Après Sainte-Mère-Eglise, première localité libérée en France métropolitaine.

Les opérations qui se sont déroulées sur la côte normande, le 6 juin et les jours suivants, ont eu lieu dans deux secteurs bien distincts : à droite, le secteur américain - plages Utah et Omaha - à gauche, le secteur britannique - plages Gold, Juno et Sword. Le premier est évidemment beaucoup plus connu que le second, à cause de ses engagements de caractère très spectaculaire, de la rapidité et de la diversité des opérations, de la conquête de la presqu'île du Cotentin, et c'est celui dont on parle le plus souvent. Le secteur britannique a plutôt revêtu l'aspect d'une lutte opiniâtre, pied à pied, qui a dégénéré jusqu'au corps à corps, en certains endroits, et sur lequel la fureur des contre-attaques blindées, allemandes s'est abattue presque sans arrêt d'abord jusqu'à la prise de Caen, dont il ne restait que ruines, puis jusqu'à Falaise. Tandis qu'à droite les divisions, puis les corps d'armée américains progressaient assez rapidement, à gauche, Anglais et Canadiens avaient attiré la foudre sur eux et permettaient à leurs alliés de liquider la résistance ennemie en face de leurs troupes, puis d'esquisser ce grand mouvement tournant qui allait aboutir à la poche de Falaise.

Un plan assez vaste avait été conçu par le maréchal Montgomery pour s'emparer, dès le premier jour, des deux villes de Bayeux et de Caen, puis de pousser hardiment en avant. Ce plan échoua, puisque les blindés allemands contre-attaquèrent immédiatement. Certains de leurs éléments parvinrent un moment jusqu'à la mer. Il fallut toute l'intrépidité des divisions britanniques pour, d'abord, se cramponner à la mince tête de pont qu'elles avaient établie le jour j, ensuite briser les tentatives ennemies puis enfin passer à l'offensive et dégager tout ce secteur du Calvados durement touché par les bombardements aériens et les phases de la lutte terrestre.

Le plan Overlord prévoyait que le secteur britannique du débarquement en Normandie serait distribué à deux corps d'armée, le 30e sur la plage Gold et le 1er sur les plages Juno et Sword. Le débarquement lui-même serait précédé d'une opération aéroportée à l'extrême gauche du dispositif, sur l'embouchure de l'Orne, opération confiée à la 6e division de parachutistes britanniques. Le processus était donc le même chez les Britanniques que chez les Américains.

Compte tenu des mêmes inconvénients dus à la mauvaise visibilité, aux vents, aux erreurs inévitables de largage, on n'eut pas le droit de se montrer trop exigeant et ce fut, en somme, un succès, mais assez chèrement acquis.

LES PARAS SUR L'ORNE ET LA DIVES

La conquête de la base de départ fut donc confiée au major général Richard Gale et à son unité aéroportée. Il avait ordre de s'emparer, entre minuit et l'aube du jour J, des ponts établis sur la seule route franchissant l'Orne et le canal, entre la côte et Caen, et de les prendre intacts, dans toute la mesure du possible. Puis, il détruirait les cinq ponts existant dans la vallée de la Dives, à près de 10 kilomètres à l'Est de l'Orne.

Ce fossé naturel, de la rivière et du canal, sur 13 kilomètres, constituait une base de résistance de tout premier ordre et Montgomery désirait le tenir essentiellement, mais voulait s'installer encore plus à l'Est et au Sud-Est de cette région. La division aéroportée devait donc, en somme, occuper et tenir le flanc gauche de la tête de pont, flanc exposé aux interventions inévitables des blindés allemands qui avaient été ramenés vers Caen.

Les premiers objectifs étaient l'apanage de deux brigades de parachutistes, la 3e et la 5e, et d'une troupe amenée par planeurs. Ces éléments seraient renforcés vers le milieu de la journée du 6 juin, par des commandos de la 1re Special Service Brigade, puis, dans la soirée, par le reste de la division qui arriverait à bord de 250 planeurs, juste avant la nuit.

C'était là une mission difficile à remplir, car dans cette région, on s'attendait à une attaque à base de chars et il fallait donc amener des canons et les mettre en batterie avant le lever du jour. Les deux ponts à enlever, sur l'Orne et sur le canal, étaient gardés, prêts à sauter, il faudrait agir par surprise, annihiler les défenseurs avant qu'ils aient eu le temps d'opérer la destruction. Il fut prévu qu'à 23 h 40, le 5 juin, des fantassins et des sapeurs, environ 200, amenés par 6 planeurs, atterriraient brusquement sur les défenses des ponts et s'en empareraient. En même temps qu'eux, arriveraient les 60 éclaireurs parachutistes de la 22e compagnie indépendante, embarquée à Harwell sur 6 Albemarle de la R.A.F., qui baliseraient le terrain afin de permettre aux deux brigades de sauter une demi-heure plus tard, à 0 h 50.

La 3e brigade mettrait hors de cause la batterie de Merville et détruirait les ponts de la vallée de la Dives, occupant la crête entre les deux rivières.

La 5e brigade assurerait la défense des ponts de l'Orne et du canal, déblaierait les obstructions au Nord de Ranville, afin de permettre à 72 planeurs d'apporter les canons et le matériel lourd à 3 h 30.

On livrait donc une véritable course contre la montre et, à supposer que l'opération fût réussie en temps et heure, il resterait juste le délai nécessaire pour mettre les canons en état de tirer contre les chars ennemis lorsque ceux-ci se manifesteraient, c'est-à-dire lorsqu'on y verrait clair. Or, le 6 juin, le jour se lève tôt.

L'effectif du coup de main et les éclaireurs paras embarquèrent à 22 heures, le soir du 5. Les uns étaient transportés sur six planeurs tirés par des Halifax, les autres sur six bombardiers. Puis ce furent, d'une vingtaine d'aérodromes, onze cents avions de transport avec les unités paras, et les planeurs destinés à la région de Ranville avec l'armement lourd : 49 descendirent avec précision, 10 sur 18 des canons antichars furent utilisables : ce qui n'était pas si mal...

SURPRISE ET PRISE DES OBJECTIFS

Les planeurs des Halifax furent largués au-dessus du coin de Normandie qu'ils prenaient en charge vers 23 h 45. La plupart des Allemands, durement bombardés, étaient tassés dans les abris. Au pont du canal, ce fut vite fait, les trois pelotons sautèrent sur l'objectif et nettoyèrent le réseau de tranchées. Au pont de l'Orne, à 800 mètres de là, l'atterrissage fut moins précis, un planeur se dérouta vers la Dives. L'opération se déroula avec seulement deux pelotons, mais, là, l'ennemi s'était enfui, complètement terrorisé.

Les éclaireurs paras eurent moins de chance. Il leur fallait baliser la zone de parachutage

pour accueillir les 2.000 hommes de la 5e brigade, commandée par le général J.H.N. Poett. Ils ne purent accomplir totalement leur mission, le vent les ayant dispersés. Ils sautèrent en majorité en dehors de la zone prévue et s'égarèrent. L'ennemi réagissant à la mitrailleuse, le ralliement s'effectua lentement. Le village de Ranville fut néanmoins enlevé, les canons mis en place. Le major général Gale installa son P.C. au château. La troupe se mit à ouvrir des tranchées en utilisant des charges de plastic. Le vacarme devint vite indescriptible. Dans les prairies, le bétail continuait à se nourrir, sans paraître trop effrayé. Les objectifs de l'autre brigade, la 3e, du général S.J.L. Hill, s'étendaient sur une vaste zone coupée de bois, de marais allant de la batterie de Merville, près de la côte, jusqu'au pont de Troarn, à 11 kilomètres à l'intérieur des terres. Des centaines d'hommes tombèrent dans les inondations et dans la forêt de Bavent.

Cependant, sur les cinq ponts de la vallée, quatre furent détruits sans grande difficulté, le dernier, celui de Troarn, grâce à l'audacieuse intrépidité d'un petit groupe de sapeurs.

Le soin de neutraliser la batterie de Merville avait été confié au lieutenant-colonel Otway, commandant le 9e bataillon de parachutistes. La position était défendue par 180 Allemands et on disait qu'elle était armée de 4 pièces de 150 mm. C'était un dur morceau à avaler. On avait prévu que trois planeurs atterriraient au beau milieu de la position qui devait, au préalable, subir le bombardement de 100 Lancaster.

Or, les bombes des Lancaster tombèrent à 500 mètres de l'objectif et le bataillon de paras ne fut pas heureux du tout : cinq planeurs piquèrent dans la Manche, justement ceux qui portaient les canons, les jeeps, les munitions... Le parachutage se fit dans des conditions désastreuses. À 2 h 50 du matin, Otway n'avait réussi qu'à rallier 150 hommes, sans mortiers, sans canons, sans détecteurs de mines, sans médecin... Ils étaient à près de 3 kilomètres de l'objectif et les planeurs de choc devaient arriver à 4 h 30. Le colonel se mit en route avec sa faible troupe, et il attaqua au moment où les trois planeurs tombaient sur la batterie. Il y eut des corps à corps furieux dans les organisations défensives ennemies, les servants de l'artillerie furent tués ; à 4 h 45, la batterie était annihilée : elle n'était armée que de canons de 75...

LES DÉBARQUEMENTS SUR LES PLAGES

La IIe Armée britannique débarquait entre Port-en-Bessin, Arromanches, où devait être installé un port artificiel les jours suivants, Courseulles, Saint-Aubin, Luc et Lion-sur-Mer, Riva-Bella et Ouistreham, petites localités naguère tranquilles où l'on venait estiver depuis Paris.

L'armée du lieutenant-général Dempsey était parfaitement entraînée et équipée. Elle avait été l'objet des soins du général Montgomery qui avait conçu des projets ambitieux et déclaré :

Il faut obtenir une bonne tête de pont avant que l'ennemi ait pu amener suffisamment de réserves pour nous rejeter. Des colonnes blindées doivent pénétrer profondément à l'intérieur et cela rapidement, dès le jour J, ce qui bouleversera les plans de l'ennemi... Les soldats que nous engageons dans cette affaire doivent voir rouge. Il faut qu'ils soient animés d'un élan profond, qu'ils aient une foi totale dans le plan, qu'ils soient enclins à un optimisme contagieux et enflammés du désir de battre l'ennemi. Rien ne devra les arrêter. Absolument rien. Si nous les envoyons à la bataille dans ces conditions, alors, nous réussirons.

Le 1er corps comprenait trois divisions, des commandos ainsi que deux brigades blindées. Le 30e corps, à sa gauche, deux divisions et une division blindée.

L'objectif à atteindre en fin de journée englobait Bayeux et Caen. Puis, les chars devaient progresser vers le Sud et tâcher de s'enfoncer à 20 kilomètres dans l'intérieur.

Dans le secteur Gold, au Nord-Est de Bayeux, c'était une plage basse et concave s'appuyant à une bande marécageuse et bordée par des villages fortifiés : Le Hamel et La Rivière. Deux brigades d'attaque en première ligne, deux autres en réserve appartenant à la 50e division, point de direction : Bayeux.

Quarante minutes avant le lever du soleil, les navires de l'escadre bombardèrent les ouvrages défensifs qui avaient déjà été attaqués de nuit par l'aviation. Le débarquement fut gêné par une mer très mauvaise, les hommes étaient malades, mais il put s'effectuer sans incidents graves. Les compagnies de tête furent à terre vers 7 h 30, les chars atteignirent les défenses, le réduit du Hamel était intact, son feu précis, intense, força les engins blindés Crabes à fléaux à se déployer et il y eut des pertes sérieuses. Le point d'appui de La Rivière opposa également une forte résistance ; le village était en ruines. La bataille dura deux heures entières. À 9 h 30, le pont de Meuvaines, à 1.500 km. à l'intérieur, fut pris. Les brigades de renfort débarquèrent à 11 heures avec une heure de retard.

À midi, à Gold la tête de pont avait 4 km. de profondeur et 5 de large. Le Hamel ne fut conquis qu'à 16 heures. Arromanches était tombée. Une brigade poussa jusqu'à 10 km en avant. Les Allemands avaient évacué Bayeux. À la nuit, la tête de pont était de 10 X 10 km. Mais les bataillons de tête se trouvaient encore à 3 ou 4 km de l'objectif de ce premier jour.

Cependant, la bataille de Bayeux était gagnée et le commando 47, des Royal Marines, était arrivé en vue de Port-en-Bessin après avoir progressé de 14 km derrière les défenses.

À gauche, sur Juno et Sword, le 1er corps, du jieutenant-général J. T. Crocker, avait la mission la plus redoutable. Il mettait trois divisions en ligne dont les deux premières étaient orientées sur Caen (3e division britannique) et sur l'aérodrome de Carpiquet, à 17,500 km. de la côte (3e division canadienne). Crèverait-on les défenses de manière à parvenir à Caen avant les blindés allemands ? Les chances étaient évidemment en faveur de ces derniers.

Les Britanniques ignoraient totalement que la 21e Panzer se trouvait déjà à Caen où elle avait jeté son bataillon de D.C.A. et deux bataillons d'infanterie motorisés, disposant de 24 pièces de 88 antichars qui s'étaient avancés jusqu'à 5 km de la côte.

Les Canadiens débarquèrent à Juno de part et d'autre de la Seulles, par un temps détestable, mer houleuse, beaucoup de chalands détruits, retard d'une demi-heure. Les ouvrages de la défense étaient à peu près intacts. À 10 heures, les bataillons d'assaut étaient à 3 km. dans l'intérieur, mais, derrière eux, l'embouteillage des plages se révélait fantastique. De durs combats se livraient à Bernières, il fallut deux heures pour vaincre ensuite la résistance dans les vergers. Le soir, on avait progressé de 11 km., les chars britanniques parvenaient à la route Bayeux-Caen mais durent se replier. On était cependant en vue de Caen, à 5 km au Nord-Ouest de la ville.

À Sword, les bâtiments de l'escadre avaient pilonné la plage à l'Ouest de l'Orne et les batteries côtières. Sword essuya, en deux heures, le plus lourd bombardement de la journée. Les chars amphibies qui accompagnaient la 3e division britannique faillirent subir un désastre à cause de la grosse mer et du fait de la visibilité à peu près nulle lorsqu'une flottille de LCT croisa leur route à 1,500 km au large.

La progression des éléments mis à terre fut normale jusqu'à Hermanville à 9 h 30. L'objectif principal, la hauteur de Périers, était tenu par l'infanterie et les canons antichars de la 21e division Panzer. L'attaque des Anglais fut aussitôt enrayée. Cependant, le commando n° 4 approchait de Ouistreham.

Là aussi, l'embouteillage fut tel que les Allemands purent tirer sur la côte avec une précision remarquable, réglant leur tir sur le barrage de ballons installé pour gêner des bombardiers en piqué. On n'en vit pas. On relâcha les ballons. Les brigades de réserve ne purent débarquer que dans le cours de l'après-midi.

Au lieu de pousser vers la hauteur de Périers, les fantassins de la 3e division s'enterrèrent.

En fin de matinée, les commandos de la Ire Special Service Brigade passaient à travers Colleville et gagnaient l'Orne, mais il fallut huit heures aux fantassins pour parvenir à Bénouville.

La poussée vers Caen avait échoué, et les chars allemands ne s'étaient pas encore manifestés.

LA RÉACTION ALLEMANDE AVORTE

De quelles forces blindées disposaient exactement les Allemands en ce jour du 6 juin ?

Des trois divisions du 47e corps d'armée Panzer une seule était disponible : la 21e autour de Caen ; des deux autres, la 116e était à cheval sur la Seine à l'Ouest de Paris et la 2e près d'Abbeville, donc hors de cause.

Ils avaient encore le 1er corps d'armée Panzer SS, de Sepp Dietrich (P.C. Rouen) avec la Panzer Lehr dans la région Chartres-Le Mans, la 12e SS près d'Evreux et la 2e SS à Anvers. formant réserve stratégique.

Mais il ne fallait pas y toucher sans ordres supérieurs et c'était là une situation fausse, dérivée d'un désir formel de Hitler lui-même.

En raison dé ces tergiversations de commandement, en face des hésitations du général von Speidel, chef d'état-major de Rommel, qui n'osait prendre de décision ferme en l'absence de son chef, la 21e Panzer, commandée par Feuchtinger, resta immobile pendant toute la nuit du 6 juin. Son emploi ne fut autorisé dans la région de Caen que fort tard, au début de l'après-midi.

De même, la 12e SS, cependant toute proche, ne bougea pas. Le front paraissait s'écrouler rapidement entre Bayeux et Caen. Le régiment blindé de la 21e Panzer sortit de Caen à 15 heures et avança vers les plages, en deux colonnes. L'un de ses bataillons d'infanterie se battait à Bénouville, son bataillon d'artillerie anti-aérienne était sur la hauteur de Périers. À 16 heures, 24 chars allemands débouchèrent de Biéville, 5 furent détruits, les autres décrochèrent. Cependant, une occasion dont ils auraient pu et dû profiter avantageait l'ennemi. Par suite du mauvais temps, des retards dans les débarquements, des embouteillages, etc., un vide de plusieurs kilomètres, s'étendant jusqu'à la côte, existait entre les plages Juno et Sword, entre les Canadiens et les Britanniques. Dans cette trouée, s'engouffrèrent 50 chars et un bataillon d'infanterie de la 21e Panzer. À 20 heures, les premiers détachements atteignaient Luc-sur-Mer où les défenses étaient intactes sur un front de 3 km. Il suffisait de les renforcer pour maintenir un coin entre les deux plages et l'ennemi s'apprêtait à le faire lorsque surgit la dernière péripétie de cette journée, une intervention qu'il était loin d'attendre.

Quelques minutes avant 21 heures, le ciel s'emplit de grondements de moteurs et 250 remorques et autant de planeurs, escortés par une quantité de chasseurs, apparurent dans le ciel de l'Orne : c'était le reste de la 6e division britannique aéroportée qui survenait, à son heure, comme il avait été prévu, amenant le gros de la 6e brigade, l'artillerie, les chars légers.

Les Spitfire et les Mustangs plongeaient sur les batteries côtières et de D.C.A., les planeurs atterrirent dans les champs à côté de la rivière au nombre de 249, exactement, et ce fut une opération exceptionnellement réussie.

Lorsqu'ils furent au sol, les paras se trouvèrent sous le feu des Allemands, qui tirèrent sur eux au canon et au mortier, mais les pertes furent faibles, bien qu'un certain nombre d'appareils eussent pris feu. L'arrivée de ces renforts doublait d'un seul coup les effectifs des parachutistes fort diminués depuis leur opération du petit matin. Désormais, le flanc de l'Orne pouvait tenir. L'effet psychologique de cette arrivée de planeurs sur le moral des Allemands fut considérable, les projets de poussée en direction de la côte furent abandonnés. D'autre part, ils ne furent pas en mesure de profiter de la nuit qui venait pour frapper sur des troupes fatiguées et encore disséminées. Cette occasion ne devait jamais se reproduire. Trop d'heures avaient été gaspillées... Les ordres de l'OKW étaient arrivés dans la journée : La tête de pont doit être liquidée cette nuit au plus tard. C'était facile à dire. Le seul renfort qui parvint dans la région de Caen fut celui de la 12e division SS Panzer, enfin mise en mouvement, et qu'on envoyait rejoindre la 21e, mais cette formation fut tellement attaquée sur route par les avions alliés qu'elle ne put progresser qu'à la vitesse moyenne de 6 km. à l'heure et ne parvint à Evrecy qu'à minuit, à court d'essence. Elle comptait trouver un dépôt de carburant près de cette localité mais il avait été détruit par le bombardement...

Le jour J s'achevait donc par une incontestable victoire alliée, acquise heureusement sans trop de pertes. Sur l'ensemble du front de débarquement, Américains et Britanniques devaient dénombrer, plus tard, environ 2.500 tués. Le 1er juillet 1916, premier jour de la bataille de la Somme, les Anglais avaient eu plus de 20.000 morts.

La maîtrise absolue de l'espace aérien d'une part ; l'emploi de chars Crabes par les Britanniques - et non par les Américains - avaient eu raison de la résistance allemande. Mais ce n'était pas encore fini et les jours les plus durs allaient venir après le jour le plus long.

LA GUERRE DES OCCASIONS PERDUES

Cette partie de la Normandie qui s'étend au Sud et au Sud-Est de Caen n'est pas faite pour être l'enjeu de grandes batailles modernes. Ce sont des collines escarpées coupées par les vallées d'une quantité de petits cours d'eau. Elles sont couvertes de bois, de taillis de plus en plus épais à mesure que l'on se dirige vers le Sud-Ouest. Il y a quelques routes droites bordées d'arbres et un nombre infini de petits chemins de traverse, une abondance de fermes et de vergers : c'est le pays du fromage et du calvados. Et puis, il y a les haies, qui sont des banquettes de 90 cm à 1,20 m de hauteur, avec un fossé de chaque côté. Elles sont surmontées d'arbustes épineux dont les profondes racines tiennent bon, même en face des bulldozers. Ce sont donc de véritables murs, elles bordent les champs, les vergers, constituent d'excellents obstacles antichars. Les villages forment des réduits en travers des routes et sont difficiles à déborder. C'est dans ce lacis que vont essayer de s'empoigner deux armées qui, toutes deux en retard sur leur horaire, vont user d'expédients divers, car elles ne peuvent rester immobiles. Il s'ensuit une quantité de petites opérations au sein d'une bataille fluide qui pompe, de part et d'autre, toutes les réserves.

Les Allemands, qui considèrent encore que le débarquement de Normandie n'est qu'une diversion destinée à aspirer les troupes fraîches qu'ils maintiennent au Nord de la Seine, se persuadent en outre que l'opération dans le Cotentin n'est qu'une autre diversion qui tente de leur masquer le point crucial de la bataille, pour eux la région de Caen, car ils considèrent que l'opération doit se développer du côté de la Seine, sur le cours de laquelle les éléments alliés débarqués en Normandie et ceux qu'ils se figurent voir bientôt débarquer au Nord, feront leur jonction. Donc, les divisions allemandes de la XVe armée, stationnées des Pays-Bas à la Seine, ne bougeront pas et la VIIe conservera la charge des engagements de Normandie. On va essayer de la renforcer au moyen de cinq divisions blindées comptant 658 chars.

Seules, la division Panzer Lehr et la 12e SS sont sur place ou peu s'en faut, les autres sont loin ! Les 21e et 12e sont d'ores et déjà dans la région de Caen, la division Lehr commencera à arriver le 8, elle est à Châteaudun, 210 km, et doit venir par ses propres moyens. On va essayer d'abord d'utiliser le couloir qui sépare encore les éléments de Juno et de Sword et au bout duquel des points d'appui subsistent. Les deux divisions, qui alignent 160 chars et 5 bataillons d'infanterie et dont l'une, la 12e SS, comporte des éléments d'élite de la Hitlerjugend, vont perdre leur temps. Pendant la journée du 7 juin, la 12e arrêtera bien les Canadiens et les forcera même à reculer de près de 2 km, mais en même temps, le couloir se fermera. Une occasion de perdue. Pendant que cette lutte décousue se déroule à l'Est du secteur, les Britanniques entrent à Bayeux et sont en possession d'une tête de pont de 35 km. de long sur 8 à 16 de profondeur. Ils firent sans doute preuve, ce jour-là, d'une prudence exagérée, mais les mises à terre étaient fort lentes.

Le 8 juin, les commandos parachevèrent la conquête de Port-en-Bessin, assurant ainsi la liaison avec les Américains et donnant aux Alliés une bande continue de 56 km. de littoral, ce qui n'était déjà pas si mal. À part cela, les plages étaient encombrées, encore sous le feu des canons et des mortiers allemands.

Ce jour-là, Rommel, revenu à son PC de La Roche-Guyon après un bref voyage en Allemagne, donna formellement l'ordre d'attaquer au Nord de Caen toutes forces blindées réunies. Mais la 21e Panzer était encore à cheval sur l'Orne, la 12e avait des ennuis de ravitaillement en essence, la Panzer Lehr n'était pas encore arrivée. En fait, l'affaire se borna à une petite bataille contre les Canadiens, à Putot-en-Bessin et à Bretteville-l'Orgueilleuse.

Cette Panzer Lehr que l'on attendait, survint enfin, en désordre, au Sud de Bayeux, à Tilly-sur-Seulles, ayant perdu, du fait de l'aviation alliée, 40 citernes et 90 camions, malgré ses efforts de camouflage, et ses unités furent poussées dans la mêlée au fur et à mesure de leur arrivée.

Il fallait bien en sortir. Les Allemands se mirent à préparer une offensive résolue contre la tête de pont, à déclencher le 10 ou le 11. Le soin de la conduire fut confié par Rommel à Geyr von Schweppenburg, commandant le groupe blindé Ouest. Mais comme il était certain que Montgomery, de son côté, préparait lui aussi un bond en avant, la question était de savoir qui partirait bon premier. Les Anglais étaient toujours handicapés par le mauvais temps qui retardait l'entrée en ligne de leurs réserves, tandis que celles des Allemands se déplaçaient plus facilement. Il faut bien le dire : le 8, l'ennemi avait réussi à établir un écran défensif sur le terrain en cause, entre Bayeux et Tilly. Cette dernière localité allait devenir l'enjeu de durs combats. Le 30e corps britannique avait fait débarquer sa 7e division blindée à la place d'une division d'infanterie et il se trouvait dans cette situation paradoxale d'avoir trop de chars et pas assez de fantassins ! Or, comme il était impossible d'enlever Caen de vive lutte, le haut commandant allié décida de maintenir dans toute son ampleur la bataille de mouvement et de manoeuvrer pour se donner de l'air. L'une des conditions de cette conception était de mettre la main sur l'agglomération de Villers-Bocage, en s'appuyant à Tilly. Le 10 juin, les Allemands furent tout près de partir gagnants. Le P.C. du groupe blindé Ouest était installé dans un verger, à La Caine, 19 km. au Sud de Caen. Il ne cherchait même pas à se dissimuler. Le baron Geyr von Schwappenburg mettait la dernière main à son offensive pour couper les forces britanniques en deux tronçons. Ses camions, son organisation furent vite repérés par la R.A.F. qui attaqua en force : les deux tiers des officiers de l'état-major furent tués, les moyens de transport détruits, le baron Geyr, blessé, et ceux de ses officiers encore valides ramenés à Paris...

L'attaque ne partit pas.

Le 11 juin, chacun des adversaires se tint sur ses gardes dans l'attente du mouvement en avant de l'autre et rien ne se produisit. Pendant ce temps, la ville de Caen était soumise au feu des canons de gros calibre des navires de la flotte anglaise qui expédiait un projectile de 380 ou de 406 toutes les 30 secondes !

Les Américains, dans le secteur de droite, progressaient assez largement vers Saint-Lô et Caumont. Et les blindés allemands se hâtaient vers la Normandie.

La 2e division Panzer SS, qui se trouvait à Toulouse, avait reçu l'ordre de faire mouvement le 6 juin. Tandis que ses unités organiques partaient par la route, ses chars attendirent des wagons de transport pendant quatre jours. Ils embarquaient à Montauban lorsqu'ils furent bombardés et durent encore attendre une semaine. Les éléments sur route se heurtaient à une population hostile et les circonstances de ce long voyage de la division Das Reich à travers les départements du centre de la France sont encore présentes à bien des mémoires. Ils mirent entre dix et quatorze jours pour parcourir la distance de Toulouse à Saint-Lô. Une autre division blindée SS, la 17e vint de la vallée de la Loire, une division de parachutistes vint de Brest et une division d'infanterie, la 77e de Saint-Malo.

Il allait falloir, maintenant, livrer une bataille rangée, selon toutes les règles de l'art.

Seule, une division blindée de la Wehrmacht,la 2e Panzer, ne fut pas détectée, arriva de la région d'Amiens en pleine bataille et causa une véritable surprise en faisant son apparition sur le terrain.

La prise de Caumont par les Américains, la localité la plus importante entre Caen et Saint-Lô, le 12 juin, fut un des sommets de la lutte. Les forces ennemies étaient virtuellement tronçonnées. La 7e division blindée britannique voulut exploiter le succès et parvint à Villers-Bocage le 13, dans l'enthousiasme. Une contre-attaque de chars Tigre, surgis inopinément, détruisit le convoi de la division dans les rues mêmes de la petite ville, détruisit également les chars qui avaient atteint la côte 213 à 800 mètres de là. Les Allemands ne possédaient, en Normandie, que 36 Tigre : ils en perdirent 8 ce jour-là. Mais ils forcèrent les Britanniques à évacuer Villers-Bocage et leur 7e D.B., étirée sur un trop large front, subit des pertes cruelles. Si elle avait été appuyée par de l'infanterie, les succès initiaux de cette division auraient pu se transformer en une victoire. Or, elle resta livrée à ses seuls moyens.

Mis à part le jour J qui constitua un incontestable succès pour les Alliés, toute cette première semaine de bataille ne fut qu'une suite d'engagements décousus, au petit bonheur la chance... Les Américains n'avaient pu enlever Saint-Lô, les Britanniques n'avaient pu prendre Caen, ni atteindre la profondeur qu'ils désiraient initialement.

LA GRANDE BATAILLE DE CAEN

L'aviation alliée, écrivait Rommel, a la maîtrise totale du ciel au-dessus de la zone des combats et jusqu'à une centaine de kilomètres en arrière du front, interdisant pratiquement toute circulation sur les routes et chemins secondaires en terrain découvert.

Sa seule ressource : pratiquer une tactique susceptible de limiter les dégâts, c'est-à-dire l'avance de ses ennemis, en établissant un cordon, et utiliser l'obstacle naturel du bocage où ses troupes pouvaient tenir tant qu'elles n'auraient pas en face d'elles des forces trop supérieures.

La marine allemande était incapable de retarder les convois qui traversaient la Manche. Elle avait bien essayé, elle avait ramené des sous-marins des ports de l'Atlantique où ils étaient garés, elle en avait rameuté 42, mais elle en avait perdu le quart immédiatement. Les autres étaient repartis, inutile de casser des sous-marins pour rien... La construction des submersibles électriques se trouvait terriblement en retard : il y en avait deux, pas plus l

L'aviation alliée détruisait systématiquement tous les ponts sur la Seine afin d'empêcher les renforts d'arriver du Nord. Il fallait que les unités distraites de ce front au profit de la Normandie passent obligatoirement par Paris puis exécutent une marche de 250 km., les transports ferroviaires étant impossibles. La 1re division Panzer quittait la Belgique, les 9e et 10e SS arrivaient de Pologne. Et l'offensive russe commençait exactement quinze jours après le débarquement, ainsi que Staline l'avait promis.

Peu à peu, la situation, pour les Allemands, tournait à la catastrophe.

Cependant, les Américains n'avaient toujours pas pris Saint-Lô, la bataille pour Tilly durait depuis dix jours pour les Anglais, Caen était encore puissamment tenu par la 21e division blindée et la 12e SS, disposant de 228 chars et canons d'assaut, avec 150 pièces de 88 et une brigade de mortiers lourds.

Montgomery avait maintenant 20 divisions à terre, il attendait encore l'arrivée du 8e corps britannique pour envelopper Caen.

Là-dessus, le 17 juin, une terrible tempête s'abattit sur la Manche et sur les côtes. Les dégâts furent considérables. Des éléments de ports artificiels qui effectuaient la traversée furent engloutis. L'arrêt des déchargements fut complet. La tempête dura 72 heures. Elle accorda un délai de grâce à Rommel car elle rendit impossible le départ d'un mouvement offensif dans le secteur de Caen-Tilly alors que le maréchal allemand n'avait presque plus de réserves à jeter dans la bataille.

C'est seulement le 26 juin que la IIe Armée britannique prit le départ à l'Ouest de Caen. Il pleuvait beaucoup, les champs de blé étaient détrempés, les haies ruisselaient, les forces aériennes étaient clouées au sol sur les aérodromes d'Angleterre.

Des formations de blindés anglais franchirent l'Orne, à cheval sur la route de Caen à Falaise, entre Bretteville-sur-Laize et Bourguebus. Une division écossaise, la 51e, se trouva en face des SS de la 12e Panzer qui se battirent avec férocité, avec une ténacité qui, dit-on, ne fut jamais égalée durant toute la campagne. C'étaient de jeunes nazis fanatiques qui ne cédèrent que réduits à l'impuissance. Les Canadiens étaient toujours axés vers l'aérodrome de Carpiquet.

Le 28, les chars britanniques franchirent l'Odon sur un pont demeuré intact, et, sous le coup de l'émotion à l'arrivée de cette nouvelle, le général Dollmann, qui commandait la VIIe Armée allemande, mourut subitement. Rien ne prouve qu'il se soit suicidé. Son chef d'état-major indiqua seulement qu'il avait succombé à un arrêt du cœur dans son bain...

À ce moment-là, les maréchaux Rundstedt et Rommel étaient en route pour Berchstesgaden, où le Führer les avait convoqués, et les forces allemandes se trouvèrent sans chefs, si bien qu'elles cessèrent de réagir pendant quelque temps et se bornèrent à faire face aux situations locales.

Mais, le 29 juin, elles déclenchèrent un brusque assaut sur la tête de pont anglaise de l'Odon, au début de l'après-midi. Malheureusement pour elles, le temps s'était remis au beau et la R.A.F. ayant enfin décollé de ses bases, attaqua en masse.

L'OBSTINATION DE HITLER

Le 30 juin, les Allemands étaient prêts à évacuer Caen, dont la possession n'offrait plus guère d'intérêt pour eux, et à décrocher assez largement pour aller se reformer à quelque 30 km. en arrière, ce qui était, bien sûr, la meilleure solution. Encore fallait-il avoir l'accord de Hitler. Celui-ci, sollicité de ratifier l'ordre de décrochage, refusa formellement et donna au contraire, comme instruction précise, de tenir sans esprit de recul. Il affirma qu'il gagnerait la bataille du ravitaillement et que ses réserves seraient en Normandie avant celles des Alliés. Rundstedt et Rommel furent désespérés. Rundstedt téléphona à Keitel pour lui apprendre cette consigne. Celui-ci ne cacha pas son émotion :

- Qu'allons-nous faire, maintenant ?

- Faites la paix, imbéciles, répondit Rundstedt.

Hitler remplaça ce dernier par un de ses favoris, le maréchal von Kluge, qui s'installa à Saint-Germain-en-Laye le 4 juillet.

La bataille de l'Odon avait détruit les quelques chances qu'avaient les Allemands de lancer une contre-attaque vers Bayeux. Les Britanniques les forçaient à engager leurs forces blindées par petits paquets. En ce début du mois de juillet, sur les huit divisions Panzer enfin rassemblées sur le front de Normandie, sept et demie étaient face aux Britanniques de la IIe Armée.

Rommel pensa que la zone véritablement dangereuse était la vallée de l'Orne, car il déclara à son état-major que le plan de l'ennemi consistait à marcher sur Paris après avoir pris possession de la région avoisinant Caen. Or, le plan de Montgomery était le suivant :

Les Américains, pivotant sur leur gauche dans la région de Caumont, pousseraient au Sud et à l'Est sur une ligne Caumont-Vire-Mortain-Fougères, enverraient un corps d'armée en Bretagne à peu près vide d'Allemands, et le reste décrirait un large cercle autour du bocage, pour parvenir aux objectifs suivants : 1° Laval-Mayenne ; 2° Le Mans-Alençon. Cette opération débuterait le 3 juillet. Quant à l'armée britannique, elle maintiendrait sa pression pour empêcher le retrait des blindés allemands.

Evidemment, Rommel aurait pu combattre tout en se retirant et se sortir de la nasse qui se tendait sur ses arrières. Mais les ordres de Hitler

étaient formels, il ne fallait pas reculer. Il resta donc sur place. Caen était intenable, mais Hitler ne voulait pas qu'on l'abandonne. En désespoir de cause, le général Dempsey fut forcé de mener une attaque frontale contre cette ville et, le 4 juillet, les Canadiens renouvelaient leur action contre Carpiquet, s'emparant du village, mais ne pouvaient prendre pied sur l'aérodrome défendu par les SS. Le 7 juillet, 407 Lancaster et Halifax déversaient 2.560 tonnes de bombes sur les faubourgs de Caen. Le lendemain, le corps britannique attaquait les ruines de la ville avec trois divisions et se heurtait à cette résistance inflexible des hommes de la 12e Panzer SS. Chaque hameau fut l'enjeu d'un âpre combat, les blindés ne purent avancer au milieu des décombres des maisons qui avaient été construites en grosses pierres et dont les amoncellements bloquaient les passages. Le 9 juillet, enfin, des patrouilles anglaises et canadiennes pénétraient dans les débris fumants de ce qui avait été la capitale de la basse-Normandie. Tous les ponts étaient détruits. Les issues de la ville étaient tenues en totalité par l'ennemi. La journée du 10 juillet marqua le point critique de la bataille de Normandie : l'offensive américaine de rupture avait été enrayée, le débouché de Caen sur la plaine de Falaise se révélait impossible pour le moment, les renforts allemands arrivaient sans cesse de l'intérieur de la France, le port de Cherbourg était inutilisable, un seul port artificiel fonctionnait, le mauvais temps régnait sur la côte d'Angleterre, il n'y avait pas d'aérodromes sur le territoire français pour la R.A.F., les divisions américaines venant des États-Unis ne seraient pas prêtes à intervenir avant le mois de septembre, la menace d'un deuxième débarquement dans le pas de Calais n'avait plus l'air d'effrayer les Allemands. Allait-on être maintenu sur place pendant l'hiver ?

Il fallait monter une autre attaque.

L'ATTAQUE EN MASSE DES CHARS ANGLAIS

L'opération appelée Goodwood fut déclenchée le 18 juillet. Son but était d'engager les blindés allemands dans la bataille et les épuiser, ensuite d'établir une tête de pont au-delà de Caen, enfin de détruire au maximum le personnel et le matériel ennemis.

La IIe Armée britannique y mettait le prix : trois divisions blindées dont les chars devaient pousser en direction générale de Falaise.

Comment se présentait le champ de bataille ?

Au sud de la tête de pont de l'Orne, les champs de blé descendent doucement vers les remblais des deux voies ferrées allant de Caen à Troarn, et à Vimont, ensuite le terrain monte vers la crête située derrière Bourguebus. La plaine est naturellement parsemée de petits villages, les haies n'y sont pas tellement nombreuses et il n'y a pas d'obstacles naturels pour gêner les mouvements des chars : mais les villages constituaient autant de points fortifiés pour l'infanterie ennemie et pour les canons antichars. Pour sortir de la tête de pont, il existait un couloir obligatoire, 1 500 m de large sur 7 km. de longueur, bordé des hameaux de la route Caen-Vimont. Au-delà de ce couloir, un conglomérat de petits bourgs sur la côte montant à Bourguebus et une ceinture de bois assez épais vers Garcelles-Secqueville.

Les trois divisions blindées britanniques, chars en tête, devaient foncer dans le couloir, jusqu'à Cagny, puis se déployer en éventail : la 11e vers Bourguebus, la Garde vers Vimont, la 7e sur Garcelles. Pendant ce temps l'infanterie dégagerait les abords du couloir.

L'appui aérien devait se faire au moyen de bombardiers arrosant le couloir et ses abords de petites bombes, pour neutraliser les centres de résistance et les positions d'artillerie. Cagny, objectif principal, serait écrasé par le Bomber Command. L'ennemi était sur ses gardes. À partir du no man's land, la zone des défenses allemandes s'étendait sur une profondeur de 16 km et non de 5 à 7 comme le croyaient les Anglais. Une division fraîche était arrivée du Sud de la France sans avoir été décelée et s'était placée à cheval sur l'Orne. C'était la 272e.

Il y avait cinq lignes successives de défenses :

En avant, deux divisions d'infanterie. En second lieu, une réserve immédiate de blindés comportant notamment 36 chars Tigre. En travers de la voie ferrée Caen-Vimont, un tampon de douze villages fortifiés. Puis, une ligne d'artillerie le long de la crête de Bourguebus, jusqu'à Troarn, comprenant 1.632 tubes de tous calibres. Enfin, une dernière zone défensive tenue par 6 bataillons de SS. Et, à 8 km. en arrière, 45 chars Panther de la 1re SS et 80 chars de la 12e SS.

C'était une position formidable.

Dans la nuit du 16 au 17, 700 chars britanniques arrivèrent de Bayeux pour se concentrer aux abords immédiats des ponts de l'Orne. Les Allemands entendirent parfaitement leur progression. Sur ces entrefaites se produisit un événement important : la disparition du maréchal Rommel. Le 17 au soir, il venait d'inspecter une dernière fois son dispositif. Sa voiture et celles de son escorte furent prises à partie par des chasseurs de la R.A.F.. Grièvement blessé, le maréchal fut transporté dans un village voisin : Sainte-Foy-de-Montgomery...

OPÉRATION GOODWOOD

L'attaque britannique fut déclenchée le matin du 18 juillet. Après une intervention aérienne très puissante qui abattit le moral de bien des défenseurs, à 7 h 45, la 11e division blindée britannique se lançait en avant, disposée en colonnes sur un front de 1 km., escortée de bombardiers. Les chars ne se heurtèrent à une résistance sérieuse qu'à partir de 9 h 30 quand ils se trouvèrent sous le feu des canons de Cagny et comme ils essayaient d'escalader le remblai de la voie ferrée de Caen à Vimont : des 88 et des Tigre les canonnèrent violemment. À 10 heures, cependant, la marche en avant reprit vers la crête de Bourguebus, en face d'une opposition de plus en plus opiniâtre. À 11 heures, l'attaque dut stopper. L'infanterie, occupée à nettoyer les abords du couloir, n'arrivait pas, Cagny - un monceau de ruines - tenait toujours. La division blindée de la Garde anglaise fut prise de flanc en avançant vers Vimont par un feu violent venu de Cagny et d'Emienville, puis par des canons et des blindés à l'Est de Frenonville. Avant que la 7e division blindée britannique eût pu intervenir, les Allemands commençaient à contre-attaquer ; au début de l'après-midi, un bataillon de chars Panther débouchait de la crête de Bourguebus. Ils furent harcelés par des avions Typhoon lance-fusées, mais ces attaques ne furent pas coordonnées avec des opérations terrestres.

Les Britanniques avaient subi de lourdes pertes, la 11e D.B. perdait la moitié de ses chars. Cagny tomba dans la soirée, mais les objectifs fixés ne purent être atteints et la plaine de Falaise était encore loin. Les Canadiens occupaient Colombelles et Vaucelles, les Allemands évacuaient les faubourg de Caen et consolidaient la défense de la crête de Bourguebus.

Le 20 juillet, un orage excessivement violent s'abattit sur le champ de bataille, le transformant en bourbier. Les divisions blindées britanniques furent ramenées en réserve, L'opération Goodwood était terminée. C'était un échec, sans en être un dans l'absolu, mais le commandement suprême jetait les hauts cris. Montgomery, qui avait crié victoire, fut âprement critiqué. Les aviateurs, qui avaient escompté une percée jusqu'à Falaise et la conquête d'aérodromes, furent amers. Il n'y avait pas eu de percée. Eisenhower commençait à s'inquiéter de la lenteur des opérations et, le 20 juillet, il se rendit en avion jusqu'en Normandie où il eut une conférence avec Bradley, le commandant de la 1re Armée américaine, et avec Churchill. Il apprit que l'offensive américaine, prévue pour le lendemain, était décommandée, ce qui l'attrista. Il aurait souhaité une attaque d'ensemble bien coordonnée, sur tout le front, et non des coups de boutoirs successifs. Or c'était ce que ne voulait pas Montgomery, qui disait qu'en attaquant partout on ne serait fort nulle part. Churchill arrangea les choses et il n'y eut point crise de commandement. La presse britannique, qui avait cru en un nouvel El Alamein, et paru avec des manchettes sensationnelles, en fut pour ses frais. Les chars allemands n'avaient pas été usés. Von Kluge, qui avait pris le commandement à la place de Rommel, massa de nouveau ses blindés au Sud de Caen : 7 divisions Panzer et 4 bataillons de chars lourds, ne laissant en face des Américains que 2 divisions Panzer et 1 division de Panzergrenadiers. Les Allemands avaient compris que dans un terrain découvert comme la plaine de Falaise, leur système défensif pourrait être rompu d'un seul coup. Et c'est ce que le nouveau commandant en chef tenta de faire comprendre à Hitler : J'étais venu ici, lui écrivit-il, avec la volonté bien arrêtée d'exécuter votre ordre de tenir coûte que coûte. Mais, quand on a constaté par expérience personnelle que cela doit aboutir à l'annihilation lente, mais certaine, de toutes nos forces, on n'est que trop fondé à nourrir des inquiétudes pour le proche avenir de ce front. En dépit des efforts les plus opiniâtres, le moment est proche où, déjà si éprouvé, il cédera. Dès que l'ennemi parviendra en pays dégagé, toute direction coordonnée deviendra impraticable à cause de la mobilité insuffisante de nos troupes. J'estime de mon devoir de porter ces conclusions à votre connaissance, mon Führer, alors qu'il en est temps encore.

LA POCHE DE FALAISE

Les événements de Normandie provoquèrent une crise dans le régime nazi et, le jour même où la bataille de Caen prenait fin, eut lieu l'attentat de Rastenburg contre Hitler : la dernière chance de voir abréger la durée de la guerre s'évanouit.

Le Führer était devenu absolument intraitable. Il se persuada que la VIIe Armée pouvait parfaitement tenir en Normandie. Il réitéra à von Kluge l'ordre de se défendre sur place. Or, entre le 6 juin et le 23 juillet, cette armée avait perdu 116 863 hommes et 250 chars. La Wehrmacht possédait bien des chars, puisque jamais, de toute la guerre, les fabrications, en Allemagne, ne furent plus élevées, si extraordinaire que cela puisse paraître, mais elle était impuissante à les faire parvenir sur le front occidental, faute de moyens de transport. Du côté américain, la bataille de Saint-Lô s'achevait. Elle avait coûté 10.000 pertes en douze jours, les Allemands en accusaient le triple. Le 24 juillet partit, enfin, l'offensive américaine qui devait déterminer la percée du front ennemi. Et, le lendemain, les Canadiens lançaient une attaque de part et d'autre ,de la route Caen-Falaise, objectif : la crête de Bourguebus. Elle fut repoussée et coûta cher. Le 30, deux corps d'armée britanniques attaquèrent eux aussi entre Caumont et Villers-Bocage pour exploiter en direction de Vire, à la rencontre des Américains. C'était la région la plus accidentée du bocage normand et le mauvais temps, une fois de plus, favorisa l'ennemi. Ce fut pourtant un succès et la deuxième percée, réalisée, celle-là, dans un secteur qui ne semblait pas menacé, ce qui stupéfia les Allemands.

Avec le mois d'août, s'ouvre la période des grands succès. Il était temps pour l'ennemi d'exécuter un repli général sur la Seine : mais Hitler n'était pas encore convaincu que la bataille était perdue. Il ne le fut d'ailleurs jamais. Il donna l'ordre catégorique de rétablir le front dans le secteur Vire-Mortain. C'est ainsi que ses armées coururent, de par sa volonté, le péril mortel d'être encerclées et les quarante-huit heures qui suivirent l'après-midi du 6 août, jour où tomba la cité de Vire entre les mains des Alliés, scellèrent le sort des armées allemandes de Normandie. Alors qu'elles auraient dû se retirer à l'Est, du côté de la Seine, Hitler les poussa à l'Ouest, vers la destruction.

La résistance allemande n'existait plus, cohérente, que sur le saillant britannique. C'est là qu'eut lieu la journée de bataille du Mont-Pinçon, qui s'élève à 365 mètres au-dessus du niveau de la mer et dont les accès sont abrupts. Il fut emporté de haute lutte par les Anglais dans la nuit du 6 au 7 août.

L'OPÉRATION TOTALIZE

La porte commençait à craquer, le moment était venu pour les Canadiens de faire sauter les gonds, sur la route de Caen à Falaise. Ce fut l'objet de l'opération Totalize, conçue fort audacieusement et qui comporta une attaque de nuit à base de chars. Le soir du 7 août, une division canadienne et une division écossaise se rassemblèrent au Sud de Caen en six colonnes avec chars et artillerie antichars autopropulsée, à gauche et à droite de la route Caen-Falaise, par Quesnay. Les colonnes se mirent en route vers 23 h 30 après un bombardement aérien et, malgré d'inévitables mésaventures sur ce parcours non reconnu, un millier de véhicules avançant dans le noir et les rideaux de fumée, les collisions, les erreurs, l'avance réalisée fut de 5 km. Le 9, les Canadiens étaient à 11 km. de Falaise. La troupe n'était ni assez expérimentée, ni assez mordante. Il fallut monter une nouvelle opération. Cependant, le commandement allemand était resté paralysé par les ordres du Führer. Alençon tombait le 12, Argentan le 13. Le lendemain, les Canadiens reprenaient leur mouvement en avant alors qu'une attaque aérienne écrasante neutralisait le secteur Quesnay-Potigny : l'énorme masse des blindés canadiens, britanniques, polonais même, déferlait vers la rivière Laison et, à la nuit, Falaise n'était plus qu'à 5 km. Le 15 août, les débris de la 12e division Panzer SS, la fanatique, la coriace, qui ne comprenaient plus que 500 hommes et 15 chars, avec 12 canons de 88, arrêtèrent la percée sur la dernière crête et y tenaient encore le 16 quand d'autres unités canadiennes firent irruption dans la ville par l'Ouest. L'ouverture entre les deux mâchoires de la tenaille n'était plus que de 19 km. C'est vers cette époque que le maréchal von Kluge fut accusé par Hitler d'avoir voulu entrer en relations avec les Alliés et capituler. Ce qui était faux, car Kluge avait bien pris soin de ne pas se compromettre. Il fut remplacé par le maréchal Model, venu du front oriental pour... perdre définitivement la bataille. Car Hitler lui imposa de se replier en deux ou trois nuits alors qu'il eût fallu évacuer la nasse à toute vitesse.

Sous la forte pression des Alliés, les divisions allemandes décimées se trouvaient confinées dans une zone de 30 km. de long et de 15 km. de profondeur, poche impitoyablement pilonnée par les obus et les bombes d'avions. Il y avait là 100.000 hommes, restes de 15 divisions et fuyards de 12 autres, qui ne pouvaient s'échapper que par des routes étroites passant par Chambon et Saint-Lambert : situation désespérée. Une dernière et violente bataille fit rage toute la journée du 18 août sur la crête au Nord de Chambois. Des milliers d'Allemands s'échappaient à sa faveur. Mais ils laissaient dans la nasse 10.000 morts et 50.000 prisonniers.

Le 21 août, le 2e corps Panzer SS fit un ultime effort pour venir en aide aux encerclés. Il essaya de déloger la division polonaise de Chambois, n'y parvint pas et ce fut le sauve-qui-peut.

Le tiers de la défunte VIIe Armée allemande put traverser la Seine. On reprocha à Montgomery d'avoir été lent à fermer la poche de Falaise. Il y a beaucoup de vrai dans cette critique. Mais le but final était atteint, la victoire de Normandie prenait place dans l'Histoire.