Chapitre 3

VARIANTES RÉGIONALES

La Résistance PTT dans la région toulousaine

Christine Scalisi

L'existence de régions postales dotées d'une relative autonomie et l'implantation rurale remarquable de cette administration justifiaient une étude régionale de la Résistance PTT. Il était en effet légitime de se demander si l'appellation nationale Résistance PTT ne recouvrait qu'une série de mouvements locaux ayant pour unique trait commun d'être constitués de membres de l'administration ou s'il existait vraiment une spécificité de l'action des résistants des PTT.

L'étude de la Résistance PTT de la région toulousaine est, à cet égard, révélatrice : elle met en évidence l'existence de trois grandes périodes, avec un important tournant lors de l'invasion de la zone Sud en novembre 1942, ce qui pourrait laisser présager de forts caractères régionaux.

La première phase de la Résistance PTT de la région, alors composée de neufs départements (Ariège, Haute-Garonne, Gers, Lot, Lot-et-Garonne, Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Tarn, Tarn-et-Garonne) peut être qualifiée de défensive.

NAISSANCE DE L'OPPOSITION : 1940-1942

De la création du nouvel Etat français à l'invasion de la zone Sud par les troupes allemandes en novembre 1942, les postiers de la région ont
essentiellement été mobilisés pour la protection des agents et du matériel des PTT, mis en péril dès 1940 par certaines mesures gouvernementales.
De nombreux agents ont, en effet, été incriminés pour des motifs politiques ou religieux. La charge de prononcer la suspension et, le cas échéant, de proposer à l'administration des sanctions contre ces agents revenait aux directeurs. Dans la région toulousaine, les fonctionnaires n'ont pas appliqué ces mesures discriminatoires avec un grand zèle. Parfois omettant de signaler de nombreuses personnes, parfois faisant des
réponses mensongères lors d'une enquête, quand un agent était signalé par les autorités comme dangereux, ils ont, dans la mesure du possible, atténué les sanctions. Mais l'ensemble du personnel de la région a été impliqué
dans ce travail de protection. C'est ainsi que la région toulousaine a accueilli de nombreux postiers réfugiés de la zone Nord. Ce contact avec des collègues venant de régions déjà occupées a contribué à la naissance de h Résistance PTT en R4, comme l'indique un rapport sur la Résistance PTT du Lot-et-Garonne :

Alsaciens, évadés, réfugiés apportèrent (...) leur rancœur d'être traqués, leur ardent désir de liberté et leur foi vibrante dans la providence du Pays. Ils entrèrent en contact avec les patriotes locaux, les galvanisèrent et ainsi surgirent les premiers éléments de la Résistance PTT dans le Lot-et-Garonne.

Par ailleurs, c'est la même solidarité corporative qui est à l'origine des premiers stocks clandestins de pièces et de matières premières de la région toulousaine : il s'agissait en effet de camoufler, de l'autre côté de la ligne de démarcation, du matériel réquisitionné par les Allemands.

Mais, le personnel des PTT de la région ne s'est pas contenté d'adopter une attitude défensive. Il a très vite cherché à lutter, de manière concrète, contre la Collaboration et le nazisme, qui devinrent, avec l'invasion de la zone Sud et la création début 1943 de la Milice, de plus en plus intolérables.

Dans cette deuxième phase, tout en amplifiant leur action de protection du personnel et des biens des PTT, les résistants de la R4 se sont regroupés pour transformer des initiatives isolées de lutte en un véritable mouvement clandestin.

LE TOURNANT DE L'HIVER 1942-1943

La présence de la police allemande et de la Milice a occasionné une recrudescence des arrestations, des dénonciations, et des réquisitions dans la région toulousaine. Face à ce durcissement, le personnel des PTT a immédiatement réagi et la plupart des agents ont prêté leur concours à la création d'un mouvement clandestin corporatif dont le premier objectif a été le renseignement : écoutes téléphoniques, détournement de correspondances, communication de documents confidentiels.

Sous l'impulsion de quelques hommes comme Maurice Fournié, contrôleur principal à la direction régionale, les premiers résistants, qui avaient, jusque là, agi isolément, ont coordonné leur action et recruté de véritables équipes clandestines parmi leurs collègues de travail.

De fait, le détournement régulier de correspondances tout comme l'écoute systématique d'un certain nombre de lignes téléphoniques n'étaient réalisables qu'avec la participation d'un nombre important de personnes et l'accord tacite de l'ensemble du service concerné. Ainsi, pour les seules écoutes pratiquées au central téléphonique interurbain de Toulouse, l'équipe résistante se composait de la majorité des opératrices, des surveillantes, des responsables de la table d'essais, mais aussi de membres du service d'abonnement et des agents du contrôle téléphonique.

Fin 1943, les structures clandestines à vocation postale couvraient la totalité de la région. Son chef régional, M. Fournié, coordonnait l'action des responsables départementaux qui, à leur tour, coiffaient des sections locales. Le réseau PTT disposait alors d'antennes dans tous les services de la région : directions, services téléphoniques, télégraphiques et bureaux de poste, ainsi que d'étroites relations avec les résistants travaillant dans les services ambulants qui échappent à toute classification régionale.

Comme cette organisation clandestine s'était mise à la disposition des mouvements de résistance de la région (notamment Combat), auxquels elle faisait parvenir les informations détournées, elle se transforma progressivement en un véritable service postal clandestin à l'usage de la Résistance.

UN SERVICE POSTAL CLANDESTIN

Les contacts établis par les responsables de la Résistance PTT avec les autres mouvements non professionnels ont permis d'accroître l'efficacité du travail des postiers. Les chefs du mouvement PTT recevaient régulièrement des principales organisations clandestines des directives et des plans d'action (notamment le plan Violet qui a permis d'éviter la destruction des installations téléphoniques lors du débarquement allié). Ces directives étaient alors transmises à chaque responsable départemental, puis local, de la Résistance PTT. En sens inverse, les renseignements recueillis dans les différents services postaux remontaient la filière pour parvenir aux autres organisations. En dehors de ce circuit, de nombreux postiers étaient également en contact, dans leur commune, avec des groupes locaux de résistants auxquels ils faisaient parvenir directement les informations les concernant.

Ainsi le mouvement PTT de la région se composait de deux axes : un axe vertical utilisé régulièrement pour un travail de fond et un axe horizontal qui facilitait des initiatives ponctuelles en relation avec les maquis locaux.

Cette excellente implantation de l'organisation clandestine des PTT dans la Résistance régionale a motivé la création d'un véritable service postal clandestin qui, dépassant le stade du renseignement, a instauré à l'usage des résistants des communications régulières (courrier, mais aussi service télégraphique et lignes téléphoniques reliant les organisations clandestines), un service financier approvisionnant les caisses des maquis et enfin des services d'intendance chargés de mettre à la disposition de leurs collègues les moyens nécessaires à leur travail clandestin : véhicules, matériel, faux ordres de mission, faux documents, etc. Il existait bel et bien, en région toulousaine, un deuxième service des PTT, doublant l'administration officielle et offrant ses informations, ses connaissances techniques et ses moyens financiers à la Résistance.

En conclusion de cette présentation de la Résistance PTT de la région toulousaine, il faut mettre l'accent sur les deux principales caractéristiques de cette lutte.

D'une part, elle a impliqué la majeure partie du personnel de l'administration à tous les niveaux hiérarchiques, du simple auxiliaire au directeur régional ; les résistants les plus actifs ont toujours pu compter sur l'aide, au moins temporaire, de la plupart de leurs collègues.

D'autre part, si certains agents n'ont accompli d'activités clandestines qu'en dehors de leur travail, si d'autres ont participé à la fois à des luttes extra-professionnelles et au mouvement proprement PTT, il semble légitime de reconnaître que le réseau à caractère corporatif dirigé par M. Fournié a regroupé la plus grande partie des postiers résistants.

À ce titre, il est donc possible d'affirmer que la résistance des PTT de la région s'inscrit bien dans le cadre de l'organisation nationale de la Résistance spécifiquement PTT à laquelle elle était d'ailleurs affiliée.

La Résistance PTT dans le Gers Guy Labedan

La participation des PTT à la Résistance gersoise peut être considérée soit dans son ensemble : l'appareil administratif face à Vichy et aux Allemands, soit en individualisant ses agents, certains ayant pris une part active dans les mouvements et les réseaux, d'autres ayant servi occasionnellement la Résistance. Ceux-ci sont les plus difficiles à cerner.

L'ADMINISTRATION " RÉSISTANTE " Camouflage de matériel et de véhicules

Lors de l'entrée des Allemands en zone libre, en novembre 1942, la direction régionale des PTT de Toulouse disperse dans le département du Gers une partie des véhicules cédés par l'armée après la retraite de 1940.

Il s'agit de trois autobus, trente camions, onze camionnettes, quatre remorques. Les véhicules sont dispersés dans des garages non utilisés à Auch, Blanquefort et Castéra-Verduzan.

En octobre 1943, une partie des pneumatiques équipant les véhicules du garage de Blanquefort est dissimulée dans le bureau d'Eauze. Les autorités d'occupation apprennent cette disparition et font subir un interrogatoire au directeur départemental qui argue d'un vol ; l'affaire n'a pas de suite. Mais, en février 1944, les Allemands pénètrent au garage d'Auch où ils réquisitionnent les dix véhicules qui s'y trouvent.

Malgré cet incident et pour éliminer le risque d'autres prélèvements, il est alors décidé de camoufler les pneumatiques qui restent au garage de Blanquefort. Vingt roues équipées sont cachées : huit au bureau d'Aubiet, huit au bureau de Mauvezin et quatre au bureau de Puycasquier.

Le 19 août 1944, pendant que les Allemands, avant de quitter Auch, se livrent à des destructions à la gare S.N.C.F., des voitures postales sont cachées chez des particuliers (agents de l'administration ou parents) afin qu'elles échappent au même sort.

Utilisation des voitures postales par les F.F.I.

À partir du 6 juin 1944, les F.F.I. se livrent à des réquisitions de voitures de la poste sans entraîner des protestations de fond de la part de l'administration. D'autre part, leurs conducteurs se prêtent de bonne grâce aux sommations du maquis.

Il arrive que les voitures tombent en panne et soient abandonnées sur place. Elles sont alors récupérées par les services techniques qui les font réparer à l'atelier départemental. Certaines sont reprises par les F.F.I., de sorte que le garage des PTT fonctionne comme un atelier au service du maquis.

À noter également que des véhicules utilisés par la Résistance sont réparés au même atelier départemental.

Peu de temps avant la libération du département, la voiture postale assurant la liaison Auch-Toulouse transporte des armes et du matériel venant d'être parachuté.

Fournitures de fonds au maquis

À diverses reprises, les bureaux de poste sont amenés à livrer le contenu de leur caisse au maquis. Ces opérations, accomplies sous la contrainte, ne sauraient être qualifiées de vol. Légalisées par la suite, elles sont la contribution des caisses publiques à l'entretien d'une troupe en temps de guerre.

Détournement du courrier

Il s'agit du courrier destiné à la Kommandantur ou à la Milice, intercepté dans les bureaux de poste, en cas de grave suspicion sur son contenu. Ainsi, de nombreuses lettres de dénonciation de résistants ou de juifs ne sont jamais parvenues à leur destinataire. Quant aux délateurs, ils peuvent faire l'objet d'actions répressives par la Résistance.

Fait significatif : on constate, fin 1943, que la Milice achemine son courrier par porteur spécial.

LES FONCTIONNAIRES ENGAGÉS DANS LA RÉSISTANCE

À Auch, chef-lieu du département

La participation des PTT à la Résistance gersoise peut être considérée soit dans son ensemble : l'appareil administratif face à Vichy et aux Allemands, soit en individualisant ses agents, certains ayant pris une part active dans les mouvements et les réseaux, d'autres ayant servi occasionnellement la Résistance. Ceux-ci sont les plus difficiles à cerner.

L'ADMINISTRATION " RÉSISTANTE " Camouflage de matériel et de véhicules

Lors de l'entrée des Allemands en zone libre, en novembre 1942, la direction régionale des PTT de Toulouse disperse dans le département du Gers une partie des véhicules cédés par l'armée après la retraite de 1940.

Il s'agit de trois autobus, trente camions, onze camionnettes, quatre remorques. Les véhicules sont dispersés dans des garages non utilisés à Auch, Blanquefort et Castéra-Verduzan.

En octobre 1943, une partie des pneumatiques équipant les véhicules du garage de Blanquefort est dissimulée dans le bureau d'Eauze. Les autorités d'occupation apprennent cette disparition et font subir un interrogatoire au directeur départemental qui argue d'un vol ; l'affaire n'a pas de suite. Mais, en février 1944, les Allemands pénètrent au garage d'Auch où ils réquisitionnent les dix véhicules qui s'y trouvent.

Malgré cet incident et pour éliminer le risque d'autres prélèvements, il est alors décidé de camoufler les pneumatiques qui restent au garage de Blanquefort. Vingt roues équipées sont cachées : huit au bureau d'Aubier, huit au bureau de Mauvezin et quatre au bureau de Puycasquier.

Le 19 août 1944, pendant que les Allemands, avant de quitter Auch, se livrent à des destructions à la gare S.N.C.F., des voitures postales sont cachées chez des particuliers (agents de l'administration ou parents) afin qu'elles échappent au même sort.

Utilisation des voitures postales par les F.F.I.

À partir du 6 juin 1944, les F.F.I. se livrent à des réquisitions de voitures de la poste sans entraîner des protestations de fond de la part de l'administration. D'autre part, leurs conducteurs se prêtent de bonne grâce aux sommations du maquis.

Il arrive que les voitures tombent en panne et soient abandonnées sur place. Elles sont alors récupérées par les services techniques qui les font réparer à l'atelier départemental. Certaines sont reprises par les F.F.I., de sorte que le garage des PTT fonctionne comme un atelier au service du maquis.

À noter également que des véhicules utilisés par la Résistance sont réparés au même atelier départemental.

Peu de temps avant la libération du département, la voiture postale assurant la liaison Auch-Toulouse transporte des armes et du matériel venant d'être parachuté.

Fournitures de fonds au maquis

À diverses reprises, les bureaux de poste sont amenés à livrer le contenu de leur caisse au maquis. Ces opérations, accomplies sous la contrainte, ne sauraient être qualifiées de vol. Légalisées par la suite, elles sont la contribution des caisses publiques à l'entretien d'une troupe en temps de guerre.

Détournement du courrier

Il s'agit du courrier destiné à la Kommandantur ou à la Milice, intercepté dans les bureaux de poste, en cas de grave suspicion sur son contenu. Ainsi, de nombreuses lettres de dénonciation de résistants ou de juifs ne sont jamais parvenues à leur destinataire. Quant aux délateurs, ils peuvent faire l'objet d'actions répressives par la Résistance.

Fait significatif : on constate, fin 1943, que la Milice achemine son courrier par porteur spécial.

LES FONCTIONNAIRES ENGAGÉS DANS LA RÉSISTANCE

À Auch, chef-lieu du département

L'inspecteur des postes, Joseph Montaubery, né le 12 mars 1888 à Marsac (Tarn-et-Garonne), attaché à la direction départementale, puis receveur principal à la recette d'Auch, fait partie du noyau auscitain de Résistance qui, fin 1940-début 1941, s'est rattaché au mouvement " Liberté ", fondé par François de Menthon et P.M. Teitgen.

Un parachutage est annoncé en novembre 1941 à côté d'Auch ; Montaubery fait partie de l'équipe qui doit le recevoir. L'opération n'a pas lieu, mais l'un des membres est arrêté par la D.S.T. Montaubery continue néanmoins de rendre d'importants services à la Résistance.

Il est le premier responsable du service N.A.P. (Noyautage des administrations publiques).

Hector Jam, né le 26 octobre 1896 à Toulouse, pseudo " Magre " muté de Montluçon (Allier) à Auch le 14 juillet 1941, est agent de surveillance et appartient au mouvement " Libération ".

À la direction départementale des M.U.R. (Mouvements unis de la Résistance), il est chargé du N.A.P. À ce titre, il " fiche " les fonctionnaires selon leur sympathie ou leur opposition à la Résistance.

Il met à profit ses déplacements dans l'est du département pour établir des contacts qui sont autant d'antennes de la Résistance dans les communes rurales. Dans la mesure du possible, il intercepte les lettres destinées à la Kommandantur ou à la Milice.

Son habitation, 4 avenue de la Gare à Auch, sert de lieu de réunion au directoire départemental, en alternance avec d'autres maisons sûres.

Il fournit enfin à la Résistance les renseignements techniques permettant de saboter aux moindres frais les communications par fil.

Jean Commenges, contrôleur adjoint à la recette principale d'Auch, né le 20 juin 1895 à Saint-Girons (Ariège), pseudo " l'Ariégeois ", appartient, depuis juin 1942, au mouvement " Combat " dont il diffuse la presse clandestine.

À partir de 1943, il est chargé des fonctions de trésorier de la caisse de secours de la Résistance et s'occupe du placement des bons de soutien àla Résistance.

Il accueille à son domicile des résistants de passage et cache des armes, des explosifs et du matériel radio.

Louis Cazes, né le 23 septembre 1908 à Narbonne (Aude), pseudo " Nin ", agent technique des lignes, chef de détachement aux F.T.P.F., se livre à des opérations de destruction qui ont pour résultat l'isolement téléphonique de la ville d'Auch pendant un mois.

Dans le département

Jules Pigot, né en 1890, receveur à Lupiac, communiste, rend des services à la Résistance de la région en livrant le contenu d'une lettre mettant en cause un de ses membres. La Milice se saisit de lui le 27 mai 1944, après l'avoir blessé d'une balle dans la poitrine, au cours d'une opération de police qu'elle a entreprise dans la localité. La Résistance le fait évader de l'hôpital d'Auch le 2 juin 1944 et transporter en lieu sûr.

Henri Marambat, né le 26 décembre 1910 à Senlis (Oise), facteur receveur à Marsan, dit " Tutu ", appartient à la fois au réseau franco-belge Reims-Coty " de renseignements et d'évasion et à " Combat " dont il est un des responsables cantonaux.

Le 24 août 1943 et les jours suivants, il participe au sauvetage de l'équipage d'un bombardier américain, abattu par la chasse allemande dans la région de Gimont. Contraint de mener une vie clandestine à partir de novembre 1943, il continue néanmoins d'organiser un secteur de l'Armée Secrète.

Charles Gèze, facteur auxiliaire à Ponsan-Soubiran, fait partie d'un maquis du corps franc " Pommiés " de l'O.R.A. (Organisation de résistance de l'armée).

Placé en surveillance avec son groupe sur une route des environs de Mirande, il est fait prisonnier par un détachement allemand le 8 juin 1944 et déporté en Allemagne, au camp de Neckargerock où il meurt le 12 janvier 1945.

En conclusion de cette énumération, trois caractères permettent de dessiner le profil du résistant PTT : pour la plupart, il s'agit d'hommes mûrs, plus de 40 ans ; à quelques exceptions près, ces hommes appartiennent aux cadres de l'administration ; ils ont occupé dans la Résistance des postes relativement importants.

Parmi les très nombreux cas individuels de résistance, il ne peut en être cité que quelques-uns.

En juillet 1944, l'inspecteur H. Nebout, admis à la Kommandantur pour motifs professionnels (tentative de réduire les exigences allemandes), découvre sur une carte murale l'emplacement supposé des maquis dans le département. Le lendemain, il emprunte une voiture du service pour prévenir un P.C. de la Résistance qu'il connaît à 60 kilomètres d'Auch. Les maquis visés peuvent dès lors être prévenus du danger qui les menace.

Le receveur Durand, de Lectoure, s'oppose à l'apposition d'une affiche de la Milice dans le local du public.

La postière de Blaziert, Mlle Dumas tient ouvertement des propos gaullistes, ce qui lui vaut d'être dénoncée au sous-préfet de Condom en mars 1942.

Le facteur Raymond Lalanne, à Gondrin, qui dans une lettre à sa mère exprime ses sentiments farouchement anti-allemands, est arrêté par la Gestapo le 29 juillet 1943, emprisonné à Saint-Michel (Toulouse) pendant cinq mois, puis déporté en Allemagne. Il est mort à Dora le 28 mars 1944.

Le commis Maurice Lalanne (sans rapport avec le précédent), impliqué dans une affaire de correspondance secrète avec un travailleur en Allemagne, est arrêté à son bureau à Auch par la Feldgendarmerie le 28 mars 1944. Il est, à son tour, contraint d'aller travailler en Allemagne, mais dans des conditions autrement plus dures.

On ne saurait terminer cette étude sans évoquer les cas de conscience qui, très souvent, se sont posés aux résistants PTT.

Ainsi le cas de Jam, rapporté par le chef de la Résistance dans le Gers, lorsqu'il livre le plan des lignes souterraines et les points de concentration en vue de leur destruction. Il en est profondément affecté.

Ainsi celui d'une postière de Mauvezin, sommée par des hommes de la Résistance en armes, de leur livrer une lettre que vient de jeter à la boite un suspect. Il faudra l'intervention du receveur pour éviter un drame.

On comprend dès lors mieux le rôle difficile des postiers dans la Résistance.

L'action des agents des PTT dans la lutte contre l'Occupant en Languedoc-Roussillon

Pierre Rougé

Voici, dans l'ordre chronologique, les événements qui précédèrent la libération de Narbonne, tels que je peux les exposer en utilisant quelques extraits de mes notes personnelles :

15 août 1944, 6 heures du matin : " Allô, Allô, ici Londres. Les Français parlent aux Français. Voici quelques messages personnels : ...Ne bousculez pas l'estropié... l'artisan fait des vers... " Ces messages, transmis à partir de la B.B.C. de Londres, seront répétés durant toutes les émissions de la journée. J'apprends ainsi que le débarquement du corps expéditionnaire allié a lieu en Méditerranée et l'ordre m'est donné d'effectuer le sabotage des liaisons téléphoniques suivant le plan établi depuis plusieurs mois en collaboration avec les dirigeants du réseau N.A.P. dont je suis le responsable à Narbonne avec comme adjoint Firmin Rouffia. La création de ce réseau pour la région, était l'œuvre de Gilbert de Chambrun. Francis Vals était le responsable départemental.

Narbonne représente, stratégiquement dans le réseau des télécommunications, un nœud important avec son central téléphonique et surtout avec son câble souterrain à grande distance, desservant les liaisons entre Paris, Marseille et l'Espagne.

La partie du câble Narbonne-Perpignan, via l'Espagne, sera rendue inutilisable, au pont de Saint-Crescent, grâce à l'intervention d'Henri Galy, entrepreneur de maçonnerie, qui pratiquera une ouverture dans ce câble et introduira à travers cet orifice de l'acide sulfurique. Le sabotage de la portion Narbonne-Marseille sera l'œuvre de deux équipes dirigées par Léon Rodrigue : un premier sabotage effectué à côté de la gare, la deuxième intervention route de Coursan où une portion du câble sera sciée et jetée dans un fossé, afin de permettre plus tard sa récupération.

Ces deux tâches ont été facilitées grâce à l'entente entre la Résistance et une entreprise de travaux publics réquisitionnée par les Allemands et qui avait en charge le creusement de trous individuels de défense le long des grands axes routiers. Ces trous mettaient à découvert le câble souterrain en vue de nos futurs sabotages. Jean Serre, chef de centre du service des lignes souterraines, était l'organisateur et le responsable de ces travaux.

La partie Narbonne-Paris sera sabotée dans la rivière d'Aude, au pont de Saint-Marcel, par mes soins, en collaboration avec Emmanuel Gabarros et Rouillard, époux de la receveuse des PTT du village.

16-17 août 1944 : Tandis que se précise la réussite du débarquement sur les côtes de Provence, nous continuons avec Robert Liberge et Emmanuel Gabarros à rendre inutilisables les lignes de l'armée allemande.

18 août 1944 : La défaite allemande se précise. Leurs armées ont reçu l'ordre de repli. Place des Pyrénées, c'est un défilé ininterrompu de soldats allemands, venant des directions de Carcassonne et de Perpignan, qui se dirigent vers Béziers, emportant avec eux leur matériel de combat.

Agent du service de renseignements du réseau Gallia, j'organise,à partir de cette place, une surveillance continue de 24 heures, ce qui me permet de noter l'importance des troupes allemandes qui se replient en direction de la vallée du Rhône. Paul Lagarrigue, les jeunes Trébosc, Robert, Bouichou, Liberge, tous agents des PTT, se relayent pour assurer cette surveillance. Avec Gabarros, nous assurons la surveillance de nuit. Tous les renseignements recueillis sont transmis à Maurice, responsable du réseau Gallia à Carcassonne.

19 août 1944, 8 heures du matin : L'ordre de repli a été transmis à l'état-major de la division allemande occupant Narbonne. Le P.C. de cette division, cantonné au Grand Hôtel, face à la poste, prépare son départ. Le drapeau à croix gammée qui flottait au balcon de l'hôtel depuis plusieurs mois est enlevé vers les 9 heures. À ce moment-là, devant l'effervescence qui se manifeste aux abords de l'hôtel, il ne fait pas de doute que la division se retire.

Depuis le début de l'Occupation, deux soldats de l'armée allemande, encadrés par un sous-officier, sont cantonnés au central téléphonique. Ils ont pour charge la liaison et le contrôle du réseau allemand des télécommunications. Dès nos premiers contacts, au cours de conversations que j'ai voulu amicales, s'est établi un climat de compréhension mutuelle. Leur opposition au régime nazi et à la guerre ne fait que nous rapprocher.

14 heures : Le désarroi s'est emparé de nos trois militaires allemands qui préparent leur départ du central. À la suite d'une dernière conversation avec eux, j'évoque tout le péril que représente pour leur vie la remontée de la vallée du Rhône, qui doit leur permettre de rejoindre Dijon. Je leur offre leur mise en sécurité à Narbonne. Leur acceptation crée un climat de confiance qui me permet d'apprendre qu'une équipe spécialisée allemande doit pratiquer, dans la nuit, la destruction des organes vitaux de la ville, à savoir le central téléphonique, la station électrique, la station de pompage des eaux. L'équipe allemande est attendue à Narbonne à partir de 21 heures et doit prendre en charge nos trois militaires, après leur mission accomplie.

Après concertation avec Gabarros et Liberge, nous décidons de contacter tous les postiers afin de connaître ceux qui étaient résolus à défendre leur outil de travail et à sauver de la destruction les parties vitales de notre ville. Répondirent à notre appel de nombreux camarades, parmi lesquels : G. Delpoux, P. Lafuma, J.-M. Corbières, À. Iché, Sigrat, E. Masson.

17 heures : Il nous faut des armes. Une partie de la population soumet au pillage la caserne Montmorency où sont entreposés des pneus, du ravitaillement, des munitions... Le château de Montfort, centre de ravitaillement de la division allemande, est pillé par quelques individus qui n'hésitent pas à constituer chez eux de véritables stocks alimentaires. Etienne Fourtouil, chauffeur du camion gazogène du service des lignes, se met à notre disposition pour nous conduire à la caserne Montmorency où nous récupérons une trentaine de fusils de guerre (italiens et français) ainsi que les munitions correspondantes.

19 heures : La résistance au sein du central téléphonique s'organise. Iché, militaire de carrière, intégré aux PTT à la suite des accords d'armistice, est chargé d'organiser la défense. Un plan est établi pour neutraliser l'équipe de sabotage allemande.

Je sais par expérience ce que représente, pour la rapidité de certaines opérations, le réseau de télécommunications. Avant le départ en ville des trois militaires cantonnés au central, d'un commun accord, nous avons enlevé tous les fusibles des lignes, au répartiteur d'entrée, laissant croire à la mise hors service de tout le groupement téléphonique du Narbonnais. En temps voulu, je fais rétablir les liaisons qui me permettent de prendre contact avec tous les membres du réseau N.A.P. : caserne des pompiers, gendarmerie, procureur de la République, juge d'instruction.

Les sixaines organisées dans le cadre de l'Armée Secrète et composées en majorité d'employés municipaux, ont rejoint la caserne des pompiers où Léon Rodrigue prend leur commandement. La liaison téléphonique rétablie avec eux va nous permettre de coordonner nos efforts.

Le capitaine de gendarmerie Aurousseau, le procureur de la République Cassou, le juge d'instruction Lacoste, le radio Guy, alertés téléphoniquement, viennent nous rejoindre au central, constituant ainsi un état-major de défense, suivant les directives données par le général De Gaulle. Dernières mises au point entre nous tous. Nous connaissons les risques encourus, mais rien ne vient ébranler la volonté unanime de préserver notre ville de la destruction d'une certaine partie essentielle de ses installations.

22 heures : L'attente se poursuit. Edmond Eychène, employé municipal, parvient à me joindre et m'avise que se tient chez Louis Madaule, électricien place de la Révolution, une réunion de quelques résistants qui envisagent d'occuper la mairie le lendemain 20 août au matin, afin de rétablir le pouvoir républicain. Je ne fus pas étonné de cette communication un peu tardive, car je me savais mis à l'index depuis le jour où, à la suite d'une réunion clandestine tenue chez René Albira, on m'avait pro-posé de ne distribuer que le tract du mouvement Combat. J'avais fait remarquer à Missa, alias l'Eveillé, responsable national qui transmettait cet ordre, que la distribution d'un ou plusieurs tracts représentait le même danger, alors que l'accord s'était fait parmi toutes les organisations de résistance sur des points essentiels à savoir : battre le nazisme en libérant le territoire national, renverser le gouvernement de Vichy, rétablir les institutions républicaines. Libéré de toute attache politique et indépendant vis-à-vis de certaines philosophies, je pouvais me permettre cette mise au point.

Je rétablis la liaison téléphonique avec Louis Madaule et lui demandai de faire connaître à son groupe nos intentions, lui précisant surtout que le P.C. de la Résistance se trouvait au central téléphonique et que la défense des installations vitales pour la ville s'imposait avant la prise de l'administration municipale.

20 août 1944, 2 heures : À partir du café des Pyrénées, Rodrigue, qui a établi un poste de guet, me fait connaître qu'un groupe composé d'une quinzaine de soldats allemands, venant de la direction de Carcassonne,a pris pied sur la place des Pyrénées et décharge de l'un des véhicules du matériel léger transportable. Cette colonne prend la direction du boulevard Montmorency. Elle est prise en filature par des hommes de Rodrigue. Des liaisons téléphoniques sont rétablies avec le café du Marché, puis avec le Bar Moderne tenu par Sinfreu et boîte postale du réseau Gallia. Ces liaisons me permettent de suivre la progression des soldats allemands. Face au marché, la colonne se dirige vers l'usine électrique, rue des Arts, puis prend la direction du poste de transformation électrique, qui alimente en courant la ville et ses environs, poste situé route de Lune. Téléphoniquement, j'informe Jean Martin, chef de poste, de l'arrivée des Allemands.

Louis Jalabert, employé municipal, a rejoint avec son groupe, depuis 21 heures, la station, ayant à ses côtés Didier Auriol, Alfred Calas, Gaston Corne, Germain Miquel, Firmin Rouffia, Léon Pujol, Tardieu, employés municipaux, ainsi qu'Etienne Mis et Lucien Piquemal, agents de ville. Une petite pluie fine s'est mise à tomber.

Face à la station, de l'autre côté de la route, Jalabert fait disposer des hommes derrière une haie de roseaux. Dès que les Allemands sont groupés à l'entrée du poste, le feu est commandé. La fusillade fera deux morts (un  soldat et l'officier commandant le groupe) et un blessé grave qui succombera le lendemain à l'hôpital. La soudaineté de l'attaque a surpris les soldats allemands qui fuient en débandade. Je demande à Martin de couper le courant sur toute la ville afin de laisser croire à la destruction de la station. Les rescapés de la fusillade rejoindront deux soldats restés en faction devant l'usine électrique de la rue des Arts.

Au central téléphonique, nous suivons la progression des Allemands grâce à nos liaisons téléphoniques. L'éclairage de secours, branché sur les accumulateurs du central, nous permet de voir clair de la salle du téléphone. Guy, le radio, a branché son émetteur.

3 heures 30 : Rue Paul-Laffont, des coups répétés sont portés à la porte du central, par les Allemands. Nous ne répondons pas. À toutes les fenêtres, derrière les persiennes, des hommes en armes sont prêts à faire feu. Iché a donné la consigne de ne tirer qu'à son commandement. Il nous aurait été facile à ce moment-là, depuis les fenêtres, d'anéantir une grosse partie de ces hommes qui avaient commis l'imprudence de se grouper. Devant le silence imposé par Iché et à la lumière de l'expérience malheureuse de la route de Lune, les Allemands se retirent, ne se préoccupant même pas de trois militaires cantonnés à la poste ; ceux-ci avaient été " planqués " en ville par mes soins. C'est avec un certain soulagement que nous voyons les Allemands monter dans deux véhicules, stationnés devant le Grand Hôtel, et prendre la direction de Béziers.

9 heures : Une délégation, dont je fais partie, se rend à la mairie. Reçue par Gabarrou, adjoint au maire de la commission spéciale nommée par Vichy, elle lui demande de laisser la place à la nouvelle délégation issue de la Résistance. La passation de pouvoir se fait sans problème.

11 heures : Concertation organisée à la mairie entre les diverses organisations de la Résistance et les partis politiques (de gauche). Après une longue discussion, un accord est passé, instituant un C.L.L. (Comité local de libération) composé de six membres : Chevet-Vidal pour le Front National, Bousquet-Rouge pour le Mouvement de libération nationale, Piquemal-Tisseyre pour le Parti Communiste. On me demande d'en assurer la présidence. À côté de ce comité siégera un conseil municipal composé uniquement de représentants du parti socialiste. La personnalité de certains fera dire à J.-L. Barthuet, instituteur : "le mérite de certains aura été d'avoir résisté au désir de résister ".

Il faut aller très vite pour empêcher que la situation ne se dégrade. Cassan, instituteur, est mis en place comme sous-préfet. Les voies de communications n'avaient pas permis à Vitalis Cros, désigné pour occuper ce poste, de rejoindre Narbonne.

La déroute allemande a engendré la joie parmi la population narbonnaise, mais il faut parer encore au danger que représente le retrait des troupes occupantes. La journée du 21 août est consacrée par le C.L.L. à l'organisation de la défense. Les volontaires issus de toutes les couches de la population sont équipés et armés à la caserne De Gaulle, située dans un château, quai Victor-Hugo. Albira et Rodrigue sont chargés de l'instruction et de l'encadrement.

À 21 heures, place des Pyrénées, une colonne motorisée allemande (cinq véhicules) a pris position autour du rond-point. Après avoir
observé les alentours, elle se retire en direction de la route de Perpignan.
22 août 1944 : Je suis informé que la colonne motorisée fait partie d'un régiment de la marine qui bivouaque à l'entrée du village de Prat-
de-Cest. Le danger que représente cette colonne allemande est évoqué à la sous-préfecture au cours d'une réunion du C.L.L. et des divers responsables militaires. J'ai toutes les peines du monde à dissuader les responsables F.F.I. d'attaquer ce régiment de la Kriegsmarine, réputé pour être l'équivalent des S.A. (Section d'Assaut) de l'armée de terre. Le capitaine Aurousseau se propose pour aller parlementer avec les responsables de régiment afin de connaître leurs intentions. Leur réponse est nette : mise à leur disposition d'un train en gare à 16 heures, ou prise et exécution de 200 otages parmi la population narbonnaise. Leurs ordres seront exécutés afin d'éviter des excès, mais le train sera pris en chasse par l'aviation alliée dès le départ de Narbonne. Le mitraillage du train trouvera soc point culminant entre la combe de Villeneuve-les-Béziers et le chantier du Capistol de Béziers. Le régiment sera anéanti, laissant sur le terrait plus de 600 morts.

Raymond Picard

Le 1er mai 1937, je prenais mes fonctions à la direction départementale des PTT du Lot. Je suis entré dans la Résistance le 28 novembre 1940 à la demande de mon ami Etienne Verlac qui avait reçu quelques jours auparavant la visite d'un émissaire du général de Gaulle. Étienne Verlac savait fort bien que je ne tenais pas les Allemands en grande estime : j'avais perdu mon père à la guerre de 1914-1918 ; deux de ses frères avaient été tués et le quatrième était rentré dans ses foyers avec une jambe en moins. Étienne Verlac m'a demandé, ce jour-là, de mettre en place un projet qui se limitait au départ à des communications de renseignements et à des distributions de tracts. Il s'agissait de rechercher des hommes sûrs, particulièrement bien placés pour remplir les missions qui pouvaient leur être confiées : surveillance des communications postales, télégraphiques, téléphoniques et ferroviaires, distribution de journaux clandestins, sabotage du travail qui pouvait heurter la conscience d'un patriote. Bien sûr, j'ai accepté tout de suite sa proposition, mais pourquoi son choix s'est-il porté sur ma personne ? Quatre raisons à mon avis : j'étais un collègue de son épouse et nos bureaux étaient côte à côte à la direction départementale d'où de grandes facilités pour communiquer. J'étais un ancien élève de l'E.P.S. de Cahors et, de ce fait, j'avais des camarades dans la plupart des communes du département qu'il me suffisait de contacter. J'ai travaillé longtemps à la recette principale des postes de Cahors et je connaissais bien les rouages des différents services postaux télégraphique, téléphonique, lignes aériennes et souterraines. Enfin et surtout, je disposais d'une voiture de service. 202 Peugeot, qui me permettait de rendre visite aux autorités départementales dans les préfectures et sous-préfectures, à la gendarmerie, aux PTT, aux ponts-et-chaussées et E.D.F., mais également au maire et aux radioélectriciens. De plus, une dotation sensible de carburant m'était réservée et je pouvais circuler libre. ment, de jour comme de nuit, sur l'ensemble du département, y compris lors de l'occupation de la zone Sud par l'armée allemande. Je disposais de 12 hommes au 31 décembre 1940, de 48 en 1941, de 64 en 1942, de 486 dont 85 au maquis en 1943, de 2193 dont 2037 au maquis le 6 juin 1944, tous solidement armés, grâce à des parachutages mensuels depuis 1943 (celui du 14 juillet 1944, sur le terrain de Loubresac près de Saint-Céret, était de 110 tonnes d'armes et de munitions), et instruits par des instructeurs français, mais également anglais et américains parachutés sur notre sol. Nous disposions également de liaisons radio permanentes avec Londres. J'ajoute que toutes les missions d'ordre militaire données par le haut commandement interallié ont été remplies. Elles ont été sanctionnées par des témoignages de satisfaction du général Eisenhower, commandant en chef du général de Gaulle, de sa Majesté la reine d'Angleterre.

La mise en place d'une telle organisation n'a pu être accomplie et n'a fonctionnée que par l'intermédiaire de 100.000 réseaux de communications où les agents PTT ont pris une part prépondérante. Le centre de ce dispositif était la recette principale des postes de Cahors et son chef Henri Chapuis, que j'ai connu au central télégraphique de Paris et qui m'a rejoint au service télégraphique de Cahors. Nous avions l'un pour l'autre une grande estime et, à fun comme à l'autre, il nous tardait de voir le sol de France libéré. Henri Chapuis a dressé avec minutie une véritable toile d'araignée, mettant en place un responsable dans chaque service. Cela lui a demandé beaucoup de courage et une patience sans limites. Au tri postal, les correspondances étaient écartées par les autorités de contrôle françaises et allemandes. Par contre, d'autres étaient remises aux patriotes pour déjouer les intentions malveillantes. Les plis officiels de la préfecture et des grosses mairies étaient surveillées ainsi que ceux de l'armée de l'armistice. Au service télégraphique, tous les messages officiels étaient interceptés et éventuellement communiqués à l'organisation clandestine. Au service téléphonique, les liaisons entre les hommes associés dans le combat étaient assurées très solidement. Pour ce faire, dans chaque bureau postal important, il y eut bientôt un correspondant qualifié permettant d'établir un contact permanent avec les responsables des corps francs et du maquis. Nous devons à tous ces agents de nombreuses vies humaines épargnées, des traîtres et des mouchards mis hors d'état de nuire. Le 21 décembre 1943 en particulier, le maquis Pimont, installé sur le territoire de la commune de Labirat, a pu, grâce aux renseignements fournis par le commandant de gendarmerie Vessière, décrocher sans aucune perte. C'est grâce à cet ensemble cohérent que l'état-major de la Résistance était au courant des directives du gouvernement de Vichy, des préparatifs de départ au S.T.O., des recherches dont faisaient l'objet nos camarades résistants et juifs, des mouvements de troupes G.M.R. et allemandes, assurant ainsi la sécurité des réfractaires sur l'ensemble du département et permettant l'attaque judicieuse des colonnes allemandes de répression ou partant en Normandie, comme la Beireich, fortement décimée dans notre région.

Aux lignes aériennes et souterraines, une équipe de sabotage s'est mise en place, car il fallait couper le téléphone quand il le fallait et le rétablir au moment voulu. Elle a parfaitement rempli son rôle.

Je dois également souligner l'action importante des agents du contrôle de la radiodiffusion française, installés dans chaque département. Tous étaient issus de l'administration des postes, des télégraphes et des téléphones, et ils n'en ont été séparés que par décision du maréchal Pétain qui, avec la loi des finances de 1940, rattache la radiodiffusion à la présidence du Conseil. À la tête du service, il y avait Raoul Fenelon, inspecteur général révoqué par Vichy, organisateur de la résistance radio sur le plan national. Traqué, il cède sa place à mon ami François Devaize, ingénieur régional à Toulouse, avec lequel je collaborais depuis longtemps. Peu de temps après, François Devaize est nommé à Paris. Remarquablement intelligent, sérieux, actif. dévoué, le caractère ferme et droit, il cumule ses importantes fonctions administratives avec celles des mises en place de la résistance radio. Sa première visite est pour Toulouse où il réunit certains camarades connus pour leur sentiment patriotique. Il s'agissait de surveiller les émissions du gouvernement de Vichy et les ordres donnés aux autorités ; de fabriquer, pour les céder aux responsables de la Résistance, des appareils susceptibles de recevoir plus facilement les messages personnels de la radio de Londres; de diminuer et si possible de supprimer les brouillages qui perturbaient les émissions de la France Libre. Je fus désigné pour accomplir cette mission dans le Lot, mais aussi pour coordonner l'action dans la région Midi-Pyrénées. C'est ainsi qu'au cours de l'été 1941 j'ai réuni sous la présidence de Pierre Almius, à l'hôtel de M. et Mme Ric à la Tronquière, mes collègues de la région : Dieude de Périgueux, Malie de Rodez, Gaspard de Perpignan, Casse d'Albi, Clément d'Agen, Carle de Montauban, Philips d'Aurillac et aussi Louis André, des services techniques régionaux à Toulouse et Gabriel Cabesus, chargé par l'administration des PTT de la construction des lignes à grande distance. Je leur fis part de nos préoccupations et, après avoir obtenu leur accord, je décidai de les réunir chaque trimestre dans une maison hospitalière et très bien surveillée par un corps franc de gardes. Chacun d'eux devait prendre contact avec les organisations résistantes connues et les aider par tous les moyens. C'est dans une des caves de Mme Almius qu'étaient entreposés les postes émetteurs et récepteurs ainsi que le matériel technique destinés aux unités combattantes. Jean Lagarde et son épouse étaient ensuite chargés de leur acheminement, grâce à une camionnette à double fond spécialement aménagée par leurs soins. Il convient de noter aussi, à un niveau plus élevé, les directives données par François Devaize, Raoul Fenelon et Pierre Almius aux responsables spécialement convoqués : Salin de Limoges, Duede de Bordeaux, Missa de Montpellier et moi-même de Toulouse.

La Résistance PTT en Lorraine

Claude Pérardel

LA SITUATION PARTICULIÈRE DE LA LORRAINE EN 1940-1945

Pour débuter ce court exposé sur la Résistance PTT en Lorraine il m'a paru utile de rappeler quelle était la situation particulière de cette province pendant l'occupation allemande.

C'est en effet par une décision unilatérale que l'Allemagne réannexa les terres qui avaient été réunies dans le Reichsland d'Alsace-Lorraine de 1871 à 1918. C'est ainsi que la Moselle fut réunie cette fois à la Sarre et au Palatinat pour former le Gau Westmark et non, comme cela avait été le cas autrefois, à l'Alsace. Il s'agissait pour les Allemands de diviser pour faciliter l'annexion.

Les trois autres départements de la Lorraine étaient situés dans la zone interdite et étaient devenus ainsi des départements voisins de l'Allemagne dont le contrôle minutieux était indispensable à la sécurité du Reich : câbles téléphoniques et télégraphiques, canaux, routes et voies ferrées étaient particulièrement surveillés. C'est ainsi par exemple que la Meurthe-et-Moselle était occupée en permanence par deux divisions réparties en trois places d'armes : Nancy, Toul, Luneville et plusieurs petites garnisons : Longwy, Longuyon, Briey et Pont-à-Mousson. D'autres unités gardaient les vallées vosgiennes. Il y avait 2.400 soldats allemands en permanence à Gérardmer.

En Moselle, qui était divisée en circonscriptions ou Kreise, l'intégration économique fut l'occasion de nombreux pillages et spoliations. Les administrations allemandes absorbèrent les chemins de fer et bien entendu les PTT.

Il faut également signaler que la presse en Moselle était totalement allemande alors qu'à Nancy, l'Occupant éditait en langue française l'Echo de Nancy dont le directeur était allemand et résidait à Berlin ; le directeur local était également allemand et tous les journalistes français étaient des collaborateurs bon ton. Il y avait une édition régionale (118 000 exemplaires) et une édition européenne (même tirage) lues en zone Sud et en Allemagne par les prisonniers et les S.T.O.

En zone interdite tout concourait à préparer l'annexion : presse directement allemande, mainmise économique, noyautage de la population. C'était le vieux rêve pangermaniste qui prenait forme ; les limites de cette zone interdite correspondaient, il est vrai, avec celles du saint empire romain germanique.

ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE EN LORRAINE

" La Résistance dans l'est de la France fut le fait d'une minorité de patriotes et d'étrangers hostiles au nazisme, de gens différents par leurs origines, leur âge et leurs opinions et que la police, victime plus ou moins consentante de schémas préétablis, s'obstina à prendre et à faire passer uniformément pour des communistes en vertu d'une équation simpliste : Résistance et gaullisme égalent communisme " (Gilbert Grandval).

En fait, comme le souligne le chef de la Résistance en zone C, les gens de l'Est sont sensibles à la légalité et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils avaient acclamé le maréchal Pétain lors de sa visite en mai 1944, pensant ainsi manifester leur patriotisme et leur attachement à la France. N'oublions pas cependant que les Lorrains sont massivement et fondamentalement hostiles au nazisme et aux occupants comme le confirmait le préfet régional de Nancy en janvier 1944 : " Les populations demeurent soudées dans leur opposition aux autorités occupantes ".

Ces remarques préliminaires étant faites, voyons comment était organisée la Résistance dans la région qui regroupait huit départements de l'est de la France.

LA RÉSISTANCE DANS LES PTT EN LORRAINE

Le plan Violet

Rappelons que l'état-major interallié avait mis au point un certain nombre de plans d'actions pour le jour J (jour du débarquement en Normandie) : rouge contre les dépôts de carburant, jaune contre les dépôts de munitions, noir contre les P.C. ou les Q.G. de l'ennemi.

Il y avait en zone C quatre autres plans d'une exceptionnelle importance : vert contre les voies ferrées, grenouille contre les engins de levage et de tournage des chemins de fer, tortue contre les convois routiers et enfin le plan Violet ayant pour objectif de perturber au maximum et si possible d'arrêter toutes les communications télégraphiques et téléphoniques de l'ennemi ; pour atteindre ce but, il fallait saboter les lignes souterraines à grande distance, les lignes aériennes et s'en prendre aux centraux téléphoniques. C'est ainsi que le 1er juin 1944, le colonel Grandval reçut le télégramme n° 51 rédigé ainsi :

" Recevrez par prochain courrier, plan action contre télécommunications baptisé plan Violet qui jouera sur phrase suivante : " Je n'entends plus ta voix ". Pour alerter équipes, même phrase d'alerte que pour les autres plans. Ce dernier plan vous est confié pour information et pour contrôle, administration centralisée PTT se chargeant actions proprement dites. "

À l'instant précis où le colonel Grandval recevait le télégramme, la B.B.C. émettait la phrase d'alerte : " Il faut être dispos dès le réveil ". Cela voulait dire que le débarquement était imminent et qu'il fallait alerter toutes les équipes. Cette phrase fut rediffusée dans les plus brefs délais et le plan Violet put être mis en place en temps opportun.

Actions sur le courrier

Les postiers concentraient leurs efforts sur le détournement du courrier destiné aux services allemands et l'envoi au rebut des journaux de collaboration.

La voie postale constituait un moyen de surveillance efficace pour l'Occupant ; aussi les postiers de la grande poste de Nancy furent très actifs en ce domaine : ils prévenaient les destinataires dont le courrier était mis en observation ; ils se faisaient expédier les paquets de journaux et les tracts à des adresses fictives pour tromper les enquêteurs éventuels.

Parmi les postiers résistants, il faut citer Pol Berthélémy, dit Bertrand, rédacteur principal, qui fut déporté en Allemagne où il mourut.

Certains agents de la SNCF contribuaient ainsi à l'acheminement du courrier clandestin : lettres, colis, argent, informations. Il y avait une entente parfaite entre les cheminots de Metz, Blainville, Nancy et certains postiers de Metz, dont André Inzerti de Metz-Sablon. Le courrier clandestin parvenait de Metz à Sarrebourg par Baudrecourt ; les colis destinés à Mgr Heintz, évêque de Metz, suivaient également cette filière.

La remise de faux laissez-passer était souvent confiée aux facteurs, car il fallait que les auteurs des faux et les expéditeurs restent dans l'ombre et inconnus. L'astuce utilisée par les facteurs consistait à utiliser des plis avec des adresses fausses : nom de rue existant, mais faux numéros.

Nicolas Hobam, employé à la Sana!, et Marcel Leroy, instituteur, fondèrent le mouvement Lorraine, connu surtout par son journal du même titre diffusé à partir de 1942. Jusqu'à son arrestation, M. Leroy le rédigea et le fit imprimer à Nancy. Après 1943, René Fallas l'expédiait depuis Paris, ce qui supposait de solides complicités chez les cheminots et chez les postiers qui le redistribuaient.

J.-B. Boog, secrétaire général de la mairie de Walscheid, signale que dans cette commune il existait un " casier postal secret " qui permettait de transmettre régulièrement au service des passeurs les lettres et le contenu des communications téléphoniques.

Dans la Marne

Roger Maillet était chargé, aux PTT, des écoutes et du sabotage ; ainsi, en novembre 1943, il réussit à détruire les jonctions entre Fluko I et Fluko II (réseaux de télécommunications militaires allemands) ; le réseau téléphonique de la région de Reims fut ainsi neutralisé.

À Epernay, en mai 1944, avant la mise en application du plan Violet, le câble téléphonique Paris-Strasbourg fut saboté à quinze reprises. De même, le câble Paris-Metz fut l'objet de coupures répétitives au printemps de 1944; ces actions avaient été entreprises par le secteur de Sainte-Menehoud.

En Meurthe-et-Moselle

M. Jambenoire, ingénieur régional aux télécommunications, était responsable du réseau PTT ; il fut arrêté par les Allemands pendant trois semaines environ.

Son adjoint, M. Raveaud, avait en particulier rédigé un document : Le manuel du parfait saboteur ; nous n'avons pas pu retrouver ce document, manuscrit bien entendu. De nombreux témoins l'ont vu (MM. Teyssandier, Varin, pour ne citer qu'eux) et se souviennent très bien qu'il renfermait de nombreux schémas dans le but de faciliter les écoutes ou les sabotages. Il était de plus agent de liaison entre les divers mouvements de la Résistance ; son bureau, situé au premier étage de la direction des PTT, servait de point de ralliement aux agents pourchassés par les Allemands.

Le secrétaire de M. Jambenoire, Pol Berthélémy, fut arrêté pour avoir soustrait des lettres destinées à la Gestapo, à la Feldgendarmerie ou à la police afin d'éviter des arrestations. La lettre, bien souvent anonyme, était un excellent moyen de dénonciation. Ces lettres étaient facilement repérables et les postiers résistants s'efforçaient d'en détourner le maximum.

M. Jambenoire ne peut pas préciser à quel réseau appartient Pol Barthélémy, à tous peut-être, car il était au courant de tout ce qui se tramait contre l'Occupant et agissait dans les domaines les plus variés : il procurait des cartes d'alimentation et fabriquait des faux papiers aux clandestins ; il assurait le transport des clandestins dans les voitures PTT ; il participait - dans les derniers temps - au sabotage des voies de communication. Se sentant surveillé, il alla se cacher chez sa mère, dans la Meuse, pendant trois semaines. Dès son retour, il fut arrêté par la Gestapo. Il mourut en Silésie, dans un camp de concentration. De tous les résistants de Nancy, il fut le plus dévoué, le plus téméraire, le plus imprudent. Aujourd'hui, à Nancy, un centre principal d'exploitation porte son nom : Nancy Berthélémy.

M. Teyssandier, adjoint au maire de Nancy, a bien voulu nous recevoir et nous le remercions très sincèrement pour tous les renseignements et les documents qu'il a bien voulu nous fournir et qui nous ont permis d'orienter nos recherches. M. Teyssandier était agent au central téléphonique de Nancy ; sa principale activité était de surveiller la table d'écoute installée par les Allemands, et de prévenir les personnes qui étaient écoutées de façon à leur éviter de graves désagréments. C'est ainsi qu'un jour il alerta un commerçant qui présentait la particularité d'être un sujet allemand et qui faisait partie des nombreux " colons allemands " venus s'installer en France pour commencer le noyautage de la population. Ce commerçant le remercia et il n'y eut aucune suite fâcheuse. Il n'en fut pas toujours ainsi et Teyssandier fut à son tour dénoncé et déporté à Struthof en compagnie de Pol Berthélémy.

Un autre agent des PTT, Louis Villermaux, avait monté un système d'écoute des lignes allemandes, derrière le répartiteur sur la boîte d'essais des lignes. C'était un jeune Mosellan sachant l'allemand qui était chargé des écoutes.

Il faut noter une remarque importante de M. Teyssandier : de nombreux agents des PTT, bien qu'ayant des activités de résistance, ne faisaient pas partie de Résistance-PTT, mais de réseaux régionaux tels que le réseau Buckmaster ou Lorraine-Résistance.

À Nancy même, les résistants PTT étaient divisés en deux groupes selon leur situation géographique : ceux des centraux de la grande poste, rue Saint-Julien et ceux de la direction des PTT, place Saint-Jean.

Dans les Vosges

Au début de 1943, plusieurs mouvements mal structurés se partagent le département : ceux de la Résistance : le C.D.L.R., avec pour responsables Mayour alias Gauthier, Pierret alias Gérard, Savouret qui est aussi responsable du N.A.P. ; les correspondants des services spéciaux de l'armée (lieutenant Deringer : Henry ; commandant Godin : Lucien) ; l'organisation civile et militaire ; le mouvement Lorraine ; Libération Nord; Le Front national.

La fusion des mouvements de Résistance au sein des F.F.I. se réalise au printemps 1943. La liaison entre la Résistance et l'administration fut parfaitement assurée par Savouret (N.A.P.). " C'est notre conjonction, dit celui-ci, avec le service des PTT où travaillait Matz (responsable départemental de la Résistance : " Didier " " Duval "), qui fut la plus efficace ". Le bureau du chef du central téléphonique Vallin servait souvent de lieu de rencontre. Là était le point de chute de nombreux agents et du courrier.

La poste centrale devint aussi un centre de renseignements grâce à l'écoute des réseaux téléphoniques et au détournement des lettres de dénonciation.

Les résistants sont à peu près organisés à la fin de 1943. L'unité s'est faite et, dans tout le département, des responsables de groupements, de secteurs, de sous-secteurs ont été mis en place. Les relations avec Londres commencent à être régulières et par dessus la Manche s'échangent des télégrammes.

ACTIONS PARTICULIÈRES

La présence des techniciens des PTT était indispensable pour effectuer les écoutes et les sabotages et encore plus pour rétablir les lignes après l'arrivée des libérateurs. Les occupants eux aussi en avaient un besoin urgent et, début septembre 1944, ils réquisitionnèrent tous les hommes valides et plus particulièrement les techniciens. À Nancy, la situation devint particulièrement difficile, à un point tel que Londres envoyait le 7 septembre 1944 au colonel Grandval un télégramme libellé ainsi : " D'urgence, faites tout votre possible pour éviter que spécialistes PTT soient emmenés par Allemands, leur présence auprès des administrations alliées étant indispensable ".

Les alliés accordaient un intérêt particulier aux télégrammes chiffrés par les Allemands et les services de Vichy. C'est ainsi que les fonctionnaires des PTT connus pour être " sûrs " furent invités à conserver précieusement les duplicatas des messages chiffrés qu'ils possédaient et qui devaient être d'une très grande utilité après la Libération.

L'organisation de la Résistance dans le maquis limousin André Lafarge

En juin 1940, l'armée allemande est aux portes de Guéret et de Bellac. Conscients de cette situation critique, des fonctionnaires des PTT et des responsables de l'armée stockent le maximum de matériels dans une usine de porcelaine désaffectée, devenue propriété de l'administration. Pendant deux ans, l'ingénieur en chef des télécommunications, Hanff, d'origine israélite, disperse, pour des raisons évidentes de sécurité, cette manne exceptionnelle dans des caches en zone Sud et dans la région Limousin. Simultanément, Hanff met en place un réseau étendu de noyautage de l'administration publique (N.A.P.) dont nous découvrons des traces à Limoges, Brive, Tulle, Guéret et Périgueux alors rattaché à la région Limousin.

Des contacts sont pris à la faveur de déplacements professionnels et donnent lieu à de brefs échanges de consignes. D'après Boulègue de Tulle, Hanff utilisa le télégraphe pour renseigner les membres du réseau. C'est ainsi qu'à l'indicatif " Pigeon ", échangé sous le prétexte d'essais et de réglages de voies de télégraphie harmonique, de translations lointaines, voire de terminaux, succédaient des messages urgents concernant la Résistance.

Dès l'occupation de la zone Sud, à Tulle, deux agents du N.A.P., Borelly et Boulègue, mettent en place un dispositif d'écoute des communications téléphoniques échangées à partir du standard de l'armée allemande. L'écoute est réalisée par Schilling qui officie à partir d'Egletons grâce à des renvois effectués de la chaufferie, où transite le câble de dérivation, vers la tête interurbaine desservant le centre manuel d'Egletons.

Dans les mois qui suivent, les organisations de la Résistance PTT en Limousin sont infiltrés par la Gestapo. Hanff est arrêté dans sa cache du Masloubier lors d'un retour tardif d'une mission à Paris. Borelly, à Tulle, est confronté à la police allemande en présence de son délateur. Des arrestations suivies de déportations décapitent la Résistance PTT à Limoges. Borelly et Hanff sont fusillés.

Les survivants réagissent et organisent le contrôle du courrier adressé à la Milice et à la Gestapo. Les résultats en seront malheureusement édifiants et restent parmi les souvenirs les plus pénibles enregistrés par les survivants qui y furent confrontés.

Avec le service du travail obligatoire (S.T.O.), généralisé à des classes de recrutement et la position des réfractaires dispersés en milieu rural, le réseau téléphonique va jouer un rôle considérable. Les structures PTT de l'époque se révélèrent d'une efficacité remarquable du point de vue des renseignements grâce à une implantation décentralisée impliquant de nombreux receveurs et facteurs receveurs très près d'une population dont ils avaient la confiance. C'est ainsi que, sur informations transmises au responsable du bureau, celui-ci dépêchait ses facteurs sur les points sensibles, évitant souvent le pire. Il faut rappeler que le réseau téléphonique en Limousin comprenait de nombreux centres manuels dotés en partie d'installations en automatique rural dont le fonctionnement restait assez mystérieux à l'armée allemande.

En dehors de la présence d'agents de la Gestapo, les militaires qui occupèrent les centraux, soit en permanence, soit de façon occasionnelle, étaient très souvent des anciens soldats de la guerre de 1914 qui avaient bien des soucis. Fréquemment, leur ignorance de la technique, associée a un certain respect des techniciens français qui savaient, facilita les interventions clandestines de nos amis dans les répartiteurs et les installations manuelles ou automatiques. À Brive, un agent utilisa les services de l'allemand affecté au répartiteur pour construire des lignes destinées à la Résistance.

Quelle que fut la situation des centraux, les opératrices acquises à la Résistance rendirent des services inestimables, à la population et aux
groupes armés ainsi qu'aux commissions interalliées en mission dans les maquis limousins. Chaque matin, il était de règle de procéder à des essais systématiques des commutateurs ruraux et des cabines, ce qui autorisait des échanges avec le personnel des bureaux distants et les gérantes des cabines. Nos opératrices avaient, de ce fait, la possibilité de recueillir des renseignements de première main relatifs aux mouvements des groupes de répression repérés par la population intégrée à la Résistance, pour l'ensemble d'une zone regroupant plusieurs cantons desservis par le centre de
groupement téléphonique ! Les informations matinales ou transmises au fil de la journée bénéficiaient d'une centralisation immédiatement exploitée en fonction d'une parfaite connaissance des voies de communications et de la position de nos observateurs bien situés à des croisements routiers.
La traque téléphonique fut institutionnalisée dans bien des secteurs mettant en jeu des gendarmes, agents des chemins de fer ainsi que nos propres agents, au travail dans la nature, notamment ceux des services techniques des lignes et des dérangements à qui nous devons beaucoup.

La poste et les télécommunications en Limousin ont été " l'œil et l'oreille " de la Résistance.

Deux phases bien distinctes, sont à considérer concernant les conditions d'utilisation des réseaux téléphoniques au niveau des infrastructures nationale, régionale, départementale et de groupement.

Avant le débarquement, le réseau téléphonique est essentiellement utilisé aux fins de renseignement et préalerte. Au lendemain du 6 juin 1944, les sabotages massifs, souvent non coordonnés entre groupes, plongent les responsables des Télécommunications au niveau des centres de groupement, en contact direct avec les F.F.I., dans la plus grande perplexité. Les fonctions renseignement et préalerte sont en très grande partie compromises.

Dans des conditions aussi difficiles, il est fait appel directement au savoir-faire des télécommuniquants de ces centres, le plus souvent coupés des directions, départementale et régionale.

Le matériel stocké par Hanff, entre 1940 et 1944, va jouer un rôle considérable. Les agents des télécommunications qui se sont intégrés aux F.F.I. connaissent les planques et vont pouvoir prélever les bobines de câbles de campagne, tableaux et postes téléphoniques qui sont nécessaires à la réalisation de réseaux opérationnels des F.F.I. La couverture ne fut malheureusement pas totale, certains groupes en ayant, d'après des collègues, refusé le principe.

D'une façon spontanée, dans trois centres de groupement de la région Limousin, des réseaux spécifiques vont être créés. Il s'agit des groupements de Bellac et Eymoutiers en Haute-Vienne, Bourganeuf en Creuse.

LE RÉSEAU DU GROUPEMENT DE BELLAC

Tenant compte de conditions locales incertaines, les techniciens des télécommunications réalisent un réseau indépendant en prélevant des circuits sur le parc du service public dont les conditions d'écoulement du trafic restent satisfaisantes. Le standard de l'Armée Secrète (A.S.), installé dans un local à proximité de la sous-préfecture de Bellac, est desservi de jour et de nuit par des maquisards. Des lignes directes le raccordent aux postes de commandement, aux différents camps de base, à la gendarmerie et au central PTT.

En fonction des besoins en matériels, nos camarades réalisèrent une expédition de récupération sur Nieul, (dépôt Hanff), dans des conditions risquées citées par l'état-major de l'À.S. dans la presse, après la Libération.

L'ensemble du dispositif permit au commandant Jean Sénamaud (alias Dumas) de réussir, les 8 et 9 août 1944, le blocage, sur des kilomètres, d'une colonne allemande engagée sur la RN 151 bis (N 145), occasionnant des pertes sévères à l'ennemi tout en ne subissant lui-même aucune perte.

LE RÉSEAU DU GROUPEMENT DE BOURGANEUF

Ce réseau resta confondu avec le réseau civil du point de vue de son exploitation, assurée par les opératrices de la Résistance PTT en poste dans le central téléphonique de Bourganeuf.

Techniquement, les lignes construites pour satisfaire aux besoins du colonel Fossey (alias François), responsable A.S., recevaient une numérotation révélée aux seules opératrices de la Résistance. Et c'est le fait du fonctionnement en automatique du secteur rural, avec le principe de numérotation des commutateurs locaux, suivant leur position hiérarchisée, dans telle branche du réseau, qui assurait le secret le plus parfait. Le réseau en question dut répondre, successivement, aux conditions de mobilité du poste de commandement du colonel François, à l'occupation temporaire du central de Bourganeuf par une colonne allemande et à la progression sur Guéret où était implanté un important noyau de la Résistance PTT.

Le capitaine Castille, PTT démissionnaire à son retour en zone Sud, fut l'adjoint du colonel François dans la clandestinité.

C'est à Bourganeuf que fut réussie la plus belle traque téléphonique, avec la capture finale d'un car de la marine allemande dont les documents transportés vers l'Allemagne, de la plus haute importance, justifièrent un transfert urgent à Londres.

Signalons enfin le détournement des derniers circuits aériens sur voie ferrée Limoges-Clermont-Ferrand vers Bourganeuf où leur écoute systématique, objet de relations écrites, constitue encore une réalité peu révélée.

LE RÉSEAU DU GROUPEMENT D'EYMOUTIERS

Le responsable du centre, acquis à la Résistance, fut confronté à des difficultés exceptionnelles du fait de la sensibilité de cette zone sur laquelle étaient implantés les groupes du colonel Guingouin, résistant actif de la première heure, très souvent pourchassé par les groupes de répression.

Dans les débuts, le réseau téléphonique, considéré comme le symbole du pouvoir en place, fut souvent mis à mal, enlevant ainsi des possibilités d'action à la Résistance PTT.

La première structure opérationnelle réalisée à partir de Sussac, où étaient implantés l'état-major F.F.I. et la commission interalliée dirigée par le major Staunton, joua un rôle important dans les combats du 16 au 23 juillet 1944.

En raison des responsabilités qui incombaient au colonel Guingouin, dans sa mission d'investissement de la ville de Limoges, le central téléphonique d'Eymoutiers occupait une position stratégique de tout premier plan. Le dispositif d'alerte fut étendu aux groupes A.S. de Bugeat en Corrèze, desservi par Eymoutiers. Le câble grande distance Limoges-Clermont-Ferrand, coupé depuis le 9 juin, fut rétabli sommairement, autorisant la construction de liaisons clandestines avec les groupes en cours de concentration à la périphérie de Limoges. La position avancée du P.C. du colonel Guingouin à Lajaumont, près de Linards, put être solutionnée en bouleversant l'exploitation du centre de Saint-Léonard. Une partie des commutateurs en automatique rural de ce centre fut temporairement renvoyée sur Eymoutiers où officiaient des opérateurs de la Résistance. Une disposition technique originale permit de contrôler, à partir d'Eymoutiers, tout le trafic départ de ces centres.

Dans les autres centres de groupement de la région, la Résistance PTT n'en fut pas moins active et efficace dans la phase finale. Des lignes de préalerte furent utilisées à Guéret, Aubusson, Tulle, Egletons, Argentas, Ussel, Bort-les-Orgues.

Quelques formes de l'action des agents PTT dans l'Aveyron

Abbé Foucras

Cette communication qui traite de la Résistance des PTT dans l'Aveyron portera sur des faits, et non sur une présentation thématique qu'il m'est difficile, en l'état actuel, de présenter.

UN COMMIS DES P7T, ROGER CHAPELLE, DANS LA RÉSISTANCE

Tous les agents des PTT sont unanimes à reconnaître que l'introduction et l'organisation de la Résistance dans l'administration des PTT, à Rodez et dans le département, ont pour origine un commis au télégraphe, qui vit à Rodez depuis 1931, qui a été mobilisé, démobilisé, et qui a pris position dans la Résistance, dès 1940. Un fait manifeste cette position dés le début de la Résistance : fin février 1941, sous la direction de René Courtin, un groupe se réunit chez le notaire Graulle à Rodez, pour une action organisée de Résistance dans l'ensemble du département. Il y a, en particulier, autour de René Courtin et du notaire Graulle, originaire de l'Ariège, Alfred Merle, chef d'entreprise, qui vient de Millau. Il y a, ensuite, Basile Courtial, agent d'assurances, et un entrepreneur, Théophile Foissac.

Leur première préoccupation : agir pour tenter de ne pas se retrouver seulement quatre dans leurs réunions et dans leur action. À qui s'adressent-ils? Un texte écrit du notaire Graulle, texte qu'il m'a adressé, le précise :" Notre action s'est développée, dès le point de départ, auprès d'amis, de résistants et, parmi ces amis et résistants, il y a un négociant, Galibert, un entrepreneur, Bardet, mais il y a aussi Roger Chapelle qui, par cette affirmation même, se trouve désigné comme ayant participé à une action antérieure de résistance, dès 1940 ". Sont bien de cet avis ses camarades des PTT à la poste de Rodez. Deux faits vont engager Roger Chapelle dans une action de résistance continuelle, très active.

Le premier engagement de Chapelle, dont un des survivants de l'époque, Jean Souyri, m'a précisé dernièrement la date, remonte à octobre 1941. Une visite est faite à la direction départementale des postes par le directeur régional, Viel, et par l'inspecteur principal, Gourjon, qui demande à Chapelle, en présence du directeur, d'assurer des liaisons par télégraphe " Baudot " depuis Montpellier. Il en informe très rapidement son camarade, commis au même service télégraphique, Jean Souyri, qui accepte d'y participer, dans la mesure où son activité sera nécessaire. Plus tard, entre septembre et novembre 1942, son action va s'élargir à l'ensemble du département. Pour quelle raison? Parce qu'il y a des créations nouvelles qui viennent d'intervenir dans l'organisation de la Résistance et de son unité : création d'un comité de coordination entre "Combat ", " Libération ", " Franc-Tireur ", et création de l'Armée Secrète et du N.A.P.

C'est le 18 novembre 1942, sous la direction de René Courtin, qui est passé dans l'Aveyron avec Pierre-Henri Teitgen, que se fait la nomination de Freychet, ancien polytechnicien, capitaine d'artillerie en 1918, directeur des caves de Roquefort, à la tête de l'Armée Secrète. C'est aussi à cette date, selon toute probabilité, que Roger Chapelle est nommé chef-adjoint du N.À.P. auprès de Bardet, pour l'ensemble de l'Aveyron et pas seulement à l'intérieur des PTT, ce qui lui donne un rôle et un rayonnement d'ampleur départementale.

Autre date marquante dans l'action de Roger Chapelle : le 8 décembre 1943. Il se passe ce jour-là, à Rodez, un événement qui va être le signal de la décapitation de la Résistance dans la région : l'arrestation de Basile Courtial qui faisait partie du premier groupe d'action résistante organisée à Rodez. Basile Courtial arrêté, cela signifie qu'un danger imminent menace Roger Chapelle. Ses camarades insistent pour qu'il demande instamment un congé de maladie de quinze jours. Il le demande, l'obtient et disparaît ; il revient quelques jours plus tard, avant l'expiration du congé en tout cas, et reste quelques jours à Rodez. Sur sa demande, il est mis en disponibilité. La Gestapo le recherche (ses amis ne s'étaient pas trompés sur le gibier qu'il constituait pour elle) et demande au directeur départemental Andrieu l'adresse de Chapelle. Il refuse. Chapelle, qui est encore présent à Rodez, est immédiatement prévenu, par l'intermédiaire de ses camarades, que son adresse est désormais connue de la Gestapo qui a fini par l'obtenir à la mairie. Chapelle disparaît, gagne aussitôt Mende, non pour s'y réfugier seulement, mais pour y continuer son action avec des déplacements sur Espalion et même Rodez, si nécessaire.

Au cours de la période de février-mars 1944, Roger Chapelle est l'objet d'une importante promotion : il est nommé délégué du nouveau chef départemental des Mouvements Unis de Résistance (M.U.R.), Jean Moisset, tandis que son camarade Adrien Méravilles est désigné comme secrétaire. Cette nomination a son origine, d'une part, dans l'activité déployée par lui et, d'autre part, dans la décapitation de la Résistance de la région de Rodez depuis l'arrestation de B. Courtial par la Gestapo, la nuit du 8 au 9 décembre 1943, qui est suivie des arrestations, fin décembre et janvier, du docteur Maynadier, de Louis Dausse et de trois chefs de trentaine à Rodez, du docteur Couronne et de l'ingénieur Toutblanc à Laissac, de l'ingénieur François Galtier et de M. Gonon, à Saint-Geniez. Le 6 février 1944, c'est Alfred Merle qui est arrêté à Millau et, quatre jours plus tard, " suicidé " par la Gestapo à l'intérieur de la caserne Burloup. C'est dans ces conditions que Roger Chapelle a été nommé délégué du 4e chef départemental des M.U.R. par le chef du directoire de R3, G. de Chambrun.

De Mende, où il réside clandestinement, Roger Chapelle, pour remplir ses fonctions, fait d'importants déplacements à l'intérieur de l'Aveyron. Il se rend en particulier dans le bassin houiller, avec Corradi, au cours des mois d'avril, mai et juin. Le 15 juin, alors qu'il se trouve de passage dans son appartement à Rodez, il est gravement blessé, emmené à l'hôpital et soigné. Sa blessure est trop grave : il en meurt le 17, profondément regretté par ses camarades et tous les résistants.

À L'INTÉRIEUR DES PTT

Je vais décrire maintenant l'organisation, sur l'initiative de R. Chapelle, d'un groupe d'action résistante à l'intérieur de la poste de Rodez et, de là, dans le département. Ce groupe s'est mis en place à partir de la présence des Allemands, le 11 novembre 1942 à Rodez. Cette présence est vraiment sentie dès le lendemain, à la vue du défilé de leurs troupes devant la poste et la préfecture.

Cette organisation comporte une équipe départementale composée de trois hommes, agents des PTT à la poste de Rodez, qui ont d'abord une action locale sur un groupe important d'agents, puis sur un plan départe-mental : Émile Diet alias " Durand " ; Adrien Méravilles, contrôleur, dit " Piquet " ; Jean Souyri, dit " Bisou ", qui est, avec Chapelle, commis au central télégraphique. Des réunions clandestines, régulières, se tiendront dans le bureau de M. Diet. En coordination avec l'équipe départementale, une équipe locale assume une action résistante dans divers services : les éléments en ont pu être reconstitués sur documents laissés par A. Méravilles.

À partir du centre de Rodez et du groupe départemental, une ramification s'est étendue à l'ensemble du département dont les centres urbains ont été reliés, par liaison téléphonique, à la poste centrale de Rodez. C'est le cas de Villefranche où Mme A. Labeille assume la responsabilité d'une liaison téléphonique avec Rodez ; elle est aidée de plusieurs auxiliaires et d'un contrôleur aux installations mécaniques. À Decazeville, Mme Nelly Boutan assure cette même liaison avec Rodez. À Espalion, elle est effectuée moins par téléphone que par messages écrits, transmis par Mme Batut. À Millau, la liaison télégraphique fonctionne sous la responsabilité de Mlle Josette Bouloc.

L'action des agents résistants des PTT, contribution volontaire et pleine de risques à la Libération et à la victoire alliée, peut être rapidement présentée sous deux formes : aide à la Résistance d'abord et actions plus directement dirigées contre l'action des troupes allemandes.

AIDE À LA RÉSISTANCE

La forme la plus fréquente d'aide à la Résistance de la part des agents des PTT a été la transmission de messages " clandestins " par utilisation du téléphone et du télégraphe.

Par télégraphe " Baudot ", la transmission des messages s'est faite, de fin 1941 à la Libération, entre Montpellier et Rodez. À partir de la présence des troupes allemandes en novembre 1942, un relais fut établi à Millau.

La transmission de messages téléphoniques ou de renseignements par des agents des PTT s'est faite normalement, à partir de Rodez, par l'équipe " Durand ", " Piquet " et un groupe d'auxiliaires du service téléphonique.

L'utilisation des lignes publiques du téléphone a été pratiquée par les organismes de la Résistance : mouvements, A.S., maquis. Elle est, en particulier, confirmée par une déclaration du commandant Goy, chef du groupement A.S. du bassin houiller. Dans un rapport, il précise que deux réseaux servent aux transmissions de son groupement : un premier réseau créé avec du matériel de l'armée récupéré, un deuxième réseau constitué par le réseau " fils des PTT ".

Venu de Sète, où il était en danger d'arrestation, le colonel Journet arrive à Millau fin juillet 1943. Entré à l'À.S. que dirige Freychet, il est, en décembre, mis à la tête du district Nord-Ouest-Aveyron, de Villefranche à Saint-Geniez. Son P.C. de Pommiès sera, en juillet 1944, relié à Rodez par Conques grâce aux lignes publiques, et relié de la même façon avec le Cantal par Vieillevie. Il en était de même de la plupart des maquis.

Il apparaît utile de signaler la création d'un réseau téléphonique particulièrement important, par le capitaine " Vincent ", à Entraygues. Ce centre de renseignements a fonctionné, sur lignes publiques, du 7 au 23 août 1944. Le relevé des messages a été fait ; il comporte 37 pages de texte serré. Au cours d'une journée passée à Entraygues avec le commandant Lac, qui y avait un maquis, nous avons étudié ce texte. Le commandant Lac a conclu cet examen par les paroles suivantes : " C'est bien les ordres que j'ai reçus et ceux que j'ai donnés ; c'est bien les renseignements que j'ai reçus et ceux qui m'ont été transmis par mes agents de liaison au téléphone ".

Ce centre de renseignements utilise les lignes des PTT sur un rayon d'une centaine de kilomètres, d'Aurillac à Séverac et Millau, et de Millau à Villefranche, Decazeville et Maurs, par Rieupeyroux et même Carmaux. Le nombre des messages est de sept le 7 août, de dix-huit chacun des jours suivants, de trente à cinquante-trois du 10 au 20 août. La fréquence des messages et renseignements de Rodez par " Durand " ou " Piquet " est de deux le 9, un le 11, trois le 12, deux le 13, quatre le 14. Le 17, les agents des PTT de Rodez diffusent plusieurs fois l'ordre de retraite de la Wehrmacht. La nuit du 17 au 18, l'équipe de Rodez sauve de la destruction le central de la poste. Durant ces jours de Libération, le 18 pour Rodez, le 22 pour le département, le P.C. du commandant Goy fait état des multiples renseignements fournis par les PTT. Je reprends volontiers en conclusion ce paragraphe, une réflexion personnelle formulée à plusieurs reprises :

L'utilisation du réseau " fils des PTT " en faveur de la Résistance ou par la Résistance s'est effectuée sur une grande échelle. Cette utilisation n'a pu se faire sans le silence, et mieux, sans l'accord actif d'un nombre important d'agents, de receveurs, de responsables élevés des PTT, dans l'ensemble des régions de l'Aveyron ".

Il me paraît bon de mettre en relief, en raison des réponses précises données à un questionnaire que je lui avais soumis, le mode de transmission des messages clandestins utilisé par Mme J. Batut, agent auxiliaire des PTT à Espalion. Les messages à transmettre, enfermés dans un pli ou un paquet, étaient placés dans le sac de chaque lieu de distribution à un destinataire. Ce mode de distribution pouvait à l'occasion être remplacé par le téléphone.

Les messages à transmettre par Mme Batut provenaient, soit des agents des PTT de Rodez (ils lui parvenaient alors par le chauffeur du car David d'Espalion ou du car quotidien d'Aurillac-Rodez) soit des responsables successifs de " Combat " ou des " M.U.R.-A.S. " : Fanguin, Lacroix, Moncet ; soit de Chapelle, à partir de Mende ou de Rodez. Les destinataires étaient des responsables civils de la Résistance : Lacroix à Espalion, Durand à Saint-Chély-d'Aubrac, Chassang à Mur-de-Barrez, Castanier et Brévier à Entraygues, Grignac à Estaing ; ou bien des chefs de maquis : capitaines " Roland " au maquis d'Aubrac, ou " Jules " au maquis des Bessades, ou " Jean-Pierre " au maquis d'Estaing.

Elle est prise une fois sur le fait par le receveur des PTT, peu favorable à la Résistance. Auxiliaire, elle est mise à pied, mais réintégrée quelques jours plus tard sur intervention du directeur régional des PTT.

QUELQUES ACTIONS PONCTUELLES

Trois de ces actions sont évoquées ici. Elles ne sont pas le fait d'agents faisant formellement partie d'un groupe déterminé. Ce sont des actions qui manifestent l'extension de l'esprit de résistance.

La première action est la remise à M. Diet, de l'équipe départementale, d'une serviette abandonnée dans la rue et contenant des listes de personnes d'une région déterminée autour de Rodez, personnes qu'il serait possible ou qu'il importerait de toucher pour une prise de position en faveur de Vichy. Cette serviette a été trouvée dans la rue, un matin de l'hiver 1943, par le fils de Mme Rivière, employée des PTT, à son départ pour l'école. La serviette est remise à M. Diet. Le geste paraît bien inspiré par le désir de servir la Résistance. Qui avait égaré cette serviette ? Un officier allemand ? Un responsable du S.O.L. ? Bien difficile de trancher !

La seconde a pour auteur un agent des PTT de Millau. M. Freychet, chef de l'Armée Secrète, est arrêté à Rodez, par la Gestapo, le 3 mai 1944. La Résistance d'un côté, la direction des caves de Roquefort de l'autre, craignent qu'il ne soit jugé et condamné à mort. Pour le tirer des griffes de la Gestapo, plusieurs moyens sont envisagés : action violente, pourparlers et tractations ; ceux-ci, entamés, sont abandonnés, repris. Sur l'attitude à prendre, des divergences existent entre la Résistance et la direction des caves. Celle-ci craint surtout si les tractations aboutissent, que M. Freychet soit remis au préfet régional Rebouleau qui est milicien et, par celui-ci, à l'intendant Marty, depuis peu à Toulouse et grand ennemi de Freychet.

Durant les tractations entre le 3 et le 21 mai 1944, Vrignault, chef de la Résistance à Millau, sait que le tribunal enverra à Rodez, à date déterminée, un dossier concernant M. Freychet. Pour empêcher à tout prix l'envoi de ce dossier, il demande à Mme Bourrel, agent des PTT, de subtiliser et de lui remettre personnellement ce dossier en un lieu qu'il lui précise. Le dossier est effectivement, au jour prévu, porté à la poste par le concierge du tribunal et enregistré. Mme Bourrel enlève le dossier, le met dans son sac, rejoint M. Vrignault au lieu fixé et rentre à la poste reprendre son travail. Aux yeux de Mme Bourrel, l'enlèvement de ce dossier est justifié par le fait même qu'il est demandé par le responsable de la Résistance. Elle affronte, quant à elle, les risques personnels que comporte cet acte révélateur d'un état d'esprit de résistance partagé par ses deux compagnes : Mmes Auriol et Amat.

L'enquête consécutive à l'enlèvement, plus formelle qu'effective, n'aboutira pas. Le directeur de la poste voulait-il qu'elle aboutisse, ou cherchait-il seulement une couverture ?

La troisième action ponctuelle comporte deux aspects d'une action de résistance étalée dans le temps. Mme Palophy, en effet, employée à la poste de Saint-Afrique, fournit des renseignements au radio de l'Armée Secrète en vue de leur transmission, soit à Alger, soit à Londres. Le poste d'émission est installé au C.C. que dirige Mlle Salvignol. Chez eux, M. et Mme Palophy ont, en outre, en garde un poste radio.

ACTION CONTRE LES ALLEMANDS

Cette action n'est pas " directe ". Elle n'en est pas moins efficace et elle contribue, en plusieurs circonstances, à gêner ou neutraliser l'action de la Gestapo ou des troupes allemandes. Voici quelques-unes des formes de cette action :

- cache du matériel des PTT susceptible d'être réquisitionné ;

- information sur les troupes allemandes cantonnées ou en déplacement dans le département (identité, importance, dates, matériel, etc.) ;

- sabotage, près d'Inières, du téléphone souterrain reliant les P.C. allemands de la zone Sud : Toulouse-Avignon ou Lyon, par Rodez ;

- sur indication d'agent des PTT relative au passage, dans la région de Mur-de-Barrez, des communications téléphoniques allemandes vers les P.C. du littoral méditerranéen, sabotage des lignes de la région ;

- contrôle systématique du courrier de la Gestapo; subtilisation des lettres anonymes dénonçant des personnes ; information de celles-ci ;

- information des maquis intéressés, sur toute action de répression montée contre eux à date déterminée par la Gestapo et par les troupes allemandes. À deux reprises, le maquis " Stalingrad " est prévenu d'une action de répression montée contre lui : le 12 avril à La Boissière, commune de Balsac ; le 18 juin à La Calmette près de Villefranche-de-Panat. Les deux fois, Gestapo et troupes cernent le vide... et se replient en fureur.

Les hommes qui préviennent les maquis en danger sont d'ordinaire des agents des PTT de l'équipe départementale. Leurs informateurs ? Un ou deux officiers autrichiens de la Kommandantur. En tête, le capitaine Bundchuh qui, sentant la Gestapo aux aguets, par la boîte aux lettres du commandant " Richard ", chef des F.F.I., exprimera son désir de rejoindre le maquis " Jean-Pierre " et sera enlevé, le 8 août, sur le Pont-des-Quatre-Saisons de Rodez.

Ma conclusion, je crois devoir la demander à quelques lignes du colonel Journet : " Qu'il me soit permis ici, écrit-il dans un rapport général, de rendre hommage aux personnels des PTT de tout rang qui nous aidèrent considérablement dans toutes nos relations : pas un bureau de poste où nous n'ayons au moins un agent et parfois plusieurs, dévoués à notre cause. Tous les mouvements de troupes nous étaient signalés ; du plus humble bureau de poste, nous parvenaient parfois des renseignements précieux. C'est grâce au personnel des PTT qu'il nous fut possible d'exécuter notre programme de barrer trois fois la route aux Allemands qui tentaient d'établir leur ligne directe de retraite par le central de la Haute-Loire ".

Rôle et action des agents des PTT dans le Doubs et le Jura entre 1940 et 1944 

Pascale Collin

Notre étude porte sur le département du Doubs et une ville du Jura : Lons-le-Saunier, ceci pour des raisons d'ordre stratégique. En effet, le département du Doubs est inclus dans la zone interdite et celui du Jura est traversé par la ligne de démarcation, sa partie sud étant en zone libre jusqu'en novembre 1942. Une question se pose : la ligne de démarcation est-elle un facteur de résistance ? Pour y répondre, nous avons très largement fait appel à des enquêtes orales réalisées à l'aide d'un questionnaire type : quatorze personnes dans le Doubs et cinq dans le Jura s'y sont prêtées (il est évident que le nombre des résistants est beaucoup plus important).

Ces acteurs de la Résistance n'occupent pas, dans l'ensemble, des postes de responsabilité au sein de l'administration des PTT. Il apparaît ainsi que la Résistance est le fait de tous. Les formes d'actions des résistants sont nombreuses et diverses. Chacun selon ses fonctions, ses possibilités, tente de nuire, pendant ces quatre années, à l'Occupant. Pour le Doubs, la Résistance PTT se traduit essentiellement par des actes isolés, sauf deux exceptions : M. Chaillet, facteur à Besançon, détourne des lettres suspectes pour les transmettre à un réseau, appelé " Carmel ", de Besançon. Il précise : " Pour détourner une lettre, c'était facile ; mais pour la remettre dans le réseau, c'était beaucoup plus difficile ". Mme Filloz, receveuse à Clerval, fut la deuxième exception. Elle parlera elle-même, et sans nul doute beaucoup mieux que moi, des événements qu'elle a vécus.

Je rappelle que la Résistance PTT dans le Doubs se traduit essentiellement par des actes isolés. Mais cette situation n'amoindrit en rien la volonté des agents des PTT de contrecarrer les plans allemands. Et cette résistance active recouvre différents aspects. Nous avons, par exemple, les sabotages techniques. À Pontarlier, M. Groshanny, alors auxiliaire aux télécommunications, remplace très facilement les bons fusibles par des mauvais. À Besançon, M. Desvigne, agent des lignes, décide aussi d'agir en coupant les lignes téléphoniques. Mais cela est trop visible, les Allemands repèrent immédiatement le sabotage ; il faut trouver un autre système susceptible de les gêner beaucoup plus longtemps. Le meilleur moyen, lui semble-t-il, est de provoquer des courts-circuits en bouclant tout simplement la ligne.

En second lieu, on peut citer les camouflages. Cette opération varie, bien sûr, de la dissimulation simple à l'emploi du matériel non contrôlé. À Lons-le-Saunier, Marcel Folliet, chef de secteur PTT, reçoit, en 1940 ou 1941, deux wagons de câbles volants. Par sa fonction, il décide de les cacher dans les caves de plusieurs bureaux de poste du Jura.

Il y a aussi la circulation clandestine des tracts et du courrier. Dès l'Occupation, des restrictions au service postal sont imposées. Pourtant, des tracts circulent. On en retrouve des traces dans les archives. Rien ne laisse supposer que les résistants qui envoient ces documents appartiennent à l'administration des PTT. Mais ils ont déjà pressenti le rôle que pouvaient jouer les agents de cette administration. Les tournées de facteurs ne sont-elles pas une bonne couverture pour distribuer en même temps des tracts ?

Il y a un deuxième aspect dans cette forme de résistance : le passage du courrier entre les deux zones. Et là, nous pouvons citer l'exemple de Mme Kern, receveuse à Liesle, petit village près d'Arc-et-Senans, qui passe des centaines de lettres en zone libre. C'est très simple mais il fallait le faire. Avec son mari, elle prend contact avec les Allemands et les douaniers de la ligne de démarcation, et sympathise avec eux. Dans le Doubs, on boit facilement la goutte et, en quelque sorte, ils les achètent, et un prêté pour un rendu, ils passent la ligne quand ils veulent. La complicité est telle qu'un agent allemand les prévient lorsqu'ils ne doivent pas passer la ligne.

On peut citer un autre type de résistance : l'aide apportée aux personnes. Certaines personnes ont besoin de disparaître pour un temps, de se faire oublier. Les applications varient et sont nombreuses : Alsaciens-Lorrains, juifs, prisonniers évadés, réfractaires au S.T.O., toute personne politique suspecte. Nous retrouvons Mme Kern qui, grâce à ses facilités pour franchir la ligne, vient en aide à tous ceux qui veulent se rendre en zone libre. Liesle est un petit village, tout le monde est au courant de ses activités, alors les gens voulant passer la ligne arrivent simplement dans son bureau de poste. Elle s'occupe du reste.

En automne 1942, Mlle Régnier, receveuse à Lavernay, dans le Doubs, reçoit une convocation dans le cadre de la relève destinée à M. Pelot. Elle le prévient immédiatement pour qu'il puisse s'enfuir s'il le désire et, comme il était de rigueur à l'époque, elle attend les trois jours réglementaires pour retourner la lettre recommandée. Sur celle-ci, elle mentionne : " Absent, n'est pas à l'adresse indiquée ". Pendant l'été 1943, nouvelle lettre recommandée mais qui, cette fois-ci, s'inscrit dans le cadre du S.T.O. Sa démarche est identique auprès de l'intéressé qui, lui aussi, disparaît sans " laisser d'adresse ".

Enfin, la résistance des postiers se traduit par le refus d'être eux-mêmes des déportés du travail. M. Décuré, auxiliaire aux essais et mesures à Besançon, est convoqué début 1943. Pour échapper au S.T.O., il se fait établir une nouvelle pièce d'identité grâce à la complicité du maire de Roche-les-Beauprez. Il change sa date de naissance. Il peut alors rester à son poste et saboter avec son supérieur. M. Malortigue, les lignes allemandes à Besançon. Tous ces exemples évoqués restent le fait d'individus isolés, sans contact avec des groupes de Résistance. Par contre, à Lons-le-Saunier, la Résistance PTT est en accord étroit avec les groupes de Résistants de l'extérieur. Les trois personnes des télécommunications interviewées à Lons-le-Saunier, entreprennent leur action dès 1942 et 1943. Citons le cas de Biel, nom de maquis d'une de ces personnes, qui a voulu garder l'anonymat. Il est responsable de l'entretien des véhicules PTT. On comprend immédiatement l'aide primordiale qu'il peut apporter aux maquisards. Biel, par son activité PTT, propose un camouflage idéal pour les transports de la Résistance. Or, dès 1942, la région lédoninne est une plaque tournante pour les arrivées et les départs vers l'Angleterre. Biel et ses amis récupèrent le matériel parachuté par les Anglais et pendant la journée, Biel le redistribue, au cours de son service postal, aux adresses convenues. Il transporte également, dans ces fameux camions, des jeunes maquisards. Il offrira toujours à la Résistance un très bon camouflage.

Cette complicité entre la Résistance PTT de Lons-le-Saunier et les groupes de résistants atteint son apogée au milieu de 1944, avec la pose des téléphones. La disponibilité du réseau PTT aux groupes de résistants est représentée par M. Guillaume. Avec une équipe de cinq hommes, à bicyclette, ils installent des téléphones dans quelques maquis grâce aux câbles volants déjà mentionnés. Par nécessité technique, ces câbles sont enterrés et reliés à la poste de Lons-le-Saunier. Au central, les liaisons sont camouflées par un monsieur dénommé Charles Brottes, qui a le très grand avantage de parler allemand.

Tous ces exemples montrent combien les activités des résistants PTT sont diversifiées. Isolées ou groupés, les postiers tentent quotidiennement d'enrayer l'organisation et les besoins des Allemands. Des postes aux télécommunications, chacun trouve des subterfuges pour tromper l'ennemi. Les études sur le Doubs et une partie du Jura révèlent différents aspects. Il n'y a pas, semble-t-il, une organisation résistante spécifique aux PTT ; les agents PTT agissent d'une manière isolée ou lorsqu'une résistance organisée existe, ils travaillent en accord avec les maquis.

Le deuxième point que nous avons évoqué est la présence de la ligne de démarcation : " ce mors dans la bouche d'un cheval ", au dire d'un responsable de la Wehrmacht. Cette frontière a un impact sur l'évolution de la Résistance. Le Doubs et la partie nord du Jura, sous l'emprise directe de l'Occupant, tentent de résister immédiatement. Mais cette volonté de nuire est freinée par l'organisation de la police allemande. Par contre, le Jura sud qui ne supporte pas le joug allemand est peut être moins enclin à la lutte. Pour ceux qui décident d'agir, une marge de manœuvre plus large existe. Or, il semble que les agents des PTT de Lons-le-Saunier résistent fin 1942 et surtout à partir de 1943.

Il faut également préciser que la Résistance, ce n'est pas seulement l'élite de la clandestinité. Les personnes interrogées étaient jeunes à l'époque, elles n'avaient pas de poste de responsabilité. Mais la Résistance n'aurait pu travailler sans ces fonctionnaires à leur disposition pour des missions de protection et de couverture. Les agents des PTT ont bien conscience de la particularité de leur situation. Leur but a toujours été de rester présent à leur travail et d'utiliser le matériel PTT comme camouflage. Enfin, il faut insister sur la lutte commune et l'engagement désintéressé des résistants PTT. En effet, les luttes politiques n'apparaissent pas dans la volonté de nuire à l'Occupant et de libérer le pays. De plus, de leurs actes de résistance, aucun ne tire profit et promotion professionnelle.

Sabourdy

Je pense qu'il est difficile de séparer la Résistance

PTT de la Résistance en général, aussi je préfère employer l'expression " les PTT dans la Résistance ", car à vouloir en faire quelque chose de corporatif je pense qu'on risque de donner une vision réductrice et même passer à côté de la réalité de la Résistance. D'ailleurs, le caractère multiforme qu'a pu avoir la Résistance est notamment ressorti dans les communications de l'abbé Foucras ou de Pascale Collin.

C'est vrai qu'il y a eu des actions ponctuelles, des actions individuelles de sabotage, motivées par un sentiment anti-allemand, mais je pense que le véritable caractère de la Résistance PTT réside notamment dans l'information et le rôle qu'elle pouvait jouer par rapport au maquis, en indiquant les mouvements des troupes allemandes, les intentions de la police de Vichy, et aussi en donnant des informations qu'on pouvait envoyer à Londres.

J'ai entendu dire, au cours des communications, que la Résistance PTT avait été le fait des cadres. Ceux-ci ont, en effet, largement participé à la Résistance, mais je crois qu'il ne faut pas oublier, et c'est ce qui ressort ici, que le personnel a fait un effort énorme. Sans la téléphoniste ou le postier, comment avoir une information?

À la base, la Résistance était tout un ensemble de petits faits et de petites choses qui, même s'ils étaient et sont restés anonymes, ont permis à la Résistance de prendre forme et de devenir massive par la suite.

Il a été dit que la Résistance PTT, à l'origine, avait été le fait de personnes âgées, d'anciens combattants de la guerre 1914-1918, de vieux patriotes. Je ne partage pas cet avis. Je crois qu'il faut se situer dans le contexte de l'époque. Une grande majorité des anciens combattants était sensible à l'idée que développait le maréchal Pétain, justement en faisant vibrer en eux la corde sensible du patriotisme. Il en avait donc drainé un bon nombre; même s'ils ont vite compris où l'on était en train de les mener.

L'origine de la Résistance est le fait plutôt de gens d'un certain âge, certes, mais ceux-ci étaient animés d'un esprit de refus de l'occupation allemande, d'un esprit de liberté et d'indépendance du pays, d'un esprit antifasciste (notamment en direction du nazisme, mais pas seulement du nazisme). Ce sont ces gens-là qui, en effet, quel que soit leur horizon politique (car il y en a eu de tous les horizons et pas seulement communiste ou socialiste), ont constitué, en définitive, le point de départ des réseaux en France, qui ont permis la naissance et le développement de la Résistance dont les rangs grossirent avec les réfractaires au S.T.O. Le refus du S. T. O. par les jeunes n'était pas évident et il faut tenir compte du rôle qui a été joué pour informer et empêcher ces jeunes de partir en Allemagne. Ce sont eux qui ensuite ont constitué les maquis. Je crois que tout cela est inséparable si l'on veut vraiment faire l'histoire de la Résistance.

Rolande Trempé

En tant qu'historienne, je n'ai pas ressenti que les gens qui se sont exprimés voulaient défendre absolument l'aspect corporatif de leur engagement dans la Résistance. Bien sûr, je ne suis pas membre du personnel des PTT, mais la perception que l'on peut avoir de l'extérieur montre que cette résistance est absolument inséparable du contexte général. Je pense en tout cas - et je suis tout à fait objective sur ce point au moins - qu'il n'y a pas eu la volonté de faire apparaître la défense d'un esprit de corps particulier.

Quant au problème de l'âge, je dois préciser que c'est une remarque qui a été faite seulement par Guy Labedan et qui ne vaut, jusqu'à nouvel ordre, que pour le département du Gers. Je crois donc qu'avant de tirer des conclusions sur l'âge moyen des gens dans la Résistance PTT, il faut être d'une prudence extrême. Il serait nécessaire que nous puissions nous appuyer sur des typologies, ce qui n'a pas encore été fait, et devrait l'être dans le futur.

Enfin, il est primordial pour l'histoire qu'on fasse apparaître enfin, de façon claire, toute cette résistance silencieuse, cette résistance qui repose sur ces tâches obscures d'accumulation. Car il est vrai que l'image dominante de la Résistance, dans le grand public en France, est celle des actes spectaculaires, celle des choses qui se voient, et je crois que c'est une vision très réductrice de la Résistance. Cette résistance-là, spectaculaire, n'aurait pas été possible sans toute une infrastructure silencieuse que l'exemple des postes illustre remarquablement bien.

Joseph Filloz

Je suis d'accord avec ceux qui ont dit que la Résistance était le fait des petits grades. Je vais vous en donner un exemple.

À Besançon, les vérificateurs avaient monté un système grâce auquel ils pouvaient se téléphoner sans passer par le central téléphonique manuel où il y avait en permanence une table d'écoute avec des interprètes allemands qui ne laissaient rien passer.

Au début de l'Occupation, quand les Anglais ont commencé les bombardements sur l'Allemagne, il y avait une dérivation sur le câble Dijon-Strasbourg qui passait à Besançon, mais il n'y avait pas de station d'amplification. L'administration des PTT avait installé, dans l'appartement du directeur resté vacant, un central téléphonique réservé aux Allemands, avec des circuits spécifiques sur lesquels nous n'avions pas le droit d'intervenir.

Les avions anglais qui allaient bombarder le sud de l'Allemagne passaient par la Trouée de Belfort pour éviter la D.C.A. allemande, installée sur les Vosges, car leur plafond en charge était faible.

La D.C.A. allemande bénéficiait d'une liaison téléphonique spéciale. En effet, à côté de Troyes, à Barberey, il y avait un centre d'écoute, centre de repérage par le son, que les Français avaient monté pour protéger la capitale pendant la guerre 1939-1940. Les Allemands l'avaient repris à leur compte, tourné vers la Manche. Ce centre était relié avec la chasse aérienne de Luxeuil-les-Bains gardant la Trouée de Belfort par une quarte souterraine : trois circuits par Troyes, Dijon, Dôle, qui empruntaient à Besançon un groupe de fils aériens. Mais l'affaiblissement sur les lignes souterraines à grande distance (L. S. G. D.) ne permet pas la retransmission directe du courant d'appel en 25 périodes sur les circuits aériens.

En l'absence de station d'amplification à Besançon, les Allemands avaient dû monter au répartiteur d'entrée, à la sortie du câble, trois retransmetteurs d'appel. Leur fonctionnement était déterminé par des relais ultra-sensibles avec des contacts en métal précieux. La moindre oxydation en empêchait le fonctionnement. C'est par sécurité qu'il y avait trois retransmetteurs.

C'est la présence de cette installation extrêmement fragile qui m'a permis d'intervenir. Une intervention sur les retransmetteurs, continuellement surveillés, était très dangereuse et demandait beaucoup de célérité.

Je travaillais en brigade et je terminais mon service à 21 heures. Avant mon départ, la sentinelle qui gardait les installations se rendait aux W. C., à l'autre extrémité du central automatique. Je disposais alors de quelques instants pour neutraliser l'appel dans le sens Troyes vers la chasse allemande afin de retarder son départ s'il y avait un passage de bombardiers anglais. Je passais la mine d'un crayon gras, usé en palette, sur les contacts des relais sensibles. Le lendemain, aux essais, les Allemands se portaient sur la tête de câble avec un poste militaire. Le courant fort du magnéto faisait battre les contacts comme des ailes de papillon et tout rentrait dans l'ordre.

Ce sabotage retardait le départ de la chasse allemande, ce qui économisait certainement des vies humaines et des appareils à l'aviation anglaise, d'autant plus qu'elle pouvait reprendre de la vitesse et de l'altitude après avoir lâché ses bombes. Je l'ai fait systématiquement chaque fois que j'étais de service, depuis le début des bombardements et jusqu'à l'arrivée des forteresses américaines qui, elles, bombardaient en plein jour et, en France, d'une altitude de plus de 10.000 mètres.

Mathilde Filloz

C'est vrai que dans les PTT il y a eu des résistants et des résistantes qui ne sont pas connus, des gens qui, comme moi, par réserve et par pudeur, n'ont jamais accepté de faire de déclarations, de donner des renseignements sur ce qu'il ont fait et sur ce qu'ils ont connu.

Je pensais : " j'ai gardé la vie ", et cela devait suffire quand tant de camarades avaient perdu la leur. C'est cela surtout qui m'avait déterminée à

me taire.

D'autre part, et beaucoup avec moi, quand nous avons vu se lever les résistants de la dernière heure, " on est rentrés dans notre coquille ", et on n'a plus rien dit.

Au début de l'Occupation, mes relations avec toute organisation étaient rompues, car j'avais changé de département. J'étais venue dans le Doubs fin juillet 1939. La guerre a éclaté aussitôt et je n'ai pas eu le temps de reprendre contact avec les organisations syndicales et politiques auxquelles j'appartenais avant : la C.G.T. et le parti communiste. J'étais donc isolée et je n'avais

plus la possibilité d'organisation. Les militants de la Haute-Saône que j'avais quittés étaient mobilisés puis clandestins, prisonniers, internés ou déportés.
Chacun a réagi avec sa culture personnelle quelle qu'elle soit, d'où qu'elle vienne, les catholiques avec leur religion, les protestants avec la leur,
etc. Je pense que chacun l'a fait suivant sa formation politique, philosophique ou religieuse, avec patriotisme, avec l'amour que nous avions tous, quelle que soit cette formation, de la liberté et de la paix. Je ne pense pas pouvoir discuter là-dessus, ni chercher à savoir si celui-là l'a fait parce qu'il était ceci ou cela. Avant tout, nous avons tous résisté à l'Occupant. Il fallait libérer la

France d'abord. Il fallait retrouver la liberté. La liberté d'opinion comptait aussi, malgré quelques difficultés matérielles. Je n'ai jamais cherché pour résister, à trouver des chefs, des ordres, des

" feux verts ". Ce sont les événements, les situations qui ont provoqué des réactions. Il fallait surmonter les difficultés, il fallait agir... parce que cela devait être utile.

Il y a eu, bien sûr, dans les PTT, des gens qui ont réagi en tant qu'employés parce qu'ils avaient dans les mains un instrument, un outil... Ils s'en sont servi, c'est normal... comme dans les chemins de fer, comme dans d'autres professions, les médecins, etc.

Chacun dans sa profession, dans sa spécialité, a utilisé les moyens qu'il avait. Mais il n'était pas possible de rester isolé. On ne pouvait pas faire de la résistance seulement en écoutant des conversations, en coupant des circuits, en arrêtant des lettres... On ne sabotait pas pour rien. C'était parce que cela servait à donner des renseignements à d'autres organisations, souvent à d'autres résistants, à des personnes qui étaient menacées, à faire progresser l'idée de la Résistance, à l'installer dans l'esprit des gens.

Pour ma part, j'étais dans une ville de 2.000 habitants. Je remplissais souvent des imprimés, je rendais des services, je montais des dossiers...

On avait des relations sociales, et ces relations nous permettaient de poser les problèmes aux gens, de discuter avec eux et de leur dire : " Ne croyez pas ceci... ne croyez pas cela... Voyez comment les choses se passent... ".

Fin 1940, début 1941, j'ai vendu des billets du " Front du Combat " pour arriver à aider ceux qui étaient des proscrits dans la région et qui venaient se réfugier (nous étions en zone interdite). C'était difficile. Ceux qui étaient menacés venaient me demander du secours. Nous étions obligés de trouver de l'argent et je m'adressais à des gens qui n'avaient aucune qualité de résistants à mes yeux, que je ne connaissais pas autrement que par l'action personnelle. C'est comme cela que j'ai commencé à participer à la Résistance.

Les personnes auxquelles je m'adressais m'achetaient ces billets du " Front du Combat " qui nous permettaient de payer des voyages, de payer un entretien, d'aider des proscrits à rejoindre le maquis plus tard.

Pour les renseignements, nous écoutions surtout les communications.

Quand il a fallu (c'était déjà assez tard dans la Résistance) que j'aille prévenir un maquis que 41 noms étaient sur une lettre de dénonciation adressée à la Gestapo, j'ai réfléchi, et puis j'ai appris les noms par cœur et j'ai brûlé la lettre immédiatement. C'était plus facile de l'arrêter que de la remettre dans le circuit. Et cela a abouti à supprimer le dénonciateur. On l'a trouvé tout de suite, et le groupe de résistance s'en est chargé... Les 41 ont été sauvés.

C'étaient des actes difficiles à accomplir parce qu'il fallait lutter contre des scrupules de conscience professionnelle.

Dire que les postiers ont eu une résistance spécifique ? Non ! Nous avions des relations avec les groupes auxquels nous donnions des renseignements.

L'aide fournie aux maquisards

par les agents des PTT dans le Morvan en 1944

Jacques Canaud

Le sujet que je vais essayer d'évoquer est très précis : il s'agit de l'aide fournie par les agents des PTT aux maquisards du Morvan en 1944.

Il est utile de limiter mon sujet et d'indiquer que les ambitions en sont très restreintes pour deux raisons : premièrement, quand j'ai effectué mes recherches sur le Morvan, je n'avais pas comme objectif spécifique l'étude de l'action des agents des PTT. En quelque sorte, je l'ai découverte tout à fait accidentellement. J'en ignorais pratiquement tout. Deuxièmement, l'étude que je vais vous présenter rapidement est très restreinte dans le temps et dans l'espace. Elle se limite au massif du Morvan, et uniquement aux maquis ; de plus je n'aborderai pratiquement que l'année 1944, et même plus précisément l'été 1944. Ce qui m'amène à un certain nombre de constatations avant même d'entrer dans le vif du sujet.

D'abord il m'a semblé que dans la région que j'ai étudiée, l'action des agents des PTT était très sous-estimée et presque ignorée, contrairement, je pense, à celle des agents de la S.N.C.F. Ensuite, ce qui m'a paru fondamental, c'est que, spécialement dans le cas des maquis, le rôle des agents des PTT était parfaitement indispensable, en particulier pour ce qui concerne les renseignements, les liaisons téléphoniques...

Enfin, dans le cadre de cet exposé, je ne pourrai apporter que des éléments tout à fait fractionnels et ponctuels. Je n'ai pas trouvé de résistance " spécifique " aux PTT, c'est-à-dire que je n'ai pas trouvé de résistance des PTT structurée en tant que telle. J'ai trouvé des actions nombreuses, efficaces, d'agents des PTT dans des mouvements et dans des actes de résistance.

Partant de ces constatations, on peut trouver trois pistes de recherches. La première, c'est l'aide en quelque sorte technique apportée au maquis du Morvan. La forme la plus simple, évidemment, la plus remarquable et la plus efficace, c'est l'installation de lignes téléphoniques clandestines. La deuxième piste, c'est, pour les maquis, la fourniture de renseignements de toutes sortes, soit à partir d'écoutes téléphoniques, soit par l'intermédiaire du courrier qui transitait dans certaines postes. On prendra l'exemple d'Avallon ou celui de Clamecy. Et enfin, troisième piste, qui est plus délicate à étudier, c'est la fourniture de fonds au maquis. Dans certaines régions, les percepteurs, comme les receveurs des PTT, ont été parfois des sortes de banquiers " des maquis " ; mais reste à savoir s'il l'ont été volontairement ou involontairement.

Il n'est peut être pas inutile de faire une très courte présentation du Morvan pendant l'été 1944 et d'analyser ce qui va, souvent dans cette région, favoriser la Résistance d'une manière tout à fait particulière. J'ai recensé minutieusement, dans l'ensemble du Morvan, 24 maquis, ce qui représentait, à la date du 10 septembre 1944, 9 000 hommes - chiffre considérable, compte tenu de la population - dont les deux tiers étaient correctement armés. Quels sont les facteurs qui ont pu favoriser ce phénomène? Le premier, c'est l'isolement. Le massif du Morvan est absolument à l'écart de tous les grands axes routiers et ferroviaires, à l'écart des grandes cités. Le second, c'est l'abondance des forêts qui permettaient de les cacher (40 % du territoire de certaines communes est couvert de forêts). Le troisième facteur, c'est le dépeuplement lié à l'exode rural, avec un nombre considérable de fermes abandonnées. Ce phénomène est peut-être intéressant pour nous, car un certain nombre de hameaux étant vides d'habitants, il sera possible, dans certains secteurs, de dérouter les lignes téléphoniques de ces hameaux déserts pour les brancher facilement sur les maquis. Le quatrième, c'est la dispersion extrême de l'habitat. Cette particularité sera également mise à profit. C'est ainsi que, très simplement, du matériel utilisé par les maquis était envoyé par la poste, voire par le train. Le destinataire avait un nom, par exemple Perraudin que l'on retrouve douze fois, quinze fois dans la même région, mais dans des fermes complètement isolées, si bien que si les Allemands, par hasard, tombaient dessus, ils étaient absolument incapables de trouver le destinataire. Le cinquième facteur, c'est la pauvreté économique du Morvan. On vit dans une relative autarcie, une véritable autoconsommation ; on fait encore le pain à la ferme et on tue le cochon en décembre.

Au plan postal, il s'agit essentiellement de tout petits bureaux ruraux avec deux ou trois agents, et de centres téléphoniques manuels. Et là je rejoindrai un exposé qui a été fait sur le Limousin. Il y avait parfois, dans ces centres manuels, un fonctionnement qui était pour les Allemands un mélange de folklore, d'ignorance et d'étonnement. De plus dans le cas du Morvan, les troupes d'occupation en 1944 sont des troupes dites de " l'armée Vlassoff ", qui ne comprenaient parfois pas un mot d'allemand et donc encore moins un mot de français. Et enfin, le dernier facteur, c'est le puzzle administratif du Morvan. Nous sommes dans une région de confins ; le Morvan est divisé en quatre départements. À peu près la moitié s'étend sur la Nièvre, c'est la région de Château-Chinon, Clamecy, Corbigny ; une partie se trouve sur le département de la Saône-et-Loire, c'est la région d'Autun ; une partie sur le département de la Côte-d'Or, avec Saulieu ; et enfin le dernier quart est sur le département de l'Yonne, avec Avallon. Les résistants vont jouer admirablement là-dessus et passer constamment d'un département à un autre. J'ajoute que la complexité administrative est tout à fait surprenante ; il y a des enclaves et même, cas unique en France, une municipalité double, puisque Château-Chinon a deux mairies, celle de Château-Chinon ville et celle de Château-Chinon campagne, ce qui nous donne en quelque sorte la poste " ville ", et l'annexe ou poste rurale. Or, si on prend l'ensemble, il est certain que nous sommes dans une région essentiellement rurale où il y a un véritable vide urbain (Château-Chinon avait, au recensement de l'époque, 2.387 habitants, ce qui, pour une sous-préfecture, est extrêmement faible).

Venons-en maintenant aux différentes actions des gens des PTT en faveur des maquis.

LES LIAISONS TÉLÉPHONIQUES

Dans le cas le plus simple, le maquis du Morvan récupère tout simplement, s'il y en avait une, la ligne téléphonique de la maison ou de la ferme abandonnée où il s'installe. Par exemple, le maquis Camille va s'installer vers Saint-Martin-du-Puy, à la ferme des Goths, et récupère ainsi la ligne téléphonique n° 1.

Le deuxième cas de figure, qui est peut-être plus intéressant, est la mise en place de lignes clandestines, avec une coopération exemplaire entre les PTT et le maquis. Ce fut le cas du maquis Louis qui jouait un rôle important puisque c'était un maquis dit " War Office ", c'est-à-dire que son chef était, d'une part, officier français et, d'autre part, agent P2 et officier du réseau britannique Buckmaster, ce qui lui donnait une importance tout à fait considérable. Le maquis Louis était relié à la poste principale de Luzy grâce à l'utilisation d'une ligne détournée qui était branchée sur le tout petit hameau de Montjouan. Le travail fut fait par un agent des lignes téléphoniques, M. Leroy. En plein milieu d'une des plus grandes forêts du Morvan, le chef de ce maquis, l'officier Louis (Paul Sarrette) avait un superbe poste téléphonique, si l'on peut dire, sur son bureau, dans une cabane. Le système était remarquablement perfectionné. En effet, deux femmes travaillant aux guichets de la poste de Luzy avaient des maris très actifs dans la résistance : l'une était Mme Bondoux, dont le mari avait été un des premiers résistants, et la seconde, était Mme Berthin, dont le mari était officier dans ce même maquis Louis. C'est ainsi qu'à partir du mois d'août 1944, un système remarquablement efficace était mis sur pied. Il fonctionnait en quatre temps. Premier temps, les bureaux de poste des villages et des petites villes voisines de la Nièvre ou de la Saône-et-Loire, par exemple Etang-sur-Arroux ou Bourbon-Lancy, prévenaient la poste de Luzy des mouvements de troupes allemandes (c'était l'époque de la grande retraite des troupes allemandes en direction du nord-est). Deuxième temps, la poste de Luzy, en particulier les deux agents dont j'évoquais les noms, prévenait le maquis Louis par la ligne directe, c'est-à-dire par la ligne clandestine. Troisième temps, l'officier en second du maquis, Mac Kensie Kenneth, officier britannique, spécialiste radio, prévenait le plus vite possible la R.A.F. avec un équipement radio tout à fait remarquable. Et enfin, quatrième temps, dans certains cas, la R.A.F. bombardait, pratiquement à la demande du maquis la route de Luzy-Autun, en direction du nord-est, route qui était l'un des principaux axes de retraite des armées allemandes. Si bien qu'au mois de septembre 1944, l'axe Luzy-Autun va être jonché d'un nombre considérable de carcasses de véhicules détruits sur une distance de 35 kilomètres. Des détachements allemands qui avaient traversé toute la France, depuis Bordeaux ou La Rochelle, termineront leur carrière sur cette portion de route, et des criminels de guerre allemands seront faits prisonniers et certains jugés ultérieurement à Autun. Donc, il y a là une coopération qui m'apparaît tout à fait intéressante.

Le troisième exemple est un peu différent. Nous sommes aux limites de la Nièvre et de l'Yonne, dans la région de Clamecy, au maquis Leloup, dirigé par Georges Moreau. L'installation était assez perfectionnée; il y avait là un véritable réseau, en quelque sorte indépendant, dirigé depuis le Q.G. du maquis. Il se composait d'une sorte de tableau, avec différentes fiches branchées sur un réseau parallèle ; il y avait plusieurs lignes clandestines. L'une d'entre elles allait directement du maquis au domicile de Mme Colas. Celle-ci habitait en plein centre de Clamecy et travaillait elle-même aux PTT de cette ville. L'installation de cette ligne clandestine avait été effectuée le plus tranquillement du monde, en plein jour, au nez et à la barbe des Allemands, en particulier grâce à des inspecteurs des lignes comme M. Daguin. D'autre part, il y avait une liaison entre le maquis et la poste de Corbigny, où tout le monde coopérait, où tout le monde était au courant, où tout le monde participait à la résistance. Le système s'avéra tout à fait efficace lorsque les Allemands vont essayer de porter un grand coup contre les maquis du Morvan (c'est la bataille dite de Crux-la-Ville), où ils vont aligner 1 500 soldats, plus un certain nombre de renforts, de miliciens, etc. Le système, basé sur le maquis Leloup, permit de prévenir la poste de Corbigny, qui transmit l'alerte à l'état-major de la Résistance, installé dans le maquis d'Ouroux. Il y a donc là, également, un système qui semblait fonctionner d'une manière tout à fait efficace.

Cependant, ce réseau téléphonique ne favorisait que les gros maquis (le maquis Louis a immatriculé 1.901 combattants, le maquis Leloup en a immatriculé 732, ce qui est considérable) ; beaucoup de petits maquis n'avaient aucune liaison téléphonique. Ceci est important à noter, car je constate que plusieurs maquis qui furent complètement anéantis par les Allemands dans le Morvan (le maquis de Chaumard, le maquis de Montaron), ne bénéficiaient pas d'une ligne téléphonique. Ceci représentait un apport considérable, non seulement pour les liaisons, mais aussi pour la sauvegarde des maquis.

L'APPORT DE RENSEIGNEMENTS

Outre les liaisons téléphoniques et l'installation de lignes clandestines, l'action du personnel des PTT en faveur des maquis portait sur l'apport de renseignements par le téléphone, bien sûr, mais aussi par l'intermédiaire du courrier. Ce qui suppose, là encore, dans des régions qui sont essentiellement rurales, une coordination entre le village, la poste et le maquis voisin. En août-septembre 1944, on signale la banalisation tout à fait étonnante des maquis du Morvan. Ils faisaient partie du paysage. On verra des maquisards recevoir des lettres où il y avait tout simplement sur l'enveloppe : " M. Un tel, maquis Camille, ferme des Goths, par la poste de Corbigny ", et elles arrivaient ! Certains parents même, d'une manière tout à fait émouvante, donnaient à Luzy des paquets " pour le petit qui est au maquis ". Une dame de la poste montait tranquillement les paquets. J'ajouterai d'autres détails pour évoquer ces maquis. On a vu, dans des petits cafés complètement isolés dans le Morvan, le soir, débarquer deux résistants avec des mitraillettes : " Tiens, voilà les maquisards ", et on offrait une tournée ! C'était tout à fait banalisé. Le maquis vivait dans certains cas, en véritable symbiose, en août et septembre 1944, avec le village voisin, donc avec le facteur et les agents des PTT. Or, si on prend l'exemple de plusieurs postes, les renseignements apparaissent de deux catégories : premièrement, les renseignements qui sont donnés aux maquis, sur les mouvements de l'armée allemande : concentrations, effectifs, composition, retraite de l'armée allemande, etc. Et deuxièmement, des renseignements concernant les particuliers : les dénonciations. Dans le premier cas, c'était à partir d'écoutes téléphoniques, dans le second à partir du courrier. Je reprendrais volontiers une expression qui a été employée dans le cas des maquis du Limousin, et que j'ai énormément appréciée, c'est l'expression " traque " téléphonique. Je crois que c'est tout à fait juste. Prenons le cas de la poste d'Avallon. Plusieurs agents des PTT vont rejoindre et adhérer à " Libération Nord ". Le receveur n'était pas engagé, mais il laissait faire : c'est la résistance passive. Par contre, plusieurs facteurs faisaient un tri tout à fait original du courrier ; en particulier, le facteur chef Michel Blot qui détruisait la plupart des lettres destinées à la Gestapo, à la Kommandantur. Il semble que dans certains cas elles étaient décachetées à la vapeur, ce qui permettait éventuellement de repérer les dénonciateurs, et de transmettre les renseignements au maquis. D'autres exemples pourraient être pris à la poste de Corbigny ou de Clamecy.

Cependant, un dilemme va se poser en juin 1944 : l'opposition entre deux nécessités. D'une part, celle de paralyser toutes les communications par des sabotages (il n'est pas inutile de rappeler les plan Vert, plan Violet, plan Bleu et plan Tortue). Il fallait paralyser le réseau électrique, les voies ferrées, le réseau téléphonique. Donc, il fallait couper les câbles téléphoniques, c'est ce que feront certains maquis. C'est ce qui sera fait par le maquis Louis, le 23 juin 1944. Mais, d'autre part, il fallait que les maquis gardent les liaisons téléphoniques ; il fallait préserver le fonctionnement de certaines lignes. Or, il semble qu'il y ait eu une sorte de partage : des attentats et des sabotages, liés au plan Vert, au plan Violet, ont été fait pour les câbles à longues distance. Par contre, on a conservé les liaisons locales, ou les liaisons parallèles, de sorte que le téléphone fonctionnait par tronçons. Mais ce sont ces tronçons qui étaient particulièrement intéressants. Ceci étant dit, les ruptures se sont faites en général dans les quinze jours qui ont suivi le débarquement. Par la suite, le réseau devait re-fonctionner normalement. J'ai beaucoup moins de renseignements sur la poste de Château-Chinon où les Allemands ont laissé un très mauvais souvenir. Ils s'étaient installés dans tous les bâtiments publics. À la poste, ils avaient occupé les sous-sols, le logement de fonction, le standard (à l'époque, le receveur était M. Savy), mais en 1944, le nouveau receveur, M. Sicard, collaborait discrètement avec la Résistance, dans des conditions qui lui ont valu beaucoup d'ennuis de la part des officiers de la Kreiskommandantur de Château-Chinon.

LE FINANCEMENT DES MAQUIS

Dans ce domaine, le cas du Morvan m'a paru exemplaire. Prenons quelques chiffres : en cinq mois, 26 vols, coups de main, attaques à main armée sont enregistrés dans les bureaux de poste du Morvan, uniquement pour la Nièvre, avec une densité tout à fait exceptionnelle, évidemment, après le 6 juin 1944. Dans la Nièvre, nous trouvons seize attaques à main armée contre des bureaux de poste, entre le 8 et le 23 juin ; on arrive même, à ce qui est, je pense, un record national, avec quatre attaques à main armée contre les bureaux de poste, dans la même journée, à des lieux différents, le 13 ou 14 juin 1944.

Cet état de fait pose un certain nombre de problèmes. D'abord, c'est l'étonnante fréquence des attaques, et l'importance des fonds qui ont été collectés. Prenons l'exemple d'un tout petit village du Morvan, Vilapourçon : le bureau de poste a subi deux attaques en vingt jours. Il est certain que, si l'on fait le total, ce sont des sommes considérables qui sont collectées par les maquis. J'ajoute que (nous sortons du Morvan) vers Prémery, l'attaque d'un camion postal a permis de " récupérer " 250.000 francs (une liste sera d'ailleurs dressée de chaque bilan des pertes).

Le deuxième problème, c'est la localisation des attaques. Il s'agit souvent de petites postes isolées, avec deux ou trois agents, dans des régions où les maquis étaient importants. Mais si l'on examine " à la loupe " la localisation, on s'aperçoit qu'elle correspond davantage au maquis F.T.P. qu'au maquis F.F.I., ce qui est tout à fait logique, étant donné que les F.F.I., dans le Morvan en particulier, on l'a vu avec les maquis War Office, bénéficiaient d'aides matérielles et de fonds, ce qui n'était pas du tout le cas des maquis F.T.P.

Enfin, troisième point, évidemment le plus important : les attaques étaient-elles inattendues ou non ? Les receveurs étaient-ils complices ou non ? Étaient-ils " les banquiers des maquis ", volontaires ou involontaires ? La réponse n'est pas simple. Il est certain qu'il faut distinguer ce qui relève parfois du brigandage pur et simple, de faux maquis ou de pseudo maquis. Il y en a eu deux dans le Morvan, en particulier le maquis des Rhonons, qui d'ailleurs a été éliminé par un autre maquis (les maquis faisaient leur police eux-mêmes). Mais, par contre, il y a une foule de faits qui montrent bien que, le plus souvent, il y avait un accord tacite, car un certain nombre de détails sont tout à fait troublants; quand on lit les rapports rédigés par la gendarmerie, cela ne manque pas de pittoresque : le receveur des postes ne reconnaît jamais ses agresseurs, les employés des postes non plus, alors que parfois, comme à Luzy, l'employée, derrière le guichet, est la propre femme du maquisard qui dirige l'attaque.

Il n'y a jamais de violence. On demande d'ouvrir le coffre, on se précipite pour l'ouvrir. Les maquisards ne raflent presque jamais tous les fonds. Ils en prennent en gros la moitié ou les deux tiers, le reste est laissé dans le coffre, ce qui permettra au receveur, par la suite, lorsqu'on va le soupçonner, de dire : " Mais vous voyez bien, j'ai quand même sauvé une partie des fonds ". Enfin, les maquisards donnent parfois un reçu en bonne et due forme. C'est une feuille d'un carnet à souches, frappé de tricolore ; et on voit des receveurs s'étonner, se scandaliser, parce qu'on ne leur donne pas de reçu. Voici le rapport du receveur des postes de Luzy, Gustave Guenot, aux gendarmes Auguste Morin et Léon Durand, de la brigade de gendarmerie de Château-Chinon : " Aujourd'hui, 23 juin, vers 19 h 15, un gros camion s'est arrêté devant le bureau de poste de Luzy. Une vingtaine d'hommes en sont descendus et se sont posté aux différents carrefours de l'agglomération. Deux d'entre eux m'ont demandé d'ouvrir la porte du bureau. Ce que j'ai fait immédiatement. L'un d'eux m'a demandé la caisse, que j'ai remise intégralement, c'est-à-dire la somme de 40.150 F ; mais ils ne m'ont pas remis de reçu. Et comme j'allais protester, ils m'ont déclaré qu'ils me le feraient parvenir ultérieurement ". Il y a donc tout un tissu de complicité qui s'est créé, surtout en août-septembre 1944, entre les maquis et les bureaux de poste locaux, mais aussi avec les brigades de gendarmerie qui, parfois, passeront avec armes et bagages dans les maquis.

Cet état de fait va, bien sûr, provoquer une réaction très violente au niveau du département et au niveau de Dijon. La grande Kommandantur de Dijon, qui contrôlait 27 départements, va s'émouvoir. On va protester auprès du directeur régional de Dijon, qui écrit au directeur de Nevers : " Le nombre et la répétition des attentats contre les bureaux de poste de votre département de la Nièvre ont depuis plusieurs semaines attiré mon attention ". Cette situation, qui est particulière au département de la Nièvre, a néanmoins atteint une acuité inconnue dans d'autres départements. Quant au directeur de la Nièvre pour les PTT, M. Bonhomme, lequel était d'ailleurs de connivence avec la Résistance (signalons que, dans les dernières semaines, il accordait des autorisations d'absence, voire carrément des congés, à certains de ses subordonnés, qui lui demandaient tout simplement d'entrer dans les maquis), il répondait, d'une manière assez habile, qu'évidemment " il faut voir que les forces sont disproportionnées ". Dans ces affaires, il fallait que tout le monde y trouve son compte : les maquisards qui devaient récupérer des fonds, et les receveurs des postes qui ne devaient pas être soupçonnés.

LES CONSÉQUENCES

Voyons maintenant, pour terminer, les conséquences de ces actions de résistance. Nous pouvons en distinguer très rapidement deux : d'une part, les représailles allemandes et, d'autre part, la nécessité, pour certains employés des PTT " grillés ", d'entrer dans les maquis.

En ce qui concerne les représailles allemandes, il est certain que beaucoup de receveurs reçurent la visite des officiers de la Kommandantur. J'évoquais Château-Chinon entre autres, mais il y a aussi le cas du maquis Louis, le premier que j'ai évoqué, avec le bombardement de la R.A.F., où là les Allemands vont avoir la certitude que le maquis était systématiquement prévenu, et cela ne pouvait être que par téléphone. L'armée allemande va investir la ville de Luzy et faire beaucoup de prisonniers ; des gens vont être torturés, mais les Allemands vont se tromper de cible. En effet, il pensaient que l'énorme maquis Louis War Office était renseigné par la mairie de Luzy. Si bien qu'ils vont arrêter le maire de Luzy, qui était à l'époque le Dr Dollet, et son fils ; tous les deux seront exécutés.

En ce qui concerne les agents " grillés " s'engageant dans les maquis, je dois dire honnêtement qu'ils sont très peu nombreux, et heureusement. Un agent des PTT, détruisant des lettres de dénonciations, effectuant des écoutes téléphoniques, à Corbigny, à Clamecy, à Avallon ou à Saulieu, était bien plus utile dans son poste que dans des maquis pléthoriques où il n'aurait sans doute rien fait et où on aurait été incapable de lui fournir une arme.

En conclusion, je me suis posé une question : pourquoi, dans la région que j'ai étudiée, cette résistance PTT était-elle méconnue ? Sans doute parce qu'elle est peu apparente, difficile à chiffrer, difficile à mesurer. On peut très bien comptabiliser les sabotages qui ont été effectués dans la région. Mais, le plus souvent, les chiffres sont groupés en ce qui concerne les sabotages des lignes électriques et des lignes téléphoniques. On peut très bien comptabiliser dans un maquis les réfractaires au S.T.O. Mais quand le registre du maquis a été conservé, il n'y a que la mention "réfractaire ", sans indication d'appartenance à tel groupe ou à tel métier. De même, quand on essaie de passer à la loupe certains maquis très importants, les agents des PTT en tant que tels sont peu nombreux. Dans les maquis Leloup et l'Agneau totalisant 770 maquisards, il n'y avait qu'un seul employé PTT. Donc, en apparence c'est peu, et pourtant on a vu que c'était un des domaines où l'efficacité était la plus grande. La résistance des PTT n'a pas été spectaculaire. Faire dérailler un train c'est spectaculaire, cela se voit, cela ne passe pas inaperçu ; dérouter une ligne téléphonique, faire des écoutes téléphoniques, c'est quelque chose qui est tout aussi efficace mais tout à fait discret, car c'est la première condition de sa réussite. Ce côté spectaculaire l'a desservie auprès des auteurs ; les intérêts de l'histoire et ceux de l'édition ne sont pas toujours convergents, on ne pourra que le regretter.

Les agents des PTT dans le Cantal

Général Lévy et Claude Soudères

INTRODUCTION

" Une île lointaine perdue parmi les terres " : la définition qu'Henri Pourrat donnait de l'Auvergne peut doublement s'appliquer au Cantal. Contrée éloignée, un peu perdue, tout y parvenait avec un temps de retard et comme un écho affaibli des grands remous extérieurs. La stupéfaction provoquée par la défaite, le vide laissé par une grande partie de la population active retenue derrière les barbelés, la réaction prit un aspect viscéral : s'adapter pour survivre... Et ce fut le début d'une longue période d'efforts et de sacrifices. Petit à petit, grâce à quelques personnalités d'autant plus fortes que rares, la défaite et l'ordre nouveau qu'elle avait enfanté commencèrent à être mis en doute d'abord, en cause ensuite, rejetés enfin et ainsi commencera la grande aventure.

Et les postiers dans tout cela ? Leur part prise dans la consternation générale, accaparés par les problèmes terriblement quotidiens et matériels du temps, privés de toute organisation catégorielle, ils conservaient souvent une certaine sensibilité qui, à mesure que les institutions officielles prenaient leur vrai visage, en éloignait une part de plus en plus grande. Cette tendance s'accentue avec l'invasion de la zone Sud et la prolongation et l'extension d'une guerre dans laquelle le mythe de l'invincibilité de la Wehrmacht perd progressivement de sa crédibilité. La B.B.C., la radio suisse apportent de larges correctifs aux informations officielles. Au cours des conversations, des sous-entendus laissent transparaître des opinions pas tout à fait orthodoxes ; entre collègues, naît une tacite connivence, toute une complicité latente. Syndicats et partis politiques renaissent, des mouvements se créent. Des hommes nouveaux apparaissent, aux caractères bien marqués, qui acceptent tous les risques et présentent souvent d'exceptionnelles facultés d'adaptation. Une situation totalement nouvelle, déconcertante, pratiquement sans précédent et à quoi rien ne préparait a évidemment de quoi désorienter. Un exemple assez significatif : plusieurs postiers à l'activité jugée dangereuse avaient été affectés dans le Cantal en automne 1940. Or, assez paradoxalement, on ne trouve pas trace d'eux dans la Résistance, du moins à aucun niveau de responsabilité.

ÉTAIT-CE DE LA RÉSISTANCE?

D'une façon très générale, on peut ranger sous le vocable de résistance toute action collective ou individuelle menée à l'encontre des intérêts ennemis. Cette définition très simple, appliquée à une période qui ne l'était guère, ne tarde pas à révéler quelque faiblesse. Comment qualifier, par exemple, des comportements professionnels opposés sans doute à l'esprit des instructions gouvernementales, mais qui ne constituaient certainement pas pour leurs auteurs des actes de résistance. Un exemple : le directeur charge personnellement un contrôleur de la R.P. de servir discrètement à leurs épouses les salaires d'agents... évaporés (précision pour les spécialistes : ces paiements ne figuraient pas sur les états de paye, mais donnaient lieu à établissement de quittances 1228). D'autres exemples encore plus simples : Mettre de côté, pour éviter tout commentaire, les lettres destinées à un journaliste juif, touriste très prolongé dans un village perdu et dont le nom devenait de plus en plus approximatif à mesure que le temps passait, certes ce n'est pas de la résistance. Préciser la réglementation qui régit la poste restante, ce n'est pas non plus de la résistance. À condition de changer l'enveloppe et de payer un nouvel affranchissement à la fin de la quinzaine qui suit celle du dépôt, il est possible de confier à la poste la garde de documents compromettants. Mais il peut être utile de le signaler. Séparer les plis comportant en adresse " Chaudes-Aigues ", ce n'est pas interdit, non plus que les distribuer discrètement à de jeunes touristes répartis dans les forêts du canton. Dans le même bureau, conserver, toujours discrètement, puis acheminer au fil des possibilités le courrier destiné à des garçons qui viennent d'abandonner, pour les grands espaces vides de l'Aubrac, la pose d'un câble téléphonique sous surveillance d'uniformes feldgrau, cela ne pose pas problème, en dehors du fait que le receveur... mais à quoi bon le déranger pour de telles broutilles !

Un peu à côté de cette énumération, je voudrais m'arrêter un instant sur une anecdote révélatrice des ambiguïtés du temps. Un agent des lignes, ancien militant d'un parti devenu le symbole même du mal, reçoit - ce devait être fin 1943 - la visite de sept ou huit soldats allemands commandés par un adjudant. Perquisition. On commence par la cave où grogne un cochon. Un homme reste dans chaque pièce fouillée. Dans la chambre, un tiroir ouvert et la médaille de Verdun. Le feldwebel arrête là ses recherches, serre la main et s'en va. Soupir de soulagement mais l'inquiétude reste, Notre agent s'en ouvre à son inspecteur, nous dirions I.N.P., Julien Guerot, que nous retrouverons, et qui, au bout de quelque temps, le convoque : " Ils ne viendront pas vous chercher où je vous envoie ".

Quelles démarches, quelles interventions, quelles opportunités saisies? Qui le dira? Ce qui est sûr, c'est qu'un agent des lignes, communiste, affecté à Vichy, se verra offrir, dans son propre bureau, un paquet de cigarettes par un autre ancien de Verdun, le maréchal Pétain en personne.

DANS L'OMBRE

À quelle date remonte, dans le Cantal, la première manifestation de résistance dans les PTT ? Bien difficile de répondre exactement, mais c'est sans doute la disparition d'un important stock de fils téléphoniques, invité à attendre des temps meilleurs sous la garde de la receveuse de Boisset.

Qui fut le premier postier résistant, à quelle date remonte son engagement ? Il serait présomptueux d'avancer un nom. Une attestation, datée de 1942, précise qu'en décembre 1942, Routaboul, inspecteur adjoint des PTT à Aurillac, a constitué un groupe de résistance à la poste (la 1re sizaine), avec mission d'intercepter le courrier de la Kommandantur, des services de Vichy et de la Milice ; d'informer les services de renseignements de la Résistance ; de préparer le sabotage des installations télégraphiques et téléphoniques en cas de tentative d'occupation de la poste par les forces ennemies.

À peu près à la même époque, et sous l'influence du docteur Mallet, le receveur de Saint-Flour, Ramspacher, passe d'une sympathie active à l'adhésion à Franc-Tireur. Il sera d'ailleurs dénoncé pour son action clandestine. Mais Amarger pourra écrire : " À Saint-Flour, en 1943, nous avons noyauté les PTT ". En fait, c'est bien, semble-t-il, fin 1942-début 1943 que le mouvement prend une réelle importance.

S'il est beaucoup trop tard pour établir une liste complète (qui serait de toute façon discutable et appellerait explications, commentaires et mises au point), on peut encore essayer de comprendre, à travers quelques personnalités ou groupes présentant un caractère représentatif et significatif, le mouvement, son importance et son influence sur les événements et l'histoire de cette période troublée.

LÉON ET MARIE-LOUISE MICHEL

Contrôleur au télégraphe d'Aurillac, militant politique et syndicaliste, agent du réseau télégraphique secret de la Résistance en liaison avec Clermont, Toulouse, Limoges, Léon Michel entre très tôt également en contact avec Mittanchez, lorrain affilié au réseau Franc-Tireur, replié à la préfecture d'Aurillac où il s'occupe du service des réfugiés en dehors de ses activités de chef du service des renseignements de la Résistance.

Un soir, alors qu'accompagné de son épouse il rentre du bureau, il aperçoit dans sa rue quelques Allemands en grande conversation avec une de ses voisines qui leur crie qu'elle ignore si M. Michel habite 44, boulevard du Pont-Rouge ; une voisine pourtant soupçonnée de nourrir des sympathies pour ceux " d'en face ", comme il dit. Il n'y a pas à tergiverser. Le temps de glisser quelques documents à son épouse et de lui donner quelques brèves instructions, et il part. On le retrouvera plus tard dans la région de Mauriac. Mme Michel cache dans du foin, au-dessus d'une cage à lapins - toujours ce problème du ravitaillement -, les plis compromettants et va mettre la table sans omettre le couvert de son mari. Quand les Allemands reviennent, elle s'étonne elle-même que Léon ne soit pas encore là, mais il ne saurait tarder. Dès le lendemain, elle prend la relève. Elle se charge de la liaison avec la préfecture et constitue un élément essentiel dans le détournement du courrier adressé aux autorités occupantes. Elle fait prévenir, la veille, les maquis de Mandailles et du Rouget de l'imminence de l'attaque des Allemands et miliciens. Il lui plaît de reconnaître avoir toujours trouvé auprès de ses collègues, à la R.P. comme au central téléphonique, une aide à la fois discrète et efficace. Elle rapporte avoir, à plusieurs reprises, été amenée à transmettre des messages importants pendant que ses voisines du meuble s'efforçaient de détourner l'attention de la surveillante... elle-même pas du tout dupe et dont les remarques parfois peu flatteuses cachaient une complicité de fait. Tout un jeu subtil, une comédie dirait-on, si le sujet n'était si grave, l'enjeu et les risques si lourds.

LES F.T.P.

Aurillac R.P. compte un triangle F.T.P. composé de Jean Moussarie, l'un des responsables F.T.P. d'Aurillac, Cazeaux, et un jeune auxiliaire, Pierre Rigal. Le groupe participe à un sabotage de l'usine Delecluze (fabrication d'hélices et pièces d'avion). On le retrouve transportant, dans des sacs de sciure, revolvers et mitraillettes conservés en instance sous le tas de charbon de la R.P., charbon qui camoufle aussi du tabac en feuilles en route pour l'Allemagne et victime d'une fausse direction en cours d'acheminement. Comme plusieurs autres postiers, tous trois participent à la distribution de journaux clandestins dont certains parviennent au Crédit Lyonnais dans des sacs postaux. Quelques collaborateurs affirmés bénéficient à cette occasion d'un service qui procure une grande satisfaction aux distributeurs. Faute de plus grands, les petits plaisirs ne sont pas à négliger! " Toujours à l'affût de tout ce qui se disait à la R.P. ", je transcris exactement l'expression telle qu'elle m'a été rapportée, Moussarie s'intéresse à tout, même au courrier de la gendarmerie.

Mais nous sommes dans le Cantal et une digression s'impose. Les clivages syndicaux ou politiques existent certes, mais il faut se garder d'en exagérer l'importance. Il y a aussi des relations de travail, de camaraderie qui remontent parfois jusqu'aux bancs de la maternelle, les relations de voisinage, l'échange de bonnes adresses pour l'amélioration de l'ordinaire... une ambiance qui, pour l'essentiel, conserve un caractère familial, même si, dans l'intérêt de tous, une certaine discrétion est de rigueur. C'est ainsi que, vers le 10 mai 1944, Molinier, responsable du M.U.R., charge Moussarie de porter un pli important au café Mallet à Saint-Flour, avec consigne expresse de l'avaler en cas de danger. Le 16 mai, c'est au tour de Rigal, 17 ans. Son arrivée au café Mallet précède de peu celle de la Gestapo. Il a juste le temps de jeter son paquet sous la banquette (il s'agit en fait de courrier destiné au maquis de l'Estournel d'Alleuze et qui sera acheminé). Brutalement interrogé dans un premier temps, torturé à Clermont, Rigal ne survivra pas au régime de Neuengamme. À peu près à la même date, c'est encore Moussarie qui avertit Mme Molinier et empêche l'arrestation de son mari.

De par leurs traditions, leurs liens professionnels, leur sens d'une naturelle solidarité, les agents des PTT ont su, les premiers dans le Cantal, réaliser le maximum d'unité dans la Résistance.

RENÉ MOLINIER

Né dans le Cantal, à Loubaresse, études au C.C. de Saint-Flour, syndicaliste, contrôleur à Aurillac R.P., il connaît bien le département. Enthousiaste, convaincant parce que convaincu, il a la réputation de réussir tout ce qu'il entreprend et de ne rien faire à moitié. Il sera l'âme de la Résistance dans le milieu PTT.

Mai-juin 1943 : il prend divers contacts avec la C.G.T. clandestine, les M.U.R. et particulièrement son collègue Mourgues de Clermont-Ferrand, il donne une réelle impulsion au groupe d'Aurillac : Fournier, Hervouet, Rigal, Guerot. Il déploie une activité débordante. Job - c'est son nom de guerre - est partout. Il procure de faux papiers. Il assure le placement des réfractaires. Il participe aux parachutages et organise des réunions clandestines. Il crée et organise un réseau de renseignements avec des correspondants dans tous les centraux téléphoniques du Cantal et diverses liaisons avec l'extérieur : Brioude, Langeac, Chilhac, Saint-Etienne, Montbrison, Toulouse, Rodez, Montpellier. Les consignes parviennent soit de Clermont-Ferrand (Mourgues, Roux), soit même de Paris. Responsable des syndicats clandestins, il le sera également des transmissions pour le compte des M.U.R.

La capture de Jacques Bingen entraîne dans la région une série de tragiques répercussions. Le 15 mai, la Gestapo arrête, à la poste de Saint-Flour, sa correspondante Suzanne Raparie dont le frère est déjà pris. Tous deux seront torturés à Clermont-Ferrand. Marcel mourra au cours de l'interrogatoire. Sa sœur connaîtra Ravensbrück puis Belsen. Molinier figure sur la même liste. Par chance, il est absent de la R.P. lorsqu'on veut le cueillir. Deuxième chance, un heureux lapsus transforme son adresse " Belbex " en " Le Bex ". Un collègue aura ainsi le temps de prévenir son épouse... Mais mieux vaut pour un temps oublier le bureau. Nommé capitaine de la compagnie des transmissions le 4 juin, il participe aux opérations du Mont-Mouchet, de la Truyère, il commande les transmissions départementales des F.F.I. du 15 juillet au 31 octobre 1944, date à laquelle la plupart des postiers seront démobilisés. Entre temps, il aura également été désigné comme secrétaire général du comité départemental de libération, où il est entré en qualité de délégué de la C.G.T. Il sera ensuite à l'origine de diverses réalisations sociales : coopérative, restaurant, union ouvrière... Mais c'est une autre page de sa vie.

DANS LA BATAILLE

5 juin 1944 : Julien Guérot, 46 ans, inspecteur du service technique, oublie ses rhumatismes et, accompagné de son fils (pas tout à fait 17 ans) et de trente agents (agents des lignes, monteurs, contrôleurs, commis, auxiliaires), quitte le service, emmenant trois véhicules administratifs et une bonne partie du matériel technique. C'est le départ pour le maquis. La plupart quittent Aurillac par le train. Ils en descendent à Vic-sur-Cère et, à pied, rejoignent le Mont-Mouchet où les attend Molinier, capitaine depuis la veille, qui va se trouver à la tête d'une compagnie de 106 hommes dont 62 postiers, ceux d'Aurillac ayant été rejoints par d'autres, venus de Saint-Flour et Clermont-Ferrand.

La poste fournit les cadres, les effectifs de base... et jusqu'au cuisinier. Des lignes téléphoniques sont installées, d'autres sont sabotées. Des collègues restés à Aurillac viennent livrer un complément de matériel et même de la documentation, oubliée dans la précipitation du départ.

Grâce au réseau d'écoutes mis en place, le P.C. du Mont-Mouchet - comme, un peu plus tard, celui de Fridefont - sera prévenu des mouvements ennemis, aide dont le général Lévy - bien placé à l'époque pour en juger, puisque chargé du 2e bureau du réduit de la Truyère - porte témoignage de l'efficacité. L'ennemi ne s'y trompe qu'à moitié et à son tour est obligé d'utiliser des noms de codes. Mais le temps manque pour améliorer le réseau.

Le 10 juin, la bataille fait rage. Présumey, un jeune auxiliaire qui avait demandé l'affectation à un groupe de combat, est tué. Le 11 juin, ordre de décrocher vers le réduit de la Truyère. Personnels, véhicules et matériel se retrouveront au hameau de Vialaroux près de Saint-Martial (à l'exception, si l'on en croit les rapports ennemis, de dix téléphones et vingt rouleaux de câble). De nouvelles liaisons sont établies entre les compagnies et le P.C. ; des circuits fonctionnent avec Aurillac, Saint-Flour, Murat, l'Aveyron... Les combats seront ici également très durs. Le 20 juin, la compagnie est violemment prise à partie par l'aviation ennemie. Quatre appareils mitraillent le car radio qui brûle. Notre matériel ne connaîtra pas un meilleur sort, bien que dans des conditions moins héroïques. Le soir, tout sera détruit et le SS Sturmbannführer Bœmelburg, chef du KdS de Vichy, auteur du " rapport d'événement n° 153 ", ne pourra mentionner la moindre pièce téléphonique dans ses listes de récupérations.

Mais une page est tournée. Contre un ennemi parfaitement expérimenté et mieux équipé, le combat est par trop inégal. Très sagement, Gaspard prend la décision de changer de tactique. Il faut adopter la guerre des pauvres, la guérilla. Pour la compagnie des transmissions, c'est l'éclatement ; de petits groupes dispersés s'éparpillent à travers forêts et champs de genêts. La plus grande partie se retrouvera au maquis de Saint-Saury, d'autres dans le nord du département, dans la région du Falgoux, où leur arrivée sera particulièrement appréciée. Entre temps, l'O.R.A., l'A.S. et les F.T.P.F. réalisent l'unification de commandement. L'O.R.A. qui, géographiquement, est surtout implantée dans le nord-ouest du département et a, de ce fait, été peu affectée par les récents combats, prend une importance accrue.

Pendant quelque temps, l'un des centres essentiels en matière téléphonique se situera dans un petit hameau, au nord de Pleaux : Saligoux. Très rapidement, une toile d'araignée téléphonique recouvre une grande partie du département. Les agents des lignes de Mauriac, restés à leur poste sur ordre et qui ont déjà participé à des sabotages et des " aménagements " de réseaux conduisant notamment à la constitution d'un réseau reliant directement Mauriac à Maurs et Montsalvy, avec des raccordements sur le Lot et le Nord Aveyron, seront même aidés par des agents des lignes restés à Aurillac qui, à plusieurs reprises, ont été mis à la disposition du commandant Chastang.

Nombre de rescapés de la compagnie ont repris contact avec Fei, resté également sur ordre à la poste d'Aurillac pour organiser ce qu'un journal appellera plus tard le " périlleux service de l'Information ". Et le travail reprend. Les garnisons allemandes de Saint-Flour et Aurillac sont isolées cependant que les F.F.I. bénéficient de contacts permanents avec leur état-major régional et les départements voisins, ainsi que d'une information permanente, tenue heure par heure, des mouvements ennemis, et même de ses intentions, grâce à un réseau d'écoute. Le général Roger Fayard (colonel Mortier), chef d'état-major des F.F.I. d'Auvergne constate : " Un système profond de renseignements (...) constitué essentiellement par un réseau de transmissions par fil, dont l'ossature est fournie par les réseaux des PTT et de la S.N.C.F., servis par quelques équipes de sous-officiers et surtout par le personnel des postes et des chemins de fer - dont on ne dira jamais assez l'admirable dévouement -, ce système, centré à Mauriac, s'étend peu à peu aux quatre départements et parfois même déborde leurs limites : il rayonne sur la presque totalité du Cantal, sur la partie ouest du Puy-de-Dôme, effleure l'Allier à Montluçon, par Neussargues, atteint Le Puy ; il fonctionne régulièrement avec la Corrèze et le Lot. Aucun convoi, aucun véhicule même, ne se déplace sur les routes contrôlées, sans qu'il soit immédiatement signalé. L'alerte est donnée et les maquis disposent parfois de plusieurs heures pour agir ou se protéger ".

Le colonel Mondange (Thomas), conseiller militaire du réduit de la Truyère puis de la zone 9, s'entretient par téléphone le 20 août avec le commandant de la garnison allemande de Saint-Flour à qui il demande la reddition, entretien dont a été témoin le général Lévy et qui se termine assez bizarrement : " Comment avez-vous pu réaliser cette communication téléphonique? " " Par des moyens propres à la Résistance ". L'Allemand n'apprécie peut-être pas ces moyens et raccroche. Les archives allemandes gardent souvenir de cette démarche restée sans autre suite.

On peut évidemment s'étonner de l'importance, effectivement assez extraordinaire, du téléphone pendant cette période. On a parfois l'impression que les résistants passaient une grande partie de leur temps au téléphone ! En guise de réponse, plusieurs remarques. La première, c'est que tout le monde ne pouvait en dire autant. Le journal de marche de l'état-major principal de liaison ri 588 de Clermont-Ferrand (général de division Von Brodowski) est fort instructif à cet égard. Quelques extraits : " 6 juin : les liaisons téléphoniques ne sont obtenues qu'à grand-peine ; 7 juin : réseau de transmission fortement perturbé; 26 juin : insécurité générale des liaisons se poursuit ; 2 juillet : importantes amplifications des perturbations dans les voies de communication et les lignes téléphoniques; 5 juillet : compte rendu de l'attaque par 15 à 20 terroristes d'une équipe des télécommunications dont les agents seront maintenus prisonniers quelques heures et enlèvement de leur véhicule ; 6 juillet : interdiction de tout trafic interurbain sur ordre des plus hautes autorités militaires occupantes ". Du 15 juillet au 10 août, c'est à peu près quotidiennement la même litanie : " lignes téléphoniques Aurillac en dérangement ".

La deuxième remarque se résume en quelques lignes extraites d'un document daté du 22 juillet 1944, signé du colonel Schmuckel, sous-chef d'état-major des F.F.I. d'Auvergne, intitulé " Directives générales pour l'organisation des transmissions " : " L'attention des commandants de départements et de zones est attirée sur l'importance primordiale des transmissions, œil du commandement et sauvegarde de l'exécutant ". Nous disposons d'un réseau téléphonique très dense, desservi par un personnel dont le dévouement est au-dessus de tout éloge. Des aménagements de lignes s'imposent, ces aménagements ne peuvent être exécutés que par le personnel technique des PTT... Il n'échappera à personne que si Vichy et Clermont étaient isolés au point de vue téléphonique d'une façon permanente du reste de la France, ce serait une victoire dont les résultats seraient, certes, plus importants que la destruction de telle ou telle grosse colonne ennemie ".

Si une parenthèse et un soupçon de mauvaise foi peuvent ici trouver place on pourrait ajouter que l'ennemi a sa part de responsabilité dans cette situation. Par note du 14 juillet, le préfet du Cantal informe les maires que l'état-major de liaison 588 signale par lettre du 5 juillet que " des terroristes ont été avertis à son de cloche de l'approche ou de la présence de troupes allemandes ". Les sonneurs de cloche sont en conséquence invités à limiter leurs activités à des heures bien précises. Faute de cloches, il fallait bien se rabattre sur des moyens tout aussi prohibés, mais tellement plus discrets !

Enfin, une précision toute simple et qui, malgré les apparences, reste dans le cadre de notre sujet : les derniers Allemands ont quitté le Cantal le 24 août ; le 1er septembre, toutes les liaisons électriques étaient réparées... ce qui prouve aussi qu'on ne chômait pas aux transmissions, ce qui prouve qu'un bon sabotage est chose trop grave pour être confié à de simples amateurs.

À L'AUTRE BOUT DU FIL...

Le téléphone : deux fils... et deux interlocuteurs.

Ces renseignements, communiqués " presque minute par minute ", quelqu'un était là pour les donner. Suivre la marche d'une colonne ennemie implique une succession d'observations et de transmissions. Le téléphone manuel exige une participation quasi systématique des bureaux. Et c'est effectivement ainsi qu'elle se présente. Un convoi allemand quitte-t-il Saint-Flour en direction de Chaudes-Aigues, ce bureau est avisé : " Les cousins viennent vous voir " (on aurait pu trouver moins compromettant !). Depuis juin, Mauriac a été abandonné par sa garnison. Mais toute approche de patrouille est immédiatement signalée par un réseau téléphonique efficace.

L'incroyable frise parfois l'inconscience : des maquisards appellent tout simplement les employés de Saint-Flour pour leur demander s'il n'y a rien de nouveau en ville. Le central étant sous surveillance, une téléphoniste doit alimenter la conversation avec les gardiens pendant la durée de la communication.

Pratiquement tout mouvement ennemi est signalé et toute surprise impossible. Le 14 juillet 1944, en plein jour, la région de Pleaux est le théâtre de l'un des quatre plus grands parachutages réalisés dans le Sud de la France par l'U.S. Air Force. Annoncés par le message " les cannibales bouffent les esquimaux ", 96 avions larguent 1.120 containers. Le témoignage d'Henry Ingrand, chef des M.U.R. d'Auvergne et commissaire de la République pour la région 6, mérite d'être cité : " La liaison par radio au sol avec le commandant de l'escadrille a été constante ainsi que celle par téléphone avec toutes les communes et les gares de la région de Pleaux pour connaître les mouvements des unités de la Wehrmacht. À 9 heures, le groupement tactique de la division Jesser est signalé à Riom-ès-Montagne par la poste de cette ville, mais l'on apprend bientôt qu'il se dirige sur Bort-les-Orgues. Ces liaisons téléphoniques étaient assurées par des postiers ou des postières. Ils furent admirables. Ceux-ci ou celles-ci donnaient des indications sur les mouvements ennemis à la poste de Pleaux (receveur : M. Papy) ou au centre de renseignements de Mauriac qui les répercutaient par téléphone aux terrains de parachutage jusqu'au moment où les Allemands entraient dans leur bureau ". Imaginons les conséquences de l'arrivée d'une colonne ennemie au milieu d'une telle fête.

Mais le renseignement - c'est-à-dire, dans la quasi totalité des cas, l'aide des agents des PTT - atteint une telle ampleur, une telle fiabilité qu'il est totalement intégré dans l'organisation. Qu'on pardonne l'image : la poste, en cet été 1944, ce n'est ni la Résistance, ni une résistance, mais c'est dans la Résistance comme le sucre dans le café. Les exemples surabondent : le 1" mai, l'attaque et la récupération d'un transport de 200.000 cartouches des G.M.R. de Saint-Flour trouve sa source dans une information de postiers. Le 12 juin, Allemands et miliciens procèdent à Murat à pillages et arrestations. Prévenu par plusieurs appels téléphoniques, le groupe de Raymond Labaune (commandant Irma) passe à l'attaque. Au bout d'une heure et demie, l'ennemi compte dix morts, dont le sinistre Geissler, chef du KdS de Vichy, et de nombreux blessés dont quatre grièvement atteints.

Si les grands rassemblements sont dotés d'une infrastructure, les " petits maquis " considèrent souvent la ou le responsable du petit bureau voisin comme leur sentinelle avancée, le chien de garde efficace et sécurisant chargé de prévenir de toute approche douteuse. Ce sera le cas à Mandailles, Siran, Lanobre... À partir de la période des combats, la signalisation n'est plus que routine. Il est tentant d'ironiser : chacun maintenant vole au secours de la victoire. Opinion un peu simpliste. L'ennemi est encore là et la brutalité de ses réactions est dans tous les esprits : les villages brûlés de la Margeride, les massacres de Saint-Flour et de Ruynes ont frappé les imaginations. Le risque existe et quel risque : le 29 juin, le R.D. de Lanobre voit son bureau envahi. Il est arrêté avec son fils et quatre agents. Les Allemands connaissent le rôle qu'il joue pour le compte du maquis de Gravières. Après interrogatoire, il est fusillé le jour même, avec son fils et un maquisard.

Et que dire de tous ceux et toutes celles surtout qui, depuis des mois, ont accepté tous les dangers. C'est au bureau du Rouget, un travail qualifié de considérable, c'est la receveuse de Laroquebrou, Mme Cosnard, entrée très tôt dans la Résistance, qui aurait accepté de grandes responsabilités. On sait qu'elle téléphonait beaucoup la nuit, son employée se souvient de quelques noms de code : V. Hugo, Aristote, Lamartine... Elle était en relation avec des maquis et les résistants du barrage voisin ; sa modestie et son dévouement égalaient sa discrétion. Sa fille, résistante elle-même, se doutait de ses activités mais n'en connaît pratiquement rien. C'est encore Godillat, receveur à Murat, Papy à Pleaux... combien d'autres.

Et tant de téléphonistes courageuses qui méritent d'être citées : Suzanne Raparie (Odette), à Saint-Flour, ignoblement torturée et déportée, Mme Maille, surveillante à Murat, Mlle Valée à Condat, Mme Broussal au Rouget, Mlle Bressolles, surveillante à Aurillac, Mme Joze, Mme Cornillon qui, surprenant une conversation échangée entre les gendarmeries de Tulle et d'Aurillac annonçant l'attaque du maquis de la Luzette, informe aussitôt son amie et collègue Marcelle Gaillard (Mimi), agent de liaison et de renseignements qui, après une course très mouvementée, arrive à temps pour permettre à trente garçons de s'éparpiller dans la région.

RÉSISTANCE ET PROBLÈMES DE CONSCIENCE

Courage, patriotisme, dévouement, certes il en a fallu. Mais beaucoup se heurtèrent aussi et, pour certains, surtout,à des difficultés, des problèmes dont le grand public n'a généralement aucune idée, et qui tiennent à la déontologie, la morale, les traditions et l'honneur. Cela est particulièrement vrai dans ce que l'on a pu appeler l'acheminement sélectif du courrier, en d'autres termes la soustraction de certaines correspondances. C'est un sujet qu'il n'est pas toujours facile d'aborder... même 40 ans après. Détourner du courrier, porter atteinte à l'inviolabilité du secret des correspondances, actions sacrilèges dont l'évocation provoque encore parfois gêne et malaise. Mais en cette époque fertile en situations cornéliennes, rares étaient les solutions dépourvues de la moindre ombre, l'essentiel étant de choisir " le plus haut devoir ", selon la formule de nos vieux instituteurs. D'ailleurs, respecter " la neutralité du transporteur pouvait aussi poser des problèmes moraux et provoquer regrets et remords. C'est ainsi que des plis adressés à des services redoutés qu'une écriture manifestement déformée faisait facilement repérer ne sont jamais parvenus. Disparitions aisées dans les petits bureaux où la plupart des initiatives individuelles ne seront certainement jamais dévoilées, plus difficiles dans les établissements importants où ces soustractions exigeaient quelque discrétion. Tel auxiliaire d'Aurillac R.P. raconte avoir avalé dans les toilettes une lettre dénonçant le possesseur d'un fusil de chasse. Assez paradoxalement, ce bureau comprendra deux groupes organisés de " censeurs ". Moussarie, F.T.P., fouine un peu partout. Sa curiosité même à l'égard des sacoches de la gendarmerie ne passera pas toujours inaperçue. Mais il ignore qu'il a dans la place et travaillant pour la même cause des concurrents remarquablement organisés et d'une exceptionnelle efficacité. Plusieurs facteurs subtilisent les plis litigieux que Mme Michel apporte au service de renseignements de la Résistance, installé à quelques dizaines de mètres de là... à la préfecture, tout simplement. Les documents sont ouverts, exploités, les dispositions prises pour prévenir éventuellement les intéressés... et les plis, soigneusement refermés, sont réintroduits dans le circuit... ce qui est très bon pour l'image de marque de la poste et encore plus pour la sécurité des agents. " Ce service a sauvé bien des vies ", écrira R. Amarger.

Après la Libération, quelques lettres de dénonciation ont été publiées. Elles justifient, hélas, les dures formules du sous-préfet de Saint-Flour, V. Palmade : " Ce qu'il y a de plus vil dans le cœur de l'homme fait surface ", " Innombrables, les consciences pourries se révèlent ". L'une d'entre elles, qui demandait l'arrestation d'une cinquantaine de personnes, a conduit sa signataire devant le tribunal militaire puis le poteau d'exécution.

Ces problèmes de conscience spécifiques, qui tiennent au caractère et aux bases même de la profession, n'excluent pas pour autant ceux plus généraux auxquels chaque résistant s'est trouvé confronté. Aviser du passage d'une colonne ennemie, c'est peut-être éviter l'anéantissement d'un groupe de maquisards, peut-être aussi provoquer une embuscade avec des morts de part et d'autre. Cela est dans la logique même de la guerre. Mais il y a bien pire. Les combattants ne sont pas seuls concernés. Il y a les représailles et leurs longues listes de victimes innocentes. Le risque ne saurait être sous-estimé. Sur cette responsabilité, sur le problème moral soulevé, beaucoup a été dit. Sujet de portée générale sur lequel historiens et moralistes n'ont pas fini de réfléchir. Mais plus d'un postier rencontra là bien autre chose qu'un sujet de discussion philosophique.

Sur le terrain de la morale, quelques autres questions peuvent être évoquées. Parlant de l'arrestation de Suzanne Raparie à Saint-Flour, on a dit et écrit qu'elle ne comptait pas que des amies parmi ses collègues. Plus d'une supposition a été élaborée, plus d'une accusation portée. Pourtant, il est maintenant certain que son nom figurait - comme celui de nombreux agents de l'administration - sur un carnet imprudemment conservé par un postier arrêté à la suite de la capture de Jacques Bingen à Clermont-Ferrand (carnet qui lui sera d'ailleurs présenté au cours de l'interrogatoire et sur lequel elle lira ses nom, prénom, surnom et le nom de son correspondant). Pour l'honneur de la corporation, on peut regretter que cette précision soit ignorée de la quasi-totalité des agents du département.

Il est de même à peu près certain qu'une auxiliaire, amie d'un officier allemand et qui l'a payé très cher, trop cher incontestablement, a limité sa collaboration au plan sentimental.

À l'inverse, il serait facile de parler de l'ombre de certains héros. Un ouvrage d'un résistant cantalien cite à diverses reprises un de nos agents volontaires pour de nombreuses opérations dangereuses : parachutages, détournement de 600 litres d'essence, expédition de récupération de matériel dans un camp de jeunesse, sabotage de la ligne électrique au moment même ou Philippe Henriot va prendre la parole au théâtre de Saint-Flour... Bref, le collègue dont on a le droit d'être fier. Mais la vérité oblige à ajouter qu'il sera suspendu de ses fonctions un mois après le départ des allemands et révoqué un peu plus tard. Cette mesure prouve qu'un certificat de bonne conduite dans la Résistance ne conférait - quoi qu'aient pu en dire certains malintentionnés - ni tous les droits ni la moindre impunité. Et c'est tout à l'honneur de l'administration.

LA RÉSISTANCE SUBIE : LES PRÉLÈVEMENTS

Quelques receveurs furent amenés à aider la Résistance, dans des circonstances un peu particulières, par le biais de versements de numéraire qui durent rarement provoquer leur enthousiasme.

Il faut savoir que, pour un postier, l'exactitude de la caisse mesure, justifie, prouve et couronne tout à la fois la rigueur et la qualité du travail. Toutes les opérations de la journée tendent et convergent vers l'équilibre de la caisse, tous les chiffres brassés et triturés conduisant à une sorte d'équilibre presque magique entre deux nombres rigoureusement égaux. Une ponction sauvage, c'est à la fois un scandale comptable et une humiliation que seule la présence de mitraillettes fait accepter. Et encore... À Aynes, la receveuse finira par se laisser convaincre pour la contribution, mais restera absolument intransigeante sur l'essentiel : l'argent ne partira pas tant que la caisse n'aura pas été terminée. Et il faudra bien en passer par là!

Pour l'ensemble du département, entre le 7 mai et le 8 août 1944, 44 prélèvements, totalisant quelque 1.600.000 francs, ont été ainsi opérés avec ou sans délivrance de récépissé, au bénéfice de divers groupements cantaliens ou de départements voisins.

Une précision pour les curieux : en 1947, l'autorité militaire a procédé au remboursement intégral de leur montant, sans même discuter les deux ou trois cas considérés comme douteux.

EN GUISE DE CONCLUSION

Il y a quelques années un directeur caractérisait le Cantal comme un département particulièrement attachant, mais dont les habitants s'appliquent à ne point parler. Et il est exact qu'on y trouve souvent la vieille réserve paysanne, une pudeur, un désir de repli et d'effacement, une naturelle discrétion et le vieux silence de nos campagnes.

Si j'ai pu contribuer, même dans une faible mesure, à soulever un coin de ce rideau, si j'ai pu, de façon bien incomplète et maladroite sans doute, évoquer leurs solides qualités et rendre hommage à de braves gens qui surent faire preuve et de bravoure et de générosité avec la simplicité qui convient à ceux pour qui le devoir n'est pas un vain mot, j'aurai alors l'impression de leur avoir manifesté une estime et une amitié vieilles de près de 50 ans ; parce que j'ai pris quelques-unes de leurs habitudes, je ne saurais ni leur dire, ni leur témoigner autrement.

Roger Saint-Martin

Le recrutement des postiers, comme celui des gendarmes d'ailleurs, me semble être encore, dans la période 1939-1940, un recrutement en grande partie rural. Est-ce un recrutement régional ? Est-ce un recrutement départemental ? Autrement dit, au-delà des liens de solidarité entre les gens des PTT existe-t-il un tissu social, un tissu régional et local ? C'est ma première question.

Claude Soudères

Le recrutement des PTT est national ; c'était encore plus vrai à l'époque que maintenant. Mais le Cantal est un département rural, assez pauvre, sans débouchés, et nous fournissions beaucoup de fonctionnaires; leur problème, leur premier désir, c'était le retour au pays, c'est certain. Parmi les cadres, la proportion d'autochtones était peut-être un peu moins grande, ainsi que parmi les receveurs où, traditionnellement, il y a un mouvement plus important, mais il est certain que, par exemple, les gens qui sont partis au maquis, les agents des lignes, etc., étaient des gens du pays à 95 %.

Roger Saint-Martin

Deuxième question, si vous le permettez, parce que je crois qu'elle est importante dès qu'on aborde les problèmes régionaux et locaux : c'est le rôle de la gendarmerie. Car ce tissu de gendarmerie faisait partie du tissu national, du tissu social français. On ne peut pas évoquer les campagnes françaises sans évoquer les brigades de gendarmerie. Par expérience familiale, j'ai l'impression que, là aussi, il y avait une solidarité au-delà de tous les clivages politiques, de tous les clivages syndicaux, de fonctionnaires réalisant un tissu qui était celui du tissu de l'État, du tissu du service public dans les campagnes françaises. Je ne sais pas si je me trompe, si c'est vrai pour le Cantal aussi, mais il me semble que, en grande partie, toute cette résistance diffuse, cette résistance passive, cette résistance permanente, n'a pu avoir lieu très souvent dans les campagnes que grâce à la complicité des brigades de gendarmerie.

Claude Soudères

Par exemple, les brigades de gendarmerie de Saint-Flour et des environs sont montées au Mont-Mouchet, le 4 juillet. Les gendarmes se sont fondus dans les compagnies ou les ont encadrées, car au Mont-Mouchet nous avions très peu d'officiers d'active. Or, pour encadrer les quatorze compagnies du Mont-Mouchet, il a fallu faire appel aux instituteurs qui étaient officiers de réserve, ou à d'autres officiers de réserve, qui avaient comme adjoint un adjudant de gendarmerie ou un sergent-chef de gendarmerie.

Un autre détail : j'habitais dans un tout petit village, perdu au pied du Plomb du Cantal, et les garçons de mon village qui étaient réfractaires, par exemple, revenaient au village, et rentraient la nuit quand ils pouvaient. La première chose qu'ils faisaient, c'était d'aller ou d'envoyer leur père à la gendarmerie. Les gendarmes leur disaient : " Bien, pendant quinze jours, tu disparais, parce que nous, il faut qu'on vienne faire une enquête, et il ne faut même pas que tes voisins t'aient vu ". Je pense que cette attitude révèle un état d'esprit.

La Résistance PTT en Dordogne (1940-1944)

Thierry Naso

Dans un premier temps, nous verrons le rôle de l'administration des PTT de 1940 à 1942, date de l'invasion de la zone libre. Dans un deuxième temps, nous aborderons le développement spectaculaire de la résistance des agents PTT et enfin, dans un troisième temps, le rôle des agents PTT au cœur des combats contre l'Occupant.

L'ADMINISTRATION DES PTT, DE LA DÉCLARATION DE GUERRE , À L'INVASION DE LA ZONE LIBRE

En Dordogne, la mobilisation du personnel n'a pas entraîné une très grande désorganisation dans le service, dans la mesure où un système de recrutement a été mis en place rapidement ; des agents non mobilisés ont été recrutés et l'administration des PTT a, par ailleurs, recruté ses anciens agents retraités, principalement dans le service général. Les receveurs et receveurs-distributeurs furent remplacés par les intérimaires de la brigade départementale. Dans les bureaux importants comme Périgueux et Bergerac, aucune baisse d'effectifs ne fut notée.

La situation fut différente dans le service technique. Dès le 26 août 1939, la plupart des agents furent mobilisés, sauf les agents des lignes.. Deux monteurs ont été envoyés en Indre-et-Loire et en Loir-et-Cher. Les demandes de l'armée étaient nombreuses et entraînaient un déficit du personnel. Les travaux demandés par l'armée étaient surtout, en ce qui' concerne la région, l'installation de lignes téléphoniques pour les poudreries, et enfin, les installations téléphoniques pour tous les services de l'armée. Il faut noter aussi qu'à cette époque, en 1939, tous les agents de la recette principale de Strasbourg se sont réfugiés en Dordogne, et principalement à Périgueux, ce qui représente à peu près 80.000 personnes, dont 400 agents. À ce moment-là se posa le problème du logement. Mais les agents PTT périgourdins firent preuve d'une grande solidarité, et partagèrent leur foyer avec leurs collègues alsaciens. Leur intégration dans les services se fit dans les meilleures conditions.

Mais le problème devient dramatique avec la percée allemande de mai 1940 et l'exode de milliers de personnes fuyant sur les routes de France en direction du sud où ils espéraient trouver refuge. La direction de la Dordogne vit défiler dans ses couloirs, du 15 au 30 juin 1940, plus de mille agents des départements du nord, de l'est, du centre de la France, et des services de la capitale. Le service du personnel fit établir des fiches mentionnant l'état civil, le grade, le bureau d'attache, la date de cessation du service des intéressés qui se présentaient alors au service de l'ordonnancement. Une aide financière leur était accordée, qui s'élevait à plusieurs milliers de francs, et enfin, le 25 juin, un ordre a été donné aux bureaux de poste de payer trois mois de traitement à tout le personnel. Le 25 juin, c'était aussi la date de la mise en application de l'armistice. Cet armistice entraîna pour les Français toute une série d'humiliations et de profonds changements ; le plus important fut la création de la ligne de démarcation, partageant la France en deux zones. Le département de la Dordogne subit ce même partage ; il perdit, à l'ouest, 35 communes de l'arrondissement de Périgueux, qui représentaient 19.000 habitants, et 6 communes de l'arrondissement de Bergerac, qui représentaient à peu près 3.000 habitants. Le département reçut 25 communes de la Gironde, du comté de Sainte-Foix-la-Grande et de Pujol, avec une population de 14.196 habitants.

C'était une situation nouvelle aussi pour l'administration des PTT. Dès le retour, après la signature de l'armistice de juin 1940, des agents démobilisés, un certain nombre d'auxiliaires ont été licenciés. Le recrutement fut suspendu et de nouvelles difficultés se présentèrent en raison de la mise en application des lois du 17 juillet et du 13 août 1940. La loi du 17 juillet 1940 réservait l'emploi dans l'administration aux fils de Français et aux anciens combattants de 1914 ou de 1939. La loi du 13 août 1940 interdisait tout emploi dans la fonction publique aux militants et sympathisants communistes.

D'autre part, suivant les instructions données par l'administration, un contrôle fut effectué sur la réintégration des auxiliaires de guerre licenciés et le réembauchage des prisonniers de guerre libérés, précédemment utilisés comme auxiliaires. Dès ce moment-là, le personnel se trouva en position d'instabilité, car il s'agissait d'agents camouflés ; agents prisonniers de guerre, agents de la zone Nord, Alsaciens-Lorrains, refoulés par les autorités allemandes.

Une note du 21 février 1941 du commandant militaire du département de Dordogne, adressée au préfet, et retransmise au directeur des PTT, signale l'évasion de nombreux jeunes de la zone Nord pour la zone Sud, et invite les chefs de service à recruter de préférence des hommes qui sont en situation irrégulière vis-à-vis de l'Occupant. Sous l'Occupation d'ailleurs, la question du recrutement des auxiliaires et du service général se posa parfois avec acuité. Le personnel des PTT fut victime des lois anticommunistes. Cinq agents ont été touchés par ces lois : Louis Dauphin, chef d'équipe à Périgueux ; Paul Eyraud, contrôleur à Périgueux; Louis Garraud, chef d'équipe à Périgueux ; Romain Rapnouil, agent de ligne à Bergerac ; Marcel Roubenne, agent principal des installations extérieures à Périgueux. En Dordogne, les internements de militants communistes avaient lieu au camp du Sablou.

Les agents des PTT vont être aussi confrontés aux problèmes techniques du service postal et des télécommunications.

En ce qui concerne le service postal, si on prend l'exemple du bureau gare de Périgueux, son trafic a décuplé, passant en moyenne de 800 paquets par jour à près de 10 à 12.000. Ces envois venaient des réfugiés se trouvant en zone libre, qui expédiaient de nombreux paquets, surtout des produits alimentaires, à leurs parents restés en zone occupée. Il y eut aussi un trafic intense avec les villes de Marseille, de Nice et de Toulouse. Toutes les localités du département situées à proximité de la zone occupée ont également reçu et expédié un important courrier qui franchissait clandestinement la ligne de démarcation. Tous les bureaux de poste, principalement l'agence postale de Saint-Martin-d'Artenset à qui un renfort d'une unité avait été accordé, favorisèrent ce trafic.

En ce qui concerne les télécommunications, le trafic ne fut autorisé qu'entre la France occupée d'une part, et le territoire français métropolitain non occupé, d'autre part.

Seules les communications téléphoniques et télégraphiques d'ordre administratif et économique étaient autorisées, les communications d'ordre privé étaient interdites. Le trafic interzone des télégrammes familiaux ne reprit qu'en 1941 ; d'ailleurs, à ce sujet, seules les nouvelles concernant une maladie grave ou le décès d'un parent proche étaient prises en considération et pouvaient franchir la ligne de démarcation, à condition d'être munies du certificat du maire ou du médecin.

À cette époque, on note déjà les prémices d'une certaine résistance PTT. L'appel du 18 juin 1940 du général De Gaulle ne pouvait qu'encourager et renforcer la volonté de nombreux agents de continuer la lutte contre l'Occupant, ceci de façon clandestine évidemment. Dans les premiers mois, une résistance non organisée, et surtout d'ordre local et individuel, se manifeste. Cette résistance, d'abord passive, devient très rapidement active, avec le passage de prisonniers de guerre de la zone occupée en zone libre, et la diffusion de tracts qui appelaient la population à soutenir la Grande-Bretagne et à espérer une victoire de celle-ci.

Dans un rapport du préfet, du 12 novembre 1940, il est écrit : " J'ai fait saisir récemment un tract tapé à la machine à écrire sur une formule de chèque postal, invitant la population à placer ses espoirs dans une victoire anglaise. Mais contrairement à ce que je supposais, il n'a pas été possible d'établir que les agents des PTT prêtaient leurs concours à cette propagande ".

Dès 1941 aussi, des agents des PTT sont arrêtés pour faits de résistance. C'est le cas de Mme Rocher, dame commis à Montpon-sur-l'Isle. Elle est arrêtée le 1er juillet 1941 par les autorités d'occupation. Elle passait des lettres de la zone occupée à la zone libre. Elle fut libérée le 21 août 1941.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA RÉSISTANCE AUX PTT

Des actes de sabotage ont lieu aussi dans le département, comme celui du 20 octobre 1941, sur une ligne téléphonique des PTT reliant des postes militaires sur la ligne de démarcation; les fils avaient été coupés près de Mareuil. Et l'on peut dire que, jusqu'au début de l'année 1942, il n'existait pas d'organisation de résistance PTT en Dordogne. Les choses évoluèrent dès le printemps 1942 avec la rencontre entre les chefs d'organisation de la Résistance et les " patrons " des PTT du département. Le premier contact eut lieu en avril 1942. Cette entrevue réunit Grébert, dit Aline, chef du bureau au service des réfugiés à la préfecture de la Dordogne, alors responsable pour la zone Sud, Laneuze, contrôleur principal, rédacteur des PTT, et Dieuaide, contrôleur au service de la radio-diffusion. Ils mirent sur pied un programme d'action : recherche des camarades des PTT acquis au mouvement de résistance, aux échelons du département, de l'arrondissement et du canton ; transmission de messages à destination des groupes de Limoges, Toulouse, Clermont-Ferrand; réception de messages en provenance de ces localités, et dépôt dans une boîte aux lettres ; diffusion de journaux et de tracts clandestins ; acheminement de plis postaux de la Résistance ; détournement du courrier de l'ennemi; sabotage sur ordre des lignes téléphoniques ; et enfin, liaison avec la Résistance Fer.

Au départ de la ligne, Dieuaide et Laneuze se partagèrent le travail. Le premier, dont les déplacements étaient fréquents à travers le département, se chargeait de rechercher les résistants acquis au mouvement, du sabotage des liaisons téléphoniques et de l'entretien des liaisons avec la Résistance Fer. Le second, obligé en raison de ses fonctions administratives, d'être de permanence à la direction, s'occupait de tous les autres points.

Le 11 novembre 1942, l'invasion de la zone libre entraîna aussi le développement de la résistance PTT. La situation était nouvelle. La population était choquée. Les agents des PTT exécutèrent des travaux pour le compte des Allemands. Les premiers travaux demandés par ceux-ci étaient consacrés aux nouvelles installations en matière de télécommunications. Ils exigèrent des lignes et des circuits pour leurs services, des liaisons directes réalisées pour le compte de FNK 7 avec Bordeaux, Limoges et Bergerac. L'autre problème fut celui du personnel confronté à différentes difficultés d'ordre technique : un nombre trop faible d'agents, des moyens de transport réduits et une situation matérielle précaire des ouvriers.

Cette nouvelle situation engendra un regain de résistance. D'abord dans les services de Périgueux. Une équipe de camarades sûrs fut rapidement constituée, composée de Faurel, contrôleur au service des mesures, Deschamps, commis au central téléphonique, et enfin Germain, auxiliaire au central téléphonique. Leur travail consistait à contacter au clavier des camarades nommément désignés aux centres de Limoges, Lyon, Toulouse et Clermont-Ferrand; d'acheminer et de recevoir, sans transiter par la commission de contrôle des messages de la Résistance, des lettres, et de les remettre à Laneuze ; et enfin, de prendre copie des télégrammes chiffrés pouvant intéresser la Résistance.

À cette époque, de nombreux contacts eurent lieu avec les chefs de l'A.S. et du maquis. L'activité de Laneuze était connue par le directeur Meynard qui le soutenait entièrement, bien que, dans les services de la direction, certains agents n'étaient pas favorables au mouvement de résistance.

Chassin, qui était inspecteur des télécommunications, deviendra le chef de la Résistance PTT au moment où Laneuze sera inquiété et arrêté par la police allemande.

Un travail énorme, analogue, fut exécuté en Dordogne Sud, et particulièrement dans le Bergeracois, avec des agents comme Labonelli, Loi-seau, qui étaient contrôleurs au service des mesures à Bergerac.

La Résistance PTT procurait aussi aux réfractaires du S.T.O. de fausses cartes d'identité revêtues du sceau des mairies les plus diverses, et du tampon de la préfecture de la Dordogne. À Périgueux, l'agent Germain, avec de fausses cartes d'alimentation, a obtenu de vrais tickets. Les agents des PTT participèrent à toutes les actions contre l'Occupant : parachutage, constitution de dépôts d'armes clandestins, sabotages de voies ferrées, hébergement des réfractaires et des parachutistes.

Mais l'ampleur de la résistance s'intensifie réellement à partir de l'année 1943 et surtout à partir de la création des premiers maquis de Dordogne. En 1943, les seuls maquis connus, dans la région du moins, étaient situés en Haute-Vienne, en Corrèze.

En Dordogne, il fallut attendre le mois de juin 1943 pour voir la création du premier maquis situé au nord du département, près de la
Coquille, dans la forêt de Vieillecour. Plus tard, à la fin de la guerre, on recensera dans cette région près de 36 groupes maquis de l'Armée Secrète. Au moment de la création des maquis, les agents PTT déjà engagés dans la Résistance se mirent au service du maquis ; leur tâche principale était d'équiper les maquis en lignes téléphoniques.

Les maquis prirent rapidement de l'ampleur et quadrillèrent le département du nord au sud et de l'ouest à l'est, et fin 1943 ils étaient réunis sous le sigle F.F.I. Le maquis était confronté à trois problèmes : la nourriture, l'armement et les moyens de communication. Il fallait que rapidement des groupes de maquis soient informés, soient en sécurité et ne craignent pas d'être attaqués par surprise, soit par la Wehrmacht, soit par les G.M.R. ou la Milice. Il était donc important qu'ils soient en quasi-permanence informés de tout mouvement et de toute action des troupes d'occupation. Là, le rôle des agents PTT fut primordial et leur travail considérable.

En Dordogne nord, au cœur du fief du maquis, les premiers groupes de maquisards furent reliés par l'installation téléphonique et ces premiers groupes formeront d'ailleurs plus tard l'essentiel des compagnies de la brigade R.A.C., un des plus grands réseaux de la Résistance de cette zone, sous la direction de Rodolphe César.

Deux agents allaient jouer un rôle important : ce furent Louis Chaumette, qui était monteur en lignes téléphoniques à Nontron, et Abel Mérédieu qui était à Thiviers. Ces deux techniciens appartiendront d'ailleurs plus tard à la brigade R.A.C.

Outre l'installation de lignes téléphoniques pour les maquis, ils débaptisèrent tous les bureaux de poste et les rebaptisèrent de noms de fleurs ou de prénoms féminins. Il y avait ainsi des bureaux de poste qui s'appelaient Lucette, Arlette, Mimi. Il était impossible aux Allemands de découvrir la provenance de l'appel, lorsque deux maquis étaient en communication et, par là même, l'emplacement du maquis. D'ailleurs, ce réseau permettait au maquis de se défendre de façon positive. Les postiers prévenaient les maquis de chaque mouvement des troupes allemandes, ce qui leur permettait de faire des embuscades, d'attaquer les convois, et surtout, en cas de difficulté, de pouvoir demander des renforts.

Il faut dire également qu'en Dordogne sud, le travail accompli par les agents PTT était aussi remarquable, en particulier dans le Bergeracois et le Sarladais. Dans le Bergeracois, le maquis commandé par Bergeret trouva, en la personne de Labonelli et de son camarade Loiseau, des techniciens sûrs et compétents.

LES AGENTS DES PTT AU CŒUR DU COMBAT

Dès le printemps 1944, la Résistance organisée porta des coups de plus en plus durs aux troupes allemandes. Cette lutte se transforma en guérilla généralisée.

Dès le printemps 1944, les attaques des F.F.I. (cambriolages de bureaux de poste, attaques de convois, sabotages de voies ferrées et lignes téléphoniques) prennent de l'ampleur. Face à cette résistance, les troupes allemandes reçurent des renforts. Le préfet était le premier à demander des troupes pour assurer la sécurité dans le département.

Cette amplification de la résistance allait entraîner une répression sanglante. Outre les maquisards, la population, accusée de complicité, n'était pas épargnée, et des otages étaient fusillés après chaque attaque de groupes de Résistance contre tel ou tel convoi militaire allemand. En mars et avril 1944, la Dordogne allait être mise à feu et à sang par la division B et certains villages comme Rouffignac furent durement touchés. À cette époque, la haine de l'Occupant était de plus en plus vive dans la population. L'aide aux maquisards s'était fortement accrue. On peut dire qu'à la fin mai 1944 le département était pratiquement aux mains des F.F.I.

Au mois de juin 1944, les rumeurs faisant état d'un prochain débarquement circulaient dans la population. À la veille du 6 juin, tous les préparatifs étaient terminés et l'attente commença. Le travail des agents des PTT fut considérable. Le 6 juin 1944, tous les maquis étaient reliés au réseau téléphonique ; en Dordogne nord, nous l'avons vu, avec l'aide, du { moins avec la participation, de Louis Chaumette et d'Abel Mérédieu. D'ailleurs, celui-ci avait eu pour ordre, le 6 juin 1944, d'isoler totalement la ville de Nontron, ce qui fut fait, et le 7 juin 1944, Nontron fut annoncé, par la B.B.C., comme la première ville libérée de France. Je vais citer Rodolphe César, qui était donc commandant à la brigade R.A.C., et qui fait l'éloge de Louis Chaumette : " Tu es un type épatant ; d'ailleurs, depuis le début de la Résistance clandestine, toute ton administration a toujours fait le maximum pour la Résistance ; on ne le répètera jamais assez : vous êtes formidables ".

En Dordogne sud, dans le Bergeracois, la situation était similaire avec le maquis Bergeret qui trouva en Labonelli un agent compétent. Il écrit d'ailleurs dans son livre, Messages personnels : " Dans toute l'étendue du secteur, les sabotages prévus furent réalisés le 7 juin, avec une telle précision et un synchronisme si parfait que les Allemands ne purent utiliser les lignes téléphoniques pour communiquer avec l'extérieur, tandis que nous nous en servions de l'intérieur du secteur pour les transmissions de village à village. Ce travail fut accompli. Labonelli et ses spécialistes nous rejoignirent ; c'est ainsi que les coupures nécessaires furent entretenues, les communications indispensables furent rétablies. Mais que cela suppose d'efforts, de dévouement, de hardiesse, de résistance à la fatigue et de mépris du danger ! Je sens que je ne pourrai jamais remercier comme il convient ces équipes qui restèrent sur la brèche, nuit et jour, pendant de dures batailles, et se dépensèrent sans compter ". Il dira aussi, plus tard : "Un agent de liaison doublé d'un téléphoniste ou d'un télégraphiste est deux fois un héros ".

Dans les autres régions de la Dordogne, les postiers ont également fait preuve de courage. Nombre d'entre eux informèrent les maquis jusqu'au moment où les troupes allemandes pénétraient dans les bâtiments. Le bilan des pertes humaines fut important : près d'une vingtaine d'agents ont sacrifié leur vie pour la libération de la France et le retour à une démocratie.

LE PERSONNEL ET LE SERVICE TECHNIQUE APRÈS LA GUERRE

D'abord quelques mots sur le personnel. À la Libération, tous les exclus des cadres, en application des lois dites de Vichy, réintégrèrent leur ancien emploi. Certains d'entre eux, notamment les receveurs, ne purent être réinstallés dans leurs anciens bureaux parce qu'ils étaient partiellement ou totalement détruits. La réintégration du personnel ne souleva aucune difficulté. Quelque temps après la Libération, de la fin août 1944 à mars 1945, les Alsaciens-Lorrains furent rapatriés dans leur localité d'origine. La circulation des trains fut rétablie, ce qui permit une reprise normale des relations postales dans le département. Mais la Dordogne fut, comme d'autres départements, confrontée au problème du logement. Même avec le départ des Alsaciens-Lorrains, la crise fut importante, cela en l'absence d'une politique de reconstruction.

En ce qui concerne les télécommunications, la situation était tout autre. Les dégâts occasionnés par la guerre étaient d'une ampleur considérable. Au 21 août 1944, tout trafic était interrompu. Les Allemands, avant leur départ, avaient en effet sectionné tous les câbles d'entrée du répartiteur à Périgueux. Et le département n'ayant pas été libéré par les alliés, aucune liaison n'avait été réalisée pour leur compte. Heureusement, les F.F.I. disposaient de nombreux circuits.

Le personnel redoubla d'efficacité durant cette période, car les dommages étaient importants. Tous les câbles souterrains à grande distance étaient coupés en de nombreux points, les stations de relais détruites, privant ainsi le réseau de tous les circuits inter départementaux. Les artères sur voies ferrées étaient gravement endommagées, et parfois entièrement détruites sur de longues sections (à Thiviers, Buissière, Galant). Sur la route, plus de 3.500 kilomètres de circuits étaient totalement détruits ou dans un état tel que seule la reconstruction totale devait être envisagée. Enfin, plus de 5.000 poteaux étaient à remplacer. Dans tous les centraux, les installations étaient détruites ou détériorées. À Périgueux, Sarlat, Mussidon, Rouffignac, Mouleydies et dans soixante bureaux locaux. 3.750 abonnés étaient privés de communication par suite de la destruction de leur ligne, 2.150 étaient isolés par la détérioration des centraux, 500 ont eu leur appareil enlevé soit par les Allemands, soit par les F.F.I., une centaine ont eu leurs installations détruites à la suite d'incendies d'immeubles. Le trafic avait dû faire l'objet de restrictions sévères qui limitaient l'usage du téléphone aux seuls abonnés officiels. Encore ne pouvaient-ils communiquer qu'à très courte distance.

En décembre 1945, la situation s'était considérablement améliorée. Le rétablissement des câbles à grande distance et des lignes aériennes interurbaines est effectué. Tous les centraux étaient rétablis et réparés. Il existait encore à ce jour 150 usagers privés de leur appareil, et près de 500 abonnés disposaient d'un poste qui ne convenait qu'imparfaitement au réseau.

Les autres problèmes étaient d'ordre financier. Les bureaux de poste avaient subi des attentats, des cambriolages. La somme résultant de pillages par l'armée allemande s'élevait à 40.331 francs et se répartissait entre quatre bureaux : Cherveix-Cubas, 1.556 francs ; Cénac, 8.000 francs ; Rouffignac, 18.992 francs ; Sarlat, 11.783 francs.

En conclusion, on peut dire que la Résistance PTT, embryonnaire au début de l'Occupation, s'est caractérisée par des actions individuelles et locales. À partir de 1942, la Résistance s'organise et prend une ampleur considérable. Avec la création du maquis, la Résistance PTT devient capitale. Les agents PTT accomplissent un travail remarquable jusqu'à la Libération et même après. Sans leur aide constante, la situation aurait peut-être pris une autre tournure en juin 1944.

Cette lutte contre l'occupant allemand coûta la vie à nombre d'agents PTT, mais ce sacrifice ne fut pas inutile, bien au contraire.

Un postier montois dans la Résistance

Henri Harté

Pourquoi les résistants actifs n'ont-ils pas été plus nombreux pendant l'Occupation, alors que, dans les PTT par exemple, la majorité, sinon la totalité du personnel était contre l'Occupant ? Personnellement, j'ai une réponse à fournir. Pour faire partie d'un mouvement de résistance, il fallait être contacté par une personne qui elle-même avait été mandatée pour effectuer ce recrutement. J'ai moi-même été contacté, dès le début de 1943 (attestation Henri Ribière, secrétaire général de Libé-Nord, membre du Conseil national de la Résistance), par " Marcel ", agent de liaison. Pourquoi ? L'explication ne m'a été donnée qu'après la Libération, au premier congrès de reconstitution du parti socialiste (S.F.I.O.). J'y ai retrouvé Ribière qui était membre du comité directeur. Adhérent du P.S. en 1934 à Beauvais, nommé V.I.E.M. à Mont-de-Marsan en 1937, en 1939, j'étais secrétaire de la section socialiste ; voilà la raison qui a poussé Ribière à me faire contacter par son agent, ainsi que Lamarque-Cando qui était secrétaire fédéral. But de la mission : rassembler une équipe de camarades sûrs, dont on pourrait avoir besoin lors du débarquement des alliés (on y pensait déjà). Connaissant bien les membres de la section, il me fut facile de contacter 35 volontaires.

Au cours de la même année 1943, je reçois un coup de téléphone de Mme Coustaline, employée des PTT à Biscarosse, que je connaissais bien, car j'avais refait l'installation téléphonique du bureau. Elle me demande de venir la voir le plus rapidement possible. Le surlendemain, je me rends à Biscarosse, et elle me présente son mari, chef mécanicien sur les hydravions Latécoère. Au cours du repas, j'ai compris la raison de ce rendez-vous : Jean Coustaline était également le capitaine Guillaume, chef régional du sud-ouest du réseau Andalousie. Me voilà chargé de mettre sur pied un réseau de renseignements dans le secteur de Mont-de-Marsan (mouvement de troupes, trafic aérien), cette base étant très importante au plan du trafic ferroviaire. Il faut croire que notre travail a été apprécié, car, trois mois après, je recevais un message de félicitations de Londres, par l'intermédiaire de Guillaume.

En septembre 1943, je rends visite au bureau de Meuillet, dit " Popotte ", de Dax, cousin d'une de mes téléphonistes. Il me présente son chef, Léonce Dussarat, " Léon des Landes ", le chef de la Résistance landaise reconnu par Londres. Il voulait établir la liaison entre les groupes de Dax et de Mont-de-Marsan et comptait sur moi.

Dans les deux cas, Andalousie et Buckmaster, c'est ma profession qui a fait qu'on m'a contacté.

En mars 1944, je monte à Paris pour recevoir de Ribière les dernières instructions venant de Londres et d'Alger (création des cours de justice en particulier). Il m'annonce la nomination, par Londres et Alger, de M. Gilberton comme préfet des Landes à la Libération. Je suis chargé de le recevoir et de le camoufler jusqu'à ce moment (je n'ai pas eu à le faire car Gilberton a été arrêté deux jours avant son départ, a réussi à s'évader, et n'est revenu à Bordeaux qu'après la Libération, où il a pris le poste de secrétaire général de la préfecture). Outre Ribière, il y avait Audeguil, qui a été maire de Bordeaux, son secrétaire Pourquié, le général " Lierre " (je n'ai pas su si c'était son nom véritable) et Grasset qui venait d'être désigné comme préfet de la Charente-Maritime à la Libération, et qui, deux jours plus tard, a été tué par des miliciens dans le couloir de l'immeuble où nous avions rendez-vous avec une personnalité qui arrivait de Londres, Max Dormoy, ancien maire de Sceaux et ministre de l'Intérieur, qui a réussi à s'en sortir. Heureusement pour moi, je n'avais pu me rendre à ce rendez-vous. Ribière m'a dit qu'on avait relevé 72 impacts de balle sur le corps de Grasset, abandonné par la milice.

Le 5 juin 1944, à 20 heures, un message est diffusé par la radio: " Vénus, femme fatale ". C'était le message annonçant le débarquement, que " Léon des Landes " nous avait communiqué à Lamarque-Cando et à moi-même. Tout était préparé. Les hommes du groupe sont prévenus; je vais avertir également le directeur départemental des PTT, M. Jaubert. À 22 h 30, nous nous retrouvons au maquis, à huit kilomètres de Mont-de-Marsan.

Le 7 juin, nous recevons l'ordre pour les sabotages : " Le brigadier de Jupiter exécutera son travail ". À 3 h 30, par un beau clair de lune, nous partons : les voies ferrées, les artères téléphoniques desservant Mont-de-Marsan sont plastiquées ou détruites. Nous rentrons à 6 h 30, mission accomplie.

Le 9 juin, le sabotage de la voie ferrée de Marmande n'ayant pu être effectué par un groupe de Saint-Justin-le-Frêche, nous partons à 4 heures. Nous sommes dix. Hélas, nous tombons sur une patrouille allemande. L'un de mes hommes, André Cadillon, mon aide au central, est arrêté et remis à la Gestapo. Matraqué comme savaient le faire ces sbires, il est obligé de dire que je suis le chef, mais ne donne pas le nom des autres. Je lui rends encore hommage pour son courage, car seule ma femme, auxiliaire téléphoniste à l'époque, est arrêtée, transférée de la prison de Mont-de-Marsan au fort de Ha à Bordeaux, puis déportée à Ravensbrück. Cadillon mourra à Dachau en janvier 1945.

Le 9, en m'enfuyant, je suis victime d'une entorse assez grave à la cheville. Des amis me ramènent au maquis et ensuite dans un village voisin pour être soigné. À la suite de ces événements, le groupe se disloque, les hommes rentrent chez eux (pas tous). Une fois guéri, je rejoins mon frère qui est au maquis du colonel Carnot. Celui-ci m'affecte aux transmissions du groupe.

Le 3 juillet, à 6 heures du matin, nous sommes attaqués par 1.600 Allemands venant de Pau. Sur les 160, ce jour-là, nous n'étions que 122. Sur le monument élevé à Portet (à la limite des Basses-Pyrénées, du Gers et des Landes), sont gravés les noms de 68 camarades que nous avons perdus ce jour-là. Rescapés, mon frère et moi nous attendrons la Libération dans des fermes à la campagne.

Le 21 août, Mont-de-Marsan est libéré. Je reviens chez moi ; évidemment je n'avais aucune nouvelle de ma femme. Il faudra que j'attende le mois de mai 1945 pour la revoir.

Ayant été désigné comme secrétaire du comité départemental de la libération, je ne rejoindrai mon poste à l'administration que six mois après. La vie normale reprendra son cours.

La Résistance PTT dans la région de Bordeaux

Abel Mérédieu

J'ai été démobilisé en juin 1940, en tant que technicien des PTT et j'ai rejoint Saint-Lô, où j'étais agent des installations extérieures. En passant à Périgueux j'avais pris connaissance de l'appel du général de Gaulle et, bien entendu, mon esprit et mon éducation m'ont poussé à faire de la résistance. Mais en arrivant dans la Manche, je n'ai eu aucun contact. Comme j'étais agent des installations extérieures, j'avais un ausweis avec un matricule et ma photographie. En effet, le département de la Manche et toute la côte, était zone interdite. Et pour mon travail, pour aller vers Coutances, Cherbourg, Lison, Valogne, il fallait avoir un ausweis pour circuler.

J'ai donc fait œuvre de résistant à titre indidivuel. Quand je m'étais présenté à Saint-Lô, le directeur, M. Bergeret, qui refusait d'être commandé par les Allemands, avait demandé sa mise à la retraite. Il avait été remplacé par M. Beaufils, inspecteur principal, qui a fait fonction de directeur pendant le temps où je suis resté dans la Manche. M. Beaufils m'avait donné comme travail l'installation téléphonique du grand séminaire de Saint-Lô où étaient enfermés tous les soldats français, tous les marins et tous les aviateurs qui avaient été pris dans la nasse du Cotentin lors de l'avance des Allemands, quand ils avaient traversé la Seine en juin 1940. J'étais aidé par M. Beaubœuf, surveillant, conducteur de la voiture, et nous avions à notre disposition une camionnette 202. Bien entendu, j'ai fait durer le travail. Beaubœuf était d'accord avec moi. J'ai appris ensuite qu'il faisait partie du réseau PTT de la Manche. Mais beaucoup plus tard.

Un soir, deux marins sont venus rôder autour de ma voiture et m'ont dit : " On voudrait bien partir ". Dans les voitures PTT, il y a toujours des sacs 7 vides ; j'ai mis ces types dans le fond de la voiture, couverts avec les sacs 7, et je les ai emmenés chez moi; je leur ai trouvé des bleus des PTT (j'étais au service technique, où l'on recevait à l'époque deux paires de bleus par an, et j'en avais pas mal) et je les ai lâchés dans la nature. Ils sont partis chez eux, je ne sais où. Tous les soirs, je sortais ainsi deux gars du grand séminaire de Saint-Lô, qui partaient ensuite chez eux.

Un matin, à l'arrivée, au lieu de lever la barrière, les soldats allemands qui étaient de garde m'arrêtent et me demandent d'ouvrir la portière arrière. Ils vérifient toute la voiture, ils soulèvent les sacs, ils soulèvent l'outillage. Ne trouvant rien, ils me font rentrer. Cet épisode marquait la fin des évasions. Ceci a été ma première action de résistance dans le département de la Manche.

Mai 1943 est arrivé. Je suis parti en Dordogne. En arrivant, j'ai fait la connaissance d'un garagiste nommé Lautrette, qui travaillait avec Charles Serre, l'un des premiers résistants en Dordogne, qui avait formé des groupes très intéressants, très bien organisés. Lautrette m'a demandé si je voulais faire partie de la S 5 ; j'ai accepté.

À la fin du mois, quand je suis allé me présenter à la direction. Laneuse, rédacteur, qui était secrétaire particulier, je crois, de M. Me-nard, m'a proposé d'entrer dans la Résistance PTT. En Dordogne Nord, nous avons fabriqué des lignes téléphoniques avec du fil de campagne qui passait par la " micheline " Périgueux-Saint-Pardoux, en bobines de 500 mètres de l'armée française, qui avaient été camouflées par les PTT dans des sacs 7. Grâce à ce fil de campagne, j'ai pu organiser tout un service téléphonique pour les maquis de la Dordogne Nord, qui nous a servi d'une façon splendide, et c'est là, en mai 1943, que j'ai pu carrément dire : " Je fais partie de la résistance PTT ".

Le 6 juin 1944 est arrivé... Une grosse partie - 95 % - du personnel des PTT était avec nous sauf cas particulier.

Étude de l'activité d'un groupe de résistants PTT

dans l'agglomération briochine, notamment à travers les sabotages

Roger Huguen

Je voudrais parler du rôle des membres des PTT dans une phase importante, cruciale, de la libération des Côtes-du-Nord.

Le département fut très résistant. Au tout début d'août 1944, et pour la première fois dans l'histoire de la libération de la France, les F.F.I. et F.T.P., s'intégrant parfaitement dans la stratégie alliée, vont y épauler les unités blindées de l'armée Patton après la percée d'Avranches. Il m'a paru intéressant de cerner l'histoire d'un groupe de résistance spécifique PTT ayant œuvré clandestinement dans la région de Saint-Brieuc, et cela dans le cadre du plan Violet. Pour ce faire, il était indispensable de partir des faits et gestes d'un homme : François Bourdonnec, inspecteur des télécommunications, lequel se situe à l'origine de ce mouvement de résistance. L'étude de sa propre histoire permet d'approcher les problèmes auxquels se heurtaient les chefs de la Résistance, et de découvrir à la fois les difficultés de mener à bien l'action au cours de cette période cruciale de la Libération, et l'ampleur de la tâche accomplie par ces résistants PTT dans un domaine stratégique qu'ils avaient l'immense avantage de connaître parfaitement. Inspecteur au ministère des PTT à Paris, F. Bourdonnec fut nommé, sur sa demande, à Saint-Brieuc, en octobre 1942.

Ses opinions étaient bien connues de certains de ses collègues parisiens, si bien qu'en mars 1943, alors que ses fonctions d'inspecteur des télécommunications l'avaient conduit à Dinan, il eut l'occasion de rendre service à un certain Pruvost, lié au réseau Confrérie-Notre-Dame du colonel Rémy. Il s'agissait, en fait, de l'inspecteur PTT Ernest Pruvost, alias Potard, l'un des animateurs d'un groupe de postiers résistants, en relation, dès fin 1942, avec non seulement Confrérie-Notre-Dame, mais aussi l'O.C.M. du colonel Touny, par l'intermédiaire de Jeannette Drouin, de Brest.

Pruvost faisait partie de ceux qu'on désignait sous le nom " d'état-major PTT ", et travaillait aux côtés d'Edmond Debeaumarchais, Horvais, Jourdan, Mercier, Gillot, etc.

Le service consistait à accueillir, en gare de Saint-Brieuc, une rédactrice des services techniques des recherches et contrôles des PTT, rue Bertrand à Paris, Mme Simone Michel-Lévy, une des six femmes auxquelles plus tard sera décernée la croix de la Libération. Il s'agissait de lui permettre de franchir sans encombres, la zone côtière interdite. Cette femme avait pour mission de placer un poste émetteur dans les Côtes-du-Nord. Il fut installé chez le receveur des postes d'Evran, petite localité située à une dizaine de kilomètres au sud de Dinan.

Simone Michel-Lévy, alias Emma ou Françoise, revint deux autres fois à Saint-Brieuc, et selon François Bourdonnec, la troisième et dernière fois, elle était manifestement inquiète et se croyait suivie. Un opérateur radio de l'organisation venait d'être arrêté à Paris, et il la connaissait. La jeune femme devait être arrêtée peu de temps après, en février 1944, et déportée à Ravensbrück, d'où, convaincue de sabotage, elle fut transférée vers Flossenburg pour y être pendue.

François Bourdonnec, profitant de cette liaison, monta un service de renseignements en utilisant les écoutes téléphoniques. Il communiquait avec la centrale de l'état-major PTT de Paris, par l'intermédiaire d'agents du liaison ou par courrier, en utilisant la poste restante avec la complicité de receveurs.

Dès mai 1944, F. Bourdonnec entra fortuitement en rapport avec Mathurin Branchoux, de Guingamp, chef du mouvement Libération, qui le mit en contact avec les autres responsables départementaux d'organisations de Résistance, notamment Jean Métairie, chef départemental des F.F.I., nommé par Alger. Malheureusement, au moment du débarquement, il fut impossible de réunir des groupes de résistants armés, chargés de protéger les saboteurs PTT dans leur travail, cela par manque d'armement.

À partir du 8 juin, les restrictions imposées par les troupes d'occupation à la circulation des civils et les nombreux contrôles effectués rendirent très difficile l'évolution nocturne des groupes de sabotage, composés d'un chef d'équipe et d'agents des lignes. Eux, ils avaient répondu au message : " Le chapeau de Napoléon est-il toujours à Perros-Guirrec ? ".

En conséquence, F. Bourdonnec décida de constituer une première équipe spéciale, genre " corps franc ", dont il prit lui-même le commande-ment, et d'entrer dans la clandestinité en prenant le maquis, à 15 kilomètres de Saint-Brieuc, entre Plaintel et Saint-Julien, dans deux fermes. Faisaient partie de ce premier groupe, un inspecteur des télécommunications, un agent d'installations extérieures, un contrôleur, un chargeur, un auxiliaire des services des imprimés.

Ils reçurent le renfort d'un groupe issu du Front national, commandé par Max Le Bail, armé de révolvers, de deux mitraillettes et de plastic, et dont les membres étaient bien décidés à œuvrer avec le groupe PTT, mais en tant que soutien logistique.

Dès le 10 juin au soir, on passait à l'action avec une rupture du câble armé Saint-Brieuc-Lorient (base sous-marine), à Plaintel, entre les lieux dits Malakoff et Sébastopol. Au petit matin, les 48 fils de la nappe longeant la voie ferrée Saint-Brieuc-Pontivy furent sectionnés, le groupe PTT opérant seul, sans protection. Le 11 juin, les groupes de sabotage et de protection furent constitués : un à Plerneuf, à l'ouest de Saint-Brieuc, l'autre à Saint-René, à l'est, un troisième au sud, entre Saint-Julien et Plaintel. Les importantes opérations de sabotage furent exécutées, au total, par une vingtaine d'hommes armés de quatre mitraillettes et huit revolvers. Elles comportèrent les quatre phases suivantes : 1) coupure du câble souterrain en bordure de route, en deux ou trois endroits différents, séparés d'une quinzaine de mètres ; 2) coupure des artères aériennes, avec sciage des poteaux sur cinq ou six cents mètres ; 3) destruction de la voie ferrée avec du plastic, en deux endroits minimum ; 4) retour à la ferme par des chemins détournés ou à travers champs.

Suivit une série de sabotages dont les principaux eurent lieu le 13 juin, entre Plaintel et Quintin ; le 15 juin, entre Plouvava et Plerneuf, sur la voie ferrée Paris-Brest ; le 19 juin, entre Plaintel et Quintin ; le 7 juillet, plu-sieurs sabotages (douze poteaux sciés, trois coupures de câbles, deux plasticages de la voie ferrée Saint-Brieuc-Pontivy) rendaient l'artère inutilisable jusqu'à la Libération ; le 24 juillet, à Plerneuf, sciage de huit poteaux, sectionnement de 133 fils en trois endroits, coupure de câbles sur la route nationale 12, et dynamitage de voies ferrées.

Toutes ces actions ont amené les Allemands à ne faire réparer de bout en bout que certains groupes de circuits. En résumé, ils ne purent disposer d'une liaison avec Brest et Guingamp-Morlaix que très rarement. La liaison Saint-Brieuc-Rennes, coupée par l'aviation alliée dès le 6 juin, resta interrompue, faute de réparation, jusqu'au 8 août, c'est-à-dire au-delà de la libération de la région briochine. La liaison avec Quintin, Loudéac, Pontivy et Lorient ne put être utilisée que de façon intermittente, malgré tous leurs efforts.

Le groupe Résistance PTT ne devait pas se limiter à ces actes de sabotage. Les opératrices et surveillantes du téléphone pratiquèrent l'écoute et communiquèrent à F. Bourdonnec des renseignements intéressants la Résistance, comme les rafles, les mouvements de troupes, les attaques de maquis, etc.

Dans la nuit du 3 au 4 août 1944, alors que les Allemands venaient de quitter l'hôtel des postes de Saint-Brieuc, le groupe PTT pénétra dans le central téléphonique et vérifia si des engins explosifs à retardement n'avaient pas été placés par la Wehrmacht en fuite. Les hommes de l'inspecteur Bourdonnec s'y barricadèrent, ce qui empêcha l'équipe de sapeurs allemands d'y effectuer les destructions qu'elle commit ailleurs à l'intérieur de la cité briochine, c'est-à-dire au lycée Anatole-Lebraz, aux écluses du port du Légué, etc.

D'autres groupes s'illustrèrent en dehors de la région de Saint-Brieuc. À Guingamp, le groupe PTT, dirigé par René Vitet, agent des installations extérieures, a pratiqué le bouclage systématique des circuits ; j'explique pour les non-initiés qu'il s'agit de la pose d'un fil très mince d'un isolateur à l'autre, en épousant la forme des ferrures, travail difficilement repérable depuis la base du poteau. De plus, ils équipèrent en téléphone un maquis formé en partie à l'initiative de parachutistes S.A.S. qui ont été les premiers à toucher le sol français. Certains rescapés du maquis de Duault, notamment, ont encadré le maquis de Coat-Mallouen, de Plésidy, strictement discipliné, bien équipé par des parachutages. Si bien que lors de l'attaque allemande qui eut lieu le 26 juillet, les Allemands subirent d'importantes pertes du fait de la très bonne organisation du maquis. C'était le plus important, un des plus gros maquis de Bretagne, après celui de Saint-Marcel.

Donc, fin juillet 1944, ledit maquis fut doté d'un tableau Routin à quatre directions, avec trois postes et une ligne au réseau. Cela permit aux maquisards d'être rapidement informés de tout mouvement effectué par l'ennemi dans le secteur.

En conclusion, nous constatons que ce groupe de Résistance PTT, animé par François Bourdonnec, à Saint-Brieuc, est un exemple remarquable de détermination et d'efficacité. Il représente sans conteste un élément important du plan Violet en Bretagne, déclenché en juin juillet 1944 pour appuyer les alliés, débarqués en Normandie, et hâter ainsi la libération du territoire.

Les agents des PTT de l'Eure dans la Résistance (1940-1944)

Bernard Fainzang

INTRODUCTION

La période de l'Occupation dans l'Eure (juin 1940-août 1944) est relativement bien connue grâce aux témoignages de contemporains de l'événement et à une série d'études historiques parmi lesquelles il convient de citer celles de Marcel Baudot. Ces ouvrages révèlent, à partir de certains exemples, l'existence d'un phénomène résistant parmi les agents des PTT du département. L'objet de notre recherche, qui s'inscrit dans le prolongement de tels travaux, consiste à étudier ce que furent le rôle et l'action des postiers dans la Résistance.

Le personnel des PTT ne constitue pas une catégorie sociale homogène, au sens où il existe des différences sensibles entre les agents quant à leurs traitements et aux responsabilités qu'ils occupent dans l'entreprise. Toutefois, le fait de travailler pour un même employeur, en l'occurrence l'État, et celui d'œuvrer au sein d'une même administration confèrent à cette composante sociale une cohésion suffisante pour que l'on puisse l'étudier dans une perspective historique.

Le terme " Résistance " pose par contre davantage de problèmes. De nombreux historiens ont montré qu'elle se caractérisait par une grande diversité, tant pour ce qui était des résistants eux-mêmes, aux origines sociales, politiques et professionnelles variées, que pour ce qui concernait leurs idées et leurs actions contre l'Occupant. Par souci de clarté, Henri Michel, et d'autres chercheurs à sa suite ont défini comme action de résistance toute action se situant dans le cadre d'un refus des clauses de la convention d'armistice signée avec les Allemands (22 juin 1940) et les Italiens (24 juin 1940). Nous adopterons cette définition qui, non seulement fixe un cadre chronologique à la Résistance, mais aussi présente l'avantage de montrer son unité fondée sur l'action sans masquer son caractère fortement hétérogène.

Le champ de la Résistance ainsi délimité, d'autres difficultés apparaissent lorsque l'on veut saisir de façon assez complète ce phénomène qui fut en grande partie clandestin. Ceci tient aux sources et en général i l'aspect parcellaire des informations qu'elles renferment.

La principale source utilisée pour notre étude émane de la Résistance. Il s'agit du fichier des F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur) de l'Eure, constitué peu après la Libération par les responsables locaux de la Résistance afin de comptabiliser au plus juste les forces engagées dans la lutte contre l'Occupant. Cet inventaire est actuellement conservé par Marcel Baudot qui fut le chef des F.F.I. de l'Eure. Il est à l'avenir destiné aux archives départementales où il complètera le fonds consacré à la Résistance. Il permettait, à l'origine, de disposer d'une liste très précise des personnes ayant des droits à faire valoir pour leurs actions contre l'Occupant. Ce document est plus qu'une simple liste de noms. On y trouve des indications sur l'état civil des membres des F.F.I. d'une part, et sur leur participation à la Résistance de l'autre. Les premières donnent le sexe, l'âge, la situation de famille, la localisation géographique dans le département et enfin la profession des personnes, ce qui nous a permis de retrouver 48 postiers parmi les 5.042 résistants recensés. Les secondes renseignent sur la date d'entrée dans la Résistance, le mouvement par lequel les résistants furent contactés pour les dates d'entrée antérieures à la constitution des F.F.I. (février 1944), les types d'actions auxquelles ils prirent part, leur grade dans la Résistance, les arrestations et déportations dont certains furent victimes et les dommages corporels subis lors des combats (mort ou blessures).

Malgré sa grande richesse, ce document ne donne qu'une typologie des actions accomplies par chaque résistant, sans qu'il soit possible de situer celles-ci avec précision dans le temps et l'espace. C'est là que résident les limites essentielles de ce fichier.

Pour pallier ces insuffisances, nous avons tenté de créer nos propres sources en adressant un questionnaire aux adhérents de l'Association des anciens combattants et victimes de guerre PTT de l'Eure et en recueillant deux témoignages oraux. L'enquête devait, tout en conservant la problématique posée par le fichier des F.F.I. (état civil, résistance), apporter également des renseignements sur la motivation de l'engagement résistant et sur les actions dans l'optique énoncée auparavant.

En dépit de l'aide et des encouragements prodigués par le président et de nombreux membres de l'Association, seules deux réponses concernaient des postiers ayant été résistants dans l'Eure. Ceux-ci figuraient d'ailleurs dans l'inventaire des F.F.I. Nous ne pouvions donc considérer leurs réponses qu'au titre d'un complément d'informations, sans qu'il soit possible d'en faire un usage statistique.

Il en est de même pour l'un des deux témoignages qui se présente sous la forme de notes prises lors d'un entretien avec Serge Denis, auxiliaire à Bernay durant la guerre. Si ce postier ne fut pas un résistant au sens strict du terme, c'est-à-dire membre d'un réseau ou d'un mouvement, certains détails qu'il donne sur son attitude marquée de sympathie à l'égard de la Résistance nous ont paru significatifs d'un état d'esprit largement répandu parmi ses collègues du département. C'est à ce titre que nous avons utilisé ce document, la véracité des faits énoncés nous ayant été confirmée par Jean Legrand, un résistant de Bernay auquel il fournit des renseignements durant la guerre.

L'autre témoignage présente un intérêt différent en raison de la personnalité de l'interrogé. Il s'agit d'Henri Leveillé, de Caen, qui fut responsable de la Résistance PTT en Normandie. Dans ce cas précis, les informations provenaient d'un résistant reconnu comme tel, qui, de plus, s'était vu confier un important rôle de direction au niveau régional durant l'Occupation. Auprès de lui, nous comptions trouver des renseignements sur l'action des résistants PTT de l'Eure, en particulier sur celle du groupe Résistance PTT d'Évreux avec lequel il entretint des contacts pendant cette période. Nous voulions recueillir des éléments de comparaison entre la Résistance PTT de l'Eure et celle des autres départements normands.

Dans ce même but, nous avons utilisé l'enquête de 1958 menée sous la direction d'Henri Michel en vue de constituer un fonds de témoignages de postiers résistants. Parmi les réponses au questionnaire, il y en avait trois relatives à la Normandie. La première fut rédigée par H. Le Veillé que nous venons de présenter, la seconde par un inspecteur PTT de Rouen (Seine-Inférieure) et la troisième par un contrôleur des services téléphonique et télégraphique de Cherbourg (Manche). Hélas ce fonds d'archives ne contenait pas de témoignages d'agents PTT de l'Eure. De toute évidence, les enquêteurs d'alors avaient rencontré des difficultés semblables, voire supérieures, aux nôtres pour réunir des réponses provenant de postiers de ce département. Ces difficultés résultent du fait que l'Eure fut un département de passage pour certains résistants PTT qui n'y résidaient déjà plus lors de l'enquête de 1958. Elles sont également la conséquence de l'absence de contacts conservés par la plupart d'entre eux avec les organisations d'anciens combattants du département.

Certains documents émanant des services de la France Libre à Londres, et tout particulièrement de la Mission militaire de liaisons administratives

(M.M.L.A.) nous ont apporté, d'autre part, des indications précieuses sur l'état d'esprit du personnel des PTT pendant l'Occupation. Ces dossiers se présentent sous la forme de notes rédigées à partir de messages expédiés par des informateurs anonymes exerçant leurs missions en France métropolitaine. La lecture de ces matériaux montre que des postiers fournirent des renseignements d'ordre technique liés à leur activité professionnelle à ces réseaux de " correspondants " de la France Libre.

Pour étudier la mentalité des agents des PTT durant la guerre, nous avons disposé d'autres sources. Les premières sont les rapports mensuels, de mars 1941 à avril 1942, puis bimestriels, de mai 1942 à juin 1944, des préfets de l'Eure qui, dans leurs chapitres " communications ", traitent parfois cette question. Les secondes sont les rapports des inspecteurs généraux des PTT. Dans leurs comptes rendus de la situation dans les différents services des PTT de l'Eure, les hauts fonctionnaires de l'administration abordaient également ce sujet. Ces matériaux sont de même nature. Il s'agit de documents administratifs destinés au pouvoir politique. Leur ton possède donc le caractère de neutralité propre à ce type d'écrits. L'intérêt de tels rapports, qui ne cherchaient pas à enjoliver la réalité afin de plaire au ministre concerné, est dû aux efforts de synthèse déployés par leurs rédacteurs pour dégager les grands axes des problèmes abordés et permettre d'en suivre l'évolution dans le temps. Leurs limites, surtout sensibles dans le cas des rapports de préfet, tiennent essentiellement à leur style impersonnel qui laisse difficilement apparaître avec clarté les hommes dont ils parlent.

L'ensemble formé par ces sources devrait permettre de répondre à la série d'interrogations que pose l'étude d'un groupe social déterminé, ici le personnel des PTT, lors de l'Occupation dans l'Eure. Parmi les différentes façons d'aborder la question, nous avons choisi d'examiner deux grands thèmes. Le premier concerne le vécu des postiers durant cette période et la manière dont ils ressentirent la guerre et ses conséquences. Le deuxième délimite son champ à un nombre de personnes plus restreint : les agents des PTT ayant appartenu aux F.F.I. Le plan que nous suivrons au cours de l'exposé s'articule autour de cette problématique.

Nous nous attacherons d'abord à apprécier dans ses grandes lignes l'état d'esprit des postiers du département pendant l'Occupation. Dans cette partie, nous essaierons de mettre en évidence les principales difficultés que ceux-ci rencontrèrent au point de vue de leurs conditions de vie et de travail. Puis, nous nous intéresserons à leurs sentiments à l'égard des Allemands et de la Résistance, avant de présenter quelques exemples de " résistance passive " aux actions de l'Occupant. Ensuite, nous traiterons de façon statistique l'échantillon de 48 postiers, membres des F.F.I. de l'Eure. Si ce nombre peut paraître faible pour pratiquer une telle méthode, cette dernière nous paraît cependant justifiée par deux raisons importantes. La première est le réel intérêt qu'il y a à aborder ainsi, de façon scientifique et avec le recul nécessaire, l'étude de la Résistance qui demeure encore un phénomène très controversé et même parfois un véritable enjeu du débat politique présent. La seconde tient aux motivations propres à notre recherche qui s'inscrit dans un ensemble de travaux menés sur le même sujet dans d'autres parties du territoire national. C'est donc dans la confrontation des conclusions apportées par ces monographies et dans la mise en évidence des caractéristiques communes ou des différences en fonction du temps et de l'espace que la méthode adoptée ici prendra toute sa valeur. L'objet de cette étude statistique sera de tenter d'établir un profil type du postier F.F.I. de l'Eure au regard des critères énoncés précédemment : sexe, âge, situation de famille, etc.

Enfin, nous chercherons à comparer, de façon rapide et non exhaustive en raison de l'insuffisance des sources, la Résistance PTT de l'Eure à celle des autres départements normands.

LE POIDS DE LA GUERRE VÉCUE ET RESSENTIE PAR LE PERSONNEL DES PTT

L'Occupation fut en général très durement ressentie par la population de la Normandie. La densité des troupes allemandes était très élevée et ne cessa d'augmenter dans cette région que l'état-major de la Wehrmacht jugeait d'une grande importance stratégique en raison de sa situation géographique. En plus des prélèvements destinés à l'Allemagne, les unités de l'armée d'occupation opérèrent pour leur propre compte de nombreuses réquisitions de denrées agricoles. En outre, une part non négligeable de la main-d'œuvre fut contrainte de travailler pour l'économie de guerre allemande, dans le cadre de l'organisation Todt qui assurait la construction du dispositif de défense des côtes ou, à partir de 1942, en Allemagne, au titre de la " Relève " puis du Service du travail obligatoire (S.T.O.). Cette mainmise de l'Occupant, suivant l'expression employée par Marcel Baudot dans L'opinion publique sous l'Occupation, occasionna un dérèglement de l'économie régionale. Pour la population, ceci se traduisit par de graves difficultés à satisfaire des besoins élémentaires, comme se nourrir et se vêtir convenablement...

Si la situation du ravitaillement ne fut jamais aussi critique dans l'Eure que dans l'agglomération parisienne toute proche, les problèmes rencontrés dans ce domaine semblent toutefois s'être posés avec suffisamment d'acuité pour être abordés dans des chapitres spéciaux des rapports de préfets, intitulés " Ravitaillement ". En les lisant, on constate que cette question préoccupa les préfets successifs durant toute la période et devint particulièrement difficile à résoudre vers la fin de l'Occupation (en 1943 et au début de 1944). Comme dans les autres régions de la France occupée, les aliments de base (pain, viande, produits laitiers, légumes) étaient rationnés. Cependant, la population fut inégalement touchée par ces mesures. Dans les campagnes, la situation alimentaire resta bonne malgré la lourdeur des impositions allemandes. Les principales victimes des difficultés du ravitaillement furent les habitants des villes, et parmi eux les salariés et leurs familles. En effet, durant la période allant de 1940 à 1944, les prix accusèrent une hausse de 500 % alors que celle des salaires ne dépassa pas 150 %. Les salaires se révélaient donc le plus souvent insuffisants pour se procurer un complément de nourriture en achetant au marché noir qui fut relativement développé dans la région.

C'est dans ce contexte général qu'il est nécessaire d'apprécier les difficultés vécues par le personnel des PTT. Comme la plupart des fonctionnaires, les postiers connurent pendant la Seconde Guerre mondiale des conditions de vie pénibles provoquées par la baisse sensible de leur pouvoir d'achat. L'insuffisance des rémunérations des agents des PTT fut abordée quatre fois par le préfet Le Gouic dans ses rapports de septembre-octobre 1942, novembre-décembre 1943, janvier-février et mars-avril 1944. Trois rapports d'inspecteurs généraux des PTT furent également consacrés à cette question et à ses conséquences négatives sur le recrutement de personnel nouveau. Le premier, comme dans le cas des rapports de préfets, fut rédigé en septembre 1942 et les deux suivants en décembre 1943 et mars 1944. Cette coïncidence des dates n'est pas fortuite. Elle s'explique par le fait que le préfet et les inspecteurs généraux puisaient leurs informations aux mêmes sources auprès des services départementaux des PTT. Elle révèle que l'année 1942 semble avoir été un tournant en ce qui concerne la situation de l'emploi dans les PTT. En effet, en 1941, les effectifs paraissaient suffisants au regard de la demande du public. L'administration entendait même les réduire en zone Nord, comme le montre une note du 21 juin 1941 où le ministre Berthelot rappelait les objectifs de compression d'effectifs devant toucher au cours de l'année 3.000 agents, en priorité féminins. La tendance s'inversa à partir de 1942 à cause des départs de certains postiers, les uns ayant librement choisi des activités mieux rémunérées, les autres ayant été forcés de servir au titre du S.T.O. Dans l'Eure, les salaires pratiqués par l'agriculture et l'industrie étaient supérieurs à ceux perçus dans les PTT. Il convient évidemment d'apporter des nuances à ce sombre tableau.

Ce furent les auxiliaires et les catégories de titulaires les moins élevées dans la hiérarchie (facteurs, ouvriers, employés subalternes) qui eurent à affronter les plus graves difficultés, au point qu'un inspecteur général n'hésita pas à qualifier, en décembre 1943, leurs salaires de " littéralement misérables ". En mars 1944, la rémunération mensuelle d'un agent débutant s'élevait à 1.600 francs dans le meilleur des cas, c'est-à-dire pour un homme adulte exerçant en ville, à Evreux ou Vernon. Les salaires des femmes étaient inférieurs d'environ 50 francs à ceux des hommes. Les plus démunis étaient les jeunes de moins de 18 ans travaillant en zone rurale, qui n'étaient payés mensuellement que 1.060 francs. À titre comparatif, l'inspecteur général notait que l'on citait couramment dans le département des exemples de manœuvres et d'ouvriers qualifiés gagnant respectivement 3.750 francs et 7.500 francs par mois.

À la vue de ces chiffres, la distinction rural/urbain que nous établissions tout à l'heure semble avoir été bien moins nette chez les agents des PTT que dans d'autres catégories de la population. Dans ce même rapport de mars 1944, l'inspecteur général ne signalait d'ailleurs pas de différences significatives entre les situations vécues à la ville et à la campagne. La faiblesse des salaires des postiers ruraux les empêchait sans nul doute de profiter de leur situation géographique favorable pour se ravitailler de façon satisfaisante. Quant aux agents citadins, il leur était pratiquement impossible financièrement de s'approvisionner auprès des circuits parallèles du marché noir pour atténuer la rigueur du rationnement des produits alimentaires.

En résumé, on peut retenir que les conditions de vie matérielles des postiers se détériorèrent tout au long de l'Occupation et que, dans certains cas, elles prirent, à partir de 1942, une tournure dramatique dont la manifestation la plus néfaste était la " sous-alimentation du personnel insuffisamment rémunéré ", selon l'expression employée par un inspecteur général des PTT en mars 1944.

Dans le même temps, l'évolution du travail des agents se caractérisa par une pénibilité accrue des tâches. Celle-ci fut causée par les manques d'effectifs qui marquèrent les années 1942, 1943 et le début de 1944 et par l'inadaptation, voire parfois la pénurie, des moyens techniques auxquels le travail humain dut se substituer. Pour illustrer ce dernier aspect, on peut citer l'exemple des moyens de transport, qu'ils aient dépendu directement des PTT comme les services automobiles ou d'une autre administration comme les chemins de fer. Ceci permet par ailleurs de constater l'intégration, dès cette époque, des diverses formes de communication sociale dans un vaste réseau où chaque secteur entretenait avec les autres des liens d'interdépendance qui furent très sensibles dans les rapports PTT-S.N.C.F. Les multiples retards des trains entraînèrent un surcroît de travail pour les agents du tri postal. L'extrait suivant d'un rapport d'inspecteur général du 29 juin 1943 souligne ce problème avec éloquence : " Chaque heure de retard du train en provenance de Paris, arrivant normalement à 0 h 50 à Evreux, nécessite pour finir le tri à l'heure de départ des courriers huit heures d'agent en supplément ". On peut supposer que ces dernières étaient effectuées par les agents présents pour lesquels le mauvais fonctionnement des chemins de fer se concrétisait par un supplément de travail à réaliser dans des délais limités.

Au niveau de la distribution du courrier, le préfet nota à plusieurs reprises l'aggravation des conditions de travail des facteurs. Ces difficultés furent mentionnées dès 1941, en mars et en novembre, et en 1943, dans les rapports de janvier-février, mai-juin et septembre-octobre. Elles furent causées par la réduction du contingent de pneus affectés aux PTT qui occasionna l'immobilisation forcée de nombre de bicyclettes de facteurs. Dans ces circonstances, certaines tournées se firent à pied, ce qui en rallongea considérablement la durée, alors qu'à la campagne les facteurs qui disposaient encore d'un vélo furent contraints pour acheminer les correspondances de parcourir quotidiennement des distances allant de 25 à 40 kilomètres.

Les autres catégories de personnel ne furent pas épargnées non plus. En juillet-août 1943, le préfet insistait sur " les conditions de travail de plus en plus dures pour les agents des services techniques ". Ceux-ci devaient faire face à la pénurie de matériel d'entretien et de réparation des lignes et à la précarité des moyens de transport. De plus, leur fonction qui les appelait à travailler sur le terrain les exposait aux nombreux risques créés par la fréquence des bombardements alliés sur la région.

L'intensité du travail augmenta aussi dans les bureaux en raison de la forte hausse du trafic postal. En novembre-décembre 1943, le préfet de l'Eure écrivait : " Certains bureaux expédient en dix jours ce qu'ils expédiaient autrefois en un an ". On peut comparer cette citation à celle d'un inspecteur général des PTT qui expliquait, en mai 1941, qu'au bureau d'Evreux R.P. la durée quotidienne de travail des agents des guichets ne dépassait pas sept heures et que la tâche n'était pas lourde. On peut conclure de la lecture de ces deux extraits qu'il y eut une évolution du travail des agents caractérisée par une augmentation quantitative et qualitative des tâches à remplir. S'il est difficile de dater précisément le début de ce processus postérieur à mai 1941, on le trouve présenté dans sa forme achevée à travers les rapports de préfets ou d'inspecteurs généraux rédigés au second semestre de l'année 1943. Les changements intervenus dans ce domaine résultaient de la conjonction de plusieurs causes déjà énoncées : sous-effectifs dans les services, hausse de la demande du public, manque de matériel de toute sorte et destructions fréquentes des lignes pour le service téléphonique...

L'état sanitaire du personnel des PTT durant l'Occupation fut l'une des conséquences les mieux observables de l'accroissement des difficultés rencontrées par les postiers tant dans leur vie privée que professionnelle. Il apparaît clairement dans un tableau des congés de maladie accordés aux agents, tiré d'un rapport d'inspecteur général en date du 5 juin 1943.

Ces chiffres sont difficiles à interpréter parce qu'ils ne sont pas comparés à la situation " normale " d'avant-guerre. Toutefois, nous avons trouvé dans un autre rapport d'inspecteur général de mars 1944 des éléments de comparaison. Il s'agit des taux de congés de maladie du personnel des télécommunications de l'Eure qui s'étaient élevés à 2,5 % dans les années antérieures à la guerre alors qu'ils atteignaient en 1942 et 1943 respectivement 8,7 % et 6,7 %, soit pour le chiffre de 1943, qui était le plus bas, une multiplication par 2,7 des absences par rapport à 1938 ou 1939. On peut, sans risque d'erreur, émettre l'hypothèse que cette hausse très substantielle se fit sentir également dans les autres secteurs des PTT.

Pour en revenir au tableau, il nous indique que, dès 1941, l'état sanitaire des agents s'était détérioré ; les données relatives à cette année étant du même ordre de grandeur que celles de 1942. Si nous ne possédons pas de chiffre pour l'ensemble de l'année 1943, on constate pour les mois de février, mars et avril une poursuite de la tendance enregistrée lors des deux années précédentes. Il nous est par contre impossible d'aborder l'étude du tableau dans le détail en notant les infléchissements par catégories de personnel d'année en année, en raison principalement de l'ignorance des maladies dont souffrirent les agents. On peut simplement ajouter à ce commentaire que le personnel ouvrier qui effectuait des travaux pénibles fut le plus exposé aux risques de tomber malade, leurs moyennes annuelles de cessation d'activité étant nettement supérieures à celles des agents du service général et du service de la distribution. Signalons enfin que les chiffres donnés ici sont crédibles et ne paraissent pas avoir été gonflés par des congés pour cause de " maladies fictives ". En effet, pour le bon fonctionnement des services, l'inspecteur général préconisait de mettre un terme à d'éventuels abus. Il lui fallait cependant constater que tous les agents contrôlés par un médecin assermenté avaient été reconnus malades et que certains avaient même vu leur congé augmenté.

La dégradation des conditions de vie et la pénibilité accrue des tâches affectèrent donc les postiers jusque dans l'un des domaines les plus précieux de leur existence, la santé. En règle générale, les agents des PTT étaient pleinement conscients des difficultés qu'il leur fallait endurer et, pour employer un euphémisme, ils ne jugeaient pas cette situation satisfaisante. Le mécontentement s'exprima même en diverses occasions. À cet égard, on peut citer à nouveau le départ de nombre d'entre eux, en majorité des auxiliaires, vers des activités mieux rémunérées dans l'agriculture ou l'industrie. Certains allèrent jusqu'à justifier leur démarche dans des lettres adressées au directeur départemental des PTT, reprises en annexe d'un rapport d'inspecteur général de mars 1944. On doit remarquer le courage de ces personnes qui n'hésitèrent pas à formuler par écrit leur insatisfaction dans une société où la liberté d'expression n'était plus un droit reconnu aux individus. Ces agents qui n'avaient pas suivi d'études très poussées firent preuve d'une réelle finesse en exprimant sans équivoque leur mécontentement sans jamais sortir des normes autorisées. Par prudence, ils ne cherchèrent jamais à mettre à jour les causes fondamentales des situations décrites ni à établir les responsabilités de l'Occupant et de l'État français en la matière.

Les quatre lettres jointes au rapport eurent pour auteurs des auxiliaires. La première fut rédigée en octobre 1941 - ce qui atténue notre affirmation sur le fait que la modicité des traitements fut ressentie à partir de 1942 -, la seconde en février 1942 et les deux dernières en novembre et décembre 1943. Les premières furent écrites par des agents travaillant à Évreux. Celle de novembre 1943 fut l'œuvre d'une auxiliaire de la campagne demeurant à la Ferrière-sur-Risle et celle de décembre 1943 venait de Cormeilles, en zone rurale également. Les contenus des lettres ne permettent pas de les différencier en fonction des origines citadines ou campagnardes de leurs auteurs. Les thèmes qui y sont développés sont assez proches de ce que nous décrivions précédemment. On y retrouve l'idée de l'insuffisance des salaires au regard du coût de la vie. Pour illustrer ce propos, citons les deux lettres des auxiliaires d'Évreux qui écrivaient, l'une en octobre 1941 : " Je suis dans l'obligation de cesser mes fonctions à la date du 15 courant. Le salaire ne me permet plus de faire face aux exigences toujours croissantes du coût de la vie... " ; l'autre en février 1942 : " Devant le coût de plus en plus élevé de la vie, je me suis vu obligé de rechercher un emploi plus rémunéré que celui d'auxiliaire des postes. L'ayant trouvé, j'ai l'honneur de vous présenter ma démission à la date du 1er mars 1942 ".

Tout en reprenant ces idées, la troisième auxiliaire indiquait dans sa lettre de novembre 1943 son ressentiment à l'égard de promesses réitérées mais non tenues d'augmentations de salaires. Elle ajoutait qu'elle ne trouvait pas juste qu'une auxiliaire effectuant le même travail et soumise aux mêmes responsabilités qu'une titulaire ne reçoive pas les mêmes émoluments que cette dernière.

La quatrième lettre présente un caractère particulier, car elle fut signée collectivement par six facteurs auxiliaires. Ceux-ci n'annonçaient pas leur démission mais énuméraient leurs griefs à l'encontre de l'administration. Ils se plaignaient de leur situation devenue de plus en plus critique en raison de l'augmentation des prix qui ne leur permettait plus de se nourrir suffisamment pour effectuer leur travail dans de bonnes conditions. À ce sujet, ils estimaient le coût de la moindre réparation des vélos à une journée de salaire, ce qui les privait de l'usage de cet instrument de travail très utile pour la distribution du courrier à la campagne. Afin d'illustrer leur embarras à s'acquitter de leurs obligations familiales, ils écrivaient : " Pour habiller nos enfants, il faudrait une petite fortune ". Ceci laissait entrevoir la situation de profond dénuement dans laquelle ils se trouvaient. Enfin leur lettre se terminait en ces termes poignants: " Fatigués, malades, nous ferons notre travail jusqu'au bout, mais nous serons bientôt obligés de nous arrêter ".

Nous ne savons malheureusement pas si d'autres lettres du même type furent adressées à la direction départementale des PTT. Toutefois, les quatre textes qui viennent d'être cités paraissent représentatifs de l'état d'esprit des postiers de l'Eure, voire de l'ensemble de la région. Les difficultés matérielles vécues quotidiennement influèrent grandement sur l'opinion des agents des PTT à l'égard des Allemands et du gouvernement de Vichy. Les tenants de la politique de collaboration avec les vainqueurs de juin 1940 ne trouvèrent guère de propagateurs de leur cause dans ce milieu professionnel particulier. Les postiers se montrèrent même rétifs à une telle politique et leur hostilité envers l'Occupant ne cessa de croître durant la période.

Deux extraits de documents émanant de la M.M.L.A. à Londres sont révélateurs de cette attitude adoptée par la grande majorité du personnel des PTT. Le premier, datant de décembre 1942, dressait un tableau de la situation générale en Normandie. On y apprenait que, parmi le personnel subalterne des administrations départementales, les collaborateurs sincères n'étaient pas nombreux. Les employés des chemins de fer et des PTT y étaient en outre présentés comme étant nettement hostiles aux Allemands, sans toutefois le laisser entrevoir à l'extérieur de l'administration. Cette appréciation fut reprise en mai 1943 dans un rapport sur l'état d'esprit de la population du département de l'Eure dans lequel on pouvait lire : " Le plus grand nombre des fonctionnaires, en particulier ceux de la S.N.C.F. et des PTT, est rebelle à l'ordre nouveau ". La mise en exergue du comportement des cheminots et des postiers résultait d'abord de l'importance stratégique que les responsables de la France Libre accordaient aux transports ferroviaires et aux télécommunications dans les territoires occupés. En prévision d'un débarquement en Normandie, il était d'un grand intérêt pour les forces alliées de pouvoir compter sur l'aide du personnel de ces administrations. Il faut remarquer ensuite le rapprochement fait entre cheminots et postiers dans un document datant de l'époque elle-même. Certains historiens ont relevé de nombreux caractères communs dans les luttes menées par ces deux corporations contre l'Occupant. Leurs conceptions paraissent pleinement justifiées à la vue de ces archives de la France Libre. Dans les PTT comme à la S.N.C.F., le patriotisme trouva un terrain favorable à son développement. Le terme " patriotisme ", porteur à travers l'histoire de multiples valeurs, doit être entendu ici comme la hâte de voir l'Allemagne nazie vaincue et, en corollaire, la France libérée et son indépendance nationale rétablie.

Tout en restant dans la légalité, certains postiers tentèrent, au cours de l'exercice de leur profession, d'accélérer la réalisation de ces objectifs en entravant le plus possible l'action des Allemands. Il s'agit là d'actes de résistance. Bien que celle-ci soit, dans de pareils cas, communément qualifiée de passive, on ne doit pas oublier que ses auteurs s'exposaient aux coups de la répression des services de la Sûreté des S.S. (la Sicherheitsdienst) ou de la tristement célèbre Gestapo. Le poids d'une telle forme de résistance demeure hélas difficilement mesurable, en raison du secret lié à ce type d'actions et de leur non revendication à posteriori par un mouvement ou un réseau de résistance.

On se contentera donc de donner quelques exemples révélés par des témoignages recueillis après la guerre, qui montrent l'existence de ce phénomène dans les PTT de l'Eure.

Le premier provient d'un texte du directeur départemental des PTT paru dans un ouvrage intitulé À travers les départements meurtris : l'Eure, édité sous la direction d'Henry Cossira. Contrairement au service postal qui resta en grande partie réservé à la population française, les télécommunications furent énormément sollicitées par les Allemands pour les besoins de la guerre. Les postiers s'évertuèrent donc à assurer l'acheminement des correspondances et des colis qui contenaient le plus souvent du ravitaillement à destination des villes et spécialement de la capitale. L'extrait suivant montre la nature de la mission remplie par le service postal au profit de la population civile : " C'était du travail pour nous Français, et il devait être effectué à tout prix ".

Inversement, dans les services électriques, chacun y mit du sien pour perturber les travaux qui servaient surtout à l'armée d'occupation. Malgré les contrôles allemands, les agents firent montre de mauvaise volonté pour réparer les circuits détruits. Les agents firent aussi disparaître du matériel qui fut utilisé après la Libération. Le directeur résumait ainsi le comportement du personnel des télécommunications : " Beaucoup (d'agents), au mieux avec les Allemands en apparence, ne manquaient pas de tout faire pour que cela marchât le plus mal possible ".

Les mêmes impressions se dégagent d'un compte rendu sur la bataille des transmissions en Normandie, rédigé en avril 1945 par l'ingénieur en chef régional des télécommunications en poste à Rouen depuis 1941. Celles-ci constituèrent un véritable enjeu lors des combats pour la libération de la région. En effet, dans la guerre de position défensive que durent livrer les troupes allemandes, le téléphone devint pour elles un instrument de transmission absolument indispensable.

Le but poursuivi par les services des télécommunications des cinq départements normands fut triple. Ils cherchèrent d'abord à assurer les liaisons des combattants français et alliés en utilisant le réseau téléphonique français resté distinct de celui utilisé par la Wehrmacht. Ensuite ils essayèrent de réunir le plus de renseignements possibles sur les transmissions téléphoniques de l'Occupant pour être aptes en dernier lieu à désorganiser celles-ci en cas de combat. Ces objectifs furent sans nul doute plus durs à atteindre dans la réalité qu'à consigner dans un rapport écrit après coup, dont le ton apparaît pour le moins euphorique. Il n'est pas niable toutefois que les agents des lignes, techniciens ou ouvriers, investirent beaucoup d'eux-mêmes pour entraver le fonctionnement du système de transmissions de l'armée allemande. Ils faisaient traîner en longueur les réparations de lignes dont ils étaient chargés. Pour ce faire, ils invoquaient le manque de matériel ou appliquaient à la lettre les consignes de sécurité édictées par l'administration, à observer en cas d'alerte aérienne, ce qui ralentissait le rythme du travail. Ils fournirent également à la Résistance de précieux renseignements sur l'emplacement des lignes souterraines qui furent coupées à maintes reprises du 6 juin 1944 à la Libération, qui eut lieu dans l'Eure à la fin du mois d'août 1944.

Cette contribution du personnel des télécommunications montre les difficultés qu'il y a à fixer des limites entre résistances active et passive. Qu'on la juge active ou passive, cette forme de résistance se concrétisa en de multiples occasions par l'impossibilité pour les stratèges de la Wehrmacht de communiquer rapidement avec les troupes et d'exercer pleinement leur rôle de commandement. Elle donna aux armées alliées un avantage certain sur leurs adversaires dans le domaine des transmissions, jugé comme essentiel au point de vue militaire.

Le dernier témoignage provient d'un auxiliaire, né en 1920, qui passa toute la guerre à Bernay, l'une des sous-préfectures de l'Eure située à l'ouest du département. Cet agent fut appelé à exercer différentes fonctions durant la période. Il servit tour à tour comme facteur et comme agent du téléphone. Requis au titre du S.T.O., il resta affecté à son poste. Il n'a pas appartenu à un réseau ou à un mouvement, mais se définit lui-même comme ayant été " un résistant instinctif ", à l'image d'autres jeunes collègues avec lesquels il fut en relation à Bernay pendant la guerre.

Traumatisé par la défaite de 1940 comme la grande masse des Français, il réagit peu à peu. Il éprouva alors un fort sentiment national qui engendra chez lui une vive hostilité envers les Allemands et les collaborateurs. Celle-ci se concrétisa en actes à partir de 1943, année qui a correspondu par ailleurs à un essor de la Résistance dans l'Eure. Ses motivations étaient dictées par une volonté de tout faire pour nuire à l'Occupant dont la présence devenait pour lui chaque jour de plus en plus intolérable. Il accomplit surtout des actions pour lesquelles le prédisposait son emploi aux PTT.

Il eut en plusieurs occasions la possibilité d'écouter, au central de Bernay, des conversations entre la Kommandantur et la gendarmerie de cette ville. Ainsi, en septembre 1943, il put prévenir son ancien collègue et ami, Jean Legrand, de l'O.C.M., que des jeunes requis pour le S.T.O., que ce dernier avait pour mission de mettre à l'abri dans des fermes situées aux environs de Bernay en vue de constituer un maquis, avaient été repérés par des gendarmes. Malgré les précautions prises, un groupe fut arrêté, mais les jeunes parvinrent à s'enfuir lors de leur transfert à Évreux. Durant toute l'affaire, Jean Legrand fut informé par ce postier de l'effervescence qu'elle causa dans la gendarmerie de Bernay.

Au début de l'année 1944, l'écoute d'une conversation téléphonique à destination de la Kommandantur lui apprit ainsi qu'à d'autres collègues la dénonciation d'une réunion qui devait rassembler des résistants dans un village proche de Bernay. Ne connaissant pas ces derniers, il était impossible de les contacter et ce fut par le plus grand des hasards que les résistants purent être prévenus. Les postiers essayèrent de s'adresser à toutes les personnes dont ils connaissaient l'esprit patriotique et il se trouva que l'une d'entre elles devait participer à cette réunion qui, du coup, fut annulée. Cet épisode nous a paru révélateur du peu de valeur d'un renseignement intercepté en lui-même, s'il ne pouvait être communiqué à ceux pour qui il revêtait une réelle importance.

On peut supposer qu'en raison du caractère hermétique des organisations de résistance, des informations ainsi glanées ne purent être utilisées efficacement, faute d'être parvenues à temps à ceux à qui elles étaient destinées.

Cet auxiliaire accomplit d'autres actions contre la répression. Plusieurs fois, des feldgendarmes s'adressèrent à lui, qui avait été facteur, pour retrouver les coordonnées de personnes recherchées. Dans ce cas-là, il affirmait ne pas connaître l'individu poursuivi, qu'il faisait prévenir pendant que les gendarmes allemands étaient innocemment dirigés vers les services compétents de la mairie de Bernay.

Cette confrontation des témoignages de deux hauts fonctionnaires de l'administration au niveau régional avec celui d'un postier de la base, si l'on peut dire, permet de dégager une vision générale du comportement des agents des PTT durant l'Occupation et d'entrevoir ce que furent les réactions de ceux-ci sur le terrain. Ces dernières résultaient le plus souvent d'initiatives individuelles, mais il arriva que des postiers, travaillant dans un milieu soudé et sûr, s'opposèrent aux desseins des Allemands de façon collective, tout en restant extrêmement prudents pour ne pas s'exposer à la répression.

En résumé, on peut retenir que les sympathies des postiers allèrent en général aux alliés et à la Résistance, avec laquelle certains entretinrent même des rapports de complicité comme on vient de le voir. Toutefois, ces prédispositions n'entraînèrent pas de manière automatique un engagement massif des agents des PTT dans la Résistance. Seule une minorité d'entre eux rejoignit les rangs de celle-ci. Ceci s'explique d'abord par les risques encourus par les résistants, que ce fut la mort ou la déportation en Allemagne, et puis surtout par le fait que ce phénomène resta minoritaire durant toute l'Occupation et ne rallia l'immense majorité de la population que lors des ultimes combats de la Libération et même quelquefois après celle-ci. Les effectifs des F.F.I. de l'Eure auxquels nous allons nous intéresser à présent confirment d'ailleurs pleinement, au plan départemental, cette constatation unanimement reconnue par les historiens à l'échelle de la France entière.

LES AGENTS DES PTT DE L'EURE DANS LA RÉSISTANCE

Les F.F.I. de l'Eure furent constituées au début du mois de février 1944, quelques jours à peine après leur création à l'échelon national. Ceci marquait l'aboutissement des efforts entrepris dès 1943 par plusieurs résistants du département en vue d'unifier les forces des différents mouvements représentés dans l'Eure. Une certaine osmose s'était du reste déjà réalisée à la base. La coordination de l'action au sommet n'en devenait que plus nécessaire en ce début de l'année 1944, lorsque la perspective d'un débarquement allié sur les côtes de France se précisait chaque joui davantage. Un état-major départemental fut alors formé. Il était composé de membres des grandes organisations de Résistance de la zone Nord, (Front national, Organisation civile et militaire, Libération Nord, Vengeance...). Marcel Baudot, dont le pseudonyme était Breteuil, fut placé à la tête de cet état-major. Il avait déjà été nommé chef de l'Armée secrète (A.S.) de l'Eure à la fin de l'année 1943. Sa double qualité de responsable des F.F.I. et de directeur des archives départementales ne fut sans doute pas étrangère à la constitution, après la guerre, d'un fonds important de documents sur la Résistance dans l'Eure. L'un d'eux est un fichier de membres des F.F.I. du département. L'immense majorité des résistant fut ainsi recensée. Parmi les 5.042 personnes figurant dans cet inventaire, il y avait 48 agents des PTT.

L'administration postale ne dispose malheureusement pas d'un équivalent donnant l'effectif total du personnel des PTT du département pendant la guerre et la répartition des agents à l'intérieur de celui-ci, par sexe et par tranches d'âge. Il est néanmoins possible de donner une estimation du nombre de postiers ayant travaillé dans l'Eure à cette époque à part de deux autres chiffres. Le premier provient du nombre de mandats dont disposait le syndicat C.G.T. des PTT du département au congrès confédéral de novembre 1938. Il y avait alors 850 postiers syndiqués. Le second est le taux national de syndicalisation obtenu par la fédération C.G.T. PTT en 1937 qui s'élevait à 53,4 %. En supposant que la syndicalisation dans l'Eure ait correspondu à peu près à la moyenne nationale, les syndiqués devaient représenter la moitié de l'effectif total des postiers que l'on estimera donc aux alentours de 1.700 agents. C'est ce même chiffre que nous prendrons comme référence pendant l'Occupation, en admettant qu'il n'y eut pas de changement sensible dans ce domaine entre les deux périodes.

Malgré l'incertitude liée à une telle évaluation, il apparaît clairement que l'engagement dans la Résistance demeura un phénomène largement minoritaire chez les postiers comme dans les autres catégories socioprofessionnelles. Les postiers ayant appartenu aux F.F.I. ne rassemblaient que 2,8 % de l'ensemble des agents PTT de l'Eure. Le pourcentage des membres des F.F.I. par rapport à la population du département s'élevait dans le même temps à 1,7 %, ce taux devant être quelque peu corrigé en hausse en raison de l'impossibilité qu'il y eut pour la Résistance de recruter parmi les habitants les plus jeunes. Ces chiffres ne sont pas très significatifs, au sens où ils ne prennent en compte ni les actes multiples de résistance individuelle dont les auteurs demeurèrent anonymes par discrétion ou par pudeur, ni le vaste courant d'opinion favorable à la Résistance qui se développa dans le pays à partir de 1943, à la suite de l'invasion de la zone Sud par les Allemands le 11 novembre 1942 et de l'instauration du S.T.O. en février 1943. La représentation proportionnelle des postiers au sein des F.F.I. de l'Eure fut toutefois légèrement supérieure à la moyenne, ce qui confirme les bonnes dispositions que ce milieu professionnel entretenait à l'égard de la Résistance.

L'étude de la répartition par sexes à l'intérieur du groupe des postiers F.F.I. mène à des conclusions très proches de celles d'autres recherches visant à " délimiter des tendances sociologiques dans la population résistante ", pour reprendre une formulation utilisée par Henri Rousso dans un article paru dans le n° 41 du magazine L'Histoire de janvier 1982. Sur un total de 48 agents résistants, il y avait 41 hommes. L'élément masculin, réunissant 85 % de l'échantillon, était donc nettement dominant à l'intérieur de celui-ci. Si l'on ne connaît pas avec exactitude le taux de féminisation dans les PTT durant la période, on peut penser néanmoins qu'il était fortement supérieur à celui des postières dans l'ensemble des agents des PTT ayant appartenu aux F.F.I. Cette sous représentation de la composante féminine dans la Résistance PTT de l'Eure devait être attribuée à des causes diverses.

La plus importante tenait à la condition des femmes dans la société d'alors. Malgré la participation de certaines d'entre elles à des luttes politiques ou sociales sous la troisième République, elles avaient toujours été privées des droits de vote et d'éligibilité. Leur niveau de politisation était moins élevé que celui des hommes et, durant le second conflit mondial, nombreuses étaient celles qui n'étaient pas préparées à s'engager dans le camp des opposants à l'Occupant et à l'État français.

La seconde cause découlait de la nature propre à la Résistance. En zone Nord, elle eut de tout temps un caractère militaire très prononcé. Ceci était encore plus sensible dans le cas des F.F.I. qui, par définition, étaient des unités destinées à combattre. Il s'agissait donc là aussi d'un domaine exclusivement réservé aux hommes.

Les choix qui poussaient les personnes à s'engager dans la Résistance furent plus difficiles à opérer pour les femmes que pour les hommes. Si les problèmes de conscience posés par la participation à des actions illégales et les risques qui en résultaient étaient unanimement partagés, les femmes, pour résister, devaient en outre quitter le statut qui leur était traditionnellement assigné par la société.

Enfin, les actions accomplies par les femmes résistantes (aide multiforme aux combattants, transports de valises compromettantes) apparurent aux contemporains moins spectaculaires que les actions violentes dévolues en règle générale aux hommes. Ceci engendra assurément une certaine sous-estimation de la présence féminine dans le phénomène de résistance à l'Occupant.

Dans de telles conditions, la contribution des femmes à la Résistance, et plus spécialement, dans le cadre de cette étude, l'engagement de sept postières dans les F.F.I. de l'Eure, ne peuvent être considérés comme quantité négligeable. En retour, cet apport des femmes influerait sur l'évolution des mentalités. Dès la Libération, elles obtiendraient en particulier l'égalité des droits politiques. Plus généralement, pour montrer l'impact de la participation des femmes à la Résistance, sur leur place dans la société, on peut citer l'historien Claude Lévy qui écrivait en 1981 : " Leur irruption dans un conflit, pour lequel beaucoup n'étaient pas politiquement préparées, devait avoir une influence profonde sur les décennies à venir ".

Le second critère d'analyse du groupe des postiers membres des F.F.I. réside dans l'observation de leur répartition en classes d'âge donnée par le tableau ci-après. Une difficulté apparut lors de la réalisation de ce dernier. L'Occupation ayant duré de juin 1940 à août 1944, les âges avaient augmenté de quatre ans entre le début et la fin de la période examinée. Aucun tableau ne pouvait rendre compte de cette évolution dans le temps puisque certaines personnes avaient appartenu à deux classes d'âge successives entre l'arrivée des Allemands et la Libération. Nous avons finalement considéré l'âge qu'avait chaque agent lorsqu'il entra dans la Résistance, même si la date correspondant à cet événement ne fut pas la même pour chacun d'entre eux. Ce choix nous semblait justifié par l'importance que la décision de s'engager dans la Résistance revêtit pour ces postiers comme pour tous ceux qui suivirent une voie analogue durant l'Occupation.

Seules 46 dates de naissance étaient données par le fichier des F.F.I. de l'Eure, ce qui explique que le nombre total des résistants PTT inventoriés dans le tableau ne soit pas 48. L'impossibilité de comparer ces données à la structure par âges du personnel des PTT du département diminue la portée des conclusions que le commentaire de ce tableau peut fournir.

Toutes les tranches d'âge correspondant à des personnes en activité professionnelle étaient représentées. L'absence des enfants est aisément compréhensible. Ils ne pouvaient être ni agents des PTT ni résistants. Quant aux anciens, ils furent en général moins nombreux à participer activement à la Résistance que les autres générations. Les vieilles gens qui s'opposèrent à l'Occupant, le firent le plus souvent en tant qu'auxiliaires des combattants. Ils hébergèrent des résistants, leur procurèrent des vivres, et cette aide, jugée naturelle par ses auteurs comme par ses bénéficiaires, ne fut pas toujours rétrospectivement appréciée à sa juste valeur et demeure encore méconnue dans de nombreux cas. De plus, ces personnes ne travaillaient plus pour la plupart. Elles étaient donc classées dans le fichier comme " retraités ", sans que l'on sache la profession qu'elles avaient exercée auparavant.

Dans l'Eure, le pourcentage des jeunes de moins de 21 ans parmi les postiers F.F.I. s'élevait à 15,2 %. Ce taux semble avoir été relativement fort, compte tenu qu'il s'agissait là de personnes n'ayant pas encore atteint leur majorité civile. En rejoignant la Résistance, ce fut dans des conditions extrêmement difficiles que ces jeunes agents des PTT se lancèrent dans leurs premières luttes politiques, comprises au sens premier du terme, sans que cela se soit traduit obligatoirement par une adhésion à un parti politique quelconque.

Si l'on ajoute à ce groupe la classe des 21-30 ans, on obtient 39,1 % de postiers F.F.I. qui avaient moins de 30 ans. La jeunesse était donc bien représentée dans cet ensemble. Ceci confirme d'ailleurs l'attrait certain que la Résistance exerça de façon générale sur les jeunes. Pour la plupart, ces derniers n'avaient pas d'antécédents politiques et leurs esprits n'étaient pas imprégnés des nombreuses querelles partisanes ayant marqué la troisième République finissante. Plus portés vers le présent et l'avenir que vers le passé, ils formaient à cet égard un puissant facteur d'unité pour la Résistance tout entière.

Le groupe des 31-40 ans occupe également une place importante dans le tableau. Ceux-ci, avec 39,1 % de l'effectif total, étaient les plus nombreux. Contrairement à la jeune génération, ils avaient vécu en tant qu'adultes les grands événements des années 30 parmi lesquels on peut citer, dans le domaine international, le triomphe du nazisme en Allemagne à partir de 1933 et les multiples crises qui s'ensuivirent, dont celle de Munich en septembre 1938 et, au niveau national, la crise politique de 1934 et la victoire du Front populaire en 1936. En outre, nombre d'entre eux avaient été mobilisés après la déclaration de guerre, intervenue le 3 septembre 1939, et avaient combattu en 1940. De toute évidence, de tels événements n'avaient pas pu les laisser indifférents. Dans ce domaine, l'absence de témoignages oraux fait cruellement défaut. On ne sait pas quels héritages politiques la période antérieure à la Seconde Guerre mondiale avait légué à ces postiers. Il n'y avait d'ailleurs pas parmi eux de militants politiques connus dont la notoriété au plan départemental ou local aurait permis de suivre les itinéraires qui les amenèrent à résister à l'Occupant. Les motivations qui conduisirent les postiers à s'engager dans la Résistance étaient d'une nature plus complexe chez les 31-40 ans que dans la jeunesse. À ce titre, cette génération paraît avoir été une bonne illustration de la diversité des résistants quant à leurs origines politiques.

Il semble par contre que les agents de plus de 40 ans, avec 21,7 % de l'échantillon, aient été ici sous-représentés par rapport à leur poids numérique supposé dans les PTT et, au-delà, dans la société française, caractérisée alors au plan démographique par un vieillissement de la population. Les membres de ces deux classes d'âge avaient vécu la " Grande Guerre ". Certains parmi les quinquagénaires avaient même dû combattre durant celle-ci. On peut penser qu'en raison de son passé, cette génération fut plus réceptive que les autres à la mythologie attachée à la personne du maréchal Pétain, longtemps considéré, pendant l'Occupation, comme le " sauveur de la France " à l'instar des paroles d'une chanson en vogue à l'époque. Ceci explique peut-être en partie la faiblesse relative de ces classes d'âge dans l'ensemble des agents des PTT membres des F.F.I. de l'Eure. Cependant, cette faiblesse ne doit pas être exagérée en raison du nombre limité de personnes recensées dans le tableau.

Il convient du reste de distinguer, dans ce commentaire, les informations quantitatives contenues dans le tableau des réflexions qu'elles inspirent. Ces dernières ne sont à considérer qu'en tant qu'hypothèses à cause du nombre insuffisant de personnes composant l'échantillon statistique. Pour les valider, il serait sans doute nécessaire d'étudier la répartition des générations au sein de l'ensemble du fichier des F.F.I. de l'Eure. Dans ce cas, l'échelle serait, sans nul doute, mieux appropriée pour mettre en relation la structure par âges de la population résistante de l'Eure avec la variété des opinions dont les différentes générations étaient porteuses durant l'Occupation.

L'analyse des situations de famille des postiers F.F.I. présente moins de difficultés. En effet, la décision de rejoindre la Résistance était indépendante de la situation familiale de celui qui la prenait. Le commentaire se limitera donc à la description des grandes tendances observables à l'intérieur du groupe des postiers résistants de l'Eure. Afin de visualiser rapidement celle-ci, nous utiliserons à nouveau la technique du tableau à double entrée.

Les situations familiales de quatre agents résistants n'étaient pas indiquées dans le fichier ; le tableau ne porte donc que sur 44 personnes. Les deux premières lignes fournissent les renseignements par sexe alors que la troisième rassemble les données pour les hommes et les femmes confondus.

La différence entre les éléments masculin et féminin semble avoir été assez remarquable. Les mères de familles étaient proportionnellement

moins nombreuses parmi les postières F.F.I. que les pères de famille dans le groupe des hommes. Ce contraste résultait sans doute principalement

de la fonction impartie à l'époque à la mère au sein de la cellule familiale, en particulier dans les milieux populaires dont étaient issus ces postiers comme nous aurons l'occasion de le voir plus précisément par la suite. C'était à la mère que revenait dans une large mesure la tâche d'élever les enfants. Ceci créait des obstacles d'ordre psychologique et matériel à l'engagement de ces femmes dans les forces combattantes de la Résistance que furent les F.F.I. Les premiers tenaient essentiellement aux risques de représailles qui pesaient tant sur le résistant lui-même que sur sa famille. Les seconds étaient liés au manque de disponibilité de ces femmes qui, en plus de leur emploi aux PTT, devaient assumer leurs responsabilités maternelles.

L'ensemble formé lorsque l'on réunit les deux sexes reflète, quant à lui, l'image donnée par le sous-groupe des hommes, en raison de la supériorité numérique de ces derniers parmi les agents des PTT ayant appartenu aux F.F.I. de l'Eure. Il y avait 11 célibataires (8 hommes + 3 femmes) qui représentaient 25 % de l'échantillon. En leur adjoignant la femme classée comme " divorcée ", on constate qu'ils étaient 12, soit 27,5 %, à n'avoir eu ni engagement marital ni enfant à charge. Il est pratiquement impossible d'établir un rapprochement entre ce taux et celui des moins de 30 ans parce qu'il n'y avait pas corrélation parfaite entre le groupe des jeunes et celui des célibataires dont certains avaient plus de 30 ans. Toute comparaison de ce genre nécessiterait d'ailleurs une étude approfondie de comportements démographiques dont les interprétations demeureraient très incertaines. On peut toutefois penser que la décision d'entrer dans la Résistance, quoique difficile, s'avéra plus simple à prendre pour ces postiers qui n'avaient pas de responsabilités familiales que pour les autres qui ne bénéficiaient pas, dans ce cas précis, d'autant de liberté. Il en coûta sans doute moins aux célibataires de se lancer dans des luttes jalonnées de dangers, au sens où leur choix n'impliquait qu'eux-mêmes.

Dans ces circonstances, le pourcentage de personnes mariées et celui des agents qui avaient des enfants paraissent avoir été relativement élevés chez les postiers F.F.I. Ce constat va à l'encontre d'idées reçues représentant souvent les résistants comme des marginaux qui vivaient " en dehors de la société organisée ", comme l'exprimait Emmanuel d'Astier de la Vigerie dans le Chagrin et la Pitié. En fait, les postiers résistants de l'Eure n'étaient pas des inadaptés sociaux prêts à vivre toutes les aventures. Leur emploi aux PTT, qu'ils conservèrent pour la plupart durant l'Occupation, constituait déjà un puissant facteur d'insertion sociale. Au regard des normes établies par la société elle-même, cette intégration ne pouvait que se trouver renforcée dans le cas des postiers F.F.I. qui avaient des enfants et, à un degré moindre, dans celui des agents mariés qui n'en avaient pas. La grande majorité des postiers résistants étaient donc bien intégrés socialement au point de vue d'importants critères comme les situations familiales et professionnelles. À cet égard, les postiers F.F.I. de l'Eure furent loin de correspondre à l'image de révoltés par nature et de dangereux extrémistes dont la propagande nazie et celle du régime de Vichy usaient à

l'endroit des résistants.

En réalité, il s'agissait de gens que rien ne prédisposait à " pratiquer la désobéissance civile ", pour reprendre une formulation utilisée par l'historien américain Robert O. Paxton. En prolongeant cette idée, on peut penser que leur engagement dans la Résistance ne résultait pas d'un quelconque coup de tête, mais plutôt d'un choix raisonné ayant mis en balance la volonté de s'opposer efficacement aux Allemands et les risques que cela impliquait.

Par ailleurs, il semble que les situations professionnelles et familiales de ces postiers aient conditionné, dans une certaine mesure, la forme prise par leurs activités résistantes. En grande majorité, ils étaient ce qu'on appelait des " légaux " menant une véritable double vie, partagée entre une existence se conformant parfaitement aux lois alors en vigueur et une participation clandestine à des actions de résistance dirigées contre l'Occupant. À ce propos, l'exemple de Marcelle Fournier, dame-commis à Vernon, paraît particulièrement significatif. Cette postière, qui tint un rôle important pour organiser la Résistance dans cette ville, donna naissance à un enfant à la fin de l'année 1943. Ceci laisse imaginer l'existence double qu'elle dut mener en tant que mère d'un nourrisson d'une part et résistante de l'autre. La naissance de cet enfant témoignait de la confiance de cette femme en la victoire des forces alliées contre le nazisme et d'un optimisme probablement partagé à des degrés divers par ses collègues résistants.

La localisation géographique constitue le quatrième critère retenu pour analyser le groupe des postiers ayant appartenu aux F.F.I. Les renseignements dont on dispose à ce sujet ne portent que sur 45 agents résistants. Peu après leur création, les F.F.I. furent organisées sur la base de six arrondissements subdivisant l'ensemble du territoire départemental. Il y eut des agents des PTT résistants dans chacune de ces régions, mais leur répartition géographique à l'intérieur du département se révéla très inégale d'un arrondissement à l'autre.

Le mieux représenté était celui d'Évreux où l'on trouvait les deux principales villes du département, Évreux et Vernon. Au niveau du personnel des PTT, cet arrondissement disposait de l'effectif le plus fort. Il y avait donc là une certaine conformité entre les possibilités offertes à la Résistance de recruter des postiers et l'adhésion réelle de ceux-ci. Ce fut d'ailleurs la préfecture de l'Eure qui compta la plus grande quantité d'agents des PTT membres des F.F.I. Sur les seize postiers F.F.I. de l'arrondissement, on en dénombrait onze à Évreux, répartis de la façon suivante : six pour la ville proprement dite et cinq pour ses environs (quatre pour le canton d'Évreux Sud et un pour celui d'Évreux Nord). À Vernon, trois agents des PTT furent recensés dans les F.F.I. Les deux autres postiers résistants de la région venaient de deux communes rurales: La Croix-Saint-Leufroy pour le premier, Ivey-la-Bataille pour le deuxième.

Avec treize agents des PTT inventoriés dans le fichier des F.F.I., le secteur de Pont-Audemer occupait, au plan départemental, la seconde position pour le nombre de postiers engagés dans les F.F.I. On peut supposer que, contrairement à celui d'Évreux, cet arrondissement rural ne disposait pas d'un effectif de postiers très élevé. Proportionnellement, la participation du personnel des PTT à la Résistance fut donc plus forte dans cette zone géographique que dans les autres. Ceci résultait de la présence et du rayonnement sur l'ensemble de l'arrondissement de Pont-Audemer du plus grand maquis de Normandie, le " Surcouf ", créé à la fin du mois d'août 1942 par Robert Leblanc. La Résistance était bien implantée dans cette région et pouvait compter sur la complicité d'une part importante de la population locale. Elle trouva en particulier une solide base de recrutement parmi la main-d'œuvre des PTT. Les postiers F.F.I. venaient de divers lieux de l'arrondissement. Les F.F.I. des petites villes de Beuzeville et Brionne comptaient respectivement trois et deux agents des PTT. On trouvait également des postiers F.F.I. dans des communes rurales : deux à Cormeilles, deux à Boissey-le-Châtel et un à Bourgtheroulde. Les trois autres postiers F.F.I. de l'arrondissement avaient cessé leurs activités professionnelles pour se joindre aux maquisards du Surcouf. On doit toutefois signaler qu'il n'y avait pas d'agents des PTT recensés dans les F.F.I. de la principale ville du secteur, Pont-Audemer, ce qui ne signifie nullement par ailleurs que les postiers de cette ville n'apportèrent pas en certaines occasions leurs concours aux forces organisées de la Résistance.

Dans les quatre autres arrondissements, le personnel des PTT semble par contre avoir été quelque peu sous représenté à l'intérieur des F.F.I. par rapport à ce qui vient d'être décrit pour les régions d'Évreux et de Pont-Audemer. La région de Louviers comptait cinq agents des PTT dans les F.F.I., dont trois pour la principale ville de l'arrondissement. Il y en avait également cinq dans le secteur de Bernay. Un seul postier de cette ville figurait dans l'inventaire des F.F.I. Ce dernier chiffre, comparé au témoignage de M. Denis cité auparavant, montre le décalage qui exista entre la force du sentiment d'opposition éprouvé par la population pour l'Occupant et la faiblesse numérique de ceux qui participèrent pleinement à la Résistance.

Dans l'arrondissement de Verneuil-sur-Avre, on dénombrait quatre postiers F.F.I. ainsi répartis : deux à Rugies, un à Verneuil et un à Breteuil. Enfin, la région des Andelys, correspondant à la partie du département située sur la rive droite de la Seine, n'en comptait que trois dont un seul aux Andelys.

Si l'on ôte les trois postiers maquisards du Surcouf qu'il est impossible de classer en fonction de leurs origines rurales ou urbaines, on constate que, sur les quarante-deux agents résistants que le fichier permettait de localiser, dix-huit étaient des campagnards et vingt-quatre des citadins. Dans un département rural comme l'Eure, la prédominance de ces derniers découlait sans doute des facilités de recrutement plus grandes offertes à la Résistance par les villes où l'on trouvait les plus fortes concentrations de personnel des PTT. Ceci se trouve surtout confirmé dans le cas d'Évreux où le nombre d'agents rassemblés sur un même lieu de travail et celui des postiers engagés dans les F.F.I. étaient, chacun dans son domaine propre, les plus élevés du département. Il n'en fut pas de même dans les autre villes importantes du département qui étaient toufefois de tailles sensiblement plus réduites qu'Évreux. Les villes de Bernay, Les Andelys et Gisors ne comptaient chacune qu'un agent des PTT membre des F.F.I. et il n'y en eut aucun à Pont-Audemer.

À l'inverse, dans l'arrondissement de Bernay, on en dénombrait quatre à Beaumesnil, un chef-lieu de canton peuplé d'à peine cinq cents habitants. Il s'agissait là d'un cas tout à fait particulier. En chiffres bruts, les agents des PTT membres des F.F.I. étaient plus nombreux à Beaumesnil qu'à Vernon et à Louviers, les deuxième et troisième villes du département. Ce petit bourg, où l'on peut supposer que la majorité des postiers étaient résistants, fut donc, en quelque sorte, un haut lieu de la Résistance PTT dans l'Eure. La forte implantation des F.F.I. parmi la main-d'œuvre des PTT de cette localité paraît avoir été causée par l'entrée dans la Résistance de l'un des agents, en juillet 1942, et de la receveuse du bureau de Beaumesnil, à la fin de la même année. Ceci créa une dynamique qui leur permit par la suite de rallier à leur cause deux autres de leurs collègues.

Dans les autres communes rurales du département où il y eut des postiers membres des F.F.I., ils ne furent jamais plus de deux, ce qui, dans des petits bureaux de poste, était déjà loin d'être négligeable. Du reste, ces chiffres ne rendent compte qu'imparfaitement de " l'esprit résistant " qui régna chez les facteurs de campagne. Lors de leurs tournées, ceux-ci ne pouvaient manquer de repérer la présence dans leur secteur de maquisards ou de jeunes réfractaires au S.T.O. Nombreux furent ceux qui gardèrent le silence malgré les multiples encouragements à la délation prodigués par les Allemands au moyen de primes ou d'autres avantages matériels. En la circonstance, se taire équivalait à s'opposer aux occupants. Malheureusement, cette forme particulière de résistance ne laissa aucune trace dans le fichier des F.F.I. de l'Eure. Les dernières indications données par ce document sur l'état civil des personnes qu'il recensait concernaient les professions de celles-ci. Paradoxalement, dans ce domaine, l'inventaire se révélait plus imprécis pour notre étude car neuf résistants étaient classés comme " postiers ", sans que l'on sache les fonctions exactes qu'ils exerçaient dans les PTT. Celles-là n'étaient inscrites de façon détaillée que pour trente-neuf agents.

Cet échantillon réduit montrait toutefois que les postiers résistants de l'Eure furent recrutés en majorité dans le service postal où la main-d'œuvre employée par l'administration était de loin la plus nombreuse. Vingt-trois membres des F.F.I. travaillaient à la poste. Treize d'entre eux étaient facteurs et il semble qu'en valeur brute cette catégorie de personnel fut la mieux représentée dans l'ensemble des postiers ayant appartenu aux F.F.I. Pour le service postal, on trouvait également cinq receveurs de bureaux de cinquième classe, trois commis A.F., un commis N.F. et un contrôleur. Dix autres membres des F.F.I. exerçaient leur profession dans les télécommunications. Ils se répartissaient de la façon suivante : trois téléphonistes et sept agents des services électriques (cinq agents des lignes et deux contrôleurs des installations électromagnétiques). Un rapport non daté, mais probablement rédigé à la fin de l'année 1940 ou au début de 1941, émanant de la direction départementale des PTT, évaluait par ailleurs à cent trente-huit le nombre d'agents chargés de l'entretien et de la réparation des lignes. Dans l'Eure, 5 % du personnel affecté à ces tâches appartenaient donc aux F.F.I. Comparé aux pourcentages énoncés auparavant, ce taux d'engagement dans la Résistance apparaît élevé et corrobore le compte rendu de l'ingénieur en chef régional des télécommunications qui faisait état de la forte participation de son personnel à la lutte contre l'Occupant. Les expériences vécues par cette main-d'œuvre sur son lieu de travail expliquent le concours appréciable qu'elle apporta à la Résistance. En effet, la mainmise allemande était particulièrement perceptible dans les télécommunications. Les réactions des agents face aux réquisitions répétées de matériel ou de lignes téléphoniques opérées par l'Occupant devaient être assez proches à maints égards des arguments déployés par les résistants pour dénoncer le pillage économique auquel se livrait l'Allemagne nazie. De leur côté, ceux-ci accomplirent les efforts nécessaires pour se renforcer dans ce milieu professionnel qui leur était favorable. À ce propos, H. Le Veillé, responsable de la Résistance PTT en Normandie, nous signalait, lors d'un entretien, que le recrutement d'agents des télécommunications demeura durant toute la période l'une des priorités qu'il s'était assignée en raison de l'importance stratégique des renseignements que ces postiers pouvaient lui fournir.

Les six postiers F.F.I. qui n'ont pas encore été mentionnés dans ce commentaire étaient des auxiliaires. En fonction de la grande proportion de jeunes figurant dans le groupe des postiers résistants, on peut penser que les auxiliaires furent quantitativement sous-estimés par le fichier des F.F.I. Ceux-ci durent peut-être éprouver de la gêne à se faire inscrire en tant que tels. Ils préférèrent sans doute être classés comme " postiers " en précisant ou non la fonction réelle qu'ils exerçaient dans les PTT. De plus, lorsque cet inventaire fut établi après la Libération, certains avaient déjà été titularisés et n'indiquèrent pas le statut administratif qui avait été le leur pendant l'Occupation.

En résumé, qu'ils aient été titulaires ou auxiliaires, les postiers F.F.I. de l'Eure n'occupaient pas de fonctions importantes dans les PTT. C'étaient les gens de conditions modestes qui ne tirèrent aucun avantage de la situation nouvelle créée par l'occupation allemande. Ils appartenaient à cette couche sociale de petits et moyens fonctionnaires qui connurent au contraire de graves difficultés matérielles tout au long de la période. La haute administration des PTT, limitée à quelques personnes dans le cas d'un département de moyenne importance tel que l'Eure, ne fut pas représentée au sein des F.F.I. Il faut néanmoins remarquer qu'elle ne manifesta aucun zèle à pourchasser les agents connus pour leurs sentiments anti-nazis, ce que confirme de façon implicite la possibilité qui fut accordée au directeur départemental des PTT d'écrire peu après la Libération un chapitre dans un ouvrage collectif consacré à la Résistance dans l'Eure.

Pour en finir avec cette question de l'emploi, il convient de signaler à nouveau que l'immense majorité des postiers F.F.I. conserva sa profession dans l'administration pendant toute la guerre, à l'exception sans doute des quelques jours d'août 1944, qui correspondirent à la Libération du département, au cours desquels les différents services des PTT furent d'ailleurs interrompus. En plus des trois maquisards du Surcouf, on ne connaît que trois autres cas de postiers qui cessèrent toute activité professionnelle pour plonger dans la clandestinité afin d'échapper aux recherches dont ils étaient l'objet de la part de la Gestapo. Les deux premiers appartenaient au groupe Résistance-PTT d'Évreux. Ils quittèrent leur poste à partir du 1er décembre 1943 pour l'un et du 20 mai 1944 pour l'autre. Tous deux ne reprirent leur travail aux PTT qu'après la fin de la guerre. La troisième était Mme Fournier, de Vernon, déjà citée, qui, à la suite de son congé de maternité, sollicita, en janvier 1944, une mise en disponibilité qui prit fin en décembre de la même année.

La présence de nombreux " légaux ", qui assuraient une certaine transition entre la société civile et les combattants pratiquant une véritable guérilla contre les troupes d'occupation, conférait aux F.F.I. les caractéristiques populaires d'un Front de libération nationale. En ce sens, elle les distinguait nettement d'une armée de métier classique et même d'une armée de conscription traditionnelle où les soldats doivent suspendre pour un temps leurs activités professionnelles pour se consacrer entièrement au métier militaire.

Ceci amène à s'interroger sur la nature même de l'engagement résistant des postiers F.F.I. de l'Eure et, pour commencer, sur les dates de leur entrée dans la Résistance.

Les dates d'entrée dans la Résistance de quatre postiers n'étaient pas inscrites dans le fichier. De plus, ce document présentait une lacune de taille pour établir une chronologie conforme à la réalité. En effet, dès mai 1941, Henri Le Veillé avait pris contact avec deux de ses collègues des services électriques d'Évreux, Hamerel et Novins, qui allaient devenir en 1942 les responsables pour l'Eure d'Action-PTT. Or, à la Libération, ces deux postiers ne furent pas inventoriés dans le fichier des F.F.I. de l'Eure comme leurs camarades résistants PTT d'Évreux, mais furent recensés dans les Forces françaises combattantes (F.F.C.) dont relevait le réseau Action-PTT. Il apparaissait toutefois nécessaire de les faire figurer dans le tableau en raison de leur rôle important dans l'organisation de la Résistance PTT et de leur engagement ancien dans celle-ci. Ceci explique que le tableau porte sur 46 agents des PTT de l'Eure, 44 ayant été F.F.I. et deux F.F.C. À ce propos, notons que nous avons rencontré le cas d'un postier résistant de Vernon qui fut, quant à lui, recensé dans les F.F.I. et dans les F.F.C. Quarante ans après le second conflit mondial, ces questions de double appartenance posent aux chercheurs de réels problèmes méthodologiques pour étudier des organisations résistantes qui apparaissent sou-vent comme autant d'éléments d'un puzzle dont l'assemblage se révèle la plupart du temps fastidieux, voire impossible à réaliser. Pour cette étude, nous nous sommes fiés cependant à l'inventaire des F.F.I. qui semble avoir recensé la grande majorité des postiers du département ayant appartenu à un mouvement de Résistance, malgré certains manques que nous avons tenté de pallier lorsque nous en avions connaissance.

Afin de simplifier le tableau, on a établi une chronologie annuelle des entrées, sans donner de précisions sur les mois qui, dans de nombreux cas, étaient indiqués par l'inventaire des F.F.I. D'un point de vue purement quantitatif, l'année 1942 marqua dans l'Eure un tournant pour le recrutement des postiers par la Résistance. Celui-ci, resté très limité au début de l'Occupation, prit, à partir de cette date, un caractère plus " massif " si l'on rapporte le nombre d'entrées dans un mouvement intervenues en 1942 à l'effectif total des agents des PTT membres des F.F.I. Cette tendance se poursuivit et s'accéléra même en 1943, au point qu'un postier F.F.I. sur deux rejoignit la Résistance cette année-là. Curieusement, le nombre d'entrées dans la Résistance diminua durant les huit premiers mois de 1944 qui précédèrent la Libération alors que les sympathies de la population à l'égard des résistants ne cessèrent de croître pendant cette période. On peut sans doute attribuer cette baisse aux réticences de ceux qui constituèrent l'inventaire des F.F.I. à y inscrire en trop grand nombre des résistants dits de " la onzième heure " dont ils jugèrent un peu tardives la vocation et l'ardeur à combattre l'Occupant.

Ces données numériques semblent avoir partagé le temps de l'Occupation en deux parties nettement distinctes quant aux nombres d'entrées de postiers dans la Résistance, la première allant de juin 1940 à décembre 1941 et la seconde du début 1942 à août 1944. On peut toutefois penser qu'il y eut en réalité au moins trois générations différentes de postiers résistants qui cohabitèrent au sein des F.F.I.

La première correspondait aux agents des PTT qui rejoignirent un mouvement avant la fin du premier semestre 1941. L'un d'entre eux le fit même dès octobre 1940, mais il ne se trouvait pas dans l'Eure à cette date et n'arriva à Evreux qu'en août 1942. Bizarrement, il n'occupa pas par la suite dans la Résistance locale le poste important qu'aurait pu lui valoir son engagement ancien dans le camp des opposants aux Allemands. Dans l'inventaire des F.F.I., il était simplement classé comme homme de troupe ayant participé à la Libération d'Évreux.

Dans l'Eure, ce fut en mai 1941 que les premiers postiers rejoignirent la Résistance. Il s'agissait d'Hamerel et Novins, déjà cités auparavant. Au mois de juin 1941, Jean Huvey entrait, quant à lui, dans le groupe " Vengeance " d'Évreux. L'engagement dans la Résistance de ce commis A.F. ne paraît pas avoir été motivé par l'attaque allemande contre l'Union soviétique qui fut déclenchée à la même époque. Dans les ouvrages où son nom est cité, on ne trouve pas d'indications sur les sentiments politiques de J. Huvey, et l'on peut supposer que s'il avait été militant ou sympathisant du parti communiste, il aurait plutôt rejoint le Front national dont la formation datait de mai 1941.

Les motifs qui poussèrent les postiers à résister ne sont malheureusement pas indiqués dans le fichier. On sait pourtant qu'Hamerel et Novins avaient été des syndicalistes actifs qu'Henri Le Veillé avait connus dans les années trente. Leur entrée dans la Résistance dut être causée par des convictions anti-nazies, antérieures à l'arrivée des Allemands en France. L'énorme restriction du champ des libertés individuelles et collectives qui s'ensuivit dut aussi intervenir dans leur choix de résister à l'Occupant. Contrairement au précédent, ces trois précurseurs de la Résistance PTT dans l'Eure occupèrent ensuite des responsabilités dans la Résistance; Hamel et Novins comme dirigeants du réseau Action-PTT de l'Eure et Jean Huvey en tant qu'adjoint du troisième bureau de l'état-major départemental des F.F.I.

Cette première génération de postiers résistants se caractérisait par son petit nombre et la place relativement élevée que ses membres, qui eurent la chance d'être épargnés par la répression, occupèrent dans la Résistance. Enfin, les motivations de ceux-ci reposaient essentiellement sur des options idéologiques remontant en général à la période d'avant-guerre.

Par ce dernier aspect, les postiers venus à la Résistance en 1942 se différencièrent de leurs prédécesseurs. Leur engagement résistant devait davantage se fonder sur une prise de conscience intervenue lors des deux premières années de l'Occupation que sur des convictions plus anciennes. Durant cette période, le nazisme avait cessé d'être pour eux une entité abstraite et leur entrée dans la Résistance correspondait à l'aboutissement d'une évolution de pensée qui les amenait dans le camp des opposants à l'Occupant. Il est, par contre, plus difficile d'établir quels événements de cette année 1942 influèrent de façon décisive sur leur résolution de lutter contre les Allemands. Notons cependant que sept d'entre eux rejoignirent un mouvement de Résistance entre les mois de mai et d'octobre, c'est-à-dire dans l'intervalle séparant le retour de Laval à la tête du gouvernement de Vichy (18 avril 1942) de l'invasion de la zone Sud par les Allemands (11 novembre 1942). Les sentiments germanophiles du nouveau chef du gouvernement, clairement exprimés dans un discours radiodiffusé, le { 22 juin 1942, furent en général, perçus de façon négative par l'opinion. La décision prise en 1942 par certains postiers d'entrer dans la Résistance s'explique peut-être comme une réaction à ce qui, pour de nombreuses gens, ressemblait à une victoire du clan pro-allemand à Vichy.

Le second de ces événements eut une répercussion plus forte encore auprès de la population. Pour beaucoup, il sanctionna la fin de la relative indépendance que l'État français se targuait d'entretenir à l'égard de l'Allemagne. La baisse du prestige du gouvernement de Vichy qui accompagna l'invasion de la zone Sud permit à la Résistance de s'assurer de nouvelles recrues, au nombre desquelles on peut porter les sept agents des PTT de l'Eure qui la rejoignirent entre décembre 1942 et janvier 1943.

Lorsque l'on observe par ailleurs l'âge des dix postiers entrés dans la Résistance en 1942, on constate que deux d'entre eux (20 %) avaient moins de trente ans, cinq (50 %) entre trente-et-un et quarante ans et que trois (30%) étaient âgés de plus de quarante ans. À cet égard, la seconde génération de postiers résistants présente une structure par âges comparables à celle de ses prédécesseurs. Comparé aux chiffres donnés pour l'ensemble des agents des PTT recensés dans les F.F.I., le taux de jeunes appartenant à ces deux groupes était relativement faible. Avant 1943, la jeunesse était donc nettement sous représentée parmi les postiers résistants.

Le fort pourcentage de jeunes parmi les postiers entrés dans la Résistance en 1943 et 1944 constituait sans aucun doute l'un des caractères distinctifs de la troisième génération d'agents des PTT résistants. Sur trente-et-un postiers dont l'âge était donné par le fichier, quatorze avaient moins de trente ans, soit 45,2 % de cet échantillon. Cette très forte proportion de jeunes venus à la Résistance à cette époque ne peut s'expliquer que par le phénomène de rejet qui accueillit l'instauration du S.T.O. à partir de février 1943. Celui-ci était particulièrement impopulaire dans la jeunesse qui devait fournir les contingents de requis. À ce propos, le témoignage d'un auxiliaire ayant rejoint le maquis Surcouf nous a paru significatif. Requis au titre du S.T.O., il abandonna son emploi aux PTT en octobre 1942 et entra au maquis en septembre 1943. Le laps de temps assez long qui sépara son départ des PTT de son engagement dans la Résistance est révélateur de la conduite couramment suivie par les réfractaires au S.T.O. Comme l'indiquent des études sur la question, la plupart d'entre eux se cachèrent pour échapper aux poursuites, mais n'entrèrent pas dans la Résistance. C'est ce que dut faire cet auxiliaire des PTT avant de rejoindre le Surcouf. Si les réfractaires n'appartenaient pas automatiquement à la Résistance, cet exemple illustre bien que le refus du S.T.O. créa néanmoins un puissant courant d'opinion propice au renforcement de la Résistance dans la jeunesse. Il semble que ceci constitua l'une des principales raisons qui poussèrent les quatorze jeunes agents des PTT à s'engager dans la Résistance pendant cette période. En ce sens, leurs motivations étaient d'une nature différente de celles de leurs collègues résistant depuis 1941 ou 1942. En effet, c'était surtout sur des considérations d'ordre idéologique que se fondaient les choix de ceux-ci, alors que, pour ceux-là, la décision d'entrer dans la Résistance fut en grande partie dictée par la nécessité d'échapper à des menaces matérielles immédiates pesant sur leur propre personne ou sur des proches.

La phase d'essor que connut au cours de cette période la Résistance dans l'Eure en général et parmi les postiers de ce département en particulier peut aussi s'expliquer par l'inversion du rapport des forces à l'échelle internationale, favorable aux alliés anglo-saxons et soviétiques. L'espoir d'une libération prochaine cessa, à partir de 1943, d'être utopique et l'on peut penser que, malgré les difficultés quotidiennement vécues, cette espérance suscita l'engagement de certains résistants. Les motivations de cette troisième génération de postiers résistants étaient donc d'une assez grande variété : enthousiasme créé par les victoires des alliés pour certains, nécessité d'échapper au S.T.O. ou à la répression pour d'autres... Pour tous, assurément, un ardent désir de hâter l'heure de la Libération et un réel besoin d'action pour nuire au maximum à l'Occupant.

Ce partage des postiers F.F.I. en trois grandes générations ne reflète sans doute qu'incomplètement la diversité de la Résistance en fonction du temps. S'il y eut un lien indéniable entre la chronologie des entrées dans la Résistance et les motivations des personnes pour la rejoindre, notre analyse, faute de témoignages, n'a pu en rendre compte que de façon schématique. En effet, les trois périodes que nous avons délimitées furent riches en événements de toutes natures qui entraînèrent, à des moments différents, le recrutement de nouveaux résistants. Dans la réalité, les trois générations d'agents des PTT résistants durent donc se subdiviser en sous-catégories que seule une connaissance plus fine des motivations de chacun permettrait de définir avec exactitude.

Le groupe des postiers F.F.I. présente également une grande variété quand on observe les mouvements auxquels appartenaient ces résistants. Toutes les grandes organisations de la zone Nord représentées dans l'Eure comptèrent dans leurs rangs des agents des PTT. Parmi les trente-deux postiers dont le fichier donnait l'appartenance, on en dénombrait dix à " Vengeance ", neuf dans le mouvement " Résistance ", sept au " Front national ", deux à " Libération-Nord " et un à " l'O.C.M. ". Trois enfin étaient comptabilisés comme membres de deux organisations, ce qui confirme la relative osmose qui s'était réalisée à la base des mouvements avant l'unification de leurs branches militaires dans le cadre des F.F.I.

En fait, il semble qu'en général le désir de rejoindre la Résistance ne s'accompagnait pas d'un choix préétabli du mouvement dans lequel on s'engageait. C'était surtout le hasard des contacts qui déterminait l'appartenance de ces postiers à tel ou tel mouvement. Ceci laisse à penser que leur entrée dans la Résistance résultait avant tout d'une prise de conscience individuelle. À cet égard, il n'y eut pas dans l'Eure comme à Paris une organisation résistante à l'intérieur des PTT, formée en majorité de militants du parti communiste ou de l'ancienne C.G.T.U., en raison de leur faiblesse numérique parmi le personnel de cette administration. Quant aux autres partis de la troisième République ayant eu dans leurs rangs des résistants, ils avaient cessé de fonctionner en tant que structures organisées durant l'Occupation et il est évident qu'il leur était également impossible, quant bien même l'auraient-ils souhaité, de créer un groupe dans les PTT.

S'il n'y eut pas de " filière politique " amenant les postiers à la Résistance, il exista toutefois dans l'Eure deux chaînes qui permirent le recrute-ment d'un certain nombre d'entre eux.

La première se trouvait à Évreux, où cinq postiers des F.F.I. appartenaient à Vengeance. Il faut attribuer la bonne implantation de ce mouvement parmi les agents des PTT résistants de cette ville à l'activité de Jean Huvey qui chercha à s'assurer l'aide de collègues dont il connaissait l'état d'esprit hostile aux Allemands. À la vue des chiffres, ces postiers recrutés par l'un des leurs durent sans doute constituer l'ossature du groupe Résistance PTT d'Évreux.

La seconde fut celle dont il a déjà été question à propos de la commune de Beaumesnil. Dans cette région du département, un jeune ingénieur électricien, André Antoine, accomplit, sous le couvert de ses activités professionnelles, un véritable travail de prospection au profit de la Résistance. Lors de ses multiples déplacements, il cherchait en priorité à prendre des contacts avec des fonctionnaires qu'il chargeait ensuite de créer des antennes du mouvement " Résistance " dans leur secteur. À Beaumesnil, la chaîne qui permit le recrutement de quatre postiers se rattachait donc à un réseau formé à l'origine d'une majorité de fonctionnaires auxquels vinrent se joindre des membres d'autres catégories socioprofessionnelles de ce secteur géographique.

Sur ce dernier point, les agents des PTT d'Évreux se distinguèrent de leurs collègues résistants du reste du département. Dans cette ville, leur nombre se révéla suffisant pour créer un groupe composé de postiers exclusivement. Toutefois, les actions de ceux-ci s'accomplissaient sous la responsabilité d'un organisme de la Résistance dont le champ dépassait le cadre des PTT, que ce fut le N.À.P. en 1943 ou, par la suite, l'état-major des F.F.I. à partir de février 1944. Dans les autres localités de l'Eure, l'activité résistante des postiers s'exerça pour le compte de mouvements ou réseaux qui recrutaient dans l'ensemble de la population et non uniquement dans les PTT. Ce dernier aspect marqua fortement les actions de résistance auxquelles prirent part les postiers membres des F.F.I. Le fichier des F.F.I. ne fournissait que des indications générales sur celles-ci. L'imprécision qui les entoure quant à leurs déroulements et à leurs datations est sans nul doute dommageable à la connaissance détaillée de la résistance menée par les agents des PTT de l'Eure contre l'Occupant. Les renseignements donnés se révèlent cependant suffisants pour entreprendre une étude statistique ayant pour but d'établir une typologie des actions de résistance réalisées par ces postiers. Il apparaît, en outre, à la lecture de l'inventaire des F.F.I. que ces derniers participèrent en règle générale à différents types d'actions et ne se spécialisèrent pas dans une branche particulière de la Résistance. Les concours que les postiers apportèrent à celle-ci s'orientèrent, dans l'Eure, vers trois directions principales. La première concernait l'appartenance d'un petit nombre d'entre eux au maquis Surcouf. Cette forme de résistance présentait une véritable spécificité. Les trois postiers maquisards durent changer radicalement leur mode de vie et, en particulier, quitter leur domicile et leur emploi aux PTT. Tous trois étaient des jeunes de moins de trente ans, certainement réfractaires au S.T.O., qui participèrent aux activités propres au maquis dont la mission consistait à créer une zone d'insécurité pour les troupes allemandes à l'arrière de leur dispositif de défense des côtes de la Manche. D'autres agents des PTT apportèrent leur aide au Surcouf, sans toutefois en être membres à part entière. Dans un ouvrage qu'il a consacré à ce maquis, Raymond Ruffin relatait notamment les travaux réalisés par deux techniciens des services électriques de Bernay afin de mettre une ligne téléphonique à la disposition des chefs du Surcouf, leur permettant de communiquer avec des correspondants " légaux " qui pouvaient de la sorte les prévenir de tous les déplacements d'unités de soldats allemands ou de miliciens dans la région. À la vue des chiffres, l'entrée d'agents des PTT de l'Eure dans un maquis demeura néanmoins un phénomène marginal durant l'Occupation.

La seconde catégorie d'actions de résistance rassemblait celles exécutées par des postiers à l'extérieur de l'administration des PTT. Celles-ci constituèrent sans conteste l'élément quantitatif dominant de l'activité résistante des agents et portèrent la marque de la nature militaire que prit en général la Résistance en zone occupée.

Les actions ayant eu un caractère violent arrivaient ici largement en tête. Vingt postiers F.F.I. prirent part aux combats de la libération du département, menés de concert avec les troupes alliées en août 1944. La présence de deux femmes parmi les combattants mérite d'être soulignée, dans la mesure où, là aussi, le statut habituellement dévolu aux femmes se trouvait remis en question. Par ailleurs, la moitié de ces postiers était entrée dans la Résistance au plus tard en 1942. La participation relativement importante des résistants de longue date à ces combats est à noter quoiqu'il soit difficile de l'interpréter.

Dans les jours qui suivirent la Libération, six postiers restèrent mobilisés dans les F.F.I. et participèrent à des patrouilles qui capturèrent parfois des soldats allemands qui se repliaient en désordre. Parmi ces agents, il y avait trois facteurs de campagne dont on peut penser que leur emploi les prédisposait indirectement à accomplir de telles actions. En zone rurale, l'exercice de leur profession procurait à ceux-ci une bonne connaissance du terrain qui dut se révéler fort utile à ces groupes de patrouilleurs.

Les agents des PTT membres des F.F.I. participèrent aussi en nombres plus limités à d'autres types d'actions qui entraient dans le cadre des activités traditionnelles de la Résistance. Onze d'entre eux servirent comme agents de liaison. Il y eut cinq facteurs parmi ces " messagers de la Résistance ". On peut penser que les possibilités de déplacement attachées à cet emploi n'étaient pas étrangères à la participation relativement massive de cette catégorie de personnel des PTT à de telles actions. Quatre agents des PTT appartenaient à des groupes qui organisèrent le sauvetage de pilotes alliés dont les avions avaient été abattus en cours de mission au-dessus de la Normandie. Trois autres œuvrèrent dans des équipes chargées de réceptionner du matériel parachuté par les alliés. Les postiers résistants prirent, par contre, une moindre part aux activités de propagande. Deux seulement étaient inscrits comme ayant participé au transport ou à la diffusion de tracts émanant de la Résistance. Deux autres agents des PTT appartenaient à des réseaux qui s'occupaient de procurer aux clandestins de faux papiers d'identité et de fausses cartes d'alimentation. Enfin, une demoiselle du téléphone d'Évreux devint même infirmière dans la Résistance, à l'occasion des combats de la Libération.

Les agents des PTT de l'Eure participèrent donc dans leur grande majorité à des actes de résistance de type classique, réalisés hors de leur milieu professionnel. À cet égard, la résistance des postiers du département s'exerça plus à l'extérieur qu'à l'intérieur des PTT. Toutefois, certains accomplirent de surcroît des actions auxquelles les prédisposait leur qualité d'agents des PTT, soit quelles aient réclamé de la part de leurs auteurs un savoir technique particulier ou qu'elles n'aient pu être accomplies que dans l'enceinte des locaux de l'administration.

Cette troisième catégorie d'actions conféra sa spécificité à ce que l'on nommera par commodité la Résistance PTT de l'Eure. Dix-sept postiers étaient recensés dans le fichier des F.F.I. comme ayant participé à cette forme de résistance. On devrait d'ailleurs pouvoir leur adjoindre sept agents pour lesquels il était indiqué qu'ils fournirent des renseignements utiles à la Résistance. La nature de ceux-ci n'était pas précisée par l'inventaire, mais on peut supposer que certains avaient été recueillis à l'intérieur des PTT et concernaient l'administration elle-même.

Le caractère militaire se révélait également dominant dans l'activité de la Résistance PTT. Les actions qui mobilisèrent le plus d'agents furent les sabotages des lignes téléphoniques utilisées par les Allemands. Il s'agissait d'actions mixtes, au sens où tous les saboteurs n'étaient pas obligatoirement des agents des PTT. Cependant, dans le cas des coupures de lignes souterraines, la présence de techniciens du téléphone était le plus souvent indispensable, d'une part parce qu'ils connaissaient parfaitement l'emplacement où le sabotage devait être exécuté et de l'autre parce qu'il s'agissait de mettre les lignes hors d'usage pour les Allemands tout en prévoyant leur réparation rapide après la Libération afin que le réseau téléphonique puisse être utilisé par les armées alliées. Ceci nécessitait le savoir-faire de gens du métier.

Les autres actions de Résistance présentaient un caractère purement PTT car elles s'accomplissaient sur le lieu de travail. Cela allait de la surveillance des communications téléphoniques aux détournements de lettres de dénonciation adressées aux services de la Sûreté allemande. Enfin, trois receveurs des PTT mirent à profit leur situation professionnelle pour accorder des facilités d'utilisation du téléphone aux responsables de la Résistance dans leur secteur géographique.

Il semble donc que le cloisonnement par services inhérent à l'administration se soit en partie retrouvé dans ces actes de résistance accomplis dans les PTT, le sabotage des lignes étant plus particulièrement réservé au personnel des services électriques et les autres actions ayant plutôt été le fait d'agents du service postal.

De tels actes, relevant essentiellement au début d'initiatives individuelles, revêtirent, à partir de 1943, un caractère plus collectif, avec la constitution du groupe Résistance PTT d'Evreux. Il exista alors dans cette ville une équipe de postiers pour lesquels la participation à des actions menées au sein de l'administration devint le trait dominant de leurs activités de résistants. Toutefois, il n'y eut nulle part dans l'Eure d'esprit corporatiste et les postiers furent totalement intégrés à la Résistance départementale.

À cet égard, le choix des pseudonymes qu'ils adoptèrent dans la clandestinité illustrait leur volonté de ne pas mettre en avant leur qualité d'agents des PTT. Si l'on peut penser qu'il s'agissait là d'un simple réflexe de prudence, ceci témoignait malgré tout de leur sentiment d'appartenir à la Résistance considérée comme une totalité, sans distinction d'origine socio-professionnelle de ses membres. Sur les quarante-huit postiers F.F.I, deux seulement prirent un nom de Résistance qui évoquait leur statut professionnel. Le premier était un maquisard du Surcouf qui se fit appeler " René le facteur " et le second un agent de liaison d'Ivry-la-Bataille qui choisit pour pseudonyme le nom de " Télégramme ".

La dernière indication offerte par le fichier des F.F.I. était le grade occupé par chaque résistant recensé. Les postiers furent en majorité des résistants de base auxquels il ne fut pas confié de responsabilités dépassant le grade de chef de sizaine, ce qui explique sans doute que la participation des agents des PTT à la Résistance dans l'Eure, quoique reconnue par certains témoignages, ait été le plus souvent méconnue.

Trois postiers furent néanmoins appelés à prendre des fonctions importantes qui leur valurent par la suite d'être nommément cités dans des études consacrées à la Résistance dans l'Eure. Le premier était Jean Huvey qui fut chargé auprès de l'état-major départemental des F.F.I. de diriger l'application du plan Vert d'immobilisation des voies ferrées pendant et après le débarquement des troupes anglo-saxonnes en Normandie (6 juin 1944). La seconde était Mme Fournier qui appartenait à l'état major des F.F.I. de Vernon qui libérèrent la ville par leur propre force (20 août 1944). Pour ces deux postiers, il est fort probable que leur entrée ancienne dans la Résistance, intervenue en juin 1941 pour le premier et en mai 1942 pour la deuxième, ait constitué le critère essentiel qui les fit choisir pour exercer ces responsabilités.

Le troisième était un C.I.E.M. d'Evreux, M. Louis Lecanu, qui occupa le grade de chef cantonal des F.F.I. dans cet arrondissement. Celui-ci avait rejoint la Résistance en juillet 1943. Dans son cas, l'ancienneté ne semble pas avoir joué un rôle déterminant. On peut penser que sa désignation à ce poste résulta de l'intense activité résistante qu'il déploya tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des PTT. Celle-ci fut remarquée par les dirigeants départementaux des F.F.I. qui, comme lui, se trouvaient à Évreux et lui confièrent une tâche de commandement. Bien qu'ils n'aient pas été recensés dans les F.F.I., on doit citer ici à nouveau Hamerel et Novins qui furent les chefs du réseau Action-PTT de l'Eure.

Les postiers qui occupèrent des responsabilités dans la Résistance départementale présentaient donc, en règle générale, deux caractéristiques communes : leur entrée précoce dans la Résistance et leur localisation géographique dans les villes, en particulier à Évreux, la préfecture. Comme pour refléter l'activité des postiers de l'Eure dans la Résistance, on doit signaler enfin que sur ces cinq agents des PTT, trois exercèrent un rôle de direction dans des secteurs ne relevant pas de la Résistance PTT proprement dite.

LA RÉSISTANCE PTT DANS L'EURE

ET DANS LES AUTRES DÉPARTEMENTS NORMANDS

La Résistance PTT de l'Eure présentait de nombreuses similitudes avec celle des autres départements normands. Elle se développa dans un milieu professionnel en grande partie hostile à l'Occupant. Si elle ne rassembla qu'une minorité des agents, ceux-ci bénéficièrent néanmoins, dans toute la région, de la complicité bienveillante de leurs collègues qui ne pouvaient manquer de remarquer les agissements des résistants à l'intérieur de l'administration. Lorsqu'ils n'aidèrent pas ces derniers, les postiers se réfugièrent dans un profond mutisme qui permit la réussite de multiples actions de résistance menées dans le cadre des PTT.

Celles-ci constituèrent par ailleurs la seconde ressemblance observable au sein de la Résistance PTT, d'un département normand à l'autre. Elles furent partout de même nature, en raison du haut degré d'intégration des activités de chaque groupe dans une mission générale de la Résistance PTT, conçue à l'échelle de la Normandie tout entière. Dans cette région, la tâche principale dévolue à la Résistance PTT, en collaboration avec d'autres forces de la Résistance, se trouvait résumée dans le plan Violet adopté par les organes dirigeants de la Résistance française, le 25 avril 1944. Celui-ci prescrivait la coupure de toutes les lignes souterraines de télécommunications à grande distance avant et après le débarquement des troupes alliées. Dans l'Eure, il y avait eu des sabotages contre les lignes téléphoniques aériennes dès octobre 1940. Ces actions de résistance relevaient toutefois, au début de l'Occupation, d'initiatives individuelles. À partir de 1942, la Résistance organisée avait pris le relais de ces résistants isolés et, en 1944, les coupures de lignes s'intensifièrent dans l'ensemble du département. Dans un document consacré à la Résistance dans l'Eure, seize actions de sabotage contre des installations téléphoniques étaient signalées pour l'année 1944, dont onze pour les seuls mois de juin et juillet. La ligne souterraine à grande distance reliant Saint-Germain, où siégeait l'état-major de la Wehrmacht en France, aux unités stationnées près des côtes où eut lieu le débarquement fut particulièrement visée. Elle fut coupée à maintes reprises dans l'Eure et dans le Calvados, et son fonctionnement en fut grandement perturbé.

La ressemblance des formes prises par la Résistance PTT des cinq départements normands tenait également, pour une part importante, aux relations suivies entretenues par les différents groupes de la région. Dès 1941, avec le concours d'agents du télégraphe, peu surveillé par les Allemands, Henri Le Veillé put établir des contacts fréquents avec les responsables départementaux d'Action-PTT. À partir de 1943, Louis Letassey mit en place un réseau de personnel ambulant des PTT qui permit, d'une part, à Action-PTT de disposer dans la région d'un autre moyen de communication et, de l'autre, à l'ensemble de la Résistance de transporter des personnes clandestines, du matériel (armes, postes émetteurs...) et du courrier. Ces liens multiples eurent pour effet de donner son unité à la Résistance PTT. À la vue des caractéristiques communes qui viennent d'être énoncées, il semble qu'il soit plus conforme à la vérité historique de parler d'une Résistance PTT en Normandie plutôt que d'employer le pluriel à son propos.

Celle-ci présenta cependant des particularités dans chaque département. Dans l'Eure, la création du groupe de Résistance PTT d'Évreux, en octobre 1943, semble avoir été plus tardive que celle des autres groupes de la région. En fait, l'existence de postiers résistants organisés dans cette ville sur leur lieu de travail fut sans doute plus ancienne, car on a tout lieu de croire que le réseau Action-PTT de l'Eure, mis en place à l'état embryonnaire dès 1942, et le groupe Résistance PTT d'Évreux ne firent qu'un dans la réalité. La date d'octobre 1943 correspondit au rattachement de ce groupe au N.À.P., puis, par la suite, aux F.F.I. lorsqu'elles furent fondées. L'originalité du groupe d'Évreux ne tenait donc pas à sa création tardive, mais plutôt à son caractère bicéphale, au sens où certains de ses dirigeants furent en rapport avec Henri Le Veillé et restèrent inconnus de la direction départementale des F.F.I. au point de ne pas être recensés comme tels à la fin de la guerre, alors que les autres n'eurent aucun contact avec le responsable régional d'Action-PTT, mais furent considérés comme les chefs de la Résistance PTT par les instances dirigeantes des F.F.I. de l'Eure. Cette direction double et ce partage des tâches s'expliquent sans doute par une attitude de prudence, motivée par une volonté de ne pas multiplier les contacts résistants de chaque membre du groupe afin de diminuer les risques d'arrestations.

Le second critère de distinction entre l'Eure et le reste de la Normandie reposait sur les antécédents syndicaux des postiers résistants. Dans ce département, les agents des PTT membres des F.F.I. cités par Marcel Baudot ne sont pas présentés comme ayant été, avant-guerre, des syndicalistes notoires. Dans les autres départements, les groupes de résistants PTT semblent, par contre, s'être formés autour des structures de la C.G.T. dissoute. Certains responsables, à l'image d'Henri Le Veillé, avaient même un passé de syndicalistes dans les PTT et de militants du Front populaire. Dans l'Eure, la création de la Résistance PTT paraît donc avoir été moins le fait d'une décision concertée d'anciens syndicalistes que dans les autres départements. Toutefois, il s'agit là plus d'une hypothèse ou pour mieux dire d'une impression que d'une constatation vérifiable, car le manque de témoignages interdit de se prononcer sur les antécédents des postiers F.F.I. de l'Eure.

La dernière particularité de la Résistance PTT dans l'Eure concerne la répression qui frappa les postiers membres des F.F.I. Ces derniers furent relativement favorisés par le sort, car aucun d'entre eux ne fut tué ni déporté dans un camp de concentration. Deux d'entre eux seulement furent inquiétés par la Gestapo. Un facteur résistant, membre de la S.F.I.O. avant-guerre, fut arrêté à Louviers par la police allemande en janvier 1944 puis relâché faute de preuves sur son appartenance à la Résistance. M. Lecanu fit aussi l'objet de poursuites de la part de la Sûreté allemande. Le 20 mai 1944, des agents de celle-ci se présentèrent à son service pour l'arrêter. Prévenu par ses collègues, il put s'échapper. Cet épisode est relaté dans l'ouvrage d'André Paul sur les PTT pendant la Seconde Guerre mondiale.

Par ailleurs, trois agents des PTT de l'Eure, non recensés dans les F.F.I., furent déportés en Allemagne. Le premier fut arrêté sur l'ordre des autorités occupantes en mars 1941 pour avoir eu en sa possession des tracts anti-allemands. Condamné à sept ans de prison, il fut par la suite envoyé en Allemagne puis rapatrié le 6 mai 1945. Le deuxième fut appréhendé par la police allemande en juin 1942 pour un motif inconnu, selon la direction départementale des PTT dont on peut penser qu'elle ne chercha pas en la circonstance à desservir son agent auprès des autorités allemandes. Déporté ensuite à Dachau, il rentra en France le 23 mai 1945. Le troisième était un agent des PTT de Louviers qui fut arrêté en janvier 1944 pour un motif également inconnu selon la même source. Celui-ci fut déporté à Buchenwald en avril de la même année et fut rapatrié en juin 1945. Si ces trois postiers eurent la chance de revenir vivants de cette terrible épreuve, celle-ci dut néanmoins les marquer profondément tant physiquement que moralement.

Quatre autres agents des PTT furent aussi arrêtés en 1944 pour des raisons diverses, mais on les relâcha peu après. L'un était suspecté d'activités communistes. Une autre avait un ascendant juif dans sa généalogie, ce qui lui valut d'être inquiétée... Ces arrestations témoignaient d'une certaine crispation dans l'attitude de l'Occupant à l'égard de la population civile lors des derniers mois de l'Occupation.

En tout, neuf postiers furent poursuivis dans l'Eure pendant la guerre. Ces chiffres étaient inférieurs à ceux enregistrés dans les autres départements normands. Toutefois, la répression toucha de nombreux résistants de l'Eure et si les agents des PTT furent épargnés, on ne peut attribuer cela à une quelconque générosité des services de la Sûreté allemande à leur endroit. En la matière, l'observance de règles strictes de sécurité et une certaine dose de chance durent se conjuguer pour prémunir les postiers F.F.I. de l'Eure des dangers encourus par l'ensemble des résistants durant l'Occupation.

CONCLUSION

Pour finir, nous souhaiterions venir sur ce qui était à l'origine le principal objectif de cette recherche, à savoir l'établissement d'un profil type des agents des PTT résistants dans l'Eure. La démarche suivie cherchait à apporter des réponses à la série d'interrogations suivantes : Qui étaients-ils ? Pourquoi et quand s'engagèrent-ils dans la Résistance ? Et à quels types d'actions participèrent-ils ?

Le fait de travailler sur un groupe professionnel homogène constituait un atout non négligeable pour parvenir à une synthèse mettant à jour des caractéristiques communes attachées à ces personnes. De plus, le nombre limité de postiers F.F.I., tout en étant un handicap de taille pour mener à bien une étude statistique tout à fait probante, laissait présager que les différences entre les agents des PTT résistants seraient réduites par rapport à celles qui auraient pu être observées dans un groupe plus important.

Il semble que la réalité ait été plus complexe que ce que nous nous attendions à découvrir. Cette volonté de généralisation ne se trouva satisfaite qu'au regard de deux critères retenus pour l'analyse de l'échantillon : la supériorité numérique des hommes d'une part et le statut modeste des postiers F.F.I. dans la hiérarchie propre à l'administration de l'autre.

Quant aux autres paramètres examinés à propos de l'état civil des postiers résistants, ils offraient des images beaucoup plus contrastées. Si, au regard de la situation familiale, les personnes mariées étaient les plus nombreuses, il y avait également une forte minorité de célibataires. Au niveau de la structure par âges, l'échantillon se composait d'une immense majorité de moins de quarante ans. Cette majorité reposait toutefois sur un large éventail d'âges regroupant au moins deux générations distinctes l'une de l'autre, les jeunes et les personnes âgées de trente à quarante ans. Là aussi, le groupe des agents des PTT membres des F.F.I. présentait un tableau nuancé qui interdisait de privilégier arbitrairement l'une de ces générations pour tracer un profil type du postier résistant.

Mais ce fut surtout dans le domaine de la Résistance elle-même que ce groupe fit montre d'une grande diversité qui s'explique principalement par la durée de l'Occupation. Le recrutement de ces postiers par la Résistance s'opéra sur une période de trois ans, entre mai 1941 et juillet 1944. En raison du long laps de temps séparant ces deux dates, on comprend aisément que les motivations ayant poussé ces personnes à lutter contre l'Occupant n'aient pas été les mêmes pour toutes. 1943 constitua le moment où les entrées des postiers de l'Eure dans la Résistance furent de loin les plus nombreuses. Mais cette année fut très riche en événements de toutes natures ayant pu entraîner celles-ci. Pour mémoire, citons l'invasion de la zone Sud par les Allemands en novembre 1942, l'instauration du S.T.O. en février 1943, les victoires des alliés, dont celle remportée par l'armée soviétique à Stalingrad en février 1943, largement commentée sur la radio de Londres, très écoutée en Normandie. Ces succès des alliés firent renaître l'espoir d'une défaite possible du Reich hitlérien.

Les actions de résistance auxquelles participèrent ces postiers ne présentèrent pas, elles non plus, un caractère uniforme. Il exista deux grands types de résistance pratiqués par les agents des PTT ayant appartenu aux F.F.I. de l'Eure. Le plus répandu se rattachait à l'activité générale de la Résistance et se déroulait à l'extérieur des PTT. Le second était ce que l'on a nommé dans cette étude la Résistance PTT. La spécificité de cette dernière tenait au fait qu'elle mobilisait en priorité des agents des PTT parce qu'elle s'effectuait sur le lieu de travail (détournement de courrier, surveillance téléphonique...) ou parce qu'elle nécessitait de mettre en œuvre des compétences professionnelles propres à certaines catégories de personnel des PTT, comme dans le cas des coupures de lignes souterraines de télécommunications à grande distance.

Mais les postiers appartenant à la Résistance PTT participèrent également à d'autres actions de résistance menées hors de l'administration, en particulier lors des combats de la Libération qui réunirent les agents des PTT résistants dans une lutte commune contre les Allemands. Au terme de cette étude, nous voudrions conserver des postiers résistants de l'Eure cette image marquée, d'un côté, par la grande diversité des personnes et des expériences qu'elles vécurent durant l'Occupation et, de l'autre, par une profonde unité, fondée sur une opposition irréductible au nazisme et un vif désir de rétablir la démocratie et les libertés, bafouées à de multiples reprises pendant la période. Quarante ans plus tard, c'est le souvenir de ce caractère double que se plaisent à évoquer les anciens résistants. Pour l'illustrer, terminons sur ces paroles d'Henri Le Veillé qui nous déclarait, en juillet 1984, que ce qui l'avait énormément frappé pendant la Résistance avait été de voir unis dans un même combat des gens qui, en toute autre circonstance, se seraient trouvés opposés.

Henri Le Veillé

Je voudrais vous dire comment je suis devenu résistant (réseau Action-PTT, responsable de la Normandie).

J'ai été enfermé en 1939, ayant été signalé comme propagandiste révolutionnaire ; je n'ai appartenu à aucun parti politique, j'étais simplement responsable de la C. G. T. pour la Normandie avant la guerre. Nous étions deux dans ces conditions-là. Grâce au général Noguès, général du Maroc, qui nous a envoyés au brevet de chef de section, nous avons été libérés.

Je suis revenu en France au mois de septembre 1940. Arrivé chez moi, à Caen, c'était la première fois que je voyais des Allemands ; ils nous bousculaient. Je n'avais pas 78 ans et n'étais pas disposé à accepter leur façon de se conduire; je suis entré de suite dans le bain. Le lendemain, je vais faire une étude de téléphone à la maternité de Bénouville. La directrice, Mme Léa Vion, me dit : " Le Veillé, que pensez-vous du maréchal Pétain ?

- Rien de bien ; moi qui suis conseiller municipal, je refuse de siéger devant son portrait, je l'ai écrasé contre le mur en disant : " je refuse de siéger devant le portrait d'un mannequin ".

- Et les Allemands ?

- Encore moins de bien.

- J'ai besoin de vous, restez manger avec moi ce midi. "

Elle m'explique qu'elle appartient au 2e bureau (réseau A. V.).

J'avais un ami qui était au parti communiste ; moi je n'y étais pas, mais le pauvre vieux était recherché. Je vais voir Léa, et lui dis : " J'ai un copain qui a un faux nom, il s'appelle André, il est du parti communiste et risque de se faire arrêter, il faudrait que vous le gardiez ". " Ah ! M. Le Veillé, vous vous rendez compte, il faut bien que ce soit la Résistance, pour que moi qui suis royaliste, je cache un communiste ! "

Ayant des armes chez moi, je lui demandai de venir les chercher pour les mettre à l'abri. J'ai voulu l'accompagner, mais elle m'a répondu : " Vous avez des enfants, moi je ne suis pas mariée, je vais y aller seule ". J'ai chargé le tout dans sa voiture. À la maternité, elle a fait cacher les armes sous la chapelle, si bien que, le dimanche matin, le curé bénissait les armes et les explosifs...

À ce moment-là, je suis entré dans la Résistance, à l'A. V., moi qui n'étais pas croyant, après Confrérie Notre-Dame et O.C.M. ; nous n'étions pas sectaires. Les réseaux m'ont demandé de former un groupe en Normandie afin de leur fournir des renseignements sur les PTT et les services techniques.

Au début de 1942, j'ai eu la visite de Simone Michel-Lévy qui m'était envoyée par Ernest Pruvost. Elle se faisait appeler Mlle Flaubert et venait me parler du livre Salambô... Pruvost, Maurice Horvais et Simone Michel-Lévy venaient de former le réseau Action-PTT auquel j'ai adhéré. Le premier maquis est celui de Saint-Clair dans le Calvados. Il a été formé grâce à Maurice Horvais, qui m'a envoyé Jean-Renaud Dandicolle, venant du B. C.R.A. de Londres. Il était camelot du Roi, et venait organiser un maquis en dehors des côtes ainsi que les parachutages; il m'a dit : "Henri, quand la guerre sera finie, toi le grand syndicaliste et moi le royaliste, qu'est-ce qu'on se mettra tous les deux ! ". Le pauvre vieux a été tué pendant le débarquement, voilà un gars qu'il fallait respecter.

Quand Pruvost, chef national du réseau Action-PTT, a été détecté par la Gestapo, il est parti dans la Manche, où il a formé le maquis de Beaucoudray avec Marcel Richer et Crouzot qui était le patron du service technique.

Clotilde Habozit

En 1940, je me trouvais à Commercy, dans la Meuse, et depuis avril-mai, les soldats français arrivaient en masse. C'était surtout des Alsaciens. Il y avait des bombardements intensifs, tous les jours, qui faisaient de nombreuses victimes. Alors, réfléchissant sur mon inaction, je me suis dit : " Il faut quand même que tu rendes service quelque part, il faut partir ". Je me suis embarquée dans un convoi militaire le 10 mai. La nuit du 10 au 11 mai, le convoi s'arrête aux alentours de Beaune (Côte-d'Or). Vers une heure du matin, des cris nous apprennent que les Allemands sont là. Le chauffeur a pris toutes les petites routes et finalement nous sommes arrivés à Lyon. Je me suis arrêtée là parce que j'y avais de la famille, puis j'ai rejoint Privas. J'attendais ma mutation pour cette ville.

La situation militaire ne s'arrangeait pas. Dès juillet, des tracts me sont parvenus (j'étais militante syndicale C. G. T. de longue date) à une boîte aux lettres que je connaissais. Je les ai distribués. De juillet 1940 à avril 1942, mon activité s'est cantonnée à distribuer des tracts et à essayer de discuter avec des personnes favorables, parce qu'il fallait faire attention. Je ne m'étais certainement pas assez bien surveillée, car à six heures du matin, en avril 1942, la Gestapo est venue me chercher. La veille, ils étaient allés voir le receveur qui, tout bonnement, leur avait donné mon adresse sans bien sûr m'en avertir. Des maladresses de ce genre (il ne l'a pas fait seulement pour moi) lui ont valu huit jours de prison, à la Libération. Était-il inconscient, ou froussard ? Très maladroit surtout : il n'aurait pas dû faire des choses pareil-les, mais m'avertir.! À partir de cette date, j'ai cherché absolument à rentrer dans la résistance organisée, et j'y suis parvenue.

J'ai été arrêtée par la Gestapo qui m'a emmenée à la Kommandantur et interrogée de 7 heures à 22 heures. J'ai été accusée de distribution de tracts et d'appartenance au gaullisme. J'ai absolument tout nié, bien fermement et sereinement. Ils m'ont relâché à 22 heures, faute de preuves valables ; j'étais assez tranquille, n'ayant pas de tracts ni dans mon sac ni dans mes poches ni chez moi.

La résistance organisée, je n'y suis entrée qu'en mars 1943, car il fallait faire attention où l'on mettait les pieds. J'ai été convoquée chez une amie, par le réseau Action-PTT, et incorporée comme PI dans les forces françaises combattantes le 15 mai 1943. J'avais pour tâche de créer un noyau PTT J'ai réussi à avoir quelques antennes au central téléphonique de Privas, beaucoup d'aide des opératrices qui me donnaient de nombreuses informations grâce aux écoutes bien sûr. La surveillante me donnait la permission de sortir si j'en avais besoin; je n'avais qu'à l'avertir et je partais.

Je dois dire que j'ai travaillé en Ardèche, uniquement avec les F.F.I. La classe 42 ayant été destinée entièrement aux S.T.O., beaucoup de jeunes arrivaient en Ardèche étant donné que cette région a un relief vraiment favorable pour installer des maquis. Je suis donc devenue agent de liaison, recevant maquisards, prisonniers évadés, distribuant cartes de pain, fausses cartes d'identité, transportant des grenades, donnant beaucoup de renseignements, grâce aux écoutes clandestines. Nous avons ainsi évité beaucoup de massacres de maquis. Mon mari était également entré dans la Résistance peu après moi et constitua une compagnie de sédentaires : une cinquantaine de résistants du village, requis pour faire sauter les ponts, les voies de chemin de fer, et pour faire exploser les convois allemands, etc.

La route principale qui rejoint Privas à la vallée du Rhône, au Pouzin, longe une rivière, l'Ouvèze, entre deux bordures de rochers et d'arbrisseaux, abris sûrs pour les maquisards, qui souvent anéantissaient les convois allemands. Ces résistants étaient immatriculés dans la compagnie 7103. Outre ces attributions, nous recevions des camions d'armes et des cartons de tabac qui étaient distribués aux maquis. Inutile de dire que c'était dangereux, car notre habitation était sur la route; on déballait les armes et le tabac en pleine route, et vite, ça entrait dans un garage. Mais, malgré tout, il fallait bien un quart d'heure. On a reçu au moins dix camions de trois tonnes d'armes. Heureusement, nous n'avons jamais été dénoncés.

Privas a été libérée le 12 août. Les télécommunications ont réussi à dériver, à partir de la fin juillet, les lignes de l'état-major qui siégeait à Vals-les-Bains, à 40 kilomètres de Privas. Dès lors, quand il y avait un mouvement des troupes allemandes, les maquisards se portaient dans leur direction. À la veille du débarquement du 6 juin 1944, j'habitais Coux, à trois kilomètres de Privas, un petit village de trois cents habitants environ. Le 5 juin, un milicien est abattu dans notre commune. Notre maison se situait en bordure de la route nationale et l'arrière surplombait la rivière de l'Ouvèze de plus de 50 mètres. Une seule sortie sur la route, au rez-de-chaussée, un garage à droite, fermé et désaffecté, une montée d'escalier et, à gauche, l'agence postale du village. La gérante recevait très souvent des Allemands. Depuis six mois, par crainte d'être dénoncés pour les multiples actions que nous menions, nous ne couchions plus chez nous, mais en face, chez ma belle-mère. Sa maison avait une sortie sur la montagne : en cas de recherche, on pouvait fuir. Le 6 juin, à 5 heures du matin, trois camions bourrés d'Allemands débarquent avec des chiens devant nos deux maisons. Or nous avions tous les dossiers documents de la compagnie 7103, groupe Politzer, que mon mari avait constitué. Ces documents étaient cachés sous les tuiles de notre maison, en face. Nous avions également dissimulé trois mitraillettes dans le jardin de ma belle-mère, sous des tôles et des branchages, et deux gros cartons de tabac, reçus la veille, étaient entreposés dans le garage devant lequel une vingtaine d'Allemands stationnaient. Nous avions également une réserve d'essence dans une cave du village.

Après quelques minutes d'effroi, nous avons retrouvé le calme et la réflexion indispensables à l'action pour s'en sortir. Aussitôt débarquée, la centaine d'Allemands se disperse dans le village ; tous les hommes sont arrêtés et conduits à la mairie, tandis qu'une quinzaine d'officiers montaient la garde entre nos deux maisons, et sur un pont traversant l'Ouvèze, qui se trouve juste au pied de la nôtre. Ils y installèrent un poste d'observation, avec une grosse lunette sur pied, plusieurs fusils mitrailleurs et des chiens.

J'ai traversé la route une première fois, les bras ballants, sans être interpellée par la vingtaine d'Allemands stationnés devant ma porte d'entrée. Après avoir récupéré tous les documents, je les ai mis dans un arrosoir et j'ai traversé la route à nouveau. Je suis montée au jardin de ma belle-mère, surélevé, bien en vue, et nous avons enfoui le paquet dans une tranchée que mon mari avait creusée dans un carré de haricots.

Les mitraillettes furent retirées de leur cachette en rampant pour ne pas être aperçus. Nous avons pu les dissimuler dans une citerne assez proche avec des branchages secs et des vieilles tôles. Restait le tabac... Le local de l'agence postale avait une porte qui communiquait avec le garage où se trouvaient les deux grands cartons de tabac (80 X 80 X 1 m). Après beaucoup d'hésitations, j'ai expliqué à la gérante (qui, comme je l'ai dit, recevait souvent les Allemands) que j'avais besoin de ses services : je devais faire disparaître deux cartons de tabac ; pour ce faire, il fallait qu'elle m'ouvre la porte qui donnait dans le garage, qu'elle me donne des sacs postaux numéro 5 petit modèle, et me laisse le libre accès de la fenêtre de sa cuisine pour les envoyer, pleins de tabac, sur le bord de la rivière, dans les arbrisseaux. Elle était effarée... Je l'ai un peu menacée et, plus morte que vive, elle m'aida à remplir les sacs et à les ficeler. J'ai envoyé une dizaine de sacs par la fenêtre, au vu de nombreux Allemands qui circulaient sur le pont et observaient en permanence avec de grosses jumelles. Le dernier sac est tombé sur une murette où il était visible à l'œil nu du pont. J'ai été obligée de descendre à la rivière par un sentier de chèvres pour le déplacer.

En remontant, j'ai trouvé mon logement occupé par une dizaine d'Allemands avec quatre gros chiens. Ils ont tout fouillé : armoires, placards... N'ayant rien trouvé de compromettant, ils sont partis pour perquisitionner chez ma belle-mère qui tenait un café. Pendant ce temps, mon mari était emmené à la mairie.

De leur poste d'observation installé sur le pont, les Allemands ont aperçu un homme sur un arbre, à 500 mètres à vol d'oiseau, qui observait les allées et venues allemandes. Ils ont tiré au fusil mitrailleur. Un commando et deux chiens sont partis immédiatement à sa recherche ; une demi-heure après, il était arrêté. C'était mon beau-frère, qui avait fui dès leur arrivée; il n'ignorait pas ce que nous faisions, et que nous étions dans la Résistance, mais il ne connaissait aucun détail. Il était transporteur. Son garage est fouillé; une batterie en rechargement s'y trouve. Accusé d'aide au maquis, il est emmené immédiatement à Privas, au siège de la Gestapo. Nous sommes restés quinze jours sans nouvelles. Inutile de dire que nous n'étions pas tranquilles; s'il avait été torturé, aurait-il parlé ? Il est revenu après quinze jours d'interrogatoire, mais il n'avait rien dit. Dans l'après-midi, les fouilles ont continué dans le village. Vers 20 heures, tous les hommes parqués à la mairie avaient été libérés; la terreur cessait dans le village, le calme revenait.

C'était le 6 juin 1944, le jour du débarquement, qui fut aussi, pour notre famille, le jour le plus long. En définitive, nous avons eu de la chance. Après cette expédition, nous avons changé de résidence bien sûr, de dépôts, de mots de passe. De multiples précautions devaient être prises jusqu'au 12 août, date à laquelle Privas fut libérée, dans la liesse pour la Résistance, dans la honte pour les miliciens et les collaborateurs.

Rolande Trempé

Je remercie notre amie Clotilde Habozit. Les femmes sont ainsi : elles ont fait des choses aussi belles, aussi grandes, aussi difficiles que les hommes, mais elles ne l'ont pas dit. Je répondrai à Bernard Fainzang qui a essayé de trouver une explication au constat qu'il a fait : il y avait 48 hommes et pas une femme postiers qui étaient des résistants au maquis F.F.I. Je ne crois pas qu'on puisse juger l'activité des postiers à leur appartenance à un maquis quel qu'il soit, de quelque tendance que ce soit. Nous avions tous des formations différentes, des cultures différentes, des options différentes. Tant en politique qu'en religion, qu'en philosophie. Mais ce n'est pas ça qui déterminait tout, et quand on cherche pourquoi les femmes ont occupé une place moins visible dans la Résistance, il y a des raisons.

Il y a bien sûr des héroïnes, des femmes qui ont eu la malchance d'être arrêtées, déportées, exécutées. Beaucoup de femmes ont pu passer à travers, ou à côté, pour des raisons qui sont spécifiquement dues à leur situation de femme. Les femmes des PTT qui étaient des travailleuses, étaient aussi des mères de famille, des épouses. Elles étaient à la fois occupées par leur métier et par leur famille. Elles n'étaient en aucun cas réfractaires. Au départ, elles n'avaient pas cette raison d'aller se cacher dans un maquis. Elles n'auraient pas été plus efficaces en s'en allant au maquis, au contraire, elles étaient plus efficaces en restant dans leur maison ; d'ailleurs, elles ne pouvaient pas faire différemment : même s'il y avait des risques, une femme résistante était obligée de garder ses enfants jusqu'au bout, parce que, quand elle disparaissait, il fallait que quelqu'un d'autre s'en charge. Mais quand elle était une travailleuse des PTT, et qu'elle était résistante, à la fois elle devait faire l'un et l'autre. Et il fallait à tout prix qu'elle garde cette possibilité, qui n'appartenait qu'à elle, d'entrer tous les jours dans la " cage " qu'est un bureau de poste, dans lequel elle trouvait ses instruments de travail, pour saboter les circuits, pour écouter les conversations, pour arrêter les lettres, pour renseigner les maquis et les résistants. Or les femmes, même après la Libération, ne s'en sont pas vantées pour les raisons que je viens d'indiquer. On dit que les femmes sont bavardes, on a bien vu ici qu'elles ne sont pas tellement bavardes puisque dans la salle il y a autant de femmes que d'hommes, et il n'y en a que deux qui sont intervenues. Ce n'est pas parce que nos amies n'ont rien à dire, ne le croyez pas.

Quand une femme donnait des renseignements aux résistants, ils les prenaient, mais ils n'avaient à aucun moment l'idée de nous proposer à nous, femmes, d'entrer dans les maquis, et là je rejoins la réflexion que faisait notre amie, parce que c'était des femmes. Je voudrais rapidement citer quelques exemples d'actions, sans aller dans le fond des problèmes. Quand une femme traverse un village, avec des armes dans une charrette d'herbe, pour les déplacer, au service d'un maquis, on n'en fait pas un miracle; elle a traversé, bien, il fallait que ce soit une femme, cela se remarquait moins qu'un homme ; elle a réussi, c'est tout. Quand les femmes faisaient des déplacements pour aller chercher le linge des maquisards, et le leur rapportaient lavé et raccommodé, elles risquaient beaucoup; elles le faisaient, c'était des femmes, il fallait bien. Quand on fait trente kilomètres en montagne pour prévenir un maquis qu'il est menacé parce qu'il y a eu délation et qu'il va être investi par la brigade de gendarmerie du village, ça non plus ce n'est pas grand chose, n'est-ce pas... Et quand il faut traverser les barrages allemands, heureusement que la postière qui le fait a le brassard avec les fameux éclairs, et qu'elle a aussi les ausweis pour passer, parce que c'est une postière, elle porte un télégramme, elle va ici, elle va là, on la laisse passer. C'est une femme, bien sûr elle pouvait le faire. Et quand elle indique aux maquisards les emplacements des mitrailleuses qui barrent certains passages d'entrée et de sortie de la ville, pour qu'ils choisissent un autre passage, plus discret, c'est aussi tout à fait normal, on accepte le renseignement, on n'en fait pas une combattante. Quand une femme explique aux maquisards comment on va saboter, couper les circuits téléphoniques, sans les détruire, c'est précieux, c'est un travail de technicien, les techniciens l'ont fait ; mais quand c'est une femme, ce n'est pas remarquable. C'est normal, on prend le renseignement. Quand elle prévient les maquisards dans les bistrots de campagne : " Sauvez-vous vite, arrêtez de boire la bière, c'est pas le moment, il y a les Allemands qui arrivent ", elle leur sauve la vie, c'est normal. Il y en a qui ont même toujours oublié de dire merci... Quand un homme se livrait à ce genre d'exercice, immédiatement, les chefs du maquis disaient : " On tient ce renseignement de celui-là, on va aller lui proposer d'entrer dans le maquis ". Et oui. Il entrait ou il n'entrait pas, restait à la maison ou pas, mais ils le considéraient comme un F.F.I., comme un F.T.P., comme un membre du maquis. Il est sûr que, pour une femme, commander le feu à des maquisards sur un camion de 80 Allemands armés qui arrivent, c'est un acte de guerre, mais ce n'est pas considéré comme ça parce que c'est une femme qui le fait. Saboter des circuits allemands qui commandaient la circulation des chemins de fer entre Besançon et Belfort, ça n'implique pas la sollicitation à entrer au maquis. Voilà, c'est ça les femmes. On ne peut pas dire autre chose, et en plus, peut-être que les femmes de cette génération-là, comme les hommes de cette génération-là, les postiers peut-être, comme tous les employés de la fonction publique, avaient eu une culture de l'école primaire qui leur avait appris les valeurs de l'école républicaine. Les valeurs fondamentales de la Révolution française, nous y croyions. Nous avions prêté serment les uns et les autres. Nous y croyions. Et notre conscience se rebellait, et nous avons dû lutter, réfléchir, et surmonter des appréhensions, des cas de conscience, pour faire les choses que nous avons faites, parce que nous ne nous reconnaissions pas le droit d'écouter les communications et de les répéter, nous ne nous reconnaissions pas le droit d'ouvrir des lettres et d'aller prévenir, c'était difficile, il fallait choisir; j'ai entendu quelqu'un dire: " Entre deux devoirs, on a choisi le devoir supérieur ". C'est vrai que c'est ce que nous avons fait, et pour toutes ces raisons-là, les femmes postières ont agi comme tout le monde, elles ont agi, mais elles ne l'ont pas dit. Je crois que, pour ma part, je dois le dire ici, ça m'aurait été dur peut-être d'en parler ailleurs, c'est la première fois que je parle de ces choses-là, depuis 40 ans. Mais je crois que nous avons le devoir, à l'âge que nous avons les uns et les autres, de ne pas garder tout ça pour nous, c'est la mémoire collective d'une nation, cela fait partie de l'héritage national. Et il est peut-être temps de le dire, de l'écrire, pour pouvoir le transmettre à nos descendants, c'est une propriété nationale et nous n'avons peut-être pas le droit de la garder pour nous.