" Français, je marche encore avec vous ... "
Message radiodiffusé de Londres au peuple français le 21 octobre 1940, pendant un raid.
Français ! Pendant plus de trente ans, en temps de paix comme en temps de guerre, j'ai marché avec vous et je marche encore avec vous aujourd'hui, sur la même route. Ce soir je vous parle, au sein même de vos foyers, où que vous soyez, et quel que soit votre sort. Et je répète la prière qui entourait vos louis d'or : " Dieu protège la France. "
Ici, chez nous, en Angleterre, sous le feu du boche, nous n'oublions pas quels liens et quelles attaches nous unissent à la France. Nous continuons à lutter de pied ferme et d'un cœur solide, pour que la liberté soit rétablie en Europe et pour que le peuple soit traité en justice dans tous les pays – en un mot pour faire triompher la cause qui nous a fait ensemble tirer l'épée. Quand des honnêtes gens se trouvent déconcertés par les attaques et les coups que leur portent coquins et méchants, il leur faut prendre garde surtout de ne pas commencer à se quereller. C'est ce que l'ennemi commun essaie toujours de provoquer et naturellement, quand la malchance s'y met, bien des choses arrivent qui font le jeu de l'ennemi. Je me rappelle toujours ce que disait Me Labori, il y a bien des années, après avoir été blessé par un assassin : " L'accident a beaucoup plus de place que l'intention dans les affaires humaines. "
Ici, dans cette ville de Londres qu'Hitler prétend réduire en cendre, et que ses avions bombardent en ce moment, nos gens continuent de tenir. Mais notre aviation a fait mieux que de faire face. Et maintenant nous attendons l'invasion promise de longue date. Les poissons aussi. Mais, bien sûr, nous n'en sommes encore qu'au commencement. Aujourd'hui en 1940, comme toujours, nous avons la maîtrise des mers. En 1941, nous aurons la maîtrise de l'air. N'oubliez pas ce que cela veut dire. Hitler avec ses chars d'assaut et ses autres armes mécaniques et aussi grâce aux intrigues de sa cinquième colonne avec les traîtres, a réussi, pour le moment à subjuguer la plupart et la fleur des nations de l'Europe, et son petit complice italien, plein d'espoir et d'appétit, continue à trottiner craintivement à son côté. Tous deux veulent découper la France et son Empire, comme une poularde. À l'un la cuisse, à l'autre l'aile.
Non seulement l'Empire français sera dévoré par ces deux vilains messieurs, mais l'Alsace et la Lorraine va encore une fois repasser sous le joug allemand – et Nice, la Savoie et la Corse – La Corse de Napoléon – seront arrachées du beau domaine de la France... Mais M. Hitler ne songe pas seulement à voler le territoire des autres peuples et à en distraire quelques bribes pour les jeter à son petit chien. Je vous dis la vérité et il faut que vous me croyez : cet homme de malheur, ce monstrueux avorton de la haine et de la défaite, n'est résolu à rien moins qu'à faire entièrement disparaître la nation française, qu'à désagréger sa vie même, et par conséquent à ruiner son avenir. Par toutes sortes de moyen sournois et féroces, il ourdit son plan de tarir pour toujours les sources de la culture et de l'inspiration françaises dans le monde. S'il lui est loisible d'agir à sa guise, toute l'Europe ne sera plus qu'une Bochie uniforme, proie offerte à l'exploitation, au pillage et à la brutalité des gangsters nazis. Si je vous parle aussi carrément, excusez moi, mais ce n'est pas le moment de mâcher les mots.
Ce ne sont pas seulement les conséquences de la défaite que la France doit aujourd'hui subir de la main des Allemands, mais toutes les étapes d'une annihilation complète. Armée, Marine, Aviation, Lois, langue, Culture, Littérature, histoire, Traditions tout va être effacé par la force brutale d'une armée triomphante et par les ruses scientifiques et abjectes d'une police implacable.
Français ! Armez vos cœurs à neuf avant qu'il ne soit trop tard ! Rappelez vous ce que Napoléon disait avant une de ses batailles : " Ces mêmes prussiens qui sont aujourd'hui si vantards étaient à 3 contre 1 à Iéna et à 9 contre 1 à Montmirail. " Jamais je ne croirai que l'âme de la France soit morte, que sa place parmi les grandes nations du monde puisse être à jamais perdue.
Tous les complots et tous les crimes de M. Hitler sont en train d'attirer sur sa tête et sur la tête de ceux qui font partie de son régime un châtiment que beaucoup d'entre nous verront de leur vivant. Il n'y aura pas si longtemps à attendre. L'aventure n'est pas encore finie. Nous sommes aussi sur sa piste ; et nos amis de l'autre côté de l'Atlantique y sont aussi. Si M. Hitler ne peut pas nous détruire, nous, nous sommes sûrs de le détruire, lui et sa clique et ses œuvres. Ayez donc espoir et confiance. Tout se rétablira.
Maintenant, nous autres Britanniques, que pouvons nous vous demander aujourd'hui, dans un moment si âpre et si dur ? Ce que nous vous demandons, au milieu de nos efforts pour remporter cette victoire que nous partagerons avec vous, c'est que, si vous ne pouvez pas nous aider, du moins vous ne fassiez pas d'obstacle.
Bientôt, vous pourrez aider le bras qui frappe pour vous, et vous n'y manquerez pas. Pour notre part nous croyons que les français, où qu'ils soient, se sentiront le cœur réchauffé et que la fierté de leur sang tressaillera dans leurs veines chaque fois que nous remporterons un succès dans les airs, sur mer, ou plus tard – et cela viendra – sur terre.
N'oubliez pas que nous ne nous arrêterons jamais, que nous ne nous lasserons jamais, que jamais nous ne céderons et que notre peuple et notre Empire tout entier se sont voués à la tâche de guérir l'Europe de la pestilence nazie et de sauver le monde d'une nouvelle barbarie. Surtout ne pas vous imaginer que, selon les légendes de la radio sous le contrôle allemand nous autres anglais, ourdissons la main mise sur vos navires et vos colonies. Ce que nous voulons c'est arracher l'existence et l'âme humaine des griffes d'Hitler et de hitlérisme. Parmi les français, ceux qui se trouvent dans l'Empire Colonial et ceux qui habitent la France soi-disant inoccupée peuvent, sans doute, de temps à autre, trouver l'occasion d'agir utilement. Je n'entre pas dans les détails. Les oreilles ennemies nous écoutent. Aux autres, vers qui l'affection anglaise se porte d'un seul mouvement, parce qu'ils vivent sous la stricte discipline, l'oppression et l'espionnage des boches, je dis : quand vous songez à l'avenir, rappelez vous les mots de ce grand Français que fut Thiers (il les prononça après 1870, à propos de l'avenir) : " Pensons-y toujours ; n'en parlons jamais. "
Allons, bonne nuit, dormez bien, rassemblez vos
forces pour l'aube – car l'aube viendra. Elle se lèvera, brillante pour les
braves, douces pour les fidèles qui auront souffert, glorieuse sur les tombeaux
des héros. Vice la France ! Et vive aussi la marche en avant des peuples de
tous les pays qui veulent reconquérir le patrimoine qui leur appartient de
plein droit et reprendre la route du progrès humain.
" Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur
"
Allocution prononcée à la chambre des communes le 13 mai 1940.
Vendredi dernier dans la soirée, Sa Majesté m'a chargé de constituer le nouveau gouvernement. C'était la volonté clairement exprimée du parlement et de la nation qu'il reposât sur la base la plus large possible et comprît tous les partis, ceux qui soutenaient l'ancien gouvernement comme ceux qui étaient dans l'opposition. De cette tâche, je viens d'achever la partie la plus importante : un Cabinet de Guerre de cinq membre est formé, qui représente, avec les libéraux de l'opposition, l'unité de la nation. Les chefs des trois grands partis consentent à servir soit dans le cabinet de guerre, soit dans de hauts postes d'État. Et les trois ministères de la défense nationale sont pourvus. Il était en effet essentiel que cette partie de ma tâche fût réalisée en un seul jour, à cause de l'extrême et rigoureuse urgence. Un certain nombre d'autres " position clé " ont été dévolues hier et je dois ce soir même soumettre une nouvelle liste à sa Majesté. En sorte que j'espère compléter la nomination des principaux ministres dans la journée de demain. Généralement, celle des autres ministres prend un peu plus de temps ; mais je pense que lorsque le Parlement se réunira à nouveau, ma mission aura été menée à bien et que le gouvernement sera au complet.
J'estimais que l'intérêt public commandait de suggérer que la chambre fût convoquée pour aujourd'hui. Le Président, qui était du même avis, prît donc les mesures nécessaires, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la résolution de la chambre. À la fin de la réunion d'aujourd'hui, l'ajournement de la chambre jusqu'au mardi 21 mai sera proposé, tout étant, bien entendu, prévu pour qu'elle se réunisse plus vite plus tôt s'il en est besoin. Dans le plus bref délai les députés seront informés des affaires à traiter pendant cette semaine. Enfin j'invite la chambre, par la résolution qui est présentée en son nom, à exprimer son approbation des mesures prises et à voter sa confiance dans le nouveau gouvernement.
Certes, la formation d'une administration aussi vaste et complexe est en elle même une grave entreprise. Mais plus grave encore si l'on se représente que nous nous trouvons au seuil d'une des plus grandes batailles de l'histoire, que nous sommes en plein combat en maints points de la Norvège et de la Hollande, qu'il nous faut être prêt à tout en Méditerranée, que la guerre aérienne se poursuit sans relâche, et que par surcroît de grands préparatifs doivent être faits ici sur notre sol. Dans la crise que nous traversons, j'espère que la Chambre de lui parler brièvement. J'espère que ceux de mes amis ou collègues, ou anciens collègue qui sont touchés par la reconstruction gouvernementale me pardonneront si d'aventure j'ai, dans la nécessité d'agir, failli aux usages. Enfin qu'il me soit permis de tenir à la Chambre le même langage qu'à mes collègues du gouvernement : " Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. "
Nous avons devant nous une épreuve de première grandeur. Nous avons devant nous, de très longs mois de lutte et de souffrance. Vous me demandez quelle est notre politique ? Je vous répond : faire la guerre, sur mer, sur terre et dans les airs, avec toute notre puissance et toute la force que Dieu peut nous donner ; faire la guerre contre une tyrannie monstrueuse, qui n'a jamais eu d'égale dans le sombre et lamentable catalogue des crimes humains. Voilà notre politique. Vous me demandez quel est notre but . Je vous répond en deux mots : la victoire, la victoire à tout prix, la victoire malgré toutes les terreurs, la victoire quelque longue et dure que puisse être la route : car, hors la victoire, il n'est point de survie. Comprenez le bien : pas de survie pour l'Empire britannique, pas de survie pour tout ce qu'illustre l'Empire britannique, pas de survie pour l'immémorial effort vers les buts supérieurs de l'humanité. Mais c'est plein d'espoir et d'entrain que j'assume ma tâche, assuré qu'il ne sera pas infligé à notre cause de faillir devant les hommes. Conjonctures qui m'autorisent – je pense – à réclamer l'aide de tous, et à dire " Allons, en avant tous, unis et forts. "
NOUS VERRONS LA FIN DE LA
TEMPÊTE
Discours RADIO DIFFUSÉ LE 15
FÉVRIER 1942
15 février 1942.
Près de six mois se sont écoulés
depuis qu'à la fin du mois d'Août dernier, j'ai parlé directement par radio
à mes compatriotes.
Il serait donc opportun de
passer en revue ces six mois de ce qui fut, et demeure, une lutte pour la vie,
et aussi d'examiner ce que la fortune nous a départi pendant cette période, et
ce qu'elle nous réserve pour l'avenir.
En août dernier, j'eus la
satisfaction de rencontrer le Président des Ets-Unis, et de rédiger avec lui
cette profession de foi politique anglo-américaine, qui est,devenue célèbre
dans le monde entier sous le nom de " Charte de l'Atlantique. " Nous
avons également pris, au sujet de la conduite générale de la guerre, un
certain nombre de décisions, dont quelques unes ont eu des résultats notables.
A ce moment-là, la Grande-Bretagne se trouvait dans la situation d'un
combattant qui, serré de près par l'ennemi, vient demander assistance à un
grand ami, dont l'attitude n'est toutefois qu'une neutralité bienveillante.
À ce moment-là, les
Allemands semblaient dévorer les armées russes et ils fonçaient, d'un élan
toujours accéléré, sur Leningrad, sur Moscou, sur Rostov, et toujours plus
avant, en plein cœur de la Russie. On trouvait alors que le Président
Roosevelt faisait preuve d'un optimisme bien audacieux, lorsqu'il déclarait que
les armées russes tiendraient jusqu'à l'hiver. Et l'on peut dire que les
experts militaires de tous les pays, qu'ils fussent alliés, ennemis ou neutres,
accueillirent cette prophétie avec beaucoup de scepticisme. Quant à nous,
Britanniques, nous étions écartelés. Depuis plus d'un an déjà, nous
combattions, absolument seuls, contre Hitler et Mussolini. Il nous fallait être
prêts à faire face, dans notre île même, à une invasion allemande ; il nous
fallait défendre l'Égypte, la Vallée du Nil et le Canal de Suez. Et surtout,
il nous fallait amener à travers l'Atlantique, infesté de sous-marins et
d'avions ennemis, les vivres, les matières premières et les armes, sans
lesquels nous ne pouvions pas subsister, sans lesquelles nous ne pouvions pas
continuer la guerre. Et ces tâches sont toujours présentes.
Il était de notre devoir, en
ces jours du mois d'août, de faire tout notre possible pour aider les Russes à
soutenir le, prodigieux assaut. Et,ce que nous avons fait pour la Russie est
vraiment peu de chose, si l'on considère tout ce que la Russie a accompli pour
la défaite d'Hitler et pour la cause commune. Dans les circonstances où nous
nous trouvions alors, la Grande Bretagne n'avait aucun moyen efficace de parer
à l'éventualité d'une guerre supplémentaire contre le japon. Telle était la
situation vers la mi-août 1941, quand je m'entretins avec le Président
Roosevelt à bord du Prince de Galles, notre beau navire qui gît maintenant, hélas,
au creux de l'Océan. Il est vrai qu'en août 1941 notre situation semblait
infiniment meilleure que l'année précédente, alors que la France, qui venait
de subir une défaite écrasante, était prostrée dans cet abîme de misère
dont elle n'est pas encore sortie, alors que nous nous retrouvions seuls dans
notre île, presque entièrement désarmés, alors que les Italiens, qui
tenaient encore l'Abyssinie, et venaient de nous arracher la Somalie
Britannique, menaçaient de nous expulser aussi d'Égypte et de tout le Proche
Orient. Comparée à ces jours de 1940 où le monde entier, à l'exception de
nous-mêmes, nous croyait à jamais abattus et hors de combat, la situation que
le Président Roosevelt et moi avons passée en revue en août 1941 représentait
un immense progrès. Et pourtant, si on regarde les faits sans illusions : Les
États-Unis encore neutres et violemment divisés, les armées russes
cruellement décimées et reculant sans cesse, la puissance militaire de
l'Allemagne triomphante et intacte, la menace japonaise plus hideuse de jour en
jour, quel sinistre et morne horizon !
Et maintenant, où en sommes
nous ? À tout prendre, avons-nous plus de chances de survivre qu'en août 1941 ?
Quelle est la situation de l'Empire Britannique, ce vaste Commonwealth de
nations ? Avonsnous le dessus ou le dessous ? Que deviennent ces idées de
liberté d'honneur et de civilisation, pour la défense desquelles nous sommes
entrés en guerre ? Sont-elles en progrès, ou plus menacées que jamais ?
Examinons la situation sous tous ses aspects, dans ce qu'elle a de sombre, et
dans ce qu'elle a d'encourageant. Le facteur primordial, c'est que l'Amérique,
unanimement et de tout cœur, est entrée dans la lutte à nos côtés. je viens
de retraverser l'Atlantique, pour m'entretenir avec le Président Roosevelt.
Mais cette fois-ci, nous étions bien plus que des amis, nous étions des frères
d'armes, défendant la même cause, côte à côte, coude à coude, et protégeant
contre un ennemi commun notre existence, et notre honneur, plus précieux encore
que la vie. Quand je considère la puissance des États-Unis, et que je suppute
leurs vastes ressources, et quand je me dis qu'ils sont maintenant à nos côtés,
aux côtés du Commonwealth Britannique tout entier, et qu'ils combattront aussi
longtemps qu'il le faudra, jusqu'à la mort ou jusqu'à la victoire, je ne peux
pas croire qu'il existe au monde une autre considération d'une pareille
importance. C'était mon rêve, mon
but, l'aboutissement de mes efforts, et maintenant, tout cela s'est réalisé.
Mais il est encore un autre
facteur, susceptible, à certains égards, de produire des résultats plus immédiats.
Les armées russes ne sont pas battues, elles n'ont pas été dévorées. Le
peuple russe n'est ni vaincu ni anéanti. Leningrad et Moscou ne sont pas tombées
aux mains de l'ennemi. Les armées russes demeurent sur le champ de bataille
bien loin de défendre la ligne de l'Oural ou celle de la Volga, elles avancent,
victorieuses, et reprennent à l'infâme envahisseur ce sol natal, qu'elles ont
su garder avec tant de courage et d'amour. Elles ont fait plus. Elles ont porté
le premier coup à la légende hitlérienne. Au lieu des victoires faciles, au
lieu des gras butins que lui-même et ses hordes avaient conquis dans l'Ouest,
Hitler n'a trouvé jusqu'ici que le désastre, l'échec, la honte de crimes
innommables, les hécatombes de ses soldats et la bise cinglant les neiges de
Russie.
Ce sont là deux facteurs écrasants,
qui finiront par dominer la situation mondiale, et nous assurer une victoire
plus complète qu'il n'était possible de l'espérer, auparavant. Mais la médaille
a son revers. Un évènement inquiétant, terrible, pèse dans la balance, en
regard de ces gains inestimables. Le japon s'est plongé dans la guerre. Il
ravage ces belles contrées fertiles, riches et peuplées d'extrême Orient. Jamais
la Grande-Bretagne, combattant l'Allemagne et l'Italie - ces nations qui depuis
de longues années se préparaient et s'entraînaient à la guerre - combattant
dans les Mers du Nord, en Méditerranée, dans l'Atlantique, jamais la Grande-Bretagne
isolée comme elle l'était, n'eût été en mesure de défendre la Pacifique et
l'extrême Orient contre une agression japonaise. En Europe, nous arrivons tout
juste à surnager. Nous avions bien du mal à amener chez nous les vivres et le
matériel indispensables ; nous n'avions que de justesse, réussi à garder la
vallée du Nil et le Moyen Orient. La Méditerranée nous est fermée, tous nos
bâtiments doivent contourner le Cap de Bonne-Espérance, et ne peuvent faire
que trois voyages par an. Nous n'avons pas un navire, pas un char, pas un canon,
pas un avion qui ne soit sans emploi. Toutes nos ressources, nous les mettons en
œuvre contre l'ennemi, soit pour l'attaquer, soit pour faire face, chez nous,
à une invasion éventuelle. Nous résistons ferme dans le désert de Libye, où,
peut-être, une autre grande bataille se prépare. Il nous faut assurer l'ordre
intérieur et la sécurité extérieure 'de l'Abyssinie libérée, de l'Érythrée
conquise, de la Palestine, de la Syrie et de l'Irak affranchis et de notre
nouvelle alliée la Perse. Depuis un an et demi, un flot ininterrompu de
navires, d'hommes et de matériel parti de notre pays, va renforcer et
ravitailler nos armées du Proche-Orient, gardiennes des vastes contrées qui s'étendent
de part et d'autre de la Valée du Nil. Nous avons dû faire l'impossible pour
aider efficacement la Russie. Nous l'avons aidée au plus fort de sa détresse,
et ce n'est pas maintenant que nous allons manquer à nos engagements. Comment
donc aurions nous pu, étreints, aggripés et harcelés par l'ennemi, protéger
l'Extrême Orient de cette avalanche de feu et d'acier que le japon y a déchaînée
contre nous. Cette inquiétude, mes amis, pesait toujours sur nos esprits.
Nous gardions toutefois un
espoir, un seul. C'était que, si le Japon entrait en guerre aux côtés de ses
Alliés, l'Allemagne et l'Italie, les États-Unis viendraient à notre secours,
et l'équilibre s'en trouverait plus que rétabli. C'est pourquoi, pendant des
mois, j'ai toujours pris grand soin de ne jamais provoquer le japon, et de tolérer
tous ses empiètements, si dangereux qu'ils fussent. Quoiqu'il dût arriver, je
voulais éviter que nous ne nous retrouvions seuls devant ce nouvel ennemi. Rien
ne garantissait le succès de cette politique, mais aussitôt, un nouveau
champion infiniment plus puissant, est venu se ranger à nos côtés, et tirer
contre l'ennemi le glaive d'une vengeance implacable.
Je vous l'avouerai
franchement, je n'ai jamais cru qu'il fût de l'intérêt du Japon de se lancer
dans une guerre contre les États-Unis et l'Empire Britannique. Il me semblait
que ce serait un acte déraisonnable. Étant donné que les japonais ne nous
avaient pas attaqués, après Dunkerque,alors que nous étions infiniment plus
faibles, que nous n'avions qu'un maigre espoir de voir les États-Unis se ranger
à nos côtés, et que nous étions absolument seuls, j'avais peine à croire
qu'ils pussent commettre ce que je considérais comme un acte insensé. Ce soir,
les japonais triomphent. Ils clament leur joie aux quatre coins du monde. Nous
souffrons, nous sommes désemparés, accablés. Mais, je suis bien sûr, même
en cette heure de deuil, que, quand les évènements de 1942 et de 1943 se
seront inscrits au livre sombre de l'histoire, cet acte d'agression sera taxé,
alors, de " folie criminelle. "
Ce qui tenait en respect le Japon,
c'était, bien entendu, la crainte des immenses ressources du continent américain,
mais aussi, plus directement, la Présence de l'escadre américaine qui dominait
le Pacifique, et qui, jointe à nos propres unités, opposait à l'agresseur,
tel un bouclier, une puissance navale supérieure à la sienne, Mais soudain,
mes amis, par un coup brutal, inattendu, longuement médité, pesé et préparé,
puis adroitement porté sous le couvert de feintes négociations, ce bouclier
naval qui protégeait les douces contrées et les riches archipels de l'Océan
Pacifique nous fut momentanément, je dis bien momentanément, arraché des
mains. Les armées japonaises s'engouffrèrent alors dans la brèche ainsi
ouverte. Nous nous trouvâmes exposés à l'assaut d'une race guerrière, de près
de 80 millions d'hommes amplement pourvue d'armes modernes dont les chefs
militaires se préparaient sournoisement à l'attaque, et y aspiraient en secret
depuis 20 ans peut-être, tandis que, de part et d'autre de l'Atlantique, nos
deux braves nations jasaient de paix perpétuelle, et réduisaient mutuellement
leurs flottes pour donner le bon exemple, Lorsque, dans le Pacifique, la
puissance navale anglo-américaine se trouva momentanément ravalée, ce fut
comme si quelque barrage gigantesque avait crevé. Les eaux amassées et depuis
longtemps prisonnières se ruèrent dans la vallée paisible, et l'inondation s'étendit
de tous côtés, apportant sur son écume la ruine et la dévastation.
Il n'est plus permis de sous
estimer la puissance militaire du japon. Que ce soit dans les airs, sur mer, ou
sur terre d'homme à homme, les japonais se sont révélés (les adversaires
redoutables, terribles, et il faut bien le dire, barbares : Cela prouve
indiscutablement que, même si nous avions été, à beaucoup de points de vue,
infiniment mieux préparés que nous ne l'étions en fait, nous n'avions pas la
moindre chance de leur résister aussi longtemps que nous étions seuls, que
l'Allemagne nous tenait à la gorge, et l'Italie à bras le corps. Mais cela
prouve aussi autre chose, et qui doit nous rassurer et nous réconforter ; nous
pouvons maintenant mieux apprécier la constance miraculeuse du peuple chinois
qui, sous la conduite du Général Tchang Kai Chek, résiste seul depuis quatre
ans et demi à ce hideux agresseur, aujourd'hui plein de perplexité et
d'effroi. Et ce mircale de résistance est l'œuvre d'un peuple dont toute la
civilisation, toute la philosophie sont, de temps immémorial, hostiles à la
guerre et aux arts guerriers, d'un peuple que l'ennemi avait surpris, mal armé,
mal ravitaillé en munitions, et presque dépourvu d'aviation.
Il faut bien se garder de
sous-estimer la puissance diabolique de ce nouvel adversaire. Mais il ne faut
pas non plus oublier quelles forces gigantesques, écrasantes, sont entrées en
lice à nos côtés, dans cette lutte pour la libération universelle. Ces
forces, une fois qu'elles auront pu se déployer avec toute la puissance inhérente
à leur nature, seront largement capables de régler le compte de l'ennemi,
quels que soient les accidents qui auront pu se produire dans l'intervalle, et
de rétablir la situation pour un bon moment.
Je me suis toujours refusé,
vous le savez bien, à faire des prophéties et des promesses dorées.
Maintenant encore, je ne puis vous offrir pour de longs mois qu'une guerre défavorable.
Je vous préviens, comme j'ai prévenu la Chambre des Communes avant le vote de
confiance qu'elle m'a généreusement accordé, il y a quinze jours, que nous
avons devant nous beaucoup de revers, des pertes poignantes, des soucis rongeurs
et impitoyables. Pour nous, Britanniques, les catastrophes qui se produisent à
l'autre bout du monde peuvent nous sembler plus difficilement supportables que
celles qui nous menaçaient chez nous, quand les Vandales ébranlaient nos cités,
et que nous nous sentions nous mêmes en plein cœur de la bataille. Mais ces mêmes
qualités qui nous ont permis de survivre aux périls affreux de l'été 1940,
puis à l'automne et au long hiver de bombardements aériens qui l'ont suivi,
ces mêmes qualités nous permettront de traverser cette nouvelle épreuve, plus
dure peut-être, et certainement plus prolongée. Une faute, un crime, oui, un
seul crime, pourrait ravir aux Nations Unies et au peuple Britannique, dont la
constance a rendu possible la Grande Alliance, la victoire d'où dépendent leur
vie et leur honneur. Laisser fléchir notre résolution, et par suite notre unité,
voilà crime mortel. Quiconque s'en rendrait coupable, ou y inciterait autrui,
qu'il soit dit de lui dans l'avenir qu'il aurait mieux valu pour lui qu'on le précipitât
dans la mer avec une pierre au cou.
L'automne dernier, quand la
Russie était au plus profond de sa détresse, ses soldats massacrés ou fait
prisonniers par milliers, les deux tiers de ses industries de guerre, comme
aujourd'hui encore, aux mains de l'Allemagne nazie quand l'ennemi eût pris Kiev
et que les ambassadeurs étrangers eurent reçu l'ordre de quitter Moscou, le
peuple russe ne s'est pas livré aux querelles et aux criailleries. Il s'est
serré les coudes, et s'est mis à combattre et à travailler encore plus dur.
Il n'a pas perdu sa foi en ses chefs, il n'a pas travaillé à disloquer son
gouvernement. Hitler avait espéré trouver des traîtres ; et une cinquième
colonne dans les vastes régions conquises. Il a cherché, fouillé, mais n'a
trouvé personne.
Le régime soviétique est
fondé sur des principes très différents de ceux qu'on trouve en Grande-Bretagne
et aux Ets-Unis. Il n'en reste pas moins que la Russie a reçu des coups que ses
amis et ses ennemis, les uns avec effroi, les autres avec espoir, considéraient
comme mortels. Elle a pourtant réussi à maintenir son unité nationale, et,
persévérant avec un courage intrépide, elle a effectué ce merveilleux
redressement dont nous remercions Dieu aujourd'hui. Le monde anglo-saxon, jouit
de la liberté politique. Le Parlement, comme la presse y est indépendants.
Telle est la coutume de chez nous, et c'est pour la défendre que nous avons
pris les armes. Mais c'est le devoir de tous ceux qui jouissent de ces libres
institutions d'un pays libre de veiller, comme l'ont fait la Chambre des Lords
et la Chambre des Communes, et comme je ne manquerai pas de le faire moi-même,
à ce que le pouvoir exécutif soit établi, en temps de guerre, sur des bases
solides, à ce que rien n'entrave son action, à ce qu'on n'exploite pas contre
lui les erreurs et les revers de la guerre, à ce que, tout en le stimulant par
des conseils et des critiques judicieux et utiles, on lui laisse le temps de
traverser les crises, et après plusieurs échecs cuisants, de se retrouver en
terrain sûr, et de remonter la pente.
Ce soir je m'adresse à ceux de chez nous, aux citoyens des îles britanniques. je m'adresse aussi à vous, Australiens et Néo-Zélandais, pour la défense de qui nous tendrons tous nos muscles, à nos fidèles amis de Birmanie et des Indes, à nos vaillants alliés les Hollandais et les Chinois, et aux Américains, nos frères de race. Je m'adresse à vous tous, sous le coup d'un terrible désastre militaire, dont les répercussions seront lointaines, d'une défaite de la Grande-Bretagne et de l'Empire. Singapour est tombé. Toute la presqu'île de Malacca est envahie. D'autres dangers nous menacent dans cette région, et les anciens périls dont nous avons jusqu'ici triomphé en GrandeBretagne et en Orient, ne sont aucunement diminués. Nous traversons une de ces heures décisives où les Britanniques vont pouvoir montrer le génie de leur race, et faire jaillir, des profondeurs mêmes de leur détresse, la volonté de vivre, et l'élan vers la victoire. C'est le moment de faire preuve de calme et de pondération, sans nous départir de cette résolution farouche, qui, il n'y a pas si longtemps, nous a arrachés aux griffes mêmes de la mort. C'est le moment de montrer une fois de plus comme nous l'avons fait si souvent au cours de notre longue histoire, que nous savons subir les revers avec dignité, et y puiser de nouvelles énergies. Souvenons nous aussi que nous ne sommes plus seuls. Nous sommes en noble compagnie. Les trois quarts du genre humain sont avec nous. Et peut-être l'avenir de l'humanité tout entière dépend-il de nos actes et de notre conduite. Nous n'avons pas failli jusqu'ici, nous n'allons pas faillir maintenant. Avançons résolument, côte à côte, entrons dans la tempête ; nous en verrons la fin.
" ... jamais dette aussi grande des multitudes envers un groupe si infime "
Discours prononcé à la chambre des communes le 20 août 1940
Près d'une année s'est écoulée depuis le début de la guerre, en sorte qu'il est naturel – semble t-il – de nous arrêter une minute à cette pierre militaire afin de parcourir du regard l'horizon vaste et sombre. Il n'est pas en effet inutile de comparer cette première année de la deuxième guerre contre l'agression allemande à celle qui lui correspondit, il y a un quart de siècle.
Bien que la guerre actuelle ne soit à la vérité que la suite de la précédente, il est bien évident que, par bien des côtés, elle présente un tout autre caractère. Dans la dernière guerre, des millions d'hommes se battaient à coups d'énormes masses d'acier. " Des hommes et des munitions " – tel était le mot d'ordre et ce fut un massacre sans nom. Dans celle-ci, rien de pareil ne s'est encore produit. Nous assistons aujourd'hui à une lutte de stratégie, d'organisation, d'outillage technique, d'habileté scientifique et mécanique, de force d'âme.
Pendant les douze premiers mois de la grande guerre, les pertes britanniques s'élevèrent à 365.000. Dans la guerre présente nos tués, blessés, prisonniers et manquants, y compris les civils, ne se montent - je suis heureux de pouvoir le préciser - qu'à 92.000, dont une forte proportion constituée par les prisonniers de guerre. Si bien qu'une vue d'ensemble valable pour toute l'Europe donne les résultats suivants : contre un tué ou blessé durant cette première année de guerre, sans doute cinq en 1914-15.
Le massacre n'est donc pas comparable, mais ses conséquences pour les belligérants sont autrement mortelles. N'avons-nous pas vu de grands pays, dotés de puissantes armées, privés en quelques semaines de toute existence cohérente ? N'avons-nous pas vu la République Française et sa fameuse armée battues, sans que l'armée française eût souffert de pertes comparables à celles d'une seule de la demi-douzaine de grandes batailles livrées en 1914-18 ? Le corps de la France (son âme fut-elle toujours exempte ?) son corps entier a succombé à des effets physiques incomparablement moins terribles que ceux qu'elle subit il y a 25 ans avec un courage et une volonté indomptables.
Bien que jusqu'ici les pertes en vifs humaines aient été heureusement réduites, les décisions intervenues au cours de la lutte ont affecté plus profondément la vie de chaque nation qu'aucun événement depuis les invasions barbares. Sur l'échiquier de la stratégie scientifique, des coups sont portés et des avantages marqués à l'actif des moyens mécaniques. Et voilà des millions d'hommes incapables, ou se jugeant tels, de pousser plus avant la résistance ; une terrible partie d'échecs se poursuit, d'échec en échec jusqu'au mat, qui semble lier les malheureux joueurs, inexorablement.
Autre différence avec 1914, plus évidente encore : ce sont les nations tout entières qui sont plongées dans la guerre. Il ne s'agit plus seulement des soldats mais de toute la population, hommes, femmes et enfants. Les fronts sont partout. On trouve les tranchées dans les villes et dans les rues. Chaque village est fortifié. Chaque route est barricadée. La ligne de feu passe au travers des usines. Les ouvriers sont soldats, avec des armes différentes mais le même courage.
Il y a tout lieu de croire que cette guerre d'un nouveau genre convient particulièrement bien au génie et aux ressources de l'Empire britannique, et que, dès lors que nous aurons l'équipement et l'entraînement nécessaires, une guerre de cette nature doit nous être plus favorable que les sinistres hécatombes de la Somme et de Passchendael. Et s'il faut que toute la nation et tous les citoyens combattent et souffrent ensemble, cela aussi doit bien nous convenir, parce que nous sommes la plus étroitement unie dé toutes les nations, parce que nous sommes entrés en guerre par notre volonté nationale et les yeux, ouverts ; parce que nous avons été élevés, nous avons grandi, dans la liberté et la responsabilité individuelle et qui nous sommes les fils, non de l'uniformité totalitaire, mais de la tolérance et de la variété. Si toutes ces qualités sont appliquées, et elles le sont présentement à l'art de la guerre, peut-être pourrons-nous faire voir à l'ennemi bien des choses auxquelles il ne s'attend guère.
Depuis que les Allemands ont chassé les Juifs, abaissant ainsi le niveau de la technique du Reich, nos savants ont pris une avance marquée. Notre situation géographique, notre maîtrise des mers, ainsi que l'amitié des États-Unis, nous permettent de puiser nos ressources dans le inonde entier et de fabriquer toute espèce d'armes, notamment les armes de grande précision - et cela dans des proportions que seule l'Allemagne des Nazis avait atteintes jusqu'à présent.
Hitler, aujourd'hui, se vautre sur toute l'Europe. Nous sommes en train de bander, de comprimer lentement, les ressorts de notre offensive ; il faut nous préparer résolument, et bien à fond, pour les campagnes de 1941 et de 1942. Deux ou trois ans, ce n'est pas grand' chose, même au regard de nos courtes vies précaires. Mais dans l'histoire d'une nation, ce n'est rien : alors que l'œuvre à laquelle nous nous attelons est la plus belle du monde et que nous avons l'honneur d'être, dans toute l'Europe, le seul champion de la liberté, il ne s'ensuit pas que nos efforts doivent se borner uniquement, pendant les années à venir, à nous défendre et à défendre nos possessions. Une puissance à la fois maritime et terrestre comme la nôtre voit se présenter à elle de nombreuses occasions d'agir ; et il faut que nous soyons prêts à en profiter. L'une des meilleures manières de mener rapidement cette guerre à son terme, c'est de convaincre l'ennemi, non par des paroles mais par des actes, que nous possédons à la fois la volonté et les moyens, on seulement de soutenir indéfiniment le combat, mais d'asséner des coups durs et inattendus. Peut-être le chemin de la victoire sera-t-il moins long qu nous ne nous y attendons, mais nous n'avons pas le droit d'y compter.
Qu'il soit long ou court, uni ou rocailleux, nous saurons le parcourir jusqu'au bout.
Nous sommes décidés à maintenir avec vigilance le blocus complet, non seulement de l'Allemagne, mais encore de l'Italie, de la France et de tous les autres pays qui sont tombés sous les coups de l'Allemagne. Je lis dans les journaux qu'Hitler vient de proclamer, de son côté, le blocus complet des Îles britanniques.. Personne ne peut s'en plaindre. Le Kaiser, je m'en souviens, fit de même pendant la dernière guerre. Par contre, ce dont chacun pourrait à bon droit se plaindre, ce serait de nous voir prolonger le martyre de toute l'Europe, en permettant les importations de denrées alimentaires qui serviraient à nourrir les Nazis, et à les aider à faire la guerre car même si ces aliments étaient destinés aux peuples subjugués, ils seraient certainement pillés par leurs conquérants nazis.
On nous a maintes fois demandé - en invoquant les motifs les plus élevés - de relâcher notre blocus, pour laisser passer les aliments destinés à secourir ces peuples. Je déclare avec regret que nous sommes obligés de rejeter ces demandes. Les Nazis proclament qu'ils' ont institué en Europe une nouvelle économie unifiée. N'ont-ils pas annoncé à plusieurs reprises qu'ils possèdent d'amples réserves alimentaires, et qu'ils sont à même de nourrir les peuples captifs ? La radio allemande déclarait le 27 juin que si le plan de M. Hoover pour l'allègement de la détresse en France, en Belgique et en Hollande, était fort louable, le Commandement allemand avait déjà pris toutes les mesures qui s'imposaient. Tous les pays envahis par Hitler possédaient des stocks considérables, lors de l'entrée des Allemands, et ces pays étaient eux-mêmes de gros producteurs. S'ils n'ont plus maintenant de quoi se nourrir, ce ne peut être que parce que toutes ces provisions leur ont été enlevées pour nourrir le peuple allemand, afin d'augmenter, pour une fois, ses rations.
En cette saison et pour quelques mois encore (car la moisson vient d'être rentrée) les chances de disette sont le moins élevées ; seules les exactions des Allemands ou leur refus de distribuer les vivres dont ils se sont assurés. l'exclusivité, pourraient donc amener la famine dans une région quelconque de l'Europe d'ici le printemps prochain.
Autre aspect du problème: bien des aliments précieux au corps humain sont essentiels à la manufacture de matériels de guerre vitaux. Des corps gras on extrait des explosifs; les pommes de terre donnent l'alcool dont on fera l'essence synthétique; et le lait fournit des matériaux plastiques, universellement employés dans la construction aéronautique. Si les Allemands font usage de ces substances pour mieux bombarder nos femmes et nos enfants, au lieu d'en nourrir les populations qui les produisent, nous pouvons de a même être certains que, directement ou indirectement, toute nourriture importée ne servirait qu'à soulager l'ennemi des responsabilités qu'il a prises d'un coeur léger.
Laissons porter à Hitler tout le poids de ses responsabilités et que les peuples d'Europe qui gémissent sous son joug contribuent par tous les moyens à hâter la venue du jour où ce joug sera brisé ! En attendant, nous pouvons organiser d'avance - et nous le ferons - l'envoi rapide de provisions dans toute région de la zone asservie, dès que cette région sera entièrement nettoyée d'Allemands. et qu'elle aura véritablement recouvré sa liberté.
Nous encouragerons par tous les moyens la constitution de réserves de provisions, réparties dans le monde entier, afin d'être toujours en mesure de faire luire aux yeux des peuples d'Europe, y compris les Allemands et les Autrichiens, la certitude que l'écroulement de la puissance nazie leur apportera à tous la nourriture, la liberté et la paix.
Voici un peu plus de trois mois qu'un nouveau gouvernement a pris le pouvoir dans notre pays. Quelle cascade de désastres s'est abattue sur nous ! Les Hollandais, trop confiants, succombant sous le nombre et leur vénérée et bien-aimée souveraine prenant le chemin de l'exil ; la ville de Rotterdam jadis si paisible, devenue la scène d'un massacre plus hideux et plus brutal que tout ce que l'on avait vu depuis la Guerre de Trente Ans ; la Belgique envahie et écrasée ; notre beau Corps Expéditionnaire, que le roi Léopold avait appelé à son aide, coupé et tout près d'être pris et n'échappant, semble-t-il, que par miracle et au prix de l'abandon de son équipement ; la France, notre Alliée, hors de combat ; et l'Italie entrée en guerre contre nous. La France entière au pouvoir de l'ennemi ! Un gouvernement de pantins établi à Vichy, gouvernement qui peut à tout moment se trouver contraint de devenir notre ennemi! Toute la côte occidentale de l'Europe, du Cap Nord à la frontière espagnole, aux mains des Allemands, tous les ports, tous les aérodromes prêts à servir de tremplin à l'invasion ! Et enfin, la puissance aérienne allemande, numériquement si supérieure à la nôtre, installée aux portes de notre île, si bien que, ce que nous redoutions est arrivé : les bombardiers hostiles venant de nombreuses directions peuvent non seulement atteindre nos côtes en quelques minutes, mais encore être escortés par leurs avions de chasse.
Eh bien, Messieurs, si au début de mai, sur l'immense front nous nous étions trouvés en face d'une pareille perspective, il n'aurait point paru croyable qu'après une telle période d'horreurs et de désastres - qu'au point où nous en sommes de cette période d'horreurs et de désastres - nous serions 'encore debout, sûrs de nous-mêmes, maîtres de notre destin, ayant au cœur comme une flamme inextinguible, la conviction de la victoire finale. Rares sont ceux qui eussent cru que nous survivrions à cette épreuve. Personne n'aurait pu croire qu'aujourd'hui, non seulement nous nous sentirions plus forts, mais que nous serions réellement plus forts que nous ne l'avons Jamais été.
Voyons ce qui s'est passé sur l'autre plateau de la balance. Le peuple et l'Empire Britanniques, se trouvant seuls, ont tenu bon, sans se laisser abattre par le désastre. Nul n'a flanché, nul n'a vacillé. Que dis-je ? Certains qui naguère ne pensaient qu'à la paix, ne pensent plus maintenant qu'à la guerre. Notre peuple est uni et résolu comme il ne l'a jamais été. La mort et la ruine paraissent aujourd'hui peu de chose, en regard de la honte, de la défaite ou d'un manquement au devoir. Nous ignorons ce qui nous attend. Il se peut que nous ayons devant nous de plus dures épreuves encore. Mais quoi que l'avenir. puisse nous réserver, nous sommes prêts à y faire face Nous sommes sûrs de nous et de notre cause, et c'est là le fait suprême et la révélation de ces mois d'épreuve.
Cependant, ce ne sont pas seulement nos cœurs que nous avons fortifiés mais aussi notre île. Nous avons réarmé et recréé nos armées, et cela à un point que l'on eût jugé impossible il y a quelques mois. Nous avons fait passer de ce côté-ci de l'Atlantique, pendant le mois de juillet - grâce à nos amis d'Amérique - une immense quantité de matériel et de munitions de toutes sortes : canons, fusils, mitrailleuses, cartouches et obus. Tout cela est arrivé à bon port : pas un seul canon, pas une seule gargousse ne s'est perdue en route. Nos fabriques, travaillant comme elles ne l'ont jamais fait, déversent à flots leurs produits. Enfin, l'armée britannique tout entière est dans la métropole. Plus de deux millions d'hommes résolus ont cette nuit dans les mains fusil et baïonnette, dont les trois quarts appartiennent à l'armée régulière. Jamais en temps de guerre nous n'avons eu dans notre île d'armées aussi considérables. Toute l'île se hérisse contre l'envahisseur, d'où qu'il vienne, de la mer ou des airs. Comme je l'ai expliqué â la Chambre au milieu du mois de juin, plus notre armée est puissante chez nous, plus grands devront être les effectifs d'invasion. De même, plus vaste sera l'invasion, et plus il sera facile à la Marine Royale de repérer ses concentrations, de les intercepter et de les détruire au passage ; et plus il leur serait difficile au cas où les envahisseurs réussiraient à se glisser au travers de notre action navale et aérienne continue sur leur lignes de communications, de ravitailler leurs troupes. Tout ceci est doctrine classique et reconnue.
Comme aux jours de Nelson, l'ancienne maxime reste toujours vraie : " Les ports de l'ennemi forment notre première ligne de défense. " Aujourd'hui nos aviateurs, par leurs reconnaissances et leurs photographies, sont venus apporter à ce principe une nouvelle et puissante confirmation.
Notre marine est bien plus forte qu'au début du conflit. En effet, voici venir le flot des constructions nouvelles mises sur le chantier en très grand nombre dès la déclaration de guerre. Nous espérons que nos amis d'outre Atlantique vont nous envoyer des renforts qui viendront fort opportunément combler l'écart qui sépare le tonnage d'unités légères du temps de paix que nous avions en 1939, du tonnage d'unité légères de 1941. Aucune difficulté pour l'envoi d'une telle aide, car les mers et les océans restent libres. Les sous-marins ennemis sont contenus. Jusqu'à présent, nous avons su maîtriser de façon effective les mines magnétiques. Au bout de cette année de guerre sous-marine à outrance, au bout de ces huit mois où l'ennemi a intensifié la guerre des mines, le tonnage marchand qui bat pavillon britannique dépasse le chiffre qu'il atteignait au début du conflit. De plus, nous disposons des navires appartenant aux nations captives, navires qui se sont réfugiés dans les ports de la Grande-Bretagne ou de l'Empire, et qui jaugent au total au moins 4 millions de tonnes. Nos stocks de denrées alimentaires de toute nature sont bien plus abondants qu'en temps de paix, et l'on a déjà mis en train tout un grand et progressif programme de production agricole.
Quel motif me pousse à vous dire tout cela ? Certes, ce n'est pas pour nous vanter, ni pour fournir le moindre prétexte à une satisfaction béate. Les dangers qui nous menacent restent énormes, mais énormes aussi nos avantages et nos ressources. Je les énumère parce que notre peuple a le droit de savoir que la confiance qui nous anime s'appuie sur des raisons positives, et que nous n'avons pas tort de nous estimer capables - comme je le disais il y a un mois, en une heure particulièrement sombrer - de poursuivre la guerre " Tout seuls s'il le faut, pendant de longues années s'il le faut. " Si je le répète aujourd'hui, c'est aussi parce que le fait que la Grande-Bretagne se dresse toujours invincible, et qu'elle continue de résister sans broncher au nazisme, rallumera une étincelle d'espérance aux coeurs de centaines de millions d'hommes et de femmes opprimés et désespérés, en Europe ou hors d'Europe, et que de toutes ces étincelles réunies jaillira bientôt une flamme dévorante et purificatrice.
La grande bataille aérienne qui se livre depuis quelques semaines au-dessus de notre île vient d'atteindre ces derniers jours une violence sans précédent. Il est encore trop tôt pour tenter d'assigner des limites, soit à l'ampleur qu'elle atteindra, soit à sa durée. Sans aucun doute, mous devons nous attendre à voir l'ennemi déployer de plus grands efforts qu'il ne l'a jamais fait. En France, en Belgique et aux Pays-Bas, il continue à établir et à perfectionner, pour s'en servir contre nous, de nouveaux aérodromes, et à y transporter les escadrilles et le matériel dont il a besoin pour ses attaques. Hitler ne peut évidemment pas se résigner à s'avouer vaincu, dans la guerre aérienne qu'il fait à la Grande-Bretagne, sans que son prestige s'en trouve gravement atteint. Si après toutes ses vantardises, après toutes ses horribles menaces, après tous les comptes-rendus terrifiants qu'il va claironnant au monde - proclamant les ravages épouvantables qu'il a faits chez nous, le nombre énorme de nos avions qu'il a abattus - à ce qu'il dit tout en perdant si peu lui-même ; si après avoir dépeint les Anglais frappés de panique et se terrant dans leurs trous et maudissant le gouvernement de plutocrates qui les a mis en pareille posture, si après tout cela, dis-je, toute sa grande attaque aérienne devait faire long feu, on verrait s'écrouler la légende de l'infaillibilité du Fuehrer.
Nous pouvons donc être sûrs qu'il continuera tant qu'il aura la force de le faire, et tant que le lui permettront les préoccupations que peut lui causer l'aviation des Russes. Par contre, les conditions et le cours de la lutte nous ont été jusqu'ici favorables. Voici deux mois, j'ai dit à la Chambre que si en France nos avions de chasse infligèrent régulièrement à l'ennemi des pertes deux ou trois fois, et dans le no man's land de Dunkerque, trois ou quatre fois plus grandes que les nôtres, nous nous attendions à réaliser, en cas d'une attaque sur cette île, une proportion meilleure encore, et les faits nous ont sans nul doute donné raison.
Tous les appareils et tous les pilotes ennemis abattus sur notre île ou dans les eaux qui l'entourent, sont détruits, tués ou pris ; par contre lorsqu'il s'agit des nôtres, nous récupérons en nombre considérable appareils et pilotes, qui se trouveront bientôt remis en état de reprendre le combat.
Un admirable système de récupération, dirigé par le Ministre de la Production aéronautique, assure non seulement le prompt retour au front de combat des appareils endommagés, mais encore un service rapide et prévoyant de toutes les pièces et de tout le matériel récupérés.
En outre, grâce à. la façon presque miraculeuse, dirait-on, dont lord Beaverbrook, par son attaque et son génie d'organisateur, a su accélérer le rythme de la fabrication et de la réparation des avions britanniques, nous disposons d'immenses réserves d'appareils de tous les types, et la quantité et la qualité de notre production s'élèvent toujours davantage.
Bien entendu, nos ennemis sont bien plus nombreux que nous, mais notre production actuelle, à ce que j'apprends, dépasse déjà de beaucoup la leur, et la production de l'Amérique commence seulement à nous parvenir. Je constate d'après les rapports que je reçois chaque jour, qu'après tous ces combats, nous possédons plus de bombardiers et d'avions de chasse que nous n'en avons jamais eus.
Nous avons l'espoir, la conviction que nous pourrons soutenir cette lutte aérienne indéfiniment, et aussi longtemps qu'il plaira à l'ennemi. Plus elle durera et plus nous nous rapprocherons, d'abord de l'égalité des deux aviations, puis de la suprématie de la nôtre - suprématie dont dépend pour beaucoup l'issue de la guerre.
Il n'est pas de foyer dans notre île, ni dans notre empire, ni même dans le monde entier - si ce n'est chez les Coupables - qui ne soit plein de reconnaissance envers ces preux aviateurs britanniques qui, sans se laisser intimider par le nombre, relevant sans cesse le défi, et affrontant sans cesse la mort, font reculer par leur vaillance et leur dévouement le flot menaçant de cette guerre mondiale. À la vérité, l'histoire des guerres ne vit jamais de dette aussi grande des multitudes envers un groupe si infime. Tous les vœux de nos cœurs émus vont vers nos pilotes de chasse, dont nous voyons de nos propres yeux, jour après jour, les magnifiques prouesses ! Mais n'oublions jamais que tout le temps, que chaque nuit, et depuis de longs mois, nos escadrilles de bombardiers s'en vont au loin survoler l'Allemagne et y découvrir leurs objectifs dans l'obscurité ; nos pilotes dirigent leurs attaques avec une habileté merveilleuse, s'exposant souvent à un tir nourri, subissant souvent de grosses pertes, mais n'en continuant pas moins, avec une précision réfléchie et méticuleuse, à porter des coups écrasants aux points les plus sensibles de l'édifice technique qui fournit aux Nazis leur puissance guerrière.
Aucune partie de la R.A.F. ne supporte plus lourdement le poids de la guerre que nos bombardiers de jour, dont le rôle sera capital en cas d'invasion et dont déjà il a fallu à de nombreuses reprises modérer le zèle inflexible.
Nous sommes en mesure de vérifier les résultats de nos bombardements d'objectifs militaires en Allemagne, non seulement par les rapports qui nous parviennent de sources nombreuses, mais encore, bien entendu, par la photographie aérienne.
Je n'hésite pas à dire que le bombardement des industries de guerre et des communications en Allemagne, et des bases aériennes et des dépôts de carburants qui servent à nous attaquer (bombardement qui se poursuivra sans relâche jusqu'à ce que, dans un an peut-être, il atteigne des proportions qui dépasseront l'imagination) nous offre un des moyens les plus sûrs, sinon les plus rapides, de gagner la guerre.
Même si les légions d'Hitler triomphaient sur les rivages de la Mer foire ou même sur ceux de la Caspienne; même s'il parvenait jusqu'aux Fortes de l'Inde, cela ne lui serait d'aucun profit si en même temps tout l'appareil économique et scientifique de la puissance militaire allemande se Mouvait pulvérisé et gisait en ruines sur le territoire du Reich.
Le fait qu'une grande invasion de cette île soit devenue de plus en plus hasardeuse chaque semaine qui s'est écoulée depuis la délivrance de notre armée à Dunkerque, et notre très grande prépondérance maritime nous permettent de plus en plus de diriger nos regards et nos forces vers la Méditerranée et vers cet autre ennemi qui, sans la moindre provocation, froidement et de propos délibéré, appâté par la proie et le gain, poignarda la France dans le dos au plus fort de sa détresse et lance maintenant ses armées contre nous en Afrique.
Comme il fallait s'y attendre, l'armistice de 1940 porta un coup terrible à notre situation dans le théâtre qu'on appelle assez bizarrement le Moyen-Orient. Ainsi, pour aider à la défense de notre Somalie, nous avions compté sur les forts effectifs français de Djibouti pour prendre les Italiens à revers. Également nous avions compté sur l'appoint des bases navales et aériennes françaises en Méditerranée, et particulièrement le long du littoral de l'Afrique du Nord française. Nous avions compté sur la Flotte française. Lors même que la France Métropolitaine se trouvait temporairement hors de combat, rien n'empêchait la Flotte française, de vastes contingents de l'Armée française, l'aviation française et l'Empire d'outre-mer de continuer la lutte à nos côtés.
Derrière le rempart de notre écrasante supériorité navale, disposant de bases stratégiques capitales et d'amples ressources financières, la France eût pu conserver sa place au milieu des grands belligérants. Ce faisant, elle eût sauvegardé la continuité de son existence, et l'Empire français se fût lancé, aux. côtés de l'Empire britannique, à la reconquête de l'indépendance et de l'intégrité de là Patrie française. Pour nous, si nous avions été placés dans la même terrible situation que la France, aujourd'hui contingence heureusement impossible, quand bien même il eût été du devoir évident de tous nos chefs de guerre de continuer la lutte ici jusqu'au bout, un devoir plus impérieux encore les eût appelés (comme je l'ai indiqué dans mon discours du 4 juin) à assurer dans toute la mesure du possible la sécurité navale du Canada et. de nos Dominions, et à leur donner les moyens de continuer la lutte d'outre océan. La plupart des autres pays que l'Allemagne occupe jusqu'à nouvel ordre persévèrent, vaillants et fidèles, dans leur voie. Les Tchèques, les Polonais, les Norvégiens, les Hollandais et les Belges sont toujours à leur poste, les armes à la main, seuls représentants et seuls gouvernements légaux de leurs états respectifs reconnus par la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Que la France seule soit dans l'heure présente accablée et comme anéantie est le crime, non d'une grande et noble nation, mais de ceux qui ont nom " les hommes de Vichy. " Notre sympathie est profonde pour le peuple français. Elle n'est pas morte, la vieille camaraderie qui nous unissait à la France. Dans la personne du général de Gaulle et sa vaillante cohorte, notre camaraderie prend une forme agissante. Tous ces Français libres ont été condamnés à mort par Vichy ; mais le jour se lèvera, aussi sûrement que le soleil demain, où leurs noms, riches d'honneurs reconnus, seront gravés dans la pierre de toutes les rues et de tous les villages d'une France rendue à sa pleine liberté et à son ancienne renommée, dans une Europe sauvée. Seulement, la conviction que j'ai quant à l'avenir ne saurait influencer les problèmes immédiats qui nous assaillent dans la Méditerranée et en Afrique. Nous avions pris la décision, dès avant le début de la guerre, de ne pas défendre notre Protectorat de la Somalie. Lorsque le petit contingent que nous y avions se vit attaqué par l'ensemble des troupes italiennes (près de deux divisions), qui faisaient face jusque-là aux Français de Djibouti, nous eûmes raison de lui donner l'ordre de se retirer à peu près intact, et prêt â se battre ailleurs.
Dans le Proche-Orient, des opérations plus importantes sont sans doute imminentes. Je n'essaierai pas de discuter ni de prévoir quel en sera le cours probable. Nous possédons de grandes armées et de nombreux moyens de les renforcer. Nous sommes complètement maîtres de la Méditerranée Orientale. Nous avons l'intention de donner le meilleur de nous-mêmes pour faire bonne figure, et remplir, fidèles et résolus, nos devoirs et nos obligations dans cette partie du monde. Ceci dit, la Chambre ne saurait attendre plus de moi pour le moment.
Des personnes en assez grand nombre m'ont écrit, me demandant de profiter de cette occasion pour définir plus avant nos buts de guerre (et le genre de paix que nous voulons qui lui succède) que ne le fit notre déclaration pourtant substantielle du début de l'automne dernier. Depuis lors la Norvège, la Hollande et la Belgique se sont jointes à nous ; nous avons reconnu le Gouvernement tchèque du Dr. Bénès, et nous avons dit au général de Gaulle que notre succès entraînerait la résurrection de la France. Je pense qu'il serait inopportun dans la conjoncture présente, alors que la bataille qui fait rage n'est peut-être qu'à son début, de nous adonner à de laborieuses spéculations sur les formes futures de l'Europe, ou les mesures de sécurité qu'il faudra prendre pour épargner à l'humanité les misères d'une troisième guerre mondiale.
Le terrain, loin d'être vierge, a été exploré et battu ; et tous les hommes de bonne volonté y trouvent certaines idées communes sur lesquelles ils sont d'accord. Mais avant de pouvoir entreprendre la tâche de reconstruction, il ne suffit pas d'être nous-mêmes convaincus que la tyrannie nazie sera finalement écrasée ; il faut en convaincre les autres nations. Le droit de diriger l'Histoire des nations est la plus noble couronne de la victoire. Nous en sommes encore à peiner vers le sommet ; la perspective qui s'étend au delà, non seulement échappe encore à notre vue, mais l'imagination elle-même ne conçoit pas comment elle nous frappera en ce matin tant attendu où nous la dominerons du regard. La tâche que nous voyons immédiatement devant nous est à la fois plus pratique, plus simple et plus sombre. J'espère, plus encore, je prie, pour que la victoire ne nous trouve pas indignes si d'aventuré elle vient à nous d'en haut après que nous aurons beaucoup peiné et travaillé. Soyons donc victorieux. C'est là notre mission.
Il est une direction, cependant, où la lumière se dérobe moins à nos yeux. Il nous faut songer non seulement à nous-mêmes, mais aussi à la sauvegarde durable de la cause et des principes pour lesquels nous luttons, et à l'avenir lointain du Commonwealth britannique des nations.
Depuis quelques mois, nous avons acquis la conviction. qu'il était de l'intérêt, aussi bien des États-Unis que de l'Empire britannique, que les États-Unis aient à leur disposition les moyens de défendre l'hémisphère occidental, sur mer comme dans les airs,, contre l'agression de la puissance nazie, qui pourrait s'être assuré la haute main provisoirement, mais cependant pour un temps assez long, sur une grande partie de l'ouest de l'Europe.
Nous avons donc pris spontanément la décision - sans qu'on nous le demande et sans qu'on nous y incite en quelque façon que ce soit - de faire savoir au Gouvernement des États-Unis que nous mettrons volontiers à sa disposition les moyens de défense qu'il lui faut, en lui cédant à bail certains emplacements situés dans nos possessions d'outre - Atlantique, afin qu'il puisse se garantir contre les dangers incalculables qui pourraient le menacer à l'avenir. Ce principe de la communauté d'intérêts entre la Grande-Bretagne et les États-Unis avait été - admis et appliqué dés avant la guerre. Plusieurs accords avaient été conclus sur de petites îles du Pacifique, devenues importantes en tant qu'escales aériennes. Cette ligne de pensée nous trouva toujours en harmonie parfaite avec le Gouvernement du Canada.
Sur ces entrefaites nous apprîmes que la défense navale et aérienne du littoral atlantique préoccupait également l'opinion aux États-Unis, et voici que le Président Roosevelt a fait savoir qu'il aimerait discuter avec les Dominions du Canada et de Terre-neuve et nous, de l'extension des facilités navales et aériennes accordées aux États-Unis, à Terre-neuve et aux Antilles. Je n'ai point besoin de dire qu'il n'a jamais été question d'un transfert de souveraineté, lequel n'a jamais été proposé, ni de prendre des mesures à l'insu ou contre les désirs des diverses colonies intéressées. Le Gouvernement de Sa Majesté est prêt à céder à bail pour 99 ans aux États-Unis les moyens de défense de ces territoires, et je suis convaincu que leurs intérêts, comme les nôtres, les intérêts du Canada et de Terre-Neuve, comme ceux des colonies elles-mêmes, seront servis par ces mesures capitales.
Il ne fait aucun doute que, par suite de leur application, les deux grands organismes que constituent les démocraties de langue anglaise – l'Empire Britanniques et les États-Unis – se trouveront forcément tant soit peu mêlés l'un à l'autre, dans certains domaines, pour leur plus grand bien à tous deux, et pour le bénéfice de l'intérêt général.
Pour moi, j'envisage l'avenir, cette étroite association ne me cause point d'émoi. À la rigueur, je pourrais le voiler, mais je ne saurais l'empêcher, car nul au monde ne le pourrait. Comme par les flots du Mississipi, nous y sommes irrésistiblement entraînés. Laissons donc ce courant nous porter ; qu'il s'enfle toujours plus, inexorable, invincible – qu'il s'avance vers des champs plus vastes et vers des jours meilleurs.
" Le Gouvernement de Bordeaux s'est livré à l'ennemi "
Déclaration à la chambre des
communes, le 25 juin 1940
La Chambre éprouvera une douleur profonde en apprenant le sort de la grande
nation française, à laquelle nous avons été si longtemps unis dans la guerre
comme dans la paix, et que nous avions considérée comme la co-dépositaire de
la culture libérale et de la tolérance en Europe. Reproches et récriminations
seraient hors de saison ; nous espérons que vie et puissance nous seront
données pour relever la France de la ruine et de l'esclavage où la force et la
furie de l'ennemi l'ont plongée et d'autres causes encore ; et que l'Empire
français, toujours protégé par la puissance navale, continuera la lutte aux
côtés de ses alliés. Nous voulons croire que le siège du Gouvernement s'y
transportera pour y poursuivre la lutte pour victoire en organisant des armées
de libération.
C'est aux Français qu'il
appartient de décider ; mais il nous est difficile de croire que les intérêts
de la France et l'esprit français ne trouveront pas d'autre expression que les
tristes décisions du Gouvernement de Bordeaux.
Nous soutiendrons donc de notre mieux, de notre bon vouloir et de nos
ressources, tout mouvement déclenché par des Français qui échappant encore
à l'ennemi, travailleraient à la défaite de la barbarie nazie et à la
restauration de la liberté et de la France. Ce que seront nos relations avec le
Gouvernement de Bordeaux, je ne puis vous le dire. Il s'est livré à l'ennemi
et il reste totalement en son pouvoir. Les nouveaux dirigeants de la France
contribueront peut-être à rendre nos relations difficiles par la flatterie ou
la rigueur, par la propagande ou le choix de ministres pro Allemands. Mous ne
savons pas s'il nous sera loisible d'avoir un représentant dans la France
diminuée qu'on appelle " la France non occupée " cernée qu'elle est
et contrôlée par l'ennemi. Mais nous avons toujours confiance dans le vrai
génie du peuple français, et dans le jugement qu'il portera sur les récents
événements lorsqu'il connaîtra les faits. Nous ferons d'ailleurs tous nos
efforts pour maintenir le contact à travers les barreaux de sa prison. En
attendant, nous devons nous occuper de notre propre salut et de notre défense,
dont dépendent non seulement notre propre sort, mais aussi celui de la France,
de l'Europe et du monde.
La sécurité de la Grande-Bretagne et de l'Empire britannique est puissamment, mais non pas décisivement, affectée par le sort de la flotte française. Lorsqu'il devint clair que la défaite et la soumission de la France étaient imminentes, et que sa magnifique armée, qui nous avait inspiré tant d'espoirs, fléchissait sous le fléau allemand, M. Reynaud, le courageux Premier Ministre français, me demanda d'aller à Tours. J'y suis allé, le 13 juin, accompagné du Ministre des Affaires Étrangères, et de Lord Beaverbrook, Ministre de la Production Aéronautique. Je tiens à déclarer que certains comptes-rendus que le Gouvernement de Bordeaux a donnés de ces entretiens ne correspondent pas du tout à la réalité. Bien entendu, un des secrétaires du Cabinet, qui nous a accompagnés, a pris le procès-verbal de ces conversations. Je n'ai pas l'intention de les analyser en détail. Qu'il me suffise de dire qu'après m'avoir parlé de la situation au front et de l'état de l'armée française – dont j'étais au courant - M. Reynaud me demanda si la Grande-Bretagne pouvait consentir â libérer la France de son obligation de ne pas négocier un armistice ou une paix séparée sans le consentement de son Alliée britannique. Je connaissais toute l'étendue des souffrances de la France, je n'ignorais pas que jusqu'alors nous n'avions pas subi d'épreuves comparables et que notre apport sur le champ de bataille n'avait pas été égal à celui de la France. Néanmoins je me vis dans l'obligation de déclarer que nous ne pouvions pas donner notre consentement.
Je fis savoir à M. Reynaud qu'il était inutile d'ajourer par des reproches mutuels aux nouvelles misères que nous réservait sans doute l'avenir, mais que je ne pouvais donner mon consentement. Nous nous mîmes d'accord pour lancer un nouvel appel au Président Roosevelt. Si la réponse ne suffisait pas à M. Reynaud pour continuer la lutte - après tout, M. Reynaud représente sans aucun doute l'esprit de résistance - alors nous devions nous rencontrer à nouveau pour prendre les décisions qui s'imposeraient â la lumière des nouvelles circonstances.
Le 16, je reçus un message de M. Reynaud, qui avait établi son gouvernement à Bordeaux, m'annonçant que la réponse américaine n'était pas satisfaisante, et me demandant à nouveau de libérer la France des obligations que lui imposait l'accord franco-anglais. Je convoquai immédiatement le Cabinet et nous arrêtâmes de concert un message à M. Reynaud, dont je ne donne pas le texte exact, mais dont voici la substance : des négociations séparées, en vue d'un armistice ou de la paix, ne peuvent dépendre que d'un accord conclu par la Grande-Bretagne avec la République Française, et non avec un homme d'état français quel qu'il soit. Elles engagent donc l'honneur de la France. Toutefois, étant donné tout ce que le peuple français a souffert, étant donné les forces qui de toute évidence agissent sur lui, et pourvu que la flotte française soit envoyée dans des ports britanniques pour y demeurer tant que dureront les négociations, le Gouvernement de Sa Majesté donne son consentement à ce que le Gouvernement français fasse des démarches en vue d'apprendre quelles conditions d'armistice pourraient, lui être consenties. Nous terminâmes en déclarant que le Gouvernement de Sa Majesté était résolu à continuer la guerre sans l'aide de la France et qu'il se désassociait formellement de toutes négociations visant à un armistice.
Ce même soir du 16, tandis que je me préparais à aller rencontrer M. Reynaud sur son invitation (j'étais même dans le train), je reçus la nouvelle qu'il avait démissionné, et qu'un nouveau gouvernement avait été formé, sous la présidence du maréchal Pétain - gouvernement dont la première tâche serait de rechercher un armistice avec l'Allemagne. Dans ces conditions, nous fîmes, bien entendu, tout ce qui était en notre pouvoir pour mettre la flotte française en sûreté. Nous rappelâmes au nouveau gouvernement que la condition que nous jugions indispensable à notre consentement, à savoir l'envoi de la flotte dans un port britannique, n'avait pas été remplie... Or ce n'est pas le temps qui manquait pour prendre cette précaution, qui n'eût en aucune façon influé sur les négociations. Car les clauses de l'armistice n'auraient guère pu être plus sévères qu'elles ne l'ont été.
Afin de renforcer la force de nos convictions nous envoyâmes le Premier Lord de la Mer et le Premier Lord de l'Amirauté, ainsi que Lord Lloyd, pour établir si possible contact avec les nouveaux Ministres. Naturellement, à ce moment, tout était en train de s'écrouler, mais de nombreuses assurances solennelles nous furent données qu'on ne permettrait jamais que la flotte tombât aux mains des Allemands. Ce fut donc " avec douleur et stupeur " - pour reprendre les mots de la déclaration gouvernementale de dimanche - que j'ai lu l'article 8 des conditions de l'armistice.
Cet article, que le Gouvernement français a accepté, stipule que la flotte française, à l'exception de certaines unités destinées à la sauvegarde des intérêts français dans l'Empire colonial, sera réunie dans des ports qui seront spécifiés pour y être démobilisée et désarmée sous contrôle allemand ou italien. De ce texte, il ressort clairement que par cet armistice, les vaisseaux de guerre français passent tout armés sous le contrôle allemand et italien. Bien entendu, nous prenons note de la déclaration solennelle du Gouvernement allemand qui figure dans le même article, selon laquelle il n'a pas l'intention d'employer ces navires pendant la guerre. Que vaut-elle ? Demandons à une demi-douzaine de pays quelle est la valeur d'une telle assurance solennelle. De plus, le même article exclut de l'application de ces assurances et de ces déclarations solennelles les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au draguage des mines. Sous cette clause, il serait possible au Gouvernement allemand d'affecter toutes les unités de la flotte française à la surveillance côtière. Finalement, sous n'importe quel prétexte de non observation, l'armistice peut être annulé à tout moment, les conditions de l'armistice autorisent explicitement les Allemands à formuler de nouvelles demandes lorsque le moment sera venu d'une paix éventuelle entre la France et l'Allemagne. Voilà un très bref résumé des points saillants de cet épisode .mémorable et lamentable dont l'histoire donnera sans doute une analyse beaucoup plus détaillée.
La Chambre ne s'attend certes pas à ce que je parle de l'avenir. La situation est à l'heure actuelle si incertaine et si obscure qu'il serait contraire à l'intérêt public que je me prononce ou spécule à ce sujet. Mais il est possible que j'aie du nouveau â annoncer, si la Chambre me permet de lui faire une déclaration plus détaillée la semaine prochaine. En attendant, j'espère que la Chambre continuera à avoir pleine confiance dans le Gouvernement de Sa Majesté, et saura que nous ne manquerons ni de patience ni de résolution pour prendre les mesures indispensables au salut de l'Empire.
" L’âme de la France ne pourra jamais mourir "
Message envoyé au Général de Gaulle, le 14 juillet 1941.
Il y a deux ans, je me trouvais sur les Champs Élysées et regardais avec émotion se dérouler le magnifique défilé de l’armée française et coloniale.
Que de catastrophes en deux terribles années ! Que d'États foulés aux pieds par les nazis, livrés à leur servitude ! Et c'est ainsi que des millions de Français se sont trouvés provisoirement en but à d'insurmontables difficultés. Si quelques-uns s'effondrent sous le faix, se laissant par désespoir glisser dans l'abîme sans fond, l'âme de la France, elle, ne pourra jamais mourir, et de toutes les ruines et de toutes les misères, l'esprit du peuple français resurgira, purifié et rajeuni par l'épreuve.
À vous et à vos vaillants camarades, j'adresse ce salut et ce message de bonne volonté. J'adresse ce message à tous les vrais Français, à toute les vraies Françaises, où qu'ils se trouvent, quelles que soient leur pénible condition, pour leur dire que la nation et l'Empire britanniques sont toujours en marche sur la grande route qui mine à la victoire. Je suis convaincu qu'il sera donné à la plupart d'entre nous de voir un autre Quatorze Juillet, mais celui-là au milieu des gloires restaurées de la France, lorsque parmi les rumeurs de l'Europe libérée, nous fêterons la liberté et la paix.
Sans doute, de longues et dures années sont-elles à traverser, mais l’issue du moins est certaine, et la fin justifiera les peines.
Il est de bon augure que ce quatorze Juillet voie la Syrie libérée du contrôle de Wiesbaden, nettoyé des intrigues et dés infiltrations du Boche. Par les mains britanniques et françaises, l'indépendance et la souveraineté des peuples arabe peuvent être maintenant restaurées, les intérêts historiques de la France en Syrie étant par ailleurs reconnus et sauvegardés.
C'est donc d'un cœur réconforté que nous pouvons vous tourner à nouveau vers notre labeur et notre devoir.
DISCOURS PRONONCÈ LE 10 NOVEMBRE 1942, AU GUILDHALL, DANS LA CITÉ DE LONDRES, À L'OCCASION DU LUNCH OFFERT PAR LE LORD MAIRE
Mon Lord Maire, nous vous avons entendu conclure que la situation vient de connaître une certaine amélioration sur les divers théâtres d'hostilités.
Classiquement, dans nos guerres les épisodes sont défavorables, tandis que, jusqu'ici du moins, l'issue en fut toujours accordée à nos vœux. Sur nous, les vagues peuvent bien déferler et les courants nous enserrer de leurs tourbillons : c'est en avant que le flux de la marée nous emporte.
Dans la dernière guerre, c'est presque jusqu'à la dernière heure que nous avons subi déception sur déception, et des désastres autrement sanglants que ceux de cette guerre ; mais finalement, l'ensemble du bloc ennemi s'est écroulé d'un seul coup : ce fut une brusque capitulation générale.
Si nous n'avons pas encore fait prisonniers autant d'Allemands qu'ils ont capturé de Britanniques, il ne fait pas de doute que nous verrons un beau jour ces prisonniers allemands arriver en troupeaux, comme la dernière fois.
Je n'ai jamais promis autre chose que sang, pleurs, labeurs, et sueurs. Mais voici que nous éprouvons quelque chose de nouveau : une victoire, et c'est une victoire remarquable et clairement définie, frappant les casques de nos soldats et réchauffant nos cœurs comme un rayon de soleil.
Feu M. Venizelos faisait le constat que dans toutes ses guerres, l'Angleterre - il aurait dû dire évidemment la Grande-Bretagne - gagne régulièrement une bataille - la dernière. Cette fois-ci, il me semble que nous sommes un peu en avance.
Le général Alexander et son brillant lieutenant, le général Montgomery, ont remporté une victoire glorieuse et émouvante dans ce que l'histoire devrait désigner sous le nom de la Bataille d'Égypte. L'armée de Rommel a été vaincue; elle a été mise en déroute; elle a été largement annihilée en tant que force combattante.
Cette bataille, nous ne l'avons pas livrée afin de nous emparer de positions ou de conquérir une portion quelconque de territoire désertique.
Si les généraux Alexander et Montgomery ont livré cette bataille, c'est dans un seul dessein bien clair: détruire la force armée de l'ennemi, la détruire sur place, ou là où le désastre serait le plus étendu et le plus difficile à réparer.
Tous les éléments en ligne ont joué leur rôle à la victoire: les troupes indiennes, celles de la France Combattante, les Grecs, les forces tchécoslovaques, tous ont joué leur rôle activement.
Et les Américains aussi ont rendu des services inestimables dans les airs. Mais tel fut le cours de la bataille qu'en fait elle opposa du commencement à la fin, d'un côté des Britanniques, presque rien que des Britanniques, fils de la Métropole ou des Dominions, et de l'autre, des Allemands.
Quant aux Italiens, ils ont été abandonnés dans le désert aride pour y périr ou pour se rendre (comme ils ne manquèrent pas de le faire par dizaines de milliers). Mais la lutte entre Britanniques et Allemands a été d'une intensité et d'un acharnement sévères. C'était en vérité une lutte à mort. Or, les Allemands ont été surclassés et battus par les armes mêmes qu'ils usèrent pour écraser tant de petits peuples et aussi de grandes nations, prises au dépourvu. Ils ont été battus par un appareil technique identique à celui qui devait leur assurer la domination du monde. Ceci est surtout vrai pour les avions, les tanks et l'artillerie-cette arme qui a repris la place qui lui revenait de droit sur le champ de bataille.
Les Allemands ont vu se retourner contre eux le même volume de feu et d'acier qu'ils ont si souvent infligé aux autres. Que cela ne soit ni la fin, ni
même le commencement de la fin, d'accord mais n'est-ce pas la fin du commencement ?
Dorénavant les Nazis d'Hitler auront aflàire à des troupes disposant d'un armement égal, sinon supérieur. À l'avenir ils auront à faire face sur maints théâtres d'opérations à cette supériorité aérienne qu'ils ont si souvent utilisée sans pitié pour les autres, et qu'ils ont à l'envi proclamée à l a face du monde, ce inonde dont ils désirent être les maîtres. Cette supériorité aérienne, ils l'avaient souvent employée à persuader aux autres peuples qu'il serait vain de leur résister.
Lorsque je lisais la description de la route côtière bondée de véhicules allemands en fuite sous les attaques continuelles de la Royal Air Force, je ne pouvais m'empêcher de songer à ces routes de France et de Flandres encombrées non de soldats, mais de réfugiés sans défense, de femmes et d'enfants, fuyant avec de pitoyables charrettes chargées de quelques objets familiers, et à la cruauté sans pitié abattue sur cet exode. Je suis, je l'espère, naturellement enclin à la bonté ; mais je dois dire que je ne pouvais m'empêcher de penser que ce qui s'était passé, tout tragique que ce fût, c'était le cours régulier de la justice !
J'ai le devoir de donner au Parlement, dans un avenir proche, un récit complet et détaillé de ces opérations. Tout ce que je puis dire à présent, c'est que la victoire remportée semble devoir être finale et décisive pour la défense de l'Egypte.
Mais cette bataille de l'Égypte si importante en soi, était aussi destinée àforiner le prélude et la contre-partie de l'opération capitale entreprise à l'extrêmité occidentale de la Méditerranée, opération conduite par les États-Unis et dans laquelle notre armée, notre aviation et surtout notre marine jouent un rôle important. Il a été publié des comptes-rendus très complets sur ce qui se passe au Maroc, en Algérie et en Tunisie. C'est le Président des États-Unis, en sa qualité de Commandant-en-Chef des forces armées de l'Amérique, qui est l'instigateur de cette entreprise gigantesque.
Tout au long, j'ai été son lieutenant actifet ardent. Vous avez certainement lu la déclaration du Président Roosevelt, que le Gouvernement de Sa Majesté a solennellement contresignée, relative au strict respect des droits et intérêts de l'Espagne et du Portugal, aussi bien par l'Amérique que par la Grande-Bretagne. Notre seul voeu dans notre politique à l'égard de ces pays est d'indépendance et de liberté, de prospérité et de paix. Oui, la Grande-Bretagne et les États-Unis feront tout ce qu'ils pourront pour l'essor économique de la péninsule ibérique. Les Espagnols en particulier, après tant d'épreuves, aspirent à juste titre au paisible relèvement de leur contrée.
Comment dans l'heure présente, nos pensées ne se tourneraient-elles pas vers la France, qui gémit sous la botte allemande ? D'aucuns se posent la question : " Est-ce la fin de la France ? Est-ce que cette histoire longue et fameuse, qu'illustre tant de manifestations de génie et de valeur, précieuses pour la culture, la civilisation et surtout les libertés de l'homme, est-ce que toute cette histoire va sombrer dans le passé ? ou bien la France va-t-elle se lever pour reprendre la place qui lui revient de droit au sein de ce qui sera bientôt peut-être la famille européenne régénérée ? "
Je vous déclare en cette heure historique et au moment même où des Français égarés ou subornés tirent sur ceux qui viennent pour les sauver, je vous déclare que j'ai foi dans la résurrection de la France. Tant qu'il y aura des hommes comme le général de Gaulle et ceux qui le reconnaissent pour guide (et ces hommes sont légion en France), tant qu'il y aura des hommes comme le général Giraud, ce soldat dont nulle prison ne peut emmurer le courage, tant qu'il y aura de tels hommes pour se dresser au nom de la France, ma confiance dans l'avenir de la France demeurera inébranlable.
Pour notre part nous n'avons qu'un désir : voir la France forte et libre, entourée de son Empire, et réunie à l'Alsace Lorraine restaurée. Nous ne convoitons aucune possession française ; nous n'avons aucun appétit de conquête, aucune ambition en Afrique du Nord, ni en aucune partie du monde. Nous n'avons pas déclaré cette guerre dans un esprit de gain et d'agrandissement, mais pour l'honneur, et afin d'accomplir notre devoir dans la Défense du Droit.
Je tiens cependant à apporter cette précision, afin qu'il n'y ait méprise nulle part.
Nous avons l'intention de garder ce qui est à nous. Car si je suis devenu le Premier Ministre du Roi, ce n'est certes pas pour présider à je ne sais quelle liquidation de l'Empire britannique. Si une telle abdication devait être, il faudrait alors chercher un autre premier ministre, et par conséquent, en bon régime démocratique, la nation aurait son mot à dire.
Je suis fier, Messieurs, d'appartenir à ce vaste " Commonwealth " de nations, réunies autour de la vieille monarchie anglaise, communauté sans laquelle la bonne cause pourrait bien disparaître de la face du monde. Car nous sommes toujours là, roc posé par la Providence pour dominer cet univers à la dérive. Rappelons-nous le temps bien proche encore où durant une année nous fûmes seuls à tenir. Ce temps n'est plus, Dieu merci.
Si aujourd'hui notre avance se fait en bonne et brave compagnie, notre passé nous enseigne que nous n'avons rien à craindre. Nous ne devons d'excuse à personne. Ce que nous avons accompli est assez éloquent et la reconnaissance des hommes libres du monde entier nous est acquise.
J'ai déjà dit bien des fois que nous ne recherchons aucun avantage territorial dans cette guerre ; ni aucun privilège d'ordre économique et que nous ne voulons porter atteinte à aucune souveraineté, ni à aucune frontière.
Si nous avons pris pied en Afrique du Nord aux côtés de nos frères d'armes américains, c'est pour une raison seule et unique : nous voulons nous assurer un tremplin pour ouvrir un second front contre Hitler et l'hitlérisme, nettoyer les rivages d'Afrique de la souillure de la tyrannie hitléro-fasciste, et ouvrir la Méditerranée toute grande à la puissance aéronavale dus Alliés, afin de libérer les peuples de l'Europe de l'abîme et de la misère où ils gisent, victimes de leur propre imprévoyance autant que de la brutalité de l'ennemi.
Ces deux entreprises africaines, à l'ouest et à l'est, font partie intégrante d'une même conception stratégique et politique depuis si longtemps mûrie et de nature à nous inspirer une confiance légitime.
Elles constituent, dans leur harmonieuse convergence, un vaste et noble dessein. Oui, si les forces anglaises et américaines peuvent poursuivre sur les bords méditerranéens le cours d'un heureux destin, un nouveau lien s'étalera entre les peuples de langue anglaise, et le monde entier tressaillera ,d'un nouvel espoir.
Ne conviennent-ils pas admirablement aux heures présentes, et à l'essence des événements, ces vers de Byron :
Des millions de voix vous célèbrent, et vous
aussi
Lèvres d'enfants, beaux échos, n'avez-vous pas redit :
" Ce sol où l'épée exalta les peuples unis
Vit nos concitoyens combattre en ce jour béni ;
C'est une grande chose au souvenir infini. "
" Une flamme de la culture française
"
Un message à " la France libre ", Revue mensuelle française libre,
à l'occasion son premier anniversaire.
Novembre 1941
Cher Monsieur Labarthe,
Je vous félicite, vous et vos collègues, de votre revue " La France libre
" dont le numéro actuel marque le premier anniversaire.
La littérature française, que tous les civilisés connaissent et goûtent depuis des siècles, voilà qu'on la dénature, afin de servir les ennemis de la France - lesquels s'efforcent preusement d'étouffer et de détruire la pensée française .
Cependant, sur le sol d'Angleterre, " La France Libre " entretient la brillante flamme en attendant ce jour, qui certainement luira, où tous les bons français seront de nouveau libres de penser et d'exprimer la vérité telle qu'elle leur apparaît.
Souhaitant à votre entreprise plein succès, je vous prie de me croire.
Bien sincèrement à vous,
(signé) Winston Churchill
Autre version : La littérature française, que tout le monde cultivé connaît et aime depuis des siècles, est déformée et dénaturée aujourd'hui en France, pour lui faire servir les fins des ennemis de la France, qui s'efforcent d'étouffer et de détruire la pensée française, la culture française, et la liberté française. Sur le sol de l'Angleterre La France Libre entretient la claire flamme, en attendant le jour, qui ne peut manquer de venir, où tous les bons français recouvreront la liberté de penser et d'écrire la vérité telle qu'elle leur apparaît.
20 juillet 1941.
(Messages aux peuples d'Europe, à l'occasion du lancement de la campagne de
propagande du V, symbole de la victoire
Le signe V constitue le symbole de l'invincible volonté de résistance des territoire occupés, et le présage du sort qui est réservé à la tyrannie nazie. Tant que les peuples européens se refuseront à toute collaboration avec l'envahisseur, il est clair que sa cause est perdue d'avance, et que l'Europe sera libérée.
AMGOT
Ce sigle signifie : Allied Military Government of the Occupated Territories (Gouvernement militaire allié des territoires occupés)
Plan défini par les Etats-Unis qui visait à imposer en France, au moment de la Libération, en 1944, un gouvernement militaire allié, afin d'assurer une transition pour un retour à la démocratie.