PREMIÈRE PARTIE

LE SOLDAT

Le soldat mesure la quantité de terre où un peuple ne meurt pas.

Charles Péguy.

J'aime mieux forger mon âme que la meubler.

Montaigne.

I

ENFANCE ET JEUNESSE

J'aurais été soldat si je n'étais poète.

V. Hugo.

C'est à Lille, ville frontière sur la route des invasions, que Charles de Gaulle est né, le 22 novembre 1890, vingt ans après la défaite de 1870. Second fils d'Henri de Gaulle, il reçoit à sa naissance les prénoms de Charles-André-Joseph-Marie. Son père, admissible à l'École polytechnique, avait, à la suite d'un revers de fortune, dû renoncer à la carrière des armes. Il n'en prit pas moins part, comme lieutenant dans les Mobiles de la Seine, aux combats de 1870, et fut blessé durant le siège de Paris. Malgré son âge avancé, il reprit du service en 1914 comme chef de bataillon au service des transports. Professeur de philosophie et de littérature, il devait être en 1901 nommé préfet des études au Collège des Jésuites, rue de Vaugirard, à Paris, et allait y connaître une popularité méritée. Le grand-père de Charles, Julien-Philippe de Gaulle, dont la famille avait été ruinée par la Révolution, s'était consacré à des travaux d'érudition qui lui valurent l'estime de ses contemporains. La Société d'Histoire de France lui avait confié la mission de publier, d'après des manuscrits demeurés inédits, La Vie de Saint Louis par Lenain de Tillemont. Julien-Philippe de Gaulle avait une épouse dont l'activité littéraire n'était pas négligeable. Elle a laissé une vie du patriote irlandais 0' Connell.

Issue d'une lignée parisienne de procureurs et d'avocats du Roi, la famille de Gaulle s'était fixée en Flandre au cours du XIXe siècle. Le fils aîné de Julien-Philippe, Charles, oncle du général, avait caressé le rêve de constituer une union des Celtes du monde entier. Peut-être est-ce d'une aïeule irlandaise, née Mac Cartan, que cette famille tient son penchant pour les études gaéliques.

C'est dans ce milieu studieux, cultivé, croyant, que se forme la jeunesse du futur chef des Français combattants. Mais, dès l'enfance s'affirme impérieusement sa vocation militaire. Avec son frère aîné, Xavier, ses cadets Jacques et Pierre, et sa sœur Marie-Agnès, sa distraction favorite, c'est de jouer au soldat. En cela, les années d'apprentissage d'un Charles de Gaulle ne diffèrent guère de celles d'un Churchill. A 13 ans, dans la propriété de ses parents, à la Ligerie, en Dordogne, bien avant le scoutisme, il organise en équipe d'éclaireurs de jeunes paysans qu'il entraîne à des expéditions dans la montagne. Cependant, cet enfant, qui déjà s'exerce à la dure bataille d'homme, ne se montre pas indifférent aux lettres, à la philosophie. Si Montaigne, La Rochefoucauld, Pascal sont parmi ses auteurs préférés, il n'ignorera ni Shakespeare ni les philosophes allemands. Sa culture sera celle d'un humaniste autant que celle d'un soldat. Sa vaste curiosité, son sens de l'humour lui permettront de goûter une boutade d'Ubu-Roi non moins qu'un vers de Gœthe. Il a déjà, par-dessus tout, un cœur ferme, que nulle adversité ne brise. Mais il est opiniâtre au point que " le seul moyen de le plier c'est de le piquer d'honneur ". Une passion unique dominera sa vie : la France. C'est à elle qu'il entend vouer toutes ses forces et toute son intelligence. Ce n'est point là, quoi qu'on dise, une ambition vulgaire. Celui qui se sent appelé au dur métier de chef, ce n'est pas seulement sa vie qu'il offre à tout instant, mais son bonheur. Il sait qu'à se tenir en dehors des autres, il se prive " de ce que l'abandon, la familiarité, l'amitié ont de douceurs ". Comme le Moïse de Vigny, il se voue à la solitude...

Au cours des années de son adolescence, Charles de Gaulle souffre de voir sa patrie toujours menacée par les dangers extérieurs et toujours minée par les divisions intérieures. Il voit la France isolée en face de la Triplice. Il note tristement cette sorte de doute de soi-même qui envahit un peuple humilié par la défaite, énervé par la polémique. Ainsi qu'il l'écrira plus tard lui-même 1, " ce qu'il y a de plus élevé dans la pensée française se détourne des sources nationales. Kant, Fichte, Hegel, Nietzsche enseignent en Sorbonne par per-sonnes interposées. L'aile marchante du mouvement social, dédaignant Fourier, Proudhon, Le Play, Blanqui, s'enrôle sous la bannière de Marx. Cette rétraction de l'ambition nationale ne peut manquer d'entraîner des conséquences militaires... Plus grave, depuis le Boulangisme, est la méfiance des politiques à l'égard de l'état-major. Enfin les masses ouvrières, dont le nombre et la cohésion s'accroissent avec la grande industrie, renient maintenant cette sentimentalité guerrière qui, jusqu'à la Commune incluse, colorait la Révolution. Une notable fraction du peuple adhère à l'Internationale... Tant de griefs de détail ne font pas une grande querelle. Mais l'affaire Dreyfus survient. Par une sorte de fatalité, au moment même où l'esprit public tend à s'éloigner de l'armée, éclate la crise la plus propre à conjuguer les malveillances. Dans ce lamentable procès rien ne va manquer de ce qui peut empoisonner les passions !... "

Charles de Gaulle a quinze ans au moment d'Agadir. Cette époque d'incertitude est aussi, il le sait, celle de la vigilance d'un Poincaré, d'un Lyautey, d'un Foch, d'un Mangin, " celle du renouvellement de la spiritualité française avec Boutroux et Bergson, celle du rayonnement secret d'un Péguy, celle où la jeunesse française, avec Barrès, reprend conscience des valeurs nationales. " La résolution de supporter tous les sacrifices pour éviter une nouvelle défaite domine désormais l'opinion.

Dans La France et son Armée (p. 212) C. de Gaulle souligne avec clairvoyance les fautes et les erreurs commises au cours de ce procès : " Vraisemblance de l'erreur judiciaire, qu'étayent les faux, inconséquences, abus commis par l'accusation, mais que repoussent avec horreur ceux qui, par foi ou par raison d'Etat, veulent tenir pour infaillible une hiérarchie consacrée au service de la patrie. "

Charles de Gaulle croit au caractère, vertu des temps difficiles. Il a la passion de vouloir. Non qu'il soit inconscient des risques ou dédaigneux des conséquences; mais il les mesure de bonne foi et les accepte sans ruse... C'est du caractère, il le dira plus tard, que procède l'élément suprême, la part créatrice, le point divin, à savoir : le fait d'entreprendre. C'est à ce prix que l'armée fera disparaître ce qu'il y a de compassé dans ses méthodes, de différé dans ses décisions, de rigide dans ses procédés, et qui risquerait à la longue de l'exiler de son temps, d'écarter d'elle les meilleurs... En cherchant trop exclusivement à s'endurcir, à s'affermir, à contrarier la nature, à se priver de toute douceur, sans doute ce jeune officier, formé par la lecture de Corneille et de Vigny, risque-t-il de se raidir, de se tendre à l'excès, de s'isoler, de devenir étranger au commun des hommes, de paraître inhumain. Et sans doute un garçon moins pondéré risquerait-il aussi d'être entraîné par le courant d'un nationalisme exagéré. Mais, s'il sait qu'il est des heures où, selon le mot de Bernard Lazare, le nationalisme est une forme de l'esprit de liberté, il sait aussi que ce qui fait le prix de la culture française, c'est son caractère d'universalité.

" La difficulté attire l'homme de caractère, car c'est en étreignant qu'il se réalise lui-même. " Charles sera soldat. Appelé aux armes par l'écho des grands souvenirs, il est au nombre de ces jeunes hommes qui se savent engagés dans une carrière sans éclat. Il appartient à ces générations d'officiers qui acceptent avec orgueil une vie pénible, de pauvres soldes, un avancement ridiculement lent. Pourtant, il possède déjà l'élan qui galvanise les efforts. Il sait qu'épurée par l'épreuve, l'armée française travaille à se recréer, à retrouver sa flamme, à lier d'une passion commune les volontés divergentes.

II

LES ANNÉES D'APPRENTISSAGE

On dit que la jeunesse est l'âge du plaisir; ce n'est pas vrai : la jeunesse est l'âge de l'héroïsme.

P. Claudel.

À Saint-Cyr, Charles de Gaulle ne passe pas inaperçu. Ce n'est pas seulement par sa haute stature, sa réserve et sa prestance que " ce grand jeune homme pâle " attire tous les regards : on ne tarde pas à reconnaître en lui
les dons qui, selon le mot de Hugo, font le chef : concision dans le style, précision dans la pensée, décision dans la vie. Il a déjà sa légende.
Ses camarades le surnomment " le Coq " et " le Grand Charles ". On le dit fier ; il n'est encore que timide. Il se montre à la fois vif et laborieux, discret et distant, emporté quoique d'ordinaire maître de soi: en un mot, non moins raisonnable que passionné, non moins méthodique qu'intuitif, si bien qu'à son sujet, les uns parleront un jour de Descartes, les autres de Bergson. Il se réclamera lui-même - tour à tour de chacun de ces philosophes. Et l'on sait que le second tiendra en très haute estime le jeune théoricien de l'armée de métier '. En 1911, Charles de Gaulle sort de Saint-Cyr avec le grade de sous-lieutenant. L'arme vers laquelle vont dès lors ses préférences est celle du fantassin: il entre au 33e régiment d'infanterie sous le commandement du colonel Pétain. Ainsi se trouvent déjà rapprochés deux noms que l'avenir se chargera d'unir ou d'opposer plus d'une fois.

Quand la guerre éclate, Charles de Gaulle, qui n'a pas 24 ans, est déjà lieutenant; il part pour le front et, le 15 août 1914, il reçoit sa première blessure, à Dinant, sur la frontière belge. Nous le retrouvons, à peine rétabli, sur le front de Champagne où, en mars 1915, à Mesnils-les-Hurlus, il est blessé une seconde fois. Sa conduite valeureuse lui vaut d'être appelé au commandement d'une compagnie ; il prend part à la bataille de Verdun et s'illustre parmi les défenseurs du Fort de Douaumont. C'est là que, le 2 mars 1916 - alors qu'après un effroyable bombardement, l'ennemi attaque le bataillon de toutes parts - cet officier, déjà renommé pour sa haute valeur intellectuelle et morale, entraîne sa compagnie à la contre-attaque dans un combat furieux et un corps à corps farouche, seule solution qu'il juge compatible avec l'honneur militaire. Au milieu de la mêlée, il se trouve précipité à terre par l'éclatement d'un obus lourd. Il perd connaissance. Grièvement blessé, il est recueilli par une patrouille ennemie, soigné dans une ambulance et conduit prisonnier en Allemagne. Tans la citation que lui a valu ce haut fait d'armes, Pétain le déclare " un officier hors de pair à tous égards ". C'est ce même officier, dont il aura bien d'autres occasions d'apprécier l'exceptionnelle valeur, que Pétain fera dégrader et condamner à mort en 1940.

Captif, Charles de Gaulle n'est pas homme à demeurer dans l'inaction. Il médite. Il lit avec méthode. Il perfectionne sa connaissance de la langue et de la littérature allemandes. À cinq reprises, ses tentatives d'évasion lui valent les honneurs de la forteresse et du camp de représailles. C'est à Ingolstadt et à Magdebourg qu'il passe, dans un cachot noir, la majeure part de ses trente-deux mois de détention. Il parvient à creuser dans le ro-cher un long tunnel. Le voici tout à coup à l'air libre, en pleine campagne. Il entrevoit la délivrance. Mais non : sa taille herculéenne le désigne à l'attention, jusque parmi les Prussiens. Il est repris par ses gardes. En dépit de son endurance, sa santé se ressentira (les mauvais traitements qu'on lui fait subir.

C'est au cours de sa captivité que le capitaine de Gaulle fait la connaissance du commandant Catroux, de celui-là même qui, général d'armée et gouverneur de l'Indochine, sera le premier à répondre à son appel de 1940 et demeurera le plus ferme de ses conseillers.

Vient l'armistice : Charles de Gaulle, libéré, se retrouve parmi les siens. A peine a-t-il goûté le retour au foyer qu'il repart pour la Pologne, dans la mission du général Niessel. Au cours de la défense de Varsovie en 1920, il sera cité à l'ordre du jour par Weygand: c'est sa quatrième citation. En 1922, chargé de mission dans les pays du Levant, il visite l'Égypte et l'Irak, séjourne à Damas, Alep et Bagdad, se tient en contact étroit avec les chefs de l'armée de Syrie. Cette expérience des terres d'Islam lui sera précieuse un jour.

De retour à Paris, en 1924, il fait un stage d'un an à l'École de guerre. Les études y sont alors dirigées par le général Moyrand, partisan d'une tactique défensive à laquelle est attaché le nom de méthode a priori. " Il semble, écrira plus tard Charles de Gaulle, que l'esprit militaire français répugne à reconnaître à l'action de guerre le caractère essentiellement empirique qu'elle doit revêtir. Il s'efforce sans cesse de construire une doctrine qui lui permette, a priori, d'orienter l'action et d'en concevoir la forme, sans tenir compte des circonstances qui devraient en être la base. Il y trouve, il est vrai, une sorte de satisfaction, mais dangereuse, et d'autant plus qu'elle est d'un ordre supérieur. Croire que l'on est capable d'éviter les périls et les surprises des circonstances et de les dominer, c'est procurer à l'esprit le repos auquel il tend sans cesse, l'illusion de pouvoir négliger le mystère de l'inconnu. " Or, le général Moyrand, porté par son goût de l'abstraction et du système, frappé par l'avantage extrême que peuvent présenter, dans certains cas, des positions choisies d'avance (champs de tir étendus, où l'on serait en mesure de disposer, dans de bonnes conditions, de feux d'infanterie puissants), en vient à préconiser un procédé applicable à toutes les circonstances; quelles qu'elles soient, on prend position sur un terrain choisi d'avance, où l'ennemi sera détruit par le feu dès qu'il prétendra livrer bataille. Choisir un seul fait, si considérable qu'il soit, pour en tirer une règle générale d'action, c'est, au jugement de Charles de Gaulle, d'une exagération mortelle. Une doctrine construite dans l'abstrait rend aveugles et passifs les chefs qui, en d'autres temps, ont pu faire preuve d'expérience et d'audace. Elle ne peut que conduire à des désastres dont la brutalité sera proportionnée à l'arbitraire de la théorie. C'est d'une thèse semblable que naîtra plus tard le système défensif de la ligne Maginot. Charles de Gaulle, cependant, ne se fie pas aux doctrines qui postulent l'ingénuité radicale de l'adversaire: à ces procédés par trop simplistes il oppose la méthode de circonstances.

Au cours du " voyage tactique " qui, vers la fin des études, met aux prises, dans une bataille feinte, des groupes opposés, l'honneur de commander " le parti bleu " échoit en 1925 à Charles de Gaulle. Sans se soucier de la doctrine officielle, il applique ses propres vues : il est vainqueur. Moyrand, lequel n'est pas sans avoir pour lui quelque secrète sympathie, se voit forcé de reconnaître un succès qui infirme son enseignement ; tout en félicitant le vainqueur, il insinue que la victoire n'a été remportée qu'en vertu des principes mêmes de la méthode a priori, dont Charles de Gaulle conteste la valeur. De Gaulle ne se laisse pas intimider : il maintient que l'avantage revient à ses propres conceptions. Moyrand s'emporte. Le débat revêt bientôt une portée si grande que le chef suprême de l'Armée en est informé. Celui-ci n'est autre que Pétain. Il donne à de Gaulle l'occasion de s'expliquer. Ayant entendu son récit, il exige de lui un rapport détaillé. Frappé de l'argumentation logique et serrée du jeune tacticien, Pétain le fait nommer chargé de cours à l'École de guerre, dont il est frais émoulu. " Pourquoi, demande Philippe Barrès, Pétain, ayant compris le problème, n'a-t-il pas su donner à celui qui défendait la solution juste l'appui de son autorité ? " Toutes les difficultés futures que Charles de Gaulle rencontrera dans sa carrière sont en puissance dans ce premier conflit.

Combien de supérieurs hiérarchiques ou de collègues éprouveront un sentiment de gêne ou d'inquiétude en présence de cet officier dont le général Prételat a dit qu'il est " tourné vers l'intérieur et la méditation ".

Parce que, obscurément, on sent en lui quelque chose qui sort des catégories ordinaires, on le soupçonne, on le redoute, on l'envie - - on l'admire. Les uns lui reprochent sa hauteur, sa réserve, voire sa morgue. D'autres devineront sa fougue, le feu terrible qui brûle en lui.

Rares sont ceux qui pénétreront son secret, qui sauront voir dans ce jeune homme si distant, et si dur d'apparence, un cœur ardent, impétueux, sensible: un poète. C'est qu'à l'imitation des officiers dont parle Vigny, il a voulu s'enfermer dans un silence de trappiste ; car l'habitude du commandement l'oblige à remplacer une force brillante par un langage laconique. Il sait que l'ascendant naît du contraste entre la puissance intérieure et la maîtrise de soi. Cette " condamnation de soi-même ", dit Voltaire parlant de Charles XII, " cette privation qu'il s'impose sont une espèce d'héroïsme... "

Un écrivain qui rencontrera Charles de Gaulle , peu après sa sortie de l'École de guerre notera chez lui " quelque chose d'une réflexion qui semble couvrir le passé et l'avenir, une méditation résolue qui présage un sort peu commun ".

Ce jeune chef est déjà revêtu de " l'indéfinissable splendeur de ceux qui sont destinés aux grandes entreprises ".

III

UN PHILOSOPHE MILITAIRE
PÉRIL ET GRANDEUR DES ARMES

Entre les actions vertueuses, celles du politique ou de l'homme de guerre l'emportent sur les autres en beauté, en grandeur.

Aristote.

Le glaive sera toujours vaincu par l'esprit.

Napoléon.

En 1932, le commandant de Gaulle, nominé Secrétaire général du Conseil supérieur de la Défense, est chargé de mission à Beyrouth. La même année, il fait paraître à Paris le Fil de l'Épée. Dans cet ouvrage saisissant, il expose ses vues sur le caractère, vertu première du soldat ; sur la nature du prestige des armes et le véritable esprit de libre discipline ; sur les principes qui régissent l'action de guerre ; enfin sur les rapports du politique et du soldat, dont la dépendance réciproque demeure l'un des fondements essentiels de l'équilibre social.

Dans son précédent ouvrage, La Discorde chez l'ennemi, Charles de Gaulle avait mis à profit les observations faites au cours de ses trente-deux mois de captivité en Allemagne. Il eût voulu que la France tirât un enseignement des événements qu'il rapporte : " L'effondrement soudain d'un peuple fort et vaillant sert de témoignage, remarque-t-il, à la vengeance des principes outragés. " L'analogie manifeste entre les procédés des chefs prussiens vainqueurs eu 1870 et ceux des généraux allemands vaincus en 1918 lui permet de prouver qu'à la guerre, à part quelques principes essentiels, il n'y a pas de système universel, niais seulement des circonstances et des personnalités.

La défaite allemande n'empêche d'ailleurs pas le capitaine de Gaulle de rendre à l'ennemi l'hommage dû. Mais " l'étendue exceptionnelle des qualités de guerre du peuple allemand " nous permet aussi de mieux mesurer les erreurs que ce peuple a commises. Tirant parti des mémoires que publièrent, après l'issue de la lutte, la plupart des personnages allemands de premier plan, opposant leurs thèses, groupant leurs affirmations et leurs négations, Charles de Gaulle distingue les péripéties principales et se forme un jugement sur l'action des personnalités. Il souligne l'indiscipline de von Kluck, qui permit la victoire française de la Marne ; la lutte acharnée que mena von Tirpitz contre Bethmann-Hollweg pour le contraindre à proclamer la guerre sous-marine sans restrictions; la crise de gouvernement provoquée en 1917 par l'intrigue de Ludendorff ; enfin, à partir de juillet 1918, la discorde et le désastre. Analysant cette débâcle, après avoir loué l'obstination, l'endurance, la capacité de souffrir dont ce peuple a donné l'exemple, et qui lui vaudront l'admiration de ses adversaires, Charles de Gaulle montre que les chefs allemands, s'ils ont fait preuve de vigueur, de volonté, d'esprit d'entreprise, n'en ont pas moins laissé paraître certains défauts communs qui furent cause de leur perte : le goût des entreprises démesurées, le mépris des limites tracées par le bon sens, l'expérience et la loi. L'auteur suggère que, loin de combattre ou de dissimuler ces défauts, les généraux vaincus de 1918 les considérèrent comme des forces, les érigèrent en système, et que cette erreur a pesé d'un poids énorme sur les principales péripéties de la guerre. Il trouve dans leurs procédés l'empreinte des théories de Nietzsche sur l'Élite et le Surhomme. Il remarque :

" Le Surhomme, avec son caractère exceptionnel, la volonté de puissance, le goût du risque, le mépris des autres que veut lui voir Zarathustra, apparut à ces ambitieux passionnés comme l'idéal qu'ils devaient atteindre ; ils se décidèrent volontiers à faire partie de cette formidable élite nietzschéenne qui, en poursuivant sa propre gloire, est convaincue de servir l'intérêt général, qui contraint " la masse des esclaves " en la méprisant, et qui ne s'arrête pas devant la souffrance humaine, sinon pour la saluer comme nécessaire et comme souhaitable. Peut-être enfin, en méditant sur ces événements, voudra-t-on mesurer quelle importance revêt la philosophie supérieure de la guerre qui anime les chefs, et qui peut tantôt rendre vains les plus rudes efforts d'un grand peuple, tantôt constituer la garantie la plus générale et la plus sûre des destinées de la Patrie. "

Et il conclut :

" Cette étude aura atteint son but si elle contribue, dans sa modeste mesure, à porter nos chefs militaires de demain, suivant l'exemple de leurs victorieux modèles de la guerre récente, à pétrir leur esprit et leur caractère d'après les règles de l'ordre classique. C'est en elles qu'ils puiseront ce sens de l'équilibre, des possibilités, de la mesure, qui, seul, rend durables et fécondes les œuvres de l'énergie. "

On voit clairement par l'examen de ces textes que Charles de Gaulle n'a jamais eu d'inclination pour les doctrines nietzschéennes.

Certains ont, cependant, pu s'y méprendre.

Parce que ce soldat, élève des jésuites, montre un goût tout cornélien pour la volonté délibérante, les vertus viriles et la grandeur d'âme; parce que, dans ses premiers livres, il constate que " la perfection évangélique ne conduit à point à l'empire ", qu'il admet que l'homme d'action ne se conçoit pas sans une forte dose de dureté, voire de ruse; parce que le bonheur lui semble exclusif de la domination ; parce qu'il voudrait que la force fût toujours au service de la cause juste ; parce qu'en un temps de scepticisme et d'anarchie, il connaît tout le prix de l'autorité, du prestige et d'une discipline raisonnée ; enfin parce qu'on sent en lui la passion de vouloir et d'agir par soi-même, le désir d'imposer à l'action sa marque, on n'a pas manqué de voir en lui un ambitieux, un disciple de Nietzsche ou de Maurras. En vérité, pour ce soldat libéral, issu non d'une caste militaire, mais, comme les Bossuet, les Pascal, les Séguier, les Acarie, les d'Ormesson, d'une lignée de " parlementaires ", de légistes, de savants et d'érudits français, l'autorité et la liberté sont proprement inséparables. Il sait que si l'État despotique n'est pas viable, l'État purement libertaire n'est même pas concevable ; car la liberté qui combat l'autorité la désire pourtant et n'existerait pas sans elle. Il sait que les hommes ne se passent pas, au fond, d'être dirigés ; que ces animaux politiques ont besoin d'organisation, c'est-à-dire d'ordre et de chefs ; que la base de la discipline est dans l'ascendant de quelques-uns ; que les masses accordent aujourd'hui le crédit non à la naissance mais à l'audace de ceux qui savent s'imposer ; que si ceux qui manient la force française venaient à se décourager, il n'y aurait pas seulement péril pour la patrie, mais bien rupture de l'harmonie générale, et que des fous ou des furieux saisiraient la puissance échappée à ces sages.

Ce soldat qui trouve sa raison d'être et sa délectation dans une vocation de sacrifice et de misère, mais pour qui la gloire demeure, selon le mot de Milton, " un bel éperon ", il est bien trop français pour ne pas entendre dans son esprit et dans son cœur s'élever le dialogue qui, de Montaigne à Gide, en passant par Fénelon, perpétue en chacun de nous son antique débat.

" Les armes, confesse-t-il, furent de tous temps les instruments de la barbarie. Elles ont assuré contre l'esprit le triomphe de la matière, et de la plus pesante. Constamment la raison en fut opprimée, le jugement bafoué, le talent meurtri. Point d'erreurs qu'elles n'aient défendues, point de brutes qui ne les aient brandies. " - " Cependant, répond en lui l'autre voix, les lumières qui en ont jailli éclairèrent bien souvent le domaine de l'intelligence. À leur appel, la science et l'art ont ouvert aux humains des sources merveilleuses de connaissance et d'inspiration. Fin des plus hautes spéculations, objet des plus nobles recherches, elles ont mérité d'être aimées du génie. "

Et le dialogue se poursuit: " Les armes remuent au fond des cœurs la fange des pires instincts. Elles proclament le meurtre, nourrissent la haine, déchaînent la cupidité. Elles auront écrasé les faibles, exalté les indignes, soutenu la tyrannie... Sans relâche, elles détruisent l'ordre, saccagent l'espérance, mettent les prophètes â mort... - Pourtant, si Lucifer en a fait cet usage, on les a vues aux mains de l'Archange. De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes ! Par leur fait, le courage, le dévouement, la grandeur d'âme atteignent les sommets... Il n'y eut d'hellénisme, d'ordre romain, de chrétienté, de droits de l'homme, de civilisation moderne que par leur effort sanglant. "

Ce débat du chrétien et de l'homme de guerre, c'est en philosophe politique que Charles de Gaulle le conclut: " Il est bon que les peuples aient des remords, et si les hommes, dans leur ensemble, ne rêvaient que de se détruire, il y a beau temps que leur race aurait pris fin. "

" Une sorte d'équilibre de tendances est nécessaire dans l'État, et l'on doit secrètement approuver que les hommes qui le conduisent et ceux qui en manient la force éprouvent les uns pour les autres quelque éloignement. Dans un pays où les militaires feraient la loi, on ne peut guère douter que les ressorts du pouvoir, tendus à l'excès, finiraient par se briser; au dehors, les voisins coaliseraient leurs alarmes. D'autre part, il convient que la politique ne se mêle point à l'armée... Encore faut-il que l'on puisse s'entendre. Politiques et soldats ont à collaborer."

Si Charles de Gaulle est, on le voit, éloigné d'une conception militariste du pouvoir, il n'est pas moins hostile à une politique extérieure d'ambitions démesurées.

Il sait que " l'ubiquité des richesses, l'enchevêtrement des intérêts, l'osmose des idées ont créé parmi les peuples une interdépendance qui met, par force, des bornes à leurs ambitions ". Alors même que la France renoncerait à toute expansion, la force des choses lui interdit l'isolement - cet isolement dont Maurras a fait sa maxime. " Ce qu'il advient par exemple de l'Europe centrale et orientale, du Danemark, de la Belgique, de la Sarre, écrit Charles de Gaulle, nous touche essentiellement. " (Or l'erreur de Sadowa se renouvellera à Munich.) " Sous peine de nous trouver ici, puis là, ailleurs encore, devant des faits accomplis, et d'être un jour seuls, sans alliés et sans amis, entourés du mépris du monde, en face d'adversaires affermis par leurs succès, nous devons être prêts à agir au dehors, à toute heure, en toute occasion. Ainsi cet homme, qu'on a parfois qualifié de " réactionnaire ", veut " confondre l'intérêt permanent de la France avec un grand idéal humain " ; il sait que l'union des nations pour garantir le bien de chacune opérerait la transposition sur le plan international d'un objectif spécifiquement français.

Aux ambitions territoriales exagérées, à l'impérialisme, à l'esprit de conquête, Charles de Gaulle oppose le goût français de la mesure et de l'ordre classique, dont il voit le symbole dans le jardin royal :

" Dans le jardin à la française, aucun arbre, dit-il, ne cherche à étouffer les autres de son ombre. Les parterres s'accommodent d'être géométriquement dessinés, le bassin n'ambitionne pas de cascade, les statues ne prétendent point s'imposer seules à l'admiration. Une noble mélancolie s'en dégage parfois. Peut-être vient-elle du sentiment que chaque élément isolé eût pu briller davantage. Mais c'eût été au dommage de l'ensemble, et le promeneur se félicite de la règle qui imprime au jardin sa magnifique harmonie. "

IV

LA DOCTRINE


" L'ARMÉE DE MÉTIER "

La politique d'un État est dans sa géographie.

Napoléon.

Depuis des années, Charles de Gaulle est obsédé par l'inadaptation de l'armée aux nécessités de l'heure, par le sourd malaise dont elle souffre, par " cette discordance de la tâche à remplir et du système militaire en vigueur ". Il a la claire vision des transformations que la machine doit imposer à l'art de la guerre. Il observe que le principe de la qualité, substitué à celui des masses, est, d'ores et déjà, en vigueur dans maintes branches de la force : l'aviation, sauf quelques manœuvres, ne compte que des gens qui s'y sont entièrement voués. Sur mer et dans les airs, l'armée professionnelle est faite. Sur terre, les éléments en existent. La cuirasse reparaît, portée par le moteur. Dans son enveloppe étroite, une force immense est concentrée, qui s'offre à tirer aux vives allures les plus lourdes masses... Soudain, voilà le moteur cuirassé. Rampant sur les chenilles, portant mitrailleuses et canons, il s'avance en première ligne, franchit talus et fossés, écrase tranchées et réseaux. Quelque hésitant et malhabile qu'il se montre tout d'abord, le char bouleverse la tactique. Par lui renaît la surprise, à laquelle il donne le tour inexorable des machines. Par lui, la manœuvre est restaurée dans le détail, puisqu'il peut sous le feu se présenter de front ou de flanc, avancer tout en tirant, changer de direction. Par lui surtout, des groupes de combattants recouvrent cette protection mobile qui semblait pour toujours perdue...

Ainsi l'évolution, telle qu'on la doit au machinisme, rend à la qualité, par rapport au nombre, l'importance qu'elle avait tout d'abord perdue. Il est de fait, dorénavant, que sur mer, sur terre et dans les airs, un personnel de choix, tirant le maximum d'un matériel extrêmement puissant et varié, possède sur des masses plus ou moins confuses une supériorité terrible... Sans doute cet avantage pourrait-il être momentané. Pour peu que la foule consente à s'organiser, à s'instruire avec toute la rigueur qu'exige désormais l'outillage, bref, qu'elle cesse d'être la foule, les éléments spécialisés perdraient progressivement leur puissance relative. (Et c'est là ce que nous verrons se passer en Russie après les premiers reculs de 1941.) " Mais, conclut Charles de Gaulle, pour un délai de plus en plus long, dans un espace de plus en plus large, à mesure que s'accroissent la complication et le rayon d'action des moyens, les professionnels, dans leurs navires, leurs avions, leurs chars, sont assurés de dominer. "

Cette apparition de la machine n'a pas seulement entraîné une révolution de l'art militaire : elle soulève pour la sécurité française un problème chaque jour plus angoissant. La France est, en effet, de tous les pays d'Occident celui dont la défense est le plus difficile à assurer contre une attaque foudroyante venue de l'Est. " En vertu de sa figure physique et morale, la France, dit Charles de Gaulle, doit être armée ou bien ne pas être. " Dure loi qui contredit son idéalisme. Une seule bataille perdue, c'est Paris à feu et à sang. " D'autres, note-t-il, s'ils sont menacés, peuvent prendre le temps de fermer les portes, donner l'alarme, faire mugir le taureau d'Uri et la vache d'Unterwald, convoquer le ban et l'arrière-ban. " La France n'a point de Thermopyles. " Il n'y a pas 200 km. entre Paris et l'étranger, six jours de marche, trois heures d'auto, une heure d'avion. Un seul revers aux sources de l'Oise, voilà le Louvre à portée du canon. Or le rôle de Paris, comment le qualifier, sinon, avec Valéry, " d'immense et de singulier ? " " Cette agglomération, dont le rayon n'a pas trois lieues, régit toute l'existence de la nation. De sept Français, l'un y habite et les six autres dépendent de ce qu'on y pense et de ce qu'on y fait... Chaque fois qu'au dernier siècle Paris fut pris, la résistance de la France ne se prolongea point d'une heure. "

Prophétiquement, Charles de Gaulle entrevoit dès 1933 le désastre de 1940. Il écrit : " L'assaillant, venu à couvert des forêts rhénanes, mosellanes, ardennaises, trouvant pour déboucher un terrain partout perméable, a beau jeu de choisir les lieux et les temps. Le défenseur, s'il reste passif, se voit surpris, fixé, tourné, et voilà Villeroy défait à Bamillies ou Bazaine bloqué clans Metz. "

Ainsi, pour Charles de Gaulle, les conditions de la défense initiale du pays entraînent des conséquences parfaitement déterminées. La France ne peut s'en remettre, pour supporter les premiers chocs, à la défense hâtive de formations mal assurées. Le moment est venu d'ajouter à sa masse de réserves et de recrues - élément principal de la résistance nationale, mais lent à réunir, lourd à mettre en œuvre et dont le gigantesque effort ne saurait correspondre qu'au dernier degré du péril - un instrument de manœuvre capable d'agir sans délai, c'est-à-dire permanent dans sa force, cohérent, rompu aux armes. C'est cette couverture française que Charles de Gaulle réclame en 1934 clans son livre, aujourd'hui célèbre: Vers l'Armée de Métier.

Cette armée de métier, comment en concevoir la composition, l'emploi, le commandement ? Ce sont là quelques-unes des questions que pose et que résout Charles de Gaulle dans ce bref et vigoureux essai, dont on a pu dire qu'il est " rapide, mené comme une attaque, avec la convergence de tous les moyens de choc vers un but nettement fixé ".

Il s'agit pour le technicien qu'est Charles de Gaulle de renouveler les antiques procédés de la manœuvre, grâce à tout ce que les engins modernes comportent par eux-mêmes de puissance, de précision et de vitesse. " Il y a là, dit-il, du point de vue de l'art, une recherche grande en soi et qui pourrait devenir féconde. Il s'y trouve aussi, pour l'esprit, la satisfaction d'imprimer à l'action militaire le même tour industriel et scientifique que prend l'époque. Cependant, tant d'efforts reposent sur ce postulat qu'on peut faire état d'un rendement adéquat du personnel. "

Ces vues si claires, si positives, qui tendent à pourvoir la France d'un instrument de manœuvre préventif et répressif - instrument tel qu'il puisse déployer du premier coup une extrême puissance et tenir l'adversaire en état de surprise chronique - elles ne rencontrent dans les milieux militaires et politiques de France qu'indifférence dédaigneuse ou malveillante opposition. Un seul homme d'État leur fait écho : Paul Reynaud, qui, dans son livre Le Problème militaire français, rend hommage à la valeur des théories nouvelles, et dépose à la Chambre en 1935 un projet de loi tendant à créer dix divisions cuirassées et motorisées. Il n'est pas entendu, malgré les discours prophétiques qu'il prononce à la séance du 15 mars. " Faisons une hypothèse, dit-il: Il y a une guerre demain et la Belgique est envahie. Le fait n'est pas sans précédent. Si nous n'avons pas le moyen de nous porter immédiatement à son secours et de l'aider à couvrir sa frontière de l'est, que se passera-t-il ? Il se passera peut-être ce qui s'est déjà passé. Il est possible que l'armée belge soit refoulée vers la mer. Pour nous, cela signifie 350 km. de frontière ouverte du Nord de la France à défendre. Y a-t-il ici quelqu'un qui, à l'avance, accepte l'idée de voir les plus riches provinces de France une fois de plus envahies et arrachées à la patrie ? "

Mais les doctrines de Charles de Gaulle apparaissent encore à beaucoup de Français comme une monstruosité ! N'est-ce pas, disent-ils, l'esprit de l'offensive, cette fois cuirassée, blindée, motorisée, qui prend la place de la défensive, plus conforme à l'idéal pacifiste ? Il ne s'agit cependant que d'assurer la défense du territoire.

Le Haut Commandement demeurant sourd à ses avis, le colonel de Gaulle a l'amertume de voir ses idées adoptées par l'adversaire. Le général Guderian, créateur de l'armée mécanisée en Allemagne, présente en ses ouvrages le colonel de Gaulle comme son précurseur. C'est le colonel de Gaulle qui, le premier, a préconisé la création de divisions cuirassées dotées d'un personnel spécialisé, d'un personnel " de métier ", par opposition au personnel conscrit. On peut faire une comparaison saisissante entre la division cuirassée, telle que l'a conçue Charles de Gaulle, et la " Panzerdivision " allemande.

Avec quelle pénétration, quelle clairvoyance, Charles de Gaulle, dès 1933, précise les conditions dans lesquelles la France se trouvera en mai 1940 ! A l'heure même où tant de politiques et de soldats sont aveugles aux réalités menaçantes, il souligne le danger que court son pays, qui produit deux fois moins d'acier et quatre fois moins de coke que l'All^magne, dix fois moins de cellulose, douze fois moins d'azote, qui construit sept fois moins de machines.

Il présume que la République laisserait à l'ennemi l'initiative du démarrage. Il constate amèrement : " Le concours de l'univers, qui nous permit de l'emporter à la fin de la lutte récente, rien ne prouve que nous l'aurions encore. Tout au moins nous serait-il durement mesuré et compté fort cher... Ne pouvant dominer ni par le nombre ni par les matières, avons-nous du moins de nature l'aptitude aux actions de masse qui compenserait l'insuffisance des moyens ? " À défaut des ressources qui lui font défaut, Charles de Gaulle ne voit qu'un recours : l'action des troupes d'élite, prêtes à frapper dès la première heure en liaison avec l'armée de l'air et, au besoin, les forces navales ; six divisions, groupant des corps de troupe complets et permanents ; cent mille volontaires jeunes et choisis, maniant à grande vitesse, grâce aux moteurs, un armement d'une extrême puissance. Voilà ce dont on ne veut pas et qui suffirait cependant à assurer le salut de la France.

V


LE THÉORICIEN A L'ÉPREUVE

Tout se juge par défaut jusqu'à l'heure où apparaît un grand homme.
W. Whitman.

Fils d'un professeur de philosophie, Charles de Gaulle est un philosophe militaire. Mais ce serait une erreur d'en déduire que ce n'est pas un homme d'action, un vrai capitaine qui, sous le feu, voit ses intuitions et ses énergies multipliées. Au pays de Descartes, de Carnot, on ne s'étonne pas de voir un soldat philosopher, un philosophe combattre. La langue française est peut-être la seule où le même mot : ordonner, désigne et l'ordre rationnel et le commandement.

Comme Turenne et Vauvenargues, ce soldat est un humaniste. Il atteste que la véritable école du commandement est la culture générale. " Par elle, note-t-il, la pensée est mise à même de s'exercer avec ordre, de discerner dans les choses l'essentiel de l'accessoire, d'apercevoir les prolongements et les interférences, bref, de s'élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n'eût le goût et le sentiment du patrimoine de l'esprit humain. Au fond des victoires d'Alexandre, on retrouve toujours Aristote. "

Ce qui fait le mérite singulier de Charles de Gaulle, c'est qu'il est tout à la fois un traditionaliste et un révolutionnaire, dans le sens où ce mot désigne tout esprit " non prévenu " qui, s'écartant des routines, veut apporter aux problèmes de son ressort des solutions personnelles rigoureusement élucidées. Il est frappant de noter que, dès ses premiers essais, ce soldat, dont on peut dire qu'il a reçu une formation de " droite ", fait preuve d'une absence totale de prévention, lors même qu'il traite de questions historiques où le jugement n'est, bien souvent, inspiré que par l'esprit de parti. Celui en qui d'aucuns ont voulu voir un disciple de Maurras n'hésite pas à célébrer les Volontaires de Jemmapes et de Valmy, à vanter les mérites de Carnot, à publier l'innocence de Dreyfus, à rendre justice aux vertus militaires de Sarrail... Ne nous étonnons pas qu'un jour l'Action française (qui le revendiquait pour l'un des siens et qui, par la bouche de Maurras, le qualifiait de " lumière de l'armée " et de " grand bienfaiteur du pays ") doive se trouver, par une volte-face significative, au premier rang de ses détracteurs.

Ce n'est pas seulement d'Aristote ou de Descartes que se réclame Charles de Gaulle, mais de Proudhon et de Bergson. Il sait avec Proudhon que les Principes sont l'âme de l'Histoire : car elle est une vaste psychologie. Et il sait avec Bergson que le caractère de contingence, qui est propre à l'action de guerre, fait la difficulté et la grandeur de la conception : " On n'y rencontre que circonstances et personnalités ; elle offre à l'esprit humain une sorte d'obscurité que l'intelligence ne suffit point à percer. C'est pourquoi tous les grands hommes d'action furent des méditatifs ; et Napoléon pouvait s'écrier : " l'homme de guerre doit être capable de considérer fortement et longtemps les mêmes objets sans en être fatigué ".

Sachant que le peuple français, constamment exposé au risque de guerre, a besoin d'une élite informée des problèmes militaires, Charles de Gaulle ne peut que déplorer la dangereuse illusion dans laquelle vivent ses compatriotes, oublieux des leçons du passé. Il sait que l'excès des épreuves endurées a pour conséquence une détente des volontés, une lassitude qui détourne l'opinion de l'ordre guerrier. Il sait que les Français victorieux ne désirent rien ajouter à ce qu'ils possèdent déjà. Il convient que cet état d'esprit est salutaire. Mais il sait aussi, avec Metz, que les lois désarmées tombent dans le mépris. Aussi regrette-t-il que l'aversion qu'inspirent les combats rejaillisse sur l'ordre militaire. " Quelque direction que prenne le monde, il ne se passera pas des armes ", réplique ce soldat clairvoyant. S'il approuve hautement l'ordre international que notre époque essaie de créer, il affirme que " cet ordre ne peut se concevoir sans une force militaire pour l'établir et l'assurer ". Aussi voudrait-il que l'élite militaire reprît conscience de son rôle prééminent, qu'elle relevât la tête et regardât vers les sommets.

Certes, il admet que c'est d'abord au chef civil, à l'homme d'État, qu'appartient la conduite de la guerre, les opérations militaires seules étant le fait du soldat. " Mais où chacun doit-il s'arrêter ? Dans quelle mesure la stratégie et la politique réagiront-elles l'une sur l'autre ? Laquelle devra s'étendre et laquelle se restreindre ? " Si cela ne peut être prescrit d'avance, du moins faut-il que ces domaines distincts et séparés ne s'ignorent point l'un l'autre. Et Charles de Gaulle souligne la dangereuse spécialisation de ceux qui dirigent la France, le politique ignorant tout de la chose militaire, le soldat se tenant rarement au courant des questions politiques. " Nous désirons, conclut-il, parer à ce défaut et donner à la jeunesse de nos universités la possibilité de réfléchir sur ce grand fait humain de la guerre. " C'est pourquoi il entreprend, sous les auspices du Cercle Fustel de Coulanges et du général Clément-Grancourt, mie série de conférences, à la Sorbonne, sur les problèmes militaires de l'heure. Le succès en est si considérable qu'il faut bientôt ouvrir au public un amphithéâtre plus grand que celui qu'on avait prévu. Ce succès même entraîne de fâcheuses répercussions. A la suite de manifestations et d'interruptions passionnées, les conférences sont suspendues. L'orateur n'avait cependant eu pour dessein que de remédier à un déplorable cloisonnement de l'intelligence en soumettant à la réflexion du haut enseignement " des problèmes militaires qui dépassent le niveau de la technique spéciale et intéressent les principes les plus généraux de la science des sociétés ". Il a voulu préparer le peuple français à penser la guerre. Son seul but était l'intérêt militaire de la Patrie.

Entre temps, après avoir passé par le centre des Hautes Études Militaires, après avoir, en 1937, été nommé colonel au 507e régiment de chars, dans la place de Metz que commande le général Giraud, Charles de Gaulle reçoit, en 1939, le commandement de la Brigade de chars attachée à la Ve Armée, en Lorraine.

La guerre, qu'il voyait venir, ayant éclaté le 2 septembre 1939, Charles de Gaulle observe avec une attention mêlée d'anxiété les rapides victoires de l'année allemande en Pologne : elles ne font, hélas ! qu'illustrer d'un lamentable éclat ses propres doctrines. Et, tandis que le pays, le gouvernement et, sans doute, une bonne part de l'armée, en Occident, s'endorment dans les trompeuses illusions de la " guerre blanche ", le colonel de Gaulle médite : si la stagnation des opérations terrestres sur le front franco-allemand ne laisse pas d'étonner la plupart des esprits, il ne voit là rien qui ne soit inévitable.

" En effet, dans les deux partis, l'essentiel des forces en présence est composé d'éléments sensiblement semblables à ce qu'ils étaient lors du dernier conflit ; à savoir : infanterie nombreuse, portant ses armes à bras, destinée, dans l'offensive, à submerger le terrain en progressant à découvert ; une artillerie abondante, s'installant sur les positions sommairement abritées, pour tirer à la distance moyenne d'une dizaine de kilomètres sur un adversaire plus ou moins retranché ; enfin des moyens de transport et de ravitaillement [...] tous faits pour circuler sur des itinéraires fixes

" A vrai dire, les événements de la guerre de 1914-1918 annonçaient déjà cette sorte d'impuissance du système des masses... Cependant, en vertu de la loi de la nature suivant laquelle toute aptitude perdue par un organisme est transférée a un autre, celle qui achève d'échapper aux masses devient l'apanage d'un système nouveau. Le moteur combattant restitue et multiplie les propriétés qui sont éternellement à la base de l'offensive. [...] Non point évidemment que le char, l'avion, le cuirassé aient le privilège de l'invulnérabilité. L'invention humaine, à mesure qu'elle les perfectionne, découvre en même temps les moyens pour les combattre... Or, jusqu'à présent, aucun des adversaires n'a su ériger la force mécanique en un système conçu, équipé, organisé, de manière à prendre à son compte l'effort principal pour la victoire. [...] A cet égard, il est vrai, les Allemands se sont rapprochés d'une conception rationnelle de la guerre. C'est ainsi qu'ils entamèrent le conflit actuel avec une masse assez importante d'aviation d'attaque et plusieurs grandes unités cuirassées dont l'action combinée leur permet de foudroyer en deux semaines la Pologne, grand état militaire de 35 millions d'habitants. Une action du même ordre peut demain les mettre à même de saisir en Roumanie, en Suède, en Russie, en Asie Mineure, les territoires qui leur conviendraient. [...] Quant à nous, attachés plus solidement encore aux antiques conceptions, mous avons commencé la guerre avec cinq millions de soldats, mais une aviation tout juste embryonnaire et des chars très insuffisants en nombre et en puissance. [...] Il n'y avait donc pour nous aucune possibilité de prêter à nos alliés de l'Est quelque concours, direct ou indirect, que ce fût. Les mêmes institutions militaires qui, le 7 mars 1936, nous contraignirent à l'immobilité, qui, lors de l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, nous frappaient d'inertie totale, qui en septembre 1938, nous imposaient d'abandonner les Tchèques, devaient nous contraindre, en septembre dernier, à assister de loin à la ruée allemande sur la Pologne... "

La vision qui, dès lors, s'impose à Charles de Gaulle avec une acuité de plus en plus lancinante, la vérité qu'il voudrait faire partager à chacun des chefs responsables, c'est que " la défensive qui s'en tient à la résistance sur place des éléments du type ancien est vouée au désastre. Pour briser la force mécanique, seule la force mécanique possède une efficacité certaine ".

" La contre-attaque massive d'escadres aériennes et terrestres, dirigée contre un adversaire plus ou moins dissocié par le franchissement des ouvrages, voilà donc l'indispensable recours à la défensive moderne. Quand bien même nous aurions assigné à notre action militaire, comme limite la plus avancée, la frontière du territoire, la création d'un instrument de choc, de manœuvre et de vitesse, s'imposerait absolument à nous. "

" En effet, dit-il, si l'ennemi n'a pas su constituer déjà une force mécanique suffisante pour briser nos lignes de défense, tout commande de penser qu'il y travaille. Les succès éclatants qu'il a remportés en Pologne grâce aux " moteurs-combattants ", ne l'encouragent que trop à pousser largement et à fond dans la voie nouvelle. Or, il faut savoir que la position Maginot, quelques renforcements qu'elle ait reçus et qu'elle puisse recevoir, quelques quantités d'infanterie et d'artillerie qui l'occupent ou s'y appuient, est susceptible d'être franchie. C'est là d'ailleurs, à la longue, le sort réservé à toutes les fortifications. Dans le cas particulier, il se trouve que le moyen d'attaque approprié existe virtuellement. La technique et l'industrie se trouvent, dès à présent, en mesure de construire des chars qui, employés en masse, comme il se doit, seraient capables de surmonter nos défenses actives et passives. Ce n'est pour ces engins qu'une affaire de blindage, d'armement, de capacité de franchissement, toutes aptitudes qu'il est aisé de leur donner moyennant un tonnage convenable. [...] Au surplus, il apparaît déjà que la guerre totale ne peut s'accommoder du maintien permanent sous les armes du plus grand nombre des citoyens actifs. Aucun peuple aujourd'hui ne saurait mener longtemps la lutte sans une vaste expansion de son activité économique. "

Il faut donc que le peuple français renonce à l'illusion que l'immobilité est conforme au caractère de la guerre en cours - car cette inaction risque d'avoir, quant au moral de l'armée et de la nation, des conséquences désastreuses. C'est le contraire qui est vrai :

" Le moteur confère aux moyens de destruction modernes une puissance, une vitesse, un rayon d'action tels que le conflit présent sera, tôt ou tard, marqué par des mouvements, des surprises, des irruptions, des poursuites dont l'ampleur et la rapidité dépasseront infiniment celles des plus fulgurants événements du passé.

" Beaucoup de signes annoncent déjà ce déchaînement des forces nouvelles. Tandis que les " masses " française, allemande, anglaise, russe, soit 20 millions d'hommes, se trouvent mobilisées depuis cinq mois sans avoir, nulle part et à aucun moment, rien accompli de positif, on a vu la ruée des chars et l'assaut des avions anéantir en deux semaines une bonne armée de 1.200.000 soldats. On a vu maintes machines volantes faire planer la mort d'un bout à l'autre des grands pays belligérants ; des navires agir sur toute l'étendue des mers ; on a vu l'opinion publique de l'ancien et du nouveau monde s'intéresser passionnément aux manifestations de la force mécanique, parce qu'elle y sent, d'instinct, l'essentiel de la puissance des armées. "

Il s'agit donc de constituer dès maintenant des divisions cuirassées et mécanisées autonomes:

" Sur terre, des divisions légères et des divisions de ligne, chacune pourvue de chars suffisamment nombreux et puissants, d'assez d'infanterie blindée, d'assez d'artillerie protégée pour soutenir elle-même son combat, équipée de tous moyens de brèche ou de passage nécessaires pour surmonter les obstacles que lui opposeront l'adversaire et le terrain, dotée de véhicules spéciaux qui la délieront des routes pour ses transports et ses ravitaillements. En l'air, des divisions d'assaut capables, au cours de la bataille, à la fois de se tailler leur place dans le ciel et d'en fondre pour assaillir l'ennemi au sol ou sur mer, et des divisions d'attaque lointaine, destinées à la destruction des objectifs d'ordre économique. La réunion de ces grandes unités en corps terrestres ou aériens, permettrait les larges ruptures, les manœuvres à grande envergure, les exploitations profondes qui constituent la tactique des formations mécaniques à condition qu'elles soient concentrées. Enfin, par combinaison des éléments modernes, sur terre, sur mer et dans les airs, naîtrait une stratégie nouvelle assez étendue dans l'espace et assez rapide dans le temps pour être à l'échelle de leurs possibilités. Nul doute, d'ailleurs, que cette extension du rayon d'action de la force doive entraîner un vaste élargissement des théâtres d'opérations et, par suite, de profonds changements dans la conduite politique du conflit. Le développement de la guerre mécanique, allant de pair avec celui de la guerre économique, impliquera la mise en activité de secteurs actuellement passifs sur la carte du monde. Le tout est d'en tirer parti au profit de notre camp, au lieu d'en abandonner le bénéfice à l'ennemi. "

C'est, hélas ! le parti que l'on prend : une fois de plus Charles de Gaulle n'est pas entendu. En vain, dès décembre 1939, expose-t-il ses vues, de vive voix, au général Gamelin et au général Georges ; si, cette fois, elles semblent éveiller plus de curiosité que précédemment, les deux chefs ne prennent toutefois aucune mesure nouvelle pour appliquer les plans qui leur sont présentés. Cet exposé fera cependant l'objet d'une Note explicative ou Mémorandum secret, en date du 12 janvier, qui sera soumis à M. Daladier. Cette fois encore le mémoire tombe dans le vide. Les dés sont jetés...

Le 15 mai 1940, Charles de Gaulle est promu général de brigade. (Il est le plus jeune général de l'armée française.) Le jour même, il est convoqué au château de Moutry, Grand Quartier du major-général Doumenc, lequel est, après Gamelin, le chef des armées de la République. La France vient de perdre, dans les régions de Dinant et de Verviers, ses deux meilleures divisions cuirassées, à la suite d'impardonnables erreurs. Charles de Gaulle est investi du commandement de la 4e division cuirassée, en liaison avec les forces britanniques blindées, placées sous les ordres du général Evans. Le 15 mai au soir, le général de Gaulle établit ses quartiers dans le hameau de Bruyères, à quelques kilomètres de Laon. Les unités qu'il doit commander ne l'ont pas encore rejoint et les positions de l'ennemi n'ont pas été repérées avec précision. Le 16 au matin, ayant entrepris une reconnaissance, il essuie des coups de feu qui lui révèlent la présence des Allemands sur la rive nord d'un canal bordé de marécages. Il ne manquera pas de mettre à profit cette observation. Cependant, ses troupes ne lui sont parvenues qu'avec un retard considérable: elles sont en outre incomplètes et, de plus, épuisées par une longue marche sur les routes encombrées de réfugiés. Ajoutons que la division n'est pas pourvue du bataillon de chars légers de reconnaissance que Charles de Gaulle a toujours recommandé en ses ouvrages militaires ; elle ne possède pas non plus d'avions, ni de canons anti-aériens. Elle n'est donc pas apte à agir isolément. On enjoint toutefois au général de Gaulle de barrer la route à l'ennemi devant Laon. L'attaque est prévue pour le 18 mai. Ce n'est que le matin même que le général de Gaulle reçoit enfin les chars légers qu'il a réclamés. Il les dirige sur les hameaux de Montcornet et de Sissonne, tandis que les tanks lourds tiennent le Fort de Saint-Pierremont. Dès sa première bataille, comme le Grand Condé, " il est tranquille tant il se trouve dans son élément ".

Barrès l'a décrit tel qu'un officier de liaison le vit: dans sa veste de mécanicien, suivant de l'œil la bataille, assis tout seul, fumant calmement sous un pommier en fleur, dans un verger, sur la crête d'une colline. S'il inspire le courage à ses troupes, c'est que, comme l'autre, il porte " la victoire dans ses yeux ". Les chars légers ont été durement éprouvés à Mont-cornet. Les chars lourds sont arrêtés devant Saint-Pierremont. L'ennemi tente d'attaquer de flanc la 4e division. Mais de Gaulle lui oppose un escadron de tanks B 2, qu'il tient en réserve, et un bataillon d'infanterie envoyé en renfort. Il rétablit la situation et, malgré les bombardements aériens en piqué, qui éprouvent cruellement ses troupes, il refoule l'ennemi jusque sur ses bases de départ. L'avance allemande est enrayée. On a fait cent cinquante prisonniers et détruit trente chars ennemis.

Le 19, le général Georges fait parvenir au général de Gaulle l'ordre d'attaquer vers le nord en partant de Laon. A peine a-t-il engagé son action sur un terrain difficile qu'un nouvel ordre du général Georges lui parvient, l'informant qu'on a besoin de ses services sur un autre point. La manœuvre de Charles de Gaulle à Laon n'en a pas moins eu pour effet de retarder de trois jours l'arrivée des Allemands sur l'Aisne et d'assurer la jonction des forces que commandent les généraux Frère et Touchon.

Le 19 mai, la division cuirassée du général de Gaulle a pour mission de se porter vers Arras et de déboucher entre Amiens et Péronne, afin de couper en deux la pointe des forces ennemies. Mais, en raison des retards et de la pression des Allemands, qui atteignent déjà le rivage de la Manche, l'opération doit être abandonnée... N'ayant plus l'espoir d'être soutenu, le général de Gaulle est contraint de se replier au sud de Laon, dans une retraite pénible. Néanmoins la 4e division cuirassée a rempli sa mission : elle a permis aux généraux Frère et Touchon de former une ligne de résistance nouvelle.

Pour ces succès des 17, 18 et 19 mai - qui sont parmi les rares avantages que l'armée française ait remportés en 1940 - le généralissime Weygand cite le général de Gaulle à l'ordre de l'armée en ces termes : Officier admirable de cran et d'énergie. A attaqué avec sa division la tête de pont d'Abbeville, très solidement tenue par l'ennemi. A rompu la résistance allemande et progressé de 14 kilomètres à travers les lignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers et capturant un matériel considérable. " Il est émouvant de lire cet éloge qu'adresse l'homme qui préconisera l'armistice à l'homme qui refusera de l'admettre.

Celui qu'on appelait un spécialiste, un théoricien, s'est montré à la hauteur de l'épreuve. Ses succès, obtenus avec des moyens de fortune, ne peuvent donner qu'une faible idée des résultats qu'on eût atteints avec une " armée de métier " formée selon les méthodes que Charles de Gaulle a préconisées, et que réaliseront un jour les Allemands de Guderian et de Rommel, les Russes de Wassilewsky, les Anglais de Montgomery...

Le 6 juin, le général de Gaulle reçoit à minuit un message du Premier Ministre qui l'appelle à Paris. Après avoir foncé à toute vitesse en voiture dans la nuit, il arrive à l'aube dans la capitale où il est reçu par Paul Reynaud, qui le prie d'assumer les fonctions de Sous-Secrétaire d'État à la Défense Nationale et à la Guerre. Il accepte cette charge. Désormais il consacre son activité à rendre plus étroite la collaboration militaire entre la France et l'Angleterre. À cette fin, il se rend à deux reprises à Londres et confère avec M. Winston Churchill. Il assiste aux conférences en vue desquelles le Premier Ministre britannique se rend à Tours au Grand Quartier Général. Il s'ingénie à introduire dans les méthodes militaires françaises une tactique capable de faire obstacle aux forces motorisées allemandes et s'efforce de convaincre les dirigeants français de la nécessité de poursuivre la lutte, tant en France qu'en Afrique du Nord.

On sait le reste. Nous ne tenterons pas de relater, après Philippe Barrès, le lamentable échec des entretiens de Tours, et comment Paul Reynaud est contraint d'abandonner le projet du " réduit breton " pour celui de la fuite à Bordeaux. En dépit de la fermeté de Charles de Gaulle et de Mandel, c'est le parti de l'armistice qui l'emporte.

" ... La faute essentielle, dira Maritain, est une faute de rationalistes et d'hommes de coterie... Elle est d'avoir méprisé les avertissements et les conceptions nouvelles - si justes que l'Allemagne a vaincu la France en les appliquant du seul spécialiste qui ait clairement aperçu à quelles conditions, avec les armements modernes, la victoire pouvait être obtenue. "

DEUXIÈME PARTIE

LE LIBÉRATEUR

Nous allons voir enfin la vraie bataille. Les massacres tombant sur un seul côté sont finis. L'imbécillité ne nous commande plus. Vous allez avoir affaire au grand soldat qui s'appelait la Gaule au temps que vous étiez les Borusses, et qui s'appelle la France aujourd'hui que vous êtes les Vandales. La France: miles magnus, disait César ; soldat de Dieu, disait Shakespeare.

V. Hugo.

I

LA FRANCE LIBRE, EN EXIL

Et comme autour de moi j'ai tous ses
[vrais appuis,
Rome n'est plus dans Rome, elle est
[toute où je suis.

Corneille.

Il y a une race de la guerre qui étant pour l'honneur est tout de même pour l'éternel. Et il y a une race de la guerre qui étant pour la domination est uniquement pour le temporel.

Péguy.

Tandis que dure encore cette hideuse guerre que le poète annonçait, t" guerre de dégradations et pourritures ", où la division va jusqu'à la jolie, l'heure n'est pas venue d'écrire, en tous ses détails, l'histoire des désastres de 1940, ni la chronique des événements qui dressèrent contre les accords de Montoire les Français résistants - qu'ils fussent émigrés à Londres, dispersés dans l'Empire, ou présents dans la Métropole. Si l'on veut toutefois connaître dans ses grandes lignes l'action du général de Gaulle, il suffit de parcourir les discours qu'a prononcés le chef des Français libres depuis le 18 juin 1940. On y voit que son seul but est de faire en sorte que la force française ne cesse pas le combat, que la force française soit présente à la victoire. Notre récit se doit de suivre pas à pas les gestes et les paroles de ce soldat qui ne désespéra jamais de la cause française, parce qu'il savait que cette cause était celle de la justice. À l'heure d'opprobre et de tribulation, cet homme-là fut, à lui seul - avec quelques héros obscurs, - l'âme de la France résistante, d'une France digne de son passé, fidèle à son destin, loyale à sa mission. On a dit qu'en juin 1940, la France, dans son ensemble, n'avait pas éprouvé le même sauvage désespoir qu'en 1815 et qu'en 1871 ; le pays paraît un instant consentir à la défaite, accepter l'armistice qu'ont signé ses chefs militaires. Est-ce donc là ce peuple français dont la colère et la furie furent jadis si terribles aux ennemis de la liberté ? L'étendard sanglant n'est-il plus levé ? Où sont les vieilles soies aux trois couleurs qui portent les mots : La liberté ou la mort ? Sans doute, la France ne se sent plus animée de l'esprit combatif qui la soulevait autrefois. Elle ne croit plus que le soldat soit nécessairement le type humain le plus accompli ; elle se refuse à ne vivre que pour la guerre ; plus que la victoire des armes, ce qu'elle convoite, c'est le repos, la paix... Pourtant, si ce peuple hait la guerre, ce n'est pas, comme l'ont insinué ses détracteurs, qu'il soit dégénéré ; c'est que le respect de la personne humaine et le progrès moral lui rendent odieux un carnage qu'il croit vain ; et c'est qu'il ne ressent encore point d'aversion pour l'ennemi. Ses chefs politiques et ses publicistes ne lui ont présenté ni l'enjeu véritable du conflit, ni le caractère de l'adversaire qu'il doit affronter. Or le Français ne se bat bien, il n'a de force, on l'a dit, que lorsqu'il est en colère. Disons plus : depuis 1936, nombreux sont les hommes - et cela particulièrement au sein de l'élite - qui se sont faits les agents conscients ou inconscients, des doctrines et des régimes totalitaires. Des éléments importants de la bourgeoisie française sont indéniablement acquis au fascisme, parfois même à l'hitlérisme'. La guerre d'Éthiopie et la guerre d'Espagne ont divisé, dégradé l'opinion publique. Une presse sans scrupule a littéralement empoisonné toute une fraction de l'élite. Les pacifistes de 1940 semblent avoir oublié que, selon le principe affirmé par Fénelon, il est un cas où malgré tous ses maux la guerre devient nécessaire: c'est le cas où l'on ne pourrait l'éviter qu'en donnant trop de prise et d'avantage à un ennemi injuste, artificieux et trop puissant. Alors, en voulant, par faiblesse, éviter la guerre, on y tomberait encore plus dangereusement ; on ferait une paix qui ne serait pas une paix. Enfin, certains Français ont commis l'erreur - ainsi que le confessera l'un d'eux - de croire qu'on pouvait relever un pays avant de le libérer. " On ne reconstruit pas sa maison pendant qu'elle flambe. "

Dès 1934, dans son ouvrage, Vers l'Armée de Métier, Charles de Gaulle avait prévu la forme que revêtirait cette guerre: non pas seulement l'attaque brusquée, l'emploi de forces blindées et motorisées, mais l'aspect moral de la première phase du conflit: l'équivoque en vertu de laquelle l'agresseur ambitieux, après avoir saisi le plus vite possible le gage convoité, loin d'assumer le risque et l'odieux d'une lutte d'extermination au milieu de neutres réprobateurs, feindrait une attitude de modération et ménagerait l'hypocrisie générale: Certes, il a également prévu qu'après un premier revers, " un État digne de ce nom voudra revenir à la charge en puisant dans son potentiel ce qu'il faudra pour faire l'appoint. (Et c'est bien ce qui se passera en Russie, après l'invasion de 1941.) Mais il souligne qu'il existe " une connection terrible entre les propriétés de vitesse, de puissance, de concentration, que l'outillage moderne confère à une élite militaire exercée, et la tendance des États à limiter l'objet des litiges pour s'en saisir aux moindres frais et au plus tôt ". Il ne sera donc pas surpris par la manœuvre qui consiste à séduire une France défaite en lui offrant un armistice immédiat. Car on sait aujourd'hui que, par les bons offices de M. de Lequerica, c'est de l'ambassade allemande à Madrid qu'est venue la suggestion de suspendre les hostilités.

Cependant, s'il est vrai - et c'est ce que proclame Charles de Gaulle - que les nations ont, comme les individus, une âme, une conscience, une vocation, il s'ensuit qu'il est des désertions, des reniements, qu'aucun " égoïsme sacré " ne peut justifier. Comme Péguy, il ne veut pas que l'âme de la France, par des choix déloyaux ou des " faux patriotiques ", soit mise en état de péché mortel... C'est pourquoi ceux que préoccupe l'intégrité de la conscience française entendent que la France poursuive une lutte où l'engagent son devoir et son droit. Par respect pour le passé non moins que par souci de l'avenir, ils n'admettent point l'éclipse de ce rayonnement spirituel que fut la France - et qu'elle ne cessera pas d'être. Comme aux instants tragiques du passé, l' " insurrection " leur semble aujourd'hui " le plus sacré des devoirs ".

C'est le 18 juin 1940 que, de Londres, le général de Gaulle fait entendre son premier appel au peuple de France.

Soldat formé dans la vénération de l'armée et le respect de la discipline, ami personnel et jadis familier du maréchal Pétain, Charles de Gaulle ne peut, sans un déchirement profond de tout son être, se résigner à affronter ces vieux capitaines auxquels allait jusqu'ici tout son respect, toute son estime. Mais il se doit d'abord à la France, qu'il sait aveuglée, à la vérité qu'il voit méconnue. Lui qui, depuis dix ans, a médité sur les nécessités de rénovation des armes françaises ; lui qui, par des dons insignes de pénétration, a prévu les circonstances mêmes et les causes de la catastrophe ; lui qui, seul, a préconisé les moyens d'éviter le désastre et d'assurer le succès; lui qu'aucun de ces chefs puissants n'a voulu soutenir ni seconder, pourquoi ne se lèverait-il pas et ne dirait-il pas ouvertement, franchement, toute la vérité ? La discipline française n'est pas, il le sait, il l'a dit, l'obéissance aveugle. Un soldat se doit de juger par lui-même de son devoir et de l'intérêt supérieur de la Patrie. Jeanne d'Arc, patronne tutélaire des Français, n'a-t-elle pas donné la première l'exemple de cette révolte du patriotisme contre l'esprit de compromission et de défection ? Mais qu'est-il, ce jeune audacieux, pour résister aux consignes du vieux maréchal dont il fut hier le disciple et le protégé ? Et qu'était David pour résister au vieux Saül ? N'est-ce pas là, sous une forme historique aiguë, le mouvement fatidique du fils qui se dresse contre le père ?

Charles de Gaulle n'est-il pas, en vérité, semblable à ce chef, à ce maître de l' Armée de Métier " qu'il appelait lui-même de ses vœux en 1934 ? "Indépendant en ses jugements, irrécusable dans ses ordres, crédité par l'opinion ; serviteur du seul État, dépouillé de préjugés, dédaigneux de clientèles ; commis enfermé dans sa tâche, pénétré de longs desseins, au fait des gens et des choses du ressort ; chef faisant corps avec l'armée, dévoué à ceux qu'il commande, avide d'être responsable ; homme assez fort pour s'imposer, assez habile pour séduire, assez grand pour une grande œuvre " - tel il est, ministre, soldat et politique à qui la France devra l'économie prochaine de sa force.

N'ayant pas compris le véritable enjeu de la lutte, la portée des principes engagés, le caractère de l'adversaire auquel la France doit faire face, les Pétain, les Weygand, les Hunziger, les Darlan se sont laissé séduire. Méconnaissant les ressources de l'Empire français et de l'Empire britannique ; ne devinant pas la puissance lente et latente, encore endormie, des alliés de la France ; ne prévoyant ni le secours assuré qui, demain, viendra nécessairement d'Amérique, ni l'aide que le destin tient en réserve en cette Russie encore astreinte à ménager l'Allemagne nationale-socialiste, les chefs militaires de la France se sont mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. A ces hommes, Charles de Gaulle répond:

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l'ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et qui vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui. nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n'est pas seule. Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limite l'immense industrie des États-Unis. Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a dans l'univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique, ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes, ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. "

Et le lendemain, 19 juin, tandis que les plénipotentiaires français discutent les conditions d'un armistice, le général de Gaulle, reprenant la parole, lance un appel aux armes plus précis encore :

" Devant la confusion des armes françaises, ... devant l'impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j'ai conscience de parler au nom de la France. Au nom de la France, je déclare formellement ce qui suit :

Tout Français qui porte encore des armes a le devoir absolu de continuer la résistance. Déposer les armes, évacuer une position militaire, accepter de soumettre n'importe quel morceau de terre française au contrôle de l'ennemi, ce serait un crime contre la Patrie.

À l'heure qu'il est, je parle pour l'Afrique du Nord française, pour l'Afrique du Nord intacte. L'armistice italien n'est qu'un piège grossier. Dans l'Afrique de Clauzel, de Bugeaud, de Lyautey, de Noguès, tout ce qui a de l'honneur a le strict devoir de refuser l'exécution des conditions ennemies.

Il ne serait pas tolérable que la panique de Bordeaux ait pu traverser la nier.

Soldats de France, où que vous soyez, debout ! "

Le 22 juin, la honte et la rage au cœur, le général de Gaulle a connaissance des conditions dictées par l'ennemi. Mais il formule aussitôt les premiers principes de la résistance:

" Beaucoup de Français n'acceptent pas la capitulation ni la servitude, pour des raisons qui s'appellent : l'Honneur, le Bon sens, l'Intérêt supérieur de la Patrie.

Je dis l'Honneur, car la France s'est engagée à ne déposer les armes que d'accord avec ses Alliés. Tant que ses Alliés continuent la guerre, son gouvernement n'a pas le droit de se rendre à l'ennemi. Le gouvernement hollandais, le gouvernement polonais, le gouvernement norvégien, le gouvernement belge, le gouvernement luxembourgeois, quoique chassés de leur territoire, ont compris ainsi leur devoir.

Je dis le bon sens, car il est absurde de considérer la lutte comme perdue. Oui, nous avons subi une grande défaite. Un système militaire mauvais, les fautes commises dans la conduite des opérations, ... nous ont fait perdre la bataille de France. Mais il nous reste un vaste Empire, une flotte intacte, beaucoup d'or. Il nous reste les gigantesques possibilités de l'industrie américaine. Les mêmes conditions de la guerre qui nous ont fait battre par 5.000 avions et 6.000 chars peuvent donner demain la victoire par 20.000 chars et 20.000 avions.

Je dis l'Intérêt supérieur de la Patrie, car cette guerre n'est pas une guerre franco-allemande qu'une bataille puisse décider. Cette guerre est une guerre mondiale...

L'honneur, le bon sens, l'intérêt de la patrie commandent à tous les Français libres de continuer le combat, là où ils seront et comme ils pourront.

Il est, par conséquent, nécessaire de grouper partout où cela se peut, une force française aussi grande que possible. Tout ce qui peut être réuni, en fait d'éléments militaires français et de capacité française de production d'armement doit être organisé partout où il y en a.

Moi, général de Gaulle, j'entreprends ici, en Angleterre, cette tâche nationale.

J'invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l'air, j'invite les ingénieurs et les ouvriers français spécialistes de l'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient y parvenir, à se réunir à moi.

J'invite les chefs et les soldats, les marins, les aviateurs, des forces françaises de terre, de mer, de l'air, où qu'ils se trouvent actuellement, à se mettre en rapport avec moi.

J'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre.

Vive la France dans l'Honneur et dans l'Indépendance ! "

Le 24, après avoir encore adjuré les Français
de se grouper autour de lui, il prend l'engagement solennel " de combattre avec toutes les forces françaises reconstituées aux côtés des Alliés, afin de rendre la liberté au monde et la grandeur à la Patrie ". À Londres, le mouvement de la France Libre est né.

En France, le même jour, le gouvernement Pétain casse de son grade le général de Gaulle ; bientôt il le fera condamner à mort par contumace.

Le geste héroïque que vient de faire Charles de Gaulle, refusant d'accepter la défaite, décidant, au nom de la France, de poursuivre la lutte aux côtés des Alliés, c'en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne ; mais pour lui, disons-le en paraphrasant un mot illustre, c'est le premier pas de sa course. Comme le Grand Condé, auquel il ressemble par sa fougueuse impulsivité, C. de Gaulle a pour maxime que "clans les grandes actions il faut uniquement songer à bien faire, et laisser venir la gloire après la vertu... Ainsi la fausse gloire ne le tente pas, tout tend au vrai et au grand." De là vient qu'il met sa gloire dans le service de la Patrie !...

Cependant, ainsi que l'attestera Maritain, la " détermination du général de Gaulle, a soulagé bien des consciences : dans un moment de débâcle politique générale, il s'est comporté en homme ".

À la voix du nouveau Sertorius, le peuple de France, engourdi, muet, hébété, sort de sa torpeur : il se trouble, il s'émeut, il comprend, se ressaisit, se reprend, se redresse ; il retrouve sa conscience, ses principes, sa valeur : il redevient lui-même. La métamorphose s'opère. La Résistance s'organise. C'est Paris - comme il se doit - qui nous en donnera les premiers symptômes, le 11 novembre 1940, quand, par un signe convenu, la jeunesse des écoles acclamera " de Gaulle ".

II

DANS LA NUIT

...Cette majesté française que la mauvaise fortune ne peut ravir à de si grands [cœurs].

Bossuet.

Cet homme de quarante-neuf ans, qui n'était, il y a deux mois, qu'un obscur colonel, qui débarque en Angleterre sans moyens et sans crédit, n'y possédant pas un seul ami, ne sachant pas un seul mot d'anglais, c'est lui que M. Churchill reconnaît sans hésiter pour le chef des Français libres, c'est-à-dire de tous ceux des Français qui, fidèles aux principes et aux traditions de leur pays, entendent poursuivre la lutte aux côtés des Alliés.

Cependant, Charles de Gaulle, s'il en impose à tous par sa contenance et par sa dignité, ne'. cessera pas d'éprouver l'amertume de l'exil et du dépaysement. Des esprits soupçonneux méconnaîtront la portée de son geste. Il déconcerte, il inquiète ses hôtes, ce Français réservé, distant, silencieux, austère, qui ne boit pas, ne joue pas, ne plaisante pas, qu'on ne voit qu'à la messe, qui ne va pas aux courses, qui ne fréquente aucun cercle, et qui, son travail achevé, rejoint sa femme et ses enfants dans son cottage de Richmond.

À Londres, tandis que, pour " l'homme de la rue ", le brave Anglais moyen, le nom de Charles de Gaulle symbolise la loyauté française, la fidélité aux alliances, le courage, l'esprit d'entreprise, le ressort dans l'adversité, tout un monde élégant, sophistiqué, blasé, ne voit pas d'un très bon œil se dresser à la tête des Français libres cet officier qui n'est pas, somme toute, un politicien professionnel ; qui, de par ses origines et sa formation, semble appartenir aux milieux de droite ; dont la réputation repose sur une doctrine militaire qu'on a parfois qualifiée de " réactionnaire " parce qu'à la quantité elle substitue la qualité; dont l'entourage immédiat paraît enfin composé principalement de soldats de carrière, de nobles, voire de religieux... De là à soupçonner le général de nourrir des visées dictatoriales, il n'y a qu'un pas. Et si tel diplomate est trop avisé pour franchir ouvertement ce pas, du moins ne se gênera-t-il guère pour insinuer la chose.

Pour de tels hommes, Charles de Gaulle est un bigot, un cagot, un cagoulard, un don Quichotte. Ils n'ont garde de s'aviser que ce n'est pas au héros de Cervantes que notre homme ressemble, en dépit de sa taille démesurée, mais au modèle que s'était assigné le Chevalier de la Triste Figure : Amadis de Gaule.

Mais c'est surtout en Amérique que ce patriote français se heurtera à une incompréhension qui étonnerait si l'on ne savait qu'aux États-Unis les intérêts matériels des grands trusts ont parfois dominé les considérations idéologiques. Aux yeux de quelques politiciens américains, Charles de Gaulle demeure " l'homme des Anglais ", et le tempérament ombrageux du chef des Français combattants ne répond guère au goût que les Yankees éprouvent pour une cordiale bonhomie...

Chaque fois qu'au cours des négociations politiques ou militaires, Charles de Gaulle se heurtera à l'incompréhension de ses grands alliés, chaque fois que d'injustifiables pressions s'exerceront sur lui - lui que les hommes de Montoire accusent d'être l'instrument des Britanniques - il n'hésitera pas à élever de solennelles protestations. Que de fois il dénoncera " cette sorte d'absence relative de la France dont la nation même et ses amis s'offensent ! "

Il va de soi que ce que nous disons ici de certaines coteries oligarchiques de Washington ne s'applique pas à la grande et généreuse nation américaine, dont les masses marqueront d'éclatante façon leur sympathie pour le général de Gaulle, lors de sa visite à M. Roosevelt en juillet 1944.

Dans son discours du 1er avril 1942, il ne fera pas un secret de ces griefs :

" La France combattante, proclame-t-il, entend marcher avec ses alliés, sous la réserve formelle que ses alliés marchent avec elle. "

Et il ajoute :

" La France a pris, depuis 1.500 ans, l'habitude d'être une grande puissance et tient à ce que tous, et d'abord ses amis, veuillent bien ne pas l'oublier... La France combattante ne pourrait grandir, ni même durer, si ses alliés n'en tiraient pas les conséquences... Qui donc pourrait - et au nom de qui - maintenir dans la guerre des territoires français, des pensées françaises, a fortiori leur en ajouter d'autres, si les Alliés eux-mêmes se réservaient dans leur appui ? "

Faisant allusion à des " hypothèques " qu'il veut tenir pour incroyables, il déclare le 27 mai, avec plus de précision encore:

" Enfermer la France combattante dans une organisation exclusivement militaire, c'est demander au général de Gaulle de fournir des morts et des blessés pour les champs de bataille, des morts pour les pelotons d'exécution, sans que la France en tire aucun avantage national parmi les démocraties. "

Il reviendra encore sur ce sujet le 30 mai 1943, dans le discours qu'il prononcera en atterrissant dans la capitale algérienne, le jour même de la fête de sainte Jeanne d'Arc :

" Nous sommes venus ici pour réaliser l'unité de l'empire. Nous avons non seulement le désir, mais la volonté de forger cette unité d'effort français, dans la guerre, ruais certaines conditions sont nécessaires. D'abord la constitution d'un pouvoir central français ayant toutes les attributions d'un gouvernement. Car la défense des intérêts nationaux a toujours exigé un gouvernement en temps de paix, et plus encore en temps de guerre. Je ne vois pas pourquoi les Français se le refuseraient à eux-mêmes. Donc, il faut un pouvoir français de guerre qui se retirera quand tous les compatriotes pourront parler. Un tel pouvoir doit être composé d'hommes dignes de conduire les Français dans la guerre, et il est essentiel que tous les indignes soient exclus de cette tâche, car ils n'ont pas le droit de mener les soldats au combat et à la souffrance.

Une antre condition est l'exercice de la souveraineté française. Le désastre de 1940 n'a pas eu de conséquences seulement à l'égard de l'ennemi, mais aussi de l'étranger. Or, l'Empire français n'appartient qu'à la France et les Français ne doivent servir que la France. Il faut donc rétablir la souveraineté française là où elle a disparu. C'est un service à rendre à nos alliés mêmes, car ils ont intérêt à s'adresser à des Français droits et fiers plue qu'à des Français à l'échine courbée.

" Enfin rien ne doit être fait en opposition avec l'opinion française. Il serait dangereux d'agir autrement car tout le monde sait quel est le sentiment général de la France. "

Des observateurs neutres n'ont pas manqué de faire ressortir qu'en face de ses puissants alliés, Charles de Gaulle conserve son entière liberté de jugement et d'action, qu'il ne perd aucune occasion d'affirmer sa volonté et de défendre les seuls intérêts de la France et des Français; que, loin de le desservir, cette fermeté lui vaut la considération de ses antagonistes, lors même qu'ils en ont d'abord conçu quelque irritation. En outre, c'est à sa réputation d'intransigeance qu'il doit sa popularité toujours grandissante parmi les Résistants de France, tandis que, par leurs hésitations et tergiversations, leur esprit de compromission, leur faiblesse, d'autres chefs, momentanément populaires, ont perdu tout crédit auprès des masses. Les communistes eux-mêmes, qui, dans d'autres pays, sont parvenus à créer des mouvements dissidents, ont, en France, préféré se rallier au général de Gaulle, dont ils subissent l'attrait et reconnaissent l'autorité.

On saura quelque jour avec quelle opiniâtreté Charles de Gaulle a défendu, en face des exigences parfois exorbitantes des Alliés, les intérêts français menacés. On n'a pas manqué de lui reprocher sa raideur, voire sa brusquerie. En un temps où l'on se plaît trop souvent à vanter la souplesse et la ruse, où le machiavélisme et la duplicité reçoivent le nom de " réalisme ", il n'est pas mauvais qu'un chef français affirme avec franchise, avec ténacité, son indépendante. On est souvent accusé d'avoir " un caractère difficile " lorsqu'on n'est pas l'ami des compromissions et des marchandages... Charles de Gaulle a du caractère. C'est ce qui lui vaut l'estime des Résistants; et c'est ce qui fait qu'un peuple qui n'est pas idolâtre, mais frondeur, a fondé sur lui - et sur lui seul - toutes ses espérances. On trouve certes des hommes d'un mérite indéniable autour du général. Est-il besoin de nommer les Menthon, les Fresnay, les d'Astier de la Vigerie, les Capitant, qui comptent parmi les chefs de la Résistance ? Si Charles de Gaulle conserve cependant une place à peu près unique dans le cœur des Français (qui, en fait, le connaissent à peine), c'est que son nom assume à leurs yeux, par-dessus tout, la valeur d'un principe.

L'hostilité que rencontre sa fermeté, l'irritation que suscite son intransigeance altière ne sont pas faites pour étonner Charles de Gaulle. Lui qui, comme Philippe l'Arabe, " savait tout d'avance ", n'a-t-il pas décrit, dès 1932, les difficultés auxquelles est contraint de se heurter l'homme supérieur, " assuré dans ses jugements et conscient de sa force ", qui " ne concède rien au désir de plaire " ? Les médiocres ne haïssent rien tant que l'homme de génie, que l'homme de caractère. Et l'on sait que la médiocrité ne foisonne pas moins dans le monde de la politique internationale que dans celui de Farinée... Aussi Charles de Gaulle rencontre-t-il aujourd'hui, dans ses rapports avec l'étranger, les mêmes antagonismes qu'autrefois au sein d

l'État-Major français. " Le fait qu'il tire de lui- , même, et non point d'un autre, sa décision et sa fermeté l'éloigne souvent de l'obéissance passive " - cette obéissance que les grandes ploutocraties exigent de leurs alliés malheureux avec autant d'insistance que certains chefs militaires de leurs subordonnés. Enfin, l'on redoute son audace qui ne ménage ni les routines ni les quiétudes. Orgueilleux, diront de lui tels diplomates anglo-saxons, comme le disaient hier telles vieilles badernes, " ne discernant point que l'âpreté est le revers ordinaire des puissantes natures, qu'on s'appuie seulement sur ce qui résiste, et qu'il faut préférer les cœurs fermes et incommodes aux âmes faciles et sans ressort ".

En revanche, si ce chef est distant, s'il apparaît, comme le Moïse de Vigny, " puissant et solitaire ", les ruasses résistantes lui sauront gré de cette vie recluse en politique, de cette austérité, de cette noblesse que n'abaisse " nulle indigne affection ", de cette force d'âme qu'aucune passion " n'a le pouvoir de subjuguer ", de cette droiture de cœur " que nulle intention équivoque ne fait dévier". La confiance du chef fait, on l'a dit, la confiance du peuple. On s'en remet à lui. N'a-t-il pas, à tant de reprises, vu plus clair que les autres, assumé des responsabilités, pris des décisions salutaires ? Si les jaloux et les médiocres murmuraient hier de sa hauteur et de ses exigences, dans l'action il n'a plus de censeurs: " Les volontés, les espoirs s'orientent vers lui comme le fer vers l'aimant. Vienne la crise, c'est lui que l'on suit... " Dès que les événements deviennent graves, le péril pressant, " que le salut commun exige tout à.' coup l'initiative, le goût du risque, la solitude aussitôt change la perspective, et la justice se fait jour. Une sorte de lame de fond pousse au premier plan l'homme de caractère. On prend son conseil, on loue son talent, on s'en remet à sa valeur. A lui, naturellement, la tâche difficile, l'effort principal, la mission décisive. Tout ce qu'il propose est pris en considération, tout ce qu'il demande accordé "...

Nous allons en faire l'expérience en Alger.

III

AFFAIRES DE LONDRES ET D'ALGER

Il est deux politiques : celle des principes et celle des expédients.

J. Favre.

Nous n'avons pas à refaire ici l'histoire des progrès de la France Libre dans le monde, et particulièrement dans l'Empire colonial français, entre le 17 juin 1940 et le 31 mai 1943. Rappelons seulement: la reconnaissance par le gouvernement britannique du général de Gaulle comme chef des Français libres (28 juin 1940) ; l'accord Churchill-de Gaulle (12 août 1940) ; la constitution du Conseil de Défense de l'Empire (27 octobre 1940) ; le ralliement de la Nouvelle-Calédonie (22 juillet), celui de l'Afrique-Equatoriale française et du Cameroun (29 août 1940) ; l'affaire de Syrie (mai 1941) ; la constitution du Comité national français (23 septembre 1941) ; la reconquête alliée de Madagascar (14 mai 1942) ; la glorieuse résistance française de Bir-Hacheim (11 juin 1942).

Nous ne nous attarderons pas non plus à relater dans leurs détails les événements de novembre 1942 en Afrique du Nord : le débarquement anglo-américain; l'évasion et l'appel de Giraud ; Darlan, prisonnier, offrant ses services et, d'emblée, installé à, la tête de l'administration civile de l'Afrique du Nord et de l'Afrique-Occidentale française ; la protestation solennelle des Résistants de France et des Gaullistes frustrés de leurs espérances... La stricte énumération des faits nous paraît suffisamment éloquente. La. nation française, justement inquiète, entend y voir clair et " savoir de quoi il retourne "; car, parmi les combinaisons dites (l'opportunité, c'est le sort de la France qui se joue. Tandis que la flotte française de Toulon est acculée au suicide, tandis que la plus grande partie de l'Empire est affranchie, on voit le régime Darlan s'installer en Afrique du Nord, sous l'œil complaisant des Alliés...

Cependant, un drame va dénouer cette crise. Le 24 décembre l'amiral Darlan est assassiné.

Le haut commandement interallié adresse aussitôt un appel au calme aux populations nord-africaines, les opérations engagées en Tunisie réclamant toute l'attention des autorités.

Sur ces entrefaites, Giraud assume les fonctions de haut commissaire pour l'Afrique du Nord.

Il importe de souligner ici que ce qu'on appelle " le conflit Giraud-de Gaulle " n'a jamais été suscité par le moindre esprit de rivalité entre deux hommes qui ont l'un pour l'autre la plus haute estime, mais uniquement par le heurt de deux conceptions, de deux méthodes :

celle des principes et celle des expédients. Il s'agit d'abord d'une protestation de l'idéalisme des Résistants français contre l'empirisme anglo-saxon. En outre, les milieux de la France Combattante soupçonnent Giraud de vouloir instaurer un pouvoir militaire ; ils le soupçonnent, pour avoir si bien répondu à la manœuvre américaine, de participer en quelque manière à des desseins de la politique américaine qui ne laissent pas d'inquiéter. Enfin, comment pourrait-on frustrer le mouvement né du général de Gaulle de son héroïsme, de sa valeur symbolique essentielle, de son histoire ?

"Nous sommes tous, dit André Philip, les serviteurs de la seule nation française. Ce n'est pas à la Nation de s'unir derrière son armée, mais à l'armée, à la marine, aux colonies et à toutes les administrations civiles et militaires de se mettre partout au service de la Nation : de la République une et indivisible. Nous cherchons donc à réaliser entre les éléments de la Résistance authentique, non seulement une étroite collaboration, mais une véritable unification. Il doit y avoir une seule administration commune des divers territoires métropolitains et coloniaux libérés ou ralliés. Il doit y avoir un seul organisme permettant, dans les grands problèmes militaires et diplomatiques, de gérer provisoirement les intérêts français et de faire entendre dans les conférences des Nations Unies la voie de la France. Cette unification doit se faire sur la seule base juridique possible : celle de la légitimité républicaine. "

Ainsi, les Gaullistes ne toléreront jamais qu'on prétende constituer en Afrique un " gouvernement " n'ayant reçu mandat ni des autorités compétentes de la Résistance ni de celles qui dirigent les colonies ralliées depuis 1940.

Le Comité s'indigne également de voir confier des postes importants à d'anciens " collaborationnistes " dont la conversion paraît suspecte. Le 3 décembre, le général de Gaulle prononce un discours dont le ministre britannique des Affaires étrangères interdit la transmission radiophonique. La presse londonienne en publie néanmoins des extraits.

" La nation, déclare Charles de Gaulle, ne veut rien d'autre que le rassemblement de toutes ses forces clans la guerre pour chasser l'ennemi du territoire et recouvrer tous ses droits... Da ns cet immense effort, notre Comité national a tiré son autorité du consentement spontané des Français et du mandat que lui ont confié les groupements qui, sur le territoire national, rassemblent les masses françaises dans la résistance... Pour répondre à la volonté nationale, nous sommes prêts, dès maintenant, à faire en sorte que soient liées entre elles, afin de frapper l'ennemi, les actions de toutes les forces françaises organisées, où que ce soit... Mais la nation n'admettra pas qu'un quarteron d'hommes qui symbolisent la capitulation, la collaboration, l'usurpation, et qui ont usé et abusé contre les libérateurs de la discipline des autres, en usent et en abusent maintenant pour singer l'honneur et le devoir... La nation n'admet pas que ces hommes, ayant failli dans la guerre étrangère et se sentant condamnés, puissent ménager leur destinée en créant des conditions d'où sortirait la guerre civile. La nation n'admet pas leur pouvoir tiré d'une parodie grotesque du droit divin par la prétendue réincarnation d'un Bouddha que d'ailleurs ils trahissent et qui, au surplus, les condamne. Hitler voulait, a-t-il dit, " pourrir cette guerre ". La nation ne veut pas, elle, qu'on pourrisse notre libération. "

Le 2 janvier, les autorités de la France Combattante réaffirment " que le général de Gaulle ne poursuit aucun but politique ou personnel en Afrique du Nord, mais qu'il ne voudra pas entendre parler d'une réunion de la France Combattante à d'autres éléments français hors de France, avant que les membres actuels du Conseil impérial, à l'exception du général Giraud, aient été écartés ". Et le 3, Charles de Gaulle lui-même analyse les causes du malaise qui règne en Algérie :

" La raison de cette confusion, c'est, dit-il, que l'autorité française n'y a point de base après l'écroulement de Vichy, puisque la grande force nationale d'ardeur, de cohérence et d'expérience que constitue la France Combattante, et qui a déjà remis dans la guerre une grande partie de l'Empire, n'est pas représentée officiellement dans ces territoires français. "

Il réclame donc l'établissement en Afrique

d'un pouvoir central élargi ayant pour fondement l'union nationale, pour inspiration l'esprit de guerre et de libération, et pour lois les lois de la République.

" L'intransigeance gaulliste " surprend les Américains, qui s'attendaient à ce que Giraud ralliât tous les suffrages. Vers la mi-janvier, on décèle une légère détente. Un geste maladroit de Giraud provoque toutefois les rancœurs de la France Combattante. En décembre 1942, M. Peyrouton, ancien ministre de l'Intérieur

Vichy, ambassadeur de France en Argentin avait offert ses services à Darlan. Le 20 janvier 1943, Peyrouton est nommé gouverneur général de l'Algérie. Adversaire personnel de Laval, dont il a ordonné l'arrestation le 13 décembre, Peyrouton est néanmoins suspect aux Gaullistes en raison des mesures policières qu'il a prises contre les " patriotes ", du temps qu'il était au pouvoir. Le 4 mai, le Conseil général d'Alger vote la résolution suivante:

" Le Conseil général d'Alger, préoccupé de la longueur des pourparlers en cours entre les généraux Giraud et de Gaulle et soucieux des inconvénients qui en résultent pour l'avenir et pour l'unité nécessaire de la patrie, conformément aux traditions de la République et aux traditions fondamentales de la France, prenant en considération les observations du Comité national de Londres, demande:

1. La séparation du Législatif et de l'Exécutif.

2. La création d'un pouvoir central distinct du commandement en chef de l'armée.

3. L'établissement d'un organisme de contrôle. "

Le 8 mai, Giraud demande à de Gaulle de le
rencontrer à Biskra ou à Marrakech. Le général de Gaulle répond qu'Alger seul lui convient. Le 14, Giraud accède à son désir. L'invitation est acceptée. Cependant le Conseil supérieur de la Résistance exige la formation d'un Gouvernement provisoire sous la présidence du général de Gaulle. (Giraud, commandant en chef, serait ainsi placé sous les ordres du Président de Gaulle.)

Le 29 mai 1943, Charles de Gaulle et Henri Giraud se rencontrent sur un aérodrome algérien. Le premier proclame que les Français combattent seulement pour la France, qu'il faut que la souveraineté française soit restaurée partout où il y fut porté atteinte ". À l'heure même où de Gaulle atterrit, on annonce la présence en Algérie du général Georges, dans ; le vain espoir d'atténuer l'émotion soulevée par l'arrivée du chef des Français Combattants.

Le 2 juin, un Conseil Exécutif est formé, sous la présidence du général de Gaulle. Le soir même, Peyrouton démissionne.

M. Massigli, commissaire aux Affaires Étrangères, communique officiellement aux représentants de la Grande-Bretagne et des États-Unis la constitution du Comité français de Libération. Le Comité poursuivra la guerre aux côtés des puissances anglo-saxonnes jusqu'à ce que les ennemis communs, y compris le Japon, aient capitulé sans condition. Cette nouvelle suscite à Londres un grand enthousiasme. Le plus urgent problème à résoudre est celui de l'attribution des postes de commandant en chef et de ministre de la Défense. Jusqu'ici Giraud a cumulé ces fonctions et refuse de se départir de l'une ou de l'autre de ces charges. Le 11 juin éclate la crise qui couve depuis quelques jours. Le général de Gaulle offre sa démission. Elle est repoussée à l'unanimité. C. de Gaulle fait savoir qu'il est prêt à repartir pour Londres au cas où l'on n'adopterait pas une décision conforme aux vues de la France Combattante. Catroux, qui a remporté un premier succès en ménageant la rencontre d'Alger, s'ingénie à aplanir le nouveau différend.

Le 22 juin survient l'événement décisif : la pression. du général Eisenhower sur les deux chefs français. Les effets de cette intervention, qui menace de s'avérer funeste pour la France, seront bientôt conjurés, Giraud devant, le 1er août, adopter le point de vue du généra de Gaulle et reconnaître son autorité. L 23 juin, le Comité de Libération, réuni en séance plénière, se borne à enregistrer le compromis. Le porte-parole du général de Gaulle résume la situation : Nous sommes arrivés à une solution en renonçant à une solution. "

Cette première entente provoque une déception générale. On s'attendait à ce que l'armée ne formât plus qu'un tout, à ce que les affaires politiques fussent dirigées d'un commun accord par Giraud et de Gaulle, assistés d'un Conseil ; or les deux généraux doivent présider à tour de rôle les séances du Comité. Par ailleurs, l'armée d'Afrique et les Forces françaises combattantes formeront deux organismes distincts. L'union, on le voit, est loin d'être réalisée. Fidèle à son engagement, le général de Gaulle n'a pas accepté la fusion des deux groupes, le Conseil impérial institué par Darlan n'ayant pas été dissous. La thèse américaine n'a pu prévaloir. L'accord consacre simplement l'état de fait. Les milieux français de Londres ne se montrent guère satisfaits de l'issue des négociations engagées depuis six mois.

Giraud quitte Alger pour Washington le 2 juillet. Dès son arrivée aux États-Unis, il conclut un accord avec le président Roosevelt concernant l'équipement d'une armée française de 300.000 hommes.

À Alger, le 14 juillet 1943, la revue des troupes alliées et françaises est présidée par le général de Gaulle. Les forces de la France Combattante, cantonnées trop loin d'Alger, ne peuvent y prendre part. Mais les cris de " Vive de Gaulle " retentissent de tous côtés.

Giraud, de retour le 25, rend compte des entretiens qu'il a eus à Washington et à Londres. Peu après, il offre sa démission de président du Comité, préférant conserver le titre de commandant en chef des Forces françaises. Le général de Gaulle demeure seul président du Comité et ministre de la Défense nationale. Au titre de commandant en chef, Giraud joint toutefois celui de commissaire adjoint à la Défense. Toutes les forces françaises sont désormais unies.

En septembre 1943, vingt-six nations alliées et associées reconnaissent le Comité français de Libération nationale. L'intransigeance du général de Gaulle apparaît désormais à la majorité comme une garantie d'indépendance et de souveraineté pour la France. Les mouvements de résistance, qui mènent la lutte depuis la première heure, ont influé sur la décision d'Alger. A leurs yeux, le président de Gaulle est le chef, parce qu'il a sauvé l'âme, les principes et l'honneur de la Patrie. Charles de Gaulle, on le voit, a vaincu tous les obstacles que la malveillance, l'immixtion étrangère et l'esprit de compromission dressaient sur son chemin. Il a vaincu.

Ainsi que l'avait pressenti, ainsi que l'avait prophétisé Charles Péguy, le moment est venu, dans la vie du peuple français, où " l'instinct reprend si impudemment le dessus " que l'on préfère un général en chef de défense militaire aux plus habiles politiques... Au cours de quelles épreuves les pacifistes, les antimilitaristes, les " antipatriotes " ont senti le prix d'une patrie charnelle, d'une cité, d'une race, d'une communion même charnelle, et ce que vaut, pour y appuyer une Révolution, un peu de terre! Les " Jacobins ", à leur tour, apprennent le vrai prix des valeurs spirituelles, le vrai prix de la mystique, et que " le mouvement de DÉRÉPUBLICANISATION de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa DÉCHRISTIANISATION ". Les patriotes apprennent à opposer aux expédients les vrais principes de la morale et du droit des gens. Ils savent (ils se souviennent) que le peuple français " est le seul au monde que quelques consciences aient pu soulever pour une cause, même individuelle, de justice et de liberté, de vérité ". Aux yeux de tous ces hommes, la France est, plus que jamais, le champion de la liberté du monde. De par la volonté de Charles de Gaulle, et de par les souffrances communes endurées sous le joug de l'oppresseur, l'unité de la France est recomposée. L'épreuve a révélé à la nation que " le danger qui menace son existence n'est pas seulement du dehors, et qu'une victoire qui n'entraînerait pas un courageux et profond renouvellement intérieur ne serait pas la Victoire ".

IV

LA CROIX DE LORRAINE

Mère, voici vos fils qui se sont tant battus.

C. Péguy.

Quels sont les hommes qui, n'écoutant que l'appel de leur conscience, se sont, dès la première heure, ralliés à Charles de Gaulle ? Leurs noms, un jour, ne seront pas moins chers à la mémoire des Français libérés que ceux des compagnons d'armes de " la Bonne Lorraine ". S'ils sont trop nombreux pour trouver place ici, auprès du chef qui les anime et les inspire, nous voulons du moins en évoquer quelques-uns.

Nommons d'abord le général d'armée Catroux qui, gouverneur général d'Indochine en juin 1940, refuse de reconnaître l'armistice et se rallie à l'appel de Charles de Gaulle, quoiqu'il soit militairement son supérieur hiérarchique, donnant un exemple que Giraud, deux ans après, eut dû suivre. Catroux, héros de la Grande Guerre, Africain de l'école de Lyautey, soldat valeureux et diplomate perspicace, demeure, jusqu'à ce jour, l'appui le plus fidèle, le conseiller le plus avisé du chef des Français combattants.

Nous ne saurions omettre de mentionner ici, quoiqu'il se soit depuis séparé du Comité, l'amiral Muselier, dont on a dit que le caractère n'était pas toujours à la hauteur de l'intelligence, mais dont le patriotisme n'a jamais été mis en question, et auquel le général Giraud fera appel lors de l'attaque de Bizerte, en 1943.

Parmi les premiers collaborateurs du général de Gaulle, il faut nommer le général Legentilhomme, commandant des Forces alliées de la Côte des Somalis, l'un des plus jeunes chefs de l'armée coloniale, lequel, en 1940, après avoir essuyé bien des traverses, rejoint de Gaulle à Londres et fait partie de son état-major ; le capitaine de vaisseau, depuis contre-amiral, Georges Thierry d'Argenlieu, en religion Père Louis de la Trinité, Provincial des Carmes de France, qui, blessé à Dakar, se révélera, à la tête des Possessions françaises du Pacifique, l'un des administrateurs les plus fermes, en même temps qu'un des conseillers les plus écoutés du général de Gaulle;

le colonel, depuis général, de Larminat, Lorrain, qui participera à l'organisation des Forces françaises du Levant et à la victoire de Libye en 1942 ; le commandant, depuis général, Leclerc, de son vrai nom vicomte d'Hautecloque, qui s'illustrera dans l'expédition du Tchad et la conquête du Fezzan ; le capitaine, depuis général, Kœnig, chasseur alpin, héros de Narvik, qui, après avoir combattu dans le réduit breton, offre ses services au général de Gaulle, est chargé par lui de commander son tout premier régiment ; il organisera les troupes de l'Afrique-Équatoriale française ; il s'illustrera à Bir Hakeim, et sera nommé commandant en chef des Forces françaises de l'Intérieur ; le commandant, depuis général, Valin, qui organisera les Forces aériennes de la France Combattante ; le capitaine Bécourt-Foch, petit-fils du maréchal Foch, qui, avec l'amiral d'Argenlieu, sera l'un des volontaires de Dakar ; le commandant, depuis colonel, Jean Colonna d'Ornano, issu d'une illustre lignée de soldats corses, serviteurs de la France depuis le temps d'Henri IV, et qui trouvera dans Mourzouck une mort glorieuse ;

l'administrateur du Tchad Eboué, un noir des Antilles dont le cœur se révélera profondément français et qui mourra à la tâche ; enfin d'innombrables soldats et marins qui feront tous obscurément leur devoir, sans y être contraints par aucune loi humaine. Ce sont ces hommes-là, ces premiers compagnons de Charles de Gaulle, qu'une certaine presse appelle " un ramassis de francs-maçons, de communistes et de Juifs ". Il faut réserver une place à part au capitaine de vaisseau d'Estienne d'Orbe, catholique et monarchiste, que les Allemands feront fusiller à Vincennes par un peloton français. Parallèlement, l'exécution du communiste Gabriel Péry, qui montrera devant la mort une même fermeté, sera prise pour signe de l'union des cœurs français par le poète, lorsqu'il célébrera :

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n'y croyait pas.

Laissons le général de Gaulle évoquer lui-même le souvenir de Colonna d'Ornano, symbole de ceux qui ont offert leur vie pour la cause de la France Libre :

de Courcel, Gaston Palewsky, et Maurice Schumann, porte-parole de la France Combattante à la radio de Londres.

Inauguration par le général de Gaulle de la rue Jean-Colonna-d'Ornano à Alger, le 27 mars 1944.

" Il était de cette petite équipe des Catroux, des Larminat, des Eboué, des Kœnig, des Leclerc, des d'Argenlieu, des Bois-Lambert, autour de laquelle se sont serrés, au lendemain du désastre, des hommes qui ne renonçaient pas, et à qui les circonstances ont donné l'occasion d'agir librement et de suivre leur devoir...

Combien marchent aujourd'hui avec ardeur dans le chemin qui n'est rien d'autre que celui de la grandeur et de l'indépendance françaises. C'est la pensée de tous ceux-là qui était l'esprit de Colonna d'Ornano quand il se lançait à travers le désert de Libye pour trouver l'ennemi, le frapper et tomber le 11 janvier 1941. Ce Corse intrépide espérait que l'année, à laquelle il tenait de toutes ses fibres, marcherait à la victoire, que l'Empire où s'était absorbée une si grande part de ses services serait le secours de la Patrie en détresse. Aux jours sombres de 1940 il attendait le moment où une France - dont le nom seul faisait monter les larmes à ses yeux - se révélerait tout entière pour le triomphe et pour la vengeance. Il savait bien, comme ses compagnons, qu'en relevant le drapeau dans la bataille, il n'était nullement le héros de quelque vaine aventure, mais l'un de ces bons serviteurs que la Patrie déléguait le premier pour lui garder intacts son honneur et son espérance. Nous qui puisons notre confiance à la même source, affermissons-nous davantage sous le poids des épreuves présentes et de celles de demain. Tout en marchant dans l'effort, entendons monter du fond de notre peuple la vague de lutte et bientôt de renouveau. Respectons et exécutons les seuls ordres de la France, écoutons les seuls conseils de son génie et de sa grandeur, ayons un seul but: sa liberté. Ainsi nous ferons notre devoir d'hommes d'une patrie éternelle. "

Tous ces hommes sont groupés sous le signe de la Croix de Lorraine, qui est la croix de Jeanne d'Arc 1. " C'est à l'appel de la France que ces hommes ont obéi. Au moment où tout paraissait crouler dans le désastre et dans le désespoir, il s'agissait de savoir si ce grand et noble pays, livré à l'ennemi, trouverait parmi ses enfants des hommes assez résolus pour ramasser son drapeau. Il s'agissait de savoir si, aux côtés des Alliés qui poursuivaient le combat, il ne resterait pas un seul morceau belligérant de terre française. Il s'agissait de savoir si la voix de la France allait entièrement s'éteindre... Il s'agissait de savoir si, dans la nuit de la servitude, la nation ne verrait plus briller aucune lumière d'espérance française pour soutenir son esprit de résistance et faire la preuve qu'elle restait solidaire du parti de la liberté. "

C'est en ces propres termes que Charles de Gaulle décrit le mouvement de ceux qui sont venus le joindre à Londres en 1940. Et à la

Question : Que veut la France Libre ? voici ce qu'il répondra, le 15 novembre 1941:

" Nous sommes des Français de toute origine, de toute condition, de toute opinion, qui avons décidé de nous unir dans la lutte pour notre pays. Tous l'ont fait volontairement, purement, simplement. Je ne commettrai pas l'indélicatesse d'insister sur ce que cela représente au total de souffrances et de sacrifices. Chacun de nous est seul à connaître, dans le secret de son cœur, ce qu'il lui en a coûté. Mais c'est d'une telle abnégation, autant que d'une telle cohésion, que nous tirons nos forces. C'est de ce foyer qu'a jailli, chaque jour plus haute et plus ardente, la grande flamme française qui nous a désormais trempés.

Il n'y a pas, à cet égard, la moindre distinction à faire entre les Français de Brazzaville, de Beyrouth, de Damas, de Nouméa, de Pondichéry, de Londres, et les Français de Paris, de Lyon, de Marseille, de Lille, de Bordeaux, de Strasbourg... On peut dire littéralement que ceux des Français qui vivent, ne vivent plus que pour vouloir la libération nationale. "

Et à ceux qui lui prêtent les plus sombres desseins, Charles de Gaulle répond calmement :

" Les uns disent que je suis l'allié des communistes et des francs-maçons ; les autres affirment que je veux établir en France la royauté, l'Empire ou bien une dictature personnelle. Tous ces grands imaginatifs n'oublient qu'une chose, c'est que je ne suis pas un politicien, mais un simple patriote qui veut libérer son pays. "

Que de fois le général de Gaulle ne doit-il pas s'élever contre les calomnies toujours renaissantes que des agents intéressés répandent contre la France Libre ! Mais il suffit d'examiner un seul instant ces mensonges tendancieux pour en découvrir l'inanité, car, pair leur contradiction même, ils se détruisent l'un l'autre. Il est plaisant d'observer que les Français libres sont jugés, le même jour, à la même heure, comme inclinant vers le fascisme, préparant la restauration d'une monarchie constitutionnelle, poursuivant le rétablissement intégral de la République parlementaire, visant à remettre au pouvoir les hommes politiques d'avant-guerre, spécialement ceux qui sont de race juive ou d'obédience maçonnique, ou enfin poussant au triomphe de la doctrine communiste. " Quant à notre action extérieure, déclare le général de Gaulle, nous entendons les mêmes voix déclarer, suivant l'occasion : ou que nous sommes des anglophobes dressés contre la Grande-Bretagne, ou que nous travaillons, au fond, de connivence avec Vichy, ou que nous nous fixons pour règle de livrer à l'Angleterre les territoires de l'Empire français à mesure qu'ils se rallient. "

Si le chef de la France Libre se fait peu d'illusion sur les chances qu'il a (le mettre un terme à ces allégations mensongères, du moins tient-il à préciser, tant devant les Français que devant l'étranger, les principes essentiels de sa politique, qu'il résume en trois articles.

" L'article premier de notre politique consiste à faire la guerre, c'est-à-dire à donner la plus grande extension et la plus grande puissance possibles à l'effort français dans le conflit. Il va de soi que, dans tous les domaines, notre action se combine étroitement avec celle de nos Alliés et plus directement avec celle de l'Empire britannique. C'est qu'en effet l'Angleterre a eu l'incomparable mérite et le magnifique courage de faire face, seule, au destin quand il était le plus menaçant, et qu'en outre, ce grand peuple, qu'on taxe parfois d'un certain manque d'imagination, n'en a pas moins discerné aussitôt, par l'esprit et le cœur d'un Churchill, qu'une poignée d'évadés français avaient emporté avec eux l'âme éternelle de la France. Donnant, donnant ! Nous ne cesserons pas, jusqu'au dernier soir de la dernière bataille, de nous tenir, fidèles et loyaux, aux côtés de la vieille Angleterre. En même temps, nous appelons de nos vœux le moment où les circonstances pourront nous permettre d'apporter un concours, aussi modeste qu'il soit d'abord, à l'héroïque résistance de nos alliés Dusses. Nous nous tenons en étroite liaison avec nos alliés, les Polonais, Tchécoslovaques, Grecs, Yougoslaves, Hollandais, Belges, Norvégiens, solidarité à nos yeux capitale parce que le sort de leur territoire et celui du nôtre présentent les mêmes caractères de résistance nationale et d'inexpiable oppression et parce que nous ne concevons pas la libération de l'Europe sans leur juste restauration et la réparation du martyre qu'ils endurent.

Nous sommes unis sans réserve avec l'action morale et matérielle des États-Unis, sans laquelle il ne saurait y avoir de victoire, et nous usons avec gratitude du concours que, par tant de moyens, ils fournissent à ceux qui combattent pour la liberté du monde. Nous nous efforçons de justifier et développer les réconfortantes sympathies que prodiguent à la France, dans sa lutte et dans ses épreuves, tant de nations de l'univers.

Mais quel prix que nous attachions à ces liens qui nous aident et qui nous obligent, nous entendons, dans l'intérêt commun, que notre effort présent et futur demeure l'effort de la France et nous sommes d'autant plus ardents à servir ses intérêts, à représenter ses droits et à accomplir ses devoirs que nous savons que sa cause est la cause même des peuples libres.

[...] Nous tenons pour nécessaire qu'une vague grondante et salubre se lève du fond de la nation et balaye les causes de désastre pêle-mêle avec l'échafaudage bâti sur la capitulation. Et c'est pourquoi l'article deux de notre politique c'est de rendre la parole au peuple dès que les événements lui permettront de faire connaître librement ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas.

Quant aux bases de l'édifice futur des institutions françaises, nous prétendons pouvoir les définir par conjonction des trois devises qui sont celles des Français libres. Nous disons: " Honneur et Patrie ", entendant par là que la nation ne pourra revivre que dans l'air de la victoire et subsister que dans le culte de sa propre grandeur. Nous disons: " Liberté, Égalité, Fraternité ". parce que notre volonté est de demeurer fidèles aux principes démocratiques que nos ancêtres ont tiré du génie de notre race et qui sont l'enjeu de cette guerre pour la vie ou la mort. ' Nous disons "Libération ", et nous disons cela dans la plus large acception du terme, car, si l'effort ne doit pas se terminer avant la défaite et le châtiment de l'ennemi, il est d'autre part nécessaire qu'il ait comme aboutissement, pour chacun des Français, une condition telle qu'il lui soit possible de vivre, de penser, de travailler, d'agir, dans la dignité et dans la sécurité. Voilà l'article trois de notre politique ! "

Ce sont les trois points fondamentaux sur lesquels ne variera jamais la pensée du chef de la France Libre, qui sera demain le chef de la France Combattante et le président du Comité de Libération nationale. Bientôt, tout ce qui compte en France ne manquera pas de se rallier à ses conceptions. Et déjà lui répondent chaleureusement, de l'autre rive de l'Atlantique, les voix de deux grands Français : celle de Jacques Maritain aux États-Unis, celle de Georges Bernanos au Brésil. Avec eux, Charles de Gaulle s'élève contre les hommes qui essaient, en France, de créer " un complexe de culpabilité nationale ". " Il est faux, dit-il, que notre peuple ait mérité d'être opprimé, pillé, déshonoré... Dans la balance où se pèsent le débit et le crédit des peuples, le poids de ses erreurs comptait peu par rapport à la somme de mérites et de vertus de la France. "

Cette vraie France, groupée sous le signe de la Croix de Lorraine, elle a reçu de Charles de Gaulle sa citation le 11 novembre 1942 :

" Le ciment de l'unité française, c'est le sang des Français qui n'ont jamais, eux, accepté l'armistice, de ceux qui depuis n'ont pas voulu connaître, suivant le vers de Corneille : " La honte de mourir sans avoir combattu. " Oui, le sacrifice qui rassemble les enfants de la Patrie, soldats morts à Kerem, à Koufra, Mourzouck, Damas, Bir-Hacheim, Hameimat, marins de nos navires coulés: Narval, Surcouf, Ulysse, Mimosa, Poulmic, Viking, Chasseur 8, aviateurs tués dans le ciel des batailles d'Angleterre, d'Orient, d'Afrique, volontaires français écrasés à votre poste, équipages de nos navires marchands détruits en service commandé, combattants de Saint-Nazaire tombés le couteau à la main, fusillés de Nantes, Paris, Lille, Bordeaux, Strasbourg et d'ailleurs, c'est vous qui maintenez la France indivisible. C'est grâce à vous que, dans son malheur, elle ressent ces tressaillements qui font se lever les têtes et se redresser les cœurs. C'est vous qui donnez un sens, une portée, une valeur, à tout ce que nous tâchons de faire pour le pays, déshonorez les attentistes, exaltez les courageux, braves et purs enfants de chez nous ! En rendant le dernier soupir vous avez dit: " Vive la France ! " Eh bien, dormez en paix ! la France vivra parce que vous, vous avez su mourir pour elle.

Nous prétendons rassembler tout notre peuple et tous nos territoires, comme nous l'avons déjà fait pour le Tchad, le Congo, l'Oubangui, le Gabon, le Cameroun, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, les Établissements d'Océanie, l'Inde française, Saint-Pierre-et-Miquelon, comme nous avons libéré le Liban et la Syrie pour nous en faire des alliés très chers et très fidèles, et comme nous nous mettons en devoir de joindre à tout cela la grande île française de Madagascar avec l'appui fidèle et désintéressé de notre bonne alliée: l'Angleterre. "

A cet appel la France résistante ne manquera pas de répondre.

Le 14 décembre 1943, le Conseil national de
la Résistance intérieure - qui réunit les représentants régulièrement mandatés de tous les groupements de combat, des anciens partis politiques et des organisations professionnelles et
syndicales qui ont répudié la politique de Vichy, des milieux intellectuels, de l'Armée secrète et des Associations clandestines de fonctionnaires, siégeant en pays occupé sous constante menace de mort - vote, à l'unanimité, une résolution par laquelle il " reconnaît, sans discussion et sans partage, le Comité de Libération comme le véritable Gouvernement de la France ", et par laquelle il "adresse aux Nations Unies, dans l'intérêt de la lutte actuelle et de la collaboration amicale des peuples pour la reconstruction future du inonde, une adjuration instante et solennelle ayant pour but d'obtenir que le Comité de Libération, reconnu comme leur seul gouvernement par tous les Français fidèles à la patrie, soit reconnu au même titre et sans plus de délai, par les puissances que les Français n'ont jamais cessé de considérer comme des alliées. "

V

LA RÉNOVATION FRANÇAISE

Rien n'est aussi poignant, je le sais, que le spectacle de tout un peuple qui se relève et qui veut son relèvement et poursuit son relèvement.

C. Péguy.

Ce peuple était debout et ce peuple était grand... A force d'être France il devenait

[Europe.

V. Hugo.

Le 28 juin 1943, dans Tunis libérée là où fut la Carthage de saint Augustin, là où mourut Louis IX, l'archevêque de Carthage, primat d'Afrique, accueillant le général de Gaulle sur le parvis de sa cathédrale, formait des vœux pour le succès de la cause: " Nous demandons à Dieu qu'il vous bénisse et vous aide dans la tache de rénovation nationale que vous avez entreprise. " Quelques jours auparavant, le chef des Français combattants avait proclamé : " Du plus profond de notre peuple s'est levé l'instinct vital qui, depuis bientôt deux mille ans, nous a maintes fois tirés de l'abîme. C'est cet instinct qui fit chrétiens les Francs et les Gaulois de Clovis quand, sur les ruines de leur paganisme, se précipitaient les Barbares. C'est cet instinct qui suscita Jeanne d'Arc et entraîna les Français à bâtir autour du roi un État centralisé, lorsqu'il parut que l'anarchie féodale nous livrait à la domination étrangère. C'est cet instinct qui, au moment de la Révolution, dressa la nation contre les ennemis et leurs complices et lui dicta les grands principes démocratiques et des Droits de l'homme. C'est cet instinct qui, aujourd'hui, porte tous les Français soucieux de l'avenir et de la grandeur de la patrie à vouloir préparer une quatrième République, celle de la Rénovation. "

Cette rénovation, ce relèvement de la France abattue, c'est là le spectacle poignant auquel il nous est donné d'assister. Et peut-être cette remontée doit-elle être aussi pénible, aussi douloureuse que la chute. Mais la Nation s'est réveillée et met sa confiance en celui de ses fils qui n'a jamais douté d'elle.

Si l'on s'était donné la peine de lire Charles de Gaulle, on se serait aperçu que ce " théoricien militaire ", comme on se plaisait à l'appeler, était un penseur, un psychologue, un philosophe politique, bien plus qu'un simple technicien. A chaque page de ses ouvrages, il remonte aux principes essentiels qui régissent l'action des hommes.

" La profondeur de la réflexion, remarque-t-il, l'aisance dans la synthèse, l'assurance du jugement, sans lesquelles les connaissances professionnelles ne seraient que vain manège, ceux qui en portent le germe le développeraient mal s'ils l'appliquaient seulement aux catégories utilitaires. La puissance de l'esprit implique une diversité qu'on ne trouve point dans la pratique exclusive du métier... " Et il note ailleurs: " Dans les quelques journées où, deux ou trois fois par siècle, le destin d'un peuple est joué sur les champs de bataille, le jugement, l'attitude, l'autorité des chefs dépendent surtout des réflexes intellectuels et moraux qu'ils ont acquis pendant toute leur carrière. "

Comme dans tout acte héroïque, il y a dans la décision que le général de Gaulle a prise le 17 juin 1940 une part importante d'inspiration spontanée. Mais le terrain est depuis longtemps préparé.

Si, en 1940, tant de soldats et de marins ont, en dépit du trouble de leur conscience, cru que l'esprit de discipline militaire exigeait d'eux l'obéissance aveugle et passive aux ordres des Pétain et des Darlan, c'est sans doute qu'ils avaient, par défaut d'expérience et de réflexion, adopté une conception rigide du respect dû aux autorités civiles et militaires. Tout au contraire, Charles de Gaulle a, dès 1932, compris et enseigné que, " ceux qui accomplissent quelque chose de grand doivent passer outre aux apparences d'une fausse discipline ". Il propose l'exemple de ces généraux français - Pélissier à Sébastopol, Lanrezac après Charleroi, Lyautey au Maroc - qui, contrevenant aux ordres reçus, et n'écoutant que la voix de leur conscience et de leur raison, surent désobéir et, par là, servirent l'intérêt supérieur de la patrie.

A l'instar des hommes vraiment grands qui savent assumer des responsabilités (levant l'Histoire, Charles de Gaulle ne cède point " aux conseils d'une basse prudence ou aux suggestions d'une lâche modestie ". Depuis juin 1943, il se révèle, en Alger, un chef apte à tenir tête non moins aux intrigues locales qu'aux pressions de l'étranger. Voici qu'un champ d'activité nouveau s'ouvre devant lui, à la mesure de ses vertus civiques.

Charles de Gaulle sait que l'inconvénient des civilisations trop raffinées est dans l'absence de danger. " La société française a vécu cent ans dans la crainte de ce qui était risqué, lointain, changeant. " Le souci exagéré de la sécurité ne peut qu'émousser le goût des grandes entreprises et tend à faire perdre aux nations leurs plus viriles vertus. Or, le siècle qui s'ouvre devant nous n'exige rien tant que l'action personnelle, l'initiative et l'esprit de sacrifice.

Cet homme, dont on sait aujourd'hui qu'il n'a pas été pris au dépourvu par les événements ; ce soldat qui n'a cessé de méditer sur le destin de sa patrie, depuis l'heure où il résolut de se vouer tout entier au service de l'Armée et de la Nation, quels sont donc les projets de réforme qu'il préconise pour assurer le bonheur et la stabilité d'une France libérée et rajeunie ?

" Quels que doivent être l'attaque et le rythme de la libération du territoire métropolitain, déclare Charles de Gaulle, les problèmes immédiats que le Gouvernement devra résoudre revêtiront un caractère d'ampleur et de difficulté que chacun mesure parfaitement. Ces problèmes, pour ne parler que des principaux concernant la poursuite de la guerre aux côtés des Alliés, l'indispensable participation française à l'élaboration et à l'application des armistices européens, le maintien de l'ordre public, la mise en place d'une administration épurée, le fonctionnement de la justice, le ravitaillement, la main-d'œuvre, les salaires, les régimes du travail, l'organisation de la production, des échanges extérieurs et des communications, la sauvegarde, de la Santé publique, le rétablissement des libertés: liberté individuelle, liberté syndicale, liberté de la presse, le régime de l'information, le retour de nos prisonniers et déportés, les mouvements des réfugiés, enfin la préparation matérielle de la grande consultation d'où sortira l'assemblée générale constituante, qui construira le régime de la IVe République."

Le 4 avril 1944, se fondant sur la loi du 11 juillet 1939, le Comité de Libération a donné à son président le titre de Chef des Armées de terre, de mer et de l'air. Le général de Gaulle décidera en dernier ressort de la composition, de l'organisation et de l'emploi des forces militaires. Il dirige, oriente et coordonne leur action. Il dispose de l'État-Major de la Défense Nationale. L'armée passe ainsi sous ses ordres. Il reprend les attributions du Président de la République et du Président du Conseil. Il s'efforce par ailleurs de réunir sous son autorité tous les éléments de la Résistance. À la suite de négociations longues et délicates, il fait entrer dans son cabinet deux représentants du parti communiste. Certes il n'a jamais songé à faire appel au " marin de la mer Noire " André Marty ; il s'est opposé à la venue en Algérie de Thorez, lequel, en 1939, déserta et collabora avec l'ennemi ; mais il a choisi, en la personne de Grenier, député de Saint-Denis, et de Billoux, député de Marseille, des hommes qui sont demeurés en contact permanent avec les organisations de résistance en France.

En associant les communistes aux responsabilités du pouvoir, le Président de Gaulle poursuit deux desseins: il désire empêcher l'extrême gauche de constituer un noyau réfractaire et il entend assurer à son gouvernement la base la plus large possible. Il cherche à réaliser l'union de toutes les forces hostiles à l'occupant ; il entend prouver aux Américains que le Comité d'Alger réalise cette union et peut seul assurer l'ordre dans une France libérée. En désignant un Commissaire pour les Régions libérées, il marque sa volonté d'écarter toute ingérence étrangère dans les territoires récupérés. L'Assemblée consultative a voté une loi régissant l'exercice des pouvoirs militaire et civil dans la Métropole. Tout en réservant au général Eisenhower les facilités nécessaires à l'accomplissement de sa tâche, le Comité entend sauvegarder la pleine souveraineté du peuple français. Il faut que le " contrôle " américain sur les décisions du Comité se borne à n'être qu'une " liaison " entre le Comité même et les commandements militaires alliés. C'est cette thèse que le général de Gaulle expose le 21 avril :

" Le discours prononcé par M. Cordell Hull,
remarque-t-il, nous a paru constructif quant aux possibilités qu'il semble offrir de réaliser entre nous-mêmes et nos alliés américains et britanniques les arrangements pratiques pour les questions que posera la présence éventuelle de leurs armées sur le sol français lors de la bataille commune. Comme vous le savez, le gouvernement français a adressé, en septembre dernier, à Washington et à Londres, des propositions précises à ce sujet. Les arrangements de cette nature doivent répondre à deux conditions: procurer au commandement militaire interallié le maximum de facilités et respecter entièrement la souveraineté française sur le sol français. "

Dans les projets qu'il a élaborés en vue de la réorganisation de la France libérée, le Comité d'Alger ne tient pas compte de la notion. de " contrôle " 1. Le texte essentiel en la matière, l'ordonnance du 15 mars 1944 relative à " l'exercice du pouvoir civil et militaire sur le territoire métropolitain au cours de la libération ", prévoit la nomination de délégués civils et militaires dans les zones libérées. Ces délégués, qui ont pour mission de rétablir et de diriger les administrations civile et militaire, agiront uniquement sur les ordres d'Alger, et leur rôle sera essentiellement d'assurer la liaison entre les autorités militaires alliées. (M. François Coulet et le colonel de Chevigné rempliront ces fonctions à Bayeux, le 15 juin 1944.)

" Je précise une fois de plus, déclare le général de Gaulle, que l'établissement de l'Administration en France ne peut dépendre que de la France. La seule question qui peut se poser est celle de la collaboration entre l'administration française et l'autorité militaire interalliée. "

Le 13 mai 1944, sur la proposition de l'Assemblée consultative, et après un vote de confiance unanime, le général de Gaulle dénonce les accords Darlan-Clark, en vertu desquels les Américains s'étaient arrogé le contrôle des ports et communications de l'Afrique du Nord. Le même jour, le Comité de Libération assume le nom de Gouvernement provisoire de la République française et adresse des félicitations à l'armée du général Juin qui, par la victoire du Liri, a rendu l'honneur aux armes françaises.

Cependant, pour le Président de Gaulle et pour son entourage, il ne s'agit pas seulement de gagner la guerre et de libérer la France; il s'agit de restaurer tous les cadres de la vie sociale et politique et d'insuffler au pays une vigueur nouvelle. Les valeurs spirituelles ne seront pas oubliées. On saura quelque jour le rôle important qu'ont joué les organisations chrétiennes (catholiques et protestantes) dans la résistance française. Le Comité d'Alger renferme dans son sein de nombreux représentants de ces mouvements. À l'occasion de la fête du 1er mai 1944, Marcel Poimbeuf, délégué des Syndicats chrétiens, affirme que les travailleurs n'ont pas seulement une attitude de légitime défense : ils pensent à l'avenir du pays et à celui de la classe ouvrière.

" Pour nous, dit M. Poimbeuf, nous essayons de faire progresser la civilisation chrétienne en pleine conscience de nos devoirs ; nous apportons notre concours à la défense du pays dans la dignité et dans la clarté, en communion avec tous nos frères du travail, et en particulier avec ceux de la Confédération majoritaire. Rassemblés autour du général de Gaulle, nous voulons établir la dignité des travailleurs et, s'il plaît à Dieu, nous serons capables de le faire. "

En vertu de l'action personnelle du général de Gaulle, et de par les souffrances communes endurées sous le joug de l'oppresseur, l'unité
de la France se recompose sous nos yeux. " Ils sont révolus les temps funestes où les Français luttaient entre eux sans se comprendre et sans
s'aimer. " Plus encore que Clemenceau, Charles de Gaulle réalise l'union sacrée, dont ne sont exclus que les traîtres. Les anciens partis politiques, plus ou moins discrédités, ne jouent plus aucun rôle : ce qui compte, c'est d'abord l'attitude vis-à-vis de l'occupant. On est résistant, on est tiède, ou l'on est collaborationniste. Pour la masse du peuple de France, l'ennemi est toujours l'ennemi, les traîtres sont toujours les traîtres. Ce qui se passe dans le maquis, c'est véritablement la parturition d'une France nouvelle, où sont mêlés et confondus les hommes de toute souche, de toute provenance, de tout milieu, de toute confession : race, classe, âge, parti, n'importent plus. La France a brassé son sang. Et peut-être les tribulations de la patrie paraîtront-elles un jour " comme un travail de la France prête â enfanter un règne miraculeux ".

Mais il faut que, d'ici là, les plus coupables soient punis. Charles Péguy ne déclarait-il pas qu'en temps de guerre, " il n'y a qu'une politique, et c'est la politique de la Convention nationale ". Les Français qui sont inculpés par la Résistance ou jugés par les tribunaux d'Alger ne le sont qu'en raison des actes patents de trahison qu'ils ont commis envers la patrie.

Ne jugeant les citoyens français que sur leur patriotisme Charles de Gaulle se place délibérément au-dessus des partis. Il peut dire avec Michelet : " Le dévouement du citoyen à la patrie est ma méthode pour juger les hommes et les classes. "

" La France, proclame-t-il dès le 11 novembre 1942, ne juge les hommes et leurs actions qu'à l'échelle de ce qu'ils réalisent pour lui sauver la vie. "

Il atteste de même, le 27 mai 1943 :

" La catastrophe a emporté tout l'appareil conventionnel dans lequel nous avions vécu. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, notre peuple qui aura tant souffert et tant combattu, a condamné une fois pour toutes les vieilles formules et routines qui l'ont conduit à la défaite, puis à la honte, enfin à l'esclavage ; ceux qui s'efforcent de bloquer la roue en seront tout bonnement écrasés. "

À aucun prix la France ne veut connaître à l'avenir les usurpations, les intrigues de couloir, les coteries qui firent la faiblesse ou la servilité de ses régimes passés. Quelle sera donc cette IVe République vers laquelle tendent les vœux des Français ? La cohésion que d'autres ont prétendu maintenir dans les désastres et la servitude, Charles de Gaulle entend la rétablir dans la République et dans la Liberté. Il a raison d'espérer, de combattre, de vouloir le renouvellement de la France.

Le président du Gouvernement provisoire demande à tous les Français de s'unir, afin de lutter efficacement contre les coalitions économiques et les trusts.

Répondant à plus de cent vingt délégués des Syndicats et représentants des groupes ouvriers, qu'il reçoit à la villa des Oliviers 1er mai 1944, le général de Gaulle témoigne que, lorsqu'on évoque devant lui le rôle des travailleurs, il entend " l'écho de ce que pense la France ", car il a fallu les terribles épreuves de la guerre pour que la France se reconnût.

" Il ne peut, dit-il, y avoir demain de prospérité et même d'indépendance si l'économie française n'est pas fortement dirigée, en vue de faire produire à toutes nos ressources ce qui profitera le plus à la communauté nationale...

Dans l'économie française, que nous voulons établir dans le cadre européen et africain, et peut-être même international, le rôle du travail organisé devient absolument capital, non point seulement parce que le nombre des travailleurs est très considérable et que ce sont des consommateurs de premier ordre, mais parce que leurs capacités propres et leur expérience pratique les conduisent tout naturellement à participer à la gestion des entreprises. [...] Il en résulte que les organisations représentatives du travail doivent entrer organiquement dans la constitution de l'État... et qu'aux meilleurs doit être assurée la possibilité d'arriver aux leviers de commande, quelle que soit leur origine.

Les grandes affaires humaines ne se règlent pas uniquement par la logique. Il y faut l'atmosphère, qui seule peut créer les sentiments que nous évoquons, qui doit modifier la condition des travailleurs français et leur rôle dans l'État de demain. Les vastes réformes impliquent l'affection et le respect. Les travailleurs français les ont acquis par la façon dont ils servent la France dans le drame terrible que nous vivons. Ils auront été au premier rang dans les heures tragiques que la France traverse... "

Scion les termes de la Déclaration remise par le général de Gaulle aux organisations de Résistance, " ...tandis qu'il lutte contre la tyrannie de l'ennemi, le peuple français n'a jamais, dans toute son histoire, plus ardemment résolu d'être le maître chez lui. Une démocratie réelle où ni jeu professionnel ni marécages d'intrigants ne troublent le fonctionnement de la représentation nationale, où, en même temps, le pouvoir sera reçu du peuple, la charge de le gouverner disposant organiquement d'assez de force et de durée pour s'acquitter de ses devoirs d'une manière digne de la France, voilà d'abord ce qu'il veut se donner... Un régime économique et social tel qu'aucun monopole et aucune coalition ne puisse peser sur l'État, ni régir le sort des individus, où, par conséquence, les principales sources de la richesse commune soient ou bien administrées ou tout au moins contrôlées par la Nation, où chaque Français ait, à tous moments, la possibilité de travailler suivant ses aptitudes dans une condition susceptible d'assurer une existence digne à lui-même et à sa famille, où les libres groupements de travailleurs, de techniciens, soient associés à la marche des entreprises, telle est la féconde réforme dont le pays renouvelé voudra consoler ses enfants. "

Charles de Gaulle ne serait pas Français s'il ne voyait pas plus loin que la France. L'universalisme même de sa pensée l'a conduit à exposer, avec une clarté saisissante, le nœud véritable des crises politiques et sociales dont la
guerre présente n'est que l'inévitable issue. C'est devant le public lettré de l'Université d'Oxford qu'a été prononcé l'important discours qui contient sur ce sujet l'essentiel de
sa pensée.

Charles de Gaulle sait que l'Europe n'aura point de paix s'il n'est pas pris de bonnes et sévères mesures pour empêcher que l'esprit de domination surgisse dans le monde. Il sait que le génie de toutes les nations est nécessaire à l'équilibre de l'Europe. Mais le conformisme collectif qui résulte des conditions de la vie mécanisée bat en brèche aujourd'hui la liberté de chacun. Dès lors que les humains se trouvent soumis par leur travail et leurs plaisirs à une sorte de rassemblement perpétuel, aux mêmes suggestions, il se produit une sorte de mécanisation générale dans laquelle, sans un grand effort de sauvegarde, l'individu ne peut manquer d'être écrasé. Et d'autant plus que les masses, loin de répugner à une telle uniformisation, y prennent goût.

" Les hommes de mon âge, constate Charles de Gaulle, sont nés depuis assez longtemps pour avoir vu se répandre, non point l'obligation, mais encore la satisfaction de l'existence agglomérée. Porter le même uniforme, marcher au pas, chanter en chœur, saluer d'un geste identique, s'émouvoir collectivement du spectacle que se donne à elle-même la foule dont on fait partie, cela tend à devenir une sorte de besoin chez nos contemporains. Or, c'est dans ces tendances nouvelles que les dictateurs ont cherché et trouvé le succès de leurs doctrines et de leurs rites. Assurément, ils ont réussi, d'abord parmi les peuples qui, dans l'espoir de saisir la domination sur les autres, ont adopté d'enthousiasme l'organisation des termitières. Mais il ne faut pas se dissimuler que l'évolution elle-même offre à l'ordre dit nouveau d'extraordinaires facilités, et à ses champions de chroniques tentations.

Si complète que puisse être un jour la victoire des armées, des flottes, des escadrilles des nations démocratiques, si habile et prévoyante que se révèle ensuite leur politique à l'égard de ceux qu'elles auraient cette fois encore abattus, rien n'empêchera la menace de renaître plus redoutable que jamais, rien ne garantira la paix, rien ne sauvera l'ordre du inonde, si le parti de la liberté ne parvient pas, au milieu de l'évolution imposée aux sociétés par le progrès mécanique moderne, à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties au point de lui paraître plus désirables que n'importe quels avantages offerts par son effacement. On ne voit pas d'autre moyen d'assurer en définitive le triomphe de l'esprit sur la matière. Car, en dernier ressort, c'est bien de cela qu'il s'agit. "

Ce que Charles de Gaulle a réintroduit dans la vie politique, ce sont les valeurs morales. Fidèle au vœu de Péguy, il a réconcilié mystique et politique. A ce chef qui se révèle le gardien de l'honneur, le garant du prestige français, comment ne serions-nous pas tentés d'appliquer l'éloge qu'on a fait d'un autre: " Ô France ! voilà le grand homme que tu as produit... Tu ne dois jamais désespérer de toi-même. Dans cette nouvelle ère où tu es entrée, que son génie reste toujours avec toi. Tu sauras concilier, et dans le présent et dans le passé, ce qu'il y a de plus grand parmi les hommes puisque tu pourras montrer aux deux blondes, dans ce parfait accord dont paraît désespérer le Nouveau, ces principes augustes, d'une fierté généreuse, d'une stabilité imposante, d'une morale inébranlable ! ... "

Si grandes que soient les œuvres de Charles de Gaulle, il est du nombre de ceux en qui l'homme passe infiniment les actions.

Ce soldat d'un tempérament solide, dru, d'un esprit ferme et vif, d'un cœur inébranlable, semble ne vivre que pour triompher de la nature. Il a toutes les qualités que requiert Pascal: il. sait douter où il faut, se soumettre où il faut, et assurer où il faut; car ceux qui se soumettent en tout manquent de savoir où il faut juger. Il sait aussi corriger par l'esprit de finesse ce que le raisonnement a de géométrique. Le vrai combat qu'il doit livrer, c'est le combat qu'il mène contre soi-même, afin de surmonter son assurance, son désir d'avoir toujours raison. Or ce superbe sait être humble. Et ce capitaine, qui toujours garde pour modèles les guerriers et les héros de l'antiquité, n'a cependant jamais oublié ce qu'il doit aux enseignements chrétiens, à l'esprit de l'Évangile. Il sait que la voie la plus sûre, mais aussi la plus habile, c'est la voie droite, la droiture, non les voies tortueuses. (Et les événements lui ont donné raison : ils ont prouvé que la rectitude était et demeurait la meilleure politique possible.) Il ne cesse de dégager la morale qu'un cœur intègre peut tirer de la plus récente Histoire :

" Sans nul doute, note-t-il, un certain fléchissement dans nos devoirs, certains accommodements avec nos responsabilités eussent pu nous faire paraître momentanément plus commodes. On aurait dit moins souvent: " Ah ! comme ils sont difficiles. " Mais, du même coup, nous aurions perdu cela même qui est notre force et notre raison d'être : l'intransigeance dans l'honneur pour le service du pays. "

Il sait qu'en nulle affaire il ne faut séparer l'utilité de l'honneur. Il sait que, sous le faux prétexte de la paix, les faux amis de la paix consentent à l'oppression de la vérité. Il ne rougit donc pas d'être traité de rebelle, de factieux, d'opiniâtre, d'ennemi de la paix et de l'union, d'être proscrit, condamné, décrié, accusé de troubler la tranquillité de la Patrie. Il méprise ceux qui, disciples de Machiavel, vivent dans l'illusion du succès immédiat. Il sait que " la fin de la politique est, non la conquête du pouvoir, mais le bien d'un peuple uni, c'est-à-dire une chose essentiellement et concrètement humaine, et donc morale ". Il sait que ce sont les " mystiques " qui sont " même pratiques " et les politiques qui ne le sont pas. " C'est nous, pourrait-il dire, qui bâtissons, c'est nous qui fondons, et c'est eux qui démolissent... C'est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c'est eux qui ruinent. "

En face de toutes les défections, de toutes les abjurations, de tous les reniements, parmi les complots des " habiles ", des " réalistes " et de leur lamentable séquelle, ce chef inébranlable a su maintenir entre les principes moraux, les valeurs humaines et les traditions nationales ce lien concret qui est le trait marquant de l'Histoire française; il a su confondre " l'intérêt permanent de la France avec un grand idéal humain ". Voilà pourquoi l'ennemi même, dans le secret de son cœur, ne lui refuse pas son estime. voilà pourquoi tous les Français authentiques sont prêts au sacrifice pour une France dont il leur découvre à nouveau le véritable visage: un visage qui, riant à travers les larmes ou les supplices, fut le visage de saint Louis, le visage de Jeanne d'Arc.

Un grand destin commence, un grand destin s'achève... Ce 30 mai 1944

ÉPILOGUE
(Texte des agences télégraphiques.)

Quartier Général allié de Normandie, le 15 juin.

C'est après une absence de quatre ans que le général de Gaulle a foulé de nouveau le sol de France. La population de Bayeux l'a accueilli aux cris de " Vive de Gaulle ! " et par des applaudissements frénétiques.

Le général de Gaulle a traversé la ville à pied au milieu de la population émue. et enthousiaste au delà de toute expression.

A la sous-préfecture, il. a reçu Mgr Picot, évêque de Bayeux et de Lisieux, les autorités locales et les chefs de la Résistance.

Le général dut s'arrêter presque à chaque pas pour embrasser des enfants, serrer des mains ou recevoir les bouquets que lui tendaient des jeunes filles. Il entra au château de Bayeux, où il reçut diverses personnalités. Il en ressortit un quart d'heure plus tard pour gravir l'estrade dans un parc voisin, où quelques milliers de personnes étaient réunies.

Le général déclara :

" Nous sommes tous émus de la même façon par le fait que nous nous trouvons ensemble dans une des premières villes libérées de la France métropolitaine, mais ce n'est pas l'heure (le parler d'émotion. Ce que le pays attend (le vous, derrière les lignes, c'est de continuer la lutte aujourd'hui, comme vous n'avez jamais cessé de le faire depuis le début de cette guerre et depuis juin 1944.

Notre cri, aujourd'hui comme toujours, est un cri de combat, parce que la route du combat est aussi la route de la liberté et la route de l'honneur. C'est la voix de la patrie.

Nous continuerons de livrer bataille avec nos forces terrestres, navales et aériennes comme nous le faisons aujourd'hui en Italie. Nos soldats se sont couverts de gloire et demain ils en feront autant en France métropolitaine. Notre Empire, complètement groupé autour de nous, nous donne toute l'assurance possible. Je vous promets que nous mènerons cette guerre jusqu'à la souveraineté recouvrée sur chaque pouce du sol français. Personne ne nous empêchera de faire cela. Nous combattons aux côtés de nos alliés et la victoire que nous remporterons sera la victoire de la liberté et la victoire de la France. "

II

Paris, le 25 août, Fête de Saint Louis.

C'est au milieu d'un enthousiasme indescriptible que le général de Gaulle a fait son entrée dans la capitale libérée. Depuis sept heures du matin, tout le long du parcours que devait emprunter le cortège officiel, une foule énorme était massée, attendant l'arrivée de celui qui, aux yeux des Parisiens comme de toute la France, incarne la Résistance nationale.

Après avoir salué le peuple de Paris du balcon de l'Hôtel de Ville, le général de Gaulle prononça un discours dont nous donnons ici les passages essentiels :

" Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l'émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes qui sommes ici, chez nous, dans ce Paris qui s'est dressé pour se libérer et qui a su le faire de ses propres mains. Non, nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Nous vivons là des minutes qui dépassent chacune de celles de nos pauvres vies.

Paris ! Paris déchiré, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! Libéré par nous-mêmes. Libéré par son peuple, avec le concours des armées de France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, c'est-à-dire de la France qui se bat, c'est-à-dire de la vraie France, de la France éternelle.

Eh bien ! puisque Paris est libéré, puisque l'ennemi qui le tenait a capitulé entre nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais elle y rentre bien résolue, plus certaine que jamais de ses devoirs et de ses droits.

Je dis tout d'abord de ses devoirs et je les exprimerai tous pour le moment en disant qu'ils résultent de la guerre. L'ennemi chancelle, mais n'est pas encore abattu. Il en reste encore sur notre territoire. Il ne suffira pas, avec le concours de nos chers et admirables alliés, que nous l'ayons chassé de chez nous pour que nous nous tenions pour satisfaits. Après ce qui s'est passé, nous devons le chasser sur son propre territoire et entrer en vainqueur chez lui, comme il se doit. C'est pour cela qu'une avant-garde française est arrivée dans Paris à coups de canon. C'est pour cela que la grande armée française d'Italie a débarqué dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône, c'est pour cela que les F.F.I. deviennent des unités modernes. C'est pour avoir cette revanche, cette vengeance, et en même temps cette justice, que nous saurons continuer à nous battre jusqu'au dernier jour, jusqu'au jour de la victoire totale.

La nation sait bien qu'il lui faut avoir avec elle tous ses enfants. Elle sait bien que tous ses fils et toutes ses filles, hormis quelques malheureux traîtres qui se livrèrent à l'ennemi et lui livrèrent les autres - et qui connaîtront la rigueur des lois --tous les fils et filles de France marchent et marcheront fraternellement la main dans la main. C'est cette grande et noble discipline nationale que le Gouvernement réclame de tous les citoyens. Mais cette discipline n'empêche pas, bien au contraire, la nation d'avoir connaissance de ses droits. Je le dis, parce qu'il faut qu'on l'entende. Il n'y a pas d'autre moyen qui soit pratique et acceptable pour que le peuple fasse entendre sa voix que le suffrage libre de tous les Français et Françaises, dès que les conditions permettront de passer la parole au peuple, c'est-à-dire au souverain. Et les droits de la France, c'est-à-dire ses droits intérieurs, droits qui intéressent tous ses enfants, doivent être aussi assurés.

Nous ne voulons pas que dans la nation française aucun homme, aucune femme appréhende la faim ou la misère du lendemain. Nous voulons pour chacun en France des conditions d'existence qui soient à la hauteur de ce qu'un homme ou une femme ont le droit de réclamer.

La France a aussi des droits au dehors. La France est une grande nation, elle l'a prouvé. Aux jours les plus difficiles nous nous en sommes bien aperçus. Mais nous voilà debout et rassemblés. Nous voilà parmi les vainqueurs et ce n'est pas fini.

Cette grande nation a ses droits. Elle a le droit d'être en sécurité, elle a le droit d'exiger de ne pas être envahie par l'ennemi qui l'a fait tant de fois, elle a le droit d'être au premier rang des grandes nations qui vont organiser la paix et la vie du monde, elle a le droit de se faire entendre dans toutes les parties de la terre. C'est une puissance mondiale, elle saura faire en sorte que tous les autres en tiennent compte, parce qu'il s'agit d'un intérêt suprême, c'est-à-dire de l'intérêt de l'humanité.

Voilà ce que nous devons faire au sein du Gouvernement. La guerre, l'union et la grandeur de la France. Pour suivre notre programme, je n'ai qu'à vous regarder tous pour savoir que c'est celui de tous les Français. Par conséquent, marchons. Il arrivera bien des difficultés. Il en arrivera spécialement à Paris. Ce n'est pas aujourd'hui que nous pourrons rendre à Paris son charme d'autrefois, à la France sa richesse, son aisance. Ce n'est pas aujourd'hui que nous pourrons remettre sur le visage de notre pays les traits pacifiques qui ont été si souvent les siens. Nous aurons donc à surmonter bien des obstacles, à vaincre bien des difficultés. Le Gouvernement fera son devoir. Toute la nation doit exiger qu'il le fasse. Ainsi courons-nous ensemble vers des jours meilleurs. "

Le 27 août.

Hier, au cours du défilé qui eut lieu pour célébrer la libération de Paris, des coups de feu furent tirés sur le général de Gaulle, place de la Concorde. Au milieu de la foule prise de panique, le général demeura debout, imperturbable. A Notre-Dame, où devait avoir lieu le Te Deum, un nouvel attentat fut perpétré. Le général de Gaulle est indemne.

APPENDICE I

Extrait de la Grande Encyclopédie:

JULIEN-PHILIPPE DE GAULLE, érudit français, né à Paris le 26 décembre 1801, collaborateur de Fortin d'Urban, il traduisit une partie des Annales de Hainaut, de Jacques de Guyse (1520-1839). Il donna l'Inventaire analytique des Archives Joursanvault (1838, 2 vol.), puis une Nouvelle Histoire de Paris et de ses Environs (1839-1842, 5 vol.), Membre du Conseil d'administration de la IIe Compagnie d'Histoire de France, pour laquelle il a édité La Vie de Saint Louis, de Lenain de Tillernont (1847-1851, 6 vol.). Il a longtemps rédigé le Bulletin de cette compagnie. Il a aussi été longtemps chargé du compte rendu littéraire du Journal des Savants. Il avait retrouvé en 1837, dans une bibliothèque publique de Valenciennes, un manuscrit de l'Histoire des Bretons en vers latins, sur laquelle il publia une notice analysée dans le tome 22 de l'hist. Littéraire de la France, par Félix Lagard. Sa femme, JOSÉPHINE-MARIE-ANNE MAILLOT, née à Dunkerque en 1806, a écrit un très grand nombre d'ouvrages de piété et d'éducation. Leur fils Charles, né le 31 janvier 1837, s'est occupé de philologie bretonne et galloise et a publié Les Celtes au XIXe siècle (1865).

APPENDICE II

DIVISION CUIRASSÉE FRANÇAISE

(Projet du général de Gaulle)

1 groupe de reconnaissance formé de chars réduits (auto-mitrailleuses) et de fractions d'infanterie transportées sur véhicules légers.

1 brigade de chars (500 chars).

1 brigade d'infanterie (6 bataillons), sur véhicules tous terrains, motocyclettes et voitures à chenilles, fortement dotée en canons d'accompagnement et en armes anti-chars.

1 brigade d'artillerie comprenant :

1 régiment de 105 (obusiers).

1 régiment de 75.

1 bataillon de Génie.

1 bataillon de camouflage.

PANZERDIVISlON ALLEMANDE

1 détachement de reconnaissance formé d'auto-mitrailleuses et d'infanterie sur motocyclettes et voitures légères.

1 brigade de chars (540 chars),

1 brigade de fusiliers (5 bataillons) sur véhicules tous terrains, motocyclettes et voitures à chenilles avec proportion considérable de canons d'accompagnement et d'engins anti-chars.

1 régiment de 105 (obusiers).

1 détachement de pionniers.

Fractions spécialisées dans le camouflage et l'installation des engins antichars.

APPENDICE III

LE CONSEIL DE DÉFENSE DE L'EMPIRE FRANÇAIS

Création. - Le général de Gaulle, reconnu le 28 juin 1940 comme chef des Français libres, a signé, le 27 octobre 1940 à Brazzaville, sa première ordonnance par laquelle il institue un Conseil de Défense de l'Empire français.

Attributions. - Le Conseil a pour mission de maintenir la fidélité à la France des populations des territoires libérés de l'Empire, de veiller à leur sécurité extérieure et à leur sûreté intérieure, de diriger leur activité économique et de soutenir leur cohésion morale.

Il exerce dans tous les domaines la conduite générale de la guerre en vue de la libération de la Patrie et traite avec les puissances étrangères des questions relatives à la défense des possessions françaises et aux intérêts français.

Il pourvoit enfin à la constitution des corps qui exerceront les attributions de juridiction normalement dévolues au Conseil d'État, à la Cour de cassation et, éventuellement, à la Haute cour de Justice.

Composition. L'institution du Conseil de Défense a été accompagnée immédiatement de la désignation de ses membres par le général de Gaulle. Celui-ci a tenu à le composer, sans distinctions raciales ou confessionnelles, de chefs militaires et civils et d'hommes exerçant déjà leur autorité sur les terres françaises ou qui symbolisent " les plus hautes valeurs intellectuelles et morales de la Nation ".

Le général d'armée Catroux, ancien gouverneur de l'Indochine, actuellement délégué général et plénipotentiaire du général de Gaulle et commandant en chef dans le Levant ;

Le vice-amiral Muselier, commandant des Forces navales françaises libres ;

Le général de Larminet, ancien Haut commissaire de l'Afrique française libre, actuellement adjoint au commandant en chef dans le Levant ;

Le gouverneur général Eboué, qui, à la tête du Tchad, a donné, le 26 août 1940, l'exemple du ralliement, actuellement gouverneur général de l'Afrique-Equatoriale française ;

Le gouverneur Saute', ancien commissaire résident français aux Nouvelles-Hébrides, ralliées dès le 22 juillet, actuellement gouverneur de la Nouvelle-Calédonie ;

Le médecin général Sicé, savant réputé de l'Afrique française, actuellement Haut commissaire de l'Afrique française libre ;

Le professeur René Cassin, de la Faculté de Droit de Paris, président honoraire de l'Union fédérale des anciens combattants et mutilés de la guerre 1914-1918 ;

Le Révérend Père d'Argenlieu, capitaine de vaisseau, blessé à Dakar où il s'était présenté en parlementaire, actuellement Haut commissaire de France pour le Pacifique ;

Le général Leclerc, successivement commissaire au Cameroun, commandant en chef des troupes du Tchad, vainqueur de Koufra.

Le Secrétariat permanent du Conseil a été confié au professeur Cassin.

Fonctionnement. - Malgré la dispersion des membres du Conseil de Défense, le général de Gaulle a institué un système pratique de consultations. Peu après sa création, le nouvel organisme a publié une importante déclaration sur l'intégrité de la France et de son Empire. C'est en son nom que le général de Gaulle a signé, depuis le début de 1941, avec le Gouvernement britannique, plusieurs accords très importants de collaboration économique et financière.

Le 11 novembre, l'Allemagne et l'Italie envahissent la " zone libre " française. Le lendemain, l'Algérie et le Maroc entrent dans la guerre aux côtés des Alliés; ce sera ensuite le tour de l'Afrique Occidentale française, de la Côte des Somalis, de la Guyane, de la Tunisie libérée des Germano Italiens, enfin des Antilles.

En janvier 1943, le général Giraud qui, après l'amiral Darlan, assume à Alger les fonctions de " commandant en chef civil et militaire ", engage avec le général de Gaulle des pourparlers en vue d'unifier l'action de la France en guerre.

Le 3 juin, une ordonnance des deux chefs institue à Alger le " Comité français de Libération nationale ".

APPENDICE IV

ORIGINES DU COMITÉ DE LIBÉRATION ` NATIONALE

Le 18 juin 1940, le général de Gaulle, sous-secrétaire d'État à la Défense nationale, dans le dernier gouvernement de la République, lance à la radio de Londres son premier appel aux Français.

Le 7 août, il conclut avec la Grande-Bretagne un accord : une force française " navale, aérienne, terrestre, technique et scientifique " poursuivra la lutte contre les "ennemis communs ". Successivement les Établissements français de l'Océanie et de l'Inde, le Cameroun, l'Afrique Équatoriale française reconnaissent l'autorité du chef des " Français libres ".

Le 27 octobre 1940, formation du " Conseil de Défense de l'Empire ".

Le 27 septembre 1941, après le ralliement de la Syrie et du Liban, avant celui de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Madagascar et de la Réunion, se constitue à Londres le " Comité National Français " présidé par le général de Gaulle.

Le 24 juillet 1942, la " France Libre " prend le nom de " France Combattante ".

Le 8 novembre 1942, Américains et Britanniques débarquent en Afrique du Nord.

APPENDICE V

3 juin 1943.

Le Comité français de Libération nationale est constitué à Alger par le général de Gaulle et le général Giraud.

Le Comité comprend le général de Gaulle et le général Giraud comme présidents; le général Catroux (nommé le même jour commissaire à la coordination des Affaires musulmanes, ainsi que le Gouverneur général de l'Algérie en remplacement de M. Peyrouton, démissionnaire), le général Georges, MM. René Massigli, Jean Monnet et André Philip.

7 juin 1943.

MM. Jules Abadie, Henri Bonnet, Couve de Murville, André Diethelm, René Mayer, René Pleven et Adrien Tixier sont nommés, par décret, membres du Comité français de Libération nationale.

Un certain nombre de commissariats sont créés et leurs titulaires nommés par décret.

Le Comité français de Libération nationale comprend :

Présidents : Général Giraud, général de Gaulle, général Georges.

Commissaire à la coordination des Affaires musulmanes : Général Catroux.

Commissaire à la Justice, à l'Éducation nationale et à la Santé publique : M. Jules Abadie.

Commissaire aux Affaires étrangères : M. René Massigli.

Commissaire à l'Intérieur : M. André Philip. Commissaire aux Finances : M. Couve de Murville.

Commissaire à l'Armement, à l'Approvisionnement et à la Reconstruction : M. Jean Monnet.

Commissaire à la Production et au Commerce :

M. André Diethelm.

Commissaire aux Communications et à la Marine marchande : M. René Mayer.

Commissaire aux Colonies : M. René Pleven. Commissaire au Travail et à la Prévoyance sociale : M. Adrien Tixier.

Commissaire à l'information : M. Henri Bonnet.

4 septembre 1943.

M. François de Menthon est nommé, par décret, membre du Comité français de Libération nationale et Commissaire à la Justice ; M. Jules Abadie, jusqu'ici Commissaire à la Justice, à l'Éducation nationale et à la Santé publique est nommé Commissaire à l'Éducation nationale et à la Santé publique.

2 octobre 1943.

Création d'un Commissariat à la Défense nationale.

Le général de corps d'armée Legentilhomme est nommé membre du Comité et Commissaire à la Défense nationale.

9 novembre 1943.

Remaniement du Comité français de Libération nationale. Le Comité comprend:

Président : Général de Gaulle.

Commissaires d'État :

aux Affaires musulmanes : Général Catroux.

aux Relations avec l'assemblée et aux Études : M. André Philip.

chargé des Commissions intercommissariales : M. Henri Queuille.

Commissaires :

à la Justice : M. François de Menthon.

aux Affaires étrangères : M. René Massigli.

à l'Intérieur : M. Emmanuel d'Astier de la Vigerie. à la Guerre et à l'Air : M. André Le Trocquer.

à la Marine : M. Louis Jacquinot.

aux Colonies : M. René Pleven.

aux Finances : M. Pierre Mendès-France.

à l'Information : M. Henri Bonnet.

aux Communications et à la Marine marchande : M. René Mayer.

aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés : M. Henri Fresnay.

aux Affaires sociales : M. Adrien Tixier.

au Ravitaillement et à la Production : M. André Diethelm.

à l'Education nationale : M. René Capitant.

4 avril 1944.

MM. François Billoux, député, Fernand Grenier, député, et Paul Giaccobi, sénateur, sont nommés membres du Comité français de Libération.

Création d'un Commissariat d'État, d'un Commissariat à la Guerre et d'un Commissariat à l'Air.

Suppression du Commissariat à la Guerre et à l'Air.

5 avril 1944.

Le Comité de Libération nationale comprend :

Président : Général de Gaulle.

Commissaires d'État : MM. Henri Queuille, général Catroux, M. André Philip, M. François Billoux.

Commissaires :

à la Justice : M. François de Menthon.

aux Affaires étrangères : M. René Massigli.

à l'Intérieur : M. Emmanuel d'Astier de la Vigerie.

aux Finances : M. Mendès-France.

à la Marine : M. Louis Jacquinot.

au Ravitaillement et à la Production : M. Paul Giaccobi.

au Colonies : M. René Pleven.

à l'Éducation nationale et à la Jeunesse : M. René Capitant.

à l'Information : M. Henri Bonnet.

aux Communications et à la Marine marchande : M. René Mayer.

aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés : M. Henri Fresnay.

aux Affaires sociales : M. Adrien Tixier. à la Guerre : M. André Diethelm.

à l'Air : M. Fernand Grenier.

délégué à l'Administration des territoires métropolitains libérés : M. André Le Trocquer.

APPENDICE VI

Londres, 6 juin 1944.

Le service de presse français rapporte que le général de Gaulle a fait, à son arrivée dans la capitale anglaise, la déclaration suivante :

" Je suis venu en Grande Bretagne sur l'invitation du Premier Ministre et du gouvernement britannique. Je ne pouvais être loin de la France puisque celle-ci, au comble de ses souffrances et de sa lutte, peut voir les armées de libération venir à elle des rivages de la chère et vieille Angleterre. "

Le 6 juin au soir, parlant à la radio, le général de Gaulle a dit :

La bataille suprême est engagée. Après tant de combats et de douleurs, voici le choc définitif, le choc tant espéré. Bien entendu, c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France ! D'immenses moyens d'attaque, c'est-à-dire pour nous de secours, ont commencé à déferler des rivages de la vieille Angleterre. C'est devant ce dernier bastion de l'Europe à l'ouest que fut arrêtée naguère la marée de l'oppression allemande. Voici qu'il est aujourd'hui la base de départ de l'offensive de la liberté. La France, submergée depuis quatre ans, mais non point réduite, ni vaincue, la France est debout pour y prendre part. Pour les fils de France, où qu'ils soient, quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent. [... ]

Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener en bon ordre. C'est ainsi que nous avons, depuis 1.500 ans, gagné chacune de nos victoires. C'est ainsi que nous gagnerons celle-là. Pour nos armées sur terre et dans les airs, il n'y a point de problème. Jamais elles ne furent plus ardentes, plus habiles, plus disciplinées. L'Afrique, l'Italie, l'océan et le ciel ont vu leur force et leur gloire renaissantes. La terre natale les verra demain. Le bon ordre dans la bataille exige plusieurs conditions. La première est que les consignes données par le gouvernement français et par les chefs français qu'il a qualifiés soient exactement suivies. La seconde est que l'action menée par nous sur les arrières de l'ennemi soit conjuguée aussi étroitement que possible avec celle que mènent de front les armées alliées et françaises. Tout le monde prévoit que l'action des armées sera dure et longue.

La bataille de France a commencé. Il n'y a plus dans la nation, dans les armées, qu'une seule volonté, qu'une seule espérance.

Voici se lever le soleil de notre grandeur.

APPENDICE VII

COMPOSITION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT PROVISOIRE

Paris, le 10 septembre.

Président du Conseil : Général de Gaulle.

Ministre d'État : M. Jules Jeanneney, président du

Sénat.

Garde des Sceaux, ministre de la Justice : M. François de Menthon.

Ministre des Affaires étrangères : M. Georges Bidault, président du Comité de la Résistance nationale.

Ministre de l'Intérieur : M. Adrien Tixier.

Ministre de la Guerre : M. Diethelm.

Ministre de la Marine : M. Jacquinot.

Ministre de l'Air : M. Tilion.

Ministre de l'Économie nationale : M. Mendès-France.

Ministre des Finances : M. Le Percq.

Ministre de la Production : M. Robert Lacoste. Ministre de l'Agriculture : M. Tanguy-Prigent. Ministre du Ravitaillement : M. Giaccobi.

Ministre des Colonies : M. René Pleven.

Ministre de l'Éducation nationale : M. René Capitant.

Ministre du Travail et de la Sécurité sociale : M. Parodi.

Ministre des Transports et Travaux publics : M. René Mayer.

Ministre des P.T.T. : M. Augustin Laurent. Ministre de l'Information : M. Teitgen.

Ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés : M. Fresnay.

Ministre de la Santé publique : M. Billoux. Ministre en Afrique du Nord : Général Catroux.