint-Ovin, La Gohannière, Marcilly, etc.

Chaque année, le soir du 7 juin, une cérémonie rappelle ces douloureux événements par des dépôts de gerbes :

- au Monument aux Morts ;

- au Monument Lerouxel, mort sous les décombres de la prison de Saint-Lô :

- au Monument Jean-Turmeau, fusillé par les nazis à Saint-Lô :

- au tombeau de l'inconnue, au cimetière.

(Le livre d'A. Marie peut être consulté sur place, à la bibliothèque d'Avranches).

A SAINT-LÔ

Là aussi, des tracts avaient été lancés mais, poussés par le vent, ils se répandirent sur la commune de Couvains. De plus, on croyait à une avance rapide des Alliés. Des nouvelles fantaisistes circulaient sur des débarquements, à Granville, à Saint-Malo, au sud de la Bretagne... c'est dire que la population n'avait pas conscience de ce qui l'attendait.

Si l'aviation alliée détruisit totalement la gare, les bombardements massifs et répétés firent de la ville-préfecture, la " Capitale des Ruines ".

Dans " Les Mains jointes ", Rémy évoque le calvaire des Résistants enfermés dans la prison-tombeau. Les pages 169 et 170 concernent les Résistants dont nous avons parlé :

" Après l'alerte de 22 h, Franck s'était endormi tranquillement. Le réveil, au milieu de la nuit fut brutal. " Les murs de la prison, épais de plus d'un mètre et demi, tremblent sur leurs bases. A travers les explosions, on entend le ronronnement incessant d'une nuée d'avions de bombardement qui planent au-dessus de la ville. Des débris passent à travers les planches qui bouchent la fenêtre. Franck regarde : la ville brûle ; mais la vieille prison semble tenir. Par un trou de souris, il communique avec la cellule d'en dessous... ils sont à six.

Cuny et ses camarades ont pris la décision de sortir de cette cellule où ils risquent d'être écrasés. La porte est épaisse, énorme. Avec des pieds de châlit, ils tentent de la forcer. Elle craque, fendille ; mais ne bouge pas. Les pieds cas-sent les uns après les autres. Les prisonniers y mettent le feu avec des allumettes qu'ils avaient réussi à dissimuler après avoir enflammé leurs paillasses. Au bout de quatre heures d'efforts, le verrou du haut cède. La prison n'est plus qu'un brasier... Les bombes explosent encore, à raison d'une toutes les cinq minutes.

" Cuny se précipite avec son fils et son camarade Jean Vauzelle jusqu'à la cellule n° 7 qui est au 1er étage, et renferme le lieutenant Franck, ainsi qu'un gendarme de Valognes : Le Coadou. La porte de la cellule tient bon. Cuny se souvient qu'il a été employé à travailler clans le jardin ; il sait où trouver une pioche ; il court et libère les deux prisonniers. Il faut partir...

" Mais des plaintes, des appels viennent de l'autre côté de la prison. Cuny et son fils y courent, Franck et Le Coadou sont séparés d'eux : la voûte centrale vient de s'effondrer dans un fracas épouvantable. Cuny voit des cadavres partout. Il entend des cris : quelques prisonniers sont encore vivants, ensevelis jusqu'aux épaules, incapables de se dégager. "

La suite du récit est inexacte ; Cuny ne délivre pas le Dr Philippe, ni Leseigneur, qui, hélas est déjà mort. Rémy - qui a beaucoup écrit - s'est-il documenté sérieusement ? Cuny et son fils l'ont-ils induit en erreur ? Il n'est pas aisé d'en décider.

Mais à partir de ce récit inexact, l'historien Marie Granet écrira que le bombardement " permit à plusieurs internés de s'échapper " ; et elle cite : le sous-préfet de Cherbourg Audigier et Leseigneur, parmi les rescapés.

Pour parler d'Audigier ou de Leseigneur, nous avons essayé de retrouver deux survivants de la cellule 5 (1er étage)

- Le D' Philippe, ancien médecin saint-lois, réside à Caen ; il est très âgé mais une cassette permet de l'entendre ;

- Alphonse Lange, président de l'A.D.I.F., nous a fourni le plan de la cellule (12 morts, 4 rescapés, dont deux seuls restent vivants). Il nous dit :

La prison s'écroula dans un fracas épouvantable, lentement, comme une boîte qu'on fracasse en mettant le pied dessus. Nous avons pensé que c'était fini, que nous allions mourir là. Tout le monde hurlait. Le sous-préfet avait les jambes pratiquement coupées par la chute d'une poutre métallique. Il appelait à son secours le D' Philippe qui, de son côté, criait : " Dégagez Lange. Leseigneur va mourir. " René Leseigneur était gravement touché, mais aucun secours n'était possible... Sous les pierres et les poutres, les lits métalliques se sont écrasés, refermés, emprisonnant ceux qui étaient à l'intérieur.

" Bien des camarades sont morts, broyés à cause de ces lits... J'avais été blessé à la tête par l'armature du lit supérieur ; j'avais perdu mes lunettes. Comme je criais, le D' Philippe a cru que j'étais en train d'agoniser...

" Il y a eu une accalmie ; une bombe à retardement m'a miraculeusement remis à l'air libre et dégagé. Le D' Philippe put s'évader dans le courant de la journée. J'ai erré pendant quinze jours dans le " no man's land ", avant de rencontrer les Américains, le 23 juin. "

Jean VAUZELLE

Sous le nom de Jean II, il avait effectué trois missions à Paris et, en particulier, la transmission du message de J.-B. Étienvre qui réclamait des armes pour ses groupes.

Interné depuis le 8 avril, condamné à mort fin mai, il est lui aussi dans la prison tombeau. Avec Barbieux, il parvient à enfoncer la porte de la cellule, mais les gardiens Allemands refusent de les libérer. ils mettent le feu pour, enfin, sortir.

Il rejoint Le Val Saint-Père, reprend son activité résistante et participera à la mission Helmsman.

Témoignage de Roger LELAISANT

Le 5 avril, après cinq jours d'interrogatoires, nous fûmes transférés de la Kommandantur de Granville à la prison de Saint-Lô, où nous partageâmes la vie monotone de dizaines d'autres détenus. Nous n'en sortions que pour effectuer les tâches dangereuses du déminage ou désamorçage des bombes non explosées, tombées à Lison, Carentan, Folligny. Nous étions les " Terroristes de Villedieu ".

" Puis arriva le 6 juin, avec le bombardement de Saint-Lô, la destruction de la prison, la mort de dizaines de camarades. Certains s'en tirèrent : j'en suis...

" Après 18 heures passées sous les décombres et un coma de 13 jours, causé par une blessure à la tête, je me retrouvai au Hutrel, près de Saint-Lô, d'où je fus transféré à l'hôpital d'Alençon. Mais des recherches étant opérées par la Gestapo dans les hôpitaux, je décidai de partir et de rentrer à Villedieu. Sinon au mieux, je serais allé dans un camp de concentration.

" La dernière émotion de ce retour fut d'apercevoir à Saint-Barthélemy, l'agent de la Gestapo Le Nourry, avec la fille Carchon. Mais là aussi, tout se passa bien. Je repris mon activité dans le groupe et, le 1er août, je passai les lignes à La Bloutière, pour donner aux Américains les emplacements exacts des batteries allemandes situées à Beslon et à Chérencé-le-Héron ".

Témoignage du fils LEROUXEL

Les proches des détenus de Saint-Lô continuaient d'espérer ; il y avait eu, effectivement, des transferts vers des hôpitaux.

Jean Lerouxel, maire-adjoint d'Avranches, témoigne :

" Mon père était en prison depuis le 13 avril. Il avait d'abord été interné au quartier allemand, avant d'être transféré dans le quartier français. Le 6 juin, premier bombardement, vers 20 h 30. La prison n'est pas touchée. Les Allemands, avant de se mettre à l'abri, s'empressent de contrôler portes et serrures, afin que les prisonniers ne s'échappent pas. Vers 23 h 30, 23 h 45, nouveau bombardement terrible. Les bombes tombent partout. La prison est touchée en plusieurs endroits, et le quartier où est détenu mon père s'effondre. Il est écrasé sous les bombes et les gravats...

" Nous ne le savions pas car, depuis le 6 juin jusqu'au 2 septembre, nous Sommes restés sans nouvelles. Certains nous affirmaient, qu'ils avaient emmené les prisonniers avant le bombardement... D'autres, qu'ils avaient été transférés du côté d'Angers.

" Nous poursuivions nos recherches. Le 2 septembre, nous nous rendons

à Coutances où est repliée la Préfecture. Pas de traces de mon père, qui ne figure pas parmi les victimes. Nous nous rendons donc à Saint-Lô, pour avoir plus de

renseignements.

" Je me souviens de cette entrée dans Saint-Lô, de cette vision apocalyptique. Tout n'est plus que ruines. Avec des buldozers, les Américains tracent les rues. Les gravats forment de gros amas sur lesquels ils ont déposé des cercueils. Ils sont là, en attente, pour mettre les corps qui sont, au fur et à mesure, dégagés des décombres.

" Nous arrivons dans un bureau. Votre père est mort. Nous venons de retrouver son corps ce matin. Et l'homme de me tendre un morceau du revers du veston où je reconnais l'insigne de la Légion d'Honneur. Mon père avait été retrouvé enseveli sous les décombres. Il portait son pardessus, son chapeau, dans ses poches. on retrouva plein de gâteaux secs... Il attendait de pouvoir s'échapper. "

CONSÉQUENCES DES BOMBARDEMENTS

Nous avons insisté sur Saint-Lô et Avranches mais toutes les villes et les bourgs importants furent touchés ; il en fut de même pour de simples carrefours.

comme celui de Précey.

On doit déplorer un gaspillage de vies humaines, des centaines de morts.

des milliers de sans-abri. Destruction également de monuments et de valeurs

culturelles, témoins d'un riche passé. Les habitants de toutes les villes bombardées trouvèrent refuge dans les campagnes environnantes.

Le 8 juillet, à l'approche de combats décisifs, les Allemands ordonnèrent l'évacuation de toute la zone de Saint-Lô. Ces réfugiés partirent vers le sud, dirigés sur Gorron, en Mayenne, ou sur l'Ille-et-Vilaine, certains bifurquant sur Pontfarcy et Hambye. 40 % arrivèrent dans le Mortainais, après être passés par les centres d'accueil de Percy, Villedieu, Brécey, Saint-Hilaire, Huais, Mortain...

Les bombardements eurent également pour effet de limiter les possibilités d'action de la Résistance. Des Résistants tués dans les gares, les P.T.T., les gendarmeries et 33 sous les décombres de la prison de Saint-Lô. Les membres de groupes se trouvèrent séparés, contraints à l'exode, de sorte qu'après les 1 l exécutions au maquis de Beaucoudray, il ne resta dans la région de Saint-Lô que quelques résistants isolés.

Quittant Avranches, Lourdais trouva refuge à Tirepied, Mansuy chez Leroux près du Quesnoy, Morazin à Saint-Martin-des-Champs ; nais, alors que la libération approchait, celui-ci perdit quatre de ses enfants tués par un obus, dans une tranchée, le 31 juillet.

A Avranches, le 7 juin, en l'absence du Maire, le D' Simonin, gravement blessé, " il eut fallu quelqu'un pour coordonner les efforts et prendre des responsabilités. L'homme tout désigné par ses hautes fonctions était le Sous-Préfet Jacquet. Il avait été l'un des premiers à prendre la fuite. 70 % des immeubles d'Avranches ont été la proie des flammes ".

Les villes et les bourgs de l'Avranchin ne connurent pas le deuxième et long exode imposé par l'occupant aux Saint-Lois. Mais plus de 6.000 personnes étaient massées dans les fermes, principalement à l'est d'Avranches : 600 à Saint-Loup, 1.500 à Saint-Senier, 1.200 à Saint-Martin-des-Champs " où se blottit le Sous-Préfet Jacquet dont le rôle fut absolument négatif pendant cette douloureuse période " (A. Marie, op. cité, p. 132).

Le même ouvrage indique que Maître Jozeau-Marigné, maire adjoint de la ville secondé par M. Rousselet, vérificateur des Poids-et-Mesures, M- Rousselet, de la Croix-Rouge, et quelques autres bonnes volontés, réorganise les services municipaux. Il fallait décongestionner Saint-Senier et Saint-Martin, par une répartition rationnelle vers les communes périphériques. On dirigea ainsi 130 personnes sur Le Mesnil-Ozenne, d'autres à La Gohannière, à Saint-Brice " où M.... Hamel, institutrice, fut d'une louable obligeance ", plus de 200 à Marcilly. " N'oublions pas de remercier un Marcillais, dont la voiture était toujours à la disposition, pour aller quérir des denrées à Saint-Senier, M. Martial Fouinard. ".

Le déblaiement de la ville fut ordonné par les Allemands. Un résistant, M. Georgel, s'en chargea, à condition de choisir son équipe. Il ouvrit un passage qui ne permettait pas aux camions de passer. Un immeuble menaçant de s'effondrer, Georgel et son équipe l'abattirent, de telle façon que la rue fut à nouveau barrée. Deux Allemands, qui n'étaient pas au courant, aidèrent à tirer sur les cordages. (Témoignage de M. Giroult, coiffeur).

Le pillage fut d'abord l'œuvre des occupants, organisant de véritables razzias. " Un camion chargé de rapine s'étant arrêté Ince au Crédit Industriel, il fut décidé d'immobiliser le véhicule. Du pétrole fut récupéré à l'épicerie Mongodin. Marcel Lucas y mit le feu, arec l'aide de deux gendarmes du Mortainais ", dit A. Marie.

Nous sommes en mesure de préciser qu'il s'agissait de Leconte et Barthoneuf, gendamres de Barenton qui étaient, comme Lucas, des Résistants. " Nous logions dans une ferme de votre localité, où étaient repliés le reste de la gendarmerie et les services de la Sous-Préfecture... Nous couchions dans une grange, en compagnie de réfugiés de la ville d'Avranches. Notre travail consistait à éviter le pillage dans la ville. En compagnie de mon camarade Barthoneuf, nous nous étions aperçus que des soldats allemands pillaient un magasin de quincaillerie dans une rue principale, alors que leur véhicule était garé dans une petite rue, près de ce magasin. Barthoneuf faisant le guet, j'ai déversé un bidon d'essence dans leur voiture et j'y ai mis le feu. Avant que les pompiers soient arrivés, la voiture était détruite ".

Autre témoignage, de Michel Tauzin : " A Marcilly, Martial Fouinard hébergeait chez lui, en permanence, des réfractaires et j'y fus chaleureusement accueilli lorsque le 13 juin. ayant dû fuir le canton de Brécey, à cause des recherches allemandes, je vins lui demander asile. Je restai plusieurs jours dans sa ferme. Au cours de cette semaine, je l'accompagnai trois fois à Avranches, nous rapportâmes du matériel de la quincaillerie Drouet-Lechevallier et du magasin Conard. Il avait la pleine confiance des propriétaires de ces deux maisons et possédait des attestations formelles lui donnant tout pouvoir afin de procéder à l'évacuation de leur matériel menacé de pillage. "

En définitive, les bombardements semblent avoir eu pour objet de constituer des bouchons pour bloquer le déplacement des renforts allemands. Mais ceux-ci contournèrent les villes, utilisant les petites routes bien abritées, et ne se déplacèrent que la nuit.

Ainsi, malgré des destructions irrémédiables, l'énorme machine de guerre alliée n'avait pas totalement annihilé la circulation des convois allemands.

La Résistance, un moment frappée de stupeur devant l'ampleur des vies sacrifiées, repris de plus belle ses activités pour compléter la paralysie des déplacements de l'ennemi.

2 – Les actions de guérilla

Le Plan "'Tortue "

Avant le débarquement nous avions reçu les consignes d'actions prévues dans les 13 départements de la région " M ". En plus des opérations de sabotage effectuées dans le cadre du Plan Violet (communications téléphoniques) et du Plan Vert (voies ferrées), nous devions ralentir l'arrivée des troupes allemandes. Il était précisé également, qu'au fur et à mesure de l'avance alliée, les groupes de Résistance se replieraient, de façon à maintenir des opérations de harcèlement sur les arrières des troupes.

Au jour " J ", nous n'imaginions pas que ce type d'opérations s'étendrait sur huit semaines ! Le 6 juin, en allant couper une seconde série de lignes téléphoniques, nous apprîmes à Vernix que les soldats du poste de Reffuveille avaient fêté la prise de Rome (4 juin) au café Desfoux et il aurait été facile de les désarmer, tant ils étaient ivres, nous dit-on.

Le lendemain, alors qu'André Debon était à Sourdeval, Louaisel et Pinson, se rendant à Reffuveille, trouvèrent le poste renforcé et des soldats hargneux. Apparemment, les tracts les appelant à cesser le combat restaient sans effet.

Le 7 juin, le message : " Il fait chaud à Suez ", donnait le signal des " guérillas " destinées à retarder, au maximum, la montée des renforts. Les bombardements des villes de la Manche et du Calvados se poursuivaient : Saint-Lô, Coutances, Vire, Avranches et un peu plus tard Saint-Hilaire-du-Harcouët (14 juin). Mais, on l'a vu. les convois allemands évitaient les villes et affectionnaient les itinéraires secondaires où les protections et le couvert d'arbres étaient plus faciles à trouver.

Toutes les formes de harcèlement possibles furent alors utilisées par les résistants : câbles tendus en travers des routes, arbres abattus, crève-pneus ou mines et embuscades si le groupe disposait d'armes automatiques.

Région de Vire

Dès le 6 juin, le détachement " Guillaume-le-Conquérant " incendie un camion et deux remorques chargés de munitions, sur la route de Vire à Saint-Martin-de-Tallevende. Deux cents litres d'essence sont récupérés et le chauffeur est fait prisonnier.

Dans la même région, à la Graverie, près de Vire, un canon de marine stationné en gare, a été signalé par le groupe F.N. de Vire qui a la liaison avec les Alliés, probablement par J. Renaud-Dandicolle. Il est bombardé dans la nuit du 7 au 8 juin. Bilan : canon détruit, un tué et un blessé.

Le matin du 6 juin, au Gast, l'instituteur Liard et Poisnel détournent un ruisseau : la route est transformée en un bourbier où les camions s'enlisent.

Avec de simples fusils de chasse, Lebailly. Breton et quelques autres attaquent des Allemands isolés. Blessé à l'œil dans une de ces escarmouches, Eleonor Breton reçut les soins du D' Robert Lemonnier, de Juvigny-le-Tertre.

Le 12 juin, un camion et sa remorque sont incendiés au Pont Cochon entre Saint-Sever et Champ-du-Boult.

Le groupe de Saint-James, comme le groupe Van Den Bulcke dans la région de Champ-du-Boult, inverse ou enlève les panneaux de signalisation routière, dans toute la zone Ducey, Hamelin, Saint-Georges, Le Ferré. A Saint_ James, à partir du 7 et toutes les nuits jusqu'au 15 juin, des barrages de fils de fer sont tendus sur les routes, provoquant de nombreux accidents dont les traces sont relevées dans la journée. Au Grand-Celland, dans les virages de Trompe Souris, des fils tendus en travers de la route désarçonnent les motards.

A l'est du Mortainais, entre Lonlay-l'Abbaye et Ger, au lieu-dit " la Chatouillette ", des crève-pneus immobilisent un camion qui est détruit par un groupe Armée Secrète de ce secteur.

 

A Brécey

Le 8 juin, Louis Pinson, avec son groupe, neutralise un camion du Génie militaire, avec neuf Allemands. Voici son témoignage sur cette opération :

Le 8 juin, Louis Duval vint me réveiller tôt le matin : " Trois Allemands dorment dans une étable, à la Gestière ; on peut les désarmer. " Je lui demandai de prévenir Louaisel et de prendre l'unique mitraillette qui avait été apportée quelques jours auparavant chez Gustave Moulin.

" Vingt minutes après, nous étions sur les lieux : Gustave Louaisel avec le parabellum de 14-18, et moi un 6,35. Duval arriva avec la mitraillette cachée sous une vaste pèlerine. Cinq Allemands, et non trois, furent désarmés en un instant. Ils nous firent comprendre qu'il y en avait deux autres. Même effet de sur-prise. Ceux-là nous en signalèrent encore deux autres, dans un autre bâtiment. Les armes, toutes récupérées, nous avions neuf prisonniers ! Duval, prisonnier de guerre évadé, ne connaissait qu'un mot d'allemand : " Kricgsgefangen. Nous tentâmes de les interroger en anglais, sans succès. Six étaient de la Wehrmacht : les trois autres (uniformes kaki et brassards à croix gammée) étaient des militaires de l'organisation Todt. S'il n'y en avait eu que trois, nous avions prévu de les mettre sous clé, dans un bâtiment de ferme. Avec neuf, ce n'était plus possible. Leurs livrets militaires récupérés, ils furent mis en treillis, et embarqués dans leur camion, en direction des bois de Reffuveille, accompagnés par Louis Duval et Henri Tabouret.

" Ils s'attendaient à être fusillés. Leurs gardiens leur dirent : " Raus ", leur faisant comprendre que la guerre était finie ; puis Duval et Tabouret rentrèrent après avoir envoyé le camion dans un ravin.

" Il ne nous vint pas à l'idée de massacrer neuf pauvres types arrachés à leur sommeil. De plus, il y avait dans la ferme un soi-disant Alsacien qui s'était mis en civil et une " pépée " qui l'accompagnait. Pas question de tuer 1 1 personnes ; nous étions des " terroristes ", pas des assassins.

" Les 8 fusils furent entreposés provisoirement chez Gustave Moulin et, pendant la nuit du 9 au 10 juin, Debon et moi-même les avons transportés, ficelés sur deux vélos, du Pont-Roulland chez le " père " Goron, à quelques kilomètres de là. "

Le groupe de Sérouanne

Le groupe F.T.P.F. de Saint-Hilaire s'était constitué en mai, grâce à la convergence de plusieurs volontés résistantes :

- Félix Lhuissier, adhérent de Libé-Nord, ainsi que Navier (Georges Aubert), pompier de Paris, replié chez Louis Levesque à Chèvreville ;

- Charles Ruault et ses jeunes camarades, notamment son collègue coiffeur Henri Faverie

- Louis Blouet, déjà résistant à Granville, en contact avec l'organisation F.T.P.F. grâce à Louis Pinson.

Le groupe qui comprenait cinq membres au départ, passa rapidement à dix. après le 6 juin. Il était installé au lieu-dit " Sérouanne " en Martigny, dans une vieille grange désaffectée appartenant à la famille Gobe et dans le voisinage d'une famille amie, les Turquetil. Une jeune fille, Alice Bougourd, assurait la liaison avec l'Ille-et-Vilaine et les autres groupes de la région. Elle était hébergée chez Gobé.

C'est un des rares cas, dans la région, où le groupement des membres fut

effectif et permanent. Tous dormaient et mangeaient à la grange. Le ravitaillement était assuré, pour la meilleure part, par le voisinage essentiellement agricole, en particulier par M. Malval, Conseiller général du canton.

Le groupe disposait d'un petit poste à galène, réalisé par le fils Junyua, de

Naftel, ce qui permettait l'écoute régulière de Londres. Les messages du 5 juin déclenchèrent l'activité du groupe, comme nous l'avons vu. Cette activité se poursuivit, sans interruption, par un harcèlement soutenu.

Le 7 juin, à la Datinière. route de Saint-Hilaire à Mortain, le groupe avait posé plusieurs crève-pneus... Une fraction du groupe se poste en embuscade, avec des fusils de récupération. Une voiture légère - type auto-mitrailleuse - arrive, et un des pneus éclate. Quelques coups de feu sont tirés et le groupe se retire plus loin. Après un changement de roue, la voiture en marche arrière fait éclater un nouveau crève-pneu, puis un troisième. Six hommes descendent en vociférant et en tirant des coups de feu au hasard... Ils ne peuvent repartir que le lendemain midi. Il s'agissait vraisemblablement de militaires installés depuis longtemps, et en nombre. au château de Chèvreville.

L'arbre du Point"

Le 8 juin, des convois montant vers le nord sont signalés. Décision est prise
de réaliser un barrage sur la route de Juvigny. Charles Ruault raconte l'épisode :

Nous nous sommes rendus dans la soirée, avant la nuit, au Pointon, sur la propriété du château de Cintré dont Navier connaissait l'exploitant : Paul James. Nous avions repéré un bel arbre de près d'un mètre de diamètre et nous en commençons l'entaille avec la scie. Mais l'entaille se referme ; la scie coince et se bloque. Il faut des " coins " pour rouvrir l'entaille et continuer le sciage. Je pars donc pour chercher ces " coins ". Pendant ce temps, Blouet et Navier continuent le travail, tant bien que mal. Mais l'exploitant de la ferme, Paul Jantes, arrive sur les lieux ; il apporte son aide et va chercher de l'outillage complémentaire. L'arbre tombe correctement, en travers de la route, bien ancré dans le talus. "

Avant l'aube, un convoi se présente et se trouve arrêté par l'obstacle. Un char est appelé. Il est accroché au tronc pour tenter de le tirer. Mais c'est en vain : la masse de l'arbre défie la traction du tank. Les Allemands se décident, finalement, à utiliser des explosifs pour faire sauter la partie centrale de l'arbre.

Beaucoup de temps a été perdu et c'est seulement au bout de trois heures qu'ils réussissent à libérer la partie utile de la route. Mais déjà le jour est là !

Un deuxième convoi s'est agglutiné au premier. Les véhicules s'ébranlent pour rejoindre le cantonnement de jour, prévu plus au nord. Un avion allié survole le site et les repère immédiatement. il effectue un mitraillage systématique de la route entre Juvigny et le Pointon. Les convois sont décimés : 27 véhicules incendiés, presque tous bourrés de munitions. Le festival d'explosions dure toute la journée. Il y aura, au moins, 7 morts contrôlés... Deux vaches sont tuées chez Louis Levesque.

Cette action provoqua chez les Allemands une rage qui se traduisit, dans les jours qui suivirent, par des interrogatoires multiples des paysans voisins, accompagnés de manœuvres d'intimidation sans aucun résultat et le groupe de " Sérouanne " ne fut pas inquiété.

Montjoie - Gathemo

Après la libération de la prison de Vitré, organisée paf le commandant Pétri (Loulou) et Julien Lamanilève, nos deux camarades Joseph Faligot et Georges Patry, de Louvignè-du-Désert, trouveront refuge dans la famille Hilliou.

Installés dans une boulangerie isolée, ils sont en contact avec le groupe de Jean Frêne qui opère dans la région de Vire. Les frères Hilliou, Marcel Paris. Roger Palaric participent à ces actions ; le plus souvent ils n'interviennent qu'à deux ou trois.

Le 14 juin, un soldat ennemi est capturé ; il essaie de fuir et est abattu.

Vers la mi-juin, à Lancière à 7 km de Champ-du-Boult, Marcel Hilliou et Marcel Paris repèrent un camion neuf qui s'est embourbé. Utilisant la réserve d'essence, ils y mettent le feu. En haut de la côte avant Gathemo, Georges Patry et François Hilliou posent des crève-pneus entourés de plastic. Une demi-heure plus tard, explosion : un camion a une roue inutilisable et le pont arrière cassé. Les Allemands, qui se croient attaqués, tirent au hasard.

Nous donnons la parole à François Hilliou, pour un épisode plus spectaculaire, qui prit place début juin 1944 :

" Avec Eugène Morel et Joseph Hilliou, nous revenions de Saint-Germain-de-Tallevende et, sur la route, avant un carrefour, nous avons rencontré un camion allemand, immobilisé sur le bas-côté, en direction du front. Il était gardé par un homme. Mais en parlant à cet homme-là, nous nous sommes aperçus qu'il s'agissait d'un prisonnier russe. Nous avons alors compris rapidement que ce Russe cherchait à s'enfuir et à entrer en contact avec la Résistance. Il nous fit comprendre également qu'il voulait détruire le camion et qu'il en avait les moyens. L'accord fut conclu : nous le prendrions avec nous et lui, ferait sauter le camion. Il disposa une charge d'explosif, avec mèche et détonateur, sous le camion, renversa un bidon d'essence pour faire une traînée au travers de la route et il y mit le feu depuis le fossé opposé. Le camion prit feu et sauta avec ses 15 tonnes de munitions.

" Ce soldat russe vint nous rejoindre et nous l'avons gardé avec nous, lui avons fourni des habits civils et il resta d'abord chez Guegain, puis ensuite, chez Joseph Hilliou. Le jour de l'arrestation de Joseph, le 27 juillet, il était là, caché sous du foin. Ce foin fut fouillé à la fourche et il nous raconta ensuite qu'il avait senti les dents de la fourche, mais qu'il ne fût pas touché. Ils ne le découvrirent pas. "

Environs d'Avranches

Le 6 juin, rentrant de Pontaubault où ils avaient saboté l'aiguillage, Mansuy, Lourdais et Morazin attaquent et désarment deux cyclistes allemands isolés. Les jours suivants, la lutte contre les incendies provoqués par les bombardements d'Avranches fut la tâche principale de Morazin qui était pompier de la ville.

Lourdais avait trouvé refuge à la ferme de " Bas-Cru ", à Tirepied. Mansuy était à Saint-Martin-des-Champs où il utilisa avec un plein succès les mines antitanks reçues de Brécey le 5 juin.

Les bombardements d'Avranches avaient creusé de larges entonnoirs au lieu-dit le Quesnoy. Il ne restait qu'un passage pour les véhicules. Mansuy posa une mine, et constata, le lendemain, qu'une voiture s'était retournée.

Même opération le 15 juin. Cette fois, c'est un car bondé d'Allemands qui sauta, se renversant sur la route, avec des morts et des blessés, rendant toute circulation impossible. Un camion de munitions dut être déchargé dans le fossé. Le convoi qui suivait dut faire demi-tour. La hargne des Allemands était d'autant plus grande que le Kreiskommandant Von Pasquali s'était installé au château de Baffé, à moins de 500 mètres à vol d'oiseau.

A Marcilly

Le 14 juin, sur la D 110, entre le bourg de Marcilly et la Blandinière, Mansuy et Lourdais se retrouvent avec Martial Fouillard, cultivateur à la Crècherie. Ils abattent un gros arbre sur la route, bloquant un convoi de chenillettes et de camions. La route étant encaissée et étroite, tous ces véhicules eurent des difficultés pour manœuvrer et changer d'itinéraire. Le convoi fut retardé de trois heures.

Le maire de la commune vint rendre compte de l'incident à Pasquali qui le renvoya pour faire dégager la route. Les habitants furent réquisitionnés pour scier et débiter l'arbre !

Conséquences des guérillas

L'action des guérillas s'ajoutant à celle des sabotages des voies ferrées (Plan Vert), eut d'importantes répercussions sur l'ensemble des acheminements d'unités allemandes, considérablement retardées. L'insécurité qui régnait sur les chemins, du fait de l'action résistante, ajoutait une difficulté supplémentaire aux convois de l'occupant, condamnés à utiliser les routes puisque les voies ferrées s'avéraient inutilisables. Le moral des troupes allemandes était émoussé par ces coups répétés et un environnement de totale insécurité.

Dans une lettre adressée le 18 juillet à Otto Abetz, ambassadeur allemand à Paris, le leader pro-nazi Doriot souligne : " A l'arrière du front de Normandie, le chef de l'État-Major de l'armée, dont le Q.G. est au Mans, m'a déclaré que la sécurité des convois allemands n'est pas assurée à cause des maquisards particulièrement agissants ".

Lorsque la Feldkommandantur 722 se replie de Saint-Lô à Milly, aux environs du 15 juin, alors que la Gestapo, la Feldgendarmerie et le S.D. s'installent au château de Saint-Jean-du-Corail, les Allemands sont furieux et il y a de quoi. Selon Raymond Ruflin (13), le colonel Von Achberg, chef de la Feldkommandantur, s'exprime en ces termes, à propos de la région où il vient justement de s'installer : " Cette zone est un réservoir de " terroristes " ; ils sont partout, là à l3récev ; là à Juvignv-le-i'ertre, ici à Saint-Hilaire-du-Harcourt, là-bas à Avranches, à Mortain, à Barenton, à Sourdeval, partout ! Un convoi décimé au Pointon le 9 la liaison téléphonique coupée avec Rennes avant-hier le pont sur la Sélune détruit hier et aujourd'hui encore, une embuscade qui nous fait perdre une colonne de ravitaillement ! C'est intolérable. "

Tous ces petits groupes insaisissables, dispersés sur tout l'arrière du front, constituent, effectivement, une menace permanente d'autant plus irritante qu'on n'arrive pas à l'identifier. Von Achberg en venait, sans doute, à regretter qu'il ne s'agisse pas d'un " maquis " en bonne et due forme, du genre de celui qui fut anéanti au Vercors. Nous allons voir qu'il tenta néanmoins d'agir, au hasard. avec les renseignements qu'il possédait et une vague de répression s'abattit à nouveau sur la région.

En plus de l'action des groupes organisés, il faut noter des exemples de courage tranquille, à titre individuel, tel Auguste Briant, qui cacha un aviateur américain dans sa ferme, pendant plus d'un mois et demi. Nous reproduisons ci-dessous son témoignage (lettre du 1-3-46) :

" Je soussigné : Briant Auguste, cultivateur à Vernix, par Tirepied, déclare sous la foi du serment, ce qui suit :

Le 10 juin 1944, un avion de chasse modèle Thunderbolt venait s'abattre à la Mennerie, en Tirepied et l'aviateur est venu se cacher dans une grange m'appartenant et sise à la Férie, commune de Tirepied, vers 11 h du matin.

Une dame Pichon, ayant vu un étranger au pays, est venue nie trouver aussitôt pour me prévenir que quelqu'un était entré dans le bâtiment.

" Tout d'abord, j'ai pensé à un Allemand qui se cachait et c'est pourquoi je ne me suis dérangé que vers 7 h du soir. Après une demi-heure de recherches, j'ai trouvé, dans un grenier à fourrage, un homme caché sous le foin. Il s'est sorti quand j'ai commencé à déranger le fourrage. Quand il a vu qu'il avait un civil en face de lui, il a posé son arme et il est venu vers moi, m'a serré la main et m'a parlé en anglais, sans doute, car je n'ai rien compris. Après être resté dix minutes avec lui, je lui ai fait comprendre que j'allais lui chercher à manger et à boire.

" Je suis revenu une heure plus tard, en compagnie de ma femme, lui apporter du lait et de la nourriture. Nous sommes restés une demi-heure avec lui puis nous sommes repartis. Le lendemain, je lui ai procuré des effets civils qu'il a été heureux de prendre et j'allais, tous les jours, lui porter à manger.

" Je lui avais procuré une grammaire anglais-français pour qu'il puisse apprendre notre langue.

" Le lundi 19 juin, je trouvai dans l'appartement, un Français qui était venu se réfugier car il pleuvait ; mais Weston Lennox était parti. Il avait, sans doute cru à l'arrivée d'un Allemand. Après trois heures de recherches, sous la pluie, je réussis à le retrouver dans les bois et il en était très heureux.

" Je résolus alors de lui trouver un autre refuge et, pour cela, j'aménageai, près de chez moi, à l'Herpichot, en Vernix, un abri dans un hangar. Je mis un matelas dans un tonneau et ce fut son nouveau dortoir que je cachai avec une voiture. Le soir, nous sortions pour faire une promenade. Cela dura jusqu'au 31 juillet. "

3 – La répression

Après les bombardements de Saint-Lô, l'Administration préfectorale se réorganisa à Baudre, puis à Lengronne. Les services allemands déménagèrent de Saint-Lô à Domjean et c'est le 14 ou le 15 juin que la Feldkommandantur 722 arriva à la gentilhommière du Coquerel, à Milly. Des Feldgendarmes étaient à Saint-Barthélemy, ainsi que des auxiliaires français comme Le Nourry ou Lebourgeois du M.S.R.-La Gestapo, avec Junger (qui se faisait appeler Dufour) et le Tribunal militaire allemand occupaient le château de Saint-Jean-du-Corail, dont le sous-sol servait de prison militaire.

Mort de Louaisel à Brécey (10 juin)

Cet événement, qui se déroula dans des conditions tragiques, est rappelé ici par Louis Pinson :

Le 10 juin, avec Gustave Louaisel, je me rendis dans les bois des Cresnays, Reffuveille, Le Mesnil-Tôve, où. disait-on, se trouvaient des parachutistes alliés. Avant de partir, le gendarme Badin remit à Louaisel un pistolet 7,65, récupéré à la frontière d'Espagne en 1939. C'était moins encombrant que le vieux parabellum de la guerre 14-18. Nous passâmes chez plusieurs amis cultivateurs, pour nous informer ; nous fouillâmes les bois : il n'y avait personne. Nous revînmes au Pont-Roulland et Louaisel rentra à Brécey. A ce moment, Guillochet, boulanger. nous avertit qu'il avait repéré deux individus cachés près d'une meule de foin, à peu de distance de la ferme. Avant de rejoindre ma famille à la Maincendière, j'empruntai la " charrière " qui conduisait à l'endroit indiqué, avançant avec précaution jusqu'à la meule. Je braquai néon 6,35 : trois bras se levèrent, car l'un des deux soit-disant espions était manchot ! C'étaient deux Lithuaniens requis comme nos S.T.O. pour la construction du Mur de l'Atlantique et l'un d'eux, par accident ou bombardement, avait perdu un bras. Ils venaient du nord du département et s'en allaient... chez eux !

" Je revins prévenir et rassurer Gustave Moulin. Angèle, la " bonne ", leur porta la soupe dans le champ. Rentrant à la Maincendière, de nuit cette fois, je dus me cacher derrière un talus. Un important convoi de tanks montait vers le front par la route de Saint-Laurent-de-Cuves. C'étaient les premières troupes fraîches depuis le 6 juin.

" Pendant cette soirée, d'autres événements s'étaient produits à Brécey. Dans le bourg, Louaisel rencontra un motocycliste allemand qui, semble-t-il, lui demanda sa route. Pour toute réponse, Louaisel sortit son revolver et tenta de s'emparer de la mitraillette. L'arme s'enraya-t-elle ? Sans doute. A l'appel du motard, des soldats accoururent. Poursuivi, Louaisel entra dans une maison qui n'avait qu'une issue. II fut pris... Alors, commença une longue agonie. Emmené à l'hôtel de la Gare occupé par la troupe, il fut frappé. cogné contre les murs.

- Ton nom ? Rien ! Tes complices ? Rien ! Tes chefs.? Toujours rien ! Les coups reprirent ; malgré un énorme trou à la tête, Louaisel serra les dents et ne dit rien, pas même son nom !

De nouvelles tortures l'attendaient. Après avoir traversé le bourg de Brécey dans un side-car, les mains liées derrière la tête, il fut conduit au village de la Sactière (route d'Avranches). Attaché à un pommier, son supplice continua. Il fut pendu et on tira sur lui comme sur une cible. Ils traînèrent son cadavre dans le champ, avec des chants et des cris de joie. Et - c'est toujours le témoignage de cultivateurs - ils pissèrent et firent leurs besoins sur ce corps martyrisé ! C'était le 10 juin.

" Le même jour, le général Lammerding, de la Division " Das Reich ". faisait incendier la paisible bourgade d'Oradour-sur-Glane, après avoir fait enfermer tous les habitants dans l'église !

" Les cultivateurs enterrèrent le corps dans le champ, à l'angle de la route d'Avranches et de celle qui rejoint Saint-Laurent-de-Cuves. Le 8 mai 1945. la population se rendit sur cette tombe provisoire ; puis il reçut une sépulture décente le 2 juillet 1945.

" Pourquoi n'y eut-il pas de représailles ? D'abord, parce que Louaisel n'avait pas desserré les dents. Marin, la peau hâlée, il passa peut-être pour un étranger au pays. Enfin, il n'avait pas de carte d'identité sur lui. Elle était restée à l'école, depuis notre départ pour le sabotage des lignes téléphoniques, le 5 juin.

" Je n'appris ces événements que le dimanche matin, le 11, en allant chercher ma ration de tabac, avec ma carte. Quelqu'un devait me prévenir et ne l'avait pas fait.

" Je brûlai tous les papiers : carte d'identité, photos, laissés à l'école par Louaisel et je pris le large pour quelques jours. Je ne rentrai qu'après être passé chez Marcel Debieu à Notre-Dame-de-Livoye, camarade de guerre en 1939-1940, chez qui Tanguy était allé prévenir que je pouvais rentrer.

" Mais, le 25 juin, Louis Duval et Gustave Moulin allaient risquer la mort ! "

Les archives brûlées à Saint-Laurent-de-Cuves (12 juin)

De Brécey, Pinson se rendit à Genêts et Bacilly, sous prétexte de prendre des nouvelles de ses parents. Le 13, il passa à Marcilly, chez Fouillard, pensant obtenir des nouvelles de la suite des événements de Brécey. Il y trouva Michel Tauzin, absolument consterné, qui lui demanda si André Debon avait été fusillé ! Michel ignorait tout de la mort de Louaisel et Pinson ne savait pas ce qui s'était passé à Saint-Laurent-de-Cuves.

André Debon raconte ici la journée du 12 juin, telle qu'il l'a vécue :

" Dans la nuit du 11 au 12 juin, six jours après le débarquement, Michel Tauzin et moi-même avions passé la nuit, à la Baudonnière, la ferme qu'exploitait ma mère, à Saint-Laurent-de-Cuves. Nous avions occupé la soirée à " imprimer " des tracts.

" Vers 5 h du matin, je viens de me réveiller lorsque j'entends des bruits de vélos dans la cour, puis des voix s'exprimant en allemand. J'alerte Michel à voix étouffée : la Gestapo ! " ... Nous enfilons nos pantalons, avec l'idée de sauter, par une fenêtre, sur le tas de fumier.

" Les bruits de voitures et de caissons s'amplifient. Nous comprenons alors qu'il s'agit de troupes cherchant un cantonnement pour la journée : depuis le 10 juin, des colonnes allemandes venues du centre et du sud de la France, montent vers le front. Ces troupes ne circulent que la nuit, transportées par toutes sortes de véhicules, souvent même à traction animale.

" Bien qu'éprouvant un réel soulagement. nous sommes inquiets, à cause du matériel utilisé la veille qu'il y aurait lieu de camoufler. Nous nous en occupons. Puis nous pensons à la caisse d'archives qui se trouve dans un fenil, sous un mètre de paille. Lorsque j'y accède, il est trop tard : des soldats allemands sont couchés dessus.

" Dans la matinée, Tauzin part à la rencontre d'un Alsacien résidant à
Saint-Laurent. Il devait nous traduire en allemand un appel à la désertion destiné

aux soldats. Nous devions ensuite nous retrouver chez Gustave Moulin.

" Je m'occupe de divers problèmes : la réquisition d'une génisse et de certaines fournitures réclamées par les occupants de la ferme. Puis, quand tout est réglé sur ce plan, je m'en vais. Je passe d'abord chez Adolphe Alix, un paysan voisin qui m'avait déjà rendu service. Je lui explique que j'aurais besoin qu'il me livre immédiatement un chargement de paille.

" Estimant que le risque est trop grand, il refuse.

Le lance-roquettes " Plat " est enlevé de son fenil et caché dans un champ de blé, avec l'aide de la servante d'Alix. A midi, je suis chez Moulin et j'explique la situation. Dans le début de l'après-midi, je repars en direction de la ferme occupée, avec le fils Mimieux, camarade qui se trouvait alors à Brécey. Le camarade reste à quelques centaines de mètres. Il a pour consigne de repartir si je ne suis pas revenu dans une demi-heure : c'est que j'aurai des ennuis.

J'approche derrière les haies, le plus près possible, à une centaine de mètres : la porte de la ferme voisine est grande ouverte. il y a des sentinelles en armes entourant la maison de ma mère. Je m'interroge sur la conduite à tenir : avancer ou partir ? J'hésite longuement puis me décide à me diriger vers la ferme. Une sentinelle m'interpelle, me fait entrer dans la cuisine : tous les habitants du village sont là, avec ma mère et nia sœur.

Simulant la surprise, je demande ce qui se passe. Un Allemand de garde, en train de se confectionner une tartine, me dit " qu'on a trouvé des tracts communistes dans une voiture et que la Gestapo va venir ".

" Dans les instants qui suivent, j'envisage la situation sans espoir. Je m'assieds sur une chaise, près de la fenêtre et je regarde 'intensément le ciel, la cour, les pommiers.

Rien ne se produisant, le cours de mes pensées prend un tour plus positif. Je prends conscience que mes mains sont encore tachées par l'encre d'imprimerie (le la veille : je devrais les laver ! Avec l'aide de ma sœur, j'arrive à le faire sans attirer l'attention. Ce premier succès déclenche un processus de défense, une volonté de lutter. Je développe des tas de réflexions sur la manière d'en sortir. Certaines se fixent et, progressivement, j'échafaude une défense, je reprends confiance.

" Au milieu de l'après-midi, j'ai la surprise de voir arriver dans la cuisine Maurice Moulin qui. sous prétexte de venir acheter des œufs, venait en fait aux renseignements. ll repart avec les œufs, escorté d'un Allemand, sachant que j'étais en état d'arrestation... "

Au cours de l'interrogatoire auquel il est soumis par un groupe d'officiers vers 17 h 30, André Debon nie toute participation à une quelconque résistance. Il joue le rôle du Français patriote qui héberge les réfractaires. S'il y a eu action de résistance par des jeunes qu'il a hébergés, c'est à son insu.

Après une alerte aérienne provoquée par des chasseurs en rase-mottes. les officiers se réunissent. L'ordre de départ est donné. L'estafette partie à la recherche de la Gestapo n'a pu la trouver : elle est en déménagement après les bombardements de Saint-Lô et d'Avranches. Un soldat arrive à la cuisine avec la caisse et brûle la totalité des archives qu'elle contenait. André Debon poursuit :

" Juste avant le départ, l'officier revient vers moi et me lance : " Monsieur, vous avez de la chance : nous n'avons pas le temps de nous occuper de vous et de votre ami !

" Puis la colonne part, emmenant une voiture, un cheval, les radios et bien d'autres choses ; mais nous sommes tous sains et saufs.

" Je repasse prendre possession de mon P.38 déposé sur un talus ; puis je vais prévenir les camarades qui n'en reviennent pas de me voir vivant et libre. Michel était parti à Marcilly, chez Fouillard, avec la conviction que j'étais mort. Je suis allé le rassurer, dès le lendemain à l'aube, parcourant les 15 km à vive allure.

" Jamais la vie ne m'a paru avoir autant de prix que ce jour-là ! "

Onze fusillés à Beaucoudray (14 juin)

Le parachutage de Sainte-Marie-Outre-l'Eau (9 et 10 mai) avait permis la réalisation du Plan Vert : car des armes avaient été fournies au groupe Tabur d'Avranches, ainsi qu'aux postiers de Saint-Lô.

Ceux-ci, après avoir saboté les liaisons téléphoniques, rejoignirent le maquis de Beaucoudray (entre Percy et Tessy-sur-Vire). Là, un important dépôt avait été constitué, mais on attendait l'arrivée d'un groupe de Vassy qui devait venir s'y équiper en armes.

Le 14 juin au matin, Leblond, institutrice, qui occupait la maison voisine, aperçut une voiture allemande faisant demi-tour. Elle en avertit les 17 hommes du groupe (le 18e Fillatre, habitait à Villebaudon).

Apparemment, le véhicule s'était égaré car on ne voyait pas de soldats allemands aux alentours. En réalité, la voiture était bien venue pour repérer les lieux.

A 10 h, les Allemands cernèrent la maison, après avoir neutralisé l'homme de garde.

Mme Leblond envoya son jeune fils alerter le groupe dans la maison voisine.

Trop tard ! Les neuf hommes qui s'y trouvent seront pris. Seul Crouzeau a le temps de sortir son Colt et d'abattre deux assaillants. Des sept maquisards qui étaient à l'extérieur du bâtiment, six purent s'échapper mais Auguste Guy, atteint d'une halle fut ramené avec les 10 autres prisonniers.

Abdon, qui rentrait avec une brouette, échappa à l'arrestation.

A neuf heures du soir, les onze hommes, dont Guy sur une civière, furent jugés sommairement et exécutés au cours de la nuit. Pendant tout ce temps, M" Leblond et son fils de I l ans, considérés comme complices, furent conduits à Domjean, pour un nouvel interrogatoire. L'institutrice fut libérée, faute de preuves, après plusieurs semaines d'incarcération à Saint-Jean-du-Corail.

Les victimes :

René Crouzeau, inspecteur des P.T.T., chef de groupe ; Jacques Albertini, Étienne Bobo, Auguste Lerable, Jean Sanson, Raymond Robin, employés des P.T.T.: Auguste Guy, peintre à Villedieu : Ernest Hamel, cultivateur à Sourdeval-les-Bois ; Francis Martin, géomètre à Bordeaux ; André Patin, journalier à Beaucoudray ; Jean Lecouturier, étudiant à Perey.

La presse régionale et Raymond Ruffin attribuent ce massacre à la Division : " Das Reich " ce qui est impossible puisque, comme nous l'avons indiqué, celle-ci ne reçut l'ordre de rejoindre la Normandie que le 12 juin et n'y arriva que fin juin.

Il s'agit probablement de la 17e Panzer Götz Von Berlichingen, qui fut acheminée des Deux-Sèvres à vitré, par le train, et arriva les 11 et 12 juin dans le secteur de Saint-Lô.

Chaque année, une cérémonie du souvenir a lieu le dimanche le plus proche du 15 juin, sur les lieux du drame, au monument commémoratif.

Exécution de Jean Goubert et de Choury de la Vigerie (18 juin)

Dans la seconde quinzaine de juin, on apprit la mort de Jean Goubert.

Professeur au cours complémentaire d'Equeurdreville, il était l'unique conseiller général socialiste du département, élu d'Octeville, canton aujourd'hui divisé en quatre : Octeville, Équeurdreville, Tourlaville, La Glacerie.

Président de la Loge maçonnique Solidarité, il fut révoqué par les lois de Pétain. M"" Goubert n'ayant pas d'emploi, il se trouva sans ressources et vécut à Saint-Germain-sur-Ay, de la pêche et de l'exploitation d'une petite ferme. Résistant, il coopéra avec André Colas, du " Front National " à Mont-gardon, avec René Le Corre, de " Libé-Nord ", avec René Berjon et Jean-Baptiste Étienvre. Nous avons signalé que Roger Le Cann fut en rapport avec lui, en vue d'un parachutage. Jean Goubert, qui hébergeait des parachutistes américains, fut abattu alors qu'il tentait d'échapper aux Allemands qui l'avaient arrêté.

Le même dimanche, des Allemands arrivèrent chez M. Roger Choury de la Vigerie, au château de Montbray, réclamant du beurre et des œufs. Ils entrèrent dans son bureau et virent des cartes militaires mentionnant l'avance des armées alliées. ils prirent les cartes.

- Avez-vous des vélos et une auto ?

- L'auto, dans le garage, ne m'appartient pas.

M. de la Vigerie fut arrêté ; il traversa Montbray, puis fut présenté à un commandant, au bourg de Courson (Calvados). L'après-midi. une fermière de Courson, Mme Godard, vint dire à sa famille : " Il est interrogé dans notre ferme. Je crois qu'ils vont le relâcher ".

Mais, dans la soirée, le fils Godard vint prévenir qu'il faudrait attendre deux jours car on l'emmenait à la Kommandantur (la F.K. 722 était à Milly). Emmené par des gendarmes allemands dans un side-car, le 18 juin, on retrouva le corps de M. de la Vigerie à Coulouvray-Boisbenâtre, abattu de deux balles dans la tête.

Les felgendarmes à Brécey (25 juin)

Lorsque le 8 juin, Louis Pinson, G. Louaisel et L. Duval surprirent, à la ferme de la Gestière, neuf Allemands qu'ils désarmèrent et firent prisonniers, il se trouva que certains témoins avaient pu assister à la scène.

Peut-être certains d'entre eux furent-ils trop bavards ou délibérément mal intentionnés à notre égard ? Toujours est-il que le 25, une double perquisition eut lieu, d'abord chez Louis Duval, à la Gestière, puis chez Gustave Moulin, au Pont-Roulland. Tous deux s'en tirèrent par des moyens différents.

Témoignage de Louis Duval (alors adjoint-technique aux Ponts et Chaussées à Brécey).

Dès cinq heures du matin, cinq feldgendarmes firent irruption dans la maison. Sitôt habillé, je fus encadré par deux d'entre eux. Arrivé sur le seuil de la porte, je les écartai brutalement. Profitant de l'effet de surprise, je déboulai sur vingt-cinq mètres environ. En sautant une clôture, je me pris les pieds dans les barbelés. Cette chute me sauva la vie ;les Allemands qui me tiraient dessus sans arrêt, réussirent néanmoins à me blesser en séton, à l'épaule et à la cuisse gauches.

" J'ai continué sur ma lancée ; sautant une nouvelle haie, je me suis trouvé dans un champ de blé que je traversai en rampant.

" Après ce départ imprévu, les Felgendarmes interrogèrent tous les présents, puis isolèrent ma femme - qu'ils malmenèrent - et mon fils âgé de cinq ans. Ma tante. M"" Parsi, réfugiée de Cherbourg, ayant protesté, fut violemment frappée et mourut après le départ des gendarmes. Ceux-ci, escortant ma femme, ma mère et mon fils, voulurent aller chez Moulin ; ma femme, feignant d'ignorer son adresse, ils se renseignèrent au café du Pont-Roulland. Dans la matinée, les otages furent ramenés par quelques Allemands qui occupèrent la maison, informant mon épouse qu'elle restait sous leur surveillance.

Après la traversée du champ de blé, je me rendis chez Meniot qui me conduisit à la Jarlotière, en Saint-Laurent-de-Cuves, une ferme au milieu des terres, à 800 mètres à l'écart de la R.N. 811.

" Madeleine Juhel, la fermière, malgré les risques que je représentais,

accepta de me garder, me cachant dans sa laiterie. Elle alla consulter le Docteur Potel, à Brécey. Les Allemands surveillaient le cabinet médical. Le médecin lui expliqua la nature des soins à me donner et établit une liste de produits que Paul Lemonnier, pharmacien, lui fournit.

" L'hospitalité dura une quinzaine de jours, le temps de la cicatrisation... Puis, nous avons rejoint Saint-Jean-des-Champs où se trouvait la famille de ma femme. Avant d'atteindre La Haye-Pesnel, nous avons pris contact avec la colonne américaine qui avait percé les lignes allemandes.

" Nous étions libres, et bien heureux de l'être ! "

Chez Gustave MOULIN

Tôt le matin du 25 juin, il entend crépiter les mitraillettes ; néanmoins, il
part faucher et revient pour la " collation ".

A nouveau, des coups de feu ! Angèle, la bonne, regardant par la fenêtre, aperçoit l'enfant, les Feldgendarmes et leurs deux prisonnières : la mère et la femme de Louis Duval. Dans la maison, tout le monde comprendra la gravité de la situation.

- C'est vous Monsieur Moulin ?

- Oui, c'est moi.

- Nous venons vous fusiller.

- Pourquoi ?

il est poussé dehors, une mitraillette pointée sur sa poitrine, un officier prêt à donner l'ordre. Ce n'était qu'un simulacre. L'interprète reprend :

- Où sont les armes ?

- Quelles armes ? Je n'en ai jamais eu.

- Nous avons capturé Duval ; il nous a tout dit. Vous lui aviez prêté une mitraillette !

Toute la famille est là : Mme Moulin, les deux grands-mères, le fils, la bonne ; tous restent silencieux.

L'officier emmène le prisonnier dans une étable et se saisit d'une corde

- Parlez, sinon on va vous pendre.

La corde au cou, attaché à un pommier, les mitraillettes braquées, Moulin dit :

- Si je savais quelque chose, je le dirais, plutôt que de mourir. Vous pouvez tirer !

Ce sang-froid impressionne. Discussion entre les Allemands.

- Vous viendrez mardi à Saint-Barthélemy. Si vous ne venez pas, nous arrêterons toute la famille.

Les Allemands finissent par découvrir les traces d'un terrassement, sous des fagots... ils fouillent et aperçoivent des bouteilles de vins fins et d'apéritifs. qu'une commerçante avait cru bon de cacher là !

Les Allemands revinrent encore à la nuit tombée ; on crut à une nouvelle perquisition. Ils emportèrent dans un camion toutes les bouteilles de Mme Mazier.

Assigné à résidence, Gustave Moulin dut se rendre chaque semaine à Saint-Barthélemy. La première fois, laissant sa bicyclette dans une ferme proche du bourg, il arriva à pied, en sabots, à la Sablonnière. Au moment de quitter les Feldgendarmes, il leur dit : " Je suis vieux ; j'ai fait la guere 14-18 ; je suis venu à pied. Ce serait plus facile si je pouvais venir à bicyclette "... Il repartit avec une autorisation de circuler à vélo !

Les jours suivants, un Feldgendarme vint se poster sur la route de Brécey à Cuves presque en face de la ferme. Berjon, Debon, Tanguy et Pinson continuèrent de passer de temps en temps chez Moulin et devant la sentinelle. Le maintien de ces contacts donnait à tous l'allure de gens paisibles.

Après quelques semaines, Moulin fut dispensé de pointage.

4 – Poursuite du harcèlement (15 juin -mi-juillet)

La tactique utilisée par les Résistants, et particulièrement par les F.T.P.F., consistait à créer un climat d'insécurité chez les occupants. Coupés du nord du département, sans liaison avec l'État-Major F.F.I. de la région " M ", les groupes ne reçurent plus de consignes de Londres, après les messages liés au débarquement. Chacun fit de son mieux dans son propre secteur. Ce fut un véritable harcèlement des convois allemands. D'un groupe à l'autre, à 1.5 kilomètres de distance, on ignorait ce qui s'était passé, de sorte que bien des faits sont restés inconnus.

Le groupe de Sérouanne à Saint-Hilaire (13-23 juin)

Après un fort bombardement de Saint-Hilaire par les forteresses volantes, le 14 juin. le groupe, sous la direction de Jacques Navier, pompier de Paris, lutte contre l'incendie et aide à dégager les blessés. Les jours suivants, les pillards sont pourchassés, signalés à la gendarmerie par le groupe de Sérouanne qui inscrit sur les murs : " Tout pillage sera puni de mort ". Signé F.F.I.

Ce bombardement n'avait pas pour autant arrêté l'activité. Déjà, le 13 juin, le groupe se préparait à faire sauter le pont de la Paveille, sur la route de Saint-Hilaire à Avranches, mais une cinquantaine d'Allemands bivouaquaient dans un chemin creux, ce qui rendait l'opération impossible. A la faveur de la nuit, Louis Blouet réussit à s'introduire dans ce groupe de soldats et subtilisa un fusil-mitrailleur : " Hait " ; " Sans même tourner la tête, j'aperçus une casquette et un Allemand, pistolet au poing. Sans hésiter un instant, je continuai du même pas... Sans doute, le sous-off. allemand eut-il aussi peur que moi, craignant que je ne sois pas seul, car ce n'est que quelques minutes plus tard qu'il donna l'alerte " (Louis Blouet : lettre à Raymond Ruffin, 1977).

Des recherches eurent lieu, accompagnées d'une perquisition au passage à niveau. Le 18 juin, un arbre est abattu rue d'Égypte à Saint-Hilaire. Une charge de plastic est utilisée pour abattre le mur de soutènement du parc, en même temps que l'arbre. il en résulte une interruption de trafic pendant trois heures.

Le 19 juin, un side-car saute sur des crève-pneus posés au Pont Saint-Yves. L'arrivée d'un convoi oblige à décrocher, mais d'autres véhicules sont touchés, ainsi qu'on peut le constater le lendemain.

Le 20 juin, Michel Tauzin, Henri Faverie et Charles Ruault barrent la route Saint-Hilaire- Mortain : un motocycliste est blessé.

A Saint-Pois, le 16 juin, au cours d'un déplacement en direction de Mont-Jole-Gathemo, René Berjon est dépossédé de son vélo par un soldat allemand.

bicyclette était devenue, pour eux, le plus sûr moyen d'uatteindre le front Voilà " Émile " obligé de redescendre à pied de Saint-Pois vers Cuves, moyen de locomotion fort incommode pour la seule personne qui peut encore assurer une certaine coordination entre les groupes. Au bas de la côte, il rencontra un Cycliste allemand occupé à regonfler son pneu. Berjon était d'un tempérament sensible, mais il lui fallait un moyen de locomotion et, pour récupérer le vélo et la mitraillette, il lui fallut loger une balle dans la tête du soldat ! Officiellement, celui-ci passa pour s'être suicidé.

Un des revolvers récupérés sur les Allemands le 8 juin, à Brécey, s'avéra inutilisable. René Tanguy l'emporta pour le faire réparer par un armurier de Sourdeval. Au Mesnil-Adelée, il fut interpellé par un Allemand. Craignant qu'il ne s'intéresse au paquet qu'il portait (le revolver), Tanguy tua le soldat à coups de gourdin.

Dans la région d'Avranches

A Avranches, le 17, vers Le Quesnoy, Morazin et quelques hommes du groupe Tabur transportent les munitions abandonnées deux jours avant par les Allemands. Ils les entassent, préparent le détonateur et le cordon Bickford, pour faire sauter le dépôt, quand survient un soldat allemand, de garde à l'endroit où la route avait été minée par deux fois. Le groupe se disperse. mais Morazin est interpellé par un Allemand en sentinelle. Mansuy, dissimulé derrière un talus, abat l'Allemand d'une rafale de mitraillette et récupère le fusil de la sentinelle: Le dépôt saute, avec le soldat sur le tas de munitions.

Ayant réussi à s'échapper de la prison de Saint-Lô après les bombardements des 6 et 7 juin, Jean Vauzelle revint vers Avranches. Né à Pontaubault, où son père était chef de gare, il connaissait bien la région.

Le 21 juin, il avait rendez-vous avec Mansuy, ainsi qu'avec deux de ses camarades Lehoucher, du Val-Saint-Père et Jean Cessou qui, le 6 avril. avait réussi à échapper aux Allemands à Saint-Pience-Le Parc. Ils sont arrêtés par les gendarmes allemands. Jean Vauzelle échappe à ses poursuivants et trouve refuge à la clinique du Carmel, nais un de ses camarades est abattu en tentant de fuir. L'autre est arrêté et torturé.

Par la suite, des perquisitions eurent lieu au Val-Saint-Père chez M. Leboucher, ainsi que chez Mn' Juin qui avait abrité Jean Vauzelle.

Le même jour (21 juin), Mansuy détruit le groupe électrogène qui alimente l'État-Major et la Kommandantur. installée au château du.Baffé.

Le 21 juin, un aviateur américain, dont l'avion a été abattu près de Rennes, arrive à Pontaubault. Louis Ravalet, étudiant, le conduit à la ferme de ses parents à Céaux où il restera jusqu'au 31 juillet, recevant les visites régulières de F. Brière.

Le Mesnil-Ozenne (récit de Louis Pinson).

" Ayant quitté Brécey le 11, après la mort de Louaisel, je passai à Bacilly et Genêts, chez nies parents. Je rencontrai également M Morin qui me demanda si je pouvais emmener un paquet à l'école du Mesnil-Ozenne : des vêtements qu'elle avait tricotés pour ses petits-enfants. Pendant une bonne semaine, je circulai avec ce paquet sur mon porte-bagages. Excellent alibi ! Les Allemands n'avaient pas la curiosité de savoir ce que j'avais dans mes poches. Le 19 juin. je me rendis au Mesnil-Ozenne, chez M. et Mme Glory, des collègues et anciens camarades d'école, tous deux de Genêts. J'étais chez eux depuis quelques minutes, quand un Allemand arriva, visiblement pour préparer un cantonnement. Après avoir quitté mes amis, je pris la même direction que l'Allemand. Au carrefour, aucune habitation et les champs étaient déserts. Je plaçai trois crève-pneus avec leurs détonateurs, un boudin de cheddite autour (fournie par Émile Joseph, des Cresnays), et un peu de foin pour les dissimiler. J'attendis un moment, dans un champ voisin car je craignais qu'un cultivateur ne passe avec une charrette. Mais il pleuvait. D'ailleurs, il pleuvait souvent, cette année-là. Alors, je partis vers La Boulouze... sans rencontrer de convoi. Dans la soirée, les crève-pneus améliorés à la cheddite, furent d'une grande efficacité (c'est noté dans les archives allemandes, m'a dit Marcel Leclerc). Je ne le sus que beaucoup plus tard. Mais le lendemain, le maire dut réquisitionner une charrette chargée de bois, sur laquelle les Allemands firent monter mon copain André Glory et Louis Bouteiller, alors curé du Mesnil-Ozenne.

" L'Allemand qui les accompagnait avait encore plus peur qu'eux, en passant sous la double rangée de grands arbres. La charrette avait pour but de déminer la route. Ies otages ne couraient aucun risque, trais ils ne pouvaient pas le savoir.

" Arrivés à La Boulouze, ils furent libérés... et allèrent boire un café ! "

Plus au nord, Jumel maintient un groupe au Bois Buron, près de Cérences, et intervient aux environs.

Jean-Baptiste Étienvre, ayant quitté la région de Saint-James pour Trelly, récupère du matériel sur les dépôts allemands.

A Saint-Laurent-de-Terregatte et environs

A Saint-Laurent-de-Terregatte, des crève-pneus entravent la circulation en direction de Saint-Martin-de-Landelles. L'activité de ce groupe, en liaison avec l'Ille-et-Vilaine, n'a été signalée qu'après la parution d'un article dans la presse régionale, en 1985.

A l'initiative de Lucien Brard et de Joseph Valdaura, tous deux de Louvigné-du-Désert, un contact avait été pris avec Raymond Coudray, déjà actif à Fougerolles-du-Plessis. Après un séjour à Saint-Ouen-la-Rouerie (Ille-et-Vilaine), ils reçurent leur armement provenant d'un parachutage effectué aux environs de Louvigné dans la nuit du 29 au 30 niai, par le B.O.A.

Avec une voiture à cheval, une jeune fille de 20 ans, Denise Duhamel, accompagnée de son frère et de Guy Lecannelier, alla chercher les armes au château du Rocher Portail (Saint-Brice-en-Coglès) et les entreposa à la ferme de ses parents, aux Boussardières près de Saint-James. Les résistants Brard, Valdaura, les frères Duhamel, Renoir, Leydeman, Souchard et Raymond Coudray, transportèrent le tout de nuit à Saint-Laurent-de-Terregatte, à travers champs. Sur Place, ils recrutèrent Eugène Guénée, de Saint-James, et Auguste Thébault, de Carnet. Ils entrèrent en action de harcèlement jusqu'à la fin de juillet.

Le même parachutage du 29-30 mai avait également permis d'équiper le groupe de Saint-James dont le matériel fut entreposé à la ferme Laporte, à Mont-Joie-Saint-Martin.

Si nos groupes harcelaient les convois, l'aviation alliée en profitait. Nous n'avions aucune liaison radio directe, mais le moindre embouteillage était facile à repérer. C'est pourquoi les convois allemands ne se déplaçaient que la nuit, ils risquaient le pire s'ils s'aventuraient en plein jour.

A Marcilly, Michel Tauzin fut témoin du mitraillage d'un convoi de paysans qui rentraient à vide chez eux de retour du front de Saint-Lô :

" Le dimanche 18 juin, un convoi hippomobile de paysans de Sacey, réquisitionnés par les Allemands, fut attaqué par des avions alliés. Fouillard et moi, nous fûmes aussitôt sur les lieux, et, toute la matinée, avec sa femme et sa fille, il se dépensa à soigner les malheureux. Il assura le transport des plus grièvement blessés à l'hôpital d'Avranches, alors que personne n'osait sortir sur les routes de crainte d'être mitraillé par l'aviation ou de se faire voler cheval et voiture par les Allemands. Il recueillit chez lui, toute la journée, les fermiers sortis indemnes de la mitraille et les réconforta en leur offrant une large et cordiale hospitalité. Par la suite, il s'occupa des chevaux blessés, avec beaucoup de zèle, en attendant que leurs propriétaires puissent venir les récupérer. "

L'attaque du 23 juin : route du Mesnillard

Le 23 juin, en fin de matinée, Jacques Navier, revenant de faire quelques achats au Mesnillard, remarqua un camion allemand en stationnement à proximité de l'entrée d'un chemin creux à plus d'un kilomètre de la planque de Sérouanne. Ce camion était visiblement en panne.

Avec " Émile " qui était présent ce jour-là, il fut décidé de tenter un coup de main sur le véhicule et ses occupants. S'appuyant sur les témoignages de Charles Ruault et Jacques Navier, ainsi que sur ses propres souvenirs, Michel Tauzin résume ainsi cet événement :

" Louis Blouet porte la seule arme automatique, une mitraillette Sten. Les autres (Jacques Navier, André Noblet, Charles Ruault, Michel Tauzin, Jacques Daspe et Henri Faverie) n'ont que des armes de poing, mais ils comptent sur l'effet de surprise pour pallier la faiblesse de leur armement.

" Après une reconnaissance rapide, le dispositif se met en mouvement dans l'axe du chemin creux, sur trois positions d'attaque parallèles. Malheureusement. l'ennemi supérieurement armé, réagit plus rapidement que prévu. Dans l'échange des coups de feu, Louis Blouet est atteint d'une halle au ventre mais parvient à se retirer avec l'aide de Navier et, à son tour, le groupe se replie à l'abri des talus. "

Louis Blouet, souffrant atrocement, dut attendre plusieurs heures que le moyen de transport nécessaire soit à pied d'œuvre. C'est un boucher de Saint-Hilaire. Roussel, qui vint le chercher dans la soirée, pour le transférer à l'école de Parigny pendant que la recherche du Dr Cuche, chirurgien du groupe, était en cours.

Les Allemands eurent également un blessé et restèrent plusieurs heures sans réagir. Ils ne firent mouvement qu'avec l'appui d'une chenilllette en forçant les barrières de ferme, mais leurs recherches restèrent infructueuses.

Une chaîne de solidarité s'enclencha pour sauver Louis Blouet.

Plusieurs témoignages en font foi :

Témoignage de Gaston Esnault, agent d'assurances :

" Dans la soirée du 23 juin 1944, Louis Blouet, grièvement blessé d'une halle au ventre, au cours d'un engagement, fut amené à l'école de Parigny, où ma femme était institutrice. Caché dans une petite chambre, on lui prodigua les premiers soins, avec peu de moyens : de la glace sur le ventre, fournie par la fromagerie Cauny.

La nuit venue, je partis prévenir Mme Blouet, réfugiée à 5 kilomètres de là, à Virey, chez Mme Martin. Au retour, vers trois heures du matin, une patrouille nous arrêta ; nous lui avons montré une " vessie à glace, destinée à un malade atteint d'appendicite " et nous avons pu continuer notre chemin jusqu'à Parigny. Le lendemain matin, j'alertai le Dr Costil. Celui-ci, empruntant la vachère de M. Ermeneux, conduisit le blessé à l'hôpital, où le Dr Cuche, chirurgien, l'opéra. "

Témoignage du Dr Maurice Costil

" Le matin du 24 juin, M. Gaston Esnault est venu à la ferme du Mesnillard, où j'étais réfugié, me prévenir que Louis Blouet, responsable F.T.P.F., avait été blessé la veille, lors de l'attaque d'un groupe d'Allemands, qu'il était à l'école de Parigny et que son état était sérieux. Il m'a demandé de trouver un véhicule. Nous sommes partis avec une bétaillère. Gaston Esnault m'aida à charger le blessé que j'emmenai à l'hôpital, conduisant moi-même l'attelage. Le Dr Cuche l'opéra ; le blessé urinait le sang ; la péritonite était à craindre, la balle ayant touché le rein et perforé l'intestin. Après l'intervention, M. Esnault partit en avant-garde pour préparer l'installation de Louis Blouet dans une ferme de Virey, chez Mme Martin qui avait deux filles. Elle était veuve de guerre, son mari ayant été tué en 1940. "

Témoignage de Mme Martin (chez Mme Boixel, 10, rue du Séminaire à Avranches)

" M. Blouet fut installé dans notre chambre, au 1er étage ; il ne fallait aucun bruit, les rideaux restant fermés pendant tout son séjour. Ma fille Suzanne, aujourd'hui Mme Boixel, aida Mme Blouet à faire les pansements car les docteurs Cuche et Costil ne pouvaient venir tous les jours. Pendant cette période, nous logions dans la grange pour éviter tout bruit dans la maison. Le matin du 14 juillet, M. Blouet est reparti, emmené dans une bétaillère par Jean-Marie Levesque. Mes deux filles et moi, nous avons passé la journée dans le " Pré aux Étangs " car Mme Blouet nous avait dit : "Ne restez pas ici ". " Le petit-fils du châtelain, habitant à 150 mètres, passait pour avoir dénoncé plusieurs personnes.

" Pendant le séjour de son mari à Virey, Mme Blouet apprit à ses enfants, avec beaucoup de difficultés, leur nouveau nom : il s'appelaient Jean-Pierre et Christian Boulay et habitaient Saint-Lô. "

Témoignage de Louis Pinson

Le 20 juillet, je suis allé avec René Berjon à l'école de Romagny, dont 'le Directeur était Bernard Roch, camarade de Blouet à l'E.P.S. de Granville. Celui-ci occupait le logement de Roger Monnerie, qui venait de partir, avec Armand Guillarmic pour traverser les lignes allemandes (mission Helmsman).

" Le lendemain, Martial Fouillard, de Marcilly, se proposa pour emmener Louis Blouet dans la région du Ferré (Ille-et-Vilaine), afin de l'éloigner de la Gestapo de Saint-Jean-du-Corail. Mais l'arrivée du pilote Walter Costello à la ferme de la Crècherie l'amena à différer le transport. Le 2 août, quoique se déplaçant péniblement, Louis Blouet, à bicyclette, prit contact avec les Américains pour leur signaler une concentration de chars entre Romagny et Mortain. Et le 3 août, après mon évasion, je retrouvai Louis Blouet au Cours Complémentaire de Saint-Hilaire, à la tête du groupe F.F.I. Il était Résistant dans tous les sens du terme ! "

L'activité du groupe de Saint-Hilaire s'était poursuivie malgré l'absence de Louis Blouet. Après un barrage, route de Parigny et pose de crève-pneus, un motocycliste est blessé et un camion incendié (26 juin). Du 27 au 30, des affiches invitent les paysans à s'opposer au transport des munitions. Le 30 juin. le groupe participe à un parachutage d'armes à Fougerolles. Le 1er juillet, un car transportant une trentaine d'Allemands est attaqué au " Petit-Jésus " : le véhicule est inutilisable.

Le 2 juillet, le groupe participe à la réception d'un nouveau parachutage à Fougerolles-du-Plessis. Le lendemain, réception, à Sérouanne, de deux Russes prisonniers des Allemands et évadés. Arsène Paris les avait confiés à André Debon qui les guida par les bois de Reffuveille, au-delà de " La Roche ", où ils furent remis à Michel Tauzin. Quelques jours plus tard, le groupe ayant à participer aux parachutages en Mayenne, les deux Russes furent conduits chez Fouillard, à Marcilly. Dès novembre 1944, Michel Tauzin avait noté, par écrit, cet épisode :

" J'avais rencontré André Debon à mi-côte d'une route caillouteuse qui descendait de Reffuveille après bien des détours. Je l'attendais dans une entrée d'herbage où j'avais déposé mon vélo et il m'a laissé avec ces deux hommes. Deux hommes pas trop rassurés, me semble-t-il, et moi, un peu ému de conduire jusqu'à Sérouanne ces deux Russes, déserteurs de la Wehrmacht qui les avait incorporés.

" Tous deux, au cours de leurs étapes successives depuis leur désertion étaient censés avoir été vêtus comme des paysans du pays. Mais, pour un œil exercé, il était facile de deviner qu'il ne s'agissait que d'un travestissement : la flamme particulière du regard, acérée chez le petit brun, mouvante chez le grand blond, donnait à leur visage une expression volontaire et tendue. Leur marelle. sans dandinement, leurs mains gênées de ne rien tenir, leur façon d'avancer côte à côte sans parler, tout trahissait le déguisement et, surtout, non, un paysan normand ne portait pas. au travail, cet habit noir dont on avait affublé le brun et... un paysan normand sortait rarement nu-tête... L'imposture était criante...

" Pourtant, je partis devant eux, sur mon vélo. roulant lentement, dépassant les carrefours ou les virages pour m'assurer qu'aucune présence indésirable ne gênerait notre progression. Alors, je mettais pied à terre jusqu'à ce qu'ils me rattrappent et je repartais lentement jusqu'au virage suivant. Une seule alerte : un groupe " Todt " rencontré vers Le Mesnillard, une pelle sur l'épaule.

" L'accueil à Sérouanne fut très chaleureux et les deux Russes furent émus de cette fraternelle réception. J'étais comme les copains, pressé d'avoir sur eux une foule de détails et, à l'aide du peu d'Allemand que je connaissais, j'ai pu obtenir quelques précisions sur leurs origines.

Blond et de grande taille, Ivan avait l'allure d'un garçon grandi trop vite. D'une vingtaine d'années, il était ouvrier de Kiev. Il a vu exterminer toute sa famille par les Allemands : sa mère et ses petites sœurs. Lui avait rejoint l'armée Rouge dans sa retraite et avait été fait prisonnier.

" Nikolaï avait passé la trentaine. Très brun, basané, de taille moyenne, les yeux vifs un peu bridés, apparemment plus sensible qu'Ivan, servait dans l'Artillerie soviétique avant d'être fait prisonnier à Veliki Luki.

Dès les premiers moments d'émotion passés, Ivan s'intéressa vivement à nos mitraillettes Sten qui lui semblaient jouets d'enfant. il nie parla des fameuses mitraillettes russes dont le chargeur (de 64 balles, je crois) est déposé sous le canon dans une boîte ronde. Nikolaï, à plusieurs reprises, parlant de nous " les partisans " s'étonnait de notre jeunesse. J'ai beaucoup fraternisé avec lui dont j'avais remarqué la grande sensibilité et, par jeu. il m'apprit plusieurs mots de russe dont j'ai retenu quelques bribes, bien pauvre récolte que je ne pus malheureusement pas améliorer.

" En effet, je ne restai que quelques jours auprès d'eux, car c'est vers ce temps-là qu'Éric descendit chez nous et, qu'ayant formé des groupes de 2, nous partîmes vers le front de Saint-Lô. Je me souviens toujours de la longue poignée de mains que j'échangeai avec Nikolaï, avant de prendre la route avec Jacques Daspe, musette à l'épaule.

" Je ne les ai revus qu'une fois lorsque, de retour du front de Saint-Gilles où les Allemands continuaient de verrouiller l'avance américaine, je passai vers le 20 juillet chez Fouillard où ils avaient été hébergés en dernier lieu sur nos recommandations.

" Lors de la percée des blindés américains à Avranches, la débâcle allemande éparpilla dans toute cette région d'innombrables soldats fuyards. Avec ses trois Russes. Fouillard en fit une hécatombe dans sa ferme et aux alentours. Dès l'arrivée des Américains, ils ne tinrent plus en place, et malgré les conseils de Fouillard qui leur recommandait d'encore patienter, ils partirent définitivement de Marcilly et nous n'en eûmes jamais plus de nouvelles. "

Autres actions

Après l'arrestation de Gombert. le 9 juillet, François Hilliou récupère du plastic et des crève-pneus à Sourdeval et les utilise sur les routes aux alentours de Saint-Michel-de-Montjoie.

Le 20 juillet, Joseph Hilliou et Urbain, de Vire, plastiquent un pont entre Coulonces et Campagnolles. Fin juin, Marcel Hilliou a conduit Roland et Marius Porée en Mayenne pour rejoindre un maquis.

Au retour, dans sa 5 CV Trèfle, il apporte des grenades et des mitraillettes provenant d'un parachutage à La Baroche-Gondoin.

Utilisant ces armes, trois groupes de quatre résistants attaquent les convois ennemis entre Vire et Saint-Sever. Le 14 juillet, Victor et Jean Bazin, Eugène Le Bail et Marcel Hilliou se trouvent en présence d'un camion dont les occupants ripostent. Grièvement blessé, Marcel Hilliou est transporté à l'hôpital de Vire replié à Truttemer depuis les bombardements du 6 juin. 1l reçoit les soins du chirurgien Rousseau qui le considère comme un miraculé. La balle de mitraillette qui l'a atteint au visage est passée en-dessous de la voûte crânienne sans atteindre la colonne vertébrale.

Après une dizaine de jours, il rentre chez le grand-père Hilliou à Champdu-Boult.

A Saint-Cyr. le 28 juin, le câble allemand entre Domfront et Mortain est coupé par les hommes du groupe " Blida ".

A Barenton, Constant Dauvergne, chef de la brigade, a formé le groupe

Courlis " qui comprend la totalité des gendarmes. Lecomte et Barthoneuf ont été détachés à Avranches après les bombardements, comme nous l'avons signalé. Par l'intermédiaire du D' Julien, une liaison est assurée entre les unités de Saint-Cyr-du-Bailleul, sous responsabilité de Jean Fouqué, et le groupe de Barenton. Ces deux groupes s'efforcent, avec leurs faibles moyens, de retarder la montée des convois : arrachage des pancartes, faux renseignements, pose ale crève-pneus. C'est à un travail analogue que se livre Georges Bourcier avec son groupe de 8 hommes basé près de la Fosse-Arthour. en Saint-Georges-de-Rouelley.

5 – Enfin des parachutages L'armement fin juin 1444

Près d'un mois après le débarquement, l'armement des F.T.P.F. et des Résistants de la Manche en général, est toujours ridiculement faible jusqu'à fin juin. Le groupe de Saint-Hilaire a entrepris toute son action avec seulement une mitraillette et deux ou trois revolvers d'une fiabilité très aléatoire. Le manque de parachutage d'armes dans le département se fait cruellement sentir puisqu'il ne dispose que du chargement ramené de la région de Tourouvre en mai, partagé entre le nord, le centre et le sud.

La Manche se prête mal aux parachutages, dans la mesure, notamment. où une distance de 35 km des côtes est exigée. Les départements présentant plus de profondeur (Calvados, dans le sud) ou les départements intérieurs (Orne, Mayenne, Eure), sont plus favorisés.

Il faut remarquer que l'Ille-et-Vilaine n'était guère mieux traitée que la Manche, bien que présentant des particularités géographiques tout à fait convenables. En effet : " Les F.T.P.F. ont bien été, semble-t-il, défavorisés par rapport d d'autres mouvements pourtant moins actifs qu'eux. " Telle est la conclusion à laquelle aboutit Jacqueline Sainclivier, dans son mémoire de maîtrise d'Histoire (F.N. et F.T.P.F. en Ille-et-Vilaine, 1966).

La vérité oblige à dire que les F.T.P.F., sur tout le sol national, ont souffert jusqu'à la fin du manque d'armement. En désaccord avec la tactique " d'action immédiate " des F.T.P.F., André Dewavrin (dit colonel Passy) et le B.C.R.A. se méfient, en outre, du parti communiste, lui prêtant l'intention de préparer les groupes F.T.P.F. à une " prise de pouvoir " au moment de la Libération. Les événements ont largement démontré que cette méfiance était sans fondement mais une telle position n'en a pas moins eu des conséquences extrêmement négatives entre le débarquement et la libération, acculant les groupes sous-armés à de graves difficultés pour accomplir, malgré tout, leurs tâches de sabotages et de guérilla. Et ceci a été vrai pour la Manche et pour beaucoup de départements où les F.T.P.F., représentaient une large fraction de la Résistance.

Charles Tillon souligne que, sur le plan national, les F.T.P.F. représentant 50 % des F.F.I. en août 1944, n'ont bénéficié, en tout et pour toute la France, que de six parachutages du B.C.R.A. ! L'Ille-et-Vilaine, où les F.T.P.F. sont majoritaires, illustre bien ce jugement.

Les parachutages du B.C.R.A. étaient, en principe, réservés aux groupes de l'Armée secrète contrôlée par eux. organisés en maquis importants, plus facilement " contrôlables " que les petits groupes. La politique attentiste prônée par les services français du B.C.R.A., avait pour conséquence la mise en stockage des armes reçues en vue du débarquement et de la libération.

Beaucoup de ces stocks furent malheureusement perdus, pris par les Allemands ou même reçus directement par eux, comme ce fut le cas dans l'Eure et la Seine-Inférieure, où ils avaient infiltré toute l'organisation de parachutage du B.C.R.A., le B.O.A.

Un rapport de police d'avril 1944 (de source allemande) signale : " A proximité de Vire (Calvados), on a saisi 12 cylindres de parachutage contenant des armes contre blindages, ainsi que des appareils émetteurs et récepteurs. On a saisi, à proximité de Mortagne, sept grands containers et treize petits. A cette occasion, ont été arrêtées 20 personnes. A proximité de Longny-au-Perche (Orne), on a saisi quinze containers ". (Dossier 72 AJ.4 - Archives Nationales).

De nombreuses discussions semblent être intervenues sur ce sujet, entre les responsables britanniques d'une part, Devawrin et le B.C.R.A. d'autre part. Dans son livre : " S.O.E. in France " (écrit en 1966), M. R. D. Foot indique que les vues de Dewavrin faisaient " trembler " ses interlocuteurs. Influent au B.C.R.A., Jacques Soustelle était plus gaulliste que De Gaulle, et... quinze ans plus tard, on le retrouvera à T'O.A.S.

Pierre de Vomecourt précise qu'en mai 1971, " les Anglais, las d'attendre. .s'apprêtent à créer leur propre organisation en France " (Dossier 72 AJ 39 - Archives Nationales). Pierre de Vomecourt fut le premier agent parachuté par les

soins du colonel Buckmaster, responsable du S.O.E. Il se plaint d'être, sans cesse, critiqué par des officiers français de la D.G.E.R. et conclut par cette question : " Si des réseaux Buckmaster on! existé, qui en est responsable ? "

Le S.O.E. et la Résistance

La position de principe du S.O.E. était que la Résistance intérieure ne pouvait rien faire si on ne lui fournissait pas d'armes. Il fallait que cette Résistance soit active, effective et ne se limite pas à l'information ou à la propagande. En cela, le S.O.E. rejoignait, sur un certain plan, la plateforme F.T.P.F. d'action immédiate et rejetait l'attentisme. Après la création du C.N.R. en mai 1943, le COMAC qui représentait l'appareil militaire du C.N.R., adopta une position similaire, favorable à l'action armée, sans attendre le débarquement. A partir de ce moment, de meilleurs rapports s'établirent entre les Alliés : c'est ainsi que furent parachutées les équipes Jedburg, constituées d'un officier français, d'un Anglais et d'un Américain.

En 1944, la péninsule bretonne bénéficiera, bien que tardivement, de cette organisation : huit groupes Jedburg y firent déposer 3.881 containers en 16 semaines, soit 400 tonnes d'armement. C'est grâce à cette manne providentielle qu'un nombre relativement important de F.F.I. bretons put participer aussi largement à la libération de la péninsule et soulager considérablement la pénétration Patton. Objectivement, ce fut très rentable.

Donc, le S.O.E. eut l'immense mérite de pratiquer, dès 1942, une étroite coopération avec la Résistance, sur un mode actif. Les officiers parachutés prenaient eux-mêmes part aux actions, avec les forces résistantes qu'ils avaient armées, montaient les opérations contre la machine de guerre ennemie. Ils apprirent très vite à apprécier la combativité des F.T.P.F. déjà aguerris et formés à la lutte effective contre l'occupant. " De petites actions appliquées à des objectifs soigneusement choisis donnaient des résultats importants. ".

Interventions de Renaud-Dandicolle et Claude de Baissac

Le docteur Janvier, responsable O.C.M. du groupe de Bais et du secteur de la Mayenne où il résidait, a témoigné des conditions dans lesquelles les équipes S.O.E. ont pris pied dans la région :

- Après envoi de pigeons-voyageurs en août 1943, avec des propositions de terrains de parachutages, il reçoit une réponse positive de Londres, le l8 novembre.

- Début mars 1944, il a la visite de Jean Renaud-Dandicolle, responsable S.O.E. dans le Calvados (région de Saint-Clair), avec son officier-radio Maurice Larcher. Les terrains de parachutages sont fixés.

- Le 10 avril, Renaud-Dandicolle revient avec Claude de Baissac.

Les terrains sont inspectés. De Baissac s'installe à La Roisière, en Champgenetaux, près de Bais. Le responsable départemental des F.T.P.F., Le Personnic, prend contact avec lui et devient son adjoint. (Il s'agit d'André Le Personnic, qui devint, ensuite, Inspecteur départemental de la Jeunesse et des Sports de la Manche). Avec son aide, à partir du 1" mai, six parachutages interviennent pour la Mayenne (Hardanges, Château-Gontier, etc.).

En mars 1944, le commandant " Grégoire " (Séailles), dirigeait un groupe F.T.P.F. à Saint-Mars-du-Désert, sans liaison avec Londres. il est mis en contact avec " Michel " (Claude de Baissac), par le docteur Janvier. Tous les deux travaillent avec six autres membres du groupe à l'organisation et à la mise sur pied de plusieurs groupes et équipes : ceci permet, au 6 juin, le déclenchement de l'action par 150 résistants parfaitement organisés et armés, collaborant avec les formations voisines : (le maquis de Saint-Mars-du-Désert, du commandant Grégoire).

Claude de Baissac a complété son équipe par sa sœur Lise et par Katia, sa radio. Les deux femmes sont d'abord hébergées par les soins de Mme Le Personnic, institutrice, puis tout le monde se retrouve chez le ménage Allais, à Saint-Aubin-du-Désert, tout près de Saint-Mars-du-Désert.

Rapports S.O.E. avec l'Ille-et-Vilaine

Entre-temps, le contact avait été pris avec Louis Pétri, interrégional F.T.P.F. qui se trouvait d'ailleurs en Mayenne à ce moment-là. Celui-ci avait établi son État-Major dans la forêt de la Monnaye, après le 6 juin. Claude de Bais-sac appréciait la démarche des F.T.P.F. et leur volonté de combattre. Il décide de leur apporter immédiatement l'aide dont ils avaient besoin et de les armer sans réserve, en premier lieu les groupes dépendant de Pétri.

De Baissac était un homme d'action. Il avait derrière lui, une première expérience dans la région bordelaise, où les choses ne s'étaient pas très bien passées, car Grandclément, retourné par les Allemands, fit arrêter de nombreux résistants F.T.P.F.. A.S. et O.C.M. De Baissac en avait semble-t-il, tiré ses propres conclusions et s'appuyait sur ce qui lui semblait solide. Son patron Buckmaster a dit de lui : " C'était, de loin le plus difficile de mes officiers ; mais il était particulièrement performant dans son travail. Il allait son propre chemin, négligeant les contacts pré-" arrangés ". (M. R. D. Foot : " S.O.E. in France ").

Les dirigeants F.T.P.F. entretiennent avec lui et sa sœur des rapports excellents. " Grégoire " précise que " leur largesse de vue et leur courage ont fait l'admiration de tous ceux qui les ont approchés ". Louis Pétri et Lamanilève ont émis des jugements analogues.

Les parachutages (28 juin - 10 juillet)

Et ce furent les parachutages tant attendus par les F.T.P.F. de l'Ille-et-Vilaine et de la Manche-Sud. Les deux premiers eurent lieu à La Baroche-Gondoin, près de Lassay, en Mayenne, avec comme indicatif le message : " la cruche est cassée enfin ". Les autres eurent lieu au terrain dit " de Panama ", à Fougerolles-du-Plessis, sous l'indicatif " La banque est fermée ". Ce sont eux qui alimentèrent la Manche-Sud.

Le groupe de Saint-Hilaire est en alerte, prévenu par un agent de liaison de Pétri. Le 30 juin, au poste à galène, Michel Tauzin à l'écoute, entendit : " La banque est fermée deux fois ", ce qui signifie en clair : " Le parachutage à Fougerolles est prévu pour ce soir et il y aura deux appareils ". Une bonne moitié du groupe se rend à Fougerolles et, dirigée sur le terrain Panama, elle rejoint l'équipe locale, ainsi que les F.T.P.F. de Dinan, de Combourg, de Louvigné, de La Guerche-de-Bretagne. En tout, quarante hommes sont présents sur le terrain et c'est Pétri, personnellement, qui organise la réception.

Dans : " Les hommes du maquis ", il la décrit ainsi : " Sept à huit hommes sont sur le terrain, en attente du premier avion : autant sont en lisière, attendant le second, etc. Une douzaine d'hommes armés assurent, dans les champs, le cordon de sécurité. Trois lampes, dirigées dans le sens contraire du vent, obéissent au signal de ma lampe-code, qui sert aussi à guider l'avion. Lorsque le " Libe rotor " ou le " Lancaster " a compris mon message, en morse lumineux, une lampe s'allume dans la carlingue : c'est la réponse. L'avion, alors, passe au-dessus du camp, vire et revient sur la première lampe. "

Chaque avion parachutait, en général, jusqu'à 16 containers de 1,80 m. pesant chacun plus de 100 kg, munis de quatre poignées, qui permettaient le transport par quatre hommes. Malgré la relative exactitude des lâchers, certains atterrissaient hors du champ, parfois dans les arbres où les parachutes s'accrochaient. Les distances de transport étaient, souvent, de plusieurs centaines de mètres.

Après le passage du deuxième avion, ce sont 30 containers et plusieurs colis de 60 cm, totalisant quatre tonnes, qui jonchent le terrain. Le travail de regroupement des containers et des parachutes dure jusqu'à l'aube. L'essentiel est évacué par trois charrettes à chevaux, dans des " planques " situées à plusieurs kilomètres du terrain. Le reste est entreposé dans une grange bordière, en attendant les répartitions.

Les parachutages se succédèrent sur le terrain de " Panama ". Il y en eut quatre en dix jours. Ceux des 28 juin, 30 juin, 2 juillet totalisèrent à eux trois le poids de 16 tonnes. Enfin, le quatrième, prévu le 8 juillet, ne fournit que 21 containers et cinq " colis ". L'avion avait dû faire demi-tour. " La quatrième voiture a été en panne. " Il y eut donc un jour de retard. Le lendemain, c'était rattrapé par le message : " Nous irons ce soir au rendez-vous. Impossible prévenir. " Le cinquième colis parachuté était très particulier : c'était le capitaine J.-B. Hayes dont nous aurons l'occasion de reparler.

Les répartitions

Chaque groupe avait prévu ses propres besoins, ses moyens de transport et son mode de répartition. Tout a été utilisé : bicyclettes, camions, voitures à chevaux. L'essentiel était de débarrasser le terrain au fur et à mesure des arrivages. Nos amis fougerollais passèrent - est-il besoin de le dire - un début de juillet mouvementé, avec pas mal d'angoisse.

Il faut se rendre compte que tout ceci se passait à 80 km du front, dans une zone où les Allemands étaient présents partout et de toutes les façons : convois en route pour le front ou stationnés, réparant des véhicules, réquisitionnant des tombereaux, des bicyclettes ou des chevaux, hôpitaux militaires de campagne, etc. La Feldkommandantur 722 et la Gestapo étaient repliées à Milly et Saint-Jean-du-Corail ; leurs sbires français, dont Le Noury, étaient cantonnés à Saint-Barthélemy ; les Bezen-Perrot et la Milice traquaient les Résistants en Mayenne et en Ille-et-Vilaine. Les routes étaient particulièrement inconfortables à cette époque. Néanmoins, tous les transports furent opérés sans aucun incident sérieux.

Pour Saint-Hilaire et la Manche-Sud, les transports furent assurés de deux façons :

- les deux premiers camionnages furent opérés par deux chauffeurs de l'entreprise de la fromagerie Cauny, de Saint-Hilaire, sous la conduite de Charles Ruault, du groupe de Sérouanne. Il y eut une émotion à Isigny-le-Buat, au passage à niveau fermé, avec le camion entouré d'Allemands, qui attendaient aussi ; mais tout se passa bien.

Eugène Hamel raconte les épisodes du troisième transport :

" J'ai assuré ce transport le 3 juillet, avec mon camion à hautes ridelles. Comme j'avais, auparavant, assuré le transport de blessés de Villedieu à Mortain, j'avais gardé, pour la circonstance, une grande banderole blanche portant l'insigne de la Croix-Rouge qui lui donnait un air de camion sanitaire. Parti de chez moi, au Neutbourg, je suis passé d'abord au Mesnil-Tôve, pour prendre Tanguy, puis à Juvigny, pour embarquer l'instituteur Leboulanger.

Après un passage chez Cauny, pour faire le plein d'essence (30 litres), nous sommes partis vers Fougcrolles, où nous avons été pris en charge et escortés jusqu'au terrain de Panama, pour procéder au chargement des containers. Notre camarade de Fougerolles : Henri Bancais nous donna également douze parachutes. Le tout fut placé au fond du camion, sous une couche de paille. Des armes furent également introduites dans le " gazogène " inutilisé. Henri voulait également nous donner six revolvers mais il devait aller les chercher ailleurs. Nous avons attendu, nais ne le voyant pas revenir, nous sommes partis car la matinée était trop avancée. Charles Ruault et Michel Tauzin s'étaient allongés sur la paille, leurs mitraillettes planquées sous les couvertures qui leur remontaient jusqu'au cou.

" A l'entrée de Savigny-le-Vieux, nous constatons que la bourgade grouille littéralement d'Allemands, en raison de la présence d'un hôpital de campagne ; et le passage du camion se fait pratiquement au pas. Des soldats nous interpellent, comme pour s'enquérir de nos santés. Et finalement, tout se passe bien. Arrivés à Serouanne, nous déchargeons ce qui concerne Saint-Hilaire et le reste du chargement poursuit sa route jusqu'au Mesnil-Adelée, pour le groupe de Juvigny. Je suis rentré chez moi de nuit, très tard et le lendemain, j'ai constaté avec effroi que quelques paquets de cartouches étaient tombés au fond du camion et s'y trouvaient encore. "

Lors d'un autre transport vers Serouanne, au moment de quitter la route départementale à Parigny, au lieu-dit Pied d'Argent, un convoi allemand apparaît. Flamel simule la panne : examen du moteur, ramonage du " gazo ", avec le " ringard ", jusqu'à ce que la voiture chargée d'officiers qui ferme le convoi ait disparu.

Les autres groupes que nous connaissons déjà (Gathemo, Saint-Laurentde-Cuves, Coulouvray, Brécey, Avranches) reçoivent également des lots d'armement : ce qui permet de relancer la pose des crève-pneus et la guérilla, malgré le départ vers le front des 50 volontaires prélevés sur les groupes de résistants, pour les besoins de la mission Helmsman dont nous évoquerons ci-après les objectifs, la réalisation et les résultats.

6 - La mission Helmsman

Le rôle de ,J. B. Hayes (" Éric ")

Le capitaine Jack Boresford Hayes, du War-Office, parachuté à Fougerolles, dans la nuit du 9 au 10 juillet, arrive à Sérouane (groupe de Saint-Hilaire) le 11 juillet au soir. Il est accompagné par Julien Derenne et Jules Linais, qui repartent à Fougerolles, et par Julien Lamanilève qui sera son lieutenant pendant toute la durée de la mission.

Il s'agit pour " Éric " de trouver une trentaine de volontaires dans le sud du département. Par groupes de deux, ceux-ci auront pour tâche de marcher en direction du front, situé à près de 80 km, d'observer en cours de route tout ce qui peut présenter de l'intérêt sur le plan militaire, de passer la ligne de front et de se présenter de l'autre côté, au " G 2 " de la 1re Armée Américaine (l'équivalent du 2e Bureau français). Là, ils seront questionnés sur tout ce qu'ils auront observé et, comme ils passeront par des chemins différents selon les hasards de la route, les renseignements qu'ils amèneront devront permettre à l'État-Major Allié d'obtenir une sorte de tableau de la situation des arrières allemands, depuis Fougères-Avranches jusqu'au front, figé sur une ligne Lessay-Saint-Lô.

Il apparaît clairement, dès le départ, que cette mission est liée au projet d'offensive américaine dans ce secteur.

Six camarades du groupe de Saint-Hilaire sont volontaires pour partir dans les plus brefs délais par équipes de deux : Debon et Navier s'en iront dès le 12, Tauzin et Daspe le 14, puis Pasquier et Bazin.

Dans la matinée du 12, sur les instructions d' " Émile ", avant son départ vers le front de Saint-Lô, Michel Tauzin accompagne Éric jusqu'à la ferme des Hersandières, chez Émile Bagot à La Mancellière. A ce moment-là séjournait à la ferme Bagot depuis quelques jours un Russe prénommé Piotr, déserteur de la Wehrmacht et il avait été décidé de le déplacer dès l'arrivée d' " Éric ". C'est ainsi Tauzin, après avoir conduit Éric à ce qui deviendra son P.C., qui s'est chargé de transférer Piotr à Marcilly où il le confie à Martial Fouinard.

C'est par l'intermédiaire de Joseph Garnier, de Marcilly, que René Berjon (" Émile ") est entré en contact avec la famille Ragot et a décidé d'y installer le Q.G. de la mission Helmsman.

Tout est prévu pour le nouveau venu : la carte d'identité au nom de M. André, fait d' " Éric " un réfugié que les bombardements ont contraint à quitter son domicile, rue Verte-de-Haut à Saint-Lô. Quelques jours après, il se présente à la perception d'Isigny-le-Buat pour toucher le pécule attribué aux réfugiés. Il possède ainsi une attestation de plus établissant sa situation de sinistré Saint-Lois. Julien Lamanilève est chargé de le remplacer si les circonstances l'exigent : il est aussi le garde du corps d' " Éric ". Dans leurs déplacements, ils circulent sans arme, mais dès le 13 juillet, une mitraillette " Sten " - une des armes ramenées la veille de Fougerolles à Marcilly - est remise à Julien, près de la mairie de La Mancellière.

Dans la ferme, des officiers allemands côtoyent " Éric ", ignorant bien sûr que c'est grâce à lui et aux volontaires " que les troupes américaines opèreront, dans la Manche et dans le secteur qui est confié à sa surveillance, la percée décisive qui amènera l'effondrement du dispositif allemand en Normandie ".

A l'époque, dit la belle-fille des parents Ragot. on s'entraidait pour les récoltes. Il y avait bien des allées et venues chez les Bagot, mais jamais nous n'aurions soupçonné tout cela. Jamais ! D'ailleurs, personne dans la commune n'a su. Ce n'est qu'après la libération que tout fut dévoilé. "

Parlant excellemment le français, mais utilisant également le patois ou l'argon, selon les circonstances. " Éric " qui connaissait la région de longue date, était comme un poisson dans l'eau ! Beaucoup de choses inexactes ont été écrites ou racontées à son sujet. Il avait deux postes récepteurs, miniatures. Les émissions de la B.B.C. le concernant, commençaient par : " message important pour le petit gros ", mais il ne disposait personnellement d'aucun poste émetteur. En cas de nécessité, l'émission radio vers Londres ne pouvait être assurée que par le Q.G. de Claude de Baissac, en Mayenne. Alice Bougourd (aujourd'hui Mme Ceppo Domo à Golfe Juan), du groupe de Saint-Hilaire, était chargée de maintenir les contacts avec la Mayenne.

Berjon voit successivement Marland à Granville, Marie à La Haye-Pesnel (O.C.M.) et les responsables de Libé-Nord à Ducey et Avranches. En quelques jours, 31 volontaires sont recrutés, ils ont un premier contact (Berjon, Manain ou Pinson) avant d'être confiés à Andrée Blandin, qui les conduit à " Éric ".

Andrée Blandin, aujourd'hui Mme Guillard, à Brécey, explique en quoi consistait sa mission :

" J'étais résistante depuis 1943, par l'intermédiaire de mon frère René, lui-même dans une petite unité. J'assurais des liaisons entre les groupes F.T.P.F. de l'Avranchin. Ma mère hébergeait les responsables, chaque fois que l'occasion se présentait. A partir d'avril 1944, l'essentiel de mon travail consistait à accompagner le responsable départemental René Berjon dans ses déplacements. Je prenais avec moi les documents compromettants.

" Après les parachutages de Fougerolles, " Émile " me confia à " Éric pour être son agent de liaison personnel. D'une part, je l'accompagnais dans tous ses déplacements ; d'autre part, j'étais chargée d'aller chercher les volontaires qu' " Émile " avait recrutés pour passer les lignes. Je les amenais aux environs de la ferme Bagot pour les présenter à " Éric "...

" En fait, par sécurité, ces rendez-vous avaient lieu dans un petit bois, à proximité de la ferme, mais en dehors de la propriété Bagot.

" Toute la contrée était toujours bondée d'Allemands et nous en rencontrions des quantités. En général, ça se passait bien, mais il y eut quelques incidents. Un jour, sur la route de La Mancellière à Ducey, un groupe d'Allemands à pied nous arrêta et nous confisqua nos bicyclettes, si bien que nous dûmes rentrer à pied.

" Une autre fois, j'avais rendez-vous au carrefour de la Datinière, à Montgothier, avec quatre jeunes volontaires. Quand j'y suis arrivée, des Allemands en uniforme étaient installés au pied de la croix. Je suis passée sans m'arrêter. en direction du bourg de Montgothier. Après un moment d'attente, je suis revenue en essayant de m'informer. Des civils m'ont fait savoir que les Allemands étaient partis. Je suis retournée au carrefour, marchant un peu plus loin, vers La Mancellière. Je donnai un coup de sifflet et les quatre jeunes gens sortirent du champ voisin dès qu'ils m'aperçurent.

" Je me souviens aussi qu'avec " Émile ", nous étions partis à Fougerolles, pour aller chercher les armes parachutées. Mais c'était le jour où les Allemands, ayant investi la bourgade. ont arrêté Julien Derenne et ses camarades. Nous avons rebroussé chemin de justesse, mais à temps, heureusement !

Le jour de la libération de La Mancellière, un officier de l'État-Major de la 1re Armée (G.2) a demandé où j'habitais et il est venu à notre ferme. Quand il m'a vu arriver, il a dit à ma mère " Tiens, voilà votre jeune fille, je la reconnais bien ". Pourtant, il ne m'avait jamais vue ! "

Seules les femmes parvenaient à circuler sans trop de difficultés. Alice Bougourd et Andrée Blandin ont rendu des services importants, particulièrement pendant la mission Helmsman.

Les contacts avec Londres

Nous avons dit qu'Éric ne possédait pas de poste émetteur. Ceux qui ont écrit sur la Résistance ont tendance à en situer partout... Or, il y en eut fort peu dans la région.

Ce qui est exact, c'est que les Allemands, surtout en juillet, arrêtèrent, parfois fusillèrent, les détenteurs de récepteurs-radio. voire de simples postes à galène.

Éric, lui, ne pouvait entrer en relation avec Londres que par la Mayenne. Katia, l'opérateur-radio de Claude de Baissac, avait été parachutée le 1er mai 1944. Elle établit le contact avec Londres le 3, à partir de Saint-Mars-du-Désert. Le même jour, émettant de la forêt de Pré-en-Pail, elle fut détectée par un camion de radio-goniométrie, " mais les patriotes détruisirent le camion de repérage, tuèrent les opérateurs, ce qui leur permit de s'échapper " (Documents britanniques, Scientist Mission, Sheet.

Elle continua à émettre dans la région de Caen et Vire (Renaud-Dandicolle) et en Mayenne (Claude de Baissac) passant 135 messages du 3 mai 1944 à la libération.

Les passages de la ligne de front

L'opération fut, dans l'ensemble, un succès. Sur 31 guides envoyés en mission, quatre seulement échouèrent et un seul fut porté disparu. Vingt-six réussirent à passer entre le 18 et le 27 juillet. avant l'offensive de Marigny (Opération " COBRA ") André Pasquier, Emile Bazin. Jacques Navier, André Debon, André Cheval, Jean Lefeuvre, Paul Lepenant, Pierre Laffaiteur, Victor Pelé, Louis Hardy, Louis Launay, Henri Faverie, Roger Lambert, Joli. Letellier, Roger Monnerie, Mariette Rabecq. André Rouault, Armand Guillarmic. Jean Vauzelle, Pierre Mignon, Pierre Baudry, Robert Delannée, Michel Huaux, Bernard Yvon, Jean Painsec, Willy Rockers.

Après la traversée du front et le contact avec la 1st Army américaine, chaque équipe devait utiliser un mot de passe verbal (" Biarritz ") puis devait demander le " G.2 ", service de renseignements de l'armée en campagne. En outre, tous les volontaires avaient sur eux un papier quelconque sur lequel " Éric " avait écrit, de sa main, une phrase qui comportait toujours le chiffre " cinq ", écrit en toutes lettres. Cette phrase était expertisée par l'officier américain, sur place, et il fallait faire une description de " Éric ". Ensuite, commençaient les interrogatoires qui duraient plusieurs heures par jour, souvent pendant plusieurs jours. Debon et Navier, qui arrivèrent les premiers, le 18 juillet, furent interrogés toute la soirée, réveillés dans la nuit, pour témoigner à nouveau devant un groupe d'officiers, puis encore le lendemain, et ceci pendant trois jours ! L'officier qui dirigeait l'interrogation s'appelait le Colonel Runkle.

Quelques péripéties lors des passages

Récit d'André Debon (passage avec Jacques Navier).

" Le 12 juillet, nous partons de Sérouanne à Martigny, en direction du nord, et nous couchons, la première nuit, à Saint-Laurent-de-Cuves, à la ferme de ma mère, le 13 à Villedieu-les-Poêles, le 14 à Hambye, chez Loyvet, pharmacien qui était un cousin éloigné, et le 15, nous nous trouvons à Camprond, où nous sommes hébergés dans une ferme. Partout, nous discutons, observons, recueillant le maximum d'informations. Le 16, la densité des troupes et l'absence de civils commencent à rendre les choses difficiles. Nous sommes les seuls civils à marcher vers le nord. La nervosité croissante des Allemands à notre égard. malgré nos faux papiers et nos alibis, nous contraint à changer de cap (nous étions censés être deux professeurs techniques rejoignant l'école des apprentis de l'Arsenal, repliés à Gouville). Avant midi, nous obliquons vers la côte, passons en soirée en vue de Coutances et arrivons juste avant la nuit à Agon-Coutainville où la famille Palluault (des amis de Navier) nous accueille, nous accordant hospitalité et aide pour l'organisation de notre passage.

Effectivement, en 24 heures, tout est prêt pour un départ par mer. Le 17 au soir, trois doris de pêche sont là, dans la crique de Blainville. Derrière les dunes, où est prévu le rendez-vous, il y a 18 partants, soit 6 par doris (bien entendu, il y a longtemps qu'il n'y a plus un seul moteur disponible). La mer est basse quand on part, à minuit, et la distance de transport des doris est fort longue. Nous sommes interrompus dans notre progression, à plusieurs reprises, par des incidents divers : un retardataire qui appelle et jette le trouble (18) et, surtout, les fusées éclairantes qui, jetant une lumière vive sur la plage, nous obligent à de longs moments d'inertie. Finalement, à 2 h du matin, les barques flottent et nous y grimpons. Le doris dans lequel nous nous trouvons est conduit par un pêcheur : Maurice Lecrosnier, assisté de son fils. Il y a également avec nous deux aviateurs américains recueillis qui cherchent à rejoindre leurs unités : Marcel Bollog et John Kertsch.

" Mais, très vite, la mer devient dure et c'est la tempête, avec pluie diluvienne. Navier, qui est sensible au mal de mer, empoigne le bord de la barque et ne peut plus faire un mouvement pendant les 1O heures que durera la traversée. On se relaie pour actionner les deux paires de rames. Le reste du temps. nous écopons sans arrêt car nous embarquons beaucoup d'eau.

" Le 18 juillet, à midi, nous abordons à proximité de Portbail. La tempête, malgré l'inconfort de la situation, a été un bienfait car elle a éliminé les possibilités de repérage. Après présentation au C.I.C. local, nous sommes d'abord conduits à l'État-Major de la 8' division, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, pour un premier interrogatoire à objectif local. Un jeep nous emmène au Q.G. de la 1st Army, à Neuilly-la-Forêt, près de Lison, où nous sommes présentés au Colonel Runkle du G.2 et à d'autres officiers, et les interrogatoires et discussions commencent, parfois de jour, parfois de nuit, jusqu'au 23.

" Hébergés dans la famille de Jean Picot. à Neuilly-la-Forêt, nous avons la visite d'un capitaine et d'un autre officier du B.C.R.A. qui viennent tenter de nous " enrôler " dans leur organisation. Nous refusons, bien entendu. Un autre jour, c'est la B.B.C. qui vient nous demander deux courtes déclarations pour le bulletin du lendemain soir. Nous acceptons, avec message pour les camarades de Saint-Hilaire.

" Nous avons la joie de voir arriver, à partir du 21 juillet, plusieurs de nos camarades, connus ou inconnus : Jean Vauzelle et Willy Rockers, d'Avranches ; André Noblet et Louis Bazin, de Saint-Hilaire ; André Rouault et Mariette Rabecq de Saint-James, puis progressivement, tous les autres.

" Dès que la percée de Marigny est annoncée, nous demandons à être rapatriés. Nous partons avec l'équipe des " Civil Affaires " désignée pour Brécey. Nous dormons près de Villedieu. Une résistance allemande subsiste à Sainte-Cécile, et nous devons passer par Saultchevreuil. Mais, Brécey et Saint-Hilaire sont déjà libérés !

La traversée du front a été émaillée chaque fois de multiples péripéties. Certaines nous sont connues, d'autres resteront sans doute à jamais oubliées. Tous rencontrèrent d'énormes difficultés, car tout civil dans la zone du front était, en principe, un suspect. Le pourcentage de réussite fut finalement plus élevé qu'on aurait pu le supposer.

André Pasquier et Émile Bazin, du groupe de Saint-Hilaire, se trouvèrent, eux, aux environs du front, sur le périmètre de la " Das Reich ". Ils furent arrêtés et plusieurs fois interrogés. Entre-temps, pendant deux jours, on les obligea à déclouer le plancher des maisons afin d'alimenter les feux des popotes. Ils profitèrent d'une alerte aérienne pour s'évader et, finalement, traverser la ligne. Leur première information fut l'implantation exacte de l'État-Major de la Division Das Reich qui fut immédiatement bombardé.

René Jumel, chef de groupe du Bois de Buron, près de Cérences, renseigné par Marland, envoie trois volontaires en direction de La Mancellière, via Granville, pour prendre les instructions. Ce sont : Bernard Yvon, Fernand Painsec et Michel Huaux. Le 19 juillet, ils repartent isolément de La Mancellière et se retrouvent à l'ouest de Coutances, près de l'embouchure de la Sienne, après avoir recueilli chacun des informations différentes. Après 5 jours de tentatives infructueuses, ils réussissent enfin le passage, près de Lessay, en traversant dans la nuit du 25 au 26 juillet, l'embouchure de la rivière Ay, à Saint-Germain, à marée basse, en profitant d'une accalmie de l'artillerie.

Jean Vauzelle part le 15 juillet de Saint-Martin-des-Champs, près d'Avranches, en compagnie de Willy Rockers. Arrêtés à quatre reprises, ils s'en tirent à chaque fois. La première arrestation a lieu à Villedieu. Porteurs d'une carte et d'une boussole, suspectés d'espionnage, ils sont menacés d'exécution. Ils jouent le tout pour le tout et, profitant d'un moment d'inattention de leur gardien, ils sautent la haie, puis une deuxième, sous les coups de feu, et fuient. Mais ils n'ont plus de pièces d'identité. Ils ne se découragent pas pour autant et continuant leur progression, arrivent à Saint-Samson-de-Bonfossé où ils sont de nouveau arrêtés et enfermés dans une pièce. Ils s'en évadent par la fenêtre, tout simplement.

Ils arrivent à Saint-Lô, dans une ville saccagée, terrain de patrouilles des deux belligérants et, dès l'entrée, ils sont arrêtés par un sergent accompagné de deux soldats. Mis sous garde d'un seul homme, ils l'assomment et continuent à progresser dans la ville en ruines. Sur le point d'être à nouveau interpellés en centre ville, un bombardement opportun leur permet de s'éclipser. ils se cachent dans une maison, trouvent quelques provisions, s'installent et... n'osent plus sortir jusqu'au 21 juillet où ils se précipitent sur une patrouille américaine. Dix jours de combat sauvage contre une adversité sans cesse renouvelée, avec toutes sortes de dangers et d'angoisses, mais sans l'ombre d'un découragement.

Une de leurs récompenses, entre autres satisfactions, fut de contribuer largement à empêcher la destruction du barrage de Vezins, grâce à leurs informations sur la garnison allemande et les dispositions prises pour détruire ce barrage (informations transmises par la gendarmerie d'Isigny-le-Buat à Marcel Lucas, responsable Libé-Nord à Avranches).

Le 15 juillet, au groupe de Saint-James. André Rouault, responsable Libé-Nord pour la Manche-Sud, part à bicyclette avec Mariette Rabecq, agent de liaison. Ils rencontrent Etienvre en passant à Trelly puis cherchent à franchir le front avec une bonne masse d'informations. Ils ont un ami à Agon (Fremiot) et il semble que le passage par mer va être possible, comme pour Navier-Debon. Mais l'opération échoue à cause du poids excessif du deuxième doris. Les deux résistants continuant leur progression vers le nord, sont hébergés chez Mme Lenoir, à Geffosses, le 20 juillet, mais aucune possibilité de passage ne se dessine. Nouvelle progression en direction de Lessay, puis retour en catastrophe vers Regnéville, sous la menace des troupes allemandes. C'est seulement le 28 juillet, à Blainville, que le contact avec les Américains en progression, va se faire, en pleine bataille où, écrasés au sol, ils tentent d'échapper aux éclats et aux balles. Il leur a fallu treize jours d'épreuves pour arriver au but mais, là encore, il a été atteint !

Maçon de Louvigné-du-Désert, Victor Pelé travaillait à Saint-Hilaire où il donna son adhésion aux F.T.P.F. et se porta volontaire pour traverser les lignes. Arrêté entre Percy et Villebaudon, les Allemands l'interrogent, s'énervent, le collent au mur pour le passer par les armes. A leur surprise, Victor Pelé se met alors à chanter à tue-tête, entonnant une de ces chansons du vieux folklore. Interloqués, les Allemands l'épargnèrent. Il s'enfuit à la première occasion et contacta finalement les Américains lors de la percée.

L'odyssée de John Letellier et de Robert Delannée, est d'un autre type. Recrutés par Louis Pinson, ils partent du sud le 17 juillet, arrivent à Canisy près de Saint-Lô dès le 19 et changent d'avis en constatant les difficultés pour passer dans la région de Saint-Lô. En deux jours, ils balaient tout l'arrière du front entre Saint-Lô et Lessay, frôlent la mort par fusillade, ne devant leur salut qu'à la mansuétude d'un officier et traversent finalement la rivière Ay à Saint-Germain, comme Bernard Yvon et ses compagnons. Leur trajectoire parallèle au front sur 30 km, apporte de précieux renseignements aux responsables du G.2.

Quant aux deux instituteurs : Roger Monnerie, de Romagny et Armand Guillarmic, de Juvigny-le-Tertre, partis le 20 juillet, ils arrivent près de Saint-Lô, à Saint-Ebremond-de-l3onfossé, territoire de la " Das Reich ". Dans l'impossibilité d'aller plus loin, hébergés par un cultivateur des environs du carrefour appelé La Croix à la Main, ils prennent leur parti de la situation, font de l'observation à partir du grenier. Le 27 juillet, la bataille fait rage et ils se trouvent nez à nez avec un soldat américain qui les tient en joue, jusqu'à ce qu'ils puissent justifier de leur mission et être conduits à Neuilly-la-Forêt.

Le 14 juillet, trois volontaires furent présentés à " Éric ". L'un d'eux partit seul. C'était Émile Dejonc, né le 15 février 1913, à Tuyen-Quang (Tonkin). Évadé du stalag VIII-C en décembre 1940, il avait été accueilli par Tétrel, coiffeur à La Haye-Pesnel où il prit contact avec la résistance locale. En tentant de traverser les lignes ennemies, fut-il tué dans un bombardement ? Fut-il liquidé par les nazis à cause de son type vietnamien ? On sait seulement qu'il atteignit Saint-Amand. Aucune trace de son passage ou de son arrestation, aucune tombe ! Nul ne sait ce qu'est devenu " Miloche ", seul disparu parmi les

31 volontaires.

Le 31 juillet, Julien Lamanilève rejoint le groupe de Saint-Symphorien et Éric quitte La Mancellière. Il se rend à Reffuveille d'où il peut entendre la canonnade qui se rapproche. Il envoie deux volontaires vers Champrépus, un vers Villedieu (G. Cotonnier), deux autres en direction de Saint-Sever (Hardy et Marius), et deux vers Torigni. Par la suite, il utilisera des observateurs statiques dont le rôle sera de se laisser dépasser par les Allemands, d'attendre les Américains et de guider les patrouilles.

Pourquoi cette mission de renseignements ?

Le débarquement du 6 juin avait réussi. Mais le front s'était stabilisé sur une ligne ouest-est qui, à partir de la côte près de Lessay, passait largement au nord de Périers, faisait de Saint-Lô un lieu de bombardements et de patrouilles avant de remonter ensuite au nord de Caen. Les soldats américains avaient beaucoup souffert en raison des haies qui quadrillaient le bocage. Les fantassins et artilleurs allemands avaient utilisé chaque haie qui constituait un excellent camouflage naturel. Les pertes avaient été lourdes et il semblait impossible, pour l'État-Major Allié, de continuer de cette façon. Malgré une tentative " de percée à droite " selon les instructions d'Eisenhower du 30 juin, la progression en 10 jours ne fut que " de quelques kilomètres ".

" Le 10 juillet, une sorte de conseil de guerre réunit les généraux Eisenhower, Montgomery, Bradley et Dempsey. Quelle solution trouver pour mettre fin à ces insuccès répétés et coûteux ?... C'est alors que Bradley propose le projet qui deviendra COBRA, mais il demande un délai d'une dizaine de jours pour passer à l'exécution ".

Il s'agissait, dans l'esprit de Bradley, de transformer la bataille du bocage en guerre de mouvement. Pour arriver à cet objectif, il fallait deux conditions :

1) Effectuer une percée avec des moyens puissants.

2) Ne pas être arrêté à nouveau quelques kilomètres plus loin.

La première de ces conditions était à la portée de Bradley, car les moyens puissants existaient grâce à une aviation de bombardiers et chasseurs unique au monde.

Mais ensuite, allions-nous retrouver le combat de haies ? D'où la question lancinante : qu'y a-t-il exactement comme forces et défenses sur les arrières allemands 7

La mission " Helmsman " avait pour objectif de répondre à cette question, ce qui permettait de définir une stratégie de mouvement adaptée à la situation réelle.

Dans son compte rendu officiel de mission, J.-B. Hayes, présente comme suit l'objectif de la mission qui lui était confiée :

" L'origine de la mission Helmsman est liée à la visite d'un officier de l'État-Major de Londres aux armées américaines sur le terrain. Celles-ci étaient alors immobilisées devant Saint-Lô et les projets de percée étaient sérieusement compromis par un manque d'information quasi total sur les arrières allemands jusqu'à une profondeur de 80 km. Les Américains demandèrent si les Forces Spéciales du Quartier Général pouvaient parachuter un officier dans ce périmètre, afin de mobiliser des habitants locaux comme observateurs chargés de remonter vers le pont par différentes routes, tout observer et faire le rapport de ce qu'ils avaient vu des dispositions ennemies, dès leur arrivée.

Remarquons qu' " Éric " fut parachuté au moment même où. selon le Général Delmas, les généraux étaient réunis autour d'Eisenhower. Le délai de 10 jours demandé par Bradley correspondait au temps nécessaire à l'accomplissement de la mission.

Les résultats de la mission

Il est clair qu'aux environs du 25 juillet, le Colonel Runkle et les officiers de l'État-Major ont été amenés à modifier sensiblement leurs conceptions :

1° Sur la Résistance : Le Colonel Runkle connaissait le Commandant Gresselin, responsable O.C.M. et Président du Comité Départemental de libération qui se trouvait en zone maintenant libérée. Il jugeait la Résistance française comme un phénomène très intéressant nais négligeable sur le plan militaire, et il n'était visiblement pas seul de cet avis. Il avait tendance à identifier la Résistance active à la famille Picot qui était, il est vrai, une famille d'authentiques et actifs résistants de l'O.C.M. Les guides logeaient d'ailleurs chez Jean Picot qui exploitait sa ferme à Neuilly-la-Forêt, près d'Isigny-sur-Mer, où campait l'État-Major de la 1st Army. Et il disait avec un certain humour : " Je croyais que, dans la Résistance, il n'y avait que la famille Picot ! " Le tableau que nous avons pu dresser des groupes, de leurs actions, tant dans le sud du département qu'en Ille-et-Vilaine, donnait évidemment une image bien différente. Visiblement étonnés par la réussite de la mission " Helmsman ", nos interlocuteurs furent, peu à peu. convaincus qu'une coopération avec la Résistance était souhaitable, qu'elle pouvait constituer une force appréciable et qu'il fallait l'utiliser. Un plan de coopération fut ébauché entre le 20 et le 25 juillet. Nous verrons par la suite qu'il devint effectif, d'abord à Saint-James. puis dans l'Ille-et-Vilaine et dans l'Orne.

2° Sur les arrières ennemis : Les guides étaient passés, les uns par Saint-Lô, les autres par différents points entre Lessay et Marigny ; d'autres enfin, en longeant la côte, ou par mer. Chacun donna ses observations : l'État-Major fut informé de l'implantation de certains Quartiers Généraux allemands, dont celui de la Division " Das Reich ", de positions de batteries, de concentrations ennemies, de dépôts de munitions ou de matériel, de carrefours importants, de routes plus particulièrement fréquentées. Des missions de bombardement furent envoyées immédiatement sur les objectifs répertoriés (100 avions, rien que pour la " mission Navier-Debon "). Un autre aspect des arrières ennemis fut l'objet de très nombreuses questions : c'était le problème des fortifications, ouvrages, retranchements que les Allemands avaient pu mettre en place. C'était une préoccupation importante pour les Américains. Quels étaient exactement les points de replis préparés et organisés par l'armée allemande sur une certaine profondeur à l'arrière de la ligne de front. Tous nos témoignages concordaient pour affirmer qu'il n'y avait rien ou pas grand-chose en ce sens, à part quelques trous individuels que l'armée avait fait creuser par les civils, de place en place, sur certaines routes, dans les collines du sud. Par ailleurs, nous leur avons décrit en détail l'état des convois fin juin et début juillet : surtout des tombereaux tirés par des chevaux que les paysans réquisitionnés conduisaient bon gré mal gré, d'étape en étape. Pas de trains, plus de lignes téléphoniques en service, très peu de camions.

3° Sur l'intérêt réel que pouvaient représenter les bombardements des villes du sud et des arrières. Nous nous sommes efforcés de démontrer que les résultats obtenus n'étaient pas à la mesure des immenses dégâts humains, moraux et matériels qu'ils provoquaient. La gêne occasionnée aux Allemands était loin d'être évidente, puisqu'ils préféraient utiliser les petits chemins bordés d'arbres, où ils pouvaient plus facilement s'abriter. Nous avons souligné un autre aspect négatif de ces bombardements : désorganisation des résistances locales comme, par exemple à Saint-Lô, Coutances et Avranches.

Voici comment M.R.D. foot juge, de son point de vue, les services rendus par la mission Helmsman :

" Les Américains, lors du débarquement Neptune, déclarèrent qu'ils manquaient d'informations d'ordre tactique. La tâche de Haves fias de fournir ces informations. Il fut lâché le l0 juillet, lors d'un parachutage organisé par De Raissac, non loin d 'Avranches. En 10 jours, il avait réuni trente volontaires locaux pour faire le travail. Presque tous s'arrangèrent pour s'infiltrer à travers les lignes, apportant les messages et les informations sur les dispositions prises par l'ennemi. En un mois, son travail fut achevé : l'armée américaine le jugea de valeur exceptionnelle . "

En conclusion, il est certain que les renseignements fournis ont été d'une importance capitale pour la réussite de la percée, et aussi pour une meilleure collaboration entre l'armée alliée et la Résistance.

Armée Alliée et Résistance, après le 31 juillet

André Debon précise : " Le 25 juillet, nous avons entendu de la ferme de Jean Picot, le tonnerre du pilonnage des lignes par les bombardiers, puis nous avons suivi l'attaque sur Marigny et l'élan de Patton sur Avranches. Nous avons cru comprendre que la mission Helmsman avait pu servir à quelque chose. " Dix jours après, le colonel Drumont-Beaufils (" Joseph " ), de l'État-Major F.F.I. de la région M, pouvait communiquer ce qui suit : " Contacts organisés officiellement entre F.F.I. départements et formations locales américaines. Agissons selon désirs et besoins de l'armée américaine à qui donnons toute aide demandée. Restons sous commandement F.F.I. Fournissons à armée, non seulement soldats, mais éclaireurs armés, civils, renseignement. Assurons protection voies de communication, téléphone, etc.

" Le porteur de ce papier devra bien connaître la région se trouvant dans l'axe de marche supposé des troupes américaines. Pendant sa mission de pilotage, le soldai F.F.I. devra se renseigner auprès de la population sur la situation en avant de la colonne : ponts, mines, farces ennemies ".

Cette note fait le tableau en raccourci des multiples formes de collaboration qui s'établissent alors entre la Résistance Française et l'Armée Alliée. La mission " Helmsman " a contribué à modifier l'état d'esprit des officiers alliés par rapport à la Résistance intérieure et a permis une certaine accélération des processus.

Riche de l'expérience des F.T.P.F. de la Manche, le Colonel Drumont entretenait un contact étroit avec Petri. N'hésitant pas à se déplacer jusqu'à Saint-Lô, dès le 31 juillet, il mit en place. après une discussion serrée avec le Colonel Powels, commandant du G.2., une organisation systématique de coopération qui se traduisit par la mise en attente d'agents qui se laissaient " dépasser " par le recul allemand ou par d'autres qui traversaient et retraversaient les lignes (jusqu'à 3 ou 4 fois ! ). Elle se traduisit aussi par l'utilisation des unités F.F.I. pour des opérations de protection, de nettoyage ou de combat et par l'adjonction provisoire des guides F.F.I. dans certaines unités américaines combattantes.

Lorsque Julien Lamanilève entra dans le bureau du Colonel Powels, celui-ci lui déclara textuellement ce qui suit : " Sans vous, villes et villages auraient été systématiquement bombardés. Les renseignements ont été d'une valeur inestimable : ils ont épargné des centaines de vies de soldats américains, et nous ont permis d'avoir plusieurs jours d'avance sur le plan prévu. "

Pendant ce temps, noyé dans l'attentisme (22), le patron du B.C.R.A.. Passy, était toujours à Londres. il devait se faire parachuter début août dans une Bretagne presque totalement libérée, en bonne part grâce à la Résistance locale soutenue par de nombreuses équipes Jedhurg et S.O.E.

7 - La situation des groupes F.F.I. (mi-juillet)

État des forces au 15 juillet

Au début de l'année, le Général de Gaulle a nommé le Général Kœnig, chef des F.F.I., pour la zone nord (ancienne zone occupée), marquant ainsi la nécessaire unification des mouvements de résistance. Cette nomination assurait une représentation de la Résistance auprès du Grand Quartier Général Allié. L'autorité de Kœnig, héros de Bir-Hakeim, n'était contestée par personne, mais il ne pouvait exercer son autorité que de l'extérieur, par l'intermédiaire des Délégués Militaires Régionaux.

Le D.M.R. Valentin Abeille, avait prévu un rassemblement des F.F.I. normands en forêt de Brotonne (Seine-Inférieure). forêt domaniale de près de 7 000 hectares. Son arrestation mit fin à ce projet de regroupement. Après le 6 juin. en raison de la stagnation des opérations entre Saint-Lô et Caen, le Haut-Commandement envisagea la création d'un maquis du type " Vercors ", dans le bocage normand du secteur Tinchehray-Flers-llalouze.

Il attrait joué le rôle d'un abcès de fixation. obligeant l'ennemi à y maintenir des troupes. Certes la Résistance, dans l'Orne, avait reçu un armement assez important et elle disposait d'un noyau solide de combattants. Mais le déplacement de groupes convergeant de toute la Normandie vers le secteur envisagé présentait des dangers considérables.

Fort heureusement, ce projet ne fut pas réalisé. Ceux qui l'avaient conçu ignoraient tout de l'armée clandestine, de ses possibilités, de ses besoins. L'historien Henri Michel qui dirigea pendant 30 ans les travaux du comité d'histoire de la seconde guerre mondiale, a écrit dans " Le Monde " des 30-31 décembre 1984: " Ce qui est certain, c'est que l'expérience des gros " maquis mobilisateurs " ou des " réduits " s'est révélée tragiquement erronée, partout où elle a été tentée : Les Glières, Vercors ou Mont Mouchet. " (Article sur " Les Maquis au-delà de la légende ").

Toute autre était la conception des F.T.P.F. dans la région Bretagne-Basse-Normandie-Maine : pas de rassemblements, mais des groupes quasi-insaisissables qui sapaient le moral de l'ennemi, avec le moins de pertes possibles.

C'est ainsi que pour l'ensemble de la Manche-Sud, c'est-à-dire au sud de la ligne Coutances-Saint-Lô, on comptait au début de juillet 1944, une trentaine d'implantations de groupes organisés, ayant des contacts non seulement avec leurs propres organisations dirigeantes, trais aussi entre eux-mêmes pour des actions communes. Ces groupes représentaient un effectif dépassant 300 membres actifs ayant participé à des actions combattantes.

Les groupes situés aux limites du département étaient en rapport étroit avec les unités voisines des autres départements. Gathemo, Montjoie, Champdu-BouIt avaient des liens avec les F.T.P.F., autour de Vire. Ceux de Barenton et Saint-Cyr-du-Bailleul étaient rattachés à l'Orne, plus précisément au secteur de Domfront (Lefèvre). Les rapports de Saint-Hilaire avec Fougerolles et la Mayenne, étaient très importants comme on a pu le voir pour les parachutages.

D'autre part, c'est en Mayenne, également, près de Saint-Mars-du-Désert. que Claude de Baissac a son Q.G. et Louis Petri (Commandant Tanguy), nommé responsable régional F.F.I. pour l'Ille-et-Villaine, la Manche, le Calvados, l'Orne et la Mayenne avait établi son Q.G. dans la forêt de la Monnaye, en Mayenne. Ce département, à cette époque, a donc joué un rôle central dans la mesure où les liaisons avec Londres passaient par l'émetteur de Claude de Baissac et de son P.C. du S.O.E., à Saint-Mars-du-Désert. Toute la région de Saint-James avait des rapports avec l'Ille-et-Vilaine toute proche, où elle put se pourvoir en armement, et les petits groupes de Montanel et d'Argouges s'appuyaient sur ceux. plus importants, d'Antrain.

L'ensemble des groupes du sud a été figuré sur la carte (ci-après). Sans prétendre à une rigueur mathématique impossible à obtenir, on peut apprécier que les 40 points d'appuis figurés ici, représentaient globalement plus de 500 résistants.

Il n'est pas tenu compte, dans tout ceci, d'un nombre appréciable de résistants isolés ou repliés du nord de la Manche, notamment de Saint-Lô ou de Cherbourg : ainsi, Untereiner, Professeur replié de Cherbourg depuis 1943 dirige le groupe de Mortain affilié à l'O.C.M. avec la participation de plusieurs gendarmes. D'autres petits groupes se sont formés à la faveur des événements, sans liaison avec des organisations constituées. Par conséquent, le nombre réel de Résistants courant juillet est certainement supérieur aux chiffres indiqués ci-après.

De toute façon, leur action était forcément limitée, faute de moyens, car. au jour " J ", ils ne disposaient pas d'armes parachutées. Par contre, on peut considérer que la presque totalité des groupes au sud de Granville-Villedieu avait bénéficié plus ou moins des parachutages S.O.I. de la fin juin et du début de juillet. Malgré le fait que la mission Helmsman polarise beaucoup d'énergie et provoque un certain affaiblissement numérique des groupes, la guérilla trouva un nouvel élan qui fut utilisé lors de la bataille de rupture qui suivit l'opération " Cobra ". Des groupes nouvellement créés à Saint-James, Saint-Laurent-de-Terregatte et Ducey participèrent aux opérations fin juillet, début août. Et les groupes de Barenton. Saint-Cyr, Le Teilleul et Ger restèrent engagés jusqu'à la mi-août, après l'échec allemand de la contre-offensive sur Mortain. Nous essaierons, dans les pages qui suivent, de dégager l'essentiel de ces actions de la bataille de rupture.

(24) Par exemple, nous savons qu'à Percy s'est manifestée quelque résistance, ainsi qu'à Gavray, comme sans doute en de nombreuses autres localités. Manquant de précisions, nous ne pouvons en parler. Tandis qu'un groupe O.C.M. qui s'y était constitué s'est surtout livré à une activité de renseignements et distribution de tracts.

CHAPITRE 5

LA RÉSISTANCE DANS LA PERCÉE (25 JUILLET - 2 AOÛT 1944)

1 - De l'opération " Cobra " aux combats de la libération

Dans la phase finale, Opération " Cobra " et percée d'Avranches, les Allemands sont harcelés partout par la Résistance. Mais toutes les actions réalisées dans la seconde quinzaine de juillet peuvent être considérées comme appartenant déjà aux combats de la Libération.

En effet, à partir du 14 juillet, tous ceux qui sont informés de la mission confiée à " Éric " et aux volontaires qui traverseront les lignes savent que le front va craquer prochainement.

Malgré les recherches des feldgendarmes et des Français auxiliaires de la Gestapo qui traquent les résistants, le harcèlement s'intensifie sur les arrières de l'ennemi. Certes, les groupes sont momentanément affaiblis par les départs d'une trentaine de volontaires recrutés pour la mission Helmsman. Mais, de nouvelles recrues se présentent et, cette fois, il est possible de les armer, grâce aux parachutages de Fougerolles.

Dans la partie nord de notre région, à Agon, Guillot – qui participe à la Résistance depuis 1940 – et son groupe, détruisent un camion de munitions. Des patrouilles de Trelly, animées par J.B. Etienvre, réalisent des actions de sabotage, récupérant dans les dunes les teller-mines de l'adversaire. Jumel prévoit d'envoyer une dizaine de maquisards du Bois de Buron pour renforcer l'équipe du Commandant Godard, entre Bréhal et Granville. Mais, le 17 juillet, tôt le matin, les Allemands viennent arrêter ce Commandant, recherché depuis janvier. Il tente de se défendre et est abattu à son domicile.

Disparition de Marland

Marland est averti de ce drame ; de partout, la prudence lui est conseillée... Il est arrêté, lui aussi, le 22 juillet, emmené au château de La Lucerne-d'Outremer pour interrogatoire. Fut-il interrogé par des Allemands, par des miliciens ou des gens du S.D. ? On sait seulement qu'il fut remis en liberté, tard dans la soirée et se préparait à rejoindre Granville quand il fut abattu sur la route de Saint-Pierre-Langers, en bordure de la forêt, là où s'élève une stèle depuis 1946. Qui l'a assassiné ? La question n'a jamais été élucidée. Des trafiquants craignant d'être poursuivis à la Libération ? Des collaborateurs, membres du M.S.R.. P.P.F. et autres groupuscules fascistes ? " Ce sera l'un des grands regrets de ma vie que les circonstances de ce crime n'aient jamais été connues et les coupables châtiés ", écrit Edmond Finck, qui ajoute : " A mon avis (partagé par plusieurs de mes camarades), il s'agit de " Français " de la Milice, car ces gens, beaucoup plus que les Allemands, avaient alors intérêt à la disparition de Marland qui savait beaucoup de choses sur leurs méfaits et aurait pu produire contre eux des témoignages accablants. "

Il traînait également. dans la région, des miliciens venus de Rennes, revêtus de l'uniforme allemand. Desile, journaliste à " La Manche libre " a remarqué un volontaire de la Légion Tricolore tué sur la route Villedieu-Brécey : " Je vois avec surprise que ce soldat n'est pas un Allemand. Il porte, en effet, sur la manche gauche de sa veste, l'écusson bleu-blanc-rouge, surmonté des lettres L.V.F. (Légion des Volontaires Français)... Ce garçon est venu mourir non loin de chez lui. II habitait, en effet, une commune d'Ille-et-Vilaine. Je garde son nom pour moi. ".

Quand Raymond Ruffin parle d'un agent nommé Perrot, nous pensons qu'il s'agit d'un membre de la Bezen-Perrot, la Légion Perrot, formée d'anciens de Breiz Atao qui, après avoir créé les " Chemises grises ", comme il y avait les " Chemises noires " de Mussolini, les " Chemises brunes " de Hitler, s'engagèrent dans les Waffen S.S. sous l'uniforme allemand (ils ne dépassèrent jamais la centaine).

Sabotages en tous genres

Le 18 juillet, entre Brécey et Avranches, 7 camions subissent des avaries et sont bloqués par une action conjuguée des F.F.I. d'Avranches et de Brécey.

Le 20 juillet, des crève-pneus posés sur les routes autour de Saint-Hilaire provoquent des embouteillages mis à profit par l'aviation alliée. Le 24, dans la côte des Loges-Marchis, en direction de Fougères, c'est un camion allemand chargé de plusieurs tonnes de beurre qui est incendié.

Le 26, un autre camion est attaqué près de Parigny et, le même jour, deux jeunes recrues attaquent un collaborateur notoire qui, d'ailleurs, suivit les Allemands dans leur retraite. Le croyant mort, ils l'avaient laissé sur place, alors qu'il n'était que blessé.

Le 27, à Parigny, Alain Laffaiteur se porte au secours d'un pilote allié dont l'avion a été abattu. Sommé d'arrêter par les Allemands, il continue. Blessé à la main, il se cache et quand l'officier allemand qui le croit gravement atteint. vient pour l'achever, c'est lui qui abat l'officier, puis rejoint ses camarades.

Les deux aînés des enfants Lourdais avaient alors 10 et 12 ans. ils se sou-viennent d'avoir accompagné leur père dans ses promenades à travers champs à Tirepied. Claude nous a dit : " Arrivé à la route, chaque soir, il posait des petits disques sur la chaussée ; puis, du fossé, avec un bâton, il les poussait vers le milieu, puis les recouvrait de foin. Le lendemain matin, il allait les retirer. On a compris depuis : c'était pour éviter les dégâts aux véhicules civils, les convois allemands, eux, ne circulant que la nuit. "

Son frère Georges, actuellement Capitaine des pompiers à Granville, précise : " Personne ne se serait méfié de ce père tranquille qui se promenait avec ses enfants... Je me souviens surtout d'une fois où il fallut se cacher et ramper dans un champ de blé. Nous, les gamins, on ne savait pas ce qui se passait. Le convoi avait sauté plus tôt que prévu et les Allemands se croyant attaqués, tiraient dans toutes les directions. "

Sauvetage du lieutenant Walter Costello

Pilote d'un des avions de chasse qui escortaient les Forteresses Volantes au-dessus de la Ruhr, le 21 juillet, il fut touché par la Flak et, malgré des appareils de bord inutilisables, tenta de rejoindre l'Angleterre. Son avion prit feu au-dessus de l'Avranchin et il sauta en parachute dans le ciel du Mesnil-Ozenne.

Roger Vrac, réfugié de Cherbourg, le voit atterrir et Denise Yvon part chercher des vêtements civils. Walter se trouve avec Albert Yvon et Léon Samson – des cultivateurs qui font les foins – quand les Allemands arrivent en ride-car. Ils passent devant Walter au moment où il finit d'enfiler son bourgeron de travail. Personne n'en mène large.

Mais tout se passe bien et sa première nuit en France occupée, Walter la vit caché dans une carrière. Mis au courant, l'abbé Louis Bouteiller, curé du Mesnil-Ozenne, demande à son frère, le père missionnaire Victor Bouteiller, de trouver un meilleur refuge. C'est ainsi que Walter va se retrouver à " La Crècherie ", en Marcilly, chez Martial Fouillard où sont déjà camouflés trois Russes évadés, un réfractaire français. Victor Julienne et des réfugiés, comme Georges Tencé d'Avranches. C'est ici que Louis Pinson rencontre Walter :

" Il mec réclame aussitôt ses affaires qu'il a laissées chez le père Bouteiller (un revolver, des photos d'identité, un stylo...) et surtout, il veut due je lui trouve une filière pour rejoindre sa base en Angleterre. Je lui réponds qu'il n'est pas question qu'il reparte puisque l'armée Patton sera là dans quelques jours. Mais il ne veut pas entendre raison. Vers le 25 juillet, je reviens donc avec " Éric ", capitaine anglais du War Office dont le P.C. était à la ferme Bagot : "les Hersandières ", à La Mancellière. Éric et Walter conversent dans un champ ; Fric réussit à le raisonner, mais me demande de lui trouver un autre refuge, un peu plus au nord. M. et Mme Letulle, alors à Vernix, me trouvent Ici

ferme Allain. Le 26, Martial Fouillard arrive en vachère avec Walter, roule de Mortain et je continue à pied avec mon compagnon, en direction de Vernix. "

" Walter était un gars extrêmement sympathique. Courageux et calme à la fois. Un soir, chez Fouillard, il prend le frais sur un banc quand arrive un Allemand cherchant du beurre. Walter ne bronche pas, se contentant de dire Bonsoir ! (Le seul mot, peut-être qu'il connaisse en français).

En le conduisant à Vernix, je rencontre des Avranchinais réfugiés, en particulier Mme Mairev, inspectrice primaire et son mari. Quelques paroles brèves car, dis-je, mon copain est pressé. Ils le trouvent peu bavard. " (Article de J. Bazire dans Ouest-France du 27-7-1984).

" Du carrefour de Roche-Commun à Vernix, aucun des Allemands que nous avons rencontrés ne posa de questions à ces deux paysans paisibles. "

A part M. et Mme Letulle, M. et Mme Allain, à Vernix, personne ne sut où était le pilote. Et lui-même ignorait qu'à 1 km à vol d'oiseau, un autre pilote américain : le Capitaine W. Lennox était abrité chez Auguste Briant, à l'Herpichot. La sécurité était à ce prix.

Deux parachutistes américains, prisonniers des Allemands s'évadèrent de Lingeard et furent cachés par Camille Cros, un instituteur cherbourgeois alors à Juvigny-le-Tertre. A Lartour, commune de Vernix, le frère de Mme Allain hébergeait deux prisonniers évadés, d'origine africaine... et pas faciles à cacher. Deux soldats Nord-Africains de l'armée française, prisonniers des Allemands, s'évadèrent de la forêt de Saint-Sever et trouvèrent refuge plusieurs mois à la Mélanderie, en Brécey, chez le " père " Jouenne.

Ce ne sont là que quelques exemples qui montrent la solidarité de la population rurale envers tous ceux qui, à des titres divers, doivent échapper aux recherches des nazis. Beaucoup d'autres cas resteront toujours ignorés.

Une action du groupe " Blida " (22 juillet)

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1944, une opération conjointe des groupes de Barenton et de Saint-Cyr aura lieu à la Guérottière, sur la route de Saint-Georges-de-Rouelley à Barenton. Constant Dauvergne avait repéré un camion chargé de gas-oil, resté en panne dans la cour de la ferme.

Il avertit Jean Fouqué qui, avec son groupe " Blida ", décide de récupérer les fûts (2.600 litres). Georges Bourcier, qui dirigeait un petit groupe aux environs de la Fosse-Arthour, participera aussi à l'expédition.

Sous la couverture de deux gendarmes et du brigadier Dauvergne, le transbordement des fûts commence vers 23 h. Aux environs de minuit, un véhicule s'arrête non loin de là et, en s'approchant discrètement, les résistants distinguent dans la voiture deux Allemands et une femme - apparemment une auto-stoppeuse - qui les entretient au sujet d'un attentat contre Hitler.

Jean Fouqué et ses camarades abattent les deux Allemands et libèrent la jeune femme, qui l'avait échappé belle : les résistants avaient d'abord cru qu'il s'agissait d'une collaboratrice.

Le camion contenait des caisses de munitions. Après avoir réalisé le transbordement du gas-oil. ils le font sauter, sans qu'il prenne feu pour autant. Quelques

heures après, Georges Bourcier revient, accompagné de Marcel Bansard et d'un autre résistant. Ils placent une charge de plastic sous le réservoir d'essence. Cette fois-ci, ça flambe et les détonations sont entendues jusqu'à Barenton.

La nuit fut donc particulièrement fertile. Outre les 2.600 litres de gas-oil récupérés et transportés par tombereau, les résistants avaient abattu deux S.S., délivré une jeune femme en situation délicate et détruit un camion de munitions, notamment des obus antichars. La circulation routière fut interrompue pendant une bonne partie de la journée.

Embuscade, route Barenton-Ger (24 juillet)

A la date du mardi 25 juillet 1944, le R.P. Soul, missionnaire en convalescence dans sa famille, à Barenton. notait sur son journal : " Hier, lundi après-midi. deux motocyclistes allemands ont reçu des coups de feu sur la route, entre Ger et Barenlon. Un des hommes a été tué, celui qui était à l'arrière, paraît-il. L'autre a été blessé et a pu s'échapper. Les auteurs de ce coup de main seraient une dizaine qui étaient à l'affût dans la forêt ". La nouvelle s'avéra parfaitement exacte : les résistants agissaient sous la direction de Georges Bourcier, du maquis de Saint-Georges-de-Rouelley, situé près de la Fosse-Arthour. L'embuscade avait eu lieu en haut de la côte des Landelles, en pleine forêt de la Lande-Pourrie. Deux des hommes étaient armés de mitraillettes, Georges Bourcier et Jean Richier. L'affaire n'eut pas de suite, comme le note Georges Bourcier : " La sépulture du soldat aurait, paraît-il, calmé la colère des enquêteurs et il n'y a pas eu de représailles sur la population, comme je le craignais. Les deux Allemands transportaient un sac de courrier personnel et officiel ainsi qu'un sac de tabac qui u été le Bienvenu. "

Constant Dauvergne, qui dirigeait le groupe de Barenton, fut mêlé à cet événement : " Revenant du maquis, j'ai rencontré des participants qui rentraient. Nous sommes restés un moment ensemble à dépouiller le courrier, l'un des maquisards traduisant couramment l'allemand. Mais il n'y avait pas de renseignement exploitable dans ces lettres, sinon que la population allemande avait un moral très en baisse. Les lettres contenaient presque toutes des cigarettes - deux ou trois par enveloppe. A celte époque, les troupes nazies étaient rationnées en tabac. Rentré à Barenton, ma femme me dit que l'un des deux motocyclistes qui avait réussi à s'échapper avait alerté la Feldgendarmerie de Saint-Jean-du-Corail. Je repartis au maquis, pour les en informer et pour qu'ils puissent mettre une bonne distance entre eux et leurs poursuivants ".

Le brigadier Dauvergne prit contact sur place avec l'Oberleutnant qui dirigeait les recherches et fit de son mieux pour les orienter vers de fausses directions.

Le 31 juillet, des crève-pneus sont à nouveau placés entre Domfront et Saint-Georges-de-Rouelley.

La percée sur Avranches (28-31 juillet)

Cherbourg est tombé à J + 20 au lieu du J + 8 prévu. Les retards s'accumulent. Les haies, le bocage font de cette guerre un cauchemar ; la machine de guerre américaine est faite pour une guerre de mouvement et non pour ce combat corps à corps.

Comment transformer la bataille de haies en une guerre de mouvement ?

C'est le 10 juillet, au cours d'une sorte de Conseil de guerre avec tout le Haut Etat-Major, que Bradley propose le projet qui deviendra l'opération " Cobra " : combiner l'écrasement par l'aviation d'une concentration ennemie avec une trouée par une force qui fonce dans la brèche ouverte.

Du 10 au 25 juillet, le plan est élaboré méthodiquement et sans hâte. Pendant ce temps, la mission Helmsman se développe et les guides arrivent, à partir du 18, pour décrire la situation dans tout le sud du département.

C'est l'axe de pénétration Saint-Lô-Avranches qui est choisi. Bradley trace, à l'ouest de Saint-Lô, le long de la route de Périers, un rectangle de 6,5 km sur 2 km. C'est là que l'aviation frappera. Le 25 juillet, 3.000 appareils déversent sur ce périmètre 4.000 tonnes de bombes. Malgré un minutage précis, il y eut quelques bavures mais, selon le Général allemand Bayerlein, la " Panzer-Lehr " était anéantie.

Après 24 heures de tentatives infructueuses de colmatage par les troupes allemandes à l'est et à l'ouest, le VIIe corps américain se rue dans la brèche avec comme mot d'ordre : " Occupez-vous de vos objectifs et fichez-moi la paix avec vos flancs ." Il fonce vers le sud, dans une région sans fortes positions allemandes, ainsi que les guides de la mission Helmsman l'avaient décrit. L'objectif est Avranches qui sera atteint le 31 juillet.

A Vernix le 31juillet

Le 29 juillet, des aviateurs alliés ont été abattus au-dessus de Notre-Damc-de-Livoye. Ils furent secourus probablement par Trochon, mari de l'institutrice de Saint-Nicolas-des-Bois, et conduits vers Braffais et Le Parc (Sainte-Picnce).

Arrivé en éclaireur au Luot le 31 juillet, Berjon trouve la ferme de M. et Mme Pichon occupée par un État-Major allemand en pleine débâcle. Les pilotes furent alors conduits chez Vital Allain, à Montviron, d'où ils rejoignirent l'armée américaine.

A Vernix, comme nous l'avons signalé, Auguste Briant cachait un pilote américain, le capitaine Lennox, depuis le 10 juin. Le 31 juillet. celui-ci voulut aller à la rencontre des avants-gardes américains. Auguste Briant estimait que c'était prématuré ; pourtant, vers sept heures du soir, ils quittaient la ferme en direction de Sainte-Eugienne. A peine le contact avec ses compatriotes était-il établi que des blindés allemands cachés dans les bois des Hauts-Monts intervinrent. La réplique américaine fut rapide et décisive.

Le soir, le pilote revint à la ferme de l'Herpichot, puis décida de repartir pour servir de guide à ses camarades. Il y avait encore beaucoup d'Allemands dans les environs. A 100 mètres de la ferme, le capitaine Lennox fut attaqué par trois soldats ennemis : il en tua un, en blessa un autre, mais reçut une vingtaine de coups de poignard. Perdant son sang en abondance. il eut la force de revenir à l'Herpichot où il perdit connaissance. Briant barra sa porte et prit un revolver en cas de visite des Allemands ; il soigna le blessé de son mieux et, au petit jour, il rejoignit les Américains, leur montrant la plaque matricule du blessé. Un tank vint à la ferme reconnaître l'officier aviateur qui fut immédiatement dirigé sur un hôpital. tandis qu'Auguste Briant était porté en triomphe. Le bourgeron troué. le poignard, les dessins faits par le blessé pendant son séjour, tout a été conservé par la famille Briant.

A moins d'un kilomètre de là, des tankistes américains virent arriver un autre civil. Il s'agissait de Walter Costello. Le 1er août, après avoir fait un prisonnier qu'il laissa en garde à la ferme du Domaine, il se porta au devant de ses compatriotes. il prouva, non sans peine, qu'il était, lui aussi, un officier américain : sa plaque matricule était sous le talon de son soulier !

Son prisonnier n'était qu'un " ersatz " d'Allemand, dit le rapport du G.2 ; car c'était un Polonais qui avait fait 27 mois dans un camp de concentration, avant d'être " libéré " pour combattre pour la Grande Allemagne.

La Résistance dans la Libération (29 juillet - 2 août)

Le 28 juillet, les Américains sont encore à 50 km d'Avranches. Le 29, deux colonnes blindées progressent vers la Sienne. En début d'après-midi. Étienvre et deux de ses camarades partent, pour prendre contact avec l'armée américaine qui n'est qu'à quelques kilomètres. Ils rencontrent des Allemands fortement armés. Jean-Baptiste Étienvre est mortellement blessé à Contrières, une heure avant l'arrivée des Alliés. Les deux témoins, Jules Bachelot et Georges Vautier, ayant été blessés, les circonstances de la mort de " Jérôme " demeurent mal élucidées.

Ce même 29 juillet, Jumel a pris contact avec les Américains au nord de Lengronne. Michel Huaux leur remet un schéma du Bois de Buron où des Allemands se sont réfugiés. Des chars américains, conduits par un gendarme de Bréhal, cernent le bois : douze ennemis sont pris et 17 tués, selon le chef du détachement.

Les Allemands tiennent encore solidement Percy, Villedieu et le secteur d'Avranches. A Perey, le 30 juillet. Guihaire fournit aux Américains l'emplacement des points de résistance de l'ennemi et participe aux combats le 30 et le 31.

Fernand Lechevallier, un Saint-Lois du réseau F.2 qui, depuis 4 ans, a effectué lui-même plusieurs sabotages, signale aux Américains l'important dépôt de munitions de Montabot. Le 31 juillet, Viraveau, Collet, Villain, partent de Villedieu, traversent les lignes pour signaler une forte concentration de S.S. cachés à Saultchevreuil. ils permettent ainsi aux troupes américaines de s'emparer d'un important matériel et de faire plus de 300 prisonniers (Attestation établie par Robert Stores).

Les Allemands ont des batteries à Beslon et Chérencé-le-Héron. Roger Lelaisant, rescapé de la prison de Saint-Lô, blessé, évadé d'Alençon, passe la ligne de bataille à La Bloutière pour en donner l'emplacement exact.

Quand André Debon arriva à Villedieu le L' août, rentrant à Brécey avec les " Civil Affairs ", il fut contraint de passer par Saultchevreuil et La Chaise-Baudouin : les troupes allemandes tenaient toujours en direction de Sainte-Cécile et au Gué-Riant.

Entre la Patte d'Oie et les étangs, neuf personnes de Villedieu étaient réfugiées à la ferme Hangar, à la Molière dont Milet employé de la pharmacie Barbé. Il traversa la Sienne pour fournir aux Américains l'emplacement exact des batteries allemandes entre la Patte d'Oie et le bourg de Sainte-Cécile (Témoignage Auguste Lecarpentier).

Lorsque fin juillet, Louis Hardy. de Brécey et " Marius ", de Reffuveille. prirent contact avec les troupes américaines à La Chapelle-Cécelin (c'était leur troisième tentative dans le cadre de la mission Helmsman), ils guidèrent les patrouilles en direction de Coulouvray mais les chars qu'ils accompagnaient se trouvèrent pris entre deux feux.

Dans la nuit du 2 au 3 août, Marcel Blin passe à Bas-Bois signaler le repli des Allemands dans ce secteur et, avec Dominique Bréhier, il repère l'emplacement de chars camouflés. Dans ce secteur, les Allemands avaient reçu en renfort des éléments de la 17e S.S. Gœtz Von Berlichingen qui avaient réussi à s'échapper de la poche de Roncey. Cette consolidation est en rapport avec ce qui deviendra, quelques jours plus tard, la Bataille de Mortain.

" Le 3 août, Victor Letellier et Victor Clérambault, sous les ordres d'un ancien combattant de 14-18, sauvèrent un aviateur allié tombé en parachute sur le territoire de Saint-Laurent-de-Cuves, les jambes brisées.

L'avion s'écrasa en flammes dans un champ du Haut Saint-Laurent. " (Renseignement Chanoine Louis Bouteiller).

Le lundi 31, une colonne américaine entre dans Brécey et poursuit sa progression 5 km au-delà, dans les bois de Reffuveille-Celland.

Cependant, fin juillet, l'armée allemande espérait encore couper la route menant à Avranches. Des blindés étaient implantés au nord de Tirepied - on l'a vu à propos du Capitaine Lennox.

Les tankistes alliés qui, de Villedieu, descendaient vers le sud, contournèrent ces forces pour s'emparer du pont de Tirepied, sur la Sée.

C'est alors que les F.T.P.F. Hamel, Lourdais. Fleury, Lebœuf. partant de Bas-Cru, nettoient les fermes environnantes, faisant 7 prisonniers, puis 16, dont un colonel. Ils founissent également des renseignements à l'État-Major allié installé à la Rametière à Plomb.

A Sainte-Pience-Le Parc, Émile Cuny et son fils, rescapés de la prison de Saint-Lô, regroupent des résistants qui capturent 30 Allemands, le 1er août.

Dès le 30 juillet, Von Kluge, s'adressant au Général Warlimont, Chef d'État-Major de la Wehrmacht dit : " L'activité aérienne ennemie est terrible et paralyse nos mouvements. Nos pertes en hommes et en matériel sont extraordinaires. Le moral baisse, du fait de l'efficacité du jeu adverse. Les " terroristes " se montrent de plus en plus audacieux ce qui. avec la perte de nombreux postes de radio, rend de plus en plus difficile l'exercice du commandement. Il faut d'urgence des troupes fraîches. "

Parmi ses soucis, le Commandant allemand du front de l'ouest considère la résistance locale comme un élément important du point de vue militaire.

Pendant que la IVe Division blindée U.S. du Colonel Wood fonçait sur Avranches. la 6e D.B. américaine avait été chargée d'avancer sur Bréhal, puis Granville, qu'elle prit sans difficulté le 30 juillet.

Ensuite. elle reçut l'ordre d'avancer sur Sartilly, puis Avranches. Ainsi se forma une poche entre la mer et la route d'Avranches à Granville. Des groupes de résistants se reformèrent, d'autres surgirent, à Saint-Pair, Carolles, Bouillon, Genêts, Marcey, qui se chargèrent de poursuivre l'ennemi et d'en capturer le plus possible. Certains Allemands crurent trouver leur salut en traversant les grèves ; mais plusieurs chenillettes s'enlisèrent entre Genêts et la pointe du Gouin du sud.

D'autres essayèrent de traverser à partir de la rue Chevrel, à Vains : chevaux, caissons et canons s'enlisèrent. Le 31 juillet, André Le Barbanchon, professeur de dessin au collège Littré, réussit à convaincre une centaine d'hommes d'abandonner la lutte, tandis qu'ailleurs, de rares Français venaient en aide aux Allemands en retraite.

Dès le 30 juillet. les Alliés étaient parvenus à la périphérie d'Avranches. Au Pont-Gilbert, un convoi allemand, venant de la route de la côte, arborait des Croix Rouges. Mais, aussitôt passés, ces véhicules firent feu : ils transportaient du matériel militaire et non oies blessés.

Un convoi américain contourna Avranches par la route de Quarante-Sous ; une douzaine de blindés filèrent jusqu'à Saint-Laurent-de-Terregatte pour protéger le barrage de Vezins ; les autres, par la Croix-Verte, remontèrent en ville, jusqu'au carrefour des Mares.

Le lundi 31 juillet. tôt le matin, " M. Brière, entrepreneur, demanda à son ouvrier menuisier, M. Auguste Macé, de l'accompagner jusqu'à l'église Notre-Dame-des-Champs. Aidé de son compagnon, François Brière réussit à grimper sur la tour nord-ouest... " " M. Brière dressa le drapeau qu'il avait emporté, essuya une grêle de balles venant de la route de Pontaubault... " les trois couleurs se déployèrent : " on les vit à cinq lieues à la ronde, jusque sur les remparts du Mont-Saint-Michel. "

Des soldats allemands étaient encore en ville : d'autres, venant du sud, se dirigeaient vers Avranches. Ce 31 juillet, une véritable bataille s'engageait au Mont-Jarry : " Il fout que vous repreniez Avranches à tout prix ", avait décidé Von Kluge.

Le Colonel allemand Bacherer regroupa les troupes disponibles et reçut des renforts.

Ces troupes partirent de Précey au sud de Pontaubault et non de Brécey, comme on l'a vu écrit.

Bacherer échoua dans son projet de faire sauter le pont de Pontaubault, puis se dirigea sur Avranches par la route des " M ". Les Américains étaient moins nombreux : de furieux combats au corps à corps s'engagèrent. Soudain, le ciel s'étant dégagé, l'aviation alliée put intervenir efficacement et les Allemands furent refoulés en fin de matinée.

Jacques Mansuy et d'autres F.F.I. d'Avranches firent une vingtaine de " prisonniers ", dont un colonel, un lieutenant et plusieurs sous-officiers de marine " (dossiers C.V.R.). En effet, toutes les troupes disponibles à Saint-Malo avaient été envoyées en renfort pour reprendre Avranches.

Le pont de Pontaubault, atteint par la 4e D.B. américaine le 31, était indemne. Les détachements envoyés par le Colonel allemand Bacherer n'ayant pu le détruire, la Luftwaffe l'attaqua sans répit jusqu'au 7 août, sans plus de succès.

Dans la matinée du 1er août, les deux ponts d'Avranches (Pont-Gilbert et Ponts-sous-Avranches) et celui de Tirepied sur la Sée sont utilisables, ainsi que ceux de Pontaubault et Ducey, sur la Sélune.

La pénétration alliée en Bretagne commença par Pontaubault. Mais tous les Allemands n'étaient pas disposés à céder. Le 29 juillet, Fleury, à Juilley, avait réussi à en convaincre trois de se laisser désarmer ; mais le 31, Victor Patin et Jean-Paul Genin, après en avoir désarmé deux à Boucey, près de Pontorson, furent pris et fusillés. Et le 1er août. à Brée (entre Pontaubault et Pontorson), huit chars américains furent détruits par des pièces d'artillerie installées dans une " charrière " de ferme.

Le lundi 31, la douzaine d'éléments blindés U.S. ayant contourné Avranches arrivèrent à proximité du barrage de Vezins. Deux jeunes gens de la mission Helmsman : Jean Vauzelle et Willy Rockers avaient convaincu l'État-Major du danger que représenterait la destruction du barrage.

Lucien Brard, qui était F.F.I. à Saint-Laurent-de-Terregatte écrit : " Enfin est venu le fameux après-midi du 31 juillet où nous avons entendu des détonations assez lointaines mais qui se rapprochaient de plus en plus : coups de fusils, rafales de fusils-mitrailleurs et de mitrailleuses. Gaston Lebigot est venu nous prévenir que les Allemands s'en allaient en débandade. Devant cet état de choses, le groupe s'est divisé en trois parties. Souchard, Thébault, Guénée et moi-même avons pris position au-dessus du pont de Dorière : nous avons tiré plusieurs chargeurs de Sten et lancé des grenades sur des véhicules allemands qui, effectivement, se repliaient. Nous n'avons pas pu rester longtemps car nous avons été repérés et cela devenait intenable. Dans la nuit, Souchard et quelques autres ont continué : ils ont tué un Allemand et blessé un autre. Dans une ferme, toujours au-dessus du pont, vers Saint-Laurent, nous cavons fait, à nous tous, une bonne trentaine de prisonniers et saisi plusieurs véhicules que nous avons remis à l'armée américaine qui avait pris position à l'endroit où nous nous étions bat-tus la veille. "

De son côté, Albert Boudet, fleuriste à Ducey, nous a raconté :

" A partir de juillet 1943, j'ai fait partie des F.T.P.F. de Redon, sous la direction de Louis Petri ; ma " planque " personnelle était dans la commune de Langon. Ensuite, j'ai été arrêté et interné à la prison de Redon d'où je me suis évadé. Après être passé par Vitré, je suis rentré à Ducey le 23 juillet 1944 et j'ai pris contact avec Manain. Tout de suite après, j'ai eu une émotion en rencontrant trois fcldgendarmes en patrouille mais je n'étais pas concerné. J'ai appris plus tard qu'ils recherchaient l'aviateur Walter Costello, tombé vers Marcilly, quelques jours avant.

Le 31 juillet, j'ai pris en charge, personnellement, le déminage de deux ponts sur la Sélune à Ducey. Sur le Pont Neuf, il s'agissait de mines anti-chars ; tandis que le Vieux Pont était miné par des blocs de dynamite. J'ai opéré ce déminage avec le concours de M. Jardin, directeur de la distillerie.

" Le lendemain 1er août, c'était l'arrivée des premiers américains qui, me voyant avec ma mitraillette, m'arrêtèrent un moment, mais l'affaire fut vite éclaircie et je repris mon activité.

" Le 2 août, je suis allé avec Manain, Gautier, maire de Saint-Laurent-de-Terregatte, et Hay, pour participer à la protection du barrage de Vezins. En effet, sa destruction projetée par les Allemands aurait eu de graves conséquences. Au retour, au lieu-dit Le Rocher Jaloux, à quelques kilomètres de Ducey, un paysan nous signala que des Allemands cantonnés dans un de ses champs, cherchaient à se rendre. Mais, lorsque nous nous sommes approchés d'eux en leur demandant de lever les mains, ils nous ont accueillis par des coups de feu. ils étaient à peu près une centaine, tous armés et visiblement pas décidés du tout à se rendre. Après une heure de combat, notre petit groupe se trouvait presque encerclé. Pierre Verdier fut tué et. moi-même, je fus légèrement blessé. L'arrivée des Américains mit fin au combat et les soldats allemands furent finalement désarmés, laissant 14 cadavres sur le terrain.

Le lendemain, un officier allemand, qui avait massacré un groupe de soldats ayant rendu leurs armes, fut, à son tour, abattu par les Américains. "

François Leroux, du groupe F.T.P.F. de Saint-James, a participé à une embuscade :

" Le 31 juillet 1944 au soir, nous sommes partis pour dresser une embuscade en direction de Saint-Hilaire, parce que le passage de nombreux camions était signalé. Les armes étaient entreposées à la ferme Lapone, qui se trouvait à l'intérieur, à un bon kilomètre. De là, les sept membres du groupe se sont rendus au lieu-dit " La Rencontre " (entre Saint-James et Saint-Hilaire), chacun armé d'une mitraillette Sten. Nous nous sommes disposés le long d'un talus d'où nous pouvions contrôler la route, celle-ci étant en légère montée. Finalement, un convoi de trois ou quatre camions s'est présenté vers 2 h du matin. Quand ils sont arrivés à notre hauteur, nous avons ouvert le feu à courte distance, 4 à 5 mètres tout au plus, bloquant le premier camion puis les autres. Mais les Allemands ont riposté. Nous avons décroché et nous nous sommes repliés vers Saint-James.

Quand, vers 5 h du matin, nous sommes arrivés à l'entrée de la ville, route de Fougères, au " Reclus ", Jourdan et moi avons eu la surprise de retrouver des camions allemands stationnés là, probablement pour soigner leurs blessés. Deux des soldats avaient été tués. "

Le 1er août, les Américains traversèrent Saint-James et continuèrent sur Fougères. La résistance fut chargée de capturer les Allemands isolés : 27 furent pris et 6 tués. Une automitrailleuse fut mise en fuite par un groupe F.F.I. Au cours de la nuit, un char " Tigre " allemand vint prendre position dans le bourg, près de la maison du Dr Mothay où se trouvaient les prisonniers. Ils y furent gardés 36 heures. Les jours suivants, Desfontaines, Albert Mothay, Leroux, Quillien, Célestin Leblond, Jourdan. Boyer et une dizaine d'autres F.F.I. récupérèrent de nouveaux prisonniers, en liaison avec les groupes de Saint-Georges-de-Reintembault et Mellé, en Ille-et-Vilaine.

Les F.F.I. de Saint-Laurent-de-Terregatte sont restés quelques jours avec l'armée américaine, pouvant communiquer grâce aux contacts entre Valdaura et un lieutenant américain Pablo, tous deux d'origine espagnole. " Nous avons effectué beaucoup de patrouilles, de jour et surtout de nuit, jusqu'au 11 août, et tout en avançant, ce qui nous mena jusqu'aux environs de Rennes. "

La 2e D.B. du Général Leclerc, après avoir débarqué à Saint-Martin-de-Varreville, défila à Avranches le 6 août et, par la route de Saint-Quentin, alla prendre son cantonnement à Saint-James, Saint-Senier-de-Beuvron et Montjoie-Saint-Martin. De nombreux jeunes des environs - F.F.I. ou non - s'engagèrent dans la 2e D.B.

A Marcilly

Chez M. et Mme Fouillard, à La Crècherie, il y avait, en juillet 1944, des réfractaires, des réfugiés, trois Russes et un Américain, tous armés. Les responsables de la Résistance y passaient fréquemment. Grâce à M. James, de Ducey. le courant électrique y avait été rétabli et on pouvait y écouter les informations : les Russes écoutaient un poste qui émettait dans leur langue, à partir de la Yougoslavie de Tito.

Walter Costello fut amené dans cette ferme le 21 juillet mais, la veille. des Feldgendarmes à sa recherche avaient perquisitionné. comme dans toutes les fermes des environs. A partir de ce jour-là, les trois Russes décidèrent de ne plus coucher à la maison. De plus, ils se préparèrent des abris. Dans un champ voisin, ils creusèrent des trous au pied d'un talus ; la terre qu'ils retiraient fut portée à l'aide de seaux et étalée dans un champ récemment labouré. Chacun de leurs trous individuels débouchait dans le champ voisin, de l'autre côté du talus.

A la moindre alerte, ils pouvaient disparaître, tout en restant prêts au combat. C'est ce qui arriva le 31 juillet.

Madame Fouillard, actuellement à Avranches, et sa fille Alice (M- Pigeon) racontent :

Ce devait être le 31 juillet 1944. En tout cas, c'était après la percée de Marigny et dans les tout derniers jours de l'occupation de notre commune de

Marcilly. Les soldats allemands cherchaient partout des moyens de transport pour fuir devant les Américains.

Ce jour-là, en fin de matinée, des Allemands sont arrivés à la ferme et ont demandé à voir les chevaux. Ils étaient tous les trois à l'écurie. Mon mari, Martial, refuse de les livrer sans un bon de réquisition signé par le maire, en bonne et due forme. Finalement les Allemands quittèrent la ferme.

En tout début d'après-midi, ils revinrent à trois, résolus à prendre les chevaux de gré ou de force. C'étaient trois S.S.

Une vive discussion s'engagea. Devant le refus réitéré de mon mari, ils le mirent en joue et tirèrent même un coup de revolver au ras de sa joue. Mais nous avions à la maison trois soldats Russes évadés. II y avait un grand blond, Ivan, et un lieutenant qui venaient de Saint-Hilaire, auxquels s'ajouta un troisième que Michel Tauzin avait accompagné depuis la ferme Bagot jusque chez nous après l'arrivée d' " Éric ". Ils avaient été avertis du danger et se tenaient prêts à intervenir, ce qu'ils ont fait au coup de revolver.

Les Allemands, déjà occupés à atteler un cheval, ont vu sortir Ivan avec la mitraillette Sten et ils ont voulu fuir. Mais deux sont tombés morts, pas loin du cheval. Le troisième a été poursuivi. Blessé, il s'est jeté dans le bief et s'y est englouti.

Ensuite, avec l'aide de ma fille Alice, nous avons dû cacher les cadavres, d'abord dans l'écurie puis dans un jardin, sous un plant de choux à lapins. Et puis il a fallu nettoyer dans la cour des traces et du sang.

Les Russes ne sont pas restés dans les parages. Ils sont partis de la ferme. Il y a eu alors un autre événement. Ils ont été surpris par les Allemands alors qu'ils étaient cachés dans un champ de sarrasin. Je ne sais pas trop comment cela s'est passé, nous avons juste entendu une fusillade. Mais ce que je sais, c'est qu'avec sa mitraillette, Ivan a tué 6 Allemands. Ils sont revenus à la maison avec un septième Allemand, déserteur, qui avait été fait prisonnier. 11 les avait aidés à achever les blessés. Cet Allemand-là est resté chez nous longtemps après le départ des Russes. Après il est allé chez Aubray à Saint-Quentin. Il ne parlait pas très bien le français. Il se présentait comme un déserteur et ne voulait pas rentrer en Allemagne. Il pensait à s'engager dans la Légion pour faire la guerre d'Indochine. "

Le 1er août, Martial Fouillard et les trois Russes capturèrent 20 prisonniers allemands qu'ils remirent aux Américains.

Une excellente initiative à Virey

Aujourd'hui domicilié à Saint-Loup, Jen-Marie Leesque habitait à Virey pendant la guerre, à la ferme dite Le Pont. A son retour de captivité, il fut en contact avec J. B. Étienvre,natif comme lui ade Chalendreyv, le Dr Cuche et Louis Blouet, de Saint-Hilaire.

Le 2 août. J.-M. Levesque constate que des Allemands ont installé un canon dans un chemin creux d'où ils tiennent sous leur tir la route de Ducey à Saint-Hilaire ; des mitrailleuses sont mises en batterie en appui. Exactement le même dispositif que la veille à Brée, sur la route de Pontorson.

J.-M. Levesque fait un croquis des lieux et en donne un exemplaire à un réfractaire qu'il héberge, le chargeant de prendre contact avec les Américains. vers Vezins en suivant la Sélune. De son côté, il va vers Chalendrey. Tous deux firent la jonction avec l'année américaine qui arriva par le Pont-d'Oir, en direction du pont de la Paveille, à Saint-Hilaire. Le système de défense prévu par les Allemands fut donc inefficace. Le lendemain, J.-M. Levesque reçut des remerciements pour son croquis mais sa satisfaction personnelle est d'avoir évité h mort de nombreux combattants.

A l'est de Saint-Hilaire

Le 31 juillet, vers 11 heures du soir, les F.T.P.F. de Sérouanne, installé> maintenant près de Saint-Symphorien-des-Monts, remarquent la présence d'ur convoi allemand prêt à quitter une ferme voisine. Alain Laffaiteur et Charles Ruault se mettent en faction dans un chemin creux, pendant que Tauzin et les autres disposent cinq crève-pneus entourés de plastic... Il s'ensuivit un feu d'artifice, des cris et un embouteillage de plus de deux heures.

Le lendemain, une patrouille, partie de Saint-Symphorien, tend une embuscade au Pont-Juhel, route de Laval, aux confins de la Mayenne et de la Manche.

Le 2 août, Louis Blouet, à peine remis de sa blessure, vient de Romagny à Saint-Hilaire, prévenir de l'emplacement des blindés à Romagny et Mortain Le même jour, Louis Pinson ayant rejoint les F.T.P.F. de Saint-Symphorier après son évasion, prend contact, ainsi que Charles Ruault, avec l'État-Major d'une Division américaine au-delà des Loges-Marchis, en direction de Fougères.

Dans la nuit du 2 au 3, au Fougeray, un combat oppose Américains et F.F.I. d'une part, à une cinquantaine d'Allemands d'autre part. Ceux-ci tentent de rejoindre leurs lignes. Bilan : 7 prisonniers. Le 3 août, la récupération de prisonniers se poursuit en direction de Notre-Dame-du-Touchet.

Le soir, " Éric " et André Debon arrivent à Saint-Hilaire. Le vendredi 4 Debon, Ruault, Besnier et Pinson vont à Mortain : les avant-postes qu'ils rencontrent ignorent si Mortain est pris ou non. C'est le " no man's land ". Les Allemands ont évacué la ville : les Américains, qui l'ont occupée la veille, se sont repliés : les rues sont quasi désertes. Dans la voiture, arborant en hautes majuscules le mot " Underground " tracé à la craie, ils ramènent le Dr Cuche, futur maire de Saint-Hilaire.

Pendant la journée, alors que le Général Hausser prépare la contre-attaque allemande, J.-B. Hayes (" Éric ") et le C.I.C. organisent la coopération entre l'armée américaine et la Résistance.

D'autres attaques de harcèlement se sont produites dans les premiers jour> d'août, à Juvigny, Mortain, Barenton, etc. Nous les évoquerons dans le dernier chapitre : " Le rôle de la Résistance dans la bataille de Mortain ".

Rôle des équipes Gavin et Guy en Ille-et-Vilaine

Le 25 juillet " Georgette ", agent de liaison, remet à Julien Derenne, une lettre de Louis Petri :

"... J'ai reçu de Londres deux groupes de parachutistes anglais et français qui viennent en mission en Ille-et-Vilaine. Ils sont envoyés directement par le Général Kœnig. En ce moment, j'établis les relais pour les faire parvenir soi. les lieux de mission car ils ne voyagent que de nuit. Débrouille-toi avec ton cousin pour les héberger entre Ambrières et Goron. Ensuite ils fileront sur Fougerolles... "

En raison des arrestations à Fougerolles le 28 juillet, l'itinéraire est modifié. Les deux équipes Jedburgh comprenant chacune un Français, un Anglais, un Américain, installent leur Q.G. chez le curé de Saint-Christophe-de-Valins le 1er août. Le Commandant Jean-Claude, par l'intemtédiaire de Louis Petri établit le contact avec les chefs de la Résistance, tandis que le capitaine Dhomas assure la liaison avec le Q.G. de la 6e Division blindée américaine. Il est décidé que les groupes de résistance assureront la protection des routes pendant l'avance de la Division blindée.

Cette tâche fut effectuée par les Résistants de Louvigné-du-Désert, Montours. Antrain, Bazouges-la-Pérouse, Bonnemains, Combourg, Saint-Pierre-de-Plesguen, Saint-Domineuc et Tinténiac. Ils firent 1.400 prisonniers et détruisirent plus de 100 véhicules.

2 - Les représailles fin juillet 1944

La nervosité croissante des nazis

Depuis la mi-juin, Feldkommandantur, Gestapo, Tribunal Militaire allemand sont installés au cœur du Mortainais. Pendant tout le mois de juillet, la répression se fait durement sentir.

A Hocquigny, le 30 juin, près de La Haye-Pesnel, André et René Lemains sont arrêtés, soupçonnés de détenir un poste émetteur.

A Sourdeval, le 9 juillet, arrestation de Marcel Gombert, Emmanuel Fortin, Pierre Cherruau, Pierre Champagnac et du Docteur Putot. La même matinée, le boulanger Delaunay est tué... par erreur : on cherchait un autre Delaunay !

A Mortain, Blaize et Perez sont arrêtés ainsi que le capitaine Le Diraison et son fils, l'hôtelier Juhué et l'imprimeur Gournay. A Vergoncey, sont arrêtés : Arnaud et François de Roquefeuil, pour leur esprit antiallemand.

A Saint-Hilaire, c'est une véritable rafle : Amchin, Directeur du Cours complémentaire, Jaffréchic, secrétaire de mairie, Le Dilichen, chef de gare, Lemoussu, Fouqué, Alexis Cheval, Mme Guérendel et Jeanne, instituteur à Parigny, etc.

Tous ces otages furent enfermés dans les caves du château de Saint-Jeandu-Corail ; la plupart furent relâchés ; mais Gombert, les deux de Roquefeuil et Albert Perez furent destinés aux camps de concentration.

L'avance rapide des Alliés amena heureusement leur libération. Parmi les personnes arrêtées ce 9 juillet, plusieurs n'avaient aucune activité résistante. Quel était le but recherché ? Effrayer la population, obtenir des renseignements sur les noyaux de résistance ?

M. Roland Bataille décrit ainsi l'une de ces manœuvres d'intimidation :

" Au village de la Renouillère (Parigny), où se trouvaient plusieurs réfugiés de Saint-Hilaire, le 20 juillet vers 16 h 30, un side-car arriva suivi d'un camion bourré d'une trentaine de soldats qui firent irruption dans le plant de pommiers cernant la ferme et les bâtiments d'exploitation. ils fouillèrent partout, grenier compris, secouant la paille et le foin. Pendant ce temps, un feldwebel et trois de ces hommes firent aligner tout le monde (levant le mur bordant la route nationale, puis firent mettre les jeunes d'un côté, les vieux de l'autre. Celui qu'ils cherchaient, Gaston Esnault, dont ils avaient le signalement précis, venait de partir. quelques instants avant leur arrivée. Toute la bande armée est repartie bredouille de la ferme Cotin qui, seule, fut fouillée sur les indications de traîtres. "

Effectivement, les dénonciations étaient souvent à l'origine de ces perquisitions. Dans un document d'archives en date du 26 mai 1944, " un homme de confiance français signale aux autorités allemandes qu'il existe un groupe de résistance à Sourdeval et Saint-Hilaire-du-Harcouët. Il faudrait procéder à des perquisitions et à des arrestations. notamment celle du gendarme Lorant, de la brigade de Juvigny-le-Tertre, susceptible de diriger un groupe de maquis ".

Deux fiches annexées donnent les listes des membres supposés de la Résistance dans ces deux communes.

Ainsi que nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent :

- le 17 juillet, le Commandant Godard, surpris à son domicile, est abattu sur place ;

- le 22 juillet, Maurice Marland est assassiné en bordure de forêt de La Lucerne ;

- le 26 juillet, à Mortain dans la carrière de Balandon, le chiffonnier François Bideau est abattu par trois tueurs du P.P.F. (Moreau, Perennes. Michaut), simplement pour avoir eu, quelques jours avant, une altercation avec le " Sous-Préfet " Panzani, qui l'accusait (à tort) d'avoir saboté la voie ferrée ;

- le 29 juillet, à Saint-Planchers, Louis Lebailleux fait l'objet d'une perquisition : on cherchait un poste émetteur et on trouve un fusil. Dans la nuit, sa femme, son fils et sa fille sont également arrêtés et le 30, tous les quatre sont fusillés à Saint-Pierre-Langers

- le 30 également, Adolphe Coupeaux et Jean Dclahaye sont fusillés à Bréhat. Un jeune homme de Carmetours : Gaston Depatin est abattu aux " Portes ". entre Bacilly et La Butte-ès-Gros, en Lolif :

- le 31, à Boucey, Patin et Jean-Paul Génin qui ont désarmé deux Allemands, sont exécutés sur-le-champ. Il en est de même de Quémerais, maire-délégué de Champeaux. coupable d'avoir laissé hisser le drapeau français sur un édifice public.

La nervosité des Allemands allait croissant avec l'avance des troupes américaines, comme le montre ce témoignage d'A. Roquet :

" L'abbé Sauvé descendait tranquillement le bourg de La Mancellière, sur sa bicyclette, lorsqu'un soldat allemand, occupant la localité, lui intima l'ordre d'arrêter. A quoi l'abbé répondit d'un geste vague de la main. Mais dans l'instant, l'Allemand avait dégainé dans son clos et tiré, perforant seulement à la hauteur de la tête la pancarte des Ponts-et-Chaussées, face au monument aux morts. Stupeur du cycliste, émoi au bourg : une troupe d'excités en uniforme, vite regroupés hors des cafés, entoure et interroge le fuyard qui jure, bien sûr, de sa bonne foi autant que de son identité. D'ailleurs, il connaît bien ses " assaillants " qui logent dans les écoles, au château, chez l'habitant, depuis des semaines. Il est enfant du pays, enfin.

- " Prouvez-le l

" C'est facile ; le presbytère est à deux pas, et le curé connaît parfaitement la futaille Sauvé. La patrouille l'y emmène. Hélas, le titulaire est absent. Le prisonnier, toujours gardé à vue, les hommes jugent suspecte l'absence du prêtre et passent la maison au peigne fin. Ils perquisitionnent de fond en comble.

" Quand rentre l'abbé Pigeon, il ne peut justifier de rien, ni de son ami, ni de ses papiers. On emmène Eugène Sauvé à la Feldgendarmerie, repliée à Saint-Jean-du-Corail ; on emporte, pour examen, une serviette bourrée de titres et de papiers.

" Le lundi matin, l'abbé Pigeon m'en informe, et nous convenons, pour faire élargir notre jeune concitoyen, de rallier Saint-Jean-du-Corail dès l'après-midi. M. le Curé comme témoin ; l'instituteur, secrétaire de mairie, parce que c'est dans la nature de sa fonction ; et puis il baragouine un allemand jadis étudié au collège.

" Là-bas, nous exposons - vite et bien - nos griefs à un officier qui, sans évoquer le " cas " Sauvé, nous avertit textuellement, en un Français parfait : " La Mancellière, commune dure et difficile ; population dangereuse. " Avec ce commentaire : " Vous avez grand intérêt à cesser toute intervention. De plus, il vous reste cinq minutes, si vous voulez récupérer vos vélos. Autrement, vous partirez à pied. Et n'y revenez pas. "

" Je ne crois pas, pour autant, que notre démarche ait échoué. Car le jeune abbé fut relâché, cependant que son aîné reprenait ses biens. Le tout, heureusement, avant un nouveau repli ale la Feldgendarmerie en déroute devant l'avance alliée. "

(Article paru dans " La Gazette de la Manche " ).

Les fusillés de Saint-Jean-du-Corail (31 juillet)

L'exécution de nos cinq camarades, le 31 juillet. dans une carrière située

près du château de Bourberouge, fut précédée de deux séries d'arrestations :

- huit à Saint-Laurent-de-Cuves et Champ-du-Boult, le 27 juillet ;

- quatorze à Fougerolles-du-Plessis, le lendemain.

" Tous ces résistants avaient été internés au château de St-Jean-du-Corail. La propriétaire. Mme de La Boissière, avait été placée en résidence surveillée a Laval, mais elle a pu être libérée et revenir à son château qui était devenu, après le débarquement, le siège du S.D. et de la Feldgendarmerie repliés de Saint-Lô. Malgré bien des difficultés, Mme de La Boissière. qui compatissait au malheur des prisonniers entassés dans ses caves, réussit à leur faire passer quelques colis de vivres par l'intermédiaire de ses employés, M. et Mme Capitaine ".

1) Les arrestations du Mortainais :

Joseph Hilliou, de Champ-du-Boult, appartenait au maquis Guillaume-le-Conquérant ", dépendant des F.T.P.F. du Calvados dont un détachement opérait en liaison avec celui de Saint-Michel-de-Montjoie. Des jeunes gens étaient hébergés, soit chez Joseph Hilliou, soit chez son frère Alexandre, à Saint-Michel, soit chez son beau-frère Arsène Paris à Saint-Laurent-de-Cuves.

Robert Stieber et Noël Lutzen, tous deux de la Sarthe, arrivèrent chez Arsène Paris à la mi-juillet, amenant deux Russes, déserteurs de l'armée allemande. Arsène Paris les habille en civil ; mais la filière qui avait conduit les précédents à Sérouanne, puis à Marcilly, n'existe plus car André Dehon et Michel Tauzin sont partis pour traverser les lignes (mission Helmsman). Arsène Paris est contraint de garder ces deux Russes chez lui.

La semaine suivante, arrivent quatre autres jeunes gens également originaires de la Sarthe : Lucien Ozange, Maurice Parent, Jacques Cercleux et Alain Weyders. Quelques jours plus tard, le 24 juillet, n'ayant pu rencontrer Joseph Hilliou, ils décident de repartir à Fougerolles où des armes leur avaient été remises. Le 26, ils sont interceptés au Teilleul par des gendarmes allemands qui trouvent dans leurs sacs des mitraillettes démontées et l'adresse d'Arsène Paris. Emprisonnés à Saint-Jean-du-Corail, menacés d'être fusillés, ils avouent ; il semble que, seul, Cercleux resta muet sous les tortures.

Le 27, onze Allemands cernent la maison d'Arsène Paris, dès cinq heures du matin. Ils perquisitionnent. Mme Paris, qui s'occupe de deux enfants réfugiés et malades, peut rester à la ferme du Haut-Saint-Laurent mais son mari, son fils Marcel, sa fille Renée, son futur gendre Palaric, sa nièce Hélène Ollivier et les deux Russes sont arrêtés.

A Champ-du-Boult, Joseph Hilliou subit le même sort. Tous les huit sont emprisonnés au château de Saint-Jean. Le 29. Arsène Paris et sa nièce furent relâchés en raison de leur état de santé. Marcel Paris, Roger Palaric et sa fiancée Renée furent déportés. Joseph Hilliou fut fusillé le 31. Quant aux Russes, on ne sait quel sort leur fut réservé.

2) Les arrestations de Fougerolles-du-Plessis :

Le 28 juillet, dès six heures du matin, des voitures chargées d'Allemands traversent Fougerolles et prennent position sur toutes les routes autour du bourg. L'encerclement aboutit à la découverte d'un dépôt d'armes provenant des parachutages de " Panama ".

Les Allemands exigent du maire, M. Le Bouc, qu'il rassemble tous les hommes de 18 à 55 ans. Son témoignage a été transcrit par notre camarade Jules Linais, dans " La Résistance Fougerollaise " :

- C'est impossible ; la commune est très étendue.

- Si, si, tous les hommes sur la place ; nous perquisitionnerons dans les maisons et ceux qui seront cachés seront jugés et condamnés séance tenante.

Un homme court, pour prévenir ses camarades ; un Allemand vise et Louis Morin, un réfractaire de Brécey, s'écroule, mort.

A dix heures, tous les hommes défilent un à un, carte d'identité en main, devant une auto occupée par des sous-officiers allemands et un jeune homme en civil, les mains liées, et que personne ne connaît. C'est un de ceux qui avaient été arrêtés au Teilleul, deux jours auparavant.

- Connaissez-vous un jeune homme d'une trentaine d'années, 1,70 m, cheveux noirs un peu frisés, pantalon bleu, blouson marron ?

- Non : c'est peut-être un réfugié.

- Connaissez-vous le chef de l'U.S. Fougerollaise ?

- Non !

- Je vais vous arrêter ; vous savez tout, et vous ne voulez rien dire.

- Comme vous voudrez ! "

" Me ressaisissant, je lui demande : " Est-ce le nom du Président que vous désirez connaître ? "

- Égal, me dit-il.

" Je donne le nom de M. Neveu, dont le signalement ne correspond pas à celui de Jules Linais qu'ils recherchent. Ils arrêtent quatorze personnes dont Yves L'Her, un réfugié, les Allemands ayant dû lui trouver une ressemblance avec Linais dont ils avaient le signalement précis. "

Le soir, ils mettent le feu à un bâtiment de la ferme de Genevée et à celle de Gérouard.

Conduits à Saint-Jean-du-Corail, 4 prisonniers seront libérés le mardi 1er août, six seront déportés en Allemagne : Lemonnier Yves, Landais fils, Boulé Clément, Pelé Léon, Lehosse Albert et Gourdet Paul.

Le 30 juillet au soir, parmi la cinquantaine de détenus, on vient chercher Julien Derenne, François Genevée, Victor Fréard, François Bostan, de Fougerolles et Joseph Hilliou de Champ-du-Boult, plus Jacques Cercleux de La Flèche. Pendant le trajet du château de La Boissière à Bourberouge, Cercleux est abattu alors qu'il tentait de s'évader. Les cinq autres, emprisonnés dans les caves du château de Bourberouge, seront fusillés dans une carrière, le 31 juillet, vers 15 h, par un bel après-midi ensoleillé, alors que la Libération était à nos portes.

Les Allemands feront sauter une partie de la carrière, pour recouvrir les corps qui ne furent retrouvés que fin août, après la bataille de Mortain.

On espérait encore ; après avoir cherché en vain à la prison d'Alençon, Jules Linais, Raymond Derenne et cinq Fougerollais entrèrent à Paris avec la Division Leclerc le 25 août ; ils visitèrent les prisons : la Santé, le Cherche-Midi, Fresnes, sans trouver le moindre indice de leur passage. Le 29 août, le lendemain de leur retour, ils apprirent la découverte de cinq cadavres en forêt de Bourberouge.

Chaque année, le dernier dimanche de juillet, une foule nombreuse honore la mémoire des fusillés de Saint-Jean-du-Corail, lors d'une émouvante cérémonie à la carrière et au Monument.

Les déportés de Saint-.Jean-du-Corail

Cent cinquante personnes ont été incarcérées dans le sous-sol du château du 15 juin au 31 juillet 1944. La propriétaire, Mme de la Boissière, a pu leur faire parvenir clandestinement quelques colis de vivres par l'intermédiaire de ses employés, M. et Mme Capitaine.

Mme Leblond, institutrice et son fils âgé de onze ans y séjournèrent six semaines après la tragédie de Beaucoudray, puis furent relâchés faute de preuve.

Jacques Bertrand, du réseau Sussex, et ses deux guides - Claude Lacour et Henri Forest - furent arrêtés à La Meauffe, au nord de Saint-Lô, alors qu'ils tentaient de rejoindre les Américains. Amenés à la Feldkommandantur de Milly, condamnés à la déportation, ils furent transférés à Alençon, puis à la caserne la Pépinière à Paris d'où ils s'évadèrent.

" Avec leurs fausses cartes d'identité et un ordre de mission à en-tête de la Croix-Rouge Française, rue de Berri, munis d'un brassard de secouriste, ils purent partir pour la Normandie... Quarante huit heures après, ils arrivent à Saint-Sever, dans le Calvados ; là, ils traversent les lignes de défense allemande et arrivent finalement à la préfecture repliée à Lengronne... "

(Témoignage du capitaine J. Bertrand, dans " Saint-Lô au Bûcher " p. 184).

Le Père Haupais, trappiste de Bricquebec, était à Portbail en juin 1944. Les Américains ayant coupé la presqu'île du Cotentin, il demanda aux Allemands de cesser leurs tirs d'artillerie qui n'atteignaient que les civils. Arrêté le 22 juin, à Saint-Lô-d'Ourville, qualifié de " moine-espion ", il fut condamné a cinq ans de réclusion, déporté, et mourut à Kassel le 7 mars 1945.

Mme Corrœnne, réfugiée de Cherbourg, R. Lemosquet, M. Eudes et ses deux enfants (19 et 16 ans) arrêtés le 6 juillet à Saint-Gilles, près de Saint-Lô, furent emprisonnés à Saint-Jean puis déportés.

Arrêtés le 9 juillet, Gombert, percepteur à Sourdeval, les deux frères De Roquefeuil, de Vergoncey, Albert Perez, de Mortain, furent dirigés sur des camps de concentration. ils étaient arrivés à Péronne (Somme), quand l'avance des Alliés permit leur libération le 10 septembre.

Six personnes arrêtées à Fougerolles et trois autres de la famille Paris furent déportées vers l'Allemagne.

Témoignages de Roger et Renée Palarie : (la Delotière, à Vire).

" Après trois jours d'interrogatoire, Arsène Paris fut relâché, ainsi que notre cousine Hélène 0llivier.

" Le 31 juillet, à cinq heures du matin, jour de l'exécution des cinq fusillés, nous étions transférés au camp de Damigny, près d'Alençon, en compagnie de prisonniers anglais et canadiens. Le 3 août, départ pour la caserne la Pépinière, à Paris. Marcel Paris y était déjà venu, arrêté en avril 1944 à Saint-Pois, comme réfractaire au S.T.O. Sur l'insistance du gendarme Gohel - et malgré l'attitude conciliante du gendarme Tanguy - il avait été remis aux feldgendarmes, emmené à Granville, Saint-Lô, Paris et il s'était évadé de la " Pépinière " en juin.

Le lundi 7 au soir, nouveau départ pour la gare de l'Est ; le lendemain matin, un bombardement aérien à Neuilly-Saint-Front (Aisne) permit à 71 des 145 passagers de s'évader. Nous n'en fûmes pas, parce que Renée Paris se trouvait à côté d'un camarade de Fougerolles, blessé, auquel elle porta secours.

Le train changea de direction. Le mercredi 9, à Reims, deux détenus tentèrent de s'échapper ; l'un d'eux réussit ; l'autre fut immédiatement fusillé. Nous arrivâmes à Metz le 12, après un circuit par Rethel, Charleville. Sedan, Montmédy, Toul, Nancy. Dix jours après, c'était l'arrivée à Halle-Mersebürg, deux villes industrielles, aujourd'hui en R.D.A. "

Mme Palaric, qui était alors Mlle Renée Paris, ne voulut pas se séparer de son frère, ni de son fiancé, avec lesquels elle partagea l'angoisse, les privations et les coups jusqu'en 1945.

Arrestation et évasion de Louis Pinson (29 juillet - 2 août)

Louis Pinson, reconnu pour sa participation à l'attaque d'un camion, le 8 juin. fut arrêté le 29 juillet. Dans la matinée du lundi 31, il fut emmené à pied du château de la Brisolière, en Brécey, à la Fedkommandantur. Les Américains arrivaient le soir même à Brécey.

Le 1er août, il fut amené à la Kommandantur départementale qui avait quitté Milly pour le château de Nantrail, en direction de Gorron. Il fut ensuite remis aux feldgendarmes et à la Gestapo qui avaient abandonné Saint-Jean-du-Corail pour s'installer provisoirement dans trois fermes de Désertines (Mayenne). Il devait passer devant le tribunal militaire le lendemain. Dans la nuit du 1er au 2 août, Pinson s'évada en démaçonnant le mur du premier étage de la charretterie où il était détenu. Heureusement pour lui, car deux jours auparavant, ses gardiens avaient fusillé cinq de ses camarades à Saint-Jean-du-Corail.

Michel Tauzin raconte comment le hasard l'a fait rencontrer Louis Pinson :

" A la fin du mois de juillet 1944. pour des raisons de sécurité, le groupe F.T.P.F. de Saint-Hilaire-du-Harcouët a dû quitter son cantonnement de Serouanne à Martigny et se scinder en deux.

Pour une partie de ce groupe, j'ai personnellement obtenu la mise à notre disposition d'un refuge dans un hameau près de Saint-Symphorien-des-Monts : notre installation a ainsi été transférée à l'est de Saint-Hilaire à quelques centaines de mètres de la route Buais-Le Tilleul et nous y avons poursuivi nos activités de harcèlement des convois allemands.

" C'est là que, le 2 août, un hasard extraordinaire devait nous mettre en présence d'un paysan, outil sur l'épaule, en qui on reconnut Louis Pinson. Nous savions que notre camarade avait été arrêté par les Allemands à Brécey, fin juillet, déporté vers une destination inconnue et on avait malheureusement toutes raisons de craindre le pire pour lui.

" C'est véritablement une chance inimaginable de s'être ainsi retrouvés, en pleine campagne, si loin de nos lieux de rencontre précédents. Nous l'avons recueilli dans notre local où, accueilli par tous comme un miraculé, il nous fit le récit détaillé de son évasion de la grange où il était séquestré en Mayenne.

" Trop de dangers subsistaient pour qu'il poursuive sa route vers Brécey et nous avons chargé deux jeunes filles (dont Alice), membres du groupe, d'annoncer à Mme Pinson l'évasion de son mari.

" Louis Pinson est resté encore quelques jours avec nous jusqu'à l'arrivée des premiers Américains, et j'ai encore le souvenir d'avoir alors participé avec lui à la poursuite de soldats allemands dispersés dans la région de Savigny où nous avons capturé des prisonniers, remis ensuite aux autorités américaines.

" L'évasion de Louis Pinson, conclue par ces retrouvailles inespérées, restera pour moi un des épisodes les plus exceptionnels de cette période pourtant riche pour nous de souvenirs extraordinaires. "

CHAPITRE 6

LES F.F.I. DANS LA BATAILLE DE MORTAIN

1 - La retraite allemande dans le Mortainais

Pour les détails sur la bataille de Mortain proprement dite, nous conseillons la lecture des ouvrages du Dr Gilles Buisson, maire honoraire de Mortain.

Notre propos est essentiellement de montrer le rôle de la Résistance pendant ce qui fut, pour notre région, le dernier sursaut du nazisme.

Tentatives infructueuses pour reprendre Avranches

Le dernier ouvrage du Dr Buisson, s'intitule " Mortain 44, objectif Avranches ". Pour atteindre cet objectif, la bataille de Mortain avait été précédée par deux tentatives allemandes pour couper la route aux troupes américaines et les prendre au piège dans la région d'Avranches.

La première tentative au nord de la Sée fut celle d'éléments blindés allemands qui, partis du secteur Villedieu-Brécey, menèrent une lutte acharnée pour atteindre la mer. L'occupation du pont de Tirepied par les blindés américains, contournant La Butte de Plomb, mit fin à cette première tentative. Von Kluge était conscient du danger que représentait la prise d'Avranches. " De sa chute ou de sa conservation dépend l'issue de la guerre sur le front occidental. "

D'où la seconde tentative, qui se solda également par un échec. Elle fut entreprise par le Colonel Bacherer, d'abord au pont de Pontaubault, ensuite au Mont Jarry, comme nous l'avons indiqué à propos de la libération d'Avranches.

La bataille de Mortain est l'ultime tentative pour reprendre Avranches et couper en deux tronçons les forces américaines. Elle se déclencha le 7 août. mais elle fut précédée, pendant six jours, par la retraite et le regroupement de l'armée allemande.

La retraite allemande vers l'Est

Brécey libéré le 31 juillet, l'avance des Alliés continue en direction de Saint-Hilaire vers le " Petit Jésus " tandis que d'Avranches, les chars américains foncent sur Saint-James et Rennes. Les forces du général Hodges avancent vers l'Est en partant d'Avranches, par l'Embranchement, Reffuveille, Mesnil-Gilbert. Chérencé qui sont atteints le 1er août.

Le 2 août, Saint-Hilaire est dégagé après un bref combat.

A Juvigny, sur la crête des collines dominant la Sée, la Résistance allemande s'organise avec quelques chars et un bataillon d'infanterie. Dès le 2 août,

venant du Mesnil-Adelée, les chars " Sherman " bousculent vers 17 h ce dispositif et s'engagent vers Mortain. Les résistants de Juvigny, dirigés par le D' Lemonnier, se mettent à la disposition des premières avant-gardes américaines auxquelles ils indiquent la présence d'un groupe ennemi qu'ils n'ont pu

réduire. Les Américains s'en chargent, tandis que les F.F.I. sabotent un char allemand que ses occupants viennent de quitter.

A 17 h 30, la patrouille blindée partie de Juvigny occupe Saint-Barthélemy, très en flèche par rapport à l'avance au Nord. Mais les Américains n'arrivent pas à couper la route Caen-Rennes.

Le 3 août, au Sud de la Manche, l'armée américaine libère Landivy, Louvigny-du-Désert, puis le 4 août au matin, Fougerolles-du-Plessis où, à 7 h, " les cloches sonnent à toute volée ". L'ordre de Hitler à Von Kluge, c'est de contre-attaquer et de couper à tout prix le goulot d'Avranches où s'engouffrent en file ininterrompue camions et chars américains.

Si Notre-Dame-du-Touchet et Saint-Jean-du-Corail sont occupés sans combat, il n'en va pas de même plus au Nord, à Coulouvray et au Nord-Ouest de Saint-Pois où déjà des contre-attaques allemandes se font sentir. Les résistants locaux, là aussi, interviennent utilement, tel l'instituteur du Gast, M. Liard, qui connaît la forêt de Saint-Sever avec ses dépôts de munitions.

Le nettoyage est entrepris dans la zone Mesnil-Adelée, Mesnil-Tove, Juvigny, Chasseguey, La Bazoge. Les dernières voitures allemandes passent à Mortain dans la matinée du 3 août, suivies à 13 h de la première Jeep américaine.

Dans les minutes qui suivent, les gendarmes de Mortain - qui collaborent avec le groupe de résistance O.C.M. dirigé par Untereiner - sont en alerte :

" Une auto allemande venue de Sourdeval revient dans la ville. Un officier qui se trouve dans la voiture donne des ordres au chef de brigade de la gendarmerie

qui affecte de ne pas comprendre. Un des soldats allemands ayant tiré son arme. le chef de brigade Kervran le tue. Après un bref combat, un autre soldat allemand est mis hors de combat et tous les occupants de la voiture sont faits prisonniers. " (Témoignage de la gendarmerie. Archives nationales).

Le commandant Jean Josset et son père, le lieutenant-colonel Josset, essaient de convaincre le commandant américain du 18e R.I. à son P.C. à Romagny, de l'intérêt d'occuper Mortain et de l'importance stratégique de la colline Saint-Michel. L'après-midi c'est chose faite : là aussi, les cloches se mettent à sonner, puis à 18 h la cote 314 (colline Saint-Michel) est occupée. Mais Sourdeval, Saint-Clément, Le Teilleul, Barenton sont toujours aux mains des Allemands.

Action des groupes locaux au Sud-Est

Sur le plan des renseignements, la Résistance se manifeste de multiples façons.

En prolongement de la mission Helmsman, seize résistants de la région ont pour consigne, donnée par " Éric ", de noter le maximum de renseignements sur les mouvements, concentrations, dispositifs de défense allemands, puis de se laisser dépasser, rester statiques, prendre contact avec les premières troupes alliées et donner leurs renseignements.

Ce prolongement de mission est suivi, le 2 août, par une entrevue chez

Andrée Blandin, entre l'officier de I'O.S.S. américain, le lieutenant Ripley et J. B. Hayes (Éric), entrevue au cours de laquelle un point complet est fait sur la situation des troupes allemandes avec la participation de René Berjon (Émile). Le 4 août, à Saint-Hilaire-du-Harcouët, le capitaine J. B. Hayes rencontre Louis Blouet qui, à peine remis de sa blessure du 23 juin (p. 198), a repris une certaine activité. Des dispositions sont prises par l'intermédiaire de l'unité des " C.I.C. " pour permettre d'améliorer la coopération entre la Résistance locale et les unités alliées engagées dans la bataille.

Dans l'après-midi du 2 août, avec Geoffroy et Lebigot, Fouqué va récupérer des mines posées sur la voie ferrée Domfront-Avranches qui n'avaient pas éclaté. Revenant en gare de Saint-Cyr, le groupe est intercepté par deux Allemands, un soldat et un feldwebel. Fouqué, couvrant les deux résistants qui portaient les mines, tue le soldat et blesse le feldwebel avec son revolver de poche un 6,35.

C'est dans le cadre du prolongement de la mission " Helmsman " que

Louis Launay, alors postier à Milly, rattaché au groupe de Saint-Hilaire, prend contact avec les troupes américaines, et commence à assumer la tâche de guide de patrouille sous uniforme américain, à partir du 2 août, dans la région qu'il connaît très bien, entre Saint-Hilaire et Barenton.

Les autres membres du groupe de Saint-Hilaire (une dizaine environ) rejoignent, le 5 août, avec Éric, les résistants de Fougerolles et ceux de Landivy, pour effectuer des opérations de nettoyage conjointes entre le 5 et 7 août, dans les territoires dont les axes ont été libérés les 3 et 4 août, au cours des combats auxquels les Fougerollais avaient déjà participé.

Éric voudrait entrer en rapport avec le commandant Claude de Baissac

qui est encore en zone occupée à Saint-Aubin-du-Désert, en Mayenne : " Deux volontaires se présentent, René Lereide et Yves Moreau... Les deux gars arriveront à la Mayenne qu'ils franchiront à gué sous les feux des blindés ennemis qui tirent sur les premiers éléments américains. ils atteindront Saint-Aubin-du-Désert, se feront connaître... difficilement du sympathique colosse anglais et reprendront dans la même journée le chemin du retour avec en poche (ou ailleurs) le message pour " Éric ".

" Pendant ce temps, les renseignements affluent au P.C. du groupe qui travaille en parfaite collaboration avec le C.I.C. de la 1re division américaine. Le chef de gare de Gorron s'est déplacé pour indiquer l'emplacement exact de défenses allemandes et éviter des destructions. D'autres indications permettront aux troupes américaines d'arriver jusqu'aux environs de Mayenne sans encombre. ".

Grâce au témoignage d'un réfugié d'Orléans présent à Fougerolles, une base de V 1 voisinant avec des dépôts de munitions est bombardée dans les environs d'Orléans.

Le 6 août, dans la région de Landivy, Louis Lemonnier du groupe F.T.P.F., avec la participation de Saint-Hilairiens, fait prisonniers trois soldats ennemis et, dans la nuit, un officier parachutiste.

Sur Coulouvray, que les Américains occupent en partie, les Allemands se défendent pied à pied. L'instituteur du Gast, Liard, mettant à profit son expérience de la région et de la forêt de Saint-Sever, a pris l'initiative d'observer le maximum de dispositions allemandes. Franchissant les lignes, il rejoint les troupes américaines, leur précise des emplacements de tanks et des fermes où se cachent des Allemands qu'il aide à capturer. Surtout, il donne, à l'aide de croquis, les positions des chars échelonnées le long de la route qui traverse la forêt. Le nettoyage de la forêt sera facilité, assuré les 4 et 5 par la 28e division et la 9e division, malgré une dure résistance à l'Est de la forêt.

La mission Kœnig s'amorce

Dans son livre sur " La Libération de la Bretagne ", Marcel Baudot a déploré la persistance d'une attitude attentiste de certains milieux français à Londres : " Les consignes d'inaction momentanée auraient été formulées encore par radio le 29 juillet " ( Libération de la Bretagne. p. 112).

Ce n'est que le 3 août que Dewavrin est parachuté en Bretagne alors que les troupes américaines sont presque en vue de Rennes.

Fin juillet, après le succès de la mission S.O.E. " Helmsman ", le général Kœnig est conscient qu'il faut faire quelque chose pour participer au maximum à la Libération. C'est dans cet état d'esprit " qu'il enjoint de façon pressante, aux groupes de résistance du Calvados relevant de l'O.C.M. de transmettre aux alliés le maximum de renseignements " (G. Buisson, Mortain dans la bataille de Normandie).

Des missions de ce type s'étaient développées dès l'arrivée des alliés sur les côtes normandes. André Heintz, professeur à l'I.U.T. de Caen et résistant. nous fournit à ce sujet les précisions suivantes :

" Les résistants du Calvados, quoique désorganisés par les arrestations et les bombardements, n'ont attendu ni le parachutage de Dewavrin le 3 août, ni l'appel du général Kœnig pour transmettre des renseignements :

" Le maquis de Saint-Clair avait ses informateurs et émettait sur son poste jusqu'au 8 juillet. Ce jour-là, Larcher fut exécuté ainsi que Renaud-Dandicole.

" A Bayeux, dès le 7 juin, et dans toute la zone libérée, au fur et à

mesure, des résistants se mettaient en contact avec les diverses unités et les officiers de renseignement. Le 8 ou le 9 juin, des jeunes gens de l'O.C.M. partirent en mission à travers les lignes. A Bayeux, en effet, s'était organisé aussitôt un groupe au service des Anglais (dit " La Souris Rouge ") pour la collecte des renseignements. Certains réussirent à passer les lignes jusqu'à trois fois (dans la première quinzaine du débarquement) dans différents secteurs britanniques et à la jointure - alors mal définie - avec le secteur américain, du côté de Caumont-l'Éventé.

" En même temps, s'installait à partir du 10 juin une section de l'O.S.S. au château des Palmiers à Saint-Côme-du-Mont. Elle arrivait avec un groupe d'une douzaine de lieutenants français recrutés en Algérie, dirigés par Guatary sous commandement de trois officiers américains. Les premières missions se firent vers Méautis. Ils recrutèrent rapidement des résistants dont certains participèrent à la prise de Cherbourg comme éclaireurs. De très nombreuses missions furent accomplies un peu dans le style de " Helmsman ".

La mission Kœnig correspond à la normalisation par les autorités françaises du rôle de la Résistance intérieure dans le domaine du renseignement :

" A son P.C. avancé, rattaché à une unité alliée et installé au château de Juaye-Mondaye, près de Bayeux, un petit groupe d'officiers, parmi lesquels les capitaines Yvonnec et Ross, forme rapidement, en une semaine, des agents de renseignements recrutés parmi les actifs résistants de la région caennaise. ".

Cette mission Kœnig commencera à porter ses fruits en août. Deux jeunes résistants de Caen, Charles Huard et Jean Gohin, quittent le château de Juaye-Mondaye le 1er août à bord d'un char britannique, munis d'instructions, de vivres et d'un peu d'argent de poche. Dans la zone du front, le 2 août, ils enfourchent des bicyclettes et traversent les lignes dans la région de Bény-Bocage. Ils rencontrent le commandant Parleani, responsable F.F.I. du Calvados et des responsables locaux de la région de Vassy et Condé-sur-Noireau qui les mettent en rapport avec des résistants de l'Orne, notamment Mlle Yvette Dubocq, du réseau O.C.M. de Beauchêne. Situé à l'est de Mortain, ce réseau constitue une base d'observation pour les lignes américaines.

Avec les deux équipes Jedburgh

Pendant que les officiers des deux équipes Jedburgh, Gavin et Guy organisent la coopération entre les résistants du Nord de l'Ille-et-Vilaine et les Américains, le capitaine britannique Trofimov de l'équipe Guy repart en direction de Gorron. Il est muni de papiers d'identité parfaitement en règle, fournis par les gendarmes Plassard et Leray. Louis, son garde du corps, l'accompagne : tous deux relèvent les positions défensives de l'ennemi dans la région de Gorron.

Le 4 août, Louis porte ces informations au Q.G. américain à Landivy et le lendemain, Trofimov guide le 106e groupe de reconnaissance qui entre dans Gorron à 7 h.

Après être passé au Q.G. de la 3e armée (Patton),le 7 août, Trofimov rejoint la mission alliée à Combourg.

Qu'il s'agisse de la mission Helmsman, des équipes Jedhurgh ou des

résistants locaux, le Commandement Américain est parfaitement informé. Dans sa biographie du Général Patton, Ladislas Farrago écrit :

" Ou Patton avait une double vue ou il était admirablement renseigné... Nous pensons avoir montré qu'il n'y avait là rien de surnaturel.

2 - Coopération accrue pour faire face à la contre-attaque

Les préparatifs de la contre-attaque allemande (4-6 août)

Décidée par Von Kluge pour le 6 août, les préparatifs de la contre-attaque allemande commencent à se manifester nettement, à partir du 4, par une résistance de plus en plus opiniâtre, s'appuyant sur les positions déterminantes que constituent les reliefs de la région. C'est le cas près de Saint-Pois où le front a tendance à se raidir. Les combats deviennent violents, par exemple lors de l'assaut de la cote 211 (Bruyère du Mont Huon), position qui domine toute la vallée de la Sée, entre Mesnil-Gilbert et Lingeard : combats de chars, affrontement des fantassins en corps à corps, lourdes pertes de part et d'autre, caractérisent ces batailles du 4 aôut. C'est le 5 seulement, que la cote 211 sera finalement emportée après plusieurs attaques. ainsi que les cotes 329 et 232 autour de Saint-Pois. De même, au Sud de Perriers-en-Beauficel, autour de la Lionière, les combats se livrent de colline en colline, sans avance décisive. Mais Bellefontaine est prise par les Américains.

Au Nord, le 5 août, la 28e D.I. avance vers Champ-du-Boult qu'elle ne prendra que le 6 après deux attaques successives du 109e R.I. Les Allemands s'accrochent à Vire. Les 28e et 29e divisions américaines avancent lentement et avec difficulté, souvent obligées d'effectuer des replis.

A Mortain, chacun reste sur ses positions, mais l'artillerie allemande se manifeste dans la journée du 5. Puis, c'est l'aviation qui vient bombarder la ville à partir de 23 h. aggravant l'action de l'artillerie. Mortain vit une nuit terrifiante et on compte plusieurs morts et blessés parmi la population.

Au Sud, les troupes allemandes essaient également de résister à Barenton et tiennent solidement les collines au Nord de la route de Mortain-Domfront.

Les Allemands, qui s'accrochent au terrain sur le Mont Furgon, à l'Est de Chérencé, lancent une offensive locale au sud de Bellefontaine dans l'après-midi du 6 août, et ils reprennent pied sur la route Chérencé-Saint-Barthélemy à la Soufficière.

Coopération Résistance-Armées Alliées dans l'Est du Mortainais

Les accords du 31 juillet, passés avec le Colonel Drumont-Beaufils (Joseph) entrent en application.

Les troupes américaines ont, peu à peu, mieux compris ce qu'elles pouvaient attendre de la Résistance. D'autre part, la nature des combats, dans le cadre de la contre-offensive allemande naissante, va permettre une utilisation de plus en plus étendue des forces résistantes, organisées ou à titre individuel. Du 4 au 11 août, comme on le verra, les Américains se mettent en place pour une démarche de plus en plus coordonnée entre Résistants et Forces Alliées.

Secteur de Barenton-Le Teilleul

Louis Launay, du groupe de Saint-Hilaire, alors âgé de 18 ans, s'était engagé dans un groupe de reconnaissance. Le 3 août, il fut envoyé en patrouille, en Jeep avec trois soldats américains, au carrefour de la Croix-Rouge sur la route Barenton-Mortain. A cet endroit, ils interceptaient une automobile Opel conduite par un officier allemand accompagné d'un passager civil qui balança sa serviette dans le fossé. Craignant qu'elle ne soit piégée Louis Launay, la lui fit relever. Elle contenait des plans allemands pour la contre-attaque de Mortain qui furent remis au Colonel dont dépendait le groupe de reconnaissance (lettre de Roger Launay, 17 mars 1987).

" Courlis ", le groupe de Barenton, comprenait 18 hommes dont tout l'effectif de la gendarmerie sous les ordres de Constant Dauvergne. Les résistants opéraient isolément et par petits groupes, indépendamment les uns des autres, par souci de sécurité. Des initiatives étaient prises chaque jour et le rapport en était fait uniquement à Constant Dauvergne.

De retour d'Avranches où il était en mission, le gendarme Lecomte du groupe " Courlis " part seul en reconnaissance, au matin du 4 août, en direction de Saint-Jean-du-Corail, car il a le sentiment que les Américains ne doivent pas être loin.

Son intuition était bonne : à peu de distance avant cette localité (Saint-Jean), il rencontre un groupe de soldats américains. Le lieutenant commandant ce groupe lui dit :

" J'ai un soldat de votre localité, le connaissez-vous ? " Le voyant arriver vers moi, je l'ai reconnu pour le fils Louis Launay de Barenton (Lettre de Lecomte).

Le hasard avait voulu que les deux hommes se rencontrent. Ils discutent longuement sur les positions allemandes à Barenton. Une première reconnaissance est faite jusqu'au village de Beaulocher d'où on a une bonne vue sur le site de la localité, et Lecomte peut montrer à l'officier américain le château de Barenton qui est un point fort des positions allemandes (garnison permanente) et l'endroit où sont situés les avant-postes à trois cents mètres de Beaulocher.

Le propriétaire de la ferme de Beaulocher, M. Auguste Villette, les aborde, se trouve en présence de Lecomte, précise ce qu'il connaît des positions

des avant-postes. Puis il est mis à son tour à contribution. Nous lui laissons la parole :

" Lecomte me dit : " prends une fourche sur ton épaule gauche, va vers le bourg, nous te suivons à vue et quand tu mettras ta fourche sur l'épaule droite, c'est qu'il y aura des Allemands. Nous ne tirerons pas avant ton retour et surtout n'en parle à personne. "

" Je pars avec une fourche, en bras de chemise et en sabots, comme si j'allais travailler.

" Sachant à l'avance où était le premier poste enterré sur le bord de la route au pied d'un poteau électrique, je n'avais pas à chercher. Arrivé à une dizaine de mètres de ce poste, toujours occupé par deux hommes, ceux-ci nie font des sommations. J'arrête, change ma fourche de côté et leur dis que j'allais travailler. Ils me font signe de continuer ma route. Pendant ce temps, les Américains surveillaient du virage précédent, c'est-à-dire à trois cents mètres environ. " (Récit de Villette).

Auguste Villette poursuit sa route jusqu'à la localité, voit d'autres résistants (Roger Launay et les frères Faverie qui s'occupent de leur côté), met le maire au courant, revient à Beaulocher par le sud en empruntant les champs. Vers 17 h 30, les Américains partent à pied à l'attaque des avant-postes. Un Allemand est tué, probablement le premier mort de la bataille de Barenton, un autre fait prisonnier. Mais la riposte allemande oblige les Américains à un repli précipité laissant deux voitures sur le terrain.

Lecomte rentre à Barenton par les champs qu'il connaît bien, met Dauvergne au courant.

Le 5 août, au matin, il va faire un tour dans la localité : " C'est là que j'ai vu que les Allemands avaient amené des renforts de troupes, des chars au nombre de trois qui surveillaient la nationale Barenton-Mortain au lieu-dit " Le Pont du Moulin " et un autre sur la C.D. Barenton - Saint-Jean, à quelques mètres du lieu où se trouvait le poste que j'avais montré à l'officier la veille. " (Lettre de Lecomte).

Muni de ces renseignements, Lecomte repart en direction des Américains qu'il rencontre au-delà de Saint-Jean-du-Corail, route de Milly. Ce n'est pas le même groupe que la veille, mais ils sont informés de ce qui s'était passé. Tenant compte de la nouvelle situation à Barenton, le Capitaine du détachement demande à être conduit à Beaulocher où il procède, avec Lecomte, à la reconnaissance du site.

Ensuite, les renseignements sur les implantations reconnues par Leconte sont transmis par radio. Un colonel vient rejoindre le groupe et informe qu'il va faire intervenir l'aviation. C'est Lecomte qui est chargé d'avertir les civils pour qu'ils s'éloignent au plus vite, ce qu'il fait dans les délais convenus. Et à 18 h. trois avions sont venus mitrailler et bombarder les positions si bien précisées.

Nous avons développé volontairement le déroulement de cette action, parce qu'elle est typique de ce qu'il était alors possible de faire quand les Américains savaient mettre tous les atouts de leur côté : résistance et patriotes français qui, individuellement, étaient capables d'entreprendre des actions dangereuses si le jeu en valait la chandelle.

De son côté, Roger Launay réussit à avoir le contact avec son frère Louis. 11 le renseigne sur les emplacements de chars allemands. Alors qu'il est de retour vers le village de Boudé. il capture un aviateur dont l'appareil vient d'être abattu. Il se fait remettre une carte d'État-Major où figurent les objectifs à détruire par l'aviation allemande et confie son prisonnier à un P.C. américain, ainsi que la carte. Il repassera les lignes de combat à nouveau le 7 août, à Husson où il se mettra à la disposition des Américains (Témoignage de Roger Launay).

Le groupe de Barenton avec Constant Dauvergne a fait preuve, les jours précédents, d'une activité adaptée aux circonstances. Les troupes allemandes en retraite traversèrent en grand nombre la localité, les 2, 3 et 4 août, souvent assez désemparées. Les gendarmes du groupe étaient présents, fournissant aux Allemands des renseignements fantaisistes qui les amenaient notamment à tourner en rond, le circuit Barenton-Ger-Mortain étant le plus utilisé, ce qui aboutissait à des " embouteillages fantastiques ". D'autre part, des nouvelles alarmantes leur étaient prodiguées, ce qui n'améliorait pas leur moral déjà atteint.

Le 5 août, alors que Lecomte était à Beaulocher, Dauvergne, accompagné de Barthoneuf, prend un contact à Husson avec les troupes de reconnaissance américaines de ce secteur auxquelles il fournit des emplacements de batteries. Celles-ci leur remettent 50 mines anti-chars, destinés à immobiliser des chars allemands. Au retour, au lieu-dit le Jarry en Saint-Cyr, ils sont pris sous le feu de l'ennemi - les mines sont déchargées sur place dans ces conditions.

... Au retour à Barenton, ils font évacuer la ville de tous les civils, y compris l'hôpital. En effet, l'information leur a été communiquée sur l'imminence d'une attaque, avec prévision de bombardement à partir de 18 h. De son côté, au village de la Bigne, Ernest Robbes est également informé par des officiers américains, de l'imminence de cette attaque. Il revient au bourg et avertit les retardataires de partir sans plus tarder. Fait prisonnier lors de son retour, il réussira à s'évader. Grâce à ces informations, la population sera pour l'essentiel épargnée. Mais les Américains échoueront dans leur attaque du 5 et Barenton ne tombera finalement que le 7, à midi. En ces heures difficiles, Mme Montécot, coiffeuse à Barenton, d'origine anglaise, avait servi d'interprète.

Pendant ces jours du début d'août, un camion allemand a sauté sur une teller-mine d'origine allemande, sur la route de Ger, face au cimetière : " Je ne puis dire exactement qui l'a posée, je suppose que c'est le gendarme Mouchebœuf. Ce camion a été pulvérisé. On n'a jamais su combien il y avait d'Allemands à bord : il y avait des papiers partout aux alentours et des débris humains sur les croix du cimetière. " (Déclaration de Constant Dauvergne).

Plus au sud, le 4 août, le groupe du Teilleul a également pris contact avec les avant-postes américains dirigés par le commandant Mac-Kaley. Avec les hommes de son groupe, Émile Bizet se met à leur disposition. Des traversées du front sont effectuées pour situer les forces et positions ennemies en direction de Saint-Cyr-du-Bailleul et Domfront. Les résistants participent avec les Américains à des expéditions de poses de mines et à des patrouilles de reconnaissance.

Le renseignement à titre individuel

Pendant toute la bataille de Mortain, de très nombreux Français patriotes ont contribué individuellement à faciliter la tâche des Américains, chaque fois que l'occasion se présentait. Certains sont restés ignorés. D'autres ont vu leurs actions reconnues.

C'est le cas de Roger Garnier, jeune homme de Mesnil-Gilbert qui, le 5 août, alors que les Alliés avaient des difficultés en abordant la cote 211, a franchi plusieurs fois la ligne de front pour aller chercher des renseignements. II fut arrêté et détenu par les Allemands, mais réussit à s'échapper avant l'interrogatoire.

Quant à M. Goudal, de Mesnil-Toue, il était rescapé de la guerre 14-18 où il avait été blessé. Cela ne l'empêcha pas, le 5 août, de grimper dans une jeep et de servir de guide aux Américains qui cherchaient à situer des batteries ennemies tapies dans les bois, sur les pentes du Mont Furgon. Cela lui valut une belle émotion à Bellefontaine où l'expédition essuya le feu d'un avant-poste avec grand risque d'être fait prisonnier.

Activité du groupe " Blida " de Saint-Cyr-du-Bailleul

Pendant ces premiers jours d'août, le groupe " Blida " de Saint-Cyr-du-Bailleul, commandé par le sous-lieutenant Jean Fouqué, mène plusieurs opérations successives contre les Allemands en retraite ou en préparation de contre-offensive.

C'est d'abord le 2 août que cinq membres de ce groupe posent une mine antitank au pont de la Beltière, sur la route de Barenton-Saint-Cyr. Un char allemand saute avec sa remorque remplie de munitions et le tout est détruit. Puis, dans la nuit du 3 au 4 août, une mine est posée sur la route Saint-Georges-Barenton. Les actions se multiplient les 4 et 5 août.

Dans la journée du 4, le groupe attaque les voitures allemandes isolées sur les routes de Saint-Georges à Saint-Cyr. Ces attaques se prolongent dans le cours de la nuit du 4 et 5 sur les mêmes routes.

Dans la journée du samedi 5 août, une autre voiture de liaison allemande est attaquée. Le groupe essuie une rafale de mitraillette, mais réussit à tuer un feldwebel S.S.

Dans l'après-midi, les résistants attaquent en direction de Barenton à plu-sieurs reprises et font plusieurs morts chez l'ennemi. Des armes et des munitions récupérées sont stockées dans l'une des chambres de sûreté de la gendarmerie de Barenton. La marche continue pour effectuer la jonction avec les Américains qui approchent. Des combats ont encore lieu, dont témoigne Dauvergne : " Il (Fouqué) attaqua à revers les Allemands alors que les Américains avançaient vers le Nord. J'étais alors bloqué dans une tranchée avec le D' Julien, mais je reconnus nettement le " tit " caractéristique d'une mitrailleuse anglaise qu'il possédait. " (Lettre de C. Dauvergne, 11 novembre 1966).

Finalement, c'est le 6 que Fouqué entre en contact avec les Américains au château du Bailleul, vers 6 h du matin - c'étaient des éléments motorisés de reconnaissance. A partir de là, devait commencer une nouvelle phase de coopération étroite avec l'armée américaine et nous aurons l'occasion d'en reparler.

Poursuite de la Mission Kœnig

Charles Huard est arrivé à Beauchêne accompagné de M. Batard, notaire à Vassy, et de quatre volontaires de Condé-sur-Noireau.

" Ils installent leur P.C., au nez des nazis (les Allemands occupent la villa) dans la seule chambre dont dispose M Dubocq et dressent aussitôt leur plan de travail. Ils parcourent, à bicyclette, toute la contrée environnante pour repérer les concentrations de troupes et de chars, les dépôts de matériel et de munitions, les batteries de D.C.A. Au retour de chaque mission, ils fixent tous ces points sur des cartes d'État-Major du Service géographique de l'armée française. Les relevés de ces points, avec leur coordonnées, seront transcrits sur des feuilles de papier à cigarettes, si bien que les Américains n'auront qu'à les reporter sur des cartes analogues pour connaître exactement les positions allemandes. ".

Les volontaires ont reçu une formation rapide qui leur permet de distinguer les différents matériels allemands et de préciser leurs informations. Les feuilles de cigarettes remplies de coordonnées sont introduites dans le col de chemise de Jean Dissler et dans la boule de ceinture d'Henri Vivien, deux des volontaires. Henri Vivien part seul, le 6 août, en direction de Saint-Cyr-du-Bailleul, puis Lonlay où il prend contact avec les troupes américaines auxquelles il transmet ses messages.

Quant à Jean Dissler, accompagné de Eugène Hergault, il part à 6 h du soir, en direction de Ger. Leur objectif est Saint-Barthélemy, que les Américains ont atteint depuis 3 jours.

Les deux jeunes gens abandonnent leurs bicyclettes à Saint-Clément et, poursuivant leur chemin à pied, ils traversent les villages du Pont où ils peuvent se restaurer un peu, puis de la Roche où ils bénéficient de l'aide de M. Heuzé qui les guide jusqu'à la mine de fer de Mortain. De là, ils réussissent à avancer en direction de la Tête à la Femme où ils sont accueillis, plutôt mal, par une sentinelle puis transportés, interrogés et " testés " à Mortain, à l'État-Major du régi-ment. Finalement, ils peuvent poser leurs papiers à cigarettes sur une carte adaptée et donner tous leurs renseignements.

Hergault et Dissler opéreront quelques jours plus tard dans la région de Flers-de-l'Orne pour accomplir auprès des Anglais une mission analogue. Le P.C. de Beauchêne, transféré à Ségrie-Fontaine, pourra fonctionner encore en rapport avec l'avance alliée.

3 - Le 7 août, une rude journée

Von Kluge fut dans l'impossibilité de lancer sa contre-offensive le 6 août comme il le souhaitait, bien qu'Hitler eût préféré attendre le 8. Mais c'est le 7 à 0 h que l'opération fut déclenchée, sur 35 km de front entre Vire et la Sélune. L'objectif était Avranches à 40 km de Mortain.

Les moyens dont disposait Von Kluge étaient limités, par suite des pertes subies et des contraintes des autres fronts, en particulier le front russe difficile à tenir. L'ordre du jour du général Hausser aux blindés se clôturait par : " il n'y a plus qu'une seule chose qui compte : l'effort incessant et la volonté absolue de vaincre ". L'effort principal devrait être porté par les meilleures troupes encore disponibles : les 1re Panzer S.S. et 2e Panzer. entre Bellefontaine et la Sélune. Face à ces deux unités, le choc principal fut subi par la 30e division U.S. qui défendait le secteur Saint-Barthélemy-Mortain.

La contre-attaque sur les différents fronts

MESNIL-TOVE SAINT-BARTHÉLEMY

Dès le départ, un retard de la 1re P.Z. S.S. handicapa quelque peu l'opération. La chute fortuite d'un avion américain sur le char de tête entre Saint-Clément et Saint-Barthélemy bloqua la colonne malencontreusement et lui fit perdre du temps. Ce n'est donc qu'à 2 h du matin que la colonne blindée allemande fut en position d'attaque sur Saint-Barthélemy.

Dans la nuit opaque, avec le brouillard en prime, la 2e P.Z. s'élance de Bellefontaine sur la route de Mesnil-Tove par le carrefour de la Soufficière qu'elle contrôle depuis la veille - Mesnil-Tove est investi à 2 h 15 et Mesnil-Adelée à 6 h du matin pour atteindre finalement les 4 Chemins au niveau de Cuves. Ce sera l'avance maximum de l'année allemande vers Avranches, soit une douzaine de kilomètres.

D'après l'historique de la Division " Das Reich ", celle-ci avait espéré que les troupes allemandes atteindraient, dès la première nuit, le village de Coudray, sur la route de Brécey à Saint-Hilaire et pourraient reprendre Avranches la nuit suivante. Cela aurait pu effectivement se produire si le soutien aérien promis par Hitler avait été disponible. Mais les 300 avions prévus furent dans l'impossibilité d'intervenir dans ce secteur.

Les Américains réagissent à 9 h 30 et engagent la bataille pour reprendre Mesnil-Adelée. C'est chose faite à 15 h. mais au prix de 7 chars perdus du côté américain et 12 blindés du côté allemand. Un obus de char tombe à Cuves sur la maison du boulanger. Celle-ci brûle. Le soir même, la pointe allemande est réduite et ne dépasse le Mesnil-Tove que de quelques centaines de mètres.

Pendant ce temps, la 1re P.Z. se heurte au 117e R.I. américain devant Saint-Barthélemy. Ses tanks s'infiltrent, des unités de fantassins également, des unités américaines sont encerclées - certaines sont isolées - les combats au corps à corps s'engagent un peu partout. Le P.C. du régiment est bientôt cerné, mais ne bouge pas. Malgré des pertes très lourdes - 350 tués, blessés ou disparus rien que pour le premier bataillon - des points de résistance subsistent et le bataillon peut se regrouper 800 m en arrière.

Les blindés allemands se ruent vers Juvigny. Les duels entre chars et canons ou bazookas commencent, avec de grosses pertes de matériel et d'hommes de part et d'autre. Puis, le brouillard se lève, les avions alliés " Typhoons " apparaissent, piquant sans arrêt et ajoutent leur puissance de feu aux tanks destroyers et autres armes terrestres échelonnés sur la route. Les tanks allemands sont contraints à chercher un abri dans les petits chemins où ils sont gênés et se font peu à peu détruire. La colonne n'ira pas plus loin : son avance maximum se situe à 4 km avant Juvigny.

AUTOUR DE MORTAIN

Pendant ce temps, dès minuit, l'offensive allemande se manifeste par trois colonnes qui essaient d'investir Mortain par le Nord et par le Sud, et la cote 314 d'autre part. Au Nord, la 17` P.Z. S.S. se heurte à un barrage américain au Neufbourg qui résiste, mais elle investit peu à peu Mortain et fait sa liaison avec la colonne Sud (2e P.Z.) puis se dirige vers Romagny.

C'est le 120e R.I. américain qui défend Mortain et les cotes 314 et 285. A 1 h 30 du matin, la compagnie E subit l'assaut sur le versant Sud de la cote 323 et perd presque tout son matériel. Les survivants se replient sur la cote 314 où se déroule une lutte acharnée sur les pentes. Mais la cote 314 tient malgré les pertes lourdes de la compagnie G. Le capitaine Erichson quitte Mortain investi, rejoint la compagnie G avec les hommes qui lui restent et prend le commandement.

Romagny est pris par une section de la division " Das Reich " mais les Américains tiennent le Point du Jour et, de cette position haute, mettent à mal la pointe allemande. Au sud-ouest de Romagny un engagement a lieu entre un détachement de la Division Leclerc et les S.S., ce qui donne l'occasion aux soldats français de faire quelques prisonniers.

Des pointes avancées allemandes réussissent à atteindre Fontenay à 4 h mais sans pouvoir s'y accrocher sérieusement. En effet, non seulement la cote 314 tient toujours mais le Neutbourg a résisté et la cote 285 tient également malgré un violent assaut au Nord de Romagny, avec tanks et fantassins, obligeant le 1er bataillon du 120e R.I. à reculer de 400 m. Les Spitfires interviennent vers 10 h, mais la confusion est telle que le premier bataillon U.S. en souffre à plusieurs reprises.

AU SUD DE MORTAIN

Les chars allemands dévalent le long de la rive droite de la Sélune, sans la traverser. Ils occupent tout le secteur Saint-Jean-du-Corail, Notre-Dame-du-Touchet et poussent une pointe au-delà de Villechien, dans une zone où la densité des troupes américaines est encore très légère.

" Le 7 août, sous la direction de Émile Bizet, des missions de reconnaissance auxquelles participent Maurice Javault et les frères Allain sont organisées dans les lignes allemandes. L'une d'elles, vers Notre-Dame-du-Touchet, permet la découverte de 12 pièces d'artillerie au Pont de la Sélune près de la Croix de Pierre.

Depuis le samedi soir 5 août, de durs combats se déroulent aux abords de Barenton mais grâce au renfort du 120e R.I. ramené du front de Vire qui prend position le 7 à partir de 3 h du matin, Barenton tombe aux mains des Américains aux environs de midi.

FRONT NORD

C'est un peu la même situation dans la région de Vire où les Américains enlèvent les hauteurs autour de la ville et occupent Saint-Michel-de-Montjoie.

Par contre, l'attaque de la 28e division contre Gathemo est stoppée aux abords du bourg, malgré deux assauts successifs.

Dans la région de Perriers-en-Beauficel, le général allemand von Schwerin est contraint à la défensive. il refuse de céder des chars à la 2e P.Z., ce qui lui vaudra d'être limogé à 16 h. Trois colonnes américaines progressent lentement vers Perriers.

On peut déjà penser, au soir du 7 août, que la contre-offensive allemande est vouée à l'échec dans la mesure où la charnière de Mortain n'a pas été balayée et que les pointes allemandes sont ainsi vulnérables.

La 30e division américaine a joué là un rôle considérable en s'accrochant au terrain comme elle l'a fait. Que dire de l'héroïsme des combattants du 2e bataillon du 120e régiment (le bataillon " perdu ") qui n'ont pas cédé à l'encerclement ? La nuit du 7 au 8 les trouve bien démunis et ils auraient pu être bousculés cette nuit-là, mais ils tinrent bon.

L'appel aux résistants et patriotes français

Néanmoins, à l'État-Major de la 1re armée U.S., la contre-offensive allemande provoqua une certaine effervescence. Les difficultés rencontrées pour s'opposer à son avance conduisirent à penser qu'il fallait utiliser mieux encore les possibilités d'une coopération avec la Résistance locale et la population.

Le 7 août dans l'après-midi, un sous-officier du G2 est mandaté pour reprendre contact avec André Debon qu'il retrouve à Brécey. Le problème est le suivant : les unités de l'année américaine en ligne ont des difficultés qui proviennent de deux causes :

- D'abord, elles ne connaissent pas le terrain.

- Ensuite, peu de soldats américains parlent le français d'où impossibilité d'obtenir des renseignements valables auprès des populations locales. Les autorités américaines sont acquises à l'idée d'incorporer aux troupes au contact avec l'ennemi, des guides français du pays. Elles recherchent des volontaires. Les premières expériences de ce genre ont été positives.

Le soir-même, deux nouveaux guides sont dirigés vers la 28e division U.S. dont le P.C. se trouve en forêt de Saint-Sever et qui tient le front entre Vire et Gathemo-Perriers : il s'agit de André Debon et Michel Tauzin du groupe de Brécey. Le premier est affecté au peloton de reconnaissance du 109 th Infantry Regiment : 16 hommes commandés par le lieutenant Wirtz, 2 jeeps avec radio, 2 autres avec mitrailleuses. Le deuxième est intégré à une unité identique du 110 th I.R. Leur mission, comme guides de patrouille, consiste à accompagner le peloton dans ses reconnaissances, prendre contact avec les populations locales ou groupes de résistance rencontrés et à obtenir les renseignements sur l'ennemi. Ces renseignements sont transmis immédiatement par radio. S'il y a contact avec des unités importantes, on décroche immédiatement et on transmet. Dès le lendemain, ils sont vêtus de l'uniforme américain et munis de carabines à répétition et de grenades, d'une pelle et d'un paquetage. Les premiers engagements auront lieu le 9 à Gathemo pour le 109 th et au nord de Gathemo pour le 110 th.

Coconnier, du même groupe, participe aussi aux renseignements pendant toute cette période.

De la même façon, Georges Navier, de Saint-Hilaire, est affecté à une unité de ligne. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer l'action des deux frères Launay, de Barenton, qui sont déjà l'un et l'autre en campagne dans le Sud du département.

A partir du 6 août, les résistants de Fougerolles et ceux de Landivy travaillent également en rapport étroit avec le Q.G.C. de la 1re division américaine qui s'est installé à Fougerolles. Ces résistants pourront ainsi apporter une contribution appréciée dans les opérations liées à la contre-attaque.

Les groupes de Barenton, Saint-Cyr-du-Bailleul, Lonlay-l'Abbaye, Saint-Georges-de-Rouelley et Le Tilleul participent, chacun à leur manière aux opérations.

Fouqué, après avoir pris contact le 6 au château de Bailleul et fourni aux troupes américaines toute l'information qu'il a recueillie au cours de son déplacement, met son groupe Blida à la disposition des alliés.

Les résistants, là aussi, endossent l'uniforme et combattent aux côtés des Américains. Cet engagement se poursuivra jusqu'au 9 août où toute la région sera libérée.

Le groupe repart en direction de Saint-Cyr, puis Saint-Roch et Domfront pour orienter et couvrir l'avance des unités américaines engagées dans ce secteur. La prise de contact avec l'ennemi a lieu au Pont de la Pervenche. Des points d'appui sont organisés par le groupe, du 6 au 8 août. à Saint-Roch et à Rouellé.

Le 6 août également, le capitaine Lefevre, responsable F.F.I. du secteur de Domfront dans l'Orne, a passé les lignes pour prendre contact avec les troupes américaines à Saint-Jean-du-Corail. Dès cette date, les dispositions sont prises pour que la collaboration entre la Résistance de l'Orne, sous la direction d'André Mazeline, puisse être organisée avec les autorités américaines. Effectivement, les Unités F.F.I. seront en quelque sorte amalgamées avec les unités alliées. Dotées de tenues militaires, elles devaient constituer les meilleurs éléments de reconnaissance dans l'avance alliée à travers le département de l'Orne.

4 - Alliés et résistants

trois jours d'actions communes

Une âpre bataille

Les journées des 8, 9 et 10 août sont marquées, de part et d'autre, par l'acharnement des deux adversaires. Les troupes allemandes, dont l'élan a été brisé le 7, ne cèdent pas ou peu de terrain. Les unités sont fatiguées, mais ce sont des formations d'élite S.S. et c'est Hitler en personne qui est derrière cette contre-offensive vers la mer, Hitler qui vient de désigner le général Eherhach pour prendre le commandement de la 5e armée blindée. Von Kluge et ses officiers ne croient pas à la réussite de l'opération, ils sont aussi conscients du danger qu'elle présente pour l'armée allemande. Mais les ordres se conforment à la volonté d'Hitler et ne reflètent pas ce scepticisme : l'objectif est Avranches, et il leur faut tenir et percer.

De leur côté, les officiers américains, d'abord un peu surpris par la vigueur de la contre-offensive allemande se sont vite ressaisis et les mesures sont prises pour faire face à tout prix. Les unités engagées font preuve, pendant toutes ces journées, de qualités exceptionnelles, ne cédant rien ou même gagnant du terrain dans des conditions très dures et avec de lourdes pertes.

Montgomery lance dès le 8, aux environs de Caen. une attaque couronnée de succès. D'autre part Bradley, en accord avec son État-Major, voit dans l'offensive allemande l'occasion d'anéantir la 7e armée allemande. Il donne l'ordre à Patton, qui vient de prendre Le Mans, de remonter vers le Nord en direction d'Alençon. De son côté Montgomery ayant percé le front de Caen va se diriger vers le Sud en direction de Falaise. Ainsi, l'armée allemande va se trouver prise dans une nasse dont le collet sera serré à Alençon et Falaise et elle y sera anéantie si elle ne se rend pas : ce sera la " poche de Falaise ".

Vire-Gathemo-Perriers : progression difficile

Après la prise des hauteurs autour de Vire, la 29e D.I. américaine avance en direction du Sud-Est, jour après jour, avec difficulté, approchant de la région de Saint-Germain-de-Tallevende où elle rencontre une vive résistance.

A Gathemo, la 28e D.I. se heurte également à une âpre volonté des Allemands de tenir le bourg, il faudra trois jours d'assaut répétés pour en prendre possession le 10 août à 9 h ; et même à ce moment-là, des " snipers " (tireurs isolés) se défendent encore depuis le clocher de l'église.

C'est le 10 août, qu'André Debon, incorporé au peloton de reconnaissance du 109e R.I., se trouve jeté dans la bataille et y participe aux côtés de son nouvel ami Irving Ruckens qui restera son compagnon pendant toute la campagne.

Le matin, j'avais rencontré le colonel du Régiment qui m'avait présenté au peloton de reconnaissance, comme volontaire souhaitant aider les troupes américaines. Ensuite, je me suis familiarisé avec ma carabine dans le pied d'un vieux chêne. "

Entre-temps, l'attaque lancée le matin sur Gathemo par les trois bataillons du régiment, avait enfin abouti à l'investissement de la bourgade. L'après-midi, nous fûmes chargés de contacter une compagnie en action de l'autre côté du bourg, vers Vengeons. Nous avons traversé Gathemo que j'eus du mal à reconnaître : école, église, habitations, ateliers, tout avait souffert de la bataille ; des tôles ondulées pleines de trous et de déchirures gisaient un peu par-tout. Nous sommes passés à côté d'un canon de 88 avec son servant mort plié en deux sur l'affût. Nous marchions maintenant le long des haies, entre des groupes de soldats qui revenaient, certains ramenant des prisonniers pâles, comme des morts sous la sueur et la crasse qui leur striaient le visage. "

" Une rafale d'obus tomba tout autour et nous contraignit à nous aplatir dans un chemin creux. Après avoir avancé encore, nous nous sommes trouvés " au contact ", protégés par les creux d'un petit taillis, avec les balles qui passaient dans les feuilles au-dessus. C'est là, que j'ai appris à distinguer le martèlement des " machine-gun " américaines des rafales plus pressées des mitrailleuses ennemies. "

" Puis, nous sommes arrivés dans une cour de ferme déjà transformée en poste de secours, avec plusieurs blessés sur des civières. Notre radio envoya au P.C. du régiment un message qui traduisait l'âpreté de la bataille : les Allemands reculaient, tout en se battant avec acharnement d'une haie à l'autre. "

" Le soir, je creusai mon premier " fox-hole " (abri individuel), mais j'eus bien du mal à y trouver un peu de sommeil malgré la fatigue. Cela s'arrangea dans les jours qui suivirent, mais Sourdeval ne fut libéré que le 13 août par le 110 th Régiment. Et ces journées parurent bien longues ! " (Témoignage A. Debon ).

.4 Dans le même secteur, au Nord-Est de Gathemo, Michel Tauzin connaît une première expérience encore plus rude avec le 110e Régiment, descendant vers le Sud-Est, en direction de Vengeons :

" Dans l'après-midi du 9 août, séparé d'André Dehon, je fus équipé d'un paquetage plutôt encombrant et d'une carabine, puis conduit en jeep aux avant-postes du 110` Régiment : c'était dans un bois que je situai en bordure de la route de Vire, un peu au Nord du bourg de Gathemo. Des tirs incessants d'armes automatiques crépitaient non loin du groupe d'hommes accroupis sous les arbres où je fus accueilli par un jeune soldat, parlant parfaitement le français. Il présenta le " french-boy " à ses camarades, m'initia au maniement de ma carabine, m'expliqua l'utilisation des rations contenues dans mon équipement et me parla de lui : Américain de fraîche date ayant passé ses premières années à Marseille.

" Des tirs d'artillerie s'abattaient parfois, à proximité, tandis qu'un opérateur du groupe maintenait un contact téléphonique sous l'indicatif maintes fois répété de Honeymoon Blue ".

Dans la soirée, nous avons creusé pour chacun d'entre nous, un trou rudimentaire et y avons passé la nuit en cette position d'attente, dans le calme revenu... "

" Le lendemain matin, nous avons traversé le bois aux branches fracassées et nous avons progressé prudemment vers le Sud à l'abri des talus boisés,

rejoints par d'autres colonnes, souvent plus exposées que nous, tandis qu'un canonnade persistante avait repris sur les hauteurs de Gathemo à notre droite. "

" Après plusieurs haltes, un petit chemin creux nous conduisit à une route tournant en épingle à cheveux. Au moment de l'aborder, une déflagration étourdissante nous cloua sur place, plaqués au sol par un réflexe immédiat. En me relevant, encore tout assourdi, j'aperçus devant moi des soldats restés à terre. I:n quelques instants, des infirmiers emportaient les blessés sur un brancard et je vis ainsi évacuer mon équipier " marseillais ".

La progression reprit sans attendre. Au franchissement de chaque haie, nous étions pris sous le feu de tireurs ennemis dont les emplacements avaient été soigneusement préparés. A chaque virage des sentiers, des rafales nous atteignaient et, pour ramper plus facilement, je dus abandonner sur place mon trop volumineux paquetage. On reprenait souffle en des endroits mieux protégés où je pus à plusieurs reprises obtenir auprès des paysans des renseignements que je communiquais aussitôt, sur les emplacements dangereux, les effectifs ennemis et l'importance de leur armement. J'ai pu aussi démasquer un Allemand, en habit civil, qui nous proposait de l'eau. mais dont l'accent ne pouvait m'abuser et qui fut fait prisonnier. "

" Laissant de nombreuses victimes dans notre avance, nous avons fini la journée dans un pré en bordure d'un carrefour complètement défoncé où un véhicule allemand et ses occupants avaient été déchiquetés - carrefour où une route pour Sourdeval croise celle conduisant de Gathemo à Vengeons. "

" C'est là que l'on m'apprit la mort de mon équipier " marseillais ", tué dès le lendemain de notre rencontre, avant même que j'aie pu retenir son nom. "

" Ainsi, restent gravées en ma mémoire ces premières journées de guerre sous l'uniforme américain " (Témoignage de Michel Tauzin).

Sur tout ce front entre Gathemo et Chérencé, les combats sont incessants, avec des avances américaines ponctuées de reculs partiels quand les difficultés sont trop fortes :

" Les combats sont particulièrement violents à 15 h (le 9 août) autour des fermes de la Fosse et de la Villenière. Ces dernières brûlent ainsi que celles de la Berrrurie. Le Fougeray est en ruines. Le bourg de Perriers-en-Beauficel subit de gros dégâts. ".

Au centre, bataille indécise : l'aide populaire

Les Allemands tiennent toujours solidement le Mont Furgon. Par contre, entre Le Mesnil-Tove et Bellefontaine, ils abandonnent progressivement la Bénardière, la Provotière, sous les coups tenaces de la " Task Force I " qui arrive près de son objectif : Le Grand Doué.

Les pertes sont lourdes. les effectifs renouvelés : chaque barrage, chaque ferme sont défendus pied à pied, avec l'aide de chars.

Le barrage américain du Neufbourg tient toujours sans faiblesse, mettant en échec le régiment " der Führer ", de même la cote 285 avec des moments bien difficiles. Les Allemands multiplient les attaques et leurs infiltrations

conduisent à des situations où les adversaires se côtoient sans cesse. Romagny est l'objet de combats indécis jusqu'au soir du 10 où le village tombe enfin aux mains (les troupes américaines, après une lutte de haies très dure et meurtrière.

Sur la cote 314, le " bataillon perdu " 2e bataillon du 120e R.I. est toujours encerclé, manquant de vivres, d'eau, de médicaments, de munitions, mais irréductible. Une liaison radio est conservée avec le régiment. Les hommes, comme les officiers ne veulent rien céder. l)u sommet de la colline Saint-Michel, les observateurs américains ont vue sur toutes les voies environnantes. Toutes les heures, dix minutes sont consacrées à informer le P.C., et l'artillerie, très active et très précise, est pour eux une précieuse auxiliaire qui les aide à déjouer toutes les attaques allemandes. En désespoir de cause, les nazis leur envoient des émissaires avec un drapeau blanc leur demandant de se rendre sous peine d'être " anéantis ".

" La demande est immédiatement rejetée par le lieutenant Rohmiller et le sergent Wingatte qui répondent à leur interlocuteur : " Allez au diable et maintenant fichez le camp de cette colline si vous ne voulez pas qu'on vous descende ! " "

Cette offre est cependant transmise au lieutenant Kerley qui déclare que " ses hommes combattront jusqu'à ce que leur dernière cartouche soit tirée et que leur dernière baïonnette soit brisée dans un ventre hoche. ".

La nuit suivante une attaque allemande appuyée par des tanks est repoussée. Les hommes, conscients du rôle important qu'ils jouent, se battent sans faiblesse.

Le 117e R.I. tente de reprendre Saint-Barthélemy sans y parvenir mais au Sud. une autre unité arrive, le 10, à proximité du carrefour de la " Tête à la Femme ", avec l'appui de l'artillerie et en sacrifiant 12 tanks.

Le 10 au soir, les Allemands sont sur la défensive dans Mortain qu'ils ont largement réinvesti et où ils se sont fortifiés, les troupes américaines leur faisant face aux abords de Romagny, au Neufbourg et le long de la route de Saint-Barthélemy.

L'appel aux résistants français et aux patriotes est illustré par quelques épisodes dans cette zone sensible de la contre-attaque allemande.

Malgré l'échec de l'offensive blindée ennemie sur la route de Saint-Barthélemy à Juvigny, transformée en cimetière de tanks, les Américains restaient soumis à des barrages d'artillerie très efficaces et ils cherchaient à les localiser, avec l'aide de quelqu'un connaissant bien le pays.

Un volontaire se présente. C'est Victor Guérinel, artisan de Saint-Barthélemy, replié à Beffuveille, combattant de la guerre 1939-1940, fervent patriote, bien informé grâce à son poste de radio clandestin. Il connaît parfaitement les environs de Saint-Barthélemy et toute la région. Ainsi lui est-il facile de situer sur carte les batteries allemandes, notamment celles qui sont camouflées dans les bois d'Eron et de la Doisnellière. C'est l'aviation qui fait le travail de destruction. sur les indications de Guérinel qui. chaque jour, à partir du 8, est mis à contribution par l'État-Major américain.

De son côté replié au Mesnillard, René Untereiner, responsable local de l'O.C.M., a des relations étroites avec les officiers de liaison de la 30e D.I.U.S. le lieutenant Lechavalier et le lieutenant anglais Eric Thorner ".

Le jour de la contre-offensive, sa femme, restée à Mortain s'est réfugiée à Romagny, avec son fils. Dans la ferme qui l'abrite, les S.S. la considèrent comme suspecte. Elle est brutalement interrogée, la tête plongée dans un seau d'eau. Enfermée dans une grange avec son fils, elle subit un bombardement, un obus tombe sur la grange. Elle est blessée, mais sauvée, car les S.S. ont disparu et elle peut rejoindre Le Mesnillard tant bien que mal.

Encerclés sur la colline Saint-Michel, les soldats américains du 2e bataillon n'étaient pas seuls. Neuf Mortainais dont trois enfants ont partagé leur sort, les mêmes privations et les mêmes angoisses. Mais ces civils surent aussi apporter leur contribution, à leur manière, à la défense de la cote 311.

" Les hommes du " bataillon perdu " durent se nourrir en partie de pommes de terre et de choux arrachés dans un champ voisin. Un grand nombre de blessés moururent, surtout de gangrène et par suite de manque de soins : mais quelques-uns furent sauvés par les neuf Mortainais qui. surpris par la soudaineté de l'attaque allemande, s'étaient réfugiés dans les bâtiments de la ferme de l'Ermitage et partagèrent avec les soldats les souffrances du siège. Nos compatriotes tuèrent leurs volailles et purent trairent les vaches. C'est " à ce peu de lait et de viande, à ce bouillon de poule et de lapin que survécurent des blessés. condamnés à une mort certaine ", devait écrire, quelques jours plus tard, dans le journal de l'armée " Stars and Stripes ", le correspondant de guerre Earl Mazzo qui rendait ainsi un légitime hommage à cette " poignée de Français ".

Au Sud avec les résistants, reconquête du terrain perdu

A Notre-Dame-du-Touchet, les environs du carrefour de la Croix-de-Pierre sont l'objet d'attaques et contre-attaques. Dans cette zone, les adversaires ont reçu des renforts de part et d'autre. Devant l'échec de la percée par la vallée de la Sée, des tentatives plus sérieuses sont faites dans la vallée de la Sélune. Les Américains perdent de nombreux chars le 9 août puis attaquent à nouveau, le soir depuis la Sélune avec plus de succès, en direction de Saint-Jean-du-Corail.

Dans la région de Notre-Dame-du-Touchet et Bion, les F.T.P.F. de Fougerolles développent une forte activité. inquiets de la contre-attaque allemande. ils ont envoyé un groupe le long de la route Saint-Hilaire-Domfront, un moment menacée : " Une patrouille du groupe est envoyée aux renseignements (toujours en liaison avec l'État-Major cantonné à Fougerolles) par le chef de groupe ; elle comprend Philippe Raymond, Jean Duclaux et Paul Bancals ; s'infiltrant dans les lignes allemandes, elle parvient jusqu'à un kilomètre au-delà du Touchet (Manche). Philippe descend à la mitraillette un " frisé " en observation dans un arbre ". Ceci se passait le 9 août. Le 10 août, le même groupe rapporte des renseignements précis sur une concentration de chars allemands à Bion. Une autre patrouille est encore formée le 11 aux abords de Bion. A partir du 12, c'est le repli allemand et les Fougerollais continuent leur périple dans la Manche jusqu'à Gavray " pour une liaison importante ".

Au Nord de Barenton, les troupes américaines accentuent leur pression en direction de Ger pour déloger les Allemands des hauteurs où ils se sont retranchés. Elles parviennent au sommet de la côte des Chesnais et prennent possession, plus à l'Est, de Saint-Georges-de-Rouelley : les nazis s'accrochent sur les crêtes malgré des assauts répétés. Les Américains laissent 43 morts dans une embuscade au défilé de la Fosse-Arthour.

Dans la nuit du 9 au 10 août, la Luftwaffe resurgit, lance sur le Teilleul et la région des bombes à retardement qui, quatre heures plus tard, font 9 morts et 30 blessés parmi les civils - Émile Bizet est blessé et évacué, mais seulement après avoir revu le capitaine Mackaley qui se montre satisfait de sa collaboration avec les résistants locaux :

" Depuis trois jours. je n'ai pas perdu un seul homme. Nous avons pourtant opéré une sérieuse avance, nous avons enrayé la contre-attaque boche, mais grâce à l'appui de votre groupe, je dois le reconnaître, nous combattons avec le maximum de sécurité cet ennemi commun, ces nazis qui seront bientôt vaincus. Merci encore et vive la France ! "

Cette bonne collaboration devait se poursuivre dans les jours qui suivent. Cette anecdote en fait foi :

Le 11 août 1944, en début d'après-midi, M. Maurice Allain, du Teilleul, alors âgé de 24 ans, membre du groupe de résistance de cette commune, était emmené en jeep, à 16 km de là, à Romagny :

Une trentaine de chars américains y étaient concentrés en vue d'appuyer l'attaque des fantassins du 320e R.I. U.S. massés autour de la gare de Bion, afin de reprendre la Cote 314 (La Montjoie) qui domine Mortain à l'est.

" Les blindés démarrèrent des Sept Croix, hameau situé sur la route qui va de Buais au carrefour des Closeaux entre Mortain et Romagny.

" Ils quittèrent cette voie et s'enfoncèrent à travers champs vers l'est. Après avoir franchi la ligne de chemin de fer entre la maisonnette des Closeaux et la gare de Romagny, ils s'immobilisèrent à proximité des fermes des Aulnays et des Renaudières, à l'endroit où se trouve actuellement une des usines de l'Acome.

" L'un des chars commandé par un jeune lieutenant, qui parlait bien le français, et où avait pris place Maurice Allain (en civil) fut chargé de partir en reconnaissance vers Mortain.

" Il gagna la grande route qu'il parcourut à vive allure jusqu'au carrefour de la Croix des Sept Cœurs, puis monta doucement l'avenue, longeant les platanes jusqu'au carrefour de Bonvent. ll fit une embardée qui le projeta sur le trottoir face à l'Hôtel Saint-Michel.

" L'équipage tira alors en direction de la ville. Le Sherman se replia à la suite d'un nouvel ordre, vers les Sept Croix, d'où une jeep ramena Maurice Allain au Teilleul. La mission de reconnaissance avait été accomplie. " (La Manche libre, 21-08-1977).

Le P.C. de Constant Dauvergne, de Barenton, est installé à partir du 6 août chez Maxime Lecrosnier, au village de la Roche. Pendant cette période le groupe effectue, pour le compte des troupes américaines, de nombreuses reconnaissances auxquelles participent notamment les gendarmes Vasselin et Gougeon.

" Au cours d'une reconnaissance le 7 août à l'ouest de Barenton, un de mes hommes, qui s'appelait Fermin, fut fait prisonnier. Emmené dans la région de Ger, il fut enfermé dans un bâtiment de pisé dont il s'évada en perçant le mur. Il retraversera les lignes pour revenir au P.C. rapportant de précieux renseignements sur les emplacements de batteries ennemies. " (Déclaration de Constant Dauvergne, 11 novembre 1966).

En rapport avec un officier de liaison français, Dauvergne intervient également pour faire interner le membre du R.N.P. Marcel Boulland, collaborateur notoire qu'il jugeait " dangereux " pour la sécurité des troupes. Douze Allemands sont capturés à la Fosse Arthour par les F.F.I. du secteur.

Le groupe Blida de Saint-Cyr développe une grande activité pendant ces journées de lutte intense.

Le 8 août, Fouqué et Georges Roulette attaquent un side-car ennemi isolé dans la côte des Epinettes, tuent le conducteur et récupèrent les amies et le matériel.

C'est au cours de cette journée que les résistants se dispersent afin de faciliter l'orientation de diverses formations américaines. Deux hommes disparaissent (Maurice Lebigot et Roger Geoffroy) alors qu'ils sont en faction entre Saint-Roch et Rouellé. Personne n'eut plus jamais de nouvelles de ces deux résistants.

5 - La Manche totalement libérée (11-14 août)

Le 10 août au soir, les Anglais et Canadiens venant de Caen sont à 7 km de Falaise. Patton a pris possession de Nantes, du Mans et commence le siège de Brest et de Lorient. La Bretagne a été presque complètement libérée. grâce à l'appui des troupes F.F.I., avec des effectifs U.S. très faibles. Les avant-gardes américaines avancent vers Alençon. La menace de tenaille sur la 7` armée allemande se précise et le col de la poche se resserre.

" Des Allemands, attablés dans la cuisine de M. Heuzé à Saint-Clément. ont mauvais moral après leur repas de volailles arrosé de Calvados et s'écrient : " Guerre mauvaise. Guerre finie - Carousel dans deux mois ! " (G. Buisson. Mortain dans la bataille de Normandie).

Von Kluge, après avoir consulté ses officiers, pense que la contre-offensive allemande a échoué et, malgré l'avis contraire d'Hitler, se met d'accord avec Eberbach pour regrouper la Ve armée au Nord d'Alençon.

Le 11 août, dans la région au sud de Vire, le 115e R.I. américain, qui a perdu plus de la moitié de ses effectifs, est relevé par la 175e. Tandis que le 112e se bat en direction de Vengeons, sur la crête, le 109e oblique vers le Sud en direction de Bauficel et Brouains. L'avance est gênée par de violents combats d'arrière-garde, pour couvrir la retraite allemande.

Après un simulacre de contre-attaque à Saint-Barthélemy et au Neuf-bourg, c'est le décrochage du régiment " Der Führer " et sa retraite qui commence. Même stratégie un peu partout. Mais l'artillerie allemande reste très meurtrière.

Le commandement allié fait appel à nouveau à Victor Guérinel qui accepte de faire une reconnaissance en avion - Dans la demi-heure qui suit, quatre chasseurs se posent à Mesnil-Rainfray - Guérinel monte dans la carlingue de l'un d'eux : " observateur improvisé, il a vite fait de repérer la position de 8 batteries qui retardent la progression américaine. Au passage, il reconnaît le Château de Larturière tout entouré de pièces d'artillerie et de mitrailleuses. Grâce à ses pressantes sollicitations près du commandant allié, il évite la destruction du château. ".

Ainsi renseignés, les bombardiers américains anéantissent l'artillerie allemande et préparent une attaque sur la côte des Sept Cœurs. Afin d'éviter des destructions inutiles, Victor Guérinel les amène à adopter une autre tactique préconisant deux colonnes qui, partant de Saint-Clément et Bourberouge, se rejoignent entre Bion et Saint-Clément.

Des groupes de S.S. se cramponnent aux points névralgiques jusqu'à épuisement de leurs munitions pour retarder l'avance des Alliés. C'est le cas à la gare de Romagny. Mais dans la nuit du 11 au 12. la retraite allemande s'opère sous une protection aérienne de la Luftwaffe. Enfin le 12 août, Mortain est totalement libéré et la jonction est réalisée avec la cote 314. Les hommes du 1er Bataillon, épuisés par leur longue résistance, sont immédiatement relevés par le 119e R.I. Ainsi prend fin une action marquée d'innombrables actes héroïques.

Mais à l'hôpital de Mortain, la journée du 10 avait été marquée par des événements inquiétants : Chanoine Blouet en tête, personnel et malades furent accusés d'espionnage en faveur des Américains et d'être en rapport avec les combattants de la cote 314.

L'énervement des Allemands était tel qu'on pouvait craindre le pire lorsqu'ils emmenèrent avec eux hommes et femmes valides, en tout 21 personnes. Finalement, après bien des tribulations, ils seront libérés par l'avance alliée le 16 août, dans l'Orne.

L'avance alliée s'accélère. Sourdeval, qui a énormément souffert des bombardements, ainsi que toute la région, est libéré le 13 août en même temps que Ger. C'est entre Ger et le Fresne-Poret que André Debon fait son premier prisonnier avec Irving Ruckens :

" Nous traversions un hameau à pied, en file indienne, lorsqu'une paysanne accourt vers les soldats qui me l'envoient. Elle me dit : " Il y a un S.S. chez nous. Méfiez-vous car il dit qu'il ne se rendra pas et qu'il brûlera jusqu'à sa dernière cartouche. il est attablé avec mon mari dans la cuisine. Allez-y doucement, il ne se doute de rien. "

" Avec Irving, nous avons longé une haie, traversé le jardin. Puis nous avons fait irruption dans la cuisine et l'avons mis en joue. Il n'a rien pu faire, car il était assis à table. Alors il s'est mis debout et a levé les bras. Il avait son fusil près de la fenêtre, mais aussi un P38 dont j'ai hérité. C'était un pur S.S., de la 2e P.Z., méprisant imbu de la supériorité aryenne, persuadé que si nous gagnions c'était uniquement à cause de l'abondance du matériel. "

Ce S.S. oubliait que la victoire allemande en 1940 était essentiellement due à la supériorité mécanique, terrestre et aérienne : " Foudroyés par la force mécanique, nous pourrons vaincre par une mécanique supérieure ", avait prédit le Général de Gaulle dans son appel du 18 juin 1940.

Au Sud, de durs combats ont lieu les 11 et 12 août pour la possession des hauteurs de la Lande-Pourrie dans les régions de Rancoudray et du sud de Ger. Le 13, le nettoyage de la Lande se poursuit. Deux Alsaciens, évadés de la division " Das Reich " depuis 10 jours, se présentent en civil aux Américains.

Ils avaient été hébergés et habillés par M" Abraham, à la Fieffe Azile, qui les avait occupés à la moisson à ses risques et périls.

Le groupe de Barenton continue à prêter son concours aux unités américaines jusqu'au 16 août, contribuant au " nettoyage " des poches et à la capture d'ennemis isolés.

Mais, malgré quelques combats d'arrière-garde et les chemins infestés de champs de mines, la Manche est totalement libérée le 14 août au soir.

La bataille continue jusqu'aux environs du 20 août dans les départements limitrophes, visant à l'anéantissement de ce qui reste de la VIIe armée allemande dans la " poche de Falaise ".

Pendant toute cette période de la première quinzaine d'août, la collaboration entre la population et l'armée américaine a été très importante : et il est difficile de répertorier tous les actes individuels d'aide aux fantassins et aux aviateurs américains abattus. Par exemple, au Teilleul, du 24 juillet au 2 août, Ernest Laisney hébergea des aviateurs ainsi que Constant Besnard, de Buais, courant août. Un nombre important de personnes de toute cette région ont fourni aux Américains en ligne, une grande quantité de renseignements sur l'ennemi.

ÉPILOGUE

Fin de la bataille de Normandie :

La bataille continue dans les départements limitrophes, jusqu'aux environs du 21 août. L'objectif de l'État-Major de Bradley, c'est l'anéantissement de ce qui reste de la VIIe Armée allemande, en l'enfermant dans la poche de Falaise.

Les Anglais et les Canadiens au nord, les Américains de la Division Leclerc au sud, s'efforcent de resserrer l'étau. Cependant, les Divisions allemandes en déroute, essentiellement formées de S.S., livrent de furieux combats d'arrière-garde.

Dans la Mayenne et l'Orne, la Résistance, avec ses moyens, contribue à l'écrasement des forces de Hitler.

Contrairement à la Manche, ces deux départements avaient de bonnes liaisons avec le C.O.M.A.C. ; elles bénéficiaient de l'implantation du S.O.E., de la présence de Claude de Baissac en Mayenne et de l'appui de missions S.A.S. comme celle qui fut parachutée à Tourouvre, fin juillet.

En Mayenne : la libération du nord du département s'effectue au début d'août, à la suite de la percée d'Avranches. Comme en Ille-et-Vilaine, la Résistance assure le nettoyage après le passage des armées alliées. Les 150 hommes du maquis de Saint-Mars-du-Désert, avec le Commandant Grégoire, sont à la pointe des combats de la Libération, ainsi que les 50 hommes des groupes de Bais : ils bénéficient de l'appui appréciable du S.O.E.

Le 8 juillet. de Fougerolles, " Yves Moreau et René Lereide sont ù nouveau envoyés vers Mayenne, pour franchir les lignes. Mais la résistance allemande s'est durcie ; cette fois, il leur sera impossible de franchir la rivière Mayenne ; la lutte est dure, elle se prolongera plusieurs jours, ".

Aux confins de l'Orne et de la Mayenne. après les combats de Lignièresla-Doucelle, les maquisards constituent de petites unités réduites à 4 ou 5 hommes, très mobiles. Recherchés par les Allemands dans la région de Saint-Pois, les frères Porée sont passés en Ille-et-Vilaine, puis en Mayenne. A la Libération, Roland Porée se trouve dans le secteur de La Baroche-Gondoin, Chevaigné-du-Maine, Les Chapelles. L'artillerie allemande ne peut défendre Javron, car les Résistants, aidés par les paysans du voisinage, ont enlevé tous les obus du dépôt (Témoignage de R. Porée). Son frère Marius, arrêté par les Allemands, le 13 juillet. est emmené à Mayenne. Ensuite, on ignore tout de son tragique destin.

Dans l'Orne : unifiée sous le commandement d'André Mazeline, la Résistance ornaise avait bénéficié de nombreux parachutages du B.O.A., sur une vingtaine de terrains. L'A.S. comptait 1.500 combattants " théoriques ", 350 en réalité, mais avec un encadrement valable. Les F.T.N.. pour leur part, étaient une centaine d'hommes armés, surtout à Flers et Argentan, que Mazeline estimait " d'excellente valeur ". Libé-Nord était présent dans la région de Flers, avec 120 hommes.

Du 6 juin au 20 août, un solide bilan a été obtenu : Mazeline estime que 501 véhicules ont été atteints, 464 ennemis mis hors de combat, et 2.282 fait prisonniers. L'aide fournie aux Alliés au mois d'août est importante.

Venant de Saint-Mars-d'Egrenne, l'armée américaine atteint Domfront le 13, avec la participation du Capitaine Lefèvre et de ses groupes. Du 13 au 21, le nettoyage va se poursuivre à l'intérieur de la " poche " de Falaise, au nord et au sud d'une ligne Domfront-Argentan.

La 2e D.B., après avoir libéré Alençon le 12 août, se dirige vers le nord ; sa coopération avec la Résistance intérieure permet au Général Leclerc de raccoucir l'itinéraire prévu : par des chemins différents, trois colonnes tactiques traversent la forête d'Ecouves, guidées par les F.F.I., avec Mazeline en tête de la première colonne. Elles sont protégées sur leurs flancs par des maquis locaux, qui font 200 prisonniers. Au soir du 12 août, Leclerc atteint Ecouché, à l'ouest d'Argentan, coupant ainsi la route Granville-Paris.

L'armée allemande ne peut éviter l'encerclement : le 13, les Américains sont à Argentan, le 14 à Le Bourg-Saint-Léonard ; à 5 km, c'est Chambois, l'unique sortie de la poche de Falaise.

Lcs Combats décisifs : ils ont lieu du 15 au 21 août, autour d'un vallon qui joint Chambois à Vimoutiers, à une quinzaine de kilomètres au nord-est d'Argentan.

Les Allemands eux-mêmes ont appelé ce vallon le " couloir de la mort " c'était leur seule issue pour tenter de rejoindre la Seine. Les troupes nazies fanatisées, qui ne s'étaient pas rendues auparavant, cherchèrent à s'engouffrer, avec leur matériel, dans le G.C. n° 16, de Chambois à Vimoutiers, dans l'étroit chemin de Moissy à Coudehard. Ce fut un carnage car l'aviation et l'artillerie alliés avaient fini par tout bloquer, transformant cette région en un véritable cimetière de maté-riel. Tout cela n'alla pas sans mal car les S.S. déployaient une énergie farouche dans leur défense : au bois de Boisjos, encerclé six jours par les Allemands, la 1re D.B. polonaise a résisté trois jours à des dizaines d'assauts, perdant les 9/10 de ses effectifs ; seuls 70 hommes en sont sortis valides et il ne restait aucun officier.

Le recensement fit apparaître que gisaient là les débris de 22 grandes unités allemandes, dont seuls les éléments les plus rapides avaient pu gagner et franchir la Seine.

La libération du territoire

L'anéantissement de la VIIe armée allemande du Général Hausser, achevé le 22 août, permet aux Canadiens et aux Anglais d'atteindre rapidement Rouen.

Le 24 août, le Capitaine Dronne et les premiers éléments blindés de Leclerc entrent dans Paris qui s'est insurgé, et où les F.F.I. tiennent l'Hôtel de Ville.

La reddition de Von Choltitz est signée conjointement par le Colonel Rol-Tanguy pour les F.F.I. et par le Général Leclerc pour la 2e D.B., en présence de Chaban-Delmas, délégué militaire national.

Des Résistants de la Manche se sont engagés dans la 2e D.B. ; d'autres, tels Louis Launay, Tauzin, Debon, Faverie, Lepenant. Vauzelle, Letellier, Glastre, etc. intégrés dans les unités de reconnaissance américaines, assurent les contacts avec la population et les résistants locaux. Partis de Mortain, ils iront jusqu'à la ligne Siegfried, puis quitteront l'armée américaine pour s'engager dans les unités régulières de l'armée française en reconstitution.

Le 24 août, à Corbeil-Essonne, il est impossible de traverser la Seine. Marcel Faverie, de Barenton, endosse ses vêtements civils, se renseigne, revient avec les informations, puis reprend l'uniforme américain. Les jours suivants, il est à Paris :

" Le 26, le groupe (il s'agit de celui de Fougerolles) est en place, avenue des Champs-Élysées, pour assister au défilé et au passage du Général De Gaulle. Quand commence le feu ouvert par les miliciens, tous s'empressent activement d'y répondre vers le théâtre et le restaurant Marigny. Un milicien sera abattu "...

Les risques étaient grands pour ces guides toujours à l'avant-garde. Marcel Faverie n'utilisera ses vêtements civils qu'une seule fois ; car ils se seront volatilisés, avec la jeep pulvérisée sans ses occupants !

Jean Vauzelle est tué le 29 août 1944 alors qu'il patrouillait avec un camarade français, de la région de Domfront et un soldat américain près de la Patte d'Oie d'Herblay.

Alfred Glastre, de Saint-Lô, guide les Américains, sans difficulté, par Le Mesnillard. Notre-Daine-du-Touchet ; mais à l'entrée de Mayenne, une première jeep est détruite par l'artillerie adverse. Un G.I. est tué en déminant le pont.

Dans la seconde jeep, un lieutenant américain est tué à côté de Glastre, qui, lui, se retrouve dans un ravin, blessé par un shrapnell, et prisonnier des S.S.

Après Rennes, Souchard et le groupe de Saint-Laurent-de-Terregatte continuent vers Le Mans et Paris. Le 12 août, ils repartent de Nogent-le-Rotrou.

" Nous sommes repartis dans l'après-midi. A la Fourche, 8 km plus loin j'ai aperçu un Allemand couché sur le bas-côté ; j'ai vidé tout le chargeur de ma Sten. Souchard a stoppé le véhicule et la bagarre a commencé. Guénée, à lui seul, avec le ,fusil-mitrailleur, nous a permis de décrocher, en abandonnant le véhicule, sinon, nous étions tous massacrés par les Allemands, beaucoup plus nombreux que nous, cachés un peu partout. Auguste Thébault (18 ans à peine) et Gaston Lebigot (36 ans) furent tués.

En 1946, la Cours de Justice d'Avranches jugea Panzani, qui s'était conduit en " gauleiter " du Mortainais. Il faut acquitté, faute de preuves suffisantes dans l'exécution de François Bideau. Les trois tueurs du P.P.F. ayant été retrouvés, jugés et condamnés, dénoncèrent l'instigateur de ce lâche assassinat et, en 1948, Panzani fut condamné par la Cour de Paris.

Mis à part Granville, qui avait moins souffert, les petites villes et les gros bourgs du sud de la Manche étaient détruits de 50 à 80 %. Sourdeval, Mortain et plusieurs petites communes rurales étaient anéanties.

Il fallait ravitailler, reloger provisoirement les sinistrés, rétablir les ponts et les voies de communication. Edouard Lebas fut aidé dans cette tâche par le Comité Départemental de Libération, et par le dévouement du personnel de la Préfecture, formé essentiellement de Résistants.

Préfet de la Résistance, il était aussi, hélas ! Préfet des Ruines. De plus, l'hiver 1944-1945 fut particulièrement rigoureux.

Malgré le courage des démineurs, les engins de guerre continuèrent de faire des victimes, particulièrement parmi les enfants.

Ce n'est qu'après le 8 mai 1945 que commence le retour des requis du S.T.O.. des prisonniers et des rares rescapés des camps de concentration. C'est alors qu'on apprit l'étendue de cette entreprise de déshumanisation engendrée par le nazisme.

Les destructions, les souffrances et les deuils accumulés pendant les quatre années de l'occupation et à la Libération ne doivent pas nous faire oublier les sacrifices et les pertes considérables de nos Alliés sur tous les fronts (est, ouest. Pacifique) sans lesquels nous n'aurions pu retrouver la liberté.

" Un .fermier, avec une charrette à chevaux, nous a conduits à l'hôpital de Nogent-le-Rotrou ; car nous étions tous plus ou moins blessés : Brard, une balle dans la mâchoire, Guénée, une balle explosive dans la,fe.sse : soignés sur place, puis à Paris, ils s'engagent dans l'armée française le 19 septembre. "

(Témoignage de Lucien Brard - Louvigné-du-Désert).

Pendant ce temps, la 1re Armée de De Lattre et la 8e Armée américaine débarquent en Provence le 15 août, libèrent Toulon, Marseille, et remontent la vallée du Rhône. Partout, leur avance est facilitée par les F.F.I. qui multiplient les sabotages et harcèlent l'occupant.

Quand les troupes débarquées en Provence font la jonction avec celles venues de Normandie, des dizaines de milliers d'Allemands sont pris au piège. Des résistants du Calvados, après un entraînement rapide en Angleterre sont parachutés sur les arrières de l'ennemi. (Information fournie par André Heintz, de Caen).

Deux cartes, en annexe, provenant du G.Q.G. allié soulignent l'importance des zones libérées par la Résistance Intérieure.

L'intégration des F.F.I. dans l'armée française

Après s'être rassemblés à Cérences, les Résistants et d'autres jeunes volontaires rejoignent le Bataillon de Marche qui, à Teurthéville-Hague regroupe tous les F.F.I. de Normandie. Parmi les officiers de cette formation, citons Blouet, Rouault, Gresselin, pour la Manche, Lefèvre et Mazeline pour l'Orne, Robert Le Blanc et Marcel Baudot pour l'Eure, etc.

A partir des îles anglo-normandes, encore occupées, les Allemands tentent un raid sur la Hague et un autre sur Granville. ils se maintiennent également dans les " poches " du front de l'Atlantique : Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, Royan ; ils y sont cernés par d'anciens engagés de l'armée régulière, parmi lesquels on retrouve Debon, Tauzin, Guénée, Brard, Julien Lamanilève.

Le 15 septembre, le reste de la France est libéré, hormis l'Alsace, qui ne le sera que le 23 novembre.

Le sud de la Manche après la libération

Quelques brimades se produisirent à la Libération ; mais il n'y eut ni torture, ni exécutions sommaires.

Les enquêtes demandées par les Comités Cantonaux de Libération furent effectuées par les gendarmes. Un certain nombre de collaborateurs furent jugés et condamnés par les Cours de Justice. Les plus marquants étaient partis dans le sillage de l'occupant ; certains furent retrouvés : d'autres condamnés par contumace.

Lenoury fut jugé à Avranches, début 1946. Il fut fusillé par un peloton de soldats venus à Granville, en l'absence de public, dans la carrière de Tertre Fouquet, à Avranches.

Inverse

CONCLUSION

Au terme de ce récit, nous aurons atteint notre objectif si nous avons pu convaincre le lecteur du fait que la Résistance dans le Sud de la Manche, fut effective, bien qu'on n'ait pu y trouver la trace d'un " maquis " digne de ce nom.

A partir de 1943, la présence de groupes, efficaces mais insaisissables, a préoccupé et déconcerté les services de police allemands, créé des problèmes non négligeables aux États-Majors des unités qui passaient ou stationnaient dans la région. Certes, sauf exception, les résultats peuvent paraître modestes sur un plan strictement militaire, mais ils furent très appréciables en raison du climat d'insécurité que ces actions ont créé et maintenu pendant plusieurs années.

Ils furent excellents dans le domaine du renseignement tactique pendant la période juin-août, jouant un rôle non contestable au moment des décisions militaires de juillet, de la stratégie de Patton lors de la percée d'Avranches.

Il serait intéressant d'apprécier exactement quelle a été l'incidence de la destruction des lignes téléphoniques et des coupures de voies ferrées qui ont été réalisées dans cette bande de 100 km au sud des plages du débarquement, les 5, 6 et 7 juin.

Très isolée dans les années 1941-1942, la résistance put s'appuyer progressivement sur une couche de plus en plus large de la population. Le traumatisme de 1939-1940 s'étant estompé, le constat des exactions et pillages de l'occupant permit d'amorcer le changement des états d'esprit. A partir de 1943, les succès de l'Armée Rouge ont fait renaître confiance et espoir ; ces sentiments ont été confortés par les débarquements Alliés en Afrique du Nord, puis en Italie. Dès avril 1944, le soutien populaire était devenu à peu près général et l'action résistante s'en trouvait facilitée. Les liens entre la population locale et les résistants sont restés vivaces encore aujourd'hui si l'on en juge par la sympathie qui se manifeste lors des diverses commémorations.

L'historien américain, Bradley F. Smith, professeur d'histoire au Cabrillo College, en Californie, a porté un intérêt tout particulier à la Résistance Nor-mande et il traite de ce sujet dans son livre : " The Shadow Warriors ". Cette même préoccupation l'amène, par ailleurs, à intervenir au colloque de Caen, organisé à l'initiative de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, en octobre 1984, sur le thème : " Normandie 1944 – Libération de l'Europe ". Dans son allocution, il résume comme suit son opinion sur l'apport de la Résistance Normande - et plu. particulièrement celle de notre région - avant et après l'opération " Cobra ".

" A la fin de la Bataille de Normandie, au montent de la percée des lignes ennemies, à la fin de juillet 1944, la Résistance Normande, comme sa voisine en Bretagne, joua un rôle très important dans la transmission d'informations tac-tiques aux troupes alliées qui avançaient, tout en détruisant le matériel utile à la retraite allemande et en préservant celui essentiel à l'avancée des troupes alliées. La Résistance, d'autre part, s'est jointe aux efforts des Alliés pour réduire les de fenses côtières, pour sauver des aviateurs, pour protéger les principales commodités des villes et villages ainsi que les couvres d'art et, enfin, pour fournir ale l'ill./imitation aux commandants des unités engagées, dans l'e.spoir qu'il serait fùit le moins de mal possible à la population.

" Par tous ces services héroïques, la Résistance Normande - bien qu'elle n'ait certainement pas reçu tous les honneurs qu'elle mérite a écrit un impressionnant chapitre sur le courage et l'honneur qui a marqué l'histoire française ".

L'historien s'étonnait ensuite que personne n'ait parlé jusqu'ici du côté anglais comme américain, de ce qu'a fait la Résistance pendant les semaines qui se sont écoulées entre le débarquement et la fin du mois de juillet où se préparait la percée des lignes.

Nous pourrions ajouter que, du côté français, les différents historiens sont restés, eux aussi, très discrets sur ce thème. Ainsi, des auteurs d'histoire régionale comme Marcel Baudot, ou même des historiens de niveau national ne mentionnent que peu de choses concrètes sur cette période précise de l'activité de la Résistance des départements de la Manche, du Calvados, de l'Orne et de la Mayenne. Certains, même, comme Robert Aron, règlent le problème en affirmant qu'il n'y avait pas eu à cette époque, de Résistance dans notre région normande.

il va même jusqu'à dire que ce n'était pas possible du fait que les troupes d'occupation y étaient " trop nombreuses " et que le " terrain " ne s'y prêtait pas. Ce à quoi Bradley F. Smith réplique : " Il apparaît de façon absolument claire que la principale raison pour laquelle la Résistance n'a pas été davantage utilisée pendant la bataille réside dans le fait que le commandement militaire américain n'a pas essayé de le faire. "

La vérité oblige à dire que la Résistance n'était pas alors acceptée comme force combattante par les officiers dont la formation s'accordait mal avec cette pratique de combat " irrégulier ".

L'application réussie, dans son ensemble dès la veille du débarquement, des plans Violet et Vert, puis du plan Tortue, la valeur des informations fournies dans le cadre des missions de renseignement Helmsman et Kœnig ont eu finale-ment pour conséquence une modification très sensible de l'état d'esprit de l'État-Major Allié à l'égard de la Résistance.

Nous avons pu suivre cette évolution au cours des pages qui ont précédé et nous la remarquons dès le début d'août 1944, dans le développement de l'opération Cobra, dans l'action coordonnée des groupes de Saint-James, Ducey, Saint-Hilaire, Landivy, Fougerolles avec les commandants d'unités engagées, dans la poursuite des missions Helmsman ou Kœnig, au cours de la bataille de Mortain ou de la poche de Falaise. Elle s'est affirmée dans l'est du Mortainais, dans l'Orne, la Mayenne et l'Ille-et-Vilaine, sans parler de la Bretagne tout entière, par des collaborations étroites, par la mise au point, entre autre, de répartitions de tâches entre l'armée régulière et les groupes F.F.I.

Des personnalités américaines et anglaises, acteurs responsables ou historiens, ont bien compris la nature et l'importance de l'apport de la Résistance dans les mois qui ont suivi le débarquement.

Nous avons déjà noté, à propos de la mission Helmsman, l'avis de M.R.D. Foot, sur " l'exceptionnelle valeur " des informations recueillies. Cet ancien membre du S.O.E. note d'ailleurs que le travail devint beaucoup plus difficile pour le S.O.E. comme pour le S.A.S. lorsque furent franchies les frontières linguistiques à l'est de l'Alsace.

Dans le livre qu'il a consacré à la Résistance en Europe, l'historien Bradley F. Smith analyse les effets de la lutte des F.F.I. à partir de juin 1944, en termes très positifs :

" Les commandants alliés, les Généraux Wilson et Eisenhower furent aussi profondément impressionnés par le constat de la puissance de la Résistance, dont les unités avaient obéi aux ordres du commandement allié, et avaient réussi à saboter la montée des renforts allemands en Normandie... Un message du 19 août du S.H.A.E.F. (État-Major) fit l'éloge de la "contribution substantielle " apportée à l'avance anglo-américaine, et Eisenhower lui-mente admit que l'action ale la Résistance en France avait été beaucoup plus efficace que les septiques ne l'avaient prédit. ".

Ultérieurement, Eisenhower a rendu hommage à la Résistance Française estimant à six divisions l'effectif allemand retenu par l'action des combattants sans uniforme, pendant cette campagne.

Citons, pour terminer, ces quelques phrases de Ralph ingersoll, Officier à l'État-Major de Bradley :

" Pour comprendre la liberté d'action dont Bradley jouit après avoir réussi à faire passer la 3e Armée sous le nez de l'ennemi, il faut interrompre un instant l'histoire des Armées anglo-américaines, pour rendre hommage aux Forces Françaises de l'Intérieur.

" Vue de loin, une armée clandestine est une chose romanesque qui se prête trop bien aux extravagances de la propagande de guerre. Aussi, tous ceux qui entrèrent pour la première fois en contact avec elle en France, furent-ils surpris de constater à quel point elle était efficace et bien organisée. Nous fûmes absolument séduits quand nous découvrîmes que la Résistance était, en fait, une chose si efficace, que 6 divisions entières de l'ennemi ne réussirent pas à la paralyser. Six divisions qu'en d'autres cas, nous eussions dû combattre dans le Bocage. Et les plus blasés furent convaincus, en apprenant de la bouche d'ofliciers ennemis que les Allemands vivaient clans la terreur. "

(Ralph Ingersol " Pour servir à l'histoire de ce temps ").

Si la Résistance locale fut efficace pendant ces longues semaines de l'été 1944 - plus de deux mois entre le jour " J " et la libération complète du sud de la Manche - c'est qu'elle avait pris naissance dès 1940.

Pendant les quatre années de l'occupation, malgré la densité des troupes allemandes, malgré une répression impitoyable, le mouvement minoritaire au début, alla s'amplifiant. Le soutien populaire devint à peu près général et, au soir du 6 juin, le Général de Gaulle pouvait déclarer :

" C'est la Bataille de France, et c'est la Bataille de la France. Pour les fils de France, où qu'ils soient et quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre l'ennemi par tous les moyens dont ils disposent. "

(Mémoires de guerre, tome II, p. 227).

A ceux qui contestent le rôle de la Résistance - s'il en reste - nous suggérons de méditer sur le texte suivant :

Le Général de Gaulle

La Résistance, ce fut la Défense Nationale.

9 miai 1948

Suivant les péripéties et les conditions terribles d'une guerre sans précédent, elle a pris toutes les formes, rassemblé toutes les tendances, utilisé tous les sacrifices. Mais elle fut, toujours et partout, un combat, un seul combat, pour la patrie.

La Victoire fut gagnée. La France a été sauvée. Maintenant, que le temps passe ! Que l'oubli monte ! Que les passions déferlent ! Nous avons fait notre Devoir.

G. de Gaulle (Annuaire des Médaillés de la Résistance).

UN CONDAMNÉ À MORT S'EST ÉVADÉ

par Louis PINSON

Pour éviter de subir le sort des habitants d'Avranches, la population quitta le bourg de Brécey. Aussi, depuis le 8 juin 1944, la famille Pinson et la famille de Mme Lecacheux, un professeur cherbourgeois, vivaient à la Maincendière, à l'écart des routes.

Pour ne pas attirer l'attention sur mes déplacements, je passais soit par un chemin de ferme, soit par une petite route.

Le samedi 29 juillet, si j'avais quitté la maison un peu plus tôt ou un peu plus tard, tout se serait bien passé. De même si j'avais pris l'autre itinéraire.

Personne ne m'avait dénoncé, seul un malencontreux concours de circonstances amena mon arrestation.

Samedi 29 juillet

J'avais rendez-vous avec Tardif, contremaître à l'entreprise Poulain. Un peu avant le carrefour Thomas, un camion allemand se camouflait sous un chataignier pour ne pas être remarqué par l'aviation alliée qui mitraillait les convois.

En pareil cas, si un cycliste continuait de rouler, les Allemands, craignant de se faire repérer, devenaient menaçants. Aussi, je descendis de bicyclette et je me préparais à longer le talus lorsqu'un soldat, descendant du camion, s'écria : " Terrorist ".

C'était l'un des neuf Allemands désarmés par nous le 8 juin (3 militaires Todt, 6 de la Wehrmacht). A son appel, un second sauta du camion, me reconnut ; moi aussi, bien sûr. Tous deux sortirent leurs revolvers, je fus fouillé pour vérifier si j'étais armé.

Je manifestai la plus grande surprise : " Schule Direcktor " et je montrai mon brassard : " Luftschtz " (Défense Passive). Ils me firent monter dans le camion. Ils ne parlaient pas mieux le français que le 8 juin, aussi je demandai par geste si je pouvais fumer. D'accord. Mon attitude parut les faire réfléchir. Je demandai du feu. Leur briquet fonctionnant mal, je pris un papier dans ma poche. j'en fis une torche que j'enflammai au briquet, puis j'allumai ma pipe paisiblement. Mes deux gardiens se déridèrent un peu trouvant la formule amusante. Moi, j'avais brûlé une fausse autorisation de cirucler qui m'avait permis jusqu'alors de conserver mon vélo. Elle ne collait pas avec mon système de défense, car elle me disait professeur, en permission, regagnant l'École des apprentis de la Marine, repliée à Gouville.

L'un des hommes prit le volant, je suivis à pied, mon vélo à la main, accompagné par le second. Au carrefour suivant, un feldwebel S.S. cherchait sa position sur une carte d'État-Major. Me voyant arriver, il me demanda de lui indiquer où il se trouvait. Avec son crayon, je complétai sa carte ; il sembla content, aussi je repris mon vélo bien décidé à partir tranquillement. Mes deux gardiens ne l'entendaient pas ainsi.

J'eus juste le temps de demander aux voisins de reporter le vélo à la Maincendière et de prévenir ma femme. Immédiatement, je fus pris à partie par cinq ou six S.S. ; les deux militaires Todt, vêtus de kaki, brassard à croix gammée comme le 8 juin. avaient été récupérés par un régiment de S.S. On m'accusa d'être Anglais, puis Polonais et je fus roué de coups ; je me décontractai et c'est un corps inerte qu'ils se renvoyèrent de l'un à l'autre. Je gardais l'esprit intact, mais j'étais mal en point. Je demandai à aller aux cabinets, un soldat m'accompagna dans un plant de choux, mitraillette pointée. Une vraie crise de foie, je me sentais épuisé...

Ensuite, mitraillette dans le dos, je grimpai dans une Volkswagen ; le convoi partit vers les Loges-sur-Brécey et s'arrêta près du village des Lardières. On me laissa dans le coin d'un champ, surveillé à distance, tandis que la troupe préparait son cantonnement. J'avais dans ma poche le stylo américain que je devais remettre à Walter Costello. L'ayant sorti sans me faire remarquer, je l'en-fonçai en terre. J'avais aussi sa photo, pour lui établir une carte d'identité que je devais lui remettre le jour même chez Allain à Vernix. Je sortis la photo de mon portefeuille mais un Allemand m'avait vu faire ; il me conduisit à un groupe de S.S. Entre-temps, j'avais mangé la photo... Je croyais m'être débarrassé de tout ce qui était compromettant. Fouillant mon portefeuille, ils trouvèrent un schéma sur un papier : " Mouvement de troupes ", dirent-ils. Je tentai d'expliquer ce que c'était et je pris une seconde raclée. Gestes à l'appui, je repris mon explication : Robert Lemonnier, médecin, m'avait fait une radioscopie : le schéma représentait les deux poumons et les hachures les traces d'une pleurésie contractée à la guerre. Rien à faire : " Mouvement de troupes, terroriste "... et les coups redoublèrent. Ma carte d'identité fut confisquée, on m'emmena dans une des habitations. Resté seul dans la pièce, je demandai au cultivateur s'il pouvait me donner à manger : " Mon pauvre monsieur, dit-il, du pain, on n'en a même pas pour nous ". Les S.S. revinrent peu après, me lançant des plaisanteries en anglais et chantant " God cave the King ". Manque de chance, j'étais vêtu d'une chemise kaki de l'armée française et d'un pantalon de golf, ce qui me donnait un air semi-militaire. La manche de ma chemise étant presque arrachée, je demandai à la réparer : on me donna une épingle nourrice et j'assemblai les lambeaux... J'avais été vraiment " sonné " car je voyais deux hommes alors qu'un seul parlait.

Un autre S.S. arriva avec une machine à écrire, suivi des deux soldats du 8 juin comme témoins. Mes accusateurs se rappelaient que, ce jour-là, j'avais un blouson de cuir, j'étais armé d'un 6,35, un autre homme avait un parabellum, un troisième une mitraillette sous une grande pèlerine et nous avions essayé de les interroger en anglais. J'eus beau expliquer que j'étais directeur d'école, que. le 6 juin, j'étais à corriger un examen à Saint-Lô, n'étant rentré que le 9, ils ne démordaient pas : j'étais un terroriste ! La lecture de l'acte d'accusation se fit en allemand, mais en entendant terrorism in Brécey, Martigny, Ducey, Saint-Pois, Juvigny, Avranches, etc., tous lieux où des actions de harcèlement avaient eu lieu, je compris que tout était porté à mon compte.

Je parvins à lire le nom de la Division : Goétz von Berlinchingen (les S.S. au poing de fer !)

De son côté, ma femme avait alerté Mme Le Guern, interprète à la Mairie. Celle-ci avait eu d'abord à s'informer où j'étais car ces soldats n'étaient pas passés par Brécey ; ils redescendaient du front ayant réussi à s'échapper de la poche de Ronccy. Dans l'après-midi, ma femme et Mme Le Guern partirent à ma recherche par la route de Villedieu, mais le mitraillage par les avions alliés était si intense que Mme Le Guern renvoya ma femme près de nos deux enfants et arriva seule à la ferme. Je réussis à lui dire que je demandais depuis le matin une enquête de la Kommandantur, mais je ne fus pas autorisé à lui parler. Elle partit avec un geste des épaules pour dire qu'elle ne pouvait rien faire ou rien de mieux.

Dans l'après-midi, je fus présenté à un officier, dans un autre bâtiment. Auparavant, un soldat me dit : " Monsieur, si vous me donnez votre montre, je parlerai pour vous ". On traversa la cour. Des S.S. roulaient un tonneau et une barrique vides et toute la troupe était rassemblée : " Reconnaissez-vous les trois hommes du 8 juin " (le troisième soldat en tenue kaki des militaires Todt était là). Je redis que je n'avais vu les deux premiers que le matin et le troisième à l'instant. Au premier étage d'une pièce, genre grenier à blé, se tenait, devant une table, un capitaine, quelques autres militaires et une femme brune, en civil. Ceux qui m'avaient amené repartirent, l'homme à la montre ne dit mot.

Nouvelle lecture de l'acte d'accusation en présence de trois soldats qui affirmaient encore que je les avais désarmés le 8 juin. Je redis que j'étais à corriger un examen à Saint-Lô. " Ces trois hommes vous reconnaissent. " - " On peut se tromper. Quand je suis arrivé à Brécey en 1942, quelqu'un a dit : " Tiens, voilà un Allemand qui se promène en civil, l'Allemand c'était moi. " "

Il parut réfléchir et sa pépée jusque-là très agressive sembla moins hargneuse. Avoir l'air aryen me permettait de marquer un point ! Je continuai :

Mon capitaine, je croyais qu'il n'y avait pas de voleurs dans l'armée allemande.

- Comment ?

- On m'a pris ma montre.

- Qui ?

- Il n'est pas ici ! "

On redescendit dans la cour. Les hommes étaient toujours rassemblés. Je désignai celui qui avait ma montre, il me la rendit. " Vous voyez, lui, je le reconnais, les autres je ne les avais jamais vus auparavant. " Le capitaine pensa-t-il que c'était vrai ? Sans doute, car il conclut qu'on m'enverrait à la Kommandantur pour y être jugé. Ce fut tout. Et ce fut pour moi un vrai soulagement à l'idée de ne plus être prisonnier des S.S.

En traversant la cour, je vis un S.S. juché sur le tonneau vide ; il haranguait la foule qui écoutait sans rien dire. Des avions chasseurs mitraillaient sans arrêt la route Villedieu-Brécey. Le prédicateur essayait de remonter le moral de ses camarades. On me ramena à la ferme. Par la fenêtre, je vis un combat aérien. Le S.S. sur son tonneau se déchaîna encore davantage : il hurlait. A l'intensité des mitraillages à un kilomètre de là, je devinais que la phase finale était proche.

Des S.S. vinrent fouiller la maison et d'abord l'armoire à provisions : rien. Ils se dirigèrent vers un lit d'angle : rien sous l'édredon. Au deuxième lit, ils découvrirent six ou huit boules de pain. Ils emmenèrent le tout et je pensai que c'était très bien ainsi. " Du pain, on n'en a même pas pour nous ", m'avait-on dit le matin !

Apparemment, les S.S. se préparaient à aller prendre position et faisaient leurs provisions.

Le temps passa, j'étais seul, on ne s'occupait plus de moi mais des soldats étaient toujours à proximité. Pas question de sortir de là.

Tard dans la soirée, une voiture allemande vint inc chercher ; on passa par Saint-Laurent-de-Cuves pour revenir ensuite au château de la Brisolière. Au premier étage, un officier de la Wehrmarcht était devant une carte posée sur une petite table, s'éclairant d'une bougie. Je voulus lui répéter mon histoire d'arrestation par erreur, il eut un geste du genre : " Qu'est-ce que ça peut me faire ? " II paraissait très las et il devait être minuit. Je fus enfermé au rez-de-chaussée. dans une pièce à usage de sellerie, fermée à clef, une sentinelle à la porte.

Dimanche 30 juillet

Je ne sortis, le matin, que le temps de faire ma toilette. Dans la journée, je remarquai qu'il y avait un certain éclairage derrière l'amoire aux harnais : une fenêtre, sans doute. Je tentai de déplacer cette armoire, impossible, elle n'avait pas de pieds et prenait presque tout le panneau. Je me dis que la nuit venue, je tenterais de grimper puis de me glisser en arrière, la fenêtre devait donner sur l'extérieur.

Mais, vers onze heures du soir, quatre hommes vinrent me chercher. Chacun d'eux avait un fusil, je crus ma derrière heure venue. Les images défilent : ma femme, les enfants, tout s'envole. Une tentation : fuir, mais, en terrain découvert, je serai tiré à bout portant comme un lapin. Il faisait un beau clair de lune. mes gardiens parlaient tranquillement, mon sort ne les concernait pas. Après une centaine de mètres, on arriva à un autre bâtiment. Non, on ne me fusillait pas ou pas encore. Je compris alors que d'autres soldats venaient d'arriver du front, il fallait leur laisser la place. Eux et moi, nous allions loger dans les communs. Un vrai soulagement après une belle peur !

Mon nouveau bâtiment était en torchis fait d'argile sur un lattis de châtaignier. C'est extrêmement résistant, rien à espérer de ce côté. La chaîne qui fermait la porte était maintenue à l'intérieur par un simple fil de fer. Je réussis à entrouvrir : une sentinelle était à proximité.

Lundi 31 juillet

Faisant ma toilette, le matin, j'eus le temps d'apercevoir les poteaux télé-phoniques que nous avions sciés la nuit du déharquement. Ersatz de café, puis retour au château où j'appris que les quatre hommes allaient m'emmener à la Kommandantur. Un cultivateur de la ferme voisine était là ; je demandai si je pouvais faire parvenir un mot pour rassurer ma femme. D'accord, je montrai mon texte, disant que j'allais à la Kommandantur et que je reviendrais après. J'expliquai au cultivateur que ma femme était à la Maincendière, à 800 mètres de là. Soudain, contre-ordre : le message fut repris avec interdiction de prévenir mon épouse.

Vers 10 h, on partit à travers champs (les Américains arrivèrent à 5 h l'après-midi). Au carrefour du Pont Roulland, on prit la direction Les Cresnays ; je rencontrai un jeune collègue, François Poullain : " Qu'est-ce qui vous arrive '? " On me laissa parler. J'expliquai qu'on m' emmenait à la Feldkommandantur et je lui demandai de prévenir ma femme. Comme il ne voyait pas où elle se trouvait, je lui dis d'aviser le maire, M. Gouttière, qui ferait le nécessaire.

" C'est cela, dit un des gardiens, prévenir M. le Préfet " ... Jusque-là, ils semblaient compréhensifs. Quand François Poullain me quitta au lieu d'aller vers Brécey, il prit la direction d'une ferme et se mit à courir. Un Allemand partit à sa poursuite, les trois autres nie gardant sur place. Plusieurs réfugiés de Brécey et de Saint-Lô logeaient dans cette ferme. Peu rassuré, l'Allemand fit demi-tour mais. à partir de ce moment-là, mes gardiens devinrent agressifs : " Vous, camarades terroristes, mais nous beaucoup grenades. " Je repris : " Nix terrorist. Schule direktor Lufschutz.

En traversant les bois, visiblement, ils craignent une attaque. A la lisière, on s'arrêta à boire du cidre dans une petite ferme. Après avoir traversé la route de Mortain, on obliqua vers Montigny, à travers champs. Repas rapide au pied d'un arbre. Les avions mitraillaient la route de Saint-Hilaire, sans arrêt. Tout à tait l'atmosphère de juin 40, mais subie par les Allemands, cette fois.

A Montigny, Luce, un camarade de promotion à l'Ecole Normale de Saint-Lô, sortait de la mairie : " Qu'est-ce qui t'arrive ? "

" Ils m'emmènent à la Kommandantur, mais n'insiste pas, sinon ils vont t'embarquer toi aussi.

On coupa la route de Saint-Hilaire. D'un jardin, deux jeunes femmes dirent : " Mais, c'est M. Pinson. " C'étaient les deux filles de l'institutrice de Naftel, M^'"' Noël. On s'arrêta au café pour prendre une bière, chacun payant sa consommation (on ne m'avait pas pris mon porte-monnaie). Je demandai pour-quoi on n'allait pas à Milly, siège de la Feldkommandantur : " Il fallait passer par là. " On atteignit le château de Virey. Des hommes chargaient des obus.

Spontanément, je les aidai, pensant qu'avec un peu de chance, je pourrais partir dans le véhicule à la faveur de la nuit. Mes gardiens me firent signe d'arrêter. C'est alors qu'un jeune homme arriva, il leur parla longuement en allemand, puis s'adressa à moi, examinant avec intérêt mon brassard de Défense Passive...

Je ne lui fis aucune confidence. il me dit avoir appris l'allemand au lycée. Je repris mon explication habituelle : une erreur... Une voiture était près de là : " Ce sont des réfugiés qui l'ont abandonnée ", me dit-il. il repartit. Nous aussi, vers Saint-Hilaire. A la faveur de la nuit, des fantassins montaient vers le front, des chenillettes également. Finalement, on grimpa dans un des camions qui redescendaient du front.

On avait marché pendant une trentaine de kilomètres depuis le matin, mes gardiens étaient fatigués. Arrivés à l'hôtel Jeanne - où s'arrêtait le car de Brécey les jours de marché - on traversa une cour. Au premier étage, il y avait un lit. Je me couchai sous la garde d'un autre soldat. Peu après, il s'endormit sur sa chaise, près de l'escalier. Je m'approchai de la fenêtre qui était grande ouverte. Des soldats partout dans la vaste prairie qui s'étend jusqu'à la Sélune. Pas d'évasion possible. Je me recouchai. Au matin, je récupérai de la ficelle et un blouson ; trop petit pour moi. Je le pris néanmoins, et j'en fis un paquet pensant que je le mettrais si je parvenais à m'évader. C'était mon idée fixe.

 

Mardi 1er août

Quand les quatre hommes, les mêmes que la veille, vinrent me chercher, ils avaient réquisitionné un cheval et une carriole. Direction Le Teilleul, mais à Saint-Symphorien, on prit la petite route de Ferrières. On rencontra un Allemand à pied qui demanda à monter dans la voiture. A six... le cheval allait au pas. Le nouvel arrivant avait travaillé en France et parlait admirablement notre langue. Il venait d'au-delà de Bréhal, ayant fait 100 km à pied. Granville, me dit-il, avait été pris par la Résistance. Je pensai en moi-même que ce ne pouvait être qu'un bobard. " La belle armée d'Hitler, elle est foutue, c'est comme l'armée française en 1940 ". Il lança ses cartouches dans le fossé et continua de tenir des propos défaitistes. Je lui demandai s'il était social-démocrate : " Monsieur, je ne peux pas vous répondre " ... Sans doute de peur que les autres ne comprennent.

Au Teilleul, on entra au Café Védier où il ne restait qu'une serveuse. Plus de bière, on but je ne sais quoi... gratuitement. Le cinquième homme, le défaitiste, revint. Il m'expliqua qu'il avait rencontré un de ses officiers. Il était " regonflé " à nouveau.

Comme la F.K. 722 avait quitté Milly, j'ignorais tout du programme. En direction de Gorron, la carriole s'arrêta à l'entrée du château de Nantrail. On remonta l'avenue à pied. Sous les arbres, tout le long de l'allée, des tanks étaient camouflés. Rien qu'à me voir, les hommes des Panzers, en tuniques noires, insignes à tête de mort, étaient prêts à bondir sur moi et mes gardiens durent me protéger.

Je fus conduit devant un officier supérieur, grand, parlant un français impeccable, sans doute le feldkommandant Von Achberg. " Alors qu'est-ce que vous avez fait ?

- Rien.

- Je sais, tous ceux qu'on m'amène n'ont rien fait_ "

Je repris : " J'ai été arrêté par des S.S. ; ce sont sûrement d'excellents soldats, mais avec eux un civil ne peut s'expliquer. Je n'étais pas là le juin, etc. "

Compte tenu de l'attentat contre Hitler le 20 juillet, je pouvais espérer qu'il n'aimait pas les S.S.

- Je vous crois, dit-il, mais il faut que vous alliez à la Feldkommantur.

On redescendit l'avenue, on reprit la cariole et la direction de la Mayenne. Le cheval allait de plus en plus lentement. Soudain, une flèche presque à ras de terre : " Feldgendarmerie "... Tout au bout du chemin de terre, quelques fermes et de nombreux Allemands. Un de mes gardiens sortit une enveloppe de sa poche. C'était le dossier dactylographié par les S.S. le samedi précédent.

L'un des officiers, sans doute celui qui se faisait appeler Dufour, lut les premières lignes puis me dit en excellent français :

" Monsieur, mettez-vous là, on va vous fusiller tout de suite. "

- Si vous me fusillez, ça ne changera pas le cours de la guerre et vous aurez fusillé un innocent.

- Comment ?

Je repris mon histoire habituelle comme avec le colonel :

- Le 6 juin, j'étais à corriger un examen à Saint-Lô.

- Qui peut me le prouver ?

- Le préfet.

- Lequel ?

- M. Martin Sané.

- Je le connais très bien.

- Je n'en doute pas.

(Je sus beaucoup plus tard que le Préfet était alors au Teilleul). Ils discutèrent quelques instants et la conclusion tomba :

- Vous serez jugé par le Tribunal Militaire demain matin.

Je fus emmené dans un champ. Plusieurs carmions étaient camouflés sous les arbres, ainsi qu'une quarantaine d'Allemands les uns avec la plaque " Feldgendarme ", les autres non.

Je me dirigeai vers l'un de ceux qui m'avaient " accueilli ".

- Puis-je vous faire une demande ?

- Bien sûr.

- On a beau être innocent, ça fait quelque chose, pourrais-je avoir un verre d'eau ?

Il fut surpris car il s'attendait à me voir passer aux confidences. Il s'adressa aux autres, puis m'emmena à la ferme. Là, il demanda du calva pour lui, du cidre pour moi. Soudain :

- Monsieur, vous êtes grand, vous êtes blond, vous avez les yeux bleus, vous ne pouvez pas être un terroriste.

Je lui dis qu'il n'y avait pas de terroristes dans la région, peut-être dans le midi.

- Vous avez raison, c'est plus près des Nègres.

Et sans transition :

- Si vous essayez de vous en aller, je vous tue tout de suite.

A quoi je répondis que je serais jugé le lendemain et acquitté, étant victime d'une erreur. Ensuite j'ajoutai que les vrais terroristes étaient les Anglais et les Américains qui détruisaient leurs villes et les nôtres. Alors, il pleura ou fit semblant...

- Vous, vous reverrez votre famille, mais moi ? " Et il me montra les

photos de sa femme et de ses enfants. La conversation s'arrêta et de nouveau : - " Si vous essayez de vous en aller, je vous tue tout de suite.

Et moi, de dire que je n'étais pas un terroriste nais un directeur d'école. - Combien de classes avez-vous ?

- Huit. (C'était exagéré mais invérifiable !)

- Vous êtes jeune. En Allemagne, il faudrait avoir quarante ans pour avoir une direction comme cela.

- Je suis le plus jeune directeur du département.

il reprit du calva, la conversation dura longtemps :

- Autrefois, j'ai été l'ennemi de votre Maréchal, maintenant je suis son ami... En France, la guerre va finir et, comme vous dites vous les Français, le Boche paiera oh, oh, oh !

En dernier lieu, il nie demanda insidieusement : " Vous êtes de la Luftschutz, de la vraie ou de la fausse ? " J'affirmai qu'il n'y en avait qu'une, mais il n'était sûrement pas si bête qu'il en avait l'air. Mon brassard portait un faux cachet.

Quand on revint au champ, il fit, en allemand, le commentaire de la conversation, ce qui me parut plutôt favorable.

Vers 18 h, ils mangèrent : il y avait des baguettes de pain et du saucisson en abondance dans les camions. On m'en donna, ensuite certains m'envoyèrent un morceau de pain et un bout de saucisson, comme on jette à manger à un chien. Je ne me sentis pas vexé. On ne m'avait guère donné à manger les jours précédents. Et puis, peut-être mon dernier repas, autant en profiter.

Le soir venu, on me conduisit dans le grenier d'une " charreterie " : l'échelle fut retirée et, précaution supplémentaire, quelques-uns se couchèrent en bas, certains dans les camions, quelques autres dans le champ.

On m'avait donné un sac à grain pour poser sur la paille et une couverture. Il faisait clair de hune et je remarquai immédiatement qu'il y avait un trou de 15 à 20 cm et que le mur était fait de pierres maçonnés à l'argile. Ma décision fut immédiate : agrandir le trou et sortir de là. Rien de bon à attendre du Tribunal Militaire, j'étais avec l'équipe responsable de cinq exécutions, deux jours auparavant, à Bourberouge. Je mis la couverture sur le chevron pour faire écran afin que ceux d'en bas ne remarquent rien. Je démaçonnai pierre à pierre, posant les gravats à l'intérieur. Je me dis que j'aurais fini vers quatre heures. De temps en temps, je toussais, je remuai un peu la paille, comme quelqu'un qui ne dort pas très bien.

Longtemps, il y eut une grande excitation et des allées et venues de moto-cyclistes. Eux ne pouvaient me voir, mais du côté où je faisais le trou, des Allemands étaient couchés à peu de distance. Une seule pierre tomba à l'extérieur, sans éveiller l' attention.

Mercredi matin 2 août

La lune s'était couchée. J'étais prêt bien avant quatre heures, mais je restai un bon moment, me demandant quel serait l'instant favorable. Les sentinelles faisaient les cent pas dans la direction opposée. Je remplaçai la couverture par le sac, comme écran. Je ficelai un petit caillou dans l'angle de la couverture puis je fis une ligature solide au-dessus. Elle ne lâcherait pas. Je serrai solidement mes souliers et avec mon mouchoir, je fis une sorte d'anse.

J'amorçai la descente, m'aidant de la couverture, nu-pieds pour éviter le bruit ; je repris mes souliers à la main, puis je continuai à descendre avec pré-caution car il y avait des morceaux de bois en vrac sur le sol et il fallait éviter de les remuer. Aucun des dormeurs ne réagit parmi ceux qui étaient à cinq ou six mètres de moi. Touchant le sol, je marchai d'un pas rapide, mais sans courir, vers une haie à une vingtaine de mètres de là.

Passé la haie, je fis un bon cent mètres, en courant cette fois. L'alerte n'était pas donnée. Je mis mes souliers. Après avoir traversé la route : un roule-ment de chenillettes... Je m'allongeai dans la rigole... Le convoi passa. Au-delà de la route, un champ de céréales. Je suivis le talus pour ne pas laisser de traces. Même chose pour le suivant, ensuite des prairies, j'évitai les fermes. A un moment, dans l'obscurité, je crus voir une tente : réflexion faite, les Allemands n'en utilisaient guère, je m'approchai ; j'avais eu peur d'une " veillote de foin. Je suivis une route pour savoir où j'étais. Aucune indication sur les bornes ; je repris donc à travers champs. Le jour commençait à poindre. J'atteignis un chemin en bordure d'un bois : pas de traces de passage de camions, ni de charrettes, ni de chevaux, pas non plus les fers des talons de bottes des soldats allemands.

J'entrai dans une cour de ferme. Un ouvrier agricole venait de se lever, je lui dis que j'étais réfugié de Saint-Lô et que je m'étais perdu. " Attendez un instant, la patronne va se lever et on prendra du café. " La cultivatrice m'apprit que deux de ses garçons et son gendre étaient prisonniers, que plusieurs jeunes gens de Fougerolles avaient été arrêtés à cause des parachutages. On ne savait ce qu'ils étaient devenus. J'ignorais tout des événements du 28 juillet, mais j'étais arrivé dans une bonne maison. J'expliquai alors à Mme` Guesdon que je m'étais évadé. Je lui demandai des vêtements de travail, une casquette et, avec une fourche sur l'épaule, je partis vers Fougerolles-du-Plessis. Je passai sans encombre, à côté de centaines d'Allemands, M"° Guesdon m'avait dit que je pou-vais voir de sa part le maire, M. Le Bouc. Je lui demandai une attestation indiquant que je m'appelais Pichon, réfugié de Saint-Lô. N'ayant pas de photo, il ne pouvait me faire une carte d'identité. Il me conseilla de prendre la vieille route de Huais pour ne pas rencontrer d'Allemands.

Au bas d'une côte, Jules Lemoussu, instituteur, passa à bicyclette à côté de moi, sans me reconnaître. J'hésitai, puis je l'appelai. il fit demi-tour : il allait écouter la radio chez un minotier qui produisait son courant. Là, j'appris la libération de Brécey, les Américains approchaient de Saint-Hilaire. Ensuite Jules Lemoussu m'emmena chez son frère, cultivateur, et je fis collation... de fort bon appétit.

Mon intention était d'aller jusqu'à la route Le Teilleul-Saint-Hilaire que j'aurais suivie à travers champs, par mesure de sécurité.

Un peu avant Saint-Symphorien, j'aperçus deux personnes en short sur la route : Alice Bougourd et Julien Lamanilève dont la surprise fut grande quand ils reconnurent " le péquenot "...

Depuis quelques jours une partie du groupe de Sérouanne avait été installée par Michel Tauzin près du château. Lamanilève les avait rejoints, " Éric quittant la Mancellière pour se porter au-devant des Américains et lui, Julien, pour rejoindre, en Mayenne, " Michel ", le commandant britannique Claude de Baissac.

La veille, j'étais passé à quelques centaines de mètres de là, mais sans savoir que mes camarades s'y trouvaient...

Je voulais rentrer à Brécey de suite. Tous me le déconseillèrent : " A Saint-Hilaire, me dit Tauzin, tu seras arrêté. il y a un cordon d'Allemands sur la Sélune, Charlot et moi nous y sommes allés hier soir pour placer des mines. "

Seules, les femmes réussissaient à circuler. Alice Bougourd faisant la liaison avec Andrée Blandin, partit à bicyclette prévenir mon épouse qui fut avisée le jour même.

En me rendant chez le coiffeur, je remarquai des Allemands qui minaient les arbres, sur la route près du château. Bien inutilement car, le lendemain, on fit passer les chars américains par un autre itinéraire.

L'après-midi, on patrouilla vers le Pont Juhel, sur la route de Laval ; en revenant à Savigny-le-Vieux, on trouva deux Américains partis à l'aventure loin de leur base. Je leur demandai de nous conduire au Command Post... Après l'avoir rejoint, je donnai des renseignements à l'État-Major de Division, route de Fougères.

Après ce contact, Julien Lamanilève nous quitta pour rejoindre le poste émetteur à Saint-Mars-du-Désert.

La nuit, alors que je dormais tranquillement dans un fenil, un lieutenant me réveilla. Une cinquantaine d'Allemands tentaient de rejoindre leur unité. Dans le combat, il y eu sept prisonniers et le groupe F.F.I. en récupéra d'autres le lendemain.

Jeudi 3 août

L'après-midi, à Saint-Hilaire, je trouvai Louis Blouet, à peine remis de sa blessure du 23 juin, venu fournir des renseignements sur une concentration de blindés à Romagny. Ensuite, au carrefour du Petit-Jésus, je retrouvai André Debon, puis " Éric " ; ils continuèrent vers Saint-Hilaire. Il nous fallait une voiture : " Le petit-fils du châtelain de Virey en a une ", dit René Besnier. On arrêta l'automobiliste qui prétendit que le véhicule lui appartenait. " Lundi dernier, tu m'as dit qu'elle avait été abandonnée par des réfugiés. Il n'était pas prévu que je revienne, mais je suis là ! Il nous faut la voiture. " Il devait, dit-il, prévenir son grand-père. A peine arrivés, une douzaine d'Américains nous cernèrent. J'expliquai l'origine (le nos armes provenant de6 parachutages et que nous étions un groupe " underground ". " Avec vos mitraillettes, on vous avait pris pour des gangsters ! "

Quant au jeune homme J. de G., il fut arrêté quelques jours après. Agent de la Gestapo à Rennes, il fut condamné à mort. Grâcié par le Général de Gaulle, en raison de son jeune âge, il combattit en Indochine, puis s'installa au Maroc où il est mort.

Vendredi 4 août

Le lendemain matin, on partit de Virey dans la C4 récupérée la veille, pour aller à Mortain chercher le Dr Cuche afin qu'il occupe le poste de maire de Saint-Hilaire.

Les quelques Américains rencontrés sur la route ignoraient si Mortain était libéré. A part Eugène Hamel, le Dr Cuche et nous, il n'y avait personne ce matin-là. La veille, les Américains avaient pris la ville, puis s'étaient repliés. Les Allemands étaient partis pour l'instant. Après avoir conduit le Dr Cuche à Saint-Hilaire, on rejoignit " Éric " au C.I.C. et on reprit les patrouilles avec des éléments américains en direction du Touchet.

Le lendemain samedi 5, les copains me ramenèrent en voiture à Brécey, puis continuèrent sur Granville.

A peine arrivé chez moi, on vint me dire : " Le préfet est à la mairie, il veut vous voir... "

Deux ans après, je suis retourné voir la grange : le mur n'avait pas été réparé. M. Fontaine, cultivateur à Désertines, m'apprit que les Allemands avaient quitté la ferme dans la matinée du 2 août, mais " vingt minutes plus tard, un officier revint chercher une sacoche qu'il avait oubliée. "

C'était, plus vraisemblablement, pour vérifier si le prisonnier était dans les parages...

La Feldkommandantur, les feldgendarmes, les assassins de Bourberouge, la Gestapo, tous prirent la direction de Paris.

En constatant mon évasion, ils ont dû croire qu'un " gros gibier " leur avait échappé.

Qui sait ? Mon dossier est peut-être conservé dans les archives de la Gestapo...

PARACHUTAGE A FOUGEROLLES

par Michel TAUZIN

La grange de Sérouanne abritait depuis plusieurs semaines le groupe de Saint-Hilaire-du-Harcouët. Sur le sol de terre battue, avait été aménagé, au long du mur de torchis, un espace pour dormir ; au centre, une longue table et deux bancs pour les repas ; au-dessus, un fenil où l'on accédait au moyen d'une échelle.

Ce 2 juillet 1944, je suis là-haut, installé sur la paille, une nouvelle fois à l'écoute de notre poste à galène, à l'heure des messages diffusées par Radio Londres. Écouteurs plaqués sur les oreilles, je perçois assez nettement, malgré le brouillage habituel, la longue litanie qui, au même instant, intrigue et fascine à la fois des milliers d'auditeurs en France. Les messages ainsi se succèdent et, soudain, le nôtre - celui que l'on a utilisé depuis fin juin - me parvient : c'est comme un lourd secret que cette voix de femme vient de me confier, là, dans ce grenier.

" La banque est fermée. Deux fois. " Je n'ai pas besoin d'en entendre davantage. J'ai dévalé l'échelle en m'écriant : " Ça y est, c'est pour ce soir... et il y aura deux avions. " Les six camarades présents accueillent avec l'enthousiasme qu'on devine la nouvelle de ce nouveau parachutage d'armes à Fougerolles auquel notre groupe doit, cette nuit encore, participer. D'autres groupes, en ce moment même, grâce au même magique avertissement, doivent manifester la même joie fébrile et prendre leurs dispositions pour ce soir. On décide que, cette fois, j'y accompagnerai Charlot (Charles Ruault) qui a pris part aux précédents parachutages. Alice (Alice Bougourd), chargée d'une nouvelle mission en Mayenne, viendra avec nous.

Fougerolles... Fougerolles-du-Plessis... Pour y parvenir, nous avons pédalé tous les trois sur des routes ensoleillées, en cet après-midi d'été qui, en d'autres temps, nous aurait plutôt incités à musarder à l'ombre des talus. Mais la guerre est trop présente pour laisser longtemps place à la rêverie et tant de signes, au long de cette vingtaine de kilomètres, se chargent de nous rappeler l'atroce réalité : rencontre de quelques véhicules allemands isolés ; réfugiés fuyant le front de Saint-Lô sur des charrettes surchargées ; pancartes fléchées de la Wehrmacht ; jaillissement soudain d'un chasseur anglais à double fuselage, surveillant le trafic à basse altitude ; entailles creusées dans le talus bordant la route pour protection d'urgence en cas de mitraillage ; convois ennemis bivouaquant sous les pommiers d'une ferme en attendant la nuit pour repartir vers le front.

En fin d'après-midi, nous avons atteint l'entrée de Fougerolles ; au premier bistrot, nous avons posé nos vélos pour nous restaurer et nous rafraîchir. Maintenant remis sur pied, nous avons flâné dans les rues du village. A l'extrémité du bourg, Charlot nous indique la route de Désertines qui descend, à droite : c'est par là, au-delà des étangs, qu'on devra se rendre cette nuit. Dans un bureau de tabac, nous avons reconnu Loulou (Louis Petri) et Julien (Lamanilève) - organisateurs du parachutage - qui finissaient de manger : un petit signe discret de connivence pendant que j'achète une pipe.

A la nuit tombée, nous avons repris nos bicyclettes et nous voilà lancés dans la descente vers Désertines. Devant nous, on devine quelques cyclistes, sans éclairage, filant probablement vers la même destination que nous ; niais. par prudence, nous ralentissons pour garder quelque distance avec eux. Plus loin, nous doublons une poignée d'hommes, marchant bon pas, sac au dos. il ne fait pas de doute que nous sommes dans la bonne direction !

Quand Charlot nous fait quitter la route, on s'engage dans un chemin aux ornières profondes ; une barrière, un sentier battu et une ferme seule. Plus loin, encore une ferme, que l'on dépasse pour atteindre le terrain ; un pré qui paraît sans limite dans la pénombre et une grange en bordure. On distingue quelques silhouettes, des chuchotements et quelqu'un qui fait remarquer que le ciel se couvre et qu'il fera froid cette nuit. Dans la grange faiblement éclairée, Julien accueille les nouveaux arrivants, identifie les groupes et donne les consignes pour les postes de garde, de balisage et la réception des containers. Courtes explications car beaucoup parmi cette quinzaine de camarades ont déjà participé à la manœuvre.

Mais, avant de prendre possession du terrain, il faut rassembler les vaches qui y sont disséminées pour les refouler dans un enclos voisin. On s'échauffe à ce jeu et cela permet d'atténuer les frémissements de l'attente. J'ai remarqué tout à l'heure que les autres étaient pour la plupart chaudement habillés : canadiennes, cache-col, revers de veste relevés et je crois que je ne suis pas suffisamment vêtu pour affronter la fraîcheur de la nuit avec simplement un blouson léger sur ma chemise : la fraîcheur se glisse, humide, tout autour de nous, elle s'insinue en moi.

Julien a distribué les rôles. Je suis de ceux qui sont répartis sur le pré pour le baliser avec des torches électriques. Le froid m'a envahi et je serre les mâchoires en regardant autour de moi : je ne distingue pas les limites du terrain mais je sais qu'à distances régulières, piétinent des ombres qui, comme moi, attendent minuit en serrant leur lampe au fond de la poche. Je sais aussi qu'aux extrémités du terrain, ont pris place ceux qui, tout à l'heure, feront de la main un mouvement de va-et-vient devant leur lampe pour que, de l'avion, on sache que le pré se limite à ces lumières régulièrement clignotantes.

Je lève la tête : le ciel est couvert mais, curieusement, une légère luminosité blanchit le sommet des arbres groupés sur un côté du pré. Au-delà, c'est la grand-route d'où, une fois, nous est parvenu le ronronnement d'un moteur " T'entends les Chleuhs ? " On parle à mi-voix alors que le silence retombe.

Et puis, brutalement, un bourdonnement caractéristique qui s'amplifie et me raidit sur place. Le vrombissement se rapproche tandis que le cœur précipite son piétinement dans la poitrine.

La grosse lampe centrale a donné le signal et toutes nos lumières se tendent vers le ciel ; aux extrémités du pré, les clignotants entrent en jeu. L'avion a surgi de la nuit ; il vole bas au-dessus de nos têtes et disparaît quelques instants, puis réapparaît cette fois en sens inverse, carrément dans l'axe de nos éclairages

il me paraît plus haut qu'à son premier passage.

Et soudain, on voit s'épanouir au-dessus de nous des parachutes de toutes couleurs. impossible de tout voir et de tout entendre en même temps, de fixer toutes ces images et de discerner tous ces bruits : l'éloignement de l'avion dévorant la nuit, tandis que ces ballons jaunes, blancs, bleus... glissent silencieusement du ciel. Ils sont déjà à portée de la main, entraînés par leur charge.

Pour le deuxième avion, s'opère presque aussitôt la même manœuvre et, à nouveau, se déroule le fascinant spectacle.

" Vite les gars, repérez les " cont'ners ", coupez net les cordages qui les retiennent à leur parachute. " Tout le monde s'active dans le silence à peine troublé. Les uns portent, à quatre, les énormes cylindres noirs jusqu'à la grange d'autres plient les parachutes libérés. " Vite, les gars et ne laissez rien traîner. " Les bruissements légers de la nuit sont à peine perturbés par le froissement de nos allées et venues. La brise, bien qu'à peine perceptible, a entraîné quelques parachutes vers les arbres bordant le terrain. Certains ont grimpé aux branches pour cisailler les cordages et décrocher les containers qui y sont retenus. On s'agite partout. Va-et-vient incessant entre le terrain et la grange. On signale un parachute dans le pré voisin et on enjambe le fil barbelé du talus pour le récupérer avec sa cargaison. Vite, vite, avant que l'aube ne pointe.

La poignée des containers nie scie les doigts et j'ai dû me protéger avec mon mouchoir. On ignore la bruine légère qui nous environne comme si se liquéfiait lentement la nuit. On hisse encore un cylindre égaré par-dessus le grillage. Le petit jour blafard et glacial commence à pâlir l'horizon. C'est fini : le terrain n'a rien vu, n'a rien su.

On se retrouve dans la grange où, pendant nos navettes du pré à la bâtisse, Julien avait commencé à répartir le contenu des cylindres : ici les carabines, là les mitraillettes, puis les chargeurs, le plastic, les mines, les grenades.

Il est debout, jambes écartées, dominant cet amoncellement venu du ciel.

Le tri des armes s'est poursuivi encore longtemps dans la grange. A l'ouverture de chaque container, tous les regards convergent vers son gros ventre noir pour découvrir ce qui s'y cache ; l'apparition des blousons et des cigarettes est saluée avec de grands sourires ; les revolvers et les pistolets à barillet ont, aussi, bien des amateurs ; mais les plus applaudis sont les petits postes de radio, parallélépipèdes de métal gris clair tenant dans la main et qui, magiquement, fonctionnent sans branchement électrique.

Pendant que, de découverte en découverte, s'achève l'inventaire, le jour a élargi sa brèche dans le ciel et une grande lassitude m'est venue. Je me sens les joues creuses, les yeux me piquent, un grand désir de dormir m'assomme. Je me hisse par l'échelle jusqu'en haut, dans la paille, là où on trie les parachutes ; ils ont été pliés et enveloppés de leur housse brune marquée de leur couleur : yellow, Blue, white... J'en choisis un blanc, tandis qu'un groupe discute des mérites respectifs des différentes teintes. (J'ai appris depuis que nous avions eu là notre premier contact avec le nylon encore inconnu en France).

Non loin de là. Alice est endormie sur la paille.

D'en bas, me parviennent des voix, comme un bourdonnement dans une atmosphère ouatée ; puis le roulement d'un tombereau brinquebalant venant prendre son chargement. Quand je redescends, il pleut toujours. Avec Charlot, nous faisons mettre de côté ce que nous destinons au groupe de Sérouanne : nous tenons beaucoup aux mitraillettes Sten ; nous aurons des chargeurs en quantité raisonnable et du plastic et des mines antichars et des crève-pneus ; et puis aussi un poste de radio, un blouson et des cigarettes.

Une autre charrette est en cours de chargement. On la couronne de fagots et la voilà partie paisiblement sous la pluie.

Julien est toujours debout au milieu de la cabane. Il me paraît extrêmement fatigué, comme amaigri, les cheveux en désordre, la voix lasse.

Nous avons été dans les derniers à partir en attendant le camion du Père Hamel qui doit transporter notre lot de matériel et celui de Juvigny.

Le pré a l'aspect tranquille et sans histoire de tous les prés du bocage, impassible dans son entourage de talus couronnés de broussailles mêlées aux coudriers : il n'attend plus que le retour de ses vaches.

Quand le camion arrive enfin, la pluie a cessé, mais il ne peut rouler jusqu'à la grange et nous avons dû faire plusieurs navettes pour le charger, pateaugeant et glissant dans la boue du sentier défoncé par les piétinements et les charrois précédents. Un vieil homme devant la ferme, casquette au ras des yeux et longues moustaches tombantes, observe notre manœuvre ; il semble n'avoir pas dormi beaucoup plus que nous. Au dernier paquet, il est venu nous souhaiter bonne route et nous lui conseillons d'observer prudence et discrétion.

Sur la plateforme, notre chargement avait été camouflé sous une couche de paille et nous nous sommes allongés, Charlot et moi, sur cette " paillasse " pas trop inconfortable. Nous avons tiré des couvertures sur nous d'où seules nos têtes émergent, mais nous tenons chacun en mains une mitraillette chargée en cas de mauvaise rencontre. Au moment où l'on démarre, Charlot, cheveux en brosse et fine moustache blonde, me fait un clin d'œil qui veut me dire : " T'en fais pas, ça ira. " Dans la cabine, à côté d'Eugène Hamel au volant, s'est assis Leboulanger, de Juvigny.

Sur les ridelles, une banderole à croix rouge froufroute tandis que nous remontons vers Fougerolles. Nous refaisons ensuite, en sens inverse, le trajet que nous avions parcouru la veille à vélo avec Alice. Mais, les deux jeunes gens qui pédalaient hier comme en une insouciante balade en douce compagnie sont maintenant étendus là, plaqués sur cette plateforme, étreints par la sensation quelque peu angoissante d'une glissade cahotante dont ils n'ont pas la maîtrise.

Immobiles, passifs, mais vigilants, l'arme fermement tenue, d'autant plus vigilants qu'en cas de contrôle, nous n'aurions pas le choix de la manœuvre ni l'avantage de l'anticipation.

Au-delà de la claire-voie des ridelles, on ne distingue pas grand-chose ; sous l'accompagnement des nuages qui paraissent s'effilocher dans un ciel qui se dégage, nous échangeons peu de mots et une pensée fixe s'accroche et s'impose en moi : " Tant qu'on roule ça va. " Et je me répète : " Tant qu'on roule ça va. "

Un premier ralentissement nous met en alerte ; les maisons qu'on discerne me font supposer que nous entrons dans Savigny ; le camion réduit de plus en plus son allure tout en se déportant vers la gauche : je m'aperçois que nous sommes en train de doubler une colonne de Chleuhs alignés sur le bas-côté de la route. On a beau se persuader que la maîtrise du Père Hamel est rassurante et que le sang-froid qu'il avait montré en d'autres circonstances doit, cette fois encore, nous permettre de franchir l'obstacle. N'empêche que la gorge se serre et que le cœur bat plus fort que jamais.

Comme pour me dénouer la langue, je chuchote à Charlot : " Tant qu'on roule ça va. " Et lui me répond encore de son clin d'œil : "' T'en fais pas, ça ira. "

Longue, longue, interminable, cette lente traversée du village où, à cette heure-là, la banale agitation quotidienne dresse inconsciemment sur notre passage le danger d'une fausse manœuvre ou d'une immobilisation du véhicule qui risquerait alors de nous livrer à la plus périlleuse des curiosités.

Le camion reprend un peu de vitesse avant même que les dernières maisons du bourg soient dépassées : il retrouve enfin son allure normale quand l'étau de la rue qui l'enserrait s'est relâché en même temps qu'un grand soupir soulage l'oppression qui m'étreint la gorge, m'écrase la poitrine et l'estomac.

Nous roulons sans autre incident jusqu'à Saint-Hilaire. Là, les cicatrices trouant la chaussée depuis le bombardement américain qui avait ravagé la ville en juin, obligent à ralentir. Mais la traversée s'effectue sans alerte et, dès qu'on s'engage dans la descente vers la gare et la Sélune, nous retrouvons une atmosphère si familière qu'on est maintenant sûrs que rien de fâcheux ne peut plus nous arriver.

Le camion attaque maintenant courageusement mais non sans maugréer, la dure côte de Parigny. Après avoir tourné vers Sérouanne, nous faisons arrêter Hamel à l'endroit que nous avions repéré pour déposer provisoirement notre chargement jusqu'au soir. Aucune circulation ne vient nous troubler, aussi pouvons-nous, sans interruption, cacher le tout derrière le talus choisi. Et, après la chaleureuse poignée de mains qu'on imagine, Eugène Hamel et son passager de cabine poursuivront leur route vers Juvigny, emportant le reste du chargement sous sa protection de paille.

Ce fut encore une rude nuit, cette fois-là : tous les gars de notre groupe en file indienne, à travers champs, près, talus, grillages, évitant routes et habitations, chacun portant sa charge, du talus au-dessus de la route où nous avions

déchargé le camion jusqu'à l'inoffensive cabane plus près de notre planque où nous allions entreposer nos armes.

Et par là-dessus, un clair de lune dont, cette fois, on se serait bien passés.

L'IMPOSSIBLE OUBLI

Mes sincères remerciements à M. Louis Pinson, ancien Directeur d'École et membre de la Résistance, qui m'a priée d'écrire mes souvenirs de la Deuxième Guerre Mondiale, pour ajouter mon témoignage à celui des autres survivants des persécutions nazies.

Merci à nos amis, Maître Fernand Leprieur, maire d'Avranches, et M. Jean Lerouxel, adjoint, qui ont mis M. Pinson en relation avec nous. Sans cette initiative, j'aurais sans doute continué ci garder le silence.

Anne-Marie MAINEMER.

L'IMPOSSIBLE OUBLI

Ma sœur Rose-Marie et moi sommes nées à Paris, filles de Joseph et Dina Mainemer. C'est moi l'aînée.

En 1932. nous déménageons à Avranches où nous sommes la seule famille d'origine juive, jusqu'à ce que M. Simon Rosenthal s'établisse à Avranches. après son mariage.

En 1939, après la déclaration de guerre, papa essaye de s'engager dans l'armée. Refusé à cause de son âge.

1940 – débâcle et invasion de la France. Nous partons nous refugier au Pouldu, près de Quimperlé. La Wehrmacht y arrive en même temps que nous.

De retour à Avranches, la vie reprend son cours, mais nous sommes maintenant en territoire occupé. Le 13 août 1940 je suis reçue à l'examen du baccalauréat et ma famille est heureuse pour moi.

Fin 1940 – début 1941: plusieurs membres de notre famille de Paris arrivent à passer en zone libre.

Radio-Paris commence à vitupérer contre les Anglais. les Gaullistes, les Juifs, les Francs-maçons, les communistes, etc.

1941 – On annonce bientôt que les Juifs devront faire gérer leurs entreprises par des Aryens. Mon père, quoique bien connu dans la région depuis des années, décide d'abandonner sa vente au détail, malgré une fidèle clientèle. Heureusement. son permis de mi-gros lui permet de continuer à travailler au ralenti. Tous les fonds de commerce appartenant à des Juifs doivent être identifiés par un écriteau : " Entreprise juive. "

Première brutalité : M. et Mme Rosenthal décident de faire le marché important de Villedieu où des soldats allemands s'emparent de leur marchandise qu'ils jettent à terre avec de grands cris et des insultes, devant les clients effrayés. Les Rosenthal viennent nous raconter ce terrible incident qui nous secoue tous. C'est comme ce qui se passait en Allemagne en 1933.

Il faut que nous nous fassions déclarer comme Juifs au Commissariat de Police et que nous allions tous les jours nous faire pointer. C'est la première grave atteinte à la dignité de l'être humain : on lui enlève sa liberté de mouvement. Ces lois spéciales sont comme une main qui cherche à nous étrangler ; elle se resserre sur notre gorge petit à petit, jusqu'à la " Solution Finale ".

Les voyages sont finis sans la permission de la Feldkommandantur. Il nous faut remettre notre poste de T.S.F. à la mairie. Papa achète un vieux poste à accus qu'il porte à la mairie, remet notre bon poste à des amis, et le remplace aussitôt par un poste neuf, très petit, donc facile à dissimuler.

Notre couvre-feu est de 20 h à 8 h. Nous ne sommes autorisés à faire nos achats de nourriture que l'après-midi, quand les magasins sont presque vides. Heureusement, nous avons deux employés et ce sont eux qui font les commissions. Nos deux autos sont enfermées dans le garage, sans essence, et plus tard sans pneus. Cependant, les Boches viennent réquisitionner le camion chaque fois qu'ils veulent réapprovisionner leurs amis : la femme pâtissière et le sieur épicier, place Littré. Ce sont les soldats allemands qui nous ont donné leurs noms. Chaque fois qu'ils ramenaient le camion, il y avait des traces de farine et de sucre à l'intérieur. Naturellement, ces deux collaborateurs n'avaient pas manqué de leur dire qui nous étions. Après la guerre, j'ai signalé à la Police tout individu qui nous avait nui, avec dates et témoins à l'appui.

Mai 1912 – Les ordres arrivent : nos cartes d'identité et de rationnement doivent porter la mention juif ou juive et, pour comble, on nous fait donner des points de notre carte de rationnement pour obtenir une étoile jaune à six pointes avec le mot juif en noir, étoile qui doit se porter sur le côté gauche de la poitrine.

26 juin 1942 – Je vais passer mon " bac-philo " à la mairie d'Avranches et refuse, pour cette occasion, de subir l'humiliation de porter l'étoile jaune devant des centaines d'élèves et de professeurs. Quand les examens sont terminés, papa vient me chercher à la mairie et, par solidarité, il ne porte pas non plus son étoile.

27 juin 1942 – 10 h du matin. Deux feldgendarmes font irruption dans la cuisine où nous nous trouvons, sans sonner à la porte. Maman n'a que le temps de les faire passer dans le salon pendant que la bonne fait disparaître notre petite radio en la jetant par la fenêtre dans un buisson. Ma sœur court avertir mon père qui faisait du jardinage. il saute par-dessus un mur et court à travers champs pendant des heures. Naïvement nous pensions que les hommes étaient les seuls visés.

Un gros lieutenant aux cheveux roux se met à nous questionner, maman et moi : " Connaissez-vous d'autres Juifs à Avranches ? " Maman ne répond pas. Moi, malgré ma peur, la colère me fait répliquer : " Non, nous ne connaissons pas de Juifs ici. D'ailleurs j'ai du mal à vous comprendre. Si vous parlez anglais, ce sera plus facile. " Au mot " anglais " je me rends compte que la moutarde lui monte au nez. C'est ce que je voulais, énerver ces êtres insensibles. Cette séance idiote dure bien une heure. En réalité, maman et moi comprenons l'allemand, mais nous le laissons radoter : " les Catholiques connaissent d'autres Catholiques, les Juifs connaissent d'autres juifs "...

Nous apprendrons plus tard que papa et moi avons été vus la veille sans étoile jaune par E. L., collaborateur notoire, qui a toujours haï mon père, sans doute parce qu'il était dans le même commerce que lui. Il nous a dénoncés à la Feldgendarmerie.

Après le départ des deux feldgendarmes, une semaine environ se passe. Nous ne sortons plus, excepté pour le pointage, hebdomadaire maintenant. On nous annonce qu'une petite fille, Estelle, est née chez les Rosenthal. Leur aîné, Jacques, à huit ans.

Quelques jours plus tard, les feldgendarmes viennent de nouveau se rappeler à notre bon souvenir. Cette fois, ils sont obligés de sonner à la grille car une énorme chaîne munie d'un cadenas tient le portail fermé. Encore des questions oiseuses. Ils perdent leur temps, mais tiennent sans doute à nous montrer qu'ils ont l'a;il sur nous. Nous nous passerions très bien de leur assiduité. Chacune de leurs visites nous cause une angoisse intolérable, comme le jeu du chat et de la souris.

14 juillet 1942 – 8 h du matin – La sonnette de la grille n'arrête pas. On

entend un grand bruit métallique, des voix gutturales au portail, des hurlements. La bonne va ouvrir ; des feldgendarmes se précipitent, il y en a au moins quatre ou cinq dans la maison maintenant, armés de mitraillettes. Je crois que ma tête va éclater. Je reconnais le gros lieutenant roux qui, m'a-t-on dit plus tard, s'appelait Brandt. II faut que mon père aille faire sa valise. Ne sachant vers qui me tourner, je téléphone aux Rosenthal pour les avertir. La voix de leur bonne me répond : " Ils sont ici aussi. " Je ne me rappelle pas avoir vu papa partir. Le choc a dû me causer une amnésie temporaire. En regardant par une fenêtre du premier étage, Rose-Marie l'a vu quitter la maison entouré de plusieurs feldgendarmes. Il poilait son manteau de cuir marron, et c'est le dernier souvenir qu'elle a de lui.

Mon père est, paraît-il, à la prison d'Avranches. Les Boches sont en train de donner des ordres à maman. ils reviendront la chercher cet après-midi. Après avoir fait sa valise, elle devra nous préparer à rester seules avec la bonne. Ils ont l'air très au courant de notre mode de vie, cela m'a frappé plus tard. J'arrête un Teuton au passage : " Vous ne pouvez pas emmener ma mère, elle est trop fragile. " Réponse : " Je ne suis pas docteur, si elle est malade on la renverra.

Quelle hypocrisie ! Aussi longtemps que je vivrai, je me souviendrai de l'aspect physique de cet individu : un mastodonte aux cheveux et yeux noirs, dans l'uniforme maudit. On aurait dit qu'une balle de revolver ne pourrait l'abattre.

La nouvelle a dû se répandre aussitôt dans la ville parce que dès le départ des monstres, nos amis se mettent à arriver. Le Dr Alfred Lebreton, très pâle. Je suis au désespoir, je ne sais comment maman peut tenir le coup. Il lui promet que sa femme et lui veilleront sur nous. Mon amie d'école, Irène Poidvin, arrive. Les mots lui manquent. M"' Adam, le professeur de piano de Rose-Marie, est en larmes. Maman qui prépare le contenu de sa valise, lui donne des bas : " Vous en aurez besoin, il va faire froid et je serais partie sans doute assez longtemps. " Elle se met à pleurer, mais se ressaisit. (Je suis reconnaissante à M. A. Marie, ancien Direteur de L'Avrunchin d'avoir eu la bonté de mentionner, à la page 81 de son livre écrit en 1949, la générosité de mes chers parents. J'aurais voulu pouvoir le remercier avant son décès.)

A l'heure prévue, deux soldats allemands se présentent pour emmener

maman. Elle est prête, notre bonne est autorisée à lui porter sa valise. Nous faisons nos adieux et elle sort de la maison la tête haute. Les deux soldats marchent devant elle sans se retourner. M. Gervais, notre bon voisin d'en face, suit maman à bicyclette pour voir où ils l'emmènent. Rose-Marie et moi souhaitons que tout autour de nous disparaisse. Notre désespoir est indescriptible. A la nuit tomhante, le gardien de prison et sa femme me font prévenir en cachette que mes parents seront emmenés à Paris le lendemain matin à l'aube et que je peux venir les accompagner à la gare.

15 juillet 1942 – Il fait à peine jour. J'attends avec ma bicyclette non loin de la prison. Les voici. Deux Boches marchent devant nous, les mêmes qu'hier. Maman est désemparée. " Il n'y avait même pas d'eau pour se laver, j'ai utilisé le contenu de ma bouteille d'eau de Vichy. " Elle qui a toujours été d'une propreté méticuleuse ! Papa et M. Rosenthal marchent derrière nous avec M' Hérault, l'avocat et ami des Rosenthal. Le jeune propriétaire d'un café de la place Littré traverse en courant pour serrer la main à maman à qui il avait appris à conduire quand il était garagiste.

A la gare d'Avranches, nous attendons le train pour Paris. Le voilà, Maman me serre sur son cœur à m'étouffer : " Fais attention à toi, tu es trop mince, il faut manger davantage. Ne te tracasse pas pour tes études, tu les continueras quand nous reviendrons. " Pour la première fois de ma vie, je vois des larmes qui coulent des yeux de mon père, il est déjà sur les marches du train. Il attrape mes deux mains et les embrasse : " Prends bien soin de ta petite sœur " ... M. Rosenthal fait ses recommandations à m, Hérault. Un coup de sifflet. Tout le monde est à bord et le train se met doucement en marche, nous arrachant les uns aux autres. Par la suite, j'ai pensé bien souvent à Anna Karénine. D'une manière différente, la meilleure partie de ma vie s'est terminée ici, sur ce quai. J'ai toujours remercié le ciel que ma sœur ait été trop jeune pour assister à ce départ.

16 juillet 1942 – J'apprends les arrestations en masse à Paris. Je reçois un message nous faisant savoir que tous les membres de notre famille restés à Paris sont saufs, mais cachés. Un ami, inspecteur de Police, a averti le frère de maman qu'il avait eu vent de quelque chose de grave qui se préparait.

Quelques jours après, nous recevons la première lettre de maman du camp de Phitiviers. Elle me demande un certain petit oreiller pour papa. Je prépare vite un colis de nourriture qui est expédié aussitôt en même temps que l'oreiller. Les lettres du camp viennent par l'entremise d'une M Émilienne, épouse non juive d'un des prisonniers. Je fais des colis presque tous les jours et je reçois quelques lettres de mes parents, toujours par Mme Émilienne.

Le courage de Maman à l'air de se maintenir. " Dieu est partout ", nous écrit-elle. Puis, un jour, plus de lettres. Je suis quand même là, à la grille, chaque fois que le facteur passe. On vient nous enlever notre téléphone.

Quelques semaines plus tard, le facteur nie fait signe de loin. J'accours, c'est une lettre de Phitiviers. Maman nous écrit qu'ils vont être envoyés ailleurs. Mon père est déjà parti vers une destination inconnue avec cinq mille hommes. Elle nous renvoie sa bague de mariage, celle de papa, leurs montres et leurs deux stylos (jamais reçus)... Nous nous apercevons avec une profonde tristesse que la lettre date de plusieurs semaines. C'est la dernière.

15 septembre 1942 – La Wehrmacht commence le siège de Stalingrad. C'est un abattoir. Les Américains sont en guerre depuis décembre 1941, après l'attaque-surprise par les Japonais à Pearl Harbor. Tout cela nous donne de l'espoir. Nous écoutons la B.B.C. religieusement, mais nous vivons à la merci de sauvages qui deviennent de plus en plus féroces.

En attendant des jours meilleurs, nous allons, Rose-Marie et moi, rendre visite à des amis, M'n" Lambert, qui habite non loin de chez nous, est veuve d'un capitaine tué dans la " Grande Guerre ". Elle vit avec sa fille et nous parlons ouvertement des Boches. Nous sommes parfois invitées chez la famille Bazire où il y a une bibliothèque bien garnie. Je lis, je lis (Dorgelès, Philippe Hériat, etc.). Quand mes parents ont été arrêtés, ma sœur lisait " A l'Ouest, rien de nouveau " par Erich Maria Remarque, bien sérieux pour une enfant de 12 ans, mais nos parents avaient une grande admiration pour cet auteur.

Nous avons quelques visiteurs : M. Désiré Lerouxel dont on connaît le sort tragique dans la Résistance, le Baron de la Mothe (propriétaire du Café du Balcon) viennent séparément nous faire savoir combien notre tragédie les affecte. Ils connaissaient bien mon père. Leurs visites me touchent beaucoup car bien des gens qui se disaient nos amis ne nous ont plus donné signe de vie, de peur de se " compromettre ". M'' Alfred Lebreton vient de temps en temps nous apporter des petites " pâtisseries " qu'elle fait elle-même. (Je resterai en contact avec elle jusqu'à son décès, dans les années cinquante).

22 septembre 1942 – Un télégramme de ma tante de Paris nous annonce le décès de notre cher grand-père. Dans les jours heureux, il venait passer les étés chez nous. II était toujours assis en train de lire, sans lunettes, près de la fenêtre. Nous voici donc encore plus seules, j'ai du mal à croire que nous ne le reverrons plus.

Octobre 1942 – Nous apprenons que Mme Rosenthal et son petit Jacques ont été arrêtés. Les Thomas, gens très dévoués, ont pu prendre le bébé Estelle, mais, malgré leurs supplications, les Boches sont restés inflexibles au sujet de Jacques qu'ils ont déporté avec sa mère. Je n'ai pas assez de mots pour décrire mon indignation.

16 octobre 1942 – La concierge de l'immeuble du 44 rue d'Enghien à Paris nous informe que ma tante (la sœur cadette de maman), mon oncle et ma petite cousine de 15 ans, cachés dans leur appartement, ont été arrêtés par la Police Française et sont au camp de Drancy. Ils ont été surpris avant de pouvoir s'évader par une porte secrète. Pour nous, c'est le choc final : ma petite cousine au cœur d'or, notre compagne de jeux dans notre enfance, et si brillante au lycée ! Ma tante et mon oncle ont soigné grand-père pendant des mois avant son décès. Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar. Je leur envoie des colis de nourriture à Drancy et leurs écris tous les jours. Bientôt, une lettre de ma petite cousine nous fait savoir qu'ils sont sur le point de partir pour une destination inconnue. Cet enfer est donc sans fin ! Chaque catastrophe renforce ma résolution de ne pas nous laisser arrêter.

1943 – Le temps passe, malgré tout. Ma sœur et moi allons souvent à la Librairie Leprovost où nous retrouvons parfois le même groupe bien-pensant et parlons des dernières nouvelles.

Il n'y a presque plus de Juifs dans la région. Un ami de mon père, M. Émile Vessler, négociant très connu à Granville, a été arrêté en 1942 en essayant de traverser la ligne de démarcation et je pense que sa disparition a découragé mon père d'essayer aussi.

Puisque les Juifs ont été expulsés des écoles et universités, Rose-Marie prend des leçons particulières de plusieurs matières et de piano. Elle est vraiment douée pour la musique et mes parents seront heureux.

Tous les dimanches, je continue à me rendre au Commissariat de Police pour le pointage.

Novembre 1943 – Aujourd'hui nous nous trouvons à la Librairie Leprovost, Madeleine Tesnières-Ménard (que je connais depuis des années) est présente et nie dit soudain d'un air pensif : " Le docteur X (Israélite) a été vu hier entre deux gendarmes français à la gare de Folligny. " Mon sang ne fait qu'un tour. Je fais signe à Rose-Marie qu'il est temps de partir. Dès que nous sommes seules, je lui dis : " C'est bientôt notre tour. " Je n'ai pas besoin d'expliquer, malgré ses 13 ans, elle devine ce qui nous attend. Brave Madeleine, c'est sans doute elle qui nous a sauvé la vie sans le savoir.

Aussitôt rentrée, je fais un plan qui nous permettra de nous échapper en sautant par une fenêtre de la salle à manger. J'explique les détails à Rose-Marie et à la bonne. Maintenant, ayons confiance en notre chance...

En attendant la suite de ce récit, je vais mentionner les noms des trois personnes qui habitaient Avranches et ont eu un rôle très important pour nous pendant la guerre : la famille Arsène Morel. Nous avons fait la connaissance de M. More] dès notre arrivée à Avranches. Il venait relever notre compteur à gaz pour sa compagnie, toujours aimable et prêt à rendre service. Mes parents se sont pris d'amitié pour lui et n'ont pas tardé à connaître M""' Morel. C'était un couple bien assorti. Quand leur fils unique, René, a quitté l'école, mes parents cherchaient un employé pour les aider dans leur commerce et remplacer celui qui venait de partir après 4 ans. René Morel a donc été engagé. Il venait tôt le matin et rentrait chez lui le soir après dîner. Notre personnel a toujours été considéré comme faisant partie de la famille. Quand les moments difficiles de l'Occupation sont arrivés et que papa a cessé de travailler, René Morel est resté chez nous, car tous les jeunes gens en chômage couraient le risque d'être envoyés en Allemagne. Quand nos parents ont été déportés, il faisait des travaux dans la maison et le jardin ou " bricolait " dans la cave à outils. Sa loyauté envers nous et son patriotisme étaient exemplaires, comme on va le voir.

22 novembre 1943 – 22 h – Nous n'avons jamais entendu la sonnette de la grille tirée avec une telle force. plusieurs fois. Ce sont " eux " ! Les portes sont bien fermées. Nous éteignons la lumière de la cuisine et, dans l'obscurité, je monte au premier étage jusqu'à la chambre d'amis où les volets, face à la rue. restent ouverts. Ma sœur me rejoint. Nous nous accroupissons près de la fenêtre. Je me soulève un peu pour essayer de voir des silhouettes. Je ne vois que les feux de plusieurs cigarettes. Tout à coup un faisceau lumineux projeté d'une fenêtre de la maison à l'autre me force bien vite à me mettre à plat ventre. Nous nous attendons à tout, ils vont sans doute ouvrir le feu. Nous ne bougeons pas, plus mortes que vives.

Après un long moment, on n'entend plus rien. Ils ont décidé de repartir sans violence, croyant peut-être que nous couchions ailleurs. Maintenant, c'est certain : ils vont venir demain matin. Il est impossible de fuir à cause du couvre-feu et des patrouilles. II nous faudra attendre jusqu'à 8 h. Nous nous sentons comme des animaux traqués.

23 novembre 1943 – 8 h du matin – Nous sommes habillées et avons déjeuné niais, bêtement nous n'avons pas encore mis nos manteaux, et puis nous sommes très fatiguées par l'angoisse et le manque de sommeil. Le bruit de la sonnette de la grille retentit. Nous savons que ce sont " eux ", bien que nous ne voyions pas qui a sonné car les volets sont fermés et doublés de tissu fiancé pour le camouflage des lumières. J'ouvre la fenêtre du côté de la salle à manger et je saute dans le jardin. Rose-Marie saute aussi derrière moi. Je cours vers le garage. De l'autre côté de la maison, la bonne sort pour " les " faire entrer. Arrivée dans le garage, je me retourne. Rose-Marie ne m'a pas suivie ! La panique et le désespoir s'emparent de moi. S'ils attrapent ma sœur, je serai obligée de me rendre, je ne partirai pas sans elle. Au bout de quelques instants qui m'ont fait perdre dix ans de vie, la voilà qui arrive en courant : sans penser, elle était partie vers la cave, dans la direction opposée. Nous quittons le garage et nous nous précipitons dans la rue. Mon instinct me pousse à aller sonner chez M' Lambert qui ouvre sa porte, et nous voyant sans manteaux un jour de pluie de fin novembre, comprend ce qui se passe et nous fait entrer aussitôt.

Je murmure : " Ils sont encore chez nous. " Elle s'apprête et quelques minutes plus tard elle est en route vers la maison du D' Lebreton pour le prévenir et lui demander conseil. Avec M"` Lambert, nous restons très silencieuse à cause de la curiosité d'une voisine. Quand Me' Lambert revient, elle et sa fille nous prêtent leurs imperméables et nous descendons le boulevard désert avant que la nouvelle de notre arrestation manquée ne se répande. Ah ! les misérables, ils avaient l'intention de nous faire passer la nuit en prison et de nous faire partir avant le jour. On aurait appris notre arrestation comme un fait accompli.

Rose-Marie et moi arrivons chez le docteur et Mme Lebreton. Ils nous offrent du thé servi par une jeune femme de chambre que je connais de vue et qui nous reconnaît, elle aussi. Avec toutes ces allées et venues, nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps. Nous prenons congé de nos amis et traversons la place pour nous rendre chez M. et Mme Morel. Personne. M Morel travaille aujourd'hui. Alors il faudra attendre sous un porche. Il pleut et il fait froid. Ces 6 ou 7 h sont comme un cauchemar. Il faut que personne ne nous voie. A la maison, nous souffrions moralement, maintenant nous allons souffrir physiquement. Ma sœur me dit qu'elle croit avoir aperçu des gendarmes Français chez nous quand elle est passée en courant pour me rejoindre. Qu'importe ! Ils avaient les mêmes ordres.

Enfin, René More) qui ne savait pas où nous étions nous aperçoit en rentrait chez lui. Il s'empresse d'aller prévenir son père. Mme Morel rentre du travail et nous fait monter dans leur petit appartement. Après un repas bienvenu, M. Morel nous annonce qu'il a fait des arrangements avec le Directeur de l'usine à gaz, un M. Bitard qui a la bonté de nous accueillir chez lui. Vers 19 h 30, Rose-Marie, M. More] et moi nous mettons en route pour l'usine à gaz. Nous traversons la ville et tout me semble étrange, la vie à l'air de continuer pour les quelques personnes que nous croisons dans l'obscurité. Elle semble s'être arrêtée pour nous depuis longtemps. Nous nous doutons que c'est sans doute la dernière fois que nous traversons la ville à pied avant la fin de la guerre. Nous sommes sans bagages, avec des imperméables empruntés et, en chaussons, nous marchons vers une destinée inconnue.

La famille Bitard nous accueille chaleureusement et nous disons au revoir à notre cher M. Morel. Mme Bitard nous conduit au premier étage dans une belle chambre bien chauffée. Ce sera notre chambre.

Nous jouissons d'une certaine liberté au sein de la famille Bitard, mais nous ne pouvons ni sortir, ni nous approcher d'une fenêtre de peur d'être reconnues par les ouvriers travaillant dans la cour. Mme Bitard est une excellente cuisinière et leur petite Gisèle apporte l'élément joyeux et innocent qui nous a tant manqué ces dernières années. Plus d'étoile jaune, plus de pointage, plus de son rythmique de bottes de l'oppresseur sur la route. Nous pouvons parler ouvertement devant quelques amis de la famille Bitard. Sans cela, nous sommes dans notre chambre en train de lire des livres de la très bonne bibliothèque qu'ils ont ici.

Nous pouvons recevoir des amies sûres comme Mlles Nativelle qui nous tiennent au courant de ce qui se passe en ville.

24 novembre 1943 – Les Teutons ont placé des barrages et passent la journée à fouiller tous les véhicules qui montent ou descendent la rue de la Constitution, pour nous trouver. Ils vident tout le foin de la voiture à cheval d'un fermier, pensant que nous sommes cachées dessous. C'est un petit triomphe pour nous car pendant que ces idiots perdent leur temps de cette manière, ils ne font rien d'utile pour leur armée.

Notre bonne, Augustine Poirier, est rentrée chez elle puisqu'il n'y a plus personne chez nous. Tous les jours, dès la tombée de la nuit, René Morel sort tout ce qu'il peut de la maison, petit à petit, et porte les paquets chez des amis. Un déménageur transporte le piano de Rose-Marie chez Mme Adam. Le mobilier reste où il est. Nous avons maintenant des vêtements et deux valises.

Je fais part à mon oncle (le frère de maman) de Paris des derniers événements et lui donne l'adresse de M. Bitard. Sa fille, qui a d'excellents faux papiers d'identité et peut ainsi voyager sans danger, vient à Avranches. Que nous sommes heureuses de nous revoir ! Mais le temps presse et je la charge d'une mission importante. Mes parents m'avaient parlé d'une petite caisse de métal qui était enterrée dans le jardin, mais ne m'avaient donné qu'une idée approximative de l'endroit où elle était. il faudra que René Morel, accompagné de ma cousine, creuse pendant de longues heures dans le froid et l'obscurité pour trouver cette petite caisse. Le lendemain, ma cousine va en confier le contenu au docteur Lebreton qui me le remettra intact après la Libération. Avant de repartir pour Paris, elle vient nous dire au revoir, tout le monde admire sa beauté et son courage : son mari a été arrêté en essayant de traverser la ligne de démarcation près de Dax et elle est restée avec un petit garçon de deux ans, Philippe. Nous nous embrassons et je remercie ma cousine du fond du cœur d'avoir fait le voyage de Paris pour nous... Nous ne la reverrons plus. Arrêtée après une dénonciation en 1944, elle est morte du typhus quelques jours après la libération de son camp par les Alliés. Elle avait 25 ans.

Les jours passent. J'apprends que plusieurs avocats de la ville ont eu la gentillesse de faire mettre les scellés sur la porte de notre maison. Les Boches n'ont de respect pour rien : quelques jours plus tard, cinq soldats allemands s'installent chez nous.

Sœur Mondo, Mère Supérieure des Sœurs de Saint-Vincent de Paul, vient faire notre connaissance. C'est une grande femme au regard profond qui donne un sentiment de sécurité.

Je crois que c'est M. Rousselet qui me tend un jour ce qui sera ma fausse carte d'identité. il faut que je la remplisse. Elle porte une signature officielle, paraît-il, est très semblable à celle de la personne courageuse qui l'envoie. Malheureusement, je n'ai jamais appris qui c'était, mais je ne l'oublierai pas.

Fin 1943 – Ce qui caractérise toute cette époque, c'est que nous ne savons jamais le matin où nous serons le soir. Il est temps de quitter la famille Bitard qui s'est mise en danger pour nous pendant quarante jours.

Début janvier 1944 – Anne-Marie Martin, née à Oran (libéré par les Alliés) et sa sœur Rose-Marie Martin, apprennent qu'elles vont aller à Caen, dans un couvent. "fous les arrangements sont déjà faits. Des gens sûrs et dévoués, dont Sœur Mondo, les accompagneront. Un matin de très bonne heure, nous prenons congé de M Bitard. Nos larmes coulent silencieusement. (Rose-Marie m'a dit bien des fois qu'elles se rappelle ce départ comme l'un des moments les plus angoissants de la guerre). Une auto de couleur foncée nous attend. M. Bitard et deux autres personnes viennent avec nous. Sœur Mondo est assise à l'arrière entre Rose-Marie et moi. Tout le monde est silencieux. M. Morel et son fils partent pour voir s'il y a des patrouilles ou des barrages. Le champ est libre, la voiture se met en marche. Le voyage est très vague dans ma mémoire. Nous arrivons à Caen, Quai Vandœuvre, où nous entrons dans le couvent des Petites Sœurs de la Charité et, après nos adieux et nos vifs remerciements, nous nous séparons de nos courageux compagnons de voyage qui reprennent le chemin d'Avranches. La porte du couvent se referme derrière nous et nous voici dans un monde inconnu, celui des religieuses cloîtrées.

De jeunes étudiantes prennent demi-pension au couvent. Il n'y a que quelques personnes qui savent qui nous sommes. Quelqu'un nous conduit pour faire connaissance de la Mère Supérieure, une sainte femme, paraplégique depuis une opération. On appelle les religieuses Madame. Elles sont toutes habillées de blanc et chacune s'occupe d'un groupe de jeunes filles. Notre surveillante, Mme de l'Enfant Jésus, est jeune, très sympathique et deuxième prix de piano du Conservatoire. Donc, c'est une chance pour Rose-Marie, elle pourra continuer ses leçons de piano avec un excellent professeur. Il y a aussi l'indispensable Mlle Lucie qui habite et travaille au couvent. Comme elle sort, elle fait les courses, elle fait de tout avec une énergie incroyable, malgré ses cheveux blancs. Elle est au courant de la raison de notre présence ici et s'arrange pour nous procurer des cartes de rationnement. C'est un ange.

Les énormes bâtiments sont vétustes, grisâtres et très déprimants. Notre chambre, sans chauffage, est de l'autre côté de la cour, on dirait un couloir peint en vert. Nous sommes dans l'aile réservée aux Madeleines, religieuses pénitentes, qui prennent soin de très vieilles femmes que nous apercevons parfois en passant. Nous allons au réfectoire avec les étudiantes pour les repas ; la nourriture est mauvaise et insuffisante. De temps en temps, le père d'une des jeunes filles, qui est fermier, envoie de la farine blanche et nous avons d'excellents petits gâteaux comme dessert.

Assez souvent, nous sortons rendre visite à la famille de M. Touchard,

ancien Commissaire de Police à Avranches, muté à Caen à la suite d'une dispute avec la Feldgendarmerie. Rose-Marie était en 6e avec leur fille Jeanne, au Collège Littré. Ils nous invitent toujours à déjeuner et c'est un vrai régal.

Février 1944 – On dirait que les alertes viennent plus souvent. Par leur son, nous reconnaissons les avions de la R.A.F. la nuit et les avions américains

quand le jour est clair.

Rose-Marie a mal à la gorge et une grosse fièvre ; elles est couchée dans

cette chambre glaciale et humide où un vieux médecin vient la voir et me recommande de badigeonner cette gorge enflammée plusieurs fois par jour avec un liquide que M Lucie devra aller chercher chez le pharmacien. Chaque fois, je retire du pus de ses amygdales gonflées. Elle a du mal à avaler le peu de nourriture que je lui apporte. Elle dort beaucoup. Qu'allons-nous devenir ? Après des journées interminables, sa fièvre baisse, elle avale un peu mieux. Je l'emmène très couverte dans une grande salle commune où il y a un peu de chauffage. Elle est très faible et si pâle...

Nous recevons régulièrement du courrier de mon oncle et ma tante (la

sœur aînée de maman) qui s'étaient réfugiés dans l'ancienne zone libre en 1941. Notre situation les inquiète beaucoup. bien qu'ils soient eux-mêmes en danger constant. Ils sont maintenant près de Lyon, avec de faux papiers d'identité.

Dès qu'elle peut sortir, j'emmène Rose-Marie chez un spécialiste qui recommande l'ablation de ses amygdales. Hélas ce n'est pas possible à l'heure actuelle, puisque nous vivons cachées sous de faux noms, toujours en danger d'être reconnues. On ne va pas à l'hôpital dans des conditions pareilles, il faut attendre.

Mars 1944 – Nous changeons de chambre. Celle-ci est dans l'immeuble

principal, plus accueillante, mais elle n'a qu'un lit trop petit pour deux personnes.

Un dimanche après-midi, nous décidons d'aller au cinéma. Le film est, paraît-il, un " navet " mais nous n'avons eu aucune distraction depuis des années, ce sera un changement. Au cinéma, je fais la queue pour acheter les billets quand Rose-Marie me pince le bras : c'est un signe de danger. Je la suis et, une fois dehors, nous nous mettons à courir à toutes jambes vers le couvent. Dans la foule, ma sœur a aperçu J. L., originaire d'Avranches, il est milicien. Heureusement, elle l'a reconnu tout de suite car lui aussi l'a reconnue, il allait au Collège Littré. Les Alliés sont avec nous ! Pendant que nous courons, les sirènes retentissent, ce doit être sérieux, on entend la D.C.A. Des civils se précipitent vers les abris. Qu'importe, nous courons sans nous arrêter une seconde, ce milicien peut être plus dangereux pour nous que les bombes. Enfin, nous arrivons au couvent sans avoir été suivies.

Fin mars 1944 – Les alertes se succèdent jour et nuit, les murs tremblent. Nous dormons tout habillées, avec une petite valise à côté du lit et nous sommes très fatiguées. Mon oncle et ma tante nous demandent instamment de venir les rejoindre dans la région de Lyon et cette idée nous tente de plus en plus. Une nuit, à 1 h 30, nous entendons des avions anglais. Tout à coup, il y a des explosions. Nous apprenons le lendemain matin qu'ils ont atteint une locomotive dans la gare et qu'un employé a été tué. Le tout n'a duré que quelques secondes.

Avril 1944 – C'est décidé, malgré tous les risques, nous allons quitter la Normandie. J'ai parfois l'impression que le plancher me brûle les pieds ici et je me fie à mes pressentiments. Je fais part de ma décision aux Religieuses : nous partirons vers le 15 avril pour Paris où nous nous arrêterons une journée chez mon oncle et continuerons notre voyage vers Lyon le lendemain matin. Nous disons un au revoir chaleureux aux Petites Sœurs de la Charité et leur exprimons notre reconnaissance pour leur hospitalité. M"^ de l'Enfant Jésus ne peut retenir ses larmes. Pendant ces derniers mois, elle s'est prise d'une vive amitié pour nous. C'est réciproque. Ses leçons de piano étaient excellentes pour le moral de Rose-Marie. Le dimanche matin, elle nous prie d'assister à la messe et, à la fin, elle joue une valse de Chopin à l'orgue, c'est magnifique.

Le jour du départ, notre dévouée Mlle Lucie nous accompagne à la gare et promet de nous envoyer nos cartes de rationnement dès qu'elle recevra notre nouvelle adresse. Nous l'embrassons bien fort avant de partir. Je regarde autour de moi avec soulagement, toujours ces pressentiments...

Nous voici maintenant à Paris où tant d'horribles choses se sont passées depuis ma dernière visite. Je ne connais presque plus personne ici. Les rues de la ville ont l'air vides de civils. Arrivées chez mon oncle et nia tante, nous nous embrassons en pleurant. Ils sont, bien sûr, au courant de nos malheurs, mais d'une voix qu'ils essayent de garder calme, ils nous font part des leurs : leur fils (30 ans) et sa femme qui étaient à Aix-les-Bains ont été déportés récemment. Un milicien l'a provoqué dans la rue et, indigné, mon cousin qui a fait la " drôle de guerre " lui a répondu du tac au tac. Ensuite, ma cousine, qui était venue chez M. Bitard, a été dénoncée et déportée quelques semaines auparavant. De nouveau, Rose-Marie et moi avons l'impression de vivre un cauchemar. Je regarde ces gens d'un certain âge, si courageux, à qui on a pris tous leurs enfants. Ils ont mis leur petit-fils en nourrice à côté de Paris et ont loué une ancienne fabrique de jouets au sous-sol de leur immeuble. C'est là qu'ils couchent. Cette nuit-là, je ne dors que d'un œil. J'ai peur d'entendre frapper à la porte. Quelle explication donner pour notre présence ici ? Et puis, sur une chaise, je vois le manteau de fourrure que ma chère cousine portait à Avranches...

Après des adieux déchirants, c'est notre ami commun, l'inspecteur de Police, qui nous accompagne à la Gare de Lyon le lendemain matin. Le voyage est long. Ma sœur et mois sommes assises près de la fenêtre, l'une en face de l'autre. Le compartiment est plein. Personne ne se parle, tout le monde a l'air de se méfier. A Chalon-sur-Saône, sur l'ancienne ligne de démarcation, deux officiers allemands ouvrent soudain la porte, le train est en marche : vérification d'identité. J'ai un coup au cœur, mais ce n'est pas le moment de faiblir.

Quand mon tour vient, le Teuton regarde ma carte d'identité, la tourne, la retourne, la tourne encore, me regarde, je pense que c'est " Oran " qui l'intrigue et je suis sur les charbons ardents. Finalement, il me rend ma carte, et fait signe à Rose-Marie que c'est son tour. C'est moi qui réponds d'une voix que je veux très assurée qu'elle n'a que treize ans, donc pas encore besoin de carte d'identité. La porte du compartiment se referme, une fois de plus nous l'avons échappé belle.

Les voyageurs s'apprêtent, nous arrivons à Lyon. Sur le quai, nous apercevons nia tante et mon oncle. Notre émotion est indescriptible, sans parler de la leur. Pendant trois ans, nous avons correspondu en code, sans rien pouvoir écrire ouvertement, c'est fini maintenant. Quoiqu'il arrive, Rose-Marie et moi avons gagné un sentiment de sécurité morale qui nous a tant manqué dans les années de solitude. Ma tante a dix ans de plus que maman, et leurs enfants (mes deux cousines) sont mariées et mères de famille. Elles sont réfugiées ailleurs. Mon oncle qui a connu maman quand elle avait dix ans, nous a toujours traitées comme un père. Il est si bon.

Nous quittons Lyon pour Meyzieux à une dizaine de kilomètres de là. Ils résident dans une maison de santé dont le médecin-propriétaire a donné asile à des réfugiés de tous les pays quand ils se sont trouvés en France après l'invasion allemande. Ils ont tous de faux papiers, mais certains parlent à peine le français. Nous logeons dans un pavillon séparé, l'Orangerie. Tout y est neuf, il n'y a pas de barreaux aux fenêtres bien que ce soit une clinique psychiatrique, et les jardins sont superbes. C'est cher, mais nous n'avons pas le choix.

Rose-Marie se sent mieux grâce à l'air sec et pur. La nourriture est bien préparée mais insuffisante, c'est pourquoi mon oncle part souvent à bicyclette pour le ravitaillement et revient avec 1 kg de beurre ou un pain blanc qui coûtent un prix astronomique. Ma tante, femme très capable, a perfectionné son art de faire la cuisine en regardant travailler le chef de l'hôtel saisonnier que mon oncle et elle tenaient à Houlgate (Calvados) avant la guerre. Elle nous surprend souvent avec des desserts délicieux. Nous pouvons sortir presque tous les jours dans la petite ville où les commerçants sont discrets et serviables.

Mai 1944 – Il paraît que la Gestapo et la Milice sont très actives à Lyon la nuit. Et puis, il y a les bombardements sur l'aéroport de Bron qui ont lieu le jour, en général. Nous n'avons pas trop peur, maintenant c'est aux Allemands d'avoir peur.

6 juin 1944 – Nous sommes réveillés par des coups de poing dans le mur donnés par la dame parisienne de la chambre voisine. Elle crie de toutes ses forces : " Les Alliés ont débarqué en Normandie ! " Tout le monde court vers elle. Elle croit avoir compris que c'est du côté de Cherbourg. Maintenant c'est ma sœur et moi qui devenons les " experts ". Nous avons entendu le nom de Sainte-Mère-Église. Après cet événement capital, nous ne savons plus grand-chose. Nous nous demandons ce qui se passe en Normandie. Nous avons entendu dire que Caen et Saint-Lô sont en ruines, que la population civile a pris refuge à la campagne un peu partout mais qu'il y a eu beaucoup de tués parmi les civils. Dans les mêmes moments, je surprends la fin d'une conversation entredeux Viennoises : " Des rumeurs venues de Suisse rapportent que deux millions de Juifs ont été assassinés en Pologne... " J'ai l'impression que je vais étouffer, mais je me remets aussitôt en me disant : " Voici encore les paniquards, il y en a partout ! Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir de particulier en Pologne '?

Fin juillet 1944 – Un dimanche après-midi, tout le monde se tait soudain pour écouter le vrombissement des avions américains qui volent très haut dans un ciel sans nuages. Bron est visé de nouveau. Les avions viennent par vagues, sans cesse pendant cinq heures ! Malgré l'angoisse, nous nous réjouissons. Qu'est-ce que les Boches ont dû prendre !

Nous connaissons quelques personnes et essayons de passer le temps en conversant ou en nous promenant dans les grandes allées où se trouve une maison fermée d'où les malades ne sortent pas. Un après-midi, plusieurs réfugiés et moi décidons de prendre l'air, j'ouvre donc la porte et me trouve en face d'un individu en civil qui tient un revolver pointé dans ma direction : " Police allemande ! Est-ce qu'elle est juive ? ", demande-t-il au docteur Courgeon qui l'accompagne. Le brave médecin a l'air si tendu qu'on le croirait muet. Après un temps infini, il répond : " Non. " L'autre m'ordonne d'aller dans ma chambre où, dit-il, il vérifiera mes papiers plus tard. On sent que la panique s'empare des gens qui me suivent. Après le départ du bandit (il n'est pas venu à l'Orangerie), un vieux couple alsacien qu'il a terrorisé s'aperçoit qu'il leur a pris beaucoup d'argent et de bijoux. Une jeune femme autrichienne, qui a sauté par-dessus un mur, est ramenée d'urgence, elle est en train de faire une fausse-couche. Heureusement, il y a un médecin qui peut s'occuper d'elle.

Août 1944 – Cet été est particulièrement chaud et sec. La chaleur et les moustiques nous empêchent de dormir. L'eau est rationnée et nous sommes tous déshydratés. Je ne pèse plus que 45 kg pour 1,60 m. Il n'a pas plu depuis des mois. Les nouvelles de Normandie sont assez rares. Nous ne pouvons plus sortir et les hautes portes menant dans la rue sont toujours fermées. Quelqu'un a vu des soldats allemands, de jeunes recrues, qui frappaient à toutes les portes à coups de baïonnettes comme s'ils cherchaient un endroit pour se cacher. Tous les habitants de Meyzieux ont fermé leurs persiennes.

3 septembre 1944 – Les quelques jeunes Français qui se cachaient à la Clinique pour ne pas aller travailler en Allemagne ont disparu. Finalement, après tous ces mois de sécheresse, voici un orage, il pleut à torrents et les rues sont inondées. Quelqu'un ouvre la porte pour regarder dehors et on entend un cri : " Des soldats étrangers ! " Je suis curieuse d'aller voir, mais ma tante me retient : " Ce sont sans doute les Boches ! " On entend d'autres cris venant de la rue : " Les Américains sont ici, voilà leurs tanks ! " C'est du délire, les gens s'assemblent sur les trottoirs sous une pluie diluvienne et applaudissent, leur donnent des fleurs, agitent de petits drapeaux, certains versent des larmes de joie. Les Américains nous sourient, saluent, lancent des cigarettes, du chocolat. Je suis muette d'émotion, je ne pensais pas voir ce beau jour. Je crois rêver. Ils s'arrêtent et l'enthousiasme est à son comble. Même la pluie cesse de tomber, et un arc-en-ciel merveilleux apparaît. Quelqu'un prend des photos.

Dans cette région, peu de gens parlent anglais. Celui que j'entends est un peu nasal, pas comme celui que j'ai appris. C'est de l'américain, tout simplement. On m'appelle de tous les côtés : " Demandez-leur ceci, demandez-leur cela ! " C'est la 7e armée du Général Patch. Ils ont fait l'Afrique du Nord et la campagne d'Italie et, le 15 août. ont débarqué à Saint-Raphaël en même temps que les Français libres. Beaucoup ont la malaria. C'est une armée de civils, pas de fanatiques, ils font leur devoir pour leur pays, c'est tout. Ils montrent les photos de leur femme, de leurs enfants qu'ils n'ont pas vus depuis longtemps. Ils sont assis à des petites tables sous la véranda où on leur a servi des rafraîchissements. Quand je passe, un Américain me fait signe et me tend un paquet de cigarettes avec un sourire, par gentillesse, comme pour me remercier de comprendre la langue de son pays. Puisque je ne fume pas, je le donnerai aux réfugiés. Il y a bien longtemps que nous n'avons pas vu des êtres humains en uniforme de soldat.

Le lendemain, les F.F.I. arrivent. C'est eux que les jeunes Français de la Clinique sont allés rejoindre ! La petite ville est en fête, on entend la musique qui vient de haut-parleurs. Les Américains installent de grandes tables dans la cour de la Clinique et les couvrent de nourriture pour la population affamée.

Mais la guerre continue. Les convois repartent. Maintenant que nous sommes libres, nous nous rendons compte plus que jamais comme nous sommes amoindris, et comme les persécutions que nous avons subies nous ont changés. Quand on a lutté ainsi pendant des années, on est désorienté quand c'est fini. On se dit : " Qu'est-ce que j'avais donc fait ? " et on se sent presque coupable à force d'avoir été dénigré.

Fin septembre 1944 – Après quelques semaines, mon oncle et ma tante décident que nous irons à Aix-les-Bains attendre qu'il y ait des trains pour Paris. Nous quittons l'Établissement Médical dans une ambulance louée par mon oncle. Ce moyen de transport astucieux nous permet de voyager jusqu'à Aix-les-Bains confortablement. Mon oncle y avait trouvé un petit appartement avec deux chambres et cuisine, très plaisant. Le climat est froid mais sain. Les magasins du centre de la ville sont superbes et ma sœur et moi regardons les beaux habits avec envie. Nous aurions bien besoin d'une nouvelle garde-robe, mais il faut être raisonnables, qui sait ce qu'il nous reste en Normandie, après toute cette dévastation ?

Sous peu, il va y avoir des trains de Lyon à Paris et nous nous apprêtons à quitter Aix-les-Bains après trois mois. Vers quoi allons-nous ? Rose-Marie et moi ? Vers des ruines ? Mon oncle et ma tante devront être hébergés par une de leurs filles. (A Paris, dès que les Israélites étaient arrêtés ou en fuite, leur appartement était aussitôt vidé de son contenu). Assez aisés avant la guerre, ils se retrouveront comme des réfugiés dans la ville où ils ont toujours vécu. Dans la cinquantaine, il faudra qu'ils recommencent à zéro. Dépenser sans compter, sans avoir de revenu pendant des années est le prix qu'il leur a fallu payer pour survivre, et on peut les considérer comme privilégiés ! C'est le sort de la plupart des survivants.

Empilés comme des sardines dans le train pour Paris, nous y parvenons 24 h après notre arrivée à Lyon. Nous nous rendons en fiacre (ce sont les nouveaux taxis) chez le frère de maman. Pendant le voyage, je vois que ma tante et mon oncle souffrent de ne pouvoir nous héberger, c'est encore une séparation pénible pour tous après ces derniers huit mois, mais nous pourrons aller les voir. Je suis trop fatiguée pour penser. il est 10 h du matin. Notre autre tante, belle-sœur de maman, nous fait déjeuner et, au lit ! Quand je me réveille, il fait nuit. J'ai dû dormir pendant 12 h.

Décembre 1944 – Bastogne, c'est grave et inattendu. Les Américains subissent des pertes considérables et la panique s'empare de nous tous. " ils " ne peuvent pas revenir, ce serait trop affreux. Heureusement, c'est le dernier soubressaut du monstre avant la fin. Les Teutons ont encore eu l'audace de faire parvenir un ultimatum au Général McAuliffe qui leur a donné sa célèbre réponse : " Nuts ! " Il était bien poli.

Janvier 1945 – II nous faut rentrer à Avranches pour voir la situation. Ma cousine demande à un capitaine français s'il peut nous y conduire, moyennant finance. " Pas assez d'essence. " Quelques jours après, il lui fait savoir qu'il accepte, et mon oncle (avec qui nous étions à Meyzieux) ma sœur et moi, nous mettons en route pour la Normandie. Peut-être trouverons-nous davantage d'essence en route en demandant aux Américains. Partout c'est la même réponse. après nos explications : " Nous regrettons, mais nous sommes encore en guerre. "

Je ne reconnais plus les villes que je traversais avant la guerre pour aller en vacances à Paris. Les dégâts résultant des bombardements dans la région sont horribles. Parmi d'autres, Argentan m'a particulièrement surprise, c'est incroyable, des villes-fantômes couvertes de neige. En atteignant Villedieu-les-Poêles, j'aperçois le camion de mon père au haut d'une côte. Il sert à transporter le courrier pour les P.T.T. Je connais le conducteur qui n'a pas l'air enchanté de nous revoir : je me rends compte qu'il porte un complet neuf de mon père que René Morel avait dû lui confier.

Finalement, nous atteignons Avranches dont les rues sont déblayées. Rue de la Constitution, au lieu des magasins et habitations, il y a de grands trous profonds comme leurs caves. Notre premier arrêt est à la mairie où M. Laquère, ancien vétérinaire, est maire par intérim. Il nous reçoit chaleureusement et nous demande de ne pas hésiter à lui faire savoir s'il peut nous aider. Je lui explique notre problème : l'officier grâce à qui nous avons pu rentrer doit retourner à Paris dans les 24 h et est à court d'essence pour sa voiture. M. Laquère nous prête ses tickets. Sa générosité nous touche.

Avec mon oncle, nous allons voir M. et Mme Morel qui nous accueillent à bras ouverts. Leur fils, René, fait son service militaire, ils nous invitent donc à occuper sa chambre. Jusqu'à son départ, le lendemain, mon oncle sera hébergé chez des amis. Nous apprenons que notre maison est en très mauvais état, presque inhabitable : une bombe est tombée sur une maison en face et notre garage n'existe plus. Un couple avec quatre enfants occupe ce qui reste de la maison. Le mari vient d'obtenir un poste à Avranches et les autorités ne savaient pas où les loger. Il faudra donc que je cherche un petit appartement et, en attendant. cette famille peut garder le mobilier car je n'ai pas où le mettre. C'est tout ce qui reste jusqu'à ce que nous puissions récupérer nos affaires dispersées chez les uns et chez les autres. Nous mangeons un bon repas normand dans un petit restaurant, et mon cher oncle rentre à Paris avec le Capitaine. Le voyage l'a beaucoup fatigué.

Nous sommes très à l'aise chez M. et Mme Mord, mais c'est maintenant que commence pour moi une tâche difficile. D'abord, je trouve un appartement qu'un employé de la ville nous montre : 2 pièces avec cuisine. C'est vieux, immense et glacial, mais c'est en ville près de tous les magasins, rue des Chapeliers. Je demande 24 h pour réfléchir. Le lendemain quand je lui dis que nous l'acceptons, il me fait savoir qu'il a des sinistrés intéressés par cet appartement et qu'il a décidé de leur donner la priorité. Sa raison pour se dédire me rend furibonde. Dès que j'ai vu l'appartement (qui n'est que le rez-de-chaussée d'une vieille maison bourgeoise), j'ai compris qu'il s'attendait à un pot-de-vin. S'il avait agi autrement, je lui aurais fait un cadeau pour le remercier. Au lieu de cela, je vais trouver M. Laquère et lui raconte ce qui s'est passé. M. Laquère est furieux : " Vous avez assez souffert, l'appartement est à vous ! " Quel brave homme ! Cela compense pour toute la méchanceté que nous avons vue.

La Citroën traction-avant de mon père, presque neuve, avait été volée par les Allemands et abandonnée sur la route. C'est un Français qui s'en est emparé (je sais que c'est un ancien collaborateur). Il l'a abandonnée aussi et c'est le Capitaine de Gendarmerie qui s'en sert. Dès qu'il apprend qu'elle est à nous, il fait le nécessaire pour qu'elle nous soit rendue. On dirait maintenant une vieille auto très usagée. Elle sera garée sous le porche de la maison Nativelle, jusqu'à ce que que je la vende.

Je suis lasse de lutter pour récupérer nos affaires et vais demander à M` Hérault de nous aider ; il accepte. Avec beaucoup de difficulté, il parvient à arracher des objets qui nous appartenaient à des gens en qui mes parents avaient confiance mais qui n'étaient pas sincères et étaient déçus de nous revoir. Ils rendaient ces objets à contrecœur.

Finalement, nous nous installons rue des Chapeliers. Maintenant, il faut que je m'occupe des collaborateurs qui nous ont fait du mal. Je passe des heures à témoigner au Commissariat de Police, bien que tous les individus avisés aient déjà des dossiers contre eux. La femme R. est en fuite, R.. épicier. a dû être questionné sans s'y attendre. Le sieur V. que j'ai entendu faire de la propagande nazie à la gare de Folligny en octobre 1942, a été condamné à l'indignité nationale et à la confiscation de son café. Il était payé pour faire ce travail ignoble.

Un jour, je reçois une convocation pour me rendre à la prison d'Avranches où se trouve E. L. Un garde l'amène, enchaîné comme un animal et couvert de paille. Je voudrais fuir, mais je me retiens. Il est toujours arrogant disant que son arrestation est le résultat d'un complot contre un homme innocent. Il n'a pas démordu au sujet de mon père.

Quelques jours avant son procès, nous nous trouvons dans la rue quand nous voyons un groupe de gens qui marchent vers la prison. Quelqu'un nous attire parmi les manifestants et nous explique que ce sont les 40 personnes dont les noms avaient été donnés à la Kommandantur par E. L. pour être pris comme otages, si nécessaire. En arrivant près de la prison les " otages " se mettent à crier en rythme : " L. au poteau ! " Nous nous joignons à eux.

Quand ses amis d'Outre-Rhin ont battu en retraite, L. a fui mais a été reconnu en Bretagne et ramené à Avranches. Ma convocation pour paraître devant la Cour de Justice comme témoin à charge le 19 juillet 1945 à 9 h 30 mentionne que L. est inculpé de trahison.

Au procès, le procureur me demande de raconter ce que L. a fait contre nous. D'une voix calme, je donne les détails et l'avocat de la défense nie pose quelques questions. Ensuite, il fait son plaidoyer et E. L., qui a été bien préparé, fait un petit discours : il me souhaite que rien de fâcheux n'arrive à mes parents et que notre famille soit bientôt réunie... Mes parents sont les seuls absents au procès. E. L. est condamné à mort. (Il a été gracié par le Président de Gaulle et, aux U.S.A., nous avons appris par une lettre de nos amies qu'il était mort fou en prison). Il y a des gens qui sont parfois leur pire ennemi.

J'ai manqué de mentionner qu'aussitôt rentrées à Avranches, nous sommes allées, nia sœur et moi, rendre visite à la famille Bitard et à Sœur Mondo pour les revoir après toutes ces péripéties et leur exprimer notre pro-fonde gratitude pour leur courage et les grands services qu'ils nous ont rendus. Nous ne les oublierons jamais.

Le 9 mai 1945, l'Allemagne nazie cesse d'exister. La guerre en Europe est finie. Les gens dansent sur la place de la Mairie pendant une semaine. J'entends la musique, mais je ne peux prendre part aux réjouissances car j'ai la grippe ! Je reçois ma première piqûre de pénicilline.

Bientôt les prisonniers de guerre commencent à rentrer. Nous sommes bien souvent sur la place quand ils arrivent et rejoignent leur famille, mais chez nous, c'est le silence. Le frère d'un oncle déporté vient nous surprendre, il était prisonnier de guerre depuis 1940. La Convention de Genève lui a donné une certaine protection. Par contre, il a vu passer. entre autres, un groupe de femmes-partisans Russes, prisonnières en marche forcée. Dans le rude hiver allemand, elles ne portaient que des robes de coton. Les prisonniers français, pris de pitié, leur ont lancé des couvertures par-dessus les barbelés. Il est hanté par ce souvenir de la barbarie allemande.

Les mois passent. Il faut bien que nous nous rendions à l'évidence : nos parents sont des déportés-disparus. Nous faisons partie d'un groupement, la F.N.D.I.P. (Fédération Nationale des Déportés et Internés Politiques) et nous apprenons que quelques rares déportés israélites de Paris sont revenus ; en général, ils sont jeunes et ont été arrêtés vers 1944. Nous entendons des noms de camps de concentration de plus en plus nombreux, ils nous poursuivront toujours et partout.

Un jour, on sonne à la porte. Ce sont deux Américains israélites à qui notre amie, Mme Vessler, de Granville, a donné notre adresse, les priant d'aller nous rendre visite s'ils sont de passage à Avranches. Pendant la conversation, je mentionne que mon père a de la famille à Boston, Massachusetts, mais que je ne peux correspondre avec eux avant que la situation générale ne se normalise. Il y a un moyen, nous disent-ils, par la poste de l'armée américaine, A.P.O. (Army Post Office). L'un d'eux se charge de le faire. Quelques semaines plus tard, il revient avec une réponse. C'est ainsi que commence un échange de lettres par l'A.P.O. qui aboutira à notre départ pour les États-Unis.

Me rendant compte qu'il n'y a pas grand avenir pour nous dans une ville sinistrée, et que nous avons déjà perdu six ans de notre vie à végéter à cause de la guerre, je fais une demande de visa d'immigration en décembre 1946. C'est une grande surprise. Nous avons trois répondants aux États-Unis, le gouvernement américain n'ouvre pas les portes du pays facilement. Ma tante et mon oncle essayent désespérément de me dissuader de partir. Ils ont le cœur brisé. Moi aussi je souffre énormément d'avoir à les quitter, ils ont été comme des parents pour nous pendant la guerre, mais partout autour de nous, c'est le vide et la désolation. Des neuf membres de notre proche famille qui ont été déportés, nul n'est revenu. Peut-être qu'ailleurs il y aura plus de débouchés pour nous.

Il faudra près de deux ans de démarches, de paperasserie et de voyages au Consulat Américain de Paris pour obtenir nos visas, et c'est avec un mélange d'espoir et de déchirement que nous nous embarquons à Cherbourg pour l'Amérique le 16 décembre 1948.

Dans notre cas, comme dans beaucoup d'autres, les crimes monstrueux des Allemands ne leur ont rien coûté, ni moralement, ni matériellement. Il n'y a eu aucune restitution. Avec le temps, les deux Allemagnes ont eu tendance à oublier Hitler avec ce que le théologien suisse Karl Barth avait appelé : " le remarquable don allemand de faire oublier avec aplomb tous les souvenirs désagréables "...

D'après les renseignements, nos parents sont décédés à Auschwitz. On peut voir les noms de Dina Mainemer et J. Mainemer gravés sur une des plaques de marbre du monument AUX VICTIMES DE LA REPRESSION NAZIE du département de la Manche, à Saint-Lô. Leurs noms sont parmi ceux d'autres Isréalites et de martyrs de la Résistance de ce coin de France.

La petite place que nous traversions à Avranches tous les jours d'école est devenue un lieu historique. Un monument y a été érigé pour rappeler que c'est là qu'à eu lieu la percée décisive du front allemand par la troisième Armée Américaine du Général Patton.

J'ose espérer qu'on ne laissera pas les générations futures oublier les horreurs qui peuvent être commises quand un peuple à tendance militariste se laisse conduire aveuglément par un groupe de mégalomanes.

Anne-Marie Mainemer
Brooklin, Massachusetts - U.S.A.
Novembre 1986


AVIS

Le Parti communiste français étant dissous, toute actvité communiste est interdite en France. Toute personne qui se livre à une activité communiste. qui fait de la propagande communiste ou qui tente d'en faire. bref. qui rouillent. en quelque manière que ce soit. des agissements communistes, aide les ennemis de l'Allemagne.

Le coupable devra s'attendre à être condamné à mort par une Cour Martiale allemande. Toute personne qui se trouve en possession de tracts anti-allemands doit les remettre immédiatement au service militaire allemand le plus proche. Celui qui ne les aura pas livrés sera frappé d'une peine allant jusqu'à quinte ans de travaux forcés. J'attends de la sagesse de la population que chacun contribue à empêcher les éléments irresponsables de soutenir les ennemis de l'Allemagne.

Je vous mets en garde contre les suites graves qui doivent découler de l'attitude hostile des milieux communistes, ou seulement pour les coupables eux-mêmes, mais encore pour la population entière du territoire occupé.

Paris, le 14 août 1941.