LA BATAILLE DE SAINT-LÔ L'objectif

Avant l'été de 1944, la cité provinciale de Saint-Lô - essentiellement ville marché, mais aussi capitale politique et administrative - jouissait de la prospérité habituelle à la plupart  des centres agricoles et reflétait une élégance provenant plus du milieu des fonctionnaires que de celui du monde rural. Au milieu du mois de juin, ce qui avait été auparavant " une charmante et paisible petite cité " était devenu " rien de plus qu'un tas de décombres fumants. " Le jour même où les Alliés débarquaient sur le continent, le 6 juin, des avions alliés avaient bombardé la station électrique et la gare du chemin de fer et ensuite, entrepris des attaques concentrées et répétées, qui n'avaient pour seul objectif, aux yeux des habitants, que de détruire complètement la ville. Près de 800 civils gisaient sous les ruines, au matin du 7 juin, et les bombardiers alliés étaient revenus chaque jour, pendant une semaine, redoublant leur rôle destructeur.

La propagande allemande utilisait Saint-Lô comme exemple, pour souligner la méthode des Alliés pour libérer la France, malgré cela, les habitants manifestaient apparemment moins de ressentiment envers les Alliés, que ceux-ci auraient pu en attendre. Les Français faisaient preuve " d'une ardeur pathétique " pour comprendre pourquoi les Alliés avaient choisi Saint-Lô comme objectif à bombarder, bien avant que les troupes au sol, soient proches de la ville. Il y avait à cela plusieurs raisons : l'espoir de retarder les mouvements de troupes allemands, en faisant un barrage de la ville elle-même, " un lieu d'étranglement " ; le souci de détruire le quartier général du LXXXIVe corps, situé, jusqu'au 16 juin, dans un faubourg ; et le projet de prendre Saint-Lô neuf jours après le débarquement.

Le fait que les combats américains n'aient pas réussi à libérer Saint-Lô, n'avait fait qu'aiguillonner leur désir de s'en emparer. Même détruite, la ville, au début de juillet, conservait un intérêt vital, aussi bien pour les Américains qui avaient contribué à sa destruction, que pour les Allemands qui la détenaient encore. Saint-Lô avait valeur de prestige, et que les Allemands la conservent, ou que les Américains s'en saisissent, aurait un effet capital sur le moral des forces opposées. Chef-lieu du département de la Manche, Saint-Lô avait une importance politique et psychologique pour les Français. Centre routier de Normandie, rivalisant avec Caen, Saint-Lô offrirait aux Alliés un complément de communications latérales et de routes vers le sud. Les Américains avaient l'impression que leur conquête de Saint-Lô, empêcherait, en contre-partie les Allemands de faire avancer facilement leurs troupes et leurs approvisionnements d'un bord de la Vire à l'autre, juste en arrière du front.

A la mi-juillet, le facteur prestige et le prix de la ville en tant qu'accès à des routes vers le sud, avaient fait place à un motif essentiel. Par sa situation au sommet du triangle formé par les routes Coutances-Saint-Lô-Lessay, la ville revêtait une importance particulière dans le plan que le général Bradley entrevoyait pour réaliser plus rapidement sa percée dans le Cotentin. Le nouveau projet dépendait de la prise de Saint-Lô par les Américains, une nécessité qui, à la mi-juillet, conférait une sorte d'urgence à la bataille pour prendre la ville.

Les Allemands avaient ancré leurs positions sur les collines au nord et au nord-est de Saint-Lô, ce qui leur donnait l'avantage du terrain pour se défendre. Au début, ils s'étaient bat tus, pas tellement pour conserver Saint-Lô que pour maintenir leur front. La ville ne leur était d'aucune utilité pour les communications latérales, car elle était à portée de l'artillerie américaine, et leurs mouvements de troupes et de ravitaillement avaient lieu beaucoup plus au sud. Mais au mois de juillet, juste avant que les Américains ne fassent démarrer leur attaque vers la ville, les Allemands avaient saisi une instruction de combat de l'armée américaine. Saint-Lô se révélant un objectif primordial pour les Américains, les Allemands l'avaient replacé à sa juste valeur et s'étaient résolus à combattre pour le conserver à tout prix, dans toute la mesure où le leur permettaient leurs effectifs.

Les effectifs allemands paraissaient suffisants. Saint-Lô se trouvait sous la responsabilité du IIe corps de parachutistes, qui tenait le secteur entre la Vire et la Drôme. A gauche (l'ouest),

il y avait trois kamp fgruppen - un de la 353e division, un autre de la 266e et un de la 352e - sous le contrôle opérationnel de l'état-major de la 352e division. À droite, se trouvait la 3e division de parachutistes. En soutien, il y avait la 12e brigade de canons d'assaut. Les soldats, en ligne, étaient étirés sur un large front, sans profondeur, mais c'étaient des vétérans. Le chef du corps, Meindl, malgré son inquiétude devant le manque d'hommes à placer sur son large front, avait la certitude que l'habileté de ses soldats à se défendre et leurs positions excellentes, compenseraient en grande partie le dispositif plutôt clairsemé. Il avait la conviction qu'il pourrait empêcher les Américains d'entrer dans Saint-Lô.

La partie ancienne de la cité de Saint-Lô occupait un roc escarpé, couronné par de vieux remparts, une tour et les deux flèches élégantes d'une église du quinzième siècle. Entourant

l'escarpement, le Saint-Lô moderne s'étendait sur des terres basses et le long des pentes des collines d'alentour. La Vire, qui coule surtout en direction du nord, entre dans la ville par le sud-ouest, exécute une boucle en fer à cheval, et sort par le nord-ouest. La plus grande partie de la ville s'étend à l'est de la rivière, en dehors du fer à cheval. 

Le faubourg ouest de Saint-Lô, à l'intérieur de la boucle, se trouve sur la hauteur située vers Coutances. La partie nord s'élève brutalement vers le sommet, formant une sorte de pla teau, la cote 122 [au sud ouest du hameau d'Emélie, c'est le plateau des Ifs, les Fontaines. Il domine Saint-Georges-de-Montcocq et Saint-Lô]. A l'est, la ville s'étend vers la base de la crête de Martinville, une éminence qui monte en pente douce pendant six kilomètres jusqu'à la cote 192 [La Taille, près du hameau de Cloville, au sud de Saint-André-de-l'Epine]. La partie sud grimpe brièvement vers la hauteur qui domine l'arrivée par le sud.

Deux routes nationales se croisent à Saint-Lô, et cinq voies goudronnées aboutissent à la ville. A l'ouest la route nationale de Coutances et la route de Lessay à Périers convergent dans la boucle de la rivière avant de traverser le cours d'eau, à l'intérieur de la ville. Deux voies arrivent du nord, l'une est la route nationale qui vient de Carentan, en traversant Pont-Hébert et longe la pente ouest de la cote 122, l'autre est la route d'Isigny, qui longe la pente est de la colline. À l'est, la route de Caumont rejoint la route nationale de Bayeux et Caen à la fourche de Bérigny (à 12 kilomètres de Saint-Lô) et se fond en une seule grande voie qui court le long de la façade sud de la crête de Martinville pour pénétrer à l'intérieur de la ville. Au sud, l'entrée dans la ville se fait par une route nationale et deux autres voies.

Au moment du débarquement, Saint-Lô se trouvait dans le secteur du Ve corps. Commandé par le major-général Leonard T. Gerow, qui avait dirigé les débarquements sur la plage d'OMAHA et la poussée sur Caumont, en juin, le Ve corps avait ancré le flanc gauche américain à Caumont, et à la mi-juin, avait remis la région de Saint-Lô au XIXe corps, sous les ordres du général Corlett. Cependant, la configuration du terrain, en particulier, la situation de la cote 192, est telle que les deux corps devaient participer directement à l'attaque de la ville. La cote 192 est le point culminant de la hauteur qui enjambe la route de Bérigny à Saint-Lô, à six kilomètres au nord-est de la ville. Située dans la zone d'opérations du Ve corps, la cote 192 permettait aux Allemands d'observer, non seulement le secteur du Ve corps jusqu'à l'arrière des plages de débarquement, mais aussi toutes les approches de Saint-Lô. S'emparer de la hauteur était donc un préalable à l'attaque de la ville par le XIXe corps.

En conséquence, le XIXe et le Ve corps firent le projet de coordonner leur combat pour des attaques simultanées, à l'est de la Vire, le 11 juillet.

La cote 192

Au commencement de l'offensive à l'est de la Vire, le point central des opérations se concentra d'abord sur la cote 192 et concerna l'unité de l'aile droite (à l'ouest) du Ve corps. Tandis que la 2e division blindée et la 1re division d'infanterie à gauche (à l'est), du secteur du Ve corps défendaient Caumont et tenaient le pivot du mouvement tournant que projetait la première armée, la 2e division d'infanterie attaquait à droite pour s'emparer de la cote 192, conjointement avec l'attaque du XIXe corps en direction de Saint-Lô.

Sous les ordres du major-général Walter M. Robertson, qui la commandait depuis 1942, la 2e division était arrivée en Normandie le lendemain du débarquement et avait participé aux premiers combats à partir de la plage d'OMAHA. Considérée comme une bonne unité, la division n'avait aucune illusion quant à la prise facile de la cote 192, car une tentative au mois de juin, avait causé la perte de plus de 1.200 hommes en trois jours. La division attendait l'ordre, inévitable, d'attaquer une nouvelle fois la colline; en contact physique avec l'ennemi, à une distance qui variait de quelques mètres à quelques champs, bordés de haies, la division bombardait consciencieusement la colline à coups d'obus, élaborait de minutieux plans d'attaques, et s'entraînait tout particulièrement pour cet assaut. L'entraînement mettait l'accent sur l'habileté des soldats du génie de l'infanterie de chars, à appliquer les tactiques de destruction, sur la puissance de tir, et la rapidité dans le terrain de bocage. Pour gagner de la vitesse au cours de l'attaque, les soldats avaient creusé des trous, assez grands pour que les tanks puissent passer au travers des remblais des haies, qui servaient de ligne de départ - des trous qui avaient laissé une mince coque de terre, face à l'ennemi ; quand l'ordre d'attaquer arriverait, les tanks pourraient les renverser de leur propre poids. Se précipitant à travers les haies déjà transpercées, les tankistes espéraient bien tomber sur les Allemands à l'alignement de haies suivant, avant que les armes antichars soient en état d'agir.

La cote 192 avait été " tellement pilonnée par l'artillerie que les photographies aériennes la montraient comme une couverture mangée aux mites ". C'était pourtant une position solide. Les versants de la colline s'élevaient graduellement vers un sommet plutôt plat, et les petits champs bordés de haies et les bois éparpillés qui recouvraient ses pentes, permettaient aux défenseurs de se cacher. Les haies offraient des lignes de défenses naturelles en profondeur. Les chemins creux devenaient d'excellentes voies de communication, qu'il était facile de protéger grâce à quelques armes, à des endroits bien choisis. Plusieurs hameaux et quelques maisons de fermes formaient des abris pour les servants et pour des nœuds de résistance. Une tour cachée dans une pièce de terre en losange, plantée d'arbres, qui avait été précédemment détruite par l'artillerie américaine, mais reconstruite par les Allemands, donnait aux défenseurs un bon poste d'observation. Un bataillon de la 3e division de parachutistes occupait la colline et l'avait fortifiée par un système compliqué de positions, qui se soutenaient mutuellement. Les Allemands maintenaient un écran étanche contre la reconnaissance, ils utilisaient à leur maximum, les chemins encaissés et les haies, les barrages sur les routes, les rouleaux de barbelés et les champs de mines. Les positions défensives étaient peut-être considérées comme peu profondes - sans doute deux ou trois alignements de haies - les Américains s'attendaient pourtant à ce que les Allemands se défendent avec énergie et détermination et qu'ils engagent des contre-attaques locales pour conserver leurs positions. Il n'y avait pas beaucoup, sinon pas du tout de tanks dans le secteur, et les officiers des renseignements estimaient que le He corps de parachutistes ne possédait pas une grande quantité d'artillerie. Les Américains étaient certains, cependant, que ce qui se trouvait inscrit au dernier inventaire permettrait aux Allemands de couvrir les abords de Saint-Lô, ainsi que les versants de la cote 192, par un tir d'artillerie précis.

Le " sommet de la colline, c'est ça le plus important " avait dit le général Gerow, mais pour s'en emparer, la 2e division devrait marcher et la dépasser, pour occuper une bande de quatre kilomètres de la route nationale de Bérigny, entre la route du Calvaire et la fourchette de Bérigny. Les autres unités du corps feraient une démonstration de force ; on arrangerait un soutien aérien ; le corps d'artillerie et quatre bataillons d'artillerie des autres divisions du secteur du corps, renforceraient les tirs de la 2e division.

Le 38e régiment d'infanterie (colonel Ralph W. Zwicker), à droite (ouest) et à moins d'un kilomètre au nord de la crête de la cote 192, assurerait l'assaut principal avec trois compagnies de chars et deux compagnies de mortiers lourds, rattachées. Le 23e d'infanterie (lieutenant-colonel Jay B. Loveless) au centre, enverrait un bataillon pour traverser le versant est de l'objectif. Le 9e d'infanterie (colonel Chester J. Hirschfelder), en position à l'est de la fourchette de Bérigny, supporterait l'attaque de la division par un tir d'artillerie.

Comme une légère brume limitait la visibilité, le matin du 11 juillet, le soutien aérien prévu, fut annulé. Après un puissant tir d'artillerie de préparation de vingt minutes, peu après 6 heures, la division s'élança.

La nuit précédente, le 38e d'infanterie du colonel Zwicker s'était replié de quelques centaines de mètres, par sécurité, en prévision du bombardement aérien, et quand le régiment s'élança, les soldats subirent immédiatement un puissant tir ennemi qui les empêcha, pendant quelque temps, d'atteindre leur ligne de départ. Les Allemands s'étaient aperçus du léger retrait, s'étaient avancés, et avaient ainsi échappé à l'essentiel de la préparation d'artillerie de vingt minutes. Pendant la première demi-heure de l'attaque, ils mirent hors service, ou forcèrent à se retirer, grâce à des tirs de panzerfaust, les six tanks de la première vague de l'un des bataillons d'assaut. Le stratagème qui avait consisté à découper les talus des haies pour assurer la surprise d'un bond en avant, avait, du même coup, été réduit à néant.

Les fantassins américains avancèrent lentement avec l'aide d'un puissant et précis tir d'artillerie. Vingt mille salves furent tirées par l'artillerie de la division, à elle seule ; un total de 45 tonnes d'explosifs parvinrent de toute l'artillerie de soutien. Les chars et les équipes de bazookas détruisirent des canons d'assaut, cachés dans les décombres d'un village. Une douzaine de fusiliers se faufilèrent et enveloppèrent une position ennemie, connue sous le nom de " Kraut Corner ", ou " Coin des Boches ", l'atteignirent à une distance de lancement de grenades et détruisirent les armes ennemies. Quinze parachutistes allemands se rendirent. Trois, qui refusaient de capituler furent enterrés vivants par un char bulldozer.

" Il nous faut nous battre ", dit le général Robertson, " [mais] cela se débloque un peu, une centaine de mètres par-ci et une centaine par-là ". Et suivant la règle de la marche lente et  énergique, à midi, le 38e d'infanterie avait atteint le sommet de la cote 192. Les Allemands se désengagèrent alors et se replièrent. Seuls quelques groupes dispersés s'opposèrent à la descente du versant sud. Une partie du 38e d'infanterie creusa des tranchées sur un périmètre défensif, juste à proximité de la route nationale pour la couvrir; d'autres éléments se glissèrent et traversèrent la route en petits groupes, et organisèrent la hauteur, immédiatement au sud.

Entre temps, un bataillon du 23e d'infanterie débordait un ravin dénommé " Purple Heart Draw " ou " le Piège aux Coeurs de Pourpre " [décorations attribuées aux soldats blessés au combat, dans l'armée américaine]. Des chars attaquèrent par des tirs de précision, des maisons supposées cacher des points fortifiés allemands. Plusieurs coups de lance-grenades, par chance, bien ajustés, atteignirent des rangées de haies tenues par l'ennemi et réussirent à faire croire à des explosions provenant d'avions et dirigées sur des servants d'artillerie. À la fin de l'après-midi, le bataillon avait traversé la pente est de la cote 192 et atteint des positions qui surplombaient la route nationale de Bérigny.

Ce soir-là, Hausser, chef de la septième armée, ordonna à Meindl, qui commandait le IIe corps de parachutistes, de tenir la cote 192 à tout prix. Il était déjà trop tard. Tandis que l'artillerie américaine plaçait ses tirs de harcèlement, au sud de la route de Bérigny, pendant la nuit, l'infanterie repoussait de petites contre-attaques sans effet. Il devint évident, pour les Américains, que les Allemands installaient une nouvelle ligne de défense au sud, sur les collines qui surplombent la route nationale de Bérigny à Saint-Lô.

Le 12 juillet, la 2e division n'avança pas beaucoup, et passa la journée à consolider ses nouvelles positions au sud de la route de Bérigny. Les Allemands furent soulagés de voir l'attaque américaine marquer le pas, car, étant donné que leurs soldats étaient bloqués par l'attaque du XIXe corps vers Saint-Lô, les chefs allemands se disaient que si la 2e division avait poursuivi son attaque vers le sud, les Américains auraient réussi une nette percée.

La 2e division avait, néanmoins, remporté un succès remarquable. Elle n'avait fait que 147 prisonniers, sans doute, et supporté des pertes sévères - 69 tués, 328 blessés et 8 disparus - elle avait pourtant pris le meilleur poste d'observation des environs de Saint-Lô, un endroit d'où les Américains pouvaient voir jusqu'à la crête de Martinville, objectif du XIXe corps.

En direction de la crête de Martinville

En principe, l'attaque dirigée précisément sur Saint-Lô, par les éléments du XIXe corps, placés à l'est de la Vire, aurait dû suivre aussitôt les différentes attaques menées dans le Cotentin - celles du VIIIe corps, le 3 juillet, celle du VIIe, le 4 juillet, et l'opération de la tête de pont lancée le 7 juillet. - Le général Bradley avait bien essayé de prolonger sa manière de mener sa campagne, en programmant pour le 9 juillet, une attaque directe sur Saint-Lô, mais plusieurs raisons lui avaient fait ajourner deux fois cette bataille, de vingt-quatre heures à chaque fois. D'abord, il avait eu l'espoir que l'engagement des blindés, à l'ouest de la Vire lui assurerait une prise rapide des hauteurs, à l'ouest de Saint-Lô. Ensuite, il se dit qu'il avait besoin de troupes supplémentaires, à l'est de la Vire. La 29e division, considérée comme un bon élément, formait bien la gauche du XIXe corps, au début de juillet, Bradley n'en pensait pas moins, en se basant sur l'expérience des combats qui s'étaient déroulés au mois de juin, qu'une seule division, déployée sur un large front ne serait pas assez puissante pour s'emparer de Saint-Lô. Au moins une division supplémentaire serait nécessaire pour monter une attaque et la soutenir en profondeur.

Que la 35e division, assignée au XIXe corps, arrive en France assez tôt pour participer au début de la bataille, tout le problème était là. Des éléments avancés de la division étaient bien venus relever une partie de la 30e division et l'avaient déchargée pour ses opérations de la tête de pont du 7 juillet, mais cela " nécessiterait des efforts considérables " de mettre tous les soldats et tous les équipements en place afin de prendre en charge toute la partie droite tenue par la 29e division. La 35e division ne pouvait pas être prête à combattre avant le 11 juillet.

À six kilomètres à peine, au nord de Saint-Lô, la 29e et la 35e divisions tenaient des positions sur un front de treize kilomètres - de la Meauffe à la route de Couvains au Calvaire, en passant par Villiers-Fossard. Saint-Lô se trouvait au centre de la zone d'opérations que projetait le corps. Pour s'en emparer, les divisions marcheraient jusqu'au bord de la rivière, à l'ouest de la ville et jusqu'à la route de Bérigny, à sa sortie est.

Les divisions attaqueraient de front dans un secteur étroit. La limite qui les séparait, courait de Villiers-Fossard, le long de la base ouest de la cote 122, jusqu'à la boucle formée par la Vire. À droite, la 35e avancerait jusqu'à la bande de 3 kilomètres bordée par la rivière, juste au nord-ouest de Saint-Lô ; la 29e prendrait la ville. Tandis qu'un bataillon d'artillerie moyenne soutiendrait l'attaque du XIXe corps, à l'ouest de la Vire, le restant de l'artillerie du corps - quatre bataillons équipés d'obusiers de 155 et un bataillon armé de canons de 4,5 pouces et d'obusiers de 8 pouces - aiderait l'assaut sur Saint-Lô. Le général Corlett avait attaché un bataillon supplémentaire d'artillerie moyenne à la 29e division, qui menait le principal combat, pour le corps.

La 29e division était une unité ancienne, ayant eu l'expérience du Jour-J sur la plage d'OMAHA. Elle était commandée par le major-général Charles H. Gerhardt, elle avait pris Isigny et déjà essayé de s'emparer de Saint-Lô, au mois de juin. En attendant de reprendre les opérations offensives, le général Gerhardt avait organisé de petites équipes de cavalerie-infanterie et génie, et il avait fait des répétitions pour coordonner leur action, en suivant un plan qui assignait une escouade d'infanterie et un escadron de chars à chaque champ bordé de haies et une escouade du génie à chaque peloton d'infanterie, tous les trois champs. Il avait donné l'ordre à la compagnie chargée du matériel, de souder des fourches en fer sur ses tanks pour qu'ils puissent enfoncer des trous dans les talus de terre des haies pour faciliter la pose des charges explosives. Il avait également fait l'essai de faire traverser le milieu des champs aux fantassins, plutôt que de les faire se déplacer le long des haies. En utilisant ces méthodes, et avec un fort soutien de l'artillerie, il avait l'espoir - bien que le recomplètement ne lui ait pas permis de remonter tous ses bataillons d'infanterie aux effectifs réglementaires - d'avancer rapidement et de manière soutenue.

Les bombardements aériens et les obus avaient complètement détruit Saint-Lô. Pour éviter, non seulement le prix des combats pour extirper les Allemands des maisons en ruines, mais aussi le travail représenté par le dégagement des rues obstruées par les décombres, le général Gerhardt avait désigné les hauteurs près de Saint-Lô, plutôt que la ville elle-même, comme objectifs les plus proches: la cote 122, au nord de la ville, et immédiatement à l'intérieur de la limite droite de la division, la crête de Martinville, à l'est, et les hauteurs au sud-est de Saint-Lô. Après les avoir prises, et la 2e division tenant la cote 192, Gerhardt espérait bien qu'en menaçant d'encercler la ville, il obligerait les Allemands à l'évacuer.

Deux des trois hauteurs que le général Gerhardt estimait nécessaires à son projet, se trouvaient à portée de tir - la cote 122 et la crête de Martinville. La possession de la cote 122 donnerait sans doute à la 29e division une route d'approche de la ville beaucoup plus directe - c'est la route nationale d'Isigny à Saint-Lô et qui arrive par le nord-est - Gerhardt préférait pourtant ne pas l'attaquer directement. Venant juste après la cote 192, en importance, dans la région de Saint-Lô, la cote 122 était un bastion de la ligne défensive allemande, une position où ils avaient ancré des fortifications sur une crête de trois kilomètres qui s'étend au nord de Carillon. Les Allemands étaient sensibles au fait qu'on menace cette hauteur, car son sommet en forme de plateau se termine brutalement par une pente abrupte près des abords des quartiers nord de Saint-Lô. Du haut de cette pente, la ville est exposée et vulnérable.

Le général Gerhardt préférait attaquer à gauche (l'est). En conséquence, il déploya le 115e régiment d'infanterie (colonel Godwin Ordway, Jr.) sur un large front, au nord et au nord-est de la cote 122, sur la droite de la division. Les trois bataillons d'infanterie étaient en ligne, mais une brèche de plusieurs centaines de mètres séparait pourtant deux d'entre eux. Gerhardt organisait ce déploiement peu profond, parce qu'il projetait de mener le combat principal pour s'emparer de la crête de Martinville. En tenant cette éminence à l'est de Saint-Lô, ses soldats menaceraient les Allemands sur la cote 122, les encercleraient et les isoleraient par le sud. Sur une position virtuellement intenable, les Allemands de la cote 122, seraient obligés de se retirer en traversant Saint-Lô, avant que les Américains n'entrent dans la ville et leur coupent la retraite. Les Américains pourraient décimer les Allemands, sous leur feu d'artillerie tandis qu'ils se replieraient. L'occupation, de la cote 122 aussi bien que des hauteurs au sud-est de Saint-Lô, serait ensuite très simple.

Estimant que la 2e division allait prendre la cote 192 et protéger son flanc et ses arrières, le général Gerhardt donna l'ordre au 116e régiment d'infanterie (colonel Charles D.W. Canham) de se glisser vers le sud, sur un front étroit, à gauche de la limite de la division, proche de la crête de Martinville. Arrivé là, le régiment tournerait à droite (l'ouest) et descendrait le long de la crête vers les abords est de la ville. Le 115e d'infanterie ferait une diversion, en combattant sur la route d'Isigny à Saint-Lô, en direction de la cote 122 et protégerait le flanc droit de la division. Le 175e d'Infanterie (colonel Ollie W. Reed) se préparerait à exploiter le succès - soit sur la crête de Martinville, ou si, contrairement à toute attente, le 115e ne rencontrait que peu de résistance en provenance de la cote 122, le long de l'axe Isigny-Saint-Lô. Le plan du général Gerhardt fut presque réduit à néant, juste avant l'aube du 11 juillet, quand le IIe corps de parachutistes lança une feinte de diversion, pour soutenir l'attaque de la Panzer Lehr, à l'ouest de la Vire. Une patrouille allemande coupa les câbles de communication du 115e d'infanterie. L'artillerie ennemie et les mortiers ouvrirent le feu. Deux compagnies de parachutistes soutenues par le génie se heurtèrent aux soldats du 115e déployés superficiellement, débordèrent les lignes américaines, encerclèrent une partie d'un bataillon d'infanterie, et chassèrent une compagnie de servants de mortiers de 4 pouces et demi de ses positions. Ayant perdu ses communications, et ne recevant plus d'ordres, ni de son état-major, ni de son soutien d'artillerie lourde, et ne sachant pas quelle était l'importance de l'engagement allemand, de petits groupes s'engagèrent dans des combats isolés à la lumière du petit jour. A 7 heures 30, estimant qu'ils avaient fait leur devoir vis-à-vis de la Panzer Lehr, les compagnies d'assaut allemandes rompirent le contact et se replièrent sur leurs positions précédentes. Ce qui n'était qu'un raid attira l'attention de la 29e division sur la possibilité de réserves allemandes qui pouvaient être massées en profondeur pour contre-attaquer et qui seraient en position pour assurer une sérieuse défense de Saint-Lô. Ce raid avait aussi infligé plus d'une centaine de victimes au 115e et l'avait arrêté au moment où il devait s'élancer à l'attaque. La réorganisation du régiment prit le restant de la matinée, et le colonel Ordway ne put lancer son assaut sur la route d'Isigny à Saint-Lô avant l'après-midi. Comme c'était prévu, il ne fut pas possible d'avancer beaucoup, face au feu puissant de l'ennemi, en provenance de la cote 122.

Entre temps, tôt ce matin-là, le général Gerhardt avait pu engager son combat principal sur le flanc gauche de la division, et deux bataillons du 116e d'infanterie avaient pris le départ, en colonnes, derrière une préparation d'artillerie lourde. À cause des haies, il était difficile de localiser exactement la provenance des tirs de l'artillerie ennemie, et la progression était lente, confrontée à une résistance déterminée. Tandis que les mortiers de 4 pouces et demi tiraient sur la crête de Martinville et que les tanks détruisaient un canon automoteur sur la route du Calvaire, l'infanterie réussit enfin à dépasser son premier obstacle important, un chemin encaissé puissamment protégé par des mines anti-personnels. Le régiment n'avait pourtant gagné que six alignements de haies, en cinq heures, quand, soudain, comme la 21e division s'emparait du sommet de la cote 192, l'opposition allemande s'effondra. Le 116e d'infanterie put ensuite avancer rapidement au sud de la crête de Martinville, tourner à droite (l'ouest) et commencer à descendre la crête vers Saint-Lô.

Dès que la vague des troupes d'assaut se fut portée en avant, le colonel Canham, commandant du régiment, engagea son bataillon de réserve. À la fin de la journée, ce bataillon, avec une compagnie de chars, en soutien rapproché, s'étais mis en position de blocage, sur le flanc gauche de la division. A l'abri des tranchées creusées sur la pente sud de la crête de Martinville, il se trouvait en surplomb de la route de Bérigny.

Vers la fin du premier jour, le combat du général Gerhardt pour déborder la cote 122 à partir de l'est et du sud, promettait d'être un succès. La 21- division avait pris la cote 192 et protégeait le plus gros des positions du 1161- d'infanterie sur la crête de Martinville. Selon toute apparence, elle était prête à s'approcher de Saint-Lô et à menacer la cote 122 d'isolement, Gerhardt mit en alerte son régiment de réserve, le 175e, lui ordonna de traverser le 116e le lendemain et de se précipiter dans la ville par l'est.

Ce plan avait un inconvénient. Dès que le 116e avait tourné son axe d'attaque, du sud vers l'ouest, son flanc gauche s'était trouvé exposé ; les soldats se déplaçant à découvert dans les champs et les vergers de la façade sud de la crête de Martinville, se trouvèrent sous les postes d'observation et les tirs des Allemands, situés sur les hauteurs au sud de la route de Bérigny. Ayant cherché à éviter la marche en file indienne le long de la paroi nord de la crête de Martinville, pour ne pas avoir à supporter le feu provenant de la cote 122, les Américains se trouvaient, en enfilade, sous celui venant du sud, les obus les harcelaient, empêchant la marche et les rangs se clairsemaient. En conséquence, la 29e division perdit, le 11 juillet, près de 500 hommes.

Si Gerhardt persistait dans son projet initial de manoeuvre et amenait l'essentiel de sa division sous la crête de Martinville, il enverrait ses soldats sous les Fourches Caudines des tirs allemands. Mais comme le contrôle de la façade sud protégerait son flanc d'une attaque venant de l'autre côté de la route nationale de Bérigny et parce que l'approche de Saint-Lô par l'est représentait aussi la promesse de déloger rapidement les Allemands de la cote 122, le général Gerhardt prit la décision de poursuivre. Il eut cependant la conviction que tant que les Allemands garderaient le contrôle des collines situées au nord et au sud de Saint-Lô, ils n'abandonneraient sans doute pas la ville. Il devait donc prendre Saint-Lô en l'attaquant directement et l'occuper. Le soir du 11 juillet, il donna comme instruction au colonel Canham de " poursuivre son chemin, et de prendre Saint-Lô, si possible ". La tombée de la nuit vint contrecarrer cette tentative.

Le plan de manoeuvre américain avait été révélé aux chefs allemands lors de la capture d'un ordre de mission de combat, le matin du 11 juillet, ce qui les avait empêchés de s'inquiéter quand les Américains avaient attaqué. Mais à midi, les perspectives avaient changé. Ils avaient perdu le sommet de la cote 192, et l'attaque de la Panzer Lehr à l'ouest de la Vire avait fait long feu. La pression américaine appréciable, non seulement dans la région de Saint-Lô, mais à travers tout le Cotentin, déclenchait un effet cumulatif qu'on ne pouvait ignorer, malgré tout le désir qu'on en eût. Tout en essayant de conserver les défenses de Saint-Lô, le IIe corps de parachutistes envoyait un rapport disant que sa ligne de front avait littéralement " explosé ". Un volume important et efficace d'un puissant tir d'artillerie avait, au soir du 11 juillet, réduit la 31- division de parachutistes à 35 pour cent de ses effectifs réglementaires. Le kamfgruppe de la 353e division, qui combattait aux côtés des parachutistes, avait rétréci jusqu'à passer de 1.000 à 180 soldats. En approuvant l'engagement du dernier bataillon de réserve de la 3e division de parachutistes, Meindl, qui commandait le corps, sollicita l'envoi d'un régiment de la se division de parachutistes, qui arrivait de Bretagne, à ce moment-là, pour renforcer son secteur. Hausser, le chef de la septième armée, refusa, car il estimait que la défaite de la Panzer Lehr faisait de la région à l'ouest de Saint-Lô, une zone qui exigeait beaucoup. Hausser insista, cependant, pour demander qu'on tienne la crête de Martinville à tout prix. En réponse, Meindl fit remarquer qu'il faudrait bientôt que quelqu'un arrive avec un plan génial s'ils voulaient contenir la pression américaine. En attendant, Meindl organisa un nouveau front pendant la nuit. Les positions s'étendaient au nord, au-delà de la route nationale de Bérigny et de la crête de Martinville pour se raccrocher à la cote 122, elles étaient tournées vers l'est pour contrer la menace qui avait augmenté sur la crête.

Le deuxième jour de l'attaque, le 12 juillet, la 29e division ne progressa pas beaucoup. À droite, le 115e d'infanterie, étiré sur un large front, sans réserve, et sous le regard des Allemands postés sur la cote 122, ne fit pas beaucoup plus que maintenir la pression en essuyant des pertes. A gauche, le 175e d'infanterie ne fut pas capable - à cause des tirs de l'artillerie allemande - de traverser le 116e et de se mettre en position pour faire une poussée vers la crête de Martinville. L'artillerie et les tirs de mortiers allemands, immobilisèrent la division et lui infligèrent encore près de 500 victimes.

Perdre près de 1.000 soldats en deux jours représentait une sérieuse saignée pour la division, qui ne se trouvait déjà pas au plein de ses effectifs au début de l'attaque. Un bataillon du 175e d'infanterie, même avant l'engagement, n'avait plus que 225 hommes dans ses trois compagnies de fusiliers. Plusieurs heures après le départ, un autre chef de bataillon avait répondu, quand le général Gerhardt lui avait demandé comment ses effectifs se tenaient, " sur un pied, mon général ". Le feu allemand épuisait la division à un rythme inquiétant, et la bataille des haies achevait les survivants. Le soir du 12 juillet, le capitaine d'un régiment minimisait la situation en disant au général Gerhardt " Je pense que tout le monde souhaite prendre une solide position défensive tout de suite, et je serais aussi assez partisan de le faire. "

Après deux jours de combats, les chefs du corps et de la division, les généraux Corlett et Gerhardt, en vinrent tous deux à cette conclusion, " la cote 122 est une nasse " - ils en avaient absolument besoin, avant de pouvoir prendre Saint-Lô. Le 13 juillet, pourtant, les effectifs du général Gerhardt n'étaient plus assez nombreux pour s'emparer de la colline. L'essentiel de la 29e division, le 116e et le 175e régiment, étaient engagés inextricablement dans la partie gauche de la zone de la division, la crête de Martinville ; le 115e d'infanterie, en face de la cote 122 et en position pour se lancer à l'assaut de la hauteur, était toujours étiré sur un large front. Gerhardt avait bien essayé de proposer d'envelopper et de déborder la position fortifiée allemande sur la colline, mais il n'avait pas insisté, car il n'avait pas l'impression que c'était la bonne solution.

Le général Corlett tenait la clef du problème de la cote 122. Il pouvait engager contre elle la réserve du corps. Cependant, avant de le faire, il souhaitait donner au premier plan de manoeuvre de Gerhardt - la poursuite du combat sous la crête de Martinville - une journée supplémentaire. En soutien de cette bataille, il demanda un bombardement aérien, particulièrement lourd, de la cote 122.

Le matin du 13 juillet, les deux régiments de la crête de Martinville s'étaient arrangés pour se définir des zones bien délimitées, de front, et face à l'ouest, le 116e orienté principalement sur la ligne de crête, le 175e occupant des positions perpendiculaires à la façade sud de la crête jusqu'à la route de Bérigny. Pour se conformer à la décision du chef de corps, le général Gerhardt ordonna au 175e d'infanterie, de se diriger vers la route nationale de Bérigny à Saint-Lô, derrière le fer de lance formé par les chars. Les avions bombarderaient en piqué et détruiraient à l'explosif pour la neutraliser, la cote 122, l'artillerie assurerait une protection rapprochée et les tanks frayeraient le passage le long de la route. On pouvait ainsi espérer que la ville aller tomber.

L'espoir fut de courte durée. Le jour pointait à peine, que les obstacles s'accumulaient. Non seulement le mauvais temps annula le combat aérien, mais l'absence d'une coordination convenable empêcha les tanks de faire le plein et les immobilisa pendant toute la durée de l'attaque. Privés, à la fois, du soutien aérien et de celui des chars, l'infanterie pourtant assistée par un puissant tir d'artillerie, ne progressa que de quelques 500 mètres sous une pluie d'artillerie et d'obus de mortiers allemands, envoyée depuis la crête, au sud de la route nationale.

Tard dans l'après-midi, le commandant du régiment, le colonel Reed, demanda l'autorisation d'engager son bataillon de réserve, contre la hauteur au sud de la route de Bérigny. Quand le général Gerhardt retransmit cette demande au chef de corps, le général Corlett refusa de peur que cela ne provoque une dispersion des combats. De plus, il avait, entre temps, pris la décision de mener une action contre la cote 122, en engageant sa réserve, un régiment de la 35e division, et il avait besoin du bataillon de réserve du régiment de Reed pour reconstituer celle du corps. Après avoir donné l'ordre au général Gerhardt de mettre ses soldats au repos et de réorganiser ses positions le jour suivant, 14 juillet, le général Corlett reporta toute son attention sur la 35e division, son unité de droite qui se battait aussi depuis le 11 juillet et qui allait devoir, maintenant, s'emparer de la cote 122.

La cote 122

Commandée par le major-général Paul W. Baade, la 35e division, malgré son bon entraînement, avait tout de même le handicap d'avoir été engagée dans la hâte. Les soldats avaient pris en charge une partie de l'activité du front, sans avoir pu faire une reconnaissance approfondie du territoire ; leur connaissance de l'ennemi était limitée à la vague idée qu'ils se faisaient de l'endroit où se trouvait l'avant du front adverse, l'impression que les Allemands se défendaient avec force, et la prise de conscience qu'ils avaient eue, aussitôt, que les Allemands avaient d'excellents postes d'observation sur tous leurs mouvements, en particulier à travers champs. C'est seulement quand la division avait lancé son assaut, que les soldats avaient appris combien leurs adversaires avaient su organiser complètement le terrain.

Sur une ligne de départ qui courait entre la Meauffe (sur la Vire) et Villiers-Fossard, la 35e division se trouvait face au bocage. L'objectif, situé à 6 kilomètres 500, était une bande de terre de trois kilomètres longeant la Vire, entre la boucle et la courbe. Le flanc droit de la division était assez bien protégé par la Vire; mais sur sa gauche, juste à l'extérieur de sa limite, la cote 122 dominait toute la région.

Pour son attaque du 11 juillet, le jour même où la 2e et la 29e avaient pris leur élan, le général Baade avait fait le projet d'engager deux régiments de front - le 137e (colonel Grant Layng), à droite, jouxtant la rivière, et le 320e (colonel Bernard A. Byrne) à gauche. Le 134e régiment d'infanterie (colonel Butler B. Miltonberger) serait retenu comme réserve du corps. Après une préparation d'artillerie de trente minutes, la division prit le départ à 6 heures.

Les éléments du flanc droit des deux régiments d'assaut parcoururent deux kilomètres en deux heures et organisèrent le front de la division, mais ensuite l'attaque marqua le pas. Ayant rencontré une forte résistance dans les haies, les soldats se trouvèrent confrontés aux mêmes difficultés qui s'étaient abattues sur presque toutes les divisions inexpérimentées, dans le bocage. Les communications furent rompues presqu'aussitôt. Des vides se manifestèrent entre les unités. Les soldats semblaient surpris de rencontrer une forte opposition provenant de mitrailleuses cachées dans les chemins creux et derrière les haies. Frappés d'étonnement, ils remarquaient qu'il était " difficile de descendre les tirs [d'artillerie] derrière les haies toutes proches des nôtres ". On avait pourtant bien informé les soldats quand ils se trouvaient en Angleterre que la région de la Cornouaille ressemblait quelque peu à celle de la Normandie, mais aucun plan, ni entraînement pour vaincre les obstacles qu'offrait le terrain de bocage n'était allé au-delà de la simple théorie. Les tirs de mortiers et des armes automatiques allemands étaient tout particulièrement nourris, et l'un des blessés fut un commandant de régiment, le colonel Layng. Le premier jour de l'action ne fit pas beaucoup plus que donner aux soldats leur baptême du feu et les introduire de manière plutôt rude au caractère complexe de la guerre de bocage. De l'autre côté de la Vire, le général Hobbs réclamait à grands cris que la 35e division veuille bien s'avancer pour couvrir le flanc de la 30e.

Le deuxième jour de l'attaque, le 12 juillet, la 35e division tira profit d'une préparation d'artillerie de 45 minutes pour essayer d'affaiblir les défenses allemandes. Cela lui permit de remporter un succès contre une position fortifiée dans une église et un cimetière, sur son flanc droit, là où, très tôt, la veille, des mitrailleurs dans des emplacements bétonnés derrière le mur du cimetière, avaient fait obstruction sans qu'on puisse les en déloger. Un bataillon nettoya cet obstacle, un peu avant midi; on ne prit aucun prisonnier - tous les Allemands étaient tués. L'infanterie se mit en marche, ensuite, afin de prendre le prochain point fortifié, un château auquel des obus d'artillerie avaient mis le feu, la nuit précédente.

En dépit de cette progression, la 35e division ne gagna pas grand chose les 12 et 13 juillet. L'inexpérience et le bocage en étaient, en partie, responsables, mais plus encore la position très importante que les Allemands détenaient à Carillon, et qui se trouvait au centre de la région impartie à la division, or, elle était appuyée par les troupes de la cote 122.

L'enveloppement paraissait être la réponse à donner, à Carillon, mais chaque tentative était contrecarrée par le manque d'espace de manoeuvre et par les positions des Allemands en surplomb sur la cote 122. Il devint évident que si l'on voulait que la 35e division puisse avancer, la cote 122 qui se trouvait dans le secteur de la 29e division, devrait passer aux mains des Américains. C'est seulement à partir de là que, semblait-il, le général Baade serait en mesure de faire progresser son aile droite de manière significative pour couvrir la 30e division qui se trouvait de l'autre côté de la rivière.

La situation trouva en partie sa solution le 14 juillet. Tandis que la 29e division se reposait et se réorganisait, le général Baade envoya une partie de la 35e attaquer le long de la rive est de la Vire. Aidé par une poussée énergique de la 30e division sur la berge opposée de la rivière, le 137e régiment d'infanterie, désormais commandé par le colonel Harold R. Emery, s'avança sous la pluie, à travers des champs de mines et sous un feu nourri d'artillerie et d'obus de mortiers, jusqu'à la route nationale de Pont-Hébert à Saint-Lô. Avec l'engagement de ses trois bataillons et l'assistance de tanks, d'antichars et un soutien appuyé de l'artillerie, le 137e s'empara d'une section de la route de la crête. Le régiment avait perdu 125 hommes et 11 tanks moyens et avait fait 53 prisonniers.

Les résultats obtenus par cette avancée étaient importants. La 352e division, qui défendait le territoire jouxtant la Vire à l'est, avait toujours été embarrassée par la possible précarité de ses positions. La Vire délimitait son flanc gauche (à l'ouest) et traversait également l'arrière de l'unité. Etant donné qu'il n'y avait aucun pont permanent sur la Vire, entre Pont-Hébert et Saint-Lô, si les troupes américaines se précipitaient sur Saint-Lô ou vers la boucle de la rivière, la division se trouverait dans un piège. Pour maintenir des communications transversales au dessus de la Vire, les Allemands construisirent un pont sous l'eau à Rampan, au sud de Pont-Hébert, mais il n'était pas suffisant pour supporter un exode complet du secteur. La perte de Pont-Hébert était une telle menace sur le site de traversée à Rampan, que les soldats allemands du génie commencèrent à construire un pont provisoire, en toute hâte, juste au nord-ouest de Saint-Lô.

Des idées de retraite commençaient à prendre corps, tandis que la bataille se déroulait. Pendant les trois premiers jours des combats américains de juillet, la 352e division calculait qu'elle avait supporté 40 attaques - 2 par des effectifs de la taille d'un régiment, 12 de celle d'un bataillon et 26 d'une compagnie. L'effet de ces estocades incessantes sur une période de trois jours, avait forcé les Allemands à reculer. Si les attaques de l'infanterie américaine avaient été efficaces, leur artillerie était dévastatrice. Pendant les deux premiers jours, la division allemande avait dû supporter 840 blessés, pour la plupart à cause des bombardements d'artillerie, et n'était plus en mesure de compter ses morts. Les tirs de contrebatteries étaient particulièrement impressionnants, car ils pouvaient détruire en une seule fois, six des douze canons d'un bataillon.

Le rapide déclin de l'efficacité de la 352e division avait de sérieuses implications pour les Allemands qui défendaient Saint-Lô. Si la 352e s'effondrait, la cote 122 serait perdue. La perte de la cote 122 signifiait une probable retraite jusqu'aux hauteurs au sud de Saint-Lô. Meindl renforça donc ses effectifs de la cote 122, en envoyant les soldats de la 266e division qu'il tenait en réserve, avec ceux de la 30e brigade mobile qui revenait tout juste sous le contrôle du lie corps de parachutistes après avoir été relevée par la Panzer Lehr, dans la région ouest de la Vire.

Ne sachant pas exactement quel effet la 35e division aurait sur les forces opposées, le général Corlett avait tout de même le sentiment que la prise de Pont-Hébert, combinée avec l'attaque de la 30e division de l'autre côté de la rivière, donnait à la 35e division une position favorable. Avec un point d'appui solide sur la route de la crête, les Américains détenaient une excellente approche sur Saint-Lô, par le nord-ouest. Ayant débordé la position fortifiée allemande de Carillon, ils menaçaient, du même coup, la cote 122. Malgré l'échelonnement du 320e régiment d'infanterie à l'arrière gauche sur trois kilomètres, et qui ne pouvait ainsi qu'exercer une pression de peu de portée sur Carillon, le 137e était disposé en tenailles pour envelopper le complexe formé par Carillon et la cote 122, à l'ouest. Une pince semblable, à l'est, constituerait un double enveloppement de Carillon et de la cote 122. Mais, parce que la 29e division, dont l'essentiel des troupes se trouvait sur la crête de Martinville, n'avait plus assez de soldats en position d'attaquer la cote 122, à partir du nord-est, Corlett déplaça les limites de la division à l'est, vers la route nationale d'Isigny à Saint-Lô, pour donner plus d'espace de manceuvre à la 35e division et lui assigner la cote 122 comme objectif. Corlett libéra le 134e régiment d'infanterie de la réserve du corps et donna à Baade l'ordre de prendre la hauteur. Pour préparer l'attaque, le 14 juillet, le 134e remplaça deux bataillons du 115e d'infanterie qui se trouvaient à l'ouest de la route nationale d'Isigny à Saint-Lô, se mettant ainsi en position de s'élancer contre la cote 122 et en même temps de soulager la 29e division, exagérément étirée.

Le général Baade avait l'intention d'attaquer avec ses deux régiments latéraux. Tandis que le 320e contenait les Allemands à Carillon, le 137e, à droite, avancerait pour traverser la route de crête Pont-Hébert - Saint-Lô. Le 134e, à gauche, progresserait pour un assaut direct contre la cote 122. Le succès des régiments latéraux neutraliserait la position de Carillon, éliminerait la cote 122, et ouvrirait la voie à une avance facile jusqu'à l'objectif final de la division, la bande de terre le long de la Vire entre la boucle et la courbe.

Le besoin de revoir ce plan devint évident le 15 juillet, peu après que le 137e d'infanterie eut lancé son attaque à droite, pour traverser la route en saillie de Pont-Hébert à Saint-Lô. Les tirs d'artillerie et de mortiers en provenance de la cote 122 lui infligèrent 117 victimes et arrêtèrent le régiment, tout net. Le 137e ne pourrait plus avancer, conclut le général Baade, tant que le 134e régiment d'infanterie n'aurait pas pris la cote 122.

Le 134e d'infanterie du colonel Miltonberger avait, lui aussi, attaqué tôt le matin du 15 juillet. Son axe de marche était une route de campagne, chemin de terre étroit, allant de Villiers Fossard, en passant par Emélie, jusqu'au sommet en plateau, à peine visible, de la cote 122. La route est parallèle à la route nationale d'Isigny à Saint-Lô, à un kilomètre 600 plus à l'est, elle s'élève graduellement pendant près de cinq kilomètres tandis qu'elle grimpe le versant nord, en pente douce, de la colline, puis elle s'affaisse brutalement dans une descente rapide jusqu'aux faubourgs nord de Saint-Lô. Des deux côtés de la route s'étend le terrain caractéristique du bocage, qui offre l'avantage aux défenseurs, avec ses haies impressionnantes, ses chemins creux qui sont comme de véritables cavernes.

Le 134e d'infanterie progressa vers un groupe de constructions de fermes à Emélie, derrière le barrage d'un tir roulant de batterie. Presqu'aussitôt, les soldats se trouvèrent pris au filet dans un entrelacs de sentiers, bordés de haies, sous une pluie de tirs ennemis. La menace de désordre planait sur le champ de bataille, tandis que de petites unités combattaient individuellement pour s'emparer des champs. Le régiment subissait de lourdes pertes au cours d'actions éclatées, mais réussissait à s'emparer du hameau d'Emélie avant midi.

Encouragé par ce succès, le général Baade dit au brigadier-général Edmund B. Sebree, adjoint du commandant de la division, de regrouper une formation de combat et de la conduire dans une estocade finale, jusqu'à la cote 122. Réunissant le 134e à deux compagnies du 737e bataillon de cavalerie, une compagnie du 60e bataillon du génie et un peloton du 654e bataillon d'antichars, le général Sebree acheva ses préparatifs avant le soir. À 20 h 30, après que les avions eurent bombardé les positions allemandes autour de Saint-Lô et tandis que la 29e division attaquait dans son secteur, la formation de combat de la 35e division s'élançait.

À la lueur trompeuse du crépuscule, la formation de combat progressait rapidement. S'approchant du versant nord de la cote 122, le général Sebree réclama le soutien de tirs directs d'un bataillon d'artillerie, d'une partie de deux autres et du 82e bataillon d'armes chimiques, au complet. C'était à un kilomètre six cents de la crête de la colline, et la formation de combat y était pour minuit. Tandis que les fantassins creusaient des tranchées, les sapeurs amenaient des sacs de sable, des câbles et minaient la pente pour rembourrer les positions défensives et s'opposer à des contre-attaques dont ils étaient sûrs qu'elles allaient suivre. Les Allemands avaient encore assez de place pour manoeuvrer, au nord de Saint-Lô, et lancer des contre-attaques, mais l'ensemble du point fortifié allemand avait tout de même été ébréché, au moins pour un certain temps.

La poussée attendue se produisit aux petites heures du 16 juillet et repoussa légèrement l'infanterie jusqu'à ce qu'un bataillon de réserve, qui venait d'être engagé l'ait aidée à se remettre en ligne. Plus tard, ce jour-là, les Allemands lancèrent une autre attaque, soutenue par un feu nourri d'artillerie et de mortiers. Cette fois, un nombre assez important de fantassins américains reculèrent - quelques traînards s'enfuyèrent jusqu'à Emélie - mais la contre-attaque marqua le pas et les troupes de la 35e division traversèrent le sommet de la cote 122, en dépit d'un fort tir d'artillerie. Tandis que les obus de l'artillerie et des mortiers allemands continuaient à s'abattre sur la colline, les soldats américains découvraient une vue étonnante sur Saint-Lô, à un kilomètre à peine.

La prise de la cote 122 laissait entrevoir la fin de la bataille. Ayant perdu leur bastion, les défenses allemandes autour de Saint-Lô commencèrent à s'effondrer. Le 17 juillet, le 137e d'infanterie à droite de la division était enfin capable de faire sa percée sur la route de crête de Pont-Hébert à Saint-Lô. Se précipitant au sud vers la Vire, le régiment ne rencontra plus qu'une résistance en déclin. Entre temps, le 320e d'infanterie se préparait à nettoyer la région de Carillon, que les Allemands avaient pratiquement abandonnée.

" Contre vents et marées "

Alors qu'on pouvait entrevoir que la bataille de Saint-Lô serait terminée pour le 17 juillet, la prise de la ville ne semblait pas imminente le 14 juillet, quand la 29e division avait fait halte pour se réorganiser et se préparer à relancer l'assaut. La ville avait beau ne plus être qu'à cinq kilomètres à peine, elle se dérobait, en quelque sorte, comme aux trois premiers jours de l'attaque.

Le fait de rétrécir le front de la 29e division, pour en extraire la cote 122, avait redonné espoir aux soldats quand ils reprirent l'attaque le 15 juillet. Après une journée de réorganisation et de repos, le 115e régiment d'infanterie se déplaça en longeant la route d'Isigny à Saint-Lô, le 116e menait le combat principal le long de la crête de Martinville sur un front de 600 mètres, et le 175e assurait les tirs de soutien à partir de positions échelonnées à l'arrière gauche, sur la route de Bérigny.

Contre toute attente, l'attaque du 15 juillet, se mit à manifester de malheureux signes de ratées. Le 116e perdit immédiatement sept chars moyens, pris sous un tir en enfilade, en provenance du sud. En dépit d'attaques de diversion, lancées par le 175e régiment d'infanterie et de bombardements aériens, de la IXe aviation tactique, le combat principal n'arrivait pas à s'enclencher. Sur la droite de la division, le 115e perdit plusieurs centaines de mètres, à la suite de la confusion. Des bataillons se mélangeaient et des chars mal disposés détruisaient l'organisation du régiment. Un manque de coordination convenable avec la 35e division entraîna des malentendus et un échange de tirs entre les troupes américaines. L'attitude ferme d'un officier de liaison d'artillerie, qui prit le commandement d'une compagnie d'infanterie et restaura l'ordre et la discipline, évita un repli dans la panique. Un peloton de blindés, à proximité, aurait pu venir en aide au régiment pour qu'il regagne le terrain perdu, mais le commandant de cavalerie n'arrivait pas à localiser l'officier d'infanterie qu'il fallait. Tandis que les tankistes attendaient des instructions, les chars restaient sans rien faire.

Le chef de la division, le général Gerhardt, avait d'abord été prudemment optimiste. " Il semble bien que nous allons peut-être démarrer ", dit-il. Ensuite son optimisme se transforma en une détermination inflexible. " Nous allons maintenant nous y accrocher ", déclara-t-il " contre vents et marées ". Comme la journée se déroulait sans autre chose que des échanges de tirs de contrebatteries et la réorganisation de quelques unités, le général Gerhardt mit au point une attaque de nuit. " Nous pourrions sans doute le faire cette nuit, " dit-il. Plusieurs heures après il admettait : " Nous ... l'avons raté. " Le 115e et le 175e régiments n'avaient fait aucun progrès appréciable, tandis que le 116e régiment d'infanterie, désormais commandé par le colonel Philip R. Dwyer, n'avait accompli que ce qu'on pourrait appeler une petite amorce de départ.

Sans que le commandant de la division en ait eu connaissance, sur le moment, un événement s'était produit pendant la nuit, qui devait avoir une influence heureuse et significative sur la bataille de Saint-Lô. Deux bataillons d'assaut du 116e régiment d'infanterie avaient bien progressé le long de la crête de Martinville, quand l'état-major de la division, qui n'avait pas, manifestement, une connaissance exacte de la situation et qui craignait un étirement excessif du front, avait ordonné une halte. Un bataillon s'arrêta et consolida son avance d'environ 500 mètres. L'autre continua sa progression, car le chef du bataillon, le major Sidney V. Bingham, Jr. avait reçu l'ordre de s'arrêter pendant qu'il contrôlait ses approvisionnements, à l'arrière. N'ayant pas de communication, à ce moment-là, avec ses unités d'avant-garde, Bingham s'avança pour arrêter la marche. Quand il atteignit ses soldats de tête, il s'aperçut qu'ils étaient à plus de 1.000 mètres au-delà de la ligne de front du régiment et qu'ils étaient en train d'organiser des positions à cheval sur la route nationale de Bérigny. N'ayant rencontré que peu d'opposition, ils étaient descendus en biais par la façade de la crête de Martinville jusqu'à un endroit situé à moins de 1000 mètres des faubourgs est de Saint-Lô.

Les tirs de l'artillerie allemande et des mortiers dirigés contre le corps principal du 116e régiment d'infanterie étaient tombés derrière et avaient isolé l'unité, relativement petite, de Bingham. Avec la moitié d'une compagnie de fusiliers en moins, n'ayant pas d'escadron de la compagnie d'armes lourdes, ni les mortiers de 81 mm, ni l'état-major du bataillon - tous se trouvant avec le gros du régiment - le bataillon établit un périmètre défensif. En faisant son rapport de progression au commandant du régiment, le major Bingham dit qu'il pensait pouvoir tenir, malgré son peu de munitions.

Entre les troupes isolées, le 116e et le 175e régiment, il y avait, respectivement, des intervalles de 1.000 et 700 mètres. Le feu de l'artillerie, des mortiers et des armes automatiques de l'ennemi était si violent, que les tentatives des deux régiments pour atteindre le bataillon isolé furent immobilisées. La position était tellement précaire que certains pensaient que le bataillon serait complètement anéanti. D'un autre côté, elle représentait l'approche américaine la plus voisine de Saint-Lô. Plus tard, cette dernière situation allait donner aux Allemands, aussi bien qu'aux Américains une preuve significative que les défenses de la ville étaient bien en train de se désintégrer.

Mais à minuit, le 15 juillet, cette éventualité ne paraissait pas très plausible, au moment où le général Corlett remettait au VIIe corps, la direction de son secteur à l'ouest de la Vire, pour consacrer toute son attention à la situation à l'est de la rivière. Ce qui se passait à Saint-Lô n'était pas très encourageant. A droite, la 35e division était bloquée devant la route en arête de Pont-Hébert à Saint-Lô et ne tenait la cote 122 que de façon précaire. A gauche, la 29e division était dans une situation encore plus critique: un régiment dans l'incapacité d'avancer sur la route nationale d'Isigny à Saint-Lô et les deux autres arrêtés à la crête de Martinville, ne pouvant, apparemment ni se précipiter sur la courte distance qui les séparait de l'entrée de la ville, ni rétablir le contact avec un bataillon isolé. Et pourtant, plus que jamais, les Américains avaient besoin de SaintLô. Le général Bradley voulait le contrôle du site de traversée de la Vire, à Saint-Lô, pour pouvoir bloquer les menaces que les Allemands faisaient peser sur le flanc de sa nouvelle opération. Il était vital de mener rapidement la bataille de Saint-Lô à son terme, cependant il ne semblait pas qu'il y eut d'autre alternative que la méthode lente et coûteuse d'une progression mètre par mètre, devenue déjà tellement familière.

Le 16 juillet n'apporta pas beaucoup d'amélioration. Tandis que la 35e division se battait pour conserver la cote 122, la 29e semblait virtuellement paralysée. Le 115e régiment d'infanterie progressa d'environ 300 mètres sur la route nationale d'Isigny à Saint-Lô et se mit à la hauteur des troupes de la 35e de la cote 122, mais les régiments de la crête de Martinville n'arrivèrent pas à secourir le bataillon isolé.

Six jours de combats avaient rapproché la 29e de son but, mais en affaiblissant terriblement ses troupes. Deux jours plus tôt, 125 remplacements avait rétabli un bataillon du 116e régiment à 60 pour cent seulement de ses effectifs réglementaires ; dans la nuit du 16 au 17 juillet, un autre bataillon reçut 250 simples soldats, remontant ses effectifs à 420 hommes. Le 16 juillet, un bataillon du 115e n'avait plus qu'un peloton de fusiliers dans chacune de ses compagnies de fusiliers. Le 17 juillet, 200 hommes formaient les trois compagnies de fusiliers d'un bataillon du 175e et la plupart des officiers et des sous-officiers avaient été tués ou blessés. C'étaient, peut-être, des cas extrêmes, mais les autres bataillons d'infanterie étaient aussi sérieusement amoindris.

Pour l'assaut final sur Saint-Lô, au moment voulu, le général Gerhardt se tourna vers les armes de soutien. Il donna l'ordre au brigadier-général Norman D. Cota, commandant-adjoint de la division, d'organiser un détachement blindé, de reconnaissance, d'antichars et de soldats du génie. Ils se rassembleraient à l'arrière de la division dans un endroit qui leur permettrait d'attaquer en direction de Saint-Lô, soit à partir du nord-est - en utilisant la route nationale d'Isigny à Saint-Lô - ou par l'est - en descendant la crête de Martinville. Mais comme la cote 122 n'était pas encore entièrement en leur possession, le général Gerhardt croyait devoir faire sa pénétration la plus importante sur Saint-Lô par l'est, mais il voulait être prêt à rentrer en arrivant par le nord-est, si la prise de la cote 122, se révélait être réellement l'élément décisif de la bataille.

Naissance d'une légende

Le 17 juillet, septième jour de l'attaque, la 29e division s'élança avant l'aube. Le major Thomas D. Howie, qui commandait le 3e bataillon du 116e régiment d'infanterie, menait ses hommes, les compagnies formant une colonne de marche silencieuse se dirigeaient vers l'unité isolée du major Bingham. Les Allemands, méfiants, augmentèrent leur tir d'artillerie et de mortiers et se mirent à arroser de leurs mitrailleuses les pentes de la crête de Martinville. Les hommes d'Howie résistèrent à la tentation de riposter et continuèrent à grimper à travers une brume de petit matin, toujours sans être vus. Plusieurs heures après le lever du jour, ils atteignirent les troupes isolées de Bingham.

Le chef du régiment, le colonel Dwyer, avait eu l'espoir que les deux bataillons réunis, pourraient entrer dans la ville, mais les hommes de Bingham étaient épuisés. Howie informa Dwyer par téléphone qu'ils n'étaient plus en mesure de combattre. Quand Dwyer posa la question de savoir si Howie pouvait faire avancer son bataillon seul, jusqu'au faubourg est de la ville, Howie répondit, " ça ira ". Quelques minutes plus tard, un obus ennemi le tuait.

Prenant le commandement du bataillon d'Howie, le capitaine William H. Puntenny essaya de monter son assaut sur Saint-Lô, le long de la route nationale de Bérigny, mais les Allemands firent un tel rideau de feu de mortiers que les soldats ne purent avancer. Toute la journée, les tirs ennemis empêchèrent toute progression. Tard dans l'après-midi, une contre-attaque soutenue par les blindés partit de Saint-Lô pour éliminer la formation de Bingham-Puntenny. C'est seulement grâce à la présence fortuite de bombardiers de piqué américains, que la mise fut sauvée. Tandis que les avions pilonnaient et bombardaient la colonne allemande, l'artillerie de la division plaçait un écran de tirs protecteurs autour des positions américaines. Désorganisés, les Allemands retirèrent leurs troupes d'assaut. Mais, c'étaient maintenant deux bataillons américains qui se trouvaient isolés.

Tous les efforts du 1er bataillon du 116e régiment d'infanterie pour ouvrir une route d'accès vers Bingham et Puntenny, le 17 juillet et pour apporter munitions, nourriture et une aide sanitaire échouèrent. Des auto-chenilles et des antichars, escortés de mitrailleuses quadruples de calibre 50, trouvèrent les chemins creux autour de Martinville tellement encombrés de débris, de chevaux tués et de véhicules allemands détruits, qu'une progression sous le feu incessant de l'ennemi fut impossible. Le  175e régiment d'infanterie essaya, lui aussi, de rejoindre les soldats isolés, en attaquant sur la route de Bérigny, mais le régiment eut alors à subir des pertes sévères et n'avança pas beaucoup. Le seul secours fut apporté par les avions légers de l'artillerie de la division, qui larguèrent assez de plasma pour soigner les 35 blessés.

Le soir du 17 juillet, un groupe de transport d'environ 40 hommes du 1er bataillon du 116e régiment d'infanterie réussit finalement à atteindre les unités isolées. Le lendemain matin, 18 juillet, une compagnie de fusiliers - qui se trouvait réduite à 23 vétérans, mais s'était recomplétée avec 85 remplaçants - ouvrit une route d'approvisionnement à Bingham et Puntenny, au travers du vide d'un kilomètre. Progressant sur deux colonnes en suivant l'axe des alignements de haies, à un champ d'écart et en maintenant un contact visuel entre les colonnes, en laissant quatre hommes par champ, pour maintenir la voie du ravitaillement, la compagnie ne rencontra qu'un faible tir de fusils. Les approvisionnements furent avancés et les blessés évacués. Les quelques Allemands, en petits groupes désorganisés, qui se risquèrent sur la route du ravitaillement dans la journée, furent soit tués, soit faits prisonniers.

Le temps que le contact soit solidement rétabli avec les deux bataillons isolés, la crête de Martinville avait perdu toute importance dans la bataille de Saint-Lô. La raison est dûe à sa situa tion même, qui, pendant sept longs jours lui avait fait supporter le fléau des attaques le long de la crête.

À la vue complète des Allemands qui se trouvaient au sud de la route de Bérigny, tout mouvement des Américains le long de la façade sud de la crête de Martinville avait provoqué des tirs mortels. Bien que les deux régiments sur la crête aient constitué une menace pour la ville, ils n'avaient pas réussi à la faire aboutir. Les tentatives pour persuader les soldats que les positions allemandes étaient en fait pires que les leurs n'avaient pas réussi. " Dites-leur que le Boche est enfoncé, " avait ordonné le service de renseignement de la division, à un officier de liaison. " Le Boche ne semble pas s'en rendre compte ", avait été la réponse. Il semblait donc bien, que, malgré la pression qui s'exerçait sur eux à partir du nord - la cote 122 - et de l'est - la crête de Martinville - les Allemands aient refusé de relâcher leur emprise sur la ville. Avec le temps, il était devenu de plus en plus évident que les armées sur la crête manquaient des effectifs nécessaires pour faire l'avancée finale jusqu'à l'objectif.

L'après-midi du 17 juillet, après que la 35e division eut fermement établi son contrôle de la cote 122, le général Gerhardt en vint à la conclusion que le 115e régiment d'infanterie et non pas les régiments de la crête de Martinville, détenait réellement la clé de l'accès à Saint-Lô. Pour insérer cette clé, le général Gerhardt devait, en quelque sorte, amener le régiment jusqu'aux portes de la ville. En conséquence, il donna l'ordre au colonel Ordway de faire progresser le 115e jusqu'aux faubourgs nord-est de Saint-Lô. La marche reposait presqu'entièrement sur le bataillon, au centre du régiment. " Employez tout le bataillon, si nécessaire, " ordonna le général Gerhardt, " mais il doit arriver là-bas. " Une heure plus tard, il réitérait le même ordre. À la tombée de la nuit, le 17 juillet tous les soldats du 115e au complet étaient à proximité de la limite est de la ville, mais pour y arriver, ils étaient allés jusqu'à l'épuisement complet.

Absolument convaincu que le seul accès possible à Saint-Lô était la porte nord-est, le général Gerhardt changea le plan de la manoeuvre qu'il avait maintenu toute la semaine. Pour les opérations du 18 juillet, il donna l'ordre aux deux régiments de gauche - ceux de la crête de Martinville - de se maintenir sur place pendant que le 115e assumerait le plus fort des combats pour entrer dans la ville.

Très tôt, le 18 juillet, le général Gerhardt téléphona pour demander au général Baade quels étaient ses plans pour la 35e division, ce jour-là. Le général Baade répondit qu'il allait " vraisemblablement se cramponner. " Comme après réflexion, il demanda, " Est-ce que vous y entrez ? "

" Je vais essayer, " répondit le général Gerhardt.

" Dans ce cas, " dit le général Baade, " moi aussi. "

" Vous pouvez fournir de l'aide sur votre gauche, " suggéra le général Gerhardt.

Le général Baade promit qu'il allait " examiner la question. " Trois minutes plus tard, le général Gerhardt disait au chef de corps, qu'il trouvait que la 35e division devrait recevoir l'ordre d'attaquer pour venir en aide à la 29e et ne pas être autorisée à attaquer " seulement parce que quelqu'un d'autre [la 29e] le fait. " Le général Corlett eut une réaction très vive : " Vous feriez mieux de vous occuper seulement de ce que j'ai dit dans vos propres instructions. " Et percevant apparemment l'épuisement de Gerhardt, il ajouta : " Prenez seulement Saint-Lô, et gardez le. "

Si ces conversations indiquent quelque tension entre les chefs américains, celles qui intervenaient chez les officiers allemands révèlent une inquiétude plus grande encore. La septième armée avait appelé le groupe d'armée B, au milieu de l'après-midi du 17 juillet, et Hausser avait demandé, non seulement l'autorisation de se retirer du secteur de Saint-Lô, mais aussi d'obtenir la réponse avant 18 h, ce même jour. Il y avait une certaine ambiguïté à parler de se replier sur une ligne au nord de Saint-Lô, car ce n'était pas faisable en termes de terrain. Un repli voulait dire un départ vers les hauteurs juste au sud de la ville, alors que les avant-postes de combat pouvaient se trouver retenus au nord de Saint-Lô.

La demande était plutôt surprenante, car, d'après l'ordre inflexible d'Hitler de tenir à tout prix, l'autorisation de se replier était une prérogative de l'O.K.W. Mais plus étrange encore fut la réponse du groupe d'armées à la septième armée. L'officier des opérations du groupe d'armée B déclara qu'après en avoir discuté, l'état-major avait décidé que transmettre la demande de Hausser à l'OB WEST pour qu'elle soit retransmise ensuite à l'O.K.W. n'était pas pratique. " Vous prenez les mesures qui vous semblent nécessaires, " conseilla l'officier des opérations ; " si vous devez vous replier, allez-y ; faites-nous seulement un rapport après, disant que l'ennemi a pénétré votre ligne principale de résistance à plusieurs endroits et que vous avez à peine réussi à rétablir une nouvelle ligne derrière ".

Plusieurs raisons rendaient un repli nécessaire. La prise de la cote 122 par les Américains et l'usure des troupes allemandes dans ce secteur, exposaient Saint-Lô par le nord. La pénurie de soldats, sur tout le front de Saint-Lô, ne permettait absolument pas au IIe corps de parachutistes de rétablir une ligne défensive au nord de la ville. La situation était difficile, et même désespérée, mais pour l'accentuer encore, il y avait les événements qui s'étaient produits de l'autre côté de la Vire : la progression de la 30e division à travers Pont-Hébert, jusqu'à Rampan, l'échec de la contre-attaque avortée de la Panzer Lehr, le 15 juillet, qui n'avait fait que retarder la progression de la 30e division, et l'idée erronée que les troupes américaines avaient traversé la rivière à Rampan pour infiltrer les arrières de la 352e division ; Tout s'additionnait pour menacer Saint-Lô d'encerclement par les Américains, à partir de l'ouest.

Comme si tout cela ne suffisait pas, Rommel, chef du groupe d'armées B, tandis qu'il se dirigeait en voiture pour visiter le front, dans l'après-midi du 17 juillet, s'était fait une fracture du crâne, au cours d'un accident provoqué par le bombardement en piqué d'un avion allié. Ce soir-là, quand les Allemands apprirent la nouvelle, le chef de l'OB WEST, Kluge, prit aussi, en plus, le commandement du groupe d'armées B.

A ce moment-là, le groupe d'armées B avait transmis la demande de repli de Hausser à l'OB WEST qui avait informé Jodl, à l'O.K.W. que les soldats décrochaient pour aller sur les collines au nord de Saint-Lô. Kluge essaya d'éviter un retrait complet, mais bien qu'il ait ordonné à Hausser de maintenir les Américains en dehors de la ville, il ne put trouver aucune réserve pour renforcer le secteur de Saint-Lô. La 5e division de parachutistes qui était arrivée de Bretagne quelques jours plus tôt, était déjà engagée pour renforcer la Panzer Lehr. La 275e division, qui suivait les parachutistes, n'arriverait pas avant le lendemain. Le Panzer Group West, qui aurait sans doute pu fournir des troupes, s'attendait à une attaque puissante des Britanniques dans la région de Caen, et Kluge n'osait pas troubler les dispositions d'Eberbach. A contre couur, Kluge autorisa Hausser à se replier. Sans se faire voir des Américains, les troupes principales se retirèrent cette nuit-là, en laissant des avants-postes de combat solides, au nord de Saint-Lô.

Du côté américain, le général Gerhardt achevait ses préparatifs pour l'assaut du matin du 18 juillet. Bien que l'action du 115e régiment d'infanterie eut permis la percée, Gerhardt remplaça le commandant du régiment. " Vous avez fait de votre mieux, " lui dit Gerhardt. Le colonel Ednie, qui venait de la 30e division, comme doublure du commandant-adjoint de division, prit sa place. La mission d'Ednie serait d'ouvrir l'entrée nord de la ville, pour forcer le passage à une formation de combat du général Cota. Ne sachant pas que les Allemands s'étaient retirés, le général Gerhardt prenait ses précautions. " Nous pouvons entrer dans Saint-Lô " dit-il au chef du corps, " mais nous n'avons pas envie qu'il y en ait qui se fassent isoler à l'intérieur ".

Après une préparation d'artillerie, .le 115e régiment d'infanterie partit à l'attaque. Comme la cote 122 n'était plus un problème gênant, le régiment fit une bonne progression. À midi, le colonel Ednie tambourinait à la porte. Il prévint le général Gerhardt : " Je crois bien qu'il est temps d'alerter cette fameuse formation de combat. " Le chef de la division n'avait plus aucun doute. " Cela prend forme, maintenant, " dit-il au général Cota, " Je crois bien que vous devriez vous mettre en route. "

Quarante minutes plus tard, le général Gerhardt transmit un autre ordre au général Cota. Il voulait que le cadavre du major Howie accompagne les premiers soldats américains qui entreraient dans la ville. Cet acte n'était pas seulement un geste pour marquer honneur et respect à celui qui était tombé, mais aussi un rappel manifeste, donné aux membres de la formation de combat, de tous leurs camarades qui avaient donné leur vie pour une tâche encore inachevée. Le choix du corps du major Howie convenait particulièrement, car Howie, qui avait pris la tête d'un bataillon, trois jours seulement avant sa mort, présentait les qualités de courage et de sacrifice qui avaient permis la percée jusqu'aux portes de Saint-Lô. La gloire appartenait aux morts, tout autant qu'aux vivants, et par l'intermédiaire du major Howie, ceux qui étaient tombés allaient participer à l'apogée du combat.

À 15 heures, le 18 juillet, le groupe de combat C du général Cota, prit le départ de son lieu de rassemblement près de la limite gauche de la division, traversa le secteur de la division et commença son grondement roulant, le long de la route nationale d'Isigny à Saint-Lô. Par une grande remontée à partir de son flanc gauche, et un large mouvement autour de l'extrémité droite, la formation de combat s'interposa à l'endroit où commençait la ligne de mêlée - le 1er bataillon du 115e régiment d'infanterie qui se trouvait le plus près du but. Réduisant au silence un canon antichar qui se trouvait aux abords de la ville, dépassant, en la traversant, l'artillerie de harcèlement et les tirs dispersés des fusiliers, et passant au travers d'un barrage, la formation de combat entrait par la partie nord-est de Saint-Lô, à 18 heures, au huitième jour de la bataille. S'emparant rapidement d'une place près du cimetière et l'organisant comme sa base d'opérations, le groupe de combat C progressa rapidement au travers des rues obstruées de décombres, jusqu'aux endroits d'une certaine importance. De petits groupes occupèrent les carrefours-clés, les places et les ponts. Une heure après l'entrée de la formation de combat, il devint évident que seule une résistance allemande dispersée restait à nettoyer. Les ponts sur la Vire étaient encore intacts.

À peu près au moment où la formation de combat de la 29e division commençait sa poussée vers Saint-Lô, la 35e division achevait sa mission. Le 320e régiment d'infanterie du colonel Byrne épongeait l'ennemi qui avait été débordé au centre du secteur de la division, le 137e régiment d'infanterie du colonel Emery atteignait la berge de la Vire, entre la boucle et la courbe, et le 134e régiment d'infanterie du colonel Miltonberger descendait le versant sud de la cote 122, jusqu'au faubourg nord de Saint-Lô. Comme la limite de la division ne permettait pas à la 35e d'entrer dans la ville, le général Baade demanda un changement de limites. Le service des opérations du XIXe corps vérifia d'abord auprès du général Gerhardt : " Il y a une autre division qui pleure pour avoir une partie de Saint-Lô " lui signala-t-il.

" OK, " répondit le général Gerhardt, " qu'ils y aillent. " Malgré la grandeur d'âme du général Gerhardt, le chef de corps était réticent à concéder un éventuel désordre et la perte de contrôle qui résulterait du mélange des soldats de deux divisions qui se seraient trouvées dans la ville, en même temps. Il décida de ne pas modifier les limites, pourtant quelques soldats de la 35e entrèrent inévitablement dans Saint-Lô, et firent quelques pas dans la ville.

Ce qui avait causé la chute de Saint-Lô, c'était le poids de la pression exercée implacablement par deux divisions pendant huit jours. Mais s'il y a cause à effet, deux événements en étaient directement responsables. La prise de la cote 122 en est le plus évident, car sa capture, la veille de la chute de Saint-Lô, avait privé les Allemands d'un point essentiel de leur ligne de défense. L'autre événement avait une signification plus subtile. Au moment où la 35e division s'agrippait à la cote 122, la 29e division pénétrait la ligne défensive allemande de la crête de Martinville, grâce à l'avancée accidentelle de 1000 mètres, du major Bingham. Bien qu'il ait été pendant quelque temps encerclé et isolé, le bataillon de Bingham, à moins d'un kilomètre de Saint-Lô, présentait une sérieuse menace pour ses défenseurs - " un bataillon ennemi derrière nos lignes ". Le secours apporté par le groupe du major Howie avait renforcé le péril. Même si les troupes de la 29e division sur la crête de Martinville n'avaient pas les effectifs suffisants pour s'emparer de la ville, leurs positions constituaient une force qui contenait l'ennemi, une base d'ancrage du coup de grâce [en français dans le texte] qui allait être donné par le groupe de combat C. Le projet initial de manoeuvre se trouvait, ainsi, inversé. Les troupes qui auraient dû manoeuvrer, les 116e et 175e régiments, étaient devenues l'assise, tandis que le 115e régiment d'infanterie, d'abord désigné comme armée de maintien, était devenu, avec le groupe de combat C, l'élément d'assaut.

Si la rapidité était une exigence fondamentale de la mission du général Gerhardt, la question de savoir si l'attaque menée par le corps avait bien été la manière la plus expéditive de s'emparer de Saint-Lô, a toujours laissé planer un doute. D'autres unités américaines avançant avec la même lenteur, dans le bocage, occulte le fait que le corps aurait pu s'emparer de son objectif plus rapidement s'il avait attaqué la cote 122 en même temps que le Ve corps menait l'assaut sur la cote 192. Si les Américains avaient eu le contrôle de la cote 122, la 29e division aurait été capable de faire sa poussée sur Saint-Lô, en passant à travers le versant nord de la crête de Martinville et se serait trouvée à l'abri du feu allemand provenant du sud de la route de Bérigny.

Le général Gerhardt avait préparé un message officiel pour annoncer la prise de Saint-Lô. À 18 h 30, une demi-heure après que le groupe de combat C ait pénétré dans les rues de la ville, il délivrait confidentiellement le message à son officier des services spéciaux, en temps voulu pour l'édition du soir du journal polycopié de la division. " J'ai l'honneur, " disait le message, " d'informer le chef du corps..., " mais avant que le général Gerhardt soit en mesure de publier l'exploit, le général Corlett lui téléphonait pour lui dire qu'il avait déjà entendu la nouvelle à une émission de radio. " N.B.C. vous a battu au poteau, " lui annonça le général Corlett.

Saint-Lô était pris sans doute, mais il était loin d'être à l'abri. Les obus allemands s'écrasaient à l'intérieur de la ville. Surpris et gêné par la vitesse avec laquelle les Américains s'étaient emparés de la ville, Hausser donna l'ordre à Meindl d'envoyer la 352e division la reprendre, mais il refusa la demande de Meindl d'avoir une partie de la 275e division, qui venait juste d'arriver de Bretagne et se trouvait dans la réserve de la septième armée, derrière la Panzer Lehr. La 352e division qui avait essayé de garder les ponts sur la Vire, en se battant dans Saint-Lô, avec trop peu d'hommes, fit une contre-attaque, mais elle était trop faible pour expulser les Américains. Hausser et Meindl, tous deux, accusèrent plus tard la Wehrmacht, d'avoir annoncé le retrait, dans l'après-midi du 18 juillet, ce qui aurait déclenché l'assaut final des Américains. La réalité, cependant, est qu'ils n'avaient pas pu garantir l'envoi de troupes supplémentaires et qu'ils craignaient que les armées américaines à l'ouest de la Vire, ne débordent Saint-Lô par l'ouest ; les deux chefs, en réalité avaient été obligés, à cause de la pression américaine de faire reculer le IIe corps de Parachutistes.

Pour maintenir le contact et déterminer l'étendue du retrait, le général Corlett, donna l'ordre au 113e groupe de cavalerie de traverser la ville. La cavalerie subit une telle quantité de tirs d'antichars, de mortiers et d'artillerie à 500 mètres au sud de Saint-Lô, qu'il devint aussitôt évident que les Allemands ne s'étaient repliés que jusqu'aux hauteurs, à moins de deux kilomètres au sud. La contre-attaque de la 352e division, lancée ce soir-là, confirma le fait que l'ennemi n'était pas très loin.

Le XIXe corps acheva son travail, le matin du 19 juillet. La 29e division finit de nettoyer la ville, et la 35e division annonça qu'il n'y avait plus de soldats ennemis en activité dans son secteur.

En prenant Saint-Lô, les divisions avaient eu à supporter les lourdes pertes qui étaient le type même de toutes celles des batailles de haies. La 35e division avait perdu plus de 2.000 hommes ; la 29e division avait eu plus de 3.000 victimes. Le 19 juillet, en accord avec les ordres du corps, la 35e division releva la 29e, et le général Baade déploya ses troupes sur toute la largeur du front, depuis l'est de la Vire jusqu'à la route de Couvains au Calvaire.

Quand les hommes de la 29e division sortirent de Saint-Lô, le 20 juillet, le corps du major Howie était devenu un symbole. Le groupe de combat C avait transporté dans la ville, sur une jeep, son cadavre enveloppé dans le drapeau, comme un étendard de bataille. Placé sur un tas de décombres devant l'église romane toute simple, de Sainte-Croix, et entouré de maisons vides, aux ouvertures béantes, le corps était devenu un reliquaire, un symbole universel de sacrifice. Quand les soldats de la division enlevèrent le corps et quittèrent la ville, le symbole continua de reposer sur Saint-Lô. La ville elle-même, défigurée et sans vie, était devenue un mémorial de tous ceux qui avaient souffert et étaient morts dans la bataille des haies.


EXPLOITATION DE LA BRÈCHE

L'opération COBRA proprement dite, n'avait duré que trois jours. Le soir du 27 juillet, la situation avait évolué de telle sorte, que le général Bradley pouvait en tirer la conclusion qu'il avait réussi une pénétration des défenses ennemies. En fonction de quoi, il envoyait verbalement ses instructions qui furent concrétisées par un ordre de combat distribué le lendemain. Pendant que la 2e division blindée (moins le groupe de combat A) achèverait sa mission COBRA en combattant pendant toute la journée du 30 juillet, les autres unités de la première armée exécuteraient de nouveaux ordres pour en exploiter les résultats.

Les armées, à l'est de la Vire qui recevaient leur affectation pour l'exploitation, avaient joué un rôle accessoire dans l'opération. Leur activité, essentiellement une action de diversion, orientait la décision du général Bradley sur la manière de conduire l'offensive résultant de la percée qu'avait réalisée COBRA.

La diversion de COBRA

La diversion, à l'est de la Vire s'appuyait sur la volonté de clouer les troupes ennemies et d'empêcher qu'on ne les expédie à l'ouest, de l'autre côté de la rivière, pour combattre la masse de l'armée impliquée dans l'opération COBRA. Savoir exactement comment cela devait se passer était resté plutôt vague, car le général Bradley attendait qu'évolue la bataille principale. Par conséquent, les chefs des deux corps, à l'est de la Vire, le général Corlett et le général Gerow, avaient dû programmer leurs opérations en se basant sur plusieurs hypothèses et en restant confrontés à de multiples points d'interrogation.

Le général Corlett devait être prêt, soit à déplacer son XIXe corps sur la rive ouest de la Vire pour prendre en charge une partie du secteur du Vile corps et avancer au sud, ou bien rester à l'est de la Vire pour se diriger vers le sud le long de ce côté de la rivière. En attendant que Bradley prenne la décision sur ce qu'il faudrait faire, le XIXe corps accompagnerait le VIIe corps par des tirs de soutien.

L'avenir du Ve corps du général Gerow était encore moins bien défini. Le Ve corps devait attaquer le 26 juillet, et pourtant, le général Bradley ne lui avait pas assigné ses objectifs. Le général Gerow ne pouvait pas non plus compter sur l'engagement ferme des armées sur ses flancs. Si le XIXe corps, qui se trouvait sur sa droite, se déplaçait dans un nouveau secteur à l'ouest de la Vire, Gerow étendrait sa responsabilité vers l'ouest, jusqu'à la rivière. Si les Britanniques, qui étaient sur sa gauche et dont les intentions n'étaient pas bien connues, ne progressaient pas, le Ve corps, en attaquant, pouvait exposer son propre flanc gauche.

Le front du Ve corps formait une ligne courbe d'environ 25 kilomètres de long, ayant le flanc droit sur la cote 192, le centre à Bérigny et la gauche près de Caumont. Les premiers plans de COBRA pour le Ve corps, prévoyaient une progression d'environ 16 kilomètres sur tout le front, mais finalement, le général Gerow donna l'ordre d'une attaque à l'objectif limité. Destinée à faire avancer le corps d'environ 15 kilomètres, l'attaque devait maintenir les Allemands à l'est de la Vire ; conserver une certaine souplesse nécessaire pour s'adapter à l'évolution de l'opération COBRA ; et éliminer un saillant allemand entre Saint-Lô et Caumont qui menaçait la possession de Saint-Lô par les Américains, les empêchait d'utiliser de bons itinéraires de communication latéraux (en particulier la route de Saint-Lô à Caumont), et allongeait la ligne de front du Ve corps.

Dans le bocage de l'est de la Vire, des collines irrégulières, couvertes de champs entourés de haies, formaient des lignes brisées de crêtes et élevaient des barrières empêchant la progression vers le sud. Dans cette région, au sud de la nationale de Bérigny à Saint-Lô et à l'ouest de la route de Bérigny à Caumont, les Allemands détenaient d'excellentes positions défensives sur un terrain en surplomb. De la première crête au sud de Saint-Lô - appelée communément cote 101 [Saint-Thomas, au sud de Saint-Lô], les Allemands avaient empêché le XIXe corps d'avancer au-delà de Saint-Lô ; en fait, un écran épais, maintenu contre les patrouilles de reconnaissance, n'avait pas permis de savoir exactement quels étaient les effectifs allemands et leurs dispositifs. Sur la deuxième crête, - une hauteur située entre le village de Sainte-Suzanne-sur-Vire et SaintJean-des-Baisants - l'ennemi disposait d'excellentes positions d'observation et de défenses supplémentaires.

Le but de l'attaque à objectif limité du général Gerow était la crête de Saint-Jean-des-Baisants. En la prenant, il menacerait les Allemands d'encerclement sur la cote 101 et supprimerait ainsi un obstacle qui gênait le le XIXe corps. Une fois en possession de la crête de Saint-Jean-des-Baisants, le général Gerow pourrait, soit continuer son attaque vers le sud, ou prendre avantage du terrain compartimenté et s'avancer en direction du sud-ouest le long de la crête de Sainte-Suzanne et la Vire. Cette dernière manoeuvre encerclerait les Allemands sur la cote 101.

Le général Gerow préférait lancer sa charge sur la crête de Saint-Jean-des Baisants. La manoeuvre qu'il souhaitait exécuter ressemblait, en miniature, à l'opération principale de COBRA à l'ouest de la Vire. De même que le Vile corps faisait un mouvement tournant vers la côte ouest du Cotentin, le Ve corps attaquerait en direction du sud-ouest vers la Vire. Tout comme le VIIIe corps, le XIXe agirait pour clouer sur place l'adversaire. De même que par un enveloppement réussi, le Vile corps pouvait bloquer la marche du Ville corps le long de la côte ouest du Cotentin, une charge du Ve corps vers la Vire pouvait faire obstacle à une progression immédiate du XIXe corps. Si COBRA, à l'ouest de la Vire, rendait l'exploitation le long de la rive ouest de la Vire possible, l'enveloppement par le Ve corps dégagerait le XIXe corps et permettrait qu'il se déplace pour assurer l'exploitation principale. La logique semblait inattaquable, et l'occasion séduisante. La frontière entre le XIXe et le Ve corps dessinée à titre d'essai, courait en direction du sud-ouest vers la Vire, ce qui impliquait qu'il faudrait dégager le XIXe corps près de Sainte-Suzanne.

Le général Gerow contrôlait deux divisions d'infanterie. À droite, il avait une division expérimentée, la 2e, sous les ordres du général Robertson. La 5e division sur sa gauche, commandée par le major général S. Le Roy Irwin, était arrivée récemment en Normandie et avait libéré la 1re division pour l'attaque principale de COBRA. Ensemble, les divisions du front du Ve corps surpassaient en nombre, les Allemands qui se trouvaient en face. Il y avait vingt bataillons d'artillerie, en soutien, et deux bataillons d'antichars étaient reliés au centre du corps qui donnait les ordres de tirs. La relative inactivité du corps avant le démarrage de COBRA lui avait permis d'empiler de bons stocks de munitions.

Plusieurs jours avant COBRA, suivant les accords passés entre le général Montgomery et le général Bradley, la frontière qui séparait le Ve corps et la seconde armée britannique avait été déplacée vers l'ouest, donnant aux Britanniques la responsabilité de Caumont et réduisant le secteur de la 5e division à un front de régiment. Le général Gerow avait prévu d'attaquer avec les quatre régiments déjà sur la ligne de front, les trois de la 2e division et l'un de la 5e. Comme la zone occupée par le corps était partagée en secteurs à peu près égaux, par des terres basses boisées et marécageuses qui séparaient les régiments placés à l'intérieur, Gerow programma deux combats simultanés de deux régiments qui convergeraient sur la crête de Saint-Jean-des-Baisants. Il pensait pouvoir gagner le sommet en deux jours, après quoi, il prévoyait d'envoyer la 5e division en direction de la Vire au sud-ouest, jusqu'à Sainte-Suzanne-surVire.

Peu après le lever du jour, le 26 juillet, 192 canons américains et 44 britanniques firent une préparation d'artillerie de vingt minutes, en ouverture de l'attaque à l'est de la Vire. Ce tir préparait un dur combat d'artillerie qui allait consommer la moitié des munitions allouées au Ve corps pour une période de cinq jours.

Se doutant que deux semaines de relative inactivité dans ce secteur avait permis à l'ennemi de préparer des positons défensives solides, sur une très grande profondeur, le général Robertson avait pensé attaquer suivant ùne nouvelle tactique. Des tanks équipés de cisailles à haies et protégés par un cordon de tirs d'artillerie, avanceraient bien serrés et sans le support de l'infanterie pendant plusieurs centaines de mètres, pour faire des brèches dans plusieurs haies en profondeur, sur tout le front. Agissant par surprise et sans subir de pertes du fait des tirs d'artillerie, les tankistes retourneraient après vingt minutes, sur la ligne de départ pour cueillir leur support d'infanterie. Les chars et l'infanterie avanceraient ensemble rapidement dans les trouées des haies, avant que les Allemands puissent rétablir leurs positions.

Avec l'aide de cette tactique, deux régiments sur trois de la 2e division firent des avancées appréciables. Sur la gauche de la division, le 9e régiment d'infanterie utilisa vingt-cinq mitrailleuses de calibre 50, placées précédemment sur une hauteur pour tirer de côté sur tout le front du régiment et il avança régulièrement pendant près de quatre kilomètres. Sous des tirs d'artillerie, de mortier et d'armes légères, le régiment atteignit presque la nationale de Saint-Lô à Caumont. Impliquant la moitié de la tenaille du flanc droit du corps, le 23e régiment d'infanterie progressa de près de deux kilomètres et atteignit la route secondaire latérale. Là, l'artillerie allemande et des armes très rapides se mirent à arroser la route et empêchèrent de traverser en force. Les tirs rendirent également très difficile l'évacuation des blessés et l'approvisionnement. Sur la droite de la division, où le 38e régiment d'infanterie formait l'autre moitié de la tenaille, on fit une avance comparable, excepté à l'extrême droite. Une résistance ferme et le danger croissant d'exposer le flanc droit obligea à faire halte.

Utilisant les tirs d'artillerie à son avantage, le seul régiment de la 5e division impliqué dans l'attaque, le 2e régiment d'infanterie, progressa d'abord rapidement pendant environ un kilomètre. Il faisait une approche de flanc vers la crête de Saint-Jean-des-Baisants quand un tir allemand intense et précis créa un désordre considérable. Néanmoins, en engageant judicieusement ses trois bataillons, le commandant du régiment, le colonel A. Worrell Roffe, fut en mesure de poursuivre l'assaut pendant encore 1.500 mètres. Coupant la nationale de Saint-Lô à Caumont, le régiment progressa au total de trois kilomètres.

Le soir de la première journée, les unités du Ve corps avaient fait environ 300 prisonniers et avaient parcouru la moitié de la distance vers Saint-Jean-des-Baisants. La charge lui avait causé près de 1 000 pertes, surtout du fait des tirs d'artillerie. Les troupes d'assaut avaient brisé la carapace des défenses allemandes, mais elles n'avaient pas été capables d'exploiter les pénétrations locales, à cause du terrain, de l'étendue du front et, dans le cas du 2e régiment d'infanterie, d'une certaine désorganisation à l'intérieur des bataillons. Le Ve corps paraissait clairement réussir sa mission principale qui consistait à maintenir quelques-unes des forces allemandes et à les empêcher d'amener leurs effectifs contre les événements principaux de l'opération COBRA, à l'ouest de la Vire.

Reprenant l'attaque le 27 juillet, le Ve corps progressa mais n'atteignit pas son objectif. Les deux régiments de la 2e division, impliqués sur la deuxième branche de la tenaille, du mouvement effectué par le corps, firent une avancée d'environ 1.000 mètres en rencontrant une résistance qui était moins déterminée que celle du 26 juillet, et ce de manière appréciable. Les régiments de gauche furent gênés continuellement par la désorganisation et la peur qui régnaient dans les unités de la 5e division, qui connaissaient la bataille depuis peu. Aucun régiment n'avança. A la fin de la journée, le Ve corps était encore à plus de deux kilomètres de la crête de Saint-Jean-des-Baisants. La véritable réussite résidait dans le rapprochement des deux régiments de l'intérieur, sur le front du corps. Après avoir contourné les terres basses boisées et marécageuses qui les séparaient, les régiments s'étaient retournés vers l'intérieur et avaient éliminé ce qui avait été le saillant de Bérigny.

Ne pouvant atteindre la crête qu'il convoitait, le général Gerow changea ses plans, au milieu de la journée du 27 juillet. Après avoir partagé le secteur du corps entre la 2e et la 5e division, en deux parties égales, il les avertit qu'il se pourrait que l'une des deux, ou toutes les deux soient désignées pour attaquer au sud-ouest de la Vire. Le rééquilibrage du front tenait compte de la résistance ferme dans un terrain favorable à la défense. C'était également une mesure de précaution touchant à la préparation du corps qui allait absorber une autre division, la 35e.

La 35e division passerait bientôt au Ve corps, cela devenait une éventualité plus précise le matin du 27 juillet, quand les événements indiquaient que le XIXe corps pourrait bien se déplacer à l'ouest de la Vire. Comme la 35e division était la seule du XIXe corps actuellement au front, elle serait sans doute laissée derrière quand le corps bougerait.

Plus tôt, le XIXe corps avait effectué sa mission de COBRA, en effectuant des tirs nourris d'artillerie sur les crêtes, au sud de Saint-Lô. Le 27 juillet, le commandant de la 35e division, le général Baade, en était arrivé à la conclusion que les Allemands se repliaient surtout à cause des gains américains, à l'ouest de la Vire. Décidant qu'il était temps de progresser, Baade avait demandé au chef de corps, l'autorisation d'attaquer dans l'après-midi pour s'emparer de la cote 101, qui se trouve immédiatement au sud de Saint-Lô. Etant donné le déroulement des événements, l'assaut arrivait à son heure. Les Allemands avaient commencé à se replier dans la matinée, et la 35e division s'empara de la cote 101 en ne rencontrant qu'une faible résistance. Plusieurs sites de ponts sur la Vire, au sud-ouest de Saint-Lô, tombèrent du même coup.

Le soir du 27 juillet, un appel téléphonique, au général Corlett, en provenance du quartier général de la première armée, faisait état du changement de situation opéré par COBRA. Le général Bradley avait décidé de déplacer le XIXe corps à l'ouest de la Vire. Comme Gerow l'avait prévu, Bradley rattachait la 35e division au Ve corps et étendait la responsabilité de Gerow vers l'ouest de la Vire.

COBRA se terminait, et une nouvelle opération allait commencer.

Le plan post-COBRA

Dans le plan COBRA, le général Bradley n'avait pas essayé de prédire la façon dont l'opération pourrait se terminer. Au lieu de cela, il s'était préparé à choisir sa conduite en fonction des résultats réellement obtenus. Il pouvait arrêter l'offensive et consolider son armée ou bien poursuivre son attaque pour exploiter une percée. Le soir du 27 juillet, il devenait évident que le succès de COBRA justifiait la poursuite de l'attaque, et Bradley décida d'exploiter ses gains, d'élargir et d'étendre son effort.

En particulier, le retrait de l'ennemi le long de la côte ouest du Cotentin, le 27 juillet - on allait penser plus tard que cela avait été le facteur décisif de COBRA - semblait offrir une chance d'accélérer la retraite et de la transformer en déroute. Le fait que l'opposition, à l'est de Coutances soit si forte paraissait particulièrement significatif - les armées, à - cet endroit, essayaient manifestement " de maintenir ouverte la porte de la retraite du LXXXIVe corps ". Même la Luftwaffe fit une apparition - trente avions au total, exécutèrent huit raids de jour et seize de nuit. Les Allemands avaient pris conscience du danger d'être isolés sur la côte ouest du Cotentin et avaient essayé d'échapper à l'encerclement en se repliant. " Assurer que ... [nous allons] connaître le succès cette nuit, est peu dire ", écrivait le général Bradley au général Eisenhower. " Sur notre front les choses se passent vraiment bien. "

Selon l'appréciation des officiers des renseignements américains - tellement satisfaits des résultats de COBRA que leur optimisme les portait à exagérer - les Allemands dans le Cotentin étaient en fuite dès le 27 juillet. Le seul espoir qu'ils pouvaient avoir d'endiguer leur retraite était de trouver refuge derrière la Sée, à Avranches. Les " pièces et les morceaux ", " les restes brisés ", et les " fragments morcelés " des unités du Cotentin avaient à peine la force d'offrir quelque résistance, à moins que des troupes fraîches viennent leur apporter du renfort, et il ne semblait pas y en. avoir. Ainsi, les Allemands allaient probablement essayer d'ériger rapidement un front défensif entre Avranches et la ville de Vire, une ligne longeant la rive sud de la Sée et la colline au sud de Villedieu-les-Poêles et Saint-Sever, dans le Calvados. Il restait également la possibilité aux Allemands de contre-attaquer à partir de l'est, avec deux divisions panzer, mais cela paraissait peu probable pour le moment. La conclusion importante qu'on pouvait en tirer, c'était que « la destruction du LXXXIVe corps est, pense-t-on, à portée de la main, et la destruction du IIe corps de parachutistes est une probabilité imminente.

Pour ne pas donner à l'ennemi " le temps de se regrouper et de réorganiser ses troupes ", le général Bradley donna à ses subordonnés l'ordre de " maintenir la pression, sans relâche " sur les Allemands. La confiance qu'il avait dans le jugement de ses chefs de corps, autant que la situation insaisissable, le conduisirent à formuler ses instructions en termes plutôt généraux.

Ce n'était pas nécessaire d'apporter des précisions. Deux tâches immédiates se présentaient. Il fallait détruire les armées allemandes qui se trouvaient encore au nord de Coutances, et poursuivre celles qui se repliaient au sud. Les difficultés étaient évidentes.

Sur la côte ouest du Cotentin, où la désorganisation allemande semblait la plus importante, le VIIe et le VIIIe corps devaient encore terminer leur mission de COBRA qui consistait à éliminer les armées allemandes piégées près de Coutances. En même temps, le VIIe corps, qui avait pris son virage à l'ouest, en direction de la côte, devait maintenant se tourner vers le sud. De plus, le Vile corps menaçait de jeter la confusion en se mélangeant aux unités du VIIIe corps. Outre l'inquiétude que pouvait lui causer le Vile corps en se rapprochant de sa zone de marche, le Ville corps affrontait les mines et les véhicules détruits, obstacles qui le gênaient sérieusement et l'empêchaient d'avancer rapidement dans le réseau routier restreint de la côte. Il faudrait du temps pour regrouper les deux corps et nettoyer les routes, préalable indispensable, semblait-il, pour faire une exploitation efficace au sud, en direction d'Avranches.

À l'est de la Vire, où il ne restait plus que le Ve corps, l'offensive du général Gerow était inévitablement liée aux combats britanniques sur son aile gauche.

Le XIXe corps, seul, reçut des instructions précises du général Bradley. Le général Corlett déplacerait le XIXe corps à l'ouest de la Vire et prendrait la responsabilité de ce qui avait été une partie du secteur du Vile corps. Corlett " attaquerait avec agressivité " en chargeant au sud le long de la rive ouest de la Vire jusqu'à " la marque " que Bradley avait dessinée sur une carte. La " marque " indiquée comme objectif se trouvait à environ trente-deux kilomètres du Mesnil-Herman et entourait la Forêt de Saint-Sever et la ville de Vire.

Si le XIXe corps arrivait à s'emparer de son objectif, il aurait traversé en partie un territoire, le plus haut de Normandie - un ensemble de collines qui s'étend depuis Avranches, en passant par Vire et jusqu'à Falaise - et serait alors en mesure d'empêcher les Allemands d'utiliser le terrain comme base d'une nouvelle ligne défensive. Vire, centre routier important, à moins de trente-deux kilomètres du bas du Cotentin, deviendrait un excellent pivot pour que la première armée fasse le mouvement tournant projeté un mois plus tôt - le virage à l'est qui permettrait aux autres armées américaines de pénétrer en Bretagne.

Pour prendre pied en Bretagne, l'état-major de la troisième armée du général Patton se préparait à devenir opérationnel. Quand la troisième armée serait activement impliquée dans les opérations sur le Continent, la nouvelle structure prévue pour le commandement américain entrerait dans les faits : le général Bradley prendrait le commandement du 12e groupe d'armées et le lieutenant-général Courtney H. Hodges, commandant-adjoint de la première armée le remplacerait à la tête de celle-ci. Le moment semblait arrivé de faire coïncider le changement avec la fin de l'exploitation qui découlait de COBRA.

Pour que les troupes américaines puissent se glisser proprement dans la nouvelle organisation de commandement, au terme de l'exploitation, le général Bradley prit des dispositions particulières. Il demanda au général Hodges " de suivre pas à pas " les trois corps de gauche. Il donna, officieusement, au général Patton un deuxième commandant adjoint et lui assigna la mission de surveiller les activités du VIIIe corps, à droite. Le VIIIe corps, prévu pour passer sous le contrôle de la troisième armée agirait comme passerelle pour servir de lien entre l'exploitation d'après COBRA et l'entrée des troupes américaines en Bretagne. On pensait pouvoir engager la troisième armée et la faire passer en Bretagne vers le 1er août.

Entre temps, bien que COBRA et ses conséquences aient été sous la responsabilité américaine, le général Montgomery, en tant que chef des armées terrestres alliées, trouvait qu'il était vital de favoriser une avancée du front américain. Pour créer une diversion pour COBRA, il avait donné l'ordre au général Crerar de lancer une attaque pour maintenir le combat sur le front canadien, à partir de Caen et en direction de Falaise. Pour ce faire, le 2e corps canadien avait attaqué le matin du 25 juillet, en même temps que s'élançait COBRA. L'attaque canadienne avait rencontré une telle résistance, et enclenché des contre-attaques allemandes de deux divisions panzer, tellement violentes, à l'est de l'Orne, que Montgomery avait arrêté l'attaque à la fin du premier jour. Les effectifs de l'ennemi dans le secteur de Caen étaient manifestement trop importants pour un combat n'engageant que ce qui était disponible, disposition que Montgomery ne voulait ou ne pouvait prendre. D'autre part, la présence de formidables armées ennemies près de Caen, exigeait que les Britanniques agissent avec précaution. Montgomery considérait toujours, que conserver Caen, pivot de tout le front allié en Normandie, était sa tâche principale et pour pouvoir le faire, il lançait des feintes et une activité aérienne ou d'artillerie pour déséquilibrer l'ennemi et l'empêcher de menacer Caen sérieusement. C'était tout cela qui avait amené Kluge sur le front de Caen, le 27 juillet, au plus fort de la bataille de COBRA.

En dépit de son souci pour Caen, Montgomery entreprit d'aider COBRA. En cherchant ailleurs, le long de la partie est du front allié, il s'aperçut qu'il semblait ne pas y avoir beaucoup de blindés allemands dans la région de Caumont, ou même pas du tout. Il décida qu'une attaque vers le sud, à partir de Caumont, le long de la frontière américano-britannique, par la deuxième armée britannique prendrait avantage de la faiblesse allemande et pourrait rapporter. Non seulement cela aiderait COBRA en empêchant les Allemands d'expédier des troupes à l'ouest de l'autre côté de la Vire contre les Américains, mais cela améliorerait aussi la situation de Caen, en retirant les réserves des blindés allemands de ce secteur. Pour mettre son premier projet à exécution, son but avoué, Montgomery donna l'ordre au général Dempsey d'attaquer au sud de Caumont, le 30 juillet au cours d'une opération dont le nom de code était BLUECOAT.

Tout comme GOODWOOD, qui plus tôt, au mois de juillet, avait suscité des doutes sur les motifs premiers et seconds de Montgomery, la bataille pour tenter une percée au sud de Caen, BLUECOAT, avait ses aspects ambigus. Si l'intention initiale était de maintenir les armées allemandes sur place, les empêchant ainsi de traverser la Vire et de se mêler de COBRA, BLUECOAT arrivait trop tard pour avoir une influence sur la division panzer que Kluge déplaçait de la région de Caumont vers le front américain. Pourtant, grâce au succès américain, il paraissait vraisemblable que les Allemands feraient une retraite générale du Cotentin et essaieraient de faire pivoter tout leur flanc gauche en le faisant retourner à Avranches. Pour ce faire, ils auraient besoin d'un endroit solide pour servir de pivot. Un ensemble de collines qui culminent au Mont Pinçon, domine - à huit ou douze kilomètres au sud de la ligne Caumont-VillersBocage - la zone britannique de progression, et semblait bien adaptée à ce projet. Si les Britanniques empêchaient les Allemands de garder ce pivot probable et se glissaient derrière les armées allemandes qui essayaient de faire un mouvement tournant vers l'ouest pour s'opposer aux Américains, la retraite allemande pourrait se désintégrer. Ceci devint l'objectif final de BLUECOAT. Ayant pour but de se déplacer de Caumont, à travers la Forêt-l'Evêque jusqu'à la ville de Vire, les Britanniques attaqueraient le 30 juillet.

De l'opération COBRA émergeait ainsi un plan d'exploitation, projet qui cherchait à intensifier la désorganisation allemande en exerçant une pression impitoyable sur le front américain et par une brusque poussée au sud, sur le front britannique, à partir de Caumont. Si ce plan réussissait, le mouvement tournant allié en direction du sud-est deviendrait réalité, et les troupes américaines pourraient entrer en Bretagne. Pour qu'il réussisse, le Ve et le XIXe corps de la première armée et le corps du flanc droit de la deuxième armée britannique devaient d'abord s'emparer d'un solide pivot à Vire.

À l'est de la Vire

Tandis que les Britanniques se préparaient à se joindre à l'offensive à l'est de la Vire, le Ve corps recommençait l'attaque. Prenant la responsabilité de tout le territoire gardé par les Américains, à l'est de la Vire, le 28 juillet, par la prise de contrôle de la 35e division, le général Gerow pouvait lâcher bride à une poussée au sud, avec pour direction générale la ville de Vire. Bien que le général Bradley ne lui ait pas assigné d'objectifs particuliers, il lui avait tout de même demandé de tenir le quartier général de l'armée informé de ses intentions et de sa progression. À ses trois divisions - la 2e, la 5e et la 35e - le général Gerow exposa sa mission, telle qu'il la comprenait " Nous devons absolument avancer pour maintenir le contact, et ne pas donner aux Boches une seule chance de se terrer. Faites en sorte que tout le monde le comprenne bien. "

Comme le IIe corps de parachutistes qui se trouvait en face se repliait avec l'espoir d'établir des défenses qui pourraient être reliées à la ligne de front que les unités allemandes de l'ouest de la Vire essayaient de reformer, le 28 juillet, le Ve corps s'empara de son objectif de COBRA, la crête de Saint-Jean-des-Baisants, de Sainte-Suzanne-sur-Vire à Vidouville. Les trois divisions avançaient en ne rencontrant qu'une légère résistance et elles ne firent pas beaucoup de prisonniers. Bien que l'ennemi ait semblé beaucoup plus faible du fait de l'attaque de trois jours, permettant, ainsi, d'espérer une progression pratiquement illimitée du Ve corps, le général Gerow était réticent à commencer un assaut sans limite à cause du terrain et de son flanc gauche. 

La ligne allant de la Souleuvre à la Vire, à dix-huit kilomètres au-delà de la crête de Saint-Jean-des-Baisants, semblait être un objectif évident pour le Ve corps. Bien que l'eau, à elle seule, ait été un obstacle aux mouvements des véhicules, la rivière s'écoule à travers un ensemble de collines de plus de quatre kilomètres de profondeur qui forment une barrière encore plus sérieuse à toute progression militaire. Des collines aux versants abrupts de 180 à 300 mètres de haut, donnaient aux Allemands une observation dominante, une couverture, un bon camouflage, des champs de tir et un bon réseau de communications. Avec l'espoir de s'emparer de cette région avant que les Allemands puissent l'organiser pour se défendre, le général Gerow avait néanmoins l'impression que le terrain s'interposait pour l'empêcher d'avancer rapidement. Au cceur de la région de bocage, le secteur du corps qui se trouvait à l'est de la Vire est une région de collines basses irrégulières, de routes étroites et sinueuses et de petits champs bordés de haies. Un combat, à cet endroit, ressemblerait sans aucun doute à la bataille des haies, menée plus tôt dans le Cotentin.

Le second facteur qui militait contre une avance incontrôlée du Ve corps, était l'inquiétude que le général Gerow éprouvait à propos de son flanc gauche. Jusqu'à ce que les Britanniques attaquent au sud de Caumont, le 30 juillet (jusqu'à cette date, ils en avaient été empêchés par les difficultés dûes au regroupement et au redéploiement) et qu'ils couvrent son flanc, une longueur d'avance du Ve corps exposerait à l'ennemi, un côté de plus en plus vulnérable.

La solution du général Gerow à ces deux problèmes était d'établir des limites à sa progression, de façon à en garder une bonne maîtrise.

Les Allemands facilitèrent l'avance du corps, en autorisant le IIe corps de parachutistes à se replier de nouveau. Se déplaçant jusqu'à sa première limite de progression sans grande difficulté, le Ve corps, à midi le 29 juillet, tenait une ligne allant de Condé-sur-Vire aux positions britanniques près de Caumont. Quand le chef du corps donna l'ordre de poursuivre l'attaque, les soldats s'élancèrent en avant pendant quelques mille mètres encore, ne rencontrant qu'une résistance sporadique.

Malgré l'absence d'une ligne défensive allemande organisée, les divisions du Ve corps n'avaient pas la tâche facile. Le terrain interdisait toute avance rapide, une embuscade se dissimulait derrière chaque tournant de la route. Les collines du bocage étaient peuplées de détachements de l'arrière-garde allemande, qui utilisaient l'artillerie, les mortiers et les armes légères avec efficacité. Un commandant américain, apparemment proche de l'épuisement, faisait son rapport : " Cela ne se passe pas très bien ", disait-il et qu'il " aimerait être relevé du commandement ". Le commandant de la division ne fut pas compréhensif. " Je vous relèverai quand je serai prêt à le faire ", la réponse claqua sèchement, mais plus tard il essaya de le calmer, en lui disant : " Ne vous découragez pas, c'est ça le combat des haies. C'est dur ".

Informé du retrait des Allemands sur tout le front de la première armée, et apprenant que les Britanniques projetaient d'attaquer le lendemain, le général Gerow, le 29 juillet, donna l'ordre à ses commandants de divisions de faire une progression sans limite. Au lieu d'éviter simplement le désengagement, le corps devait " charger avec force et pousser dur " et " poursuivre sans relâche ". Traduit par le général Robertson cela donnait que les soldats devaient " tout contourner. Ne vous occupez-pas de ces petites poches de résistance... .On va descendre prendre un bain dans la Vire . " 

Les instructions arrivèrent trop tard. Bien que l'état-major de l'armée ait proclamé qu'il n'y avait plus, en face, que quelques " vieux Autrichiens fatigués ", les soldats étaient arrivés au contact d'une ligne défensive qui couvrait un important réseau de routes dont le centre est à Torigni-sur-Vire. Tandis que la 35e division essayait, le 30 juillet de prendre Torigni et que la 2e et la 5e division tentaient d'occuper la hauteur à l'est de la ville, les Allemands leur infligeaient des pertes proches de 1.000 hommes, arrêtaient la progression et réduisaient en miettes tous les espoirs américains de poursuite, dans l'immédiat.

Pour briser la nouvelle ligne, les unités subordonnées du Ve corps firent des plans d'attaque détaillés, pour s'apercevoir, finalement, tandis qu'elles s'apprêtaient à lancer une offensive coordonnée, le matin du 31 juillet, que les Allemands s'étaient désengagés. Kluge avait autorisé le IIe corps de parachutistes à se retirer. En reculant, non seulement il abandonnait le réseau de routes de Torigni, mais aussi le terrain qu'il pouvait défendre si facilement. Il n'y avait plus que des mines, et des tirs de harcèlement d'artillerie pour s'opposer désormais à une progression ininterrompue. Les soldats américains avançaient gaiement à travers une région qui n'était plus défendue, tandis que leurs commandants s'impatientaient à l'idée que l'ennemi s'échappait sans être vu.

Bien que tous les responsables aient cherché à obtenir rapidement la poursuite, la vitesse de progression du Ve corps se ralentit l'après-midi du 31 juillet. En approchant du bassin de la Souleuvre et de la Vire, le corps rencontra de plus en plus souvent, des poches de résistance et des forces de retardement. La poursuite menaçait encore de s'arrêter.

Les frontières qui délimitaient la zone de progression se rejoignaient près de la ville de Vire, à 22 kilomètres au sud-ouest de Torigni. Si les Britanniques, à gauche et le XIXe corps, à droite avançaient comme c'était prévu, le Ve corps serait dégagé près de Vire. La ligne des eaux d'est en ouest de la Vire et de la Souleuvre bloquait l'approche de la limite de progression du Ve corps, ainsi qu'un ensemble de collines, à douze kilomètres au nord de Vire.

Ces facteurs, d'une manière générale, et plus particulièrement une conversation qu'il avait eue avec le général Bradle préoccupaient le général Gerow et l'engageaient à traverser les collines et les barrières d'eau rapidement. Tôt, le 31 juillet, Gerow avait donné l'ordre à ses commandants de divisions de se déplacer seulement jusqu'aux rivières. Plus tard, dans l'après-midi, il ordonna à chaque commandant de division de faire traverser la rivière, avant la nuit, à un bataillon, au moins, de chacun des régiments de la ligne de front.

À la droite du corps, et dans son centre, la 35e division et la 2e rencontrèrent une résistance si forte en approchant de la rivière - en particulier près de Tessy-sur-Vire - qu'il devint évident qu'elles ne pourraient se conformer aux ordres. D'un autre côté, la 5e division, à gauche, ne rencontra qu'une résistance relativement faible, ce qui indiquait qu'avec une bonne poussée on pourrait sans doute gagner une tête de pont pour traverser le ruisseau.

Dans l'impossibilité de joindre personnellement le général Irwin, commandant de la 5e division, Gerow téléphona à l'un de ses commandants de régiment et lui dit de faire monter ses fantassins sur les chars. Ils contourneraient la résistance, utiliseraient seulement les bonnes routes, iraient jusqu'à la rivière et la feraient traverser par les effectifs d'un bataillon, au moins. " Bref " ordonna Gerow, " faites vite ". Une demi-heure plus tard, il expliquait à Irwin : " Avant, je vous disais de vous arrêter à la rivière - maintenant je vous demande de changer. " La 5e division allait couvrir plus de dix kilomètres jusqu'à la rivière, en un temps record.

Moins d'une heure après que Gerow ait donné ces instructions, il apprit qu'une division de cavalerie britannique avait attaqué au sud ouest, était entrée dans le secteur du Ve corps, et s'était emparée de deux ponts sur la rivière. " Allons, bon ! Je n'ai pas envie que les Britanniques viennent sur notre front [et] prennent [nos] objectifs " se plaignit le général Gerow.

Mais puisque les Britanniques avaient déjà pris une tête de pont, il ne voyait pas pourquoi les Américains ne l'auraient pas utilisée, en particulier la 5e division, pour faire une charge rapide sur les douze kilomètres qui restaient à parcourir pour atteindre la ville de Vire.

Malheureusement, le mélange des chars britanniques et des fantassins américains créa du désordre. La chance d'exploitation immédiate, soit par les Britanniques, soit par les Américains fut perdue. Un régiment de la 5e division atteignit la rive nord de la Souleuvre aux petites heures du 1er août. Il resta là toute la journée, la plupart du temps, sans contact avec les autres unités de la division.

À ce moment-là, après avoir, pourtant, progressé de plus de douze kilomètres en six jours, le corps avait atteint le terme de ce qu'on se promettait plus tôt de développer en une poursuite illimitée. Le 1er août, tandis que la 35e et la 2e division se battaient près de Tessy-sur-Vire pour atteindre la ligne de la Souleuvre à la Vire, la frontière séparant les Britanniques des Américains fut déplacée vers l'ouest, ce qui rétrécissait le secteur du Ve corps et faisait sortir toute la 5e division.

La raison pour laquelle un changement était décidé, provenait en partie du succès obtenu par l'attaque britannique au sud de Caumont. En accord avec la tentative de Montgomery d'empêcher les Allemands d'avoir un endroit pour pivoter près du Mont Pinçon, le général Dempsey avait lancé le 8e corps dans  l'opération BLUECOAT, le 30 juillet. A la suite d'un bombardement par 700 bombardiers lourds et 500 bombardiers légers qui avaient largué 2.200 tonnes d'explosifs, les Britanniques avaient attaqué un secteur qui n'était que faiblement défendu. Il n'y avait plus sur leur chemin que la 326e division d'infanterie bombardée et inexpérimentée. Le premier jour de l'attaque, la 11e division blindée britannique progressa de dix à quinze kilomètres pour arriver à la hauteur du Ve corps, à l'est de Torigni-sur-Vire. Les opérations du 31 juillet furent entravées par le terrain : par les crêtes assez hautes qui traversaient l'axe de progression ; par les ruisseaux qui coulaient dans toutes les directions et qui formaient, la plupart du temps, des obstacles pour le passage des chars, à cause de leur largeur, de leur profondeur, ou de leurs abords marécageux ; et à cause des routes sinueuses qui étaient souvent bordées de haies assez hautes. Mais ces difficultés furent rapidement surmontées quand les Britanniques s'aperçurent que la Forêt-l'Evêque, qui se trouvait de chaque côté de la limite entre la septième armée et le groupe Panzer ouest, était, par mégarde, restée inoccupée par les Allemands. Une étendue vitale de quelques 1.500 mètres de campagne, étaient à leur disposition. S'élançant à travers la forêt, la 11e division blindée se dirigea rapidement vers la rive sud de la Souleuvre et le 1er août, occupait la hauteur située immédiatement à l'est de la Vire.

Les fers de lances s'entrechoquent

Pendant que le Ve corps et les Britanniques lançaient leur charge vers la Vire, à partir du nord et du nord-est, le XIXe corps chargeait lui aussi vers la Vire, à partir du nordouest. COBRA avait mis en évidence le fait que les Allemands n'avaient plus rien pour arrêter la progression du XIXe corps le long de la rive ouest de la Vire, et le général Bradley avait agi en conséquence. Malheureusement Kluge n'était pas resté sans rien faire.

Dès le soir du 27 juillet, Kluge avait essayé de boucher la trouée qui s'élargissait entre le LXXXIVe corps et le IIe corps de parachutistes. Il avait d'abord pris le contrôle de la 2e division Panzer, puis celui du groupe Panzer West. La division panzer avait été relevée de sa garde de la ligne de front, le 22 juillet par la 326e division d'infanterie (qui était arrivée du Pas-de-Calais), et l'unité blindée s'était déplacée jusqu'à une réserve au sud-ouest de Caen. Après un répit de quelques jours, hors des combats, la 2e division Panzer allait se déplacer vers l'ouest, et traverser la Vire pour lancer une contre-attaque destinée à refermer la brèche.

Kluge avait d'abord pensé utiliser le IIe corps de parachutistes pour prendre en main la contre-attaque, mais il décida très vite d'insérer un nouveau corps entre le Ile corps de parachutistes et le LXXXIVe. Le quartier général du LVIIIe corps Panzer se déplaçait depuis la région du groupe Panzer ouest, et Kluge se demandait s'il n'allait pas employer le corps de blindés dans le centre de la septième armée pour prendre en main la contre poussée de la 2e division Panzer déjà prévue et qui devait prendre place entre Marigny et Saint-Gilles (46). Kluge s'aperçut très vite, cependant, que la situation changeait beaucoup trop rapidement pour qu'il puisse attendre l'engagement du LVIIIe corps Panzer. Prenant le XLVIIe corps Panzer, qui non seulement était plus expérimenté, mais se trouvait aussi beaucoup plus près du Cotentin, et le remplaçant sur le front du groupe Panzer ouest, par le LVIIIe qui arrivait, Kluge donna l'ordre au XLVIIe de prendre le contrôle de la 2e division Panzer. A ce moment là, la division faisait mouvement vers une aire de rassemblement, juste derrière la 352e division, sur la rive ouest de la Vire.

En plus d'être manifestement inquiet de la trouée qui s'était produite au milieu de la septième armée, Kluge pensait toujours que le front du groupe Panzer ouest était le secteur le plus dangereux. Le 2e corps canadien avait lancé une attaque au sud de Caen, en direction de Falaise, le 25 juillet, et bien que l'engagement de la 9e division Panzer SS ait très vite maîtrisé les Canadiens, le combat ne cessait pas, ce qui avait encore amené Kluge dans ce secteur, deux jours plus tard, le 27 juillet. Pendant qu'il était là-bas, Hausser et Choltitz luttaient pour maintenir un semblant d'ordre dans la région du LXXXIVe corps. Quand Kluge revint à son quartier général, ce soir-là, il apprit que le secteur du LXXXIVe corps était en ébullition. Quand il s'aperçut, le lendemain matin, 28 juillet, qu'on devait considérer que trois divisions du Cotentin étaient perdues et que la brèche était plus grande que ce qu'on lui avait d'abord dit, Kluge prit conscience de ce que la 2e division Panzer ne suffirait pas. Il lui fallait davantage de soldats à l'ouest de la Vire.

La 363e division était en route vers le front de Normandie mais n'était pas immédiatement disponible pour être engagée.

La 9e division Panzer, cédée par la dix-neuvième armée dans le midi de la France, n'approcherait pas avant dix jours, à peu près. N'ayant d'autre alternative que de faire appel au groupe Panzer ouest et d'affaiblir ainsi, le front au sud de Caen, Kluge prit la 116e division Panzer, unité qui était arrivée récemment du Pas-de-Calais, et avait été versée dans la réserve du groupe Panzer ouest. Ensemble, la 2e division Panzer et la 116e, sous le  commandement du XLVIIe corps Panzer, attaqueraient au nord, partir de Percy pour refermer la trouée entre Notre-Dame-de-Cenilly et la Vire.

Se mettant en marche, pendant la nuit du 27 juillet, la 2e division Panzer traversa la Vire à Tessy-sur-Vire et se rassembla près de Moyon, à cinq kilomètres au nord-ouest de Tessy. Le 28 juillet, le XLVIIe corps Panzer prit le commandement, non seulement de la 2e division Panzer mais aussi des restes de la 352e division près de Beaucoudray et des quelques débris des unités de la Panzer Lehr près de Percy. On espérait que la 116e division Panzer, arrivant de jour, à marche forcée, allait pouvoir se mettre en position pour attaquer au nord-ouest, en venant de Percy, le lendemain après-midi, 29 juillet. Le 29 juillet, le XLVIIe corps Panzer prit également le commandement de la 2e division Panzer SS déployée entre la Sienne et un endroit situé à l'est de Percy.

Pendant ce temps, Kluge, le 28 juillet, se contentait de ces arrangements qui lui semblaient être ce qu'il pouvait faire de mieux, d'autant plus que Warlimont lui avait promis de demander à Hitler l'autorisation que la septième armée recule jusqu'à la ligne de Granville-Gavray-Percy-Tessy-sur-Vire-Caumont. Kluge pensait qu'il avait une certitude raisonnable de pouvoir rétablir une ligne défensive solide. Le IIe corps de parachutistes resterait essentiellement sur place, en faisant quelques réajustements pour s'adapter aux nouvelles défenses, mais en maintenant une bonne couverture du flanc gauche du groupe Panzer ouest. Le XLVIIe corps Panzer boucherait hermétiquement la trouée faite au centre de la septième armée. Et le LXXXIVe corps, ce qui paraissait encore vraisemblable à cette date, pourrait garder Coutances jusqu'à ce que des forces résistantes qui se repliaient vers le sud aient pu rétablir un solide ancrage à Granville pour toutes les défenses allemandes de Normandie. C'était ce que Kluge espérait. Mais il lui fallait d'abord régler son compte au XIXe corps américain.

Le 28 juillet, le général Corlett était, lui aussi, en train de déplacer des troupes à l'ouest de la Vire. Il avait espéré pouvoir emmener avec lui ses deux divisions expérimentées, la 35e et la 29e, et laisser la 28e (major général Lloyd D. Brown) qui n'avait pas encore subi l'épreuve du feu, sur une ligne de front relativement statique, à Saint-Lô. Mais la nécessité de faire avancer la 35e division au sud de Saint-Lô, le 27 juillet, pour maintenir la pression sur les Allemands qui se repliaient, avait modifié les plans de Corlett. L'attaque de la 35e division avait néanmoins apporté son aide, car elle s'était emparée d'un pont supplémentaire sur la Vire, au sud-est de Saint-Lô, facilitant ainsi le mouvement de la 28e et de la 29e division dans la nouvelle zone du corps.

A midi, le 28 juillet, au moment où le déplacement s'effectuait, le général Corlett prenait la responsabilité des unités déjà engagées dans cette nouvelle zone - la 30e division et le groupe de combat A de la 2e division blindée, ce dernier renforcé par le 22e régiment d'infanterie de la 4e division, plus le 113e groupe de cavalerie. 

La mission du XIXe corps, au sud, une charge d'environ trente-deux kilomètres à partir du Mesnil-Herman jusqu'à la ville de Vire, serait, on l'espérait, une poursuite qui ne serait pratiquement pas disputée, contrairement au précédent objectif des forces déjà engagées sur la rive ouest de la Vire. Pendant qu'elle était sous le contrôle du Vile corps, et qu'elle combattait dans l'opération COBRA, la 30e division et le groupe de combat A de la 2e division blindée, renforcé, avaient attaqué au sud pour servir de rempart sur la Vire, en prévision d'attaques allemandes éventuelles en provenance de l'est. Le 28 juillet, à midi, ils achevaient ce qui leur avait été assigné pour COBRA. La 30e division, après avoir pris trois ponts sur la Vire, au sud de Saint-Lô, se déplaçait en ne rencontrant qu'une faible résistance vers un endroit de halte naturelle, un ruisseau au sud des villages de Moyon et Troisgots, où le général Hobbs espérait " souffler un peu. Le groupe de combat A était en possession de son premier objectif de COBRA, le Mesnil-Herman, et faisait une tentative en direction de Villebaudon et Tessy-sur-Vire.

Désireux, moins de bloquer une traversée éventuelle de la Vire par les Allemands, que de lancer un mouvement rapide vers le sud, le général Corlett pensait qu'une progression accélérée vers son objectif était possible. On estimait que le XIXe corps avait en face de lui un effectif de moins de 3 000 combattants allemands - unités désorganisées et malmenées, supportées par quatre bataillons d'artillerie seulement, et des batteries dispersées de canons automoteurs. Sans positions déjà préparées et manquant de réserves, les Allemands ne pouvaient s'arrêter qu'à deux endroits, sur une hauteur au sud de Tessy-sur-Vire et un terrain en surplomb près de Vire.

Un petit point noir vint ternir ce bel optimisme. Faisant une reconnaissance en force, à partir du Mesnil-Herman, en direction de Villebaudon et Tessy-sur-Vire, le 27 juillet, des formations du groupe de combat A, avaient rencontré une résistance croissante qui les avait empêchées d'avancer de plus de quatre kilomètres dans chaque direction. Il devint évident qu'une partie de la 2e division Panzer SS, qui se dirigeait, pensait-on, vers l'ouest, se trouvait déjà à l'ouest de la Vire. Malgré le harcèlement de l'approche de l'ennemi par l'aviation alliée, on croyait la division panzer capable de faire passer au moins un régiment d'infanterie motorisée et une vingtaine de chars et de les opposer au XIXe corps, le matin du 28 juillet.

Tant que cette estimation n'était qu'une éventualité pessimiste, le général Corlett ne voyait pas pourquoi il ne pourrait pas avancer au-delà de Tessy-sur-Vire et barrer cet excellent site de traversée avant que la 2e division Panzer et d'autres unités allemandes présentent une résistance importante. Il avait donc désigné la hauteur au sud de Tessy - sur la ligne de Percy à Pont-Farcy - comme objectif initial du corps. Ayant neutralisé cette ligne de défense potentielle de l'ennemi, et après avoir mis la 28e et la 29e division en position d'attaquer, il pourrait charger vers la ville de Vire.

Pour s'emparer de la ligne de Percy à Pont-Farcy, le général Corlett avait donné l'ordre au général Hobbs de faire prendre Tessy-sur-Vire par la 30e division et de barrer les sites de traversée de la rivière. Se souvenant, sans aucun doute, du désordre qui s'était produit dans le secteur de la tête de pont de la Taute et de la Vire, quand la 30e division et un groupe de combat différent s'étaient entremêlés, le chef du corps fit faire halte au groupe de combat A de la 2e division blindée dirigé vers Tessy-sur-Vire. À la place, le groupe de combat, renforcé, se concentrerait sur la zone droite du corps et attaquerait en direction du sud, vers Percy, en traversant Villebaudon. Comptant sur la mobilité de la force blindée et que la désorganisation de l'ennemi se poursuivrait, Corlett dit au commandant des blindés, le général Rose, de faire mouvement de Percy, en direction de l'est, vers la Vire. Cela permettrait d'encercler Tessy à partir de l'ouest et d'isoler la ville par le sud. Ensuite, la 29e division, puis plus tard la 28e attaqueraient en direction du sud.

Les événements se déroulèrent de telle sorte, que ces dispositions arrivèrent trop tard, car, le 28 juillet, la 2e division Panzer était en train de se rassembler à l'ouest de la Vire sur un petit plateau autour de Tessy-sur-Vire. Les blindés se réunirent derrière un affluent de la Vire qui coule d'est en ouest - le ruisseau s'écoule au sud de Moyon et Troisgots - et dans les environs immédiats au nord-ouest de Tessy, pour attaquer dans cette direction. Pour protéger la zone de rassemblement de la 2e division Panzer, Kluge avait donné l'ordre à Hausser de prendre le IIe corps de parachutistes, qui se trouvait encore à califourchon sur la Vire, d'établir une solide ligne de défense allant de Moyon vers l'est à travers Condé-sur-Vire et Biéville, jusqu'à Caumont, où il prendrait contact avec le LVIIIe corps Panzer. Bien que la ligne de front à l'est de la Vire - depuis Condé-sur-Vire en passant par Biéville - ait retenu, avec succès, le Ve corps, au nord de Torigni-sur-Vire, les grands coups de sabre de l'attaque de COBRA de la 30e division et du groupe de combat A, avaient cassé les positions de cette ligne à l'ouest de la Vire. Le groupe de combat avait déjà débordé ce front à l'ouest quand il avait atteint Villebaudon, le 28 juillet, et la 30e division s'approchait de Troisgots.

Les débris de la 352e division, renforcés par des éléments de la 2e division Panzer quand ils arrivèrent, se préparèrent à tenir la ligne de Moyon à Troisgots. Tandis que les soldats de la 30e division descendaient un versant dénudé, dans l'après-midi du 28 juillet, et se dirigeaient vers le ruisseau et une longue pente, derrière, ils furent soumis à un feu nourri. La configuration du terrain exposait les attaquants aux tirs d'enfilade des défenseurs. Les missions de contrebatterie américaines parurent n'avoir aucun effet sur les tirs ennemis, et depuis la crête, juste au sud du ruisseau de Moyon et Troisgots, les mitrailleuses allemandes, les chars, les canons automoteurs, et l'artillerie empêchèrent toute progression.

Malgré l'engagement du régiment de réserve du général Hobbs, le lendemain, 29 juillet, les troupes ne réussirent pas à avancer. Certaines difficultés internes apparaissaient : les soldats étaient épuisés, une pénurie de câbles téléphoniques gênait les communications, et les avions de combat, en support rapproché avaient bombardé et pilonné, par erreur, plusieurs unités de la 30e division. Mais la raison principale pour laquelle la 30e division n'avait pas pris Troisgots était la présence de la 2e division Panzer, fraîche et forte, qui défendait un terrain qui l'avantageait. Deux assauts coordonnés contre Troisgots - le bastion de la ligne de défense - par les trois régiments de la 30e division, côte à côte, le 30 juillet et un tir d'artillerie trois fois plus important que ce qu'on dépensait habituellement, ne réussirent pas plus à propulser la division au-delà de sa ligne de départ. Les obus ennemis détruisirent six des dix-neuf chars de soutien d'un régiment.

Entre temps, le général Corlett avait modifié l'objectif de la division de Tessy-sur-Vire vers Troisgots. Non seulement Tessy semblait tout à fait hors de portée pour le moment, mais Troisgots même, paraissait impossible à atteindre. La 30e division n'était pas près de " souffler un peu " comme le général Hobbs l'avait espéré.

Malgré tous ces signes d'échec, la 30e division, dans une très grande mesure avait empêché la 2e division Panzer de lancer sa propre contre-attaque. Hausser avait, lui-aussi, aidé les Américains. Convaincu que l'attaque du XLVIIe corps avait échoué, avant même qu'elle ait démarré, Hausser avait donné l'ordre au corps de se mettre en position défensive le long d'un large front entre la Vire et Gavray. Kluge avait donné le contre-ordre aussitôt, mais le retard qui en était résulté, aussi bien que l'inévitable confusion au niveau des officiers d'état-major avaient causé du tort au projet d'offensive.

Il faut aussi mettre au crédit du groupe de combat A de la 2e division blindée, le fait que les projets d'offensive de la 2e division Panzer aient été contrecarrés, car il avait bien tenu sa place, sur la droite de la 30e division. Le 28 juillet, à midi, quand le général Corlett en avait pris le contrôle, le groupe de combat du général Rose s'était déjà emparé de Villebaudon. Une colonne blindée, qui menait une reconnaissance en force ce matin-là, avait détruit six véhicules blindés allemands et un char Mark IV et avait débordé environ une cinquantaine de soldats pour prendre le village. Une autre colonne de reconnaissance qui s'en allait, en même temps, vers Tessy-sur-Vire, avait au contraire, rencontré des forces blindées puissantes qui appartenaient manifestement à la 2e division Panzer et qui retournaient dans le voisinage du Mesnil-Herman. Ils reçurent l'ordre d'arrêter leur charge sur Tessy, et d'attaquer, à la place, le long de l'axe allant du Mesnil-Herman à Percy en passant par Villebaudon, soutenus également par un détachement du 113e groupe de cavalerie. Le général Rose avait immédiatement renforcé ses troupes de Villebaudon en leur adjoignant le groupe de cavalerie et le 14e bataillon d'artillerie de cavalerie de campagne.

La route du sud, du Mesnil-Herman à Percy, avait beau sembler libre de contingents importants d'Allemands, l'arrivée de la 2e division Panzer dans la région de Tessy-sur-Vire menaçait les voies de communication du groupe de combat A. Les routes qui conduisaient à l'ouest de Tessy étaient excellentes pour supporter des charges de blindés allemands vers Villebaudon et Percy. Pour empêcher les panzers de couper la route nord-sud, le Mesnil-Herman - Villebaudon - Percy, le général Rose essaya d'ériger une barrière le long de sa limite est. Il avait partagé le groupe de combat en trois formations, chacune comprenant une compagnie du 22e régiment d'infanterie, une compagnie de chars moyens du 66e régiment blindé, un peloton de cavalerie légère et des unités de soutien. Comme une formation de combat se trouvait déjà à Villebaudon, il envoya les deux autres au sud et au sud-est du Mesnil-Herman, en direction de Moyon, en leur donnant comme objectif éventuel de couper la nationale est-ouest de Villebaudon à Tessy et de protéger ainsi le flanc de l'attaque principale vers Percy.

La formation qui avait attaqué au sud-est, à partir du MesnilHerman, l'après-midi du 28 juillet, avait chargé en passant par le Mesnil-Opac et détruit cinq chars Mark IV et quatre canons antichars sans avoir subi de pertes. Cependant, une puissante opposition de tanks qui rôdaient dans la campagne, des infiltrations de fantassins, d'antichars, de canons de D.C.A., double usage, de mortiers et d'artillerie avait obligé la colonne à retourner au Mesnil-Herman. La formation, en attaquant vers le sud, avait atteint le village de Moyon, mais incapable elle aussi, d'aller plus loin, elle était retournée au Mesnil-Herman.

Pendant ce temps, les Allemands menaçaient de couper la route principale entre le Mesnil-Herman et Villebaudon et d'isoler le fer de lance du groupe de combat A. Trois chars ennemis se déplacèrent effectivement à l'ouest, à partir de Moyon et s'emparèrent d'un carrefour près de la Denisière. Retournant une batterie pour la faire tirer en direction du nord, de Villebaudon vers la Denisière, à tir très court, le 14e bataillon d'artillerie de cavalerie légère, réussit rapidement à faire partir les trois tanks. Incapables de couper la route, en fait, les Allemands essayèrent d'enfermer Villebaudon par des tirs d'artillerie qui interdisaient l'accès de la nationale. La canonnade de l'intersection de la Denisière était encore importante, mais les véhicules de munitions et de ravitaillement américains, obligés d'accélérer aux carrefours à intervalles de temps irréguliers, s'arrangèrent pour éviter en grande partie, les dégâts.

Le 29 juillet, le général Rose envoya ses deux formations du Mesnil-Herman prendre le village de Moyon. Malgré l'échec de la tentative, la formation de combat de Villebaudon se déplaça au sud vers Percy ne rencontrant qu'une faible résistance. Percy se révéla intenable. Les blindés se replièrent sur les collines au nord de la ville et attendirent des renforts. Menaçant de bloquer les renforts, les Allemands coupèrent encore l'axe de communication à l'arrière des unités d'avant-garde près de Percy. Tandis que l'artillerie adverse interdisait la nationale du Mesnil-Herman à Percy et que les chars ennemis entreprenaient un duel avec les antichars américains, de petits détachements allemands s'infiltraient en traversant la route et installaient hâtivement des barrages.

L'arrivée de la 29e division, sans améliorer immédiatement la situation, apporta un espoir de progrès dans un proche avenir. Deux des régiments du général Gerhardt - le 116e et le 175e - se déplacèrent à l'intérieur d'un front près de Moyon et Percy pour relever les formations du groupe de combat A, qui se rassemblèrent ensuite près du Mesnil-Herman. Ayant reçu l'ordre d'avancer en traversant Villebaudon et Percy, le troisième, le 115e régiment d'infanterie, fut arrêté par les barrages allemands sur la nationale. Malgré l'ordre optimiste du général Corlett, ce soir-là de progresser jusqu'à Vire, l'objectif du corps, il était évident qu'il fallait d'abord éliminer la tête de pont ennemie de Tessy-sur-Vire.

Pour éliminer la tête de pont, le général Corlett décida de réduire le projet d'enveloppement de Tessy par le groupe de combat A. Au lieu de faire mouvement vers l'est à partir de Percy, le général Rose frapperait à l'est de Villebaudon. S'il réussissait, le groupe de combat pourrait déborder la ligne de front ennemie, Moyon-Troisgots. La 29e division serait alors capable de progresser et de traverser Villebaudon et Percy pour lancer sa charge vers Vire.

Le matin du 30 juillet, un bataillon de chars de renfort et une compagnie du groupe de combat A se déplacèrent du Mesnil-Herman, traversèrent Villebaudon, tournèrent à l'est vers Tessy-sur-Vire, et rencontrèrent aussitôt une ferme opposition. Un combat de tirs impliquant quarante chars américains aussi bien que de l'infanterie et des canons antichars, dura toute la journée. La 2e division Panzer était immobilisée dans la région de Tessy, mais la 116e division Panzer était entrée en scène. Après le harcèlement et le retard causés par les avions alliés pendant sa traversée de la Vire, la 116e avait finalement démarré le matin du 30 juillet. Aussitôt, elle s'était trouvée embourbée dans la lutte pour la prise des collines autour de Percy, Villebaudon et Beaucoudray.

Pour les Américains, le problème de la prise de Percy disparut derrière la nécessité plus urgente de garder Villebaudon. Tandis que le 109e régiment d'infanterie de la 28e division restait au nord du Mesnil-Herman pour constituer la réserve du corps, les deux autres régiments de la division - le 110e et le 112e - quittaient le Mesnil-Herman par le sud pour renforcer les défenses de Villebaudon. Le 116e et le 175e régiments de la 29e division exerçaient, pendant ce temps-là, une pression contre Troisgots. Cette bataille sur toute la largeur du corps et l'assistance apportée par les bombardiers de combat qui attaquèrent Tessy plusieurs fois dans la journée, permirent au groupe de combat A de conserver Villebaudon. Pendant ce temps, le 115e régiment d'infanterie de la 29e division, qui s'était trouvé bloqué au sud de Villebaudon, atteignait enfin les abords de Percy.

Le 14e bataillon d'artillerie blindée de campagne avait joué un rôle considérable dans la bataille du 30 juillet. Ayant reçu l'ordre de se déplacer de Villebaudon à Percy, ce matin-là, le bataillon s'était formé en colonnes de marche, les têtes de colonnes étant sur la route principale vers le sud. Avant le départ, la nouvelle de la contre-attaque avait incité l'unité à rester sur place pour se mettre en position de tirer. Bien que des tirs sporadiques d'armes légères soient parvenus près des canons pendant une heure, aux alentours de midi, les artilleurs avaient accepté et rempli toutes leurs missions. Ils avaient marqué les concentrations d'attaque de l'ennemi par de la fumée rouge, pour guider les bombardiers de combat vers des cibles payantes. Ils avaient également combattu des chars ennemis à des distances de moins de 2.000 mètres. Finalement, quand le feu allemand devint trop intense, ils se replièrent vers de nouvelles positions au nord de Villebaudon. Là, le 18e et le 65e bataillon d'artillerie furent rattachés au 14e bataillon d'artillerie de cavalerie par l'intermédiaire de son centre de direction de tirs. Avec le contrôle de feu de quatre bataillons de mortiers de 105, le 14e bataillon coordonnait aussi les missions de l'artillerie du XIXe corps, qui lui envoya un officier de liaison pour cette raison.

Le soir du 30 juillet, le XIXe corps se battait encore sérieusement dans la région de Percy à Tessy-sur-Vire. De la hauteur entre Percy et Tessy, les Allemands envoyaient, avec force, des obus sur les unités et empêchaient à volonté l'utilisation des routes dans le secteur de Villebaudon. Essayant encore d'éliminer la tête de pont allemande de Tessy, le général Corlett ordonna de reprendre l'attaque le 31 juillet, mais en apportant une modification. A partir des positions qui formaient un arc de cercle de Moyon à Percy, en passant par Villebaudon, les trois régiments de la 29e division - le 116e à gauche (nord), le 175e au centre et le 115e à droite (le 115e après avoir été relevé près de Percy par le 110e régiment d'infanterie de la 28e division) - attaqueraient en direction de l'est vers Tessy et soutiendraient une nouvelle tentative du groupe de combat A, de détruire la tête de pont. Tandis que cette attaque se déroulerait, la 28e division ferait mouvement en traversant Villebaudon, jusqu'à Percy pour se mettre en position de charger vers le sud jusqu'à Vire.

Aux alentours de midi, le 31 juillet, deux bataillons - l'un du 66e régiment blindé et l'autre du 22e régiment d'infanterie, rattaché - avancèrent à l'est, venant de Villebaudon vers Tessysur-Vire pour servir de fer de lance à l'attaque de soutien de la 29e division. A mi-chemin de Tessy, les troupes blindées rencontrèrent plusieurs chars ennemis, dans un bois à l'extrémité d'un ravin. N'arrivant pas à trouver un site de traversée du ravin et recevant un tir d'artillerie nourri, elles firent halte et se mirent à couvert tandis que les bombardiers de combat essayaient, sans succès, de déloger les Allemands. Les soldats de la 29e division, tout comme ceux du fer de lance des blindés, ne réussirent que des progressions limitées.

Pendant ce temps, la 28e division faisait mouvement au sud vers Percy et ce jour-là, prenait la responsabilité de ce secteur. Le déplacement fut loin d'être une réussite, et pourtant la division marchait dans une région qui était essentiellement une zone de l'arrière. Manifestant les symptômes habituels d'une unité nouvelle au combat, les soldats de la 28e division auraient besoin de plusieurs jours pour surmonter l'hésitation naturelle d'avoir à avancer sous le feu de l'ennemi, s'habituer à manoeuvrer dans un terrain mal connu et apprendre les techniques de progression dans le bocage.

Un changement significatif de la situation intervint le 31 juillet, dans le secteur de la 30e division, où le général Hobbs  essayait pour le quatrième jour consécutif de prendre Troisgots. Pour l'assaut du 31 juillet, Hobbs avait placé tout son bataillon de chars rattaché, à la disposition du 119e régiment d'infanterie, qui aurait à faire l'effort principal au centre du front de la division. Ce geste était plus impressionnant en théorie qu'en pratique car les pertes avaient réduit le bataillon à trente-quatre chars moyens et légers, parmi lesquels, treize Shermans seulement pouvaient réellement assurer un service sur la ligne de front. Accompagnés par ces tanks, le 119e régiment d'infanterie ferait pression sur Troisgots de trois côtés, tandis que les autres régiments le soutiendraient.

Un bataillon d'infanterie et quelques chars de soutien s'arrangèrent pour entrer dans Troisgots dans l'après-midi et détruisirent, par des tirs de chars et des obus de bazooka plusieurs tanks ennemis et des canons automoteurs, coeur de la défense allemande. Le succès était largement dû au ter lieutenant Harry F. Hansen du 743e bataillon de cavalerie, qui était descendu de son char et avait conduit deux fantassins munis de bazookas sur des positions à partir desquelles ils avaient tiré sur trois chars ennemis. Deux avaient explosé en flammes sous des tirs directs, le troisième était parti. Le soir venu, le régiment nettoyait le village. Les Allemands avaient cédé le terrain avec beaucoup de réticence. La chute de Troisgots était loin d'être " un effondrement ".

La prise de Troisgots se produisit quand parvenait aux Allemands la nouvelle que les Américains dans le Cotentin, menaçaient Granville et Avranches (et même, s'en étaient peut-être déjà emparés) et que les Britanniques et les Américains avançaient vers la ville de Vire. Il fallait, d'urgence, faire retraite. L'autorisation de Kluge de faire reculer la septième armée jusqu'à une ligne qui protégerait encore Granville, Tessy-sur-Vire et Vire paraissait chimérique.  Les armées entre Percy et Tessy commencèrent à se replier, tournant légèrement vers l'ouest en direction de Villedieu et Gavray.

Pressentant l'effondrement imminent des positions allemandes, le général Corlett donna l'ordre à ses subordonnés de maintenir une vigoureuse activité de patrouilles pendant la nuit, pour garder le contact avec l'ennemi. " Surveillez-le... et veillez à ce qu'il ne file pas ", les avertit Corlett. Si on s'apercevait qu'une retraite avait lieu, les unités devaient engager la poursuite. Etant donné que Corlett se disait que les Allemands allaient se maintenir à Tessy-sur-Vire pour couvrir leur retraite, il programma encore une nouvelle attaque pour le 1er août. Ayant rattaché le groupe de combat A à la 29e division, il donna l'ordre au général Gerhardt de faire une poussée à l'est, en partant de Villebaudon et de se diriger sur Tessy-sur-Vire tandis que la 30e division ferait pression sur Tessy par le nord. La 28e division se déplacerait au sud, en traversant Percy et attaquerait en direction de Vire.

Le matin du 1er août, le groupe de combat A servit de fer de lance à l'assaut de la 29e division en se dirigeant, une fois de plus, vers Tessy-sur-Vire, avec un bataillon blindé de chaque côté de la grand-route. Une pointe unique de cinq véhicules blindés roulait en tête de la formation. Un char léger, en guise d'appât, avançait sur la route ; deux tanks moyens, cent mètres avant le char léger, se déplaçaient sur les bas-côtés pour exciter et combattre les tanks ennemis ; et deux antichars, à deux cents mètres derrière le char léger, se déplaçaient sur les côtés, tout prêts à tirer rapidement pour renforcer les tanks moyens.

Tirant avantage de la brume qui s'élevait du sol, les hommes et les véhicules du groupe de combat A, traversèrent le ravin qui les avait empêchés d'avancer la veille et débordèrent, puis détruisirent une colonne de véhicules allemands. Malgré l'entrée de trois chars américains aux abords de Tessy, le matin, les Allemands firent sortir les équipages des trois tanks qui avaient eu des pannes mécaniques.

Plus tôt, le 1er août, le général Hobbs avait donné des instructions au 120e régiment d'infanterie pour qu'il envoie une formation, pour montrer qu'il participait à la prise de Tessy-sur-Vire. " On nous a tout à coup donné l'ordre... de partir pour Tessy ", expliquait le commandant d'une compagnie de fusiliers, choisie pour cette mission, " alors nous sommes partis ".

Sans avoir un observateur d'artillerie devant, la compagnie marcha à travers champs jusqu'à deux kilomètres du bourg, avant qu'une mitrailleuse ennemie et plusieurs mortiers prennent les soldats sous leurs tirs. Détruisant la mitrailleuse à coups de grenades, les fantassins s'infiltrèrent jusqu'aux abords de Tessy. Croyant que le bourg avait déjà été pris par le groupe de combat A et qu'il s'agissait simplement d'y installer des barrages, le commandant de la compagnie fut très surpris de voir apparaître des soldats ennemis, qui bousculèrent ses hommes pêle-mêle.

Le groupe de combat A monta une seconde attaque, cet après-midi là et pénétra dans Tessy. Les soldats du 22e régiment d'infanterie nettoyèrent le centre de la ville et traversèrent la rivière pour installer des avant-postes. Entre temps, plusieurs chars du groupe de combat, roulant avec fracas tout autour de Tessy redonnaient courage à la compagnie de la 30e division qui en avait été chassée un peu plus tôt. « Les chars auraient bien pu n'avoir que des canons en bois, » dit un des soldats. Leur seule présence leur avait redonné des forces. Ensemble, les fantassins et les tankistes nettoyèrent les quartiers au nord de la ville.

Rentrer dans Tessy ne voulait pas dire que le bourg était pris et en sécurité. Les obus de l'artillerie allemande continuèrent à s'abattre dans les rues jusqu'à ce que la 35e division du Ve corps, de l'autre côté de la rivière, s'empare de la hauteur à l'est de la ville, le lendemain, 2 août. A ce moment-là, la 30e division passa dans la réserve du XIXe corps et le groupe de combat A retourna sous le contrôle de la 2e division blindée.

Le XIXe corps était encore loin d'avoir atteint ses objectifs d'après COBRA. Mais il avait contribué largement au succès final qui en découlait. En bloquant pendant cinq jours la tentative allemande de rétablir une ligne défensive au travers du Cotentin, le XIXe corps avait permis aux troupes, à droite de la première armée d'achever l'opération par une course spectaculaire.