Nous accusons
LE CALVAIRE DES MARTYRS de la RÉSISTANCE
Edité par le FRONT NATIONAL de lutte
pour la liberté et l'indépendance de la France
SERVICE DE SOLIDARITÉ
SECOURS POPULAIRE DE FRANCE
ASSISTANCE FRANÇAISE
LE CHÂLE ROUGE GORGE
Oui, j'ai peur au ventre d'être
[battu
Et je vais me faire battre, en-
[tends-tu ?
Comme un châle qu'on déploie
La voix
De la femme
Celle de mon enfant
La joie revenant
Rouge-gorge de flamme
La prison bourdonne les dents
[serrées
Où les pleurs sont à macérer
Comme les douleurs
De l'enfantement
Retenu, splendeur
De l'avènement,
(D'une prison allemande
en France, 1943.)
I
LES TORTURES
Juin 1940. - Pétain livrait la France désarmée aux troupes allemandes. Derrière elles, la Gestapo envahissait nos villes et nos villages ; le long calvaire des patriotes allait commencer.
Juin 1944. - Quatre ans plus tard :
100.000 courageux Français ont été assassinés ;
400.000 croupissent dans des prisons et des camps ; Des centaines de milliers d'autres sont déportés; Beaucoup ont été affreusement torturés.
Ces crimes ont été perpétrés en étroite collaboration avec la police du gouvernement de Vichy. Dès l'armistice, la police française est placée sous les ordres de la Gestapo et, en 1942, un accord intervient pour en préciser les buts :
" Des accords ont réglé la question de la collaboration entre les polices française et allemande. Ces accords stipulent que la police française doit apporter son appui à la police allemande, non seulement en lui communiquant des renseignements utiles, mais en coopérant à la répression contre les ennemis du Peich (Bulletin mensuel de la Délégation française à la commission d'armistice, 28-2-42).
En janvier 1944, les miliciens de Darnand, tueurs professionnels que l'hitlérisme a recrutés dans les bas-fonds de tous les pays asservis par lui, vont prendre la direction de la police.
LES ÉMULES DES TORTIONNAIRES NAZIS
Le traditionnel passage à tabac de notre " police nationale " est, sous l'impulsion de l'ordre nouveau et à l'exemple de ses maîtres nazis, promu au rang de science.
Un prisonnier nous écrit :
" Mon copain R. S. a été couché sur le ventre, les mains et les pieds enchaînés, puis mis dans des presses (ces messieurs dis-posent d'un matériel approprié !). Il a les membres complètement déformés, surtout les pieds. "
Cinq tortionnaires s'acharnèrent sur un patriote :
" Il avait sur les fesses, racontent ses compagnons d'infortune, des plaies dont le sang avait traversé jusqu'au pantalon ; de même sur le dos. Il dut être touché au cœur, car il eut de nombreuses syncopes. Durant la première nuit, nous lui avons mis plusieurs compresses de fortune et, le matin, ils l'ont emmené dans une autre salle pour recommencer la séance des tortures. Comme nous protestions, ils l'emmenèrent dans le lit où nous l'avions allongé et, pour passer la porte, plièrent le lit en deux ; ce ne fut qu'un cri dans la salle. Toutefois, ils continuèrent à le frapper. Malgré nos demandes nous n'avons jamais su ce qu'il est devenu. "
Un jeune ouvrier, au commissariat de Saint-Denis, matraqué pendant cinq heures consécutives par huit inspecteurs, eut un décollement de la plèvre, et un autre, qui fut frappé dans la région des reins à plusieurs reprises, pendant plusieurs jours, urina du sang...
Les exemples ne manquent pas. Les moyens diffèrent quelquefois, au gré de l'imagination des bourreaux, mais les conséquences sont toujours les mêmes.
À Nevers, le commissaire Dumontel fait ses preuves : un patriote demeure vingt-six heures attaché à une table, entièrement dévêtu, cependant que les inspecteurs se relayent pour le frapper à coups de nerfs de bœuf et de matraques confectionnées avec des fils électriques. Six autres sont conduits inanimés à l'hôpital, les uns ayant la vessie perforée, d'autres les poumons crevés, d'autres le nez écrasé à coups de pied. À l'hôpital, malgré leur état, ils sont soumis à une surveillance spéciale et enchaînés par les pieds.
À Rennes, Hervé est battu pendant vingt-sept heures, les parties sexuelles percées avec des aiguilles, les pieds brûlés au chalumeau. Evadé, il est repris par la police française. Puis livré aux Allemands qui l'ont fusillé.
Souvent le supplice se prolonge plusieurs jours. Aux souffrances subies s'ajoute l'attente angoissée du lendemain :
Du 5 au 15 janvier 1943, le patriote R. P. est battu. Chaque jour, il perd connaissance sous la violence des coups. Le 7, il est de nouveau frappé avec un nerf de bœuf.
" Tout à coup, raconte-t-il, j'entends une voix de fauve me crier : " Ne t'en fais pas, tu vas bientôt accoucher ! " On me brûle alors les poils des jambes avec un briquet, et c'est un petit ressemelage de la plante des pieds ! Je reste encore sur le carreau. " Chaque jour la bastonnade recommence, car il ne parle pas. Le 11, l'interrogatoire, qui débute à 21 heures, se termine à 1 h. 30 du matin. " J'ai regagné la salle péniblement, en m'appuyant contre les murs et soutenu par l'agent de service. J'ai horriblement souffert... "
Une autre témoignage :
" Comme je restais muet, ces messieurs sont passés aux actes. Le quatrième jour, ils prirent des lamelles qu'ils m'enfoncèrent sous les ongles des pieds...
" N'obtenant toujours rien, ils m'ont appliqué une plaque sur les parties les plus sexuelles et une autre sur la nuque, et ont fait passer un courant électrique. C'est un odieux supplice, j'ai bien cru que c'était fini... "
LES CHAMBRES DE TERREUR...
Les techniciens de la torture scientifique savent être raffinés ; nos policiers ont mis en œuvre un véritable travail à la chaîne : du travail en série, bien fait. Les futurs questionnés entendent, léger avant-goût de ce qui les attend, les cris de ceux que l'on martyrise.
Qui n'a pas entendu parler des nombreuses chambres de tortures de la préfecture de police et des Renseignements généraux PN, rue Bassano. La salle Tissot surtout (ainsi baptisée du nom du tortionnaire qui s'y est distingué) est évoquée avec horreur. Les hommes qui en sortent, pliés en deux, soutenus, portés par des gardiens, sont réduits à l'état de vraies loques humaines.
On se souvient de la joie qui accueillit la nouvelle de l'exécution de Tissot, en juin 1943, au bois de Vincennes, par de courageux francs-tireurs.
Dans quel état peuvent sortir les patriotes ainsi " interrogés " ? Les fiches médicales, écrasantes pour les bourreaux, en témoignent dans leur objectivité technique. (Comment leur refuserait-on créance ?)
Nous nous bornerons à citer celle de Marcel Gouzien, trente-trois ans, arrêté le 1er mars 1943 :
" Entré dans le service le 12-3-43, venant de la préfecture de police pour état de shock avec ecchymoses et hématomes souscutanes multiples.
" Malade shocké, hypotendu - 8,5 - refroidissement des extrémités muqueuses sèches.
" Examen : tout le dos, fesses et cuisses recouverts d'ecchymoses. Les téguments sont durs, infiltrés et tuméfiés : un véritable hématome diffus couvre les régions mentionnées.
" Les jours suivants : fièvre 39° - subictère des muqueuses, surtout anurie complète pendant 36 heures.
" Azotémie : 2,85.
" G. R. : 2.500.000. " Quelques jours après, apparition d'un foyer à la base gauche. L'azotémie diminue progressivement. Le jour de sa sortie, azotémie : 0,53. "
(Hôpital Rothschild.)
Et voici le récit qu'a laissé Marcel Gouzien de son passage dans la salle de la brigade spéciale (nous reproduisons textuellement) :
" Vers 17 heures, des agents viennent me chercher pour me conduire à la salle de brigade spéciale, où deux inspecteurs m'attendent. Je suis prié de m'asseoir, mais le ton affable du matin a disparu.
" Question : Sur le local de l'imprimerie.
" Réponse : Je ne connais pas d'imprimerie.
" Question : Sur les clefs.
" Je ne réponds pas.
" Le ton devient plus naturel, c'est-à-dire plus dur.
Mon carnet de rendez-vous est ouvert (les pages précédant la semaine intéressée avaient été enlevées par moi) ; restent les rendez-vous pour les jours suivants; seuls ces neuf rendez-vous intéressent (ils étaient écrits selon un code à moi). L'un des inspecteurs : " Et maintenant fini de rigoler, tu vas nous traduire cela sans traîner. "
" Réponse : Je ne me souviens plus...
" L'autre amène un nerf de bœuf qu'il pose ostensiblement devant moi. Je suis interrogé de la même façon sur les rendez-vous suivants ; ma réponse ne varie pas.'
" Alors, je suis prié de me déshabiller complètement : quatre tables sont juxtaposées, je dois m'y allonger sur le ventre, puis les questions reprennent sur les rendez-vous ; la réponse ne leur donne pas satisfaction ; ils frappent sur les fesses ; (le temps à autre ils s'arrêtent :
" Tu accouches ?
" Ils me recouchent violemment et frappent à nouveau ; cela dure longtemps, avec des arrêts de temps à autre pour placer des questions.
" Arrive un individu râblé, 1 m. -68 environ, chauve ; lorsqu'il arrive, les autres me promettent que je ne vais pas tarder à parler. Cette brute cogne de toutes ses forces, sur les cuisses, les jambes, et fait asseoir un de ses collègues sur nies jambes afin de me frapper sur la plante des pieds ; cela dure longtemps, puis, devant mon silence (relatif, car j'ai pas mal crié, quoique pendant toute cette séance un des sadiques me tenait la tête enfouie dans un coussin).
" Puis ils s'y mettent à cinq ; deux s'occupent à écarter les tables, puis à les rapprocher de toutes leurs forces, afin de me coincer les genoux. Pendant les arrêts, je collectionne gifles et coups de poing dans la poitrine et dans l'estomac. Puis les coups pleuvent sur le dos et les épaules. A un moment, le nerf de bœuf s'est cassé en cieux ; la brute s'en fait apporter ùn autre, deux fois plus long et, après m'avoir vanté la marchandise, la séance reprend. Pendant les arrêts, ils se relayent pour me questionner, en faisant varier les questions...
" Combien de temps cela dura, je l'ignore ; je suis très fatigué au moment où ils me disent de m'habiller, ma langue emplit ma bouche et j'ai du mal à respirer. J'arrive difficilement à me vêtir, ils se moquent grossièrement de moi, m'insultent tour à tour, puis les questions recommencent. L'un cogne avec le nerf de bœuf, pendant que les deux autres cognent avec leurs poings. L'un dit : " Ah ! tu veux jouer les martyrs ; à partir de maintenant, courage, tu vas dérouiller ! " Je suis tantôt assis, tantôt debout ; je tombe à plusieurs reprises ; mais la vue de leurs pieds dans le voisinage de mes côtes me donne la force de me relever.
" À la fin, je suis inerte sur une table où je me suis laissé tomber ; peu après, les coups cessent. Deux des brutes me reconduisent à la salle d'attente où ils me poussent sans se montrer aux occupants (ce détail me fut donné par la suite, à l'hôpital, par un détenu présent). L'interrogatoire avait duré trois heures ou trois heures et demie. Les camarades présents s'occupent de moi, me couchent ; mais cela ne va pas fort et les agents nie portent évanoui dans la salle de la brigade spéciale. Là, sur une civière, je reviens à moi, puis le médecin de service m'ausculte ; j'ignore son diagnostic, niais la civière est mise à terre et là j'ai quelques moments de lucidité pendant lesquels j'entends les agents blâmer le travail de la B. S. (à cette heure, il n'y avait plus d'inspecteurs dans cette salle). L'individu dont je vois les pieds pleure ; il vient d'être passé à tabac.
Je perds fréquemment connaissance ; les agents me versent un peu d'eau dans la bouche de temps en temps ; c'est tout ce que je reçois comme soins à la préfecture de police.
" Les agents de la brigade de nuit prennent leur service et ne tardent pas à être indisposés par ma présence. S'il claque ici, on va encore être emm... Ils font appeler le médecin de nuit, qui me déshabille et m'ausculte. Résultat : A transporter d'urgence à l'Hôtel-Dieu. Ce qui fut fait d'ailleurs, sans que ces messieurs prennent la peine de m'habiller ; et c'est couvert de mon seul pardessus et grelottant que je me souviens d'avoir été déposé devant l'Hôtel-Dieu, en attendant mon admission.
" Le médecin de service m'ausculte et j'entends : " État grave ; méningite à craindre... " ; puis encore quelques timides reproches aux inspecteurs et agents qui m'ont amené ; c'est tout ce dont je me souviens de cette nuit. Il était deux heures du matin. L'après-midi, on me transporte à l'hôpital Rothschild en ambulance, accompagné de deux inspecteurs. Dès la première nuit, mon état s'aggrave ; seuls, la poitrine et mon bras droit ont gardé leur couleur normale ; je suis couvert d'ecchymoses et d'hématomes ; puis les reins ne fonctionnent plus, l'urée monte à 2 gr. 85 % ; température, 39°5 à 40°, crachements de sang ; à partir du deuxième jour, foyer pulmonaire gauche ; douleurs à la base du crâne. Les soins sont sérieux, injection de sérum (jusqu'à 2 litres par jour), piqûres variées, sondages, etc. J'eus une hémorragie nasale à 2 heures du matin, huit jours après mon entrée ; il fallut l'intervention de deux médecins, dont un spécialiste, pour l'arrêter. Les jours suivants, les maux de tête allèrent en diminuant ; je suis sauvé de la méningite. Le dix-septième e jour, les médecins me considérèrent comme hors de danger. On m'alimente selon un régime spécial de suralimentation, l'appétit revient, les forces aussi et je commence à songer à prendre l'air. "
" Je commence à songer à prendre l'air ", voilà ce qu'écrivait Gouzien, encore très affaibli et que ses ennemis croyaient avoir terrassé ! Quelque temps après, Marcel Gouzien, animé par une grande force intérieure, mettait son projet à exécution et il eut l'admirable courage, à peine rétabli, de s'évader.
Lorsqu'on le torturait, Marcel Gouzien ne savait pas qu'il survivrait : il acceptait d'être tué à coups de bâton comme un chien plutôt que de trahir sa cause, son pays ! D'avoir vécu en enfer, Marcel Gouzien ne restera-t-il pas marqué pour toujours. Il a donné à sa patrie plus. que sa vie : le prix de son silence.
Ce sont tous ces silences de patriotes, toutes ces luttes sans espoir contre des tortionnaires infâmes, qui sauvent quotidiennement la France et lui méritent sa place héroïque dans le combat.
DES FEMMES, DES ADOLESCENTES SONT FRAPPÉES AVEC SADISME...
Les femmes qui ont su prendre leur place dans le combat ont aussi leurs martyrs : les policiers de Vichy s'abattent sur elles, tels les fauves qu'on lançait jadis contre les premières chrétiennes. Ces brutes persécutent même des adolescentes, avec un sadisme qui dépasse l'imagination. Mises complètement nues, elles sont frappées sur les seins sous des sarcasmes orduriers. Les policiers se divertissent à leur arracher les poils.
Combien de malheureuses dont nous ne savons pas les noms. ni les souffrances ! Combien d'arrêtées n'ont plus donné signe de vie ! Ces inconnues, par exemple, dont nous parle une lettre :
Des camarades arrivent après avoir été battues et maltraitées, déshabillées, toutes nues et frappées avec un sadisme digne des propos qui accompagnent les coups ; des touffes de cheveux arrachées, des insultes à couvrir la boue de ruisseau. Pendant leur séjour à la Préfecture, elles n'ont connu que cris et tortures autour d'elles... "
Affreusement torturée, l'institutrice Madeleine Marzin, évadée après sa condamnation aux travaux forcés à perpétuité par le tribunal d'Etat que préside le magistrat Devise, a été promenée nue dans les couloirs de la police judiciaire ; son corps n'était plus qu'une plaie.
Voici encore cette jeune femme, professeur au collège moderne de Douai, qui, ayant refusé de donner sur son mari, passé dans le maquis, les renseignements que la police exigeait, fut soumise aux tortures d'usage. Elle était enceinte et mère d'un enfant de dix-huit mois. Trois jours plus tard, sa famille apprenait qu'elle s'était " suicidée " !
Pour se convaincre de tels procédés, il suffit de consulter les fiches établies par " l'Assistance française "
Nous avons, sous les yeux, une fiche qui dénote chez les tortionnaires, dès qu'ils s'attaquent à des femmes, un sadisme particulièrement raffiné.
" S... T... et L... I... furent mises à genoux sur une règle de fer, les jambes écartées, un tortionnaire leur marchant sans cesse sur les mollets ; en même temps, elles devaient garder les bras en l'air sans remuer ; chaque fois qu'un fléchissement se produisait, un coup de pied ou de poing les obligeait à reprendre leur position. Toutes deux n'eurent pas un cri, pas une larme. Elles tinrent une heure et demie, puis elles s'évanouirent. Elles sont âgées de seize et dix-huit ans. "
Et pour terminer une revue qui serre atrocement le cœur, quoi de plus éloquent que cette pauvre lettre maladroite :
Dépôt 1943, nous avons vu un jeune fille de dix-sept ans et demi dont ils brûlaient le bras au coude avec une flamme de briquet, en même temps qu'ils la pinçaient. Cette jeune fille n'a rien dit. Une autre de dix-neuf ans est descendue du dépôt avec la joue et l'œil droits complètement noirs. Elle ne pouvait pas manger, la mâchoire lui faisait mal. Elles avaient les fesses complètement noires et le visage tuméfié. "
L'ACHARNEMENT DES BOURREAUX CONTRE LA SCIENCE...
La science et la pensée françaises, en lutte contre l'obscurantisme et l'oppression nazi-vichyssoise, ont payé à leur cause un lourd tribut
L'emprisonnement des professeurs : Borel, Manguin, Lapique, Cotton, Langevin, Bruhat, Prenant (professeur en Sorbonne), le meurtre du grand physicien Holweck, des savants Vilde et Livitzki (du Musée de l'Homme).
Le prétendu suicide du grand traducteur et géographe Streber, dont le corps fut rendu à la famille, les membres brisés, presque méconnaissable.
Les crimes de terrorisme que la milice du tueur Darnand a perpétrés contre le professeur Basch et sa femme, tous deux octogénaires, contre le doyen Gosse, de la Faculté des sciences de Grenoble, et contre son fils, avocat au barreau de Grenoble.
Ainsi qu'à Clermont-Ferrand les Allemands semaient la terreur à l'Université de Strasbourg.
Les supplices et l'assassinat de Jacques Solomon (maître des conférences au Collège de France) et du professeur Georges Politzer. Ce dernier notamment fut pendant deux mois mis aux fers, cruellement battu, laissé sans soins, couvert de plaies suppurantes, avec ttn bras cassé, un os sortant du poignet. Pucheu, alors ministre de l'Intérieur, vint assister à l'un de ses " interrogatoires ". Politzer fut mis tri et sauvagement frappé de verges, particulièrement sur les parties sexuelles. Pucheu commandait le supplice.
Celui-là a déjà expié son crime ; la population de notre Afrique du Nord et les mouvements de résistance ont obtenu sa condamnation à mort.
LES TORTURES MORALES
Sachant que l'âme élevée du patriote, l'endurance qu'il a acquise dans ]fie combat lui permettent de résister héroiquement à la douleur physique, le policier va essayer parfois de le prendre par les sentiments et employer la torture morale, peut-être plus terrible.
En 1942, une jeune chimiste est arrêtée chez elle. La police s'était déjà emparée du mari, l'avait jeté dans un camp, n'ayant rien trouvé contre lui. Un bébé de dix-huit mois fut laissé seul à la maison et on ne permit pas à la mère de faire appeler des parents, des amis. Pendant neuf jours, sans arrêt, cette femme fit battue. Elle fit preuve d'un courage admirable. Livrée aux Allemands, elle fut condamnée à mort.
Au début de 1943, un médecin français, C... et sa femme, furent. arrêtés à Paris. On emmena avec eux leur petit garçon âgé de quatre ans. On de garda pendant deux jours enfermé sous les yeux de sa mère, puis le surlendemain on le mit à la rue en plein Paris. Débrouille-toi. Quatre ans
En janvier 1943, à la police judiciaire, c'est un père de Champigny et son fils âgé de dix-sept ans que l'on roue de coups alternativement, comme alternativement retentissent leurs cris de douleur. La torture morale combinée avec la torture physique.
Une jeune fille devenue tuberculeuse et dont l'état nécessite un pneumo-thorax est traitée sous la surveillance de la police. On commence l'opération, puis : " Si tu ne parles pas, on ne finit pas ", et comme elle se tait on arrête l'insufflation.
N'oublions pas non plus toutes les propositions glissées dans l'oreille du prisonnier. On lui fait entrevoir la liberté au prix d'un petit renoncement, d'une brève déclaration, reniant le passé. On lui propose de l'argent, des honneurs. On spécule sur sa douleur, sur sa lassitude ; on s'ingénie à pincer toutes les fibres qu'on suppose à vif. L'attitude d'un Gabriel Péri, d'un Pierre Sémard et de tant d'autres illustre à merveille la fière énergie de nos patriotes face aux bourreaux.
L'ASSASSINAT
Mais les tortionnaires déchaînés ne reculent pas devant le meurtre.
" Cela en fera un de moins après la guerre ! "
C'est par cette phrase qu'un agent de la brigade de Melun excusait le crime qu'il venait de commettre : il avait blessé d'un coup de revolver à bout portant le patriote Gaston Roger, alors que celui-ci avait les menottes aux mains : balle entrée derrière l'oreille gauche, sortie par la joue droite...
" Cela en fera un de moins après la guerre... " Quelle importance si l'on tue ? Les patrons ne désavoueront pas. Au contraire. Pour eux aussi cela en fera un de moins. On frappe. Au besoin, pour calmer l'indignation, qui même chez les,gardiens de la paix se manifeste, on simulera un suicide avec le concours d'un médecin prêt à tout admettre. Tel est le cas de Robinet, travailleur municipal du XVIIe arrondissement. Voici à son sujet ce que relate un témoin :
" J'ai été confronté avec Robinet le 14 octobre 1942, à 15 heures, au commissariat de la Plaine-Saint-Denis. À ce moment, il n'avait plus aucun contrôle de lui-même, soit au moral, soit au physique. La torture, pour lui, a continué dans des conditions atroces. Le 12 au matin, les inspecteurs m'ont indiqué qu'il s'était pendu avec son caleçon et était à l'hôpital Saint-Denis ; des gardiens de la paix m'ont indiqué qu'il était mort par les coups et serait décédé à l'hôpital. Un détenu de droit commun que j'ai revu à la Santé m'a confirmé sa mort... Ses bourreaux sont les inspecteurs Chaplain, de Saint-Denis, Bouet, du même poste, et Georges, des Renseignements généraux. Les mêmes qui nous ont arrêtés et brutalisés. Ils se sont vantés envers nous d'avoir fait la peau à plus de dix patriotes. On frappe. S'arrêtera-t-on à temps ? C'est la griserie cle la hyène devant sa proie. "
Pauvre Elie Gras, du XVe arrondissement de Paris. On a retrouvé son cadavre : sa tête était écrasée...
Roland Garcia a eu les intestins perforés :
" Arrêté quelques jours après moi, nous raconte un de ses camarades, il a passé une nuit tout nu, par terre, après avoir subi la bastonnade, qui l'avait laissé sans connaissance. Le lendemain, il a été conduit à l'hôpital Rothschild, où il est mort. (Entré le 6 et mort le 15 février 1943.)
La cruauté brutale et raffinée des tortures, la lente usure des prisons, la mort, rien ne peut dompter le courage, l'héroïsme des patriotes. Leur sacrifice volontaire, grandiose hymne à la vie, inscrit dans notre histoire, dans l'histoire de l'homme, une de ses plus magnifiques épopées.
Ils m'ont laissé ma vie, et com-
[bien menacée,
La vie d'un animal qui enroule
[l'espace,
Sur quatre pas en Long et sur
[cinq pas en large,
La vie d'une panthère arpenteuse
[de cages,
Oh ! rage, un jour viendra où les
[dents pourront mordre. "
(La Valentine. " Europe. ")
II
LES CAMPS ET LES PRISONS
À la direction des camps et des prisons, Vichy a placé le plus souvent des hommes qui, connus pour leur zèle et leur cruauté, ont fait de ces lieux de détention de véritables " châteaux de la mort lente ". Certains médecins, dépourvus de toute conscience professionnelle, participent à cette besogne criminelle. Ls uns laissent croupir, dans des cellules infestées de crasse et de vermine, les patriotes affamés et maltraités, les autres refusent aux malades les soins les plus indispensables.
Nous reproduisons, au cours de ce chapitre, quelques textes frappants, réquisitoire impitoyable dressé par les victimes contre leurs bourreaux.
CONDITIONS MATÉRIELLES DE VIE ET D'HYGIÈNE
Il est difficile pour celui qui a toujours vécu dans une maison d'imaginer ces campements provisoires dans des baraquements de bois et de se représenter ces cellules toujours sombres, où la poussière s'entasse sur tous les objets, où chacun manque du strict nécessaire, du chauffage, de l'eau, où seuls sont à leur aise les rats, les insectes nocifs et les bactéries.
Du camp de Brens, une internée écrit à sa famille :
Des fils de fer barbelés, doublés de planches, entourent le camp, ne laissant qu'une petite allée autour des baraques. Pas d'arbres, pas d'ombre. Les baraques construites sur pilotis offrent aux rats et aux souris, sous le plancher, le meilleur asile. La nuit, ces animaux font une sarabande infernale. Ils sautent sur les lits, passent sur les visages, dévorent les provisions enfermées. Beaucoup de punaises, dont il est impossible de se débarrasser, malgré les visites fréquentes de la literie. Pour compléter la ménagerie du camp de Brens, des nuées de moustiques qui jour et nuit, dehors comme à l'intérieur des baraques, piquent tout le monde, malgré la citronnelle dont s'enduisent les internées.
L'atmosphère d'un camp dans le nord de la France nous est décrite par l'un de ses habitants :
" S'il pleut ou s'il neige, le camp est souvent transformé en bourbier. Alors, nous nous calfeutrons dans des baraquements mal clos et bavardons autour d'un poêle anémique.
" Des gendarmes ou des gardes, mousqueton à l'épaule, jour et nuit, nous surveillent. Tous les soirs, la lumière s'éteint dans les baraques à 9 heures, mais le camp reste éclairé toute la nuit et souvent le pinceau du phare du mirador tourne sur le camp, repérant toute ombre suspecte. "
Derrière leurs grands murs, les prisons, sans air, sans soleil, sont plus insalubres encore que les camps.
" De l'ensemble de ces troupeaux humains, nous disent les femmes de la prison de la Roquette, malgré les soins d'hygiène que nous prenons, se dégage une odeur d'urine, de sueur, de vêtements sales. Poux et morpions se plaisent dans cette Crasse. Bien peu de nos amies peuvent dire qu'elles n'ont pas attrapé de ver-mine.
" Ces femmes couchent à quatre, cinq ou six dans chaque cellule, où des paillasses sales, déchirées et très plates sont déposées sur des planches à peine isolées du sol et parfois à même le plancher.
" Les boiseries mal jointes et les interstices des portes donnent asile à d'innombrables nids de punaises, déjouant toutes les chasses qui peuvent leur être faites. Les souris ont également leur entrée libre dans nos cellules et viennent parfois se nicher dans les paillasses, après avoir rendu visite au sac de provisions...
" Dès que le silence s'établit dans les cours, les rats sortent des égouts et de tous les trous, pour venir chercher leur pâture dans les poubelles ; la nuit, on les entend se battre dans les cours et les couloirs des cellules ; le matin, des crottes de rats sont trouvées un peu partout... "
Il n'est pas question de se désinfecter. Voici ce qu'écrit un prisonnier de la Santé :
" Dans cette cité de plus de 4.000 âmes, où la plupart des détenus sont obligés d'utiliser collectivement la literie (quatre paillasses et huit couvertures sans draps, pour cinq, six et parfois sept personnes), le service de désinfection n'existe pas. La literie n'est jamais changée chez les " droits communs ". Les mêmes couvertures servent indéfiniment. C'est une source de microbes entretenue à souhait, où la gale voisine avec la syphilis, où les poux, les punaises et les puces grouillent. "
À Amiens, les patriotes sont entassés à sept, huit et neuf dans des cellules destinées à en recevoir deux.
Vivant dans une saleté repoussante, les patriotes peuvent à peine se nettoyer ; l'eau est distribuée au compte-gouttes
À la prison de la Roquette, les douches sont. données une fois par mois ; le linge fourni par l'administration pénitentiaire n'est changé que rarement ; un mouchoir tous les quinze jours ; une chemise toutes les semaines ; un drap tous les deux mois, et un torchon tous les quatre mois.
À Poissy (novembre 1943), les internés avaient dix minutes pour se laver à cent sur un lavabo de trois robinets, il ne leur était permis de se laver que les mains et la figure. Les chemises et les caleçons qu'on leur donnait étaient sales, souvent couverts de poux et d'humeur, car 20 % des détenus avaient le corps couvert de plaies purulentes, le savon était payant, vendu une fois tous les trois mois.
À Pithiviers, les détenus touchent une ration mensuelle de 32 grammes de savon.
À Rennes, la direction, qui avait interdit aux femmes de se laver le soir, a fini par céder, impressionnée par leurs manifestations collectives : chacune dispose en tout de sept minutes et de la moitié d'un pot de chambre pour la toilette intime.
Nuit et jour, respirant une odeur viciée, les prisonniers n'ont droit qu'à dix ou quinze minutes de promenade quotidienne, ce qui est particulièrement insuffisant (comme en témoignent les rapports médicaux) pour des jeunes gens de dix-huit à vingt-cinq ans, qui supportent beaucoup moins que leurs aînés le régime de la détention.
SOINS MÉDICAUX DÉRISOIRES
Dans ces foyers de microbes, des épidémies font parfois des ravages (scorbut, typhus, etc.). Presque tous les prisonniers souffrent de la gale. Or ces conditions de vie si meurtrières sont aggravées par les insuffisances du service médical et les véritables crimes sanitaires qui ne se comptent plus.
Les documents que nous utilisons ici nous ont été transmis par le Comité national de Défense des Prisonniers politiques, qui groupe des personnalités de toutes les professions et de tous les milieux sociaux.
À la Santé
Pour 4.000 détenus, un seul médecin, le docteur Desforges, assure le service. Quelques détenus, généralement sans qualification, jouent le rôle d'auxiliaires ; ils sont chargés d'appliquer les soins. Le médecin visite deux à trois divisions par jour. Chaque détenu n'a droit qu'à une visite par semaine et à jour fixe. Les malades sont expédiés à la cadence moyenne de cent en une heure et demie. On ne peut même pas parler d'examen. Le plus souvent la consultation se borne à un interrogatoire rapide. Une thérapeutique passe-partout : purges, cachets, badigeonnages.
En cas d'urgence, le gardien doit alerter ses supérieurs qui, eux, préviennent le service médical. En général, trois ou quatre heures s'écoulent entre la première demande et la venue d'un infirmier auxiliaire. Si l'infirmier auxiliaire le juge nécessaire, il fait appel à. l'infirmier en titre. Celui-ci, surchargé de travail, est souvent lent à se déplacer. En l'absence du médecin (qui n'est présent que le matin de 10 heures à. midi), c'est lui qui décidera de l'urgence. Or, il n'est nullement qualifié.
C'est ainsi qu'il y a quelques mois un détenu, non reconnu malade par l'infirmier, n'a été évacué qu'au bout de trois jours, et a été opéré in extremis, de l'avis même du chirurgien.
Il n'existe aucun moyen d'hospitalisation dans la prison. Les malades graves sont expédiés à l'infirmerie de Fresnes, après un séjour par le dépôt. Et tout le trajet se fait en panier à salade.
À la Petite-Roquette
Il n'est pas rare que le docteur renvoie les malades sans même les avoir auscultées et parfois même en les insultant. Les malades reconnues à la visite de 10 heures ne rentrent à l'infirmerie qu'à 17 heures, le soir. Les soins, quand ils sont donnés, ne le sont que vingt-quatre heures plus tard. Aucune boisson chaude n'est donnée aux malades. Tout le matériel médical est insuffisamment désinfecté et l'isolement des contagieux n'existe pas. Un seul thermomètre, cassé, et trois canules servent pour toutes les malades. Les quarts ayant servi à des contagieuses ne sont pas désinfectés.
Les prisonnières politiques ont du imposer plusieurs fois leurs malades à l'infirmerie, car leur état nécessitait des soins urgents. Des femmes ont perdu la vue, d'autres sont mortes par suite de l'incurie des médecins.
À la suite d'une campagne lancée par le Comité de Défense des Prisonniers politiques, le Front national des Médecins et de l'Assistance française contre le scandale du service médical de la Petite-Roquette, le gouvernement de Vichy, comme chaque fois qu'il se trouve en présence de revendications appuyées par des forces puissantes et unies, a dû reculer. Les docteurs Hermange et Trouillet, médecins sans scrupules de la Petite-Roquette, ont été mis à pied.
SOUS-ALIMENTATION
" Tout prisonnier est un malade en puissance " (rapport d'un, médecin d'une prison de Paris) ; sous-alimenté, il est une proie facile pour tous les microbes. Ses facultés de résistance sont affaiblies par le manque d'air et de nourriture.
L'interné sans colis est en fait condamné à mourir lentement de faim, car l'ordinaire d'une prison ou d'un camp, à quelques variantes près, se décompose comme suit :
Une tisane le matin :
Une soupe contenant quelques légumes à 11 heures ; Une autre plus claire à 17 heures ; 400 grammes de pain par jour ;
Une portion de viande et de fromage une fois par semaine.
Insuffisants, ces produits sont, par surcroît, de très mauvaise qualité et préparés salement.
Une internée du camp de Brens écrit :
" Dans des gamelles très mal lavées, on nous sert des ratatouilles peu appétissantes. Les séries sont redoutées : quatre mois, matin et soir, de farine de marron d'Inde ; quatre mois de navets bouillis à l'eau ; trois mois, matin et soir, épinards bouillis, et trois mois de topinambours. "
La misère physiologique, conséquence de la sous-alimentation, est décrite dans le témoignage que nous reproduisons ici :
Il n'est pas de jour que nous ne voyions s'écrouler un de ces pauvres diables qui ressemblent à des squelettes vivants et qui vivent d'épluchures, d'ordures ramassée sous les tables ou dans les ordures mêmes. Jusqu'au bout, ils doivent marcher. Quand ils ne le peuvent presque plus, on les soutient jusqu'à ce qu'ils meurent. Sur les 1.000 détenus, il y en a bien une centaine dans cet état-là, et comme ce sont les plus faibles, ils doivent encore servir de réceptacle aux coups que certains gardiens se font un plaisir de donner. Il s'agit là, évidemment, de droits communs non assistés ; mais il faut ajouter que le régime, pour nous, est identique et ce qui nous permet de tenir, ce sont nos deux colis et notre grand moral. Il y a d'ailleurs de nombreux camarades qui sont extrêmement affaiblis et l'un d'eux est en ce moment au plus mal à l'infirmerie, où l'on ne rentre qu'à la dernière extrémité. (Poissy, août 1943.) "
La Solidarité de la Résistance, pour essayer de pallier le dépérissement des patriotes incarcérés, s'est chargée d'envoyer le plus de colis possible dans les prisons et les camps et appelle toutes les femmes françaises à l'aider dans cette grande tâche de solidarité patriotique.
SCANDALE DU MARCHÉ NOIR
Ce scandale, qui sévit à l'échelle du pays tout entier, est bien loin d'épargner nos emmurés.
Tandis que les patriotes crèvent de faim, un marché noir honteux se pratique au profit du personnel des prisons et des camps, qui vendent aux droits communs toutes sortes de produits à des prix exorbitants.
Écoutons plutôt le rapport qui nous parvient du camp de Brens :
Pour l'énorme personnel qui est employé à ce camp, un seul maître : le billet de 1.000 francs. À tous les échelons, on obtient des faveurs en payant ; les gardiens vendent leurs cigarettes 300 fr. à des intermédiaires (internés), qui les revendent 400 francs. Comme les cours du marché noir sont beaucoup plus élevés, les surveillantes achètent en ville viande, beurre, sucre, volailles, œufs, café, etc., et revendent ces articles le double du prix qu'elles ont payé. "
Certains fonctionnaires furent même impliqués dans une grave affaire de trafic de vin...
Il y a mieux : " un marché noir des visites ". Proche parent, peu importe ! mais si, quel que soit votre degré de parenté, vous graissez la patte, vous avez grandes chances de voir s'évanouir devant vous toutes les barrières administratives. En vraie grippeminaudie !
A l'infirmerie de la Petite-Roquette, on vend aux " intoxiquées " la piqûre de morphine de 80 à 100 fr., le gramme de cocaïne 120 fr., l'alcool 50 fr. le quart, la cigarette 25 fr. et l'allumette 4 francs !
Ce trafic se développe d'autant mieux que les clientes de ce louche commerce ne sont autres que des trafiquantes de marché noir, des souteneurs, des voleurs, des assassins.
PROMISCUITÉ
Et c'est dans cette lie de la société que nos patriotes doivent vivre pendant des mois.
" École du crime, nous écrit une patriote de la Petite-Roquette, école du vice, entraînement au vol, au mensonge. Misère sociale étalée dans toute sa laideur. " Brens, février 1944 :
" Les prostituées qui se battent, s'injurient à longueur de journée apportent dans le camp une atmosphère trouble, viciée. Intrigues entre femmes ou avec le personnel masculin du camp, tout est prétexte à querelles, à batailles.
Cette promiscuité est particulièrement dangereuse pour les jeunes, qui nous écrivent des lettres indignées, souvent douloureuses. Danger, certes ; épreuve en tout cas. Vivre dans une cellule de souteneurs et de margoulins, sans personne à qui parler, à qui se confier, parmi les gars du milieu, qui ne prisent que bataille et grossièreté, et cela pendant des mois, et, malgré tout, garder son moral intact. Insignifiant, cet effort de tous les instants pour rester soi-mémo ? Non ! Il exige un courage, un héroïsme modeste et caché, mais qui n'est pas un des moindres titres de gloire de nos emprisonnés.
DISCIPLINE CRUELLE
Mêlé à cette boue, le patriote doit aussi subir la bestialité et l'inhumanité des geôliers. Ceux-ci prennent plaisir à accroître son tourment. À la moindre entorse au règlement, la direction, l'isolant davantage du reste du monde, le prive de correspondance, de visites (ces visites si impatiemment attendues). La centrale de Nîmes interrompt pendant un mois les colis et les lettres, parce qu'on a commis le crime de chanter la Marseillaise, le 14 juillet. Trop souvent le patriote est renvoyé grossièrement : on le gifle, on le bat.
Parfois, pour une peccadille, les prisonniers sont envoyés au mitard quatre, dix, quinze, trente et même quatre-vingt-dix jours pour activité politique dans la prison. En quoi consiste le mitard ?
En général, en arrivant au quartier disciplinaire, le détenu est frappé par le prévôt sous l'œil du gardien (le prévôt est un détenu désigné parmi les droits communs). Il est enfermé dans une cellule dans laquelle il doit se tenir constamment debout. Dès que le guichet s'ouvre, il doit se placer au garde à vous, sinon il est roué de coups. Il en est qui, au bout d'un certain temps, ne peuvent plus se tenir debout. Tous les deux jours, ils touchent leur pain, mais ne reçoivent leur gamelle qu'un jour sur quatre. Il n'y a que les individus très résistants qui peuvent tenir à ce régime pendant quatre-vingt-dix jours. Un détenu qui y passe trente jours revient maigri et squelettique. "
MORTALITÉ
Sous-alimentés, mal soignés, brimés, les prisonniers condamnés pour la plupart à pourrir dans ces bagnes jusqu'au jour de la victoire, dépérissent rapidement, et leurs organismes ne sont plus en mesure de lutter contre la maladie, la contamination, les rigueurs de la vie emmurée. Nous n'avons pu établir les statistiques des décès survenus dans les prisons et les camps, mais nous pouvons affirmer qu'ils sont très nombreux.
Un gardien de là centrale de Riom écrit : Pendant les hivers où il avait fait si froid, c'est-à-dire en 1941-42, il mourait un prisonnier tous les jours, de froid, de privations. L'année dernière, un petit jeune homme de Chatel, étant condamné à quelques mois de prison à la maison d'arrêt, est mort de faim. "
À Poissy, la vie des prisonniers était particulièrement dure : il mourait annuellement le dixième des effectifs, comme en témoigne ce rapport :
Avant de venir, je ne pouvais croire tout ce que l'on racontait sur cette prison. J'ai maintenant sous les yeux ce spectacle, et je m'aperçois que rien n'était exagéré : 184 morts en 1942, 167 dans le premier semestre 1943. Sur 251 " travaux forcés " arrivés ici il y a un an, et subissant le même régime que nous, il en reste à peu près la moitié ; les autres sont pour la plupart morts de faim, de manque d'hygiène ou de soins. Si l'on tient compte qu'il y a dans la maison 1.000 à 1.200 hommes et qu'il y passe un millier de détenus nouveaux par an, sur 2.100 à 2.200 hommes, il en meurt donc 184 en 1942 et 167 X 2 en 1943, soit une moyenne de un sur dix environ
" Il est à noter que toutes ces morts sont dues à une usure physiologique, qui est le terme maison de la mort lente.. " Poissy, août 1943 "
Le docteur Masmontel, médecin-chef de Fresnes, a été saisi par l'e extrême gravité de ce problème. Après avoir constaté que, au mois de décembre, il y avait eu 31 morts sur 1.500 détenus dans le service de médecine d'un hôpital central de prison, il déclare :
" Actuellement, les prisons sont des centres de développement pour la tuberculose ; ils deviendront des centres d'essaimage. La question est de la plus haute importance pour l'avenir de la race et du pays (Bulletin médical de 1943).
Quelle lourde responsabilité incombe au gouvernement de Pétain et en particulier à ses représentants, directeurs et médecins de prisons sans scrupules, personnel corrompu, qui n'ont pas voulu faire leur devoir élémentaire de Français en adoucissant, par tous les moyens en leur possession, la vie des patriotes injustement incarcérés !
DE GRANDS FRANÇAIS
Les patriotes ne se sont pas laissé acheter par de louches propositions. Ils ne se sont pas laissé abattre par leurs misères. Au contraire, par leur courage, leur discipline, leur esprit de solidarité et de sacrifice, ils sont la gloire de la France.
SOLIDARITÉ
Les colis sont mis en commun, pour être partagés également, fraternellement, entre tous. Prisonniers et prisonnières confectionnent des objets qui sont vendus, par l'intermédiaire des familles, au profit de celles qui sont nécessiteuses. En quelques semaines, un camp qui ne comptait que des internés politiques, tous de condition modeste, a pu rassembler 7.000 francs au profit des F.T.P.F.
L'ÉDUCATION EST A L'HONNEUR
Chaque camp, chaque prison a son université. Les cours sont nombreux et variés ; il y en a pour tous les goûts : français, mathématiques, solfège, dessin, langues vivantes. Plus d'un interné a commencé l'étude de l'espagnol à la Santé, l'a continué aux Tourelles et s'est perfectionné à Pithiviers ou à Voves. Chaque fois, avec un professeur différent, toujours avec la même ardeur. Plus d'un ouvrier a trouvé, pour la première fois depuis vingt ans, l'occasion d'apprendre l'orthographe, qu'il avait oubliée depuis l'école.
Les cours, suivant les camps, occupent l'après-midi ou le soir; mais plusieurs soirées par semaine sont réservées à des conférences qui touchent un public plus large que les cours. Les sujets sont multiples : conférence sur le moyen âge et sur le vignoble français, sur l'U. P. S. S., sur les problèmes économiques d'après-guerre, etc. Pas besoin de brillants orateurs : chacun parle, selon son métier, d'un problème qu'il connaît bien. Les docteurs parlent de la médecine, les architectes de leur art ; ainsi, il n'y a pas de longués soirées inoccupées. Chacun s'instruit et s'éduque, et le camp, au lieu d'étioler la personnalité, la développe. En dehors des coure, chacun peut, à la bibliothèque, choisir les livres qui l'intéressent. Les romans policiers n'ont pas grande cote, tandis que les livres d'histoire, de philosophie ou de sciences sont toujours en mains.
Tout ce travail, poursuivi avec ténacité, représente un gros effort, car il ne faut compter sur aucune aide de la direction. Au contraire, il faut souvent batailler pour obtenir les autorisations nécessaires.
Citons ce passage d'une lettre parvenue d'un camp :
Une fois par mois, on organise une représentation théâtrale ; les " marché noir " et les " droit commun " sont invités. Je pense à cette femme, internée au camp de Châteaubriant, dont le mari venait d'être fusillé deux jours plus tôt et qui tint cependant son rôle : elle ne voulait pas que, à cause d'elle, la représentation fût supprimée.
Ces prisonniers continuent â l'intérieur des prisons et des camps leur action de patriotes. Dotés d'un magnifique optimisme, ils discutent des événements politiques et organisent des manifestations patriotiques. Le 11 novembre a été célébré brillamment dans presque tous les bagnes de France. Ces hommes et ces femmes n'ont qu'un désir : reprendre leur place dans le combat, et c'est pourquoi une idée les anime :
L'ÉVASION
Évasions patiemment mûries, toujours hasardeuses, évasions individuelles ou collectives, longs travaux préparatoires où l'on risque chaque jour d'être pris. Cédons la parole à cet évadé :
Je pense à ces tunnels que l'on a creusés à Compiègne, à Rouillé, avec des moyens de fortune, sans outils, sans lumière - craignant l'asphyxie à chaque instant. Il fallait travailler chacun quelques dizaines de minutes, couché, le torse nu, l'air ne se renouvelant pas, le corps inondé de sueur, les yeux pleins de poussière.
" Imagine-t-on la ruse et l'habileté dont il faut faire preuve pour continuer ce travail dans le secret le plus absolu, pour évacuer, sans se faire remarquer, des dizaines de mètres cubes de terre ?
" Je pense à tous ceux qui sont partis, seuls, par une nuit de bourrasque, rampant dans la boue pendant des dizaines et des centaines de mètres, coupant un à un les barbelés, lentement, sans un geste d'impatience, à la merci d'un aboiement de chien, d'une ronde, du phare du mirador qui s'allume brusquement. Je pense à tous ceux qui, après des semaines de peine, se sont fait surprendre au dernier moment, à ceux qui ont été tués en franchissant la dernière enceinte, à ceux qui se sont blessés en sautant dans le 'vide. Je pense à toute cette somme de sang-froid et de courage, et je n'oublie pas que tous ces risques, ces hommes les ont encourus, non pour jouir enfin de la paix et de la liberté recouvrées, mais pour reprendre la lutte, pour encourir de nouveaux dangers, jamais las, jamais découragés, portés à travers tous ces périls par la volonté tenace de servir leur pays.
Faut - il que notre civilisation élève ses temples sur des montagnes de cadavres, sur des océans de larmes, sur des râles de mourants ? Oui !
(F eldmarschall von Haeseler.)
III
ATROCITÉS ALLEMANDES
Hitler a juré, dans Mein Kampf, de détruire la France. Non content de la piller, de la souiller, il déporte et tue ses meilleurs fils. Il est aidé dans cette sinistre besogne par la police, la magistrature et la milice, dite française, qui raflent, arrêtent, jugent les Français, pour les livrer ensuite à leurs maîtres aryen. Vichy propose, l'Allemagne dispose !
LES PRISONS ET LES CAMPS ALLEMANDS EN FRANCE
Par souci de clarté, nous n'exposerons ici que les conditions de vie des deux prisons allemandes les plus réputées - Fresnes et Cherche-Midi - et du camp de Drancy, vrais chefs-d'œuvre en leur genre.
Le régime de la prison de Fresnes, bien que moins dur que celui du Cherche-Midi ou de certaines prisons de province, est cependant très pénible.
Le manque d'air dans les cellules, déjà difficile à supporter en hiver, est terrible l'été. Quatre hommes enfermés dans une pièce de 5 mètres sur 3 m. 10, dont la fenêtre est clouée, rendent l'atmosphère irrespirable. Si l'un d'entre eux est malade et vomit. leur situation devient intolérable. Un prisonnier nous disait que ses compagnons et lui, par les journées chaudes, ne pouvaient que rester à terre, déshabillés et évitant tout mouvement, renonçant même à la chasse des innombrables puces. Les sorties sont pratiquement inexistantes.
L'alimentation est très insuffisante ; les paquets bi-mensuels adoucissent naturellement le régime, mais la privation de colts est une punition fréquente.
De nombreux prisonniers, dont le régime comporte le droit aux colis, ne reçoivent rien, pour la simple raison qu'ils n'ont pu signaler à leur famil3 leur présence dans telle ou telle prison. Nombreux aussi les prisonniers dont les familles, résidant en province ou dénuées de ressources, sont dans l'impossibilité d'entreprendre les longues et pénibles démarches qui peuvent permettre de retrouver la trace du disparu.
Enfin, les détenus au " secret n'ont droit à aucun colis et sont complètement coupés du reste du monde. Si la famille se présente à la prison, on lui répond : " Pas là ! " A la Gestapo : " Nous ignorons ce prisonnier ; sans doute n'a-t-il pas été arrêté par nous. " Les parents d'une jeune fille internée à Fresnes ont obtenu pour toute réponse : " Mle E... a été libérée le 13 décembre dernier ; si elle n'est pas rentrée chez vous, nous n'y pouvons rien. " Or la jeune fille se trouvait encore à Fresnes, sur le point d'être déportée en Allemagne.
Cette catégorie de prisonniers est condamnée à l'inaction complète. À l'heure actuelle, 800 détenus de Fresnes n'ont pas le droit de lecture. Les cas de folie ne sont pas exceptionnels, surtout chez les femmes, qui sont alors qualifiées de " simulatrices " et condamnées au cachot.
Au Cherche-Midi, certains prisonniers civils, privés de tout apport de l'extérieur, depuis des mois, n'ont plus que des lambeaux de chemise, des chiffons autour des pieds. Pour ceux qui, arrêtés pendant l'été, sont déportés en Allemagne dans ces conditions, la situation est tragique. S'il s'agit de malades, les voyages sans vêtements chauds, en wagons plombés, équivalent à. une condamnation
à mort. Un prisonnier du Cherche-Midi, tuberculeux, dont le linge - sali, taché de sang, attestait la fréquence de ses hémoptysies, devait être libéré prochainement, sa peine de six mois touchant à sa fin. Le tribunal avait dit à sa femme, qui devait accoucher en décembre de deux bébés, que son mari serait près d'elle à cette date. Or la pauvre femme, portant ce qu'elle pensait être le dernier colis, apprit que son mari avait fait partie du plus récent convoi de déportés. " Sans doute par erreur lui a-t-on expliqué... Cela n'est qu'un cas entre mille autres : nombreux sont les internés civils qui, leur peine une fois purgée, ont complètement disparu. Les familles se raccrochent à l'espoir que leur prisonnier vit toujours tant qu'elles n'ont pas reçu ses vêtements.
Le service sanitaire, dans ces deux prisons, est cruellement déficient. Le médecin y vient une fois par semaine, mais, pour le voir, il faut être reconnu malade par le feldwebel chargé de lui amener les prisonniers. Un détenu libéré nous disait qu'un de ses camarades de cellule avait sous l'oreille, dans le cou, des " sortes d'abcès " qui coulaient, et que ses compagnons bandaient avec leurs mouchoirs. Le feldwebel " sanitaire " jugeait inutile de présenter le malade au docteur.
Cette absence de surveillance médicale est navrante, en particulier pour les femmes enceintes, très nombreuses à Fresnes. Des bébés sont morts, faute de soins, au quartier des nourrices.
Dans le Concours médical de janvier 1942, un médecin de Fresnes déclare que, chaque mois, il meurt à Fresnes une trentaine de prisonniers.
La discipline, singulièrement dure, est aussi un facteur de mortalité : une des punitions les plus en faveur à Fresnes consiste à attacher les mains sur le ventre ou derrière le dos. Un jeune homme de dix-neuf ans est resté pendant six mois les mains enchaînées, sans jamais se plaindre; quand on le délia, il était paralysé ! La famille de M. E... (fusillé depuis) ayant obtenu un permis de visite, la mère du prisonnier vit son fils les mains attachées : il était ainsi depuis trois semaines.
Souvent, c'est le sort horrible que subissent pendant des mois des condamnés à .mort. Il en fut ainsi pour Thierret, ce patriote torturé par la police française, puis livré à la Gestapo, qui vécut ainsi enchaîné pendant cinq mois, dans un état (le saleté inexprimable et à moitié mort de faim, jusqu'à l'aube où le pas lourd des bourreaux est venu le délivrer.
La torture est une " spécialité maison " : nombreux sont les prisonniers qui deviennent sourds, par suite de coups sur la tête. Tel est le cas de deux détenus de Fresnes, M. S. B... et M. G... Le colonel C... a l'intérieur des genoux complètement noir et ne peut se tenir debout. Un prisonnier, M. N..., a reçu neuf coups de cravache ; après quoi, il a été pendu par les pieds, puis les policiers ont fait le simulacre de le noyer, en lui maintenant la tête sous l'eau. Enfin, il a été coiffé d'un casque muni, par derrière, d'une vis qui lui entrait progressivement dans la tête !
Dernièrement, la famille C..., qui recherchait son fils (dix-neuf ans) depuis plusieurs mois, a appris qu'il était mort à la Pitié et enterré par erreur comme ,soldat allemand. Sa mort était due aux suites des traitements qu'il avait dû subir.
Entassés au camp de Drancy, des juifs de toutes conditions et de tous les âges (il y a des vieillards de quatre-vingt-dix ans et des enfants de deux ans, des malades, des infirmes) attendent dans une anxiété permanente d'être déportés.
Terriblement sous-alimentés et vivant dans des conditions malsaines, ils ne peuvent, en cas de maladie, être évacués de Drancy sous aucun prétexte, bien que l'installation du camp soit dérisoire (les fous et les contagieux rie sont pas isolés).
Plus que partout ailleurs, les internés sont l'objet de vexations et de brutalités.
Nous donnons ci-dessous deux exemples des' sanctions appliquées par Brunner, l'officier qui dirige le camp :
1° Un SS plante son couteau dans le sol et oblige un interné à courir tout autour. Chaque fois que l'interné passe devant lui, il reçoit un coup de bâton ; quand il finit par tomber d'épuisement, on lui interdit de se rendre à l'infirmerie ;
2° Le 7 juillet, deux internés, accusés d'avoir fait passer de la correspondance vers l'extérieur, sont " mis en jugement " au milieu de la cour devant tous les internés réunis. L'un d'eux est chargé de traduire la sentence que Brunner lit en allemand ; puis l'un des coupables " est contraint d'asséner 25 coups de béton à l'autre ; ensuite, c'est le deuxième qui doit frapper le premier. Quand il est à bout de forces, un autre interné est obligé de le remplacer. Après cette exécution, les deux punis sont traînés en prison, ainsi que leurs sept camarades dont ils avaient transmis la correspondance.
Il est interdit aux internés d'approcher les SS ; chaque fois qu'ils les croisent, ils doivent se mettre au garde-à-vous ; les SS les battent constamment ; l'un d'eux est toujours armé d'un bois de cuir à raser qui lui sert de matraque et dont il frappe les internés qui passent à sa portée, les vieillards et les femmes.
Les SS giflent les femmes, les poursuivent à coups de pierres ; un interné est frappé à la tète au moyen d'une brique ; il est actuellement à l'infirmerie, un morceau de brique ayant pénétré dans le cuir chevelu.
DEPORTATION
Depuis quelques mois, les déportations massives de prisonniers se sont accélérées ; il ne s'agit plus seulement de juifs ou de patriotes dont l'affaire relève de la justice allemande : ceux qui sont arrêtés par la police française, incarcérés dans des prisons françaises et condamnés par des tribunaux français, sont, eux aussi, expédiés, par fourgons, vers le IIIe Reich.
Et dans quelles conditions !
RENNES
Les détenues politiques de Rennes, toutes jugées et condamnées à des peines de prison et de travaux forcés par des tribunaux français ont été livrées aux Allemands et parquées à Romainville, d'où elles sont parties pour une destination bien connue, hélas !
Nos amies sont arrivées à moitié nues. À Rennes, elles étaient vêtues de la tenue réglementaire, qu'elles ont du restituer,.et comme elles n'ont été prévenues qu'au dernier moment, elles n'ont pas eu le temps de se faire apporter des vêtements.
Parmi elles, il y avait seize nourrices ; les enfants leur furent enlevés du jour au lendemain, sans souci des répercussions graves que ce changement brutal de régime pouvait avoir sur la santé des mamans et des bébés.
Les petits furent mis à l'Assistance publique, en attendant que les familles pussent les prendre, ce qui demanda un certain délai, étant donné l'état actuel des communications.
Voilà l'œuvre du gouvernement Pétain, qui a l'audace de se présenter sous la triple égide : Travail, Famille, Patrie. On prive brusquement des petits du lait maternel, leur faisant courir un risque mortel : cela s'appelle protéger l'enfance et défendre la famille !
Des criminelles ne sont pas traitées aussi inhumainement.
Et ces femmes déportées, qui sont-elles ? Des patriotes qui, en tant que Françaises et que mères, ont compris que le devoir était de lutter pour librer leur pays et préparer à leurs enfants, à tous les enfants de France, un avenir de bien-être et de paix.
Une démarche de l'Assistance fut faite auprès de la Croix-Rouge pour que des vivres et des vêtements fussent portés à Romainville et pour que les bébés fussent mis à l'abri, en attendant d'être repris par les familles.
En janvier 1943, cent jeunes femmes furent emmenées au fort de Romainville ; elles chantaient la Marseillaise ; 26 d'entre elles étaient veuves d'otages fusillés. Parmi elles, Maï Politzer, la veuve du philosophe ; Hélène Solomon, veuve du physicien et fille du professeur Langevin ; la veuve du docteur Baller, jeune écrivain qui dirigeait les Cahiers de la Jeunesse ; Yvonne Blech, dont le mari, René Blech, n'avait pu être arrêté par la Gestapo ; Marie-Claude Vaillant-Couturier, veuve de Vaillant-Couturier ; Danièle Casanova, l'admirable dirigeante des Jeunes Filles de France. Depuis, pas de nouvelles. Pas un mot n'arriva de ces cent jeunes Françaises déportées vers l'Est... jusqu'au jour où les parents de l'une d'elles, Marie-Thérèse Fleury, furent avisés par un fonctionnaire allemand que leur fille était décédée, tel jour du mois de mai 1943, à 8 heures du matin, à l'hôpital de la ville d'Auschwitz, et que la cause du décès était... un arrêt du cœur !
Nous avons appris la mort de Danièle Casanova, fusillée là-bas, dans cette terre d'exil ; la mort de Maï Politzer.
Auschwitz ! Cela ne vous dit rien ?
Écoutez un homme qui a vécu quatre mois à Auschwitz (il a perdu 17 kilos, son corps est couvert de plaies et de traces de coups de cravache) :
Dans le camp de concentration d'Auschwitz, en Haute-Silésie, à 50 kilomètres de Kattowitz, 10.000 déportés sont parqués. Parmi eux, les juifs des premiers convois de Compiègne, de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. Ils sont à côté de milliers d'hommes déportés de Pologne et d'Ukraine. Il y a également parmi eux 3.000 condamnés allemands et d'autres originaires de pays occupés. Des centaines de femmes juives, à qui les enfants ont été enlevés, y sont également internées.
" Les déportés sont logés dans des casernes bâties en ciment. Dans chaque chambre, 300 hommes sont entassés. Ils couchent à sept dans un lit où la paille n'est jamais changée. Ils sont couverts de vermine. Pour dormir, ils sont forcés de garder leurs vêtements. Ils n'ont pas de place pour s'allonger et passent la nuit assis. Ils portent des habits de bagnards et ont chacun leur numéro matricule trois fois marqué : sur la capote, sur la casquette et sur la peau de la poitrine. Les salles ne sont jamais chauffées. A 3 heures du matin, les internés sont réveillés pour être emmenés au travail... 100 grammes de pain par jour. La misérable nourriture qu'on leur alloue se compose d'une gamelle d'eau chaude pour sept personnes le matin, d'une soupe de rutabagas le midi, de 100 grammes de pain avec un peu de margarine le soir. La soupe, ainsi que l'eau chaude, est distribuée dans des récipients pour sept personnes, et il est interdit d'avoir une cuillère ou un gobelet. Le soir, on mange le maigre repas dans l'obscurité.
TRAVAIL DE BAGNARD
Tous, sans exception, malades ou infirmes, sont emmenés au travail. On leur fait démolir deux villes : Auschwitz et Bielitz. On les emmène au travail dans des wagons à. bestiaux. 100 ou 150 par wagon. Les hommes et les femmes travaillent dans des chantiers à part. Les femmes sont gardées par des soldats qu'accompagnent des chiens policiers. Comme les hommes, elles travaillent quatorze heures par jour. Elles tombent d'épuisement. On ne connaît pas de repos hebdomadaire. Le seul dimanche par mois qui est férié est employé à faire les corvées du camp. C'est aussi le jour où a lieu la revue du camp par les officiers nazis. Les internés qui travaillent côte à côte avec les ouvriers civils n'ont même pas le droit de leur parler.
" Dans le camp, on compte trois w.-c. pour
1.000 internés, quelques lavabos à peine. Une seule douche par mois est
autorisée. Le linge n'est jamais changé et les poux pullulent. Les internés
n'ont droit à aucun objet de toilette. Chaque interné a perdu au moins 10 à
20 kilos de son poids. Les syncopes sont des phénomènes fréquents. Pour
10.000 internés, il n'y a qu'un seul médecin. Une salle est désignée pour
les grands malades qui ne sont pas capables de travailler. Ils sont délaissés
sans soins et restent dans une saleté repoussante. En une heure, le médecin
examine 300 malades. Pour les obliger à retourner au travail, la ration
alimentaire est diminuée. Ceux qui ne peuvent se lever sont privés de
nourriture et Isolés ; ils meurent ainsi de faim. Un crématoire est installé
dans le camp. Les suicides se multiplient. Dix morts par jour en moyenne.
On emploie comme gardes-chiourme d'anciens bagnards allemands, des brutes, de
vrais sadiques. Les punitions ne cessent d'être appliquées aux internés, dont
certains sont envoyés dans les mines de sel, où la mort sûre les attend.
Certains sont fusillés pour l'exemple " devant les internés rassemblés.
Tout service religieux est interdit au camp. Aucune correspondance n'est
autorisée. "
EXECUTIONS ET MASSACRES EN MASSE
De Auschwitz, comme des autres camps d'outre-Rhin, nous apprenons périodiquement que des Français ont été exécutés. À Düsseldorf, dans ce camp où il est interdit de parler, où les prisonniers, littéralement affamés, vivent solitaires, dans des cellules individuelles, 9 Français déportés sur 10 ont été exécutés !
De la lointaine Silésie au mont Valérien, on exécute. On exécute des otages, on exécute des condamnés, on exécute pour un oui ou pour un non. Et les victimes peuvent être comptées par milliers.
En mai dernier, la police hitlérienne a pendu des patriotes français aux arbres des allées de Nîmes. La pendaison a été publique. Sous le poids du corps, une corde a cassé ; le malheureux a été achevé à coups de revolver. Les cadavres sont restés exposés ; des femmes qui passaient se sont évanouies à la vue de cet horrible spectacle.
On nous avait parlé de massacres de ce genre en Russie, en Pologne. À vrai dire, nous hésitions à y croire ; nous pensions que les récits qu'on nous en faisait étaient exagérés. Mais maintenant ce sont des centaines de Français qui gardent dans leurs yeux cette vision dantesque : des corps de jeunes Français se balançant aux arbres de Nîmes.
Katyn. Le 1er juin 1943, 13 Français ont été assassinés au Mans, chacun d'une balle dans la tête. Les bourreaux manquent vraiment d'imagination, en signant ainsi leurs crimes.
Devant un ennemi aussi barbare, les Français doivent oublier leurs vaines querelles et passer à l'action. Seule l'union de tous les Français et la lutte armée permettront à la France de chasser ses bourreaux et de reconquérir son indépendance et son bonheur.
Ils viennent jusque dans nos bras
Égorger nos fils, nos compagnes,
Aux armes, citoyens.
LES ALLEMANDS MASSACRENT DES POPULATIONS SANS DÉFENSE
Nous donnons là quelques exemples qui se
passent de commentaires
LA TUERIE D'ASCQ
Le 1er avril, à 22 h. 55, une mine explose sous un train, à environ 200 mètres de la gare d'Ascq, à 9 kilomètres de Lille.
Ce train transporte des troupes (tankistes SS) venant de l'Est et se dirigeant vers la côte. Deux wagons déraillent et sont endommagés. Quelques soldats sont légèrement blessés. Il y a peut-être
un tué.
Des patrouilles SS sont aussitôt envoyées dans le village. Des rafales de mitraillettes retentissent de tous côtés. Les habitants sont couchés et croient à une bagarre entre les services de surveillance et les saboteurs. Mais bientôt on enfonce les portes, on fait lever les habitants et on emmène les hommes (dans quelques cas aussi les femmes et les enfants). Tantôt cet enlèvement se fait sans explication, avec brutalité et à coups de crosse, tantôt les soldats prennent un air patelin : Monsieur nicht capout, arbeit. Dans deux heures, retour. " Ou bien : " Papir, monsieur, prendre papir ! Les hommes partent sans trop de crainte ; on les groupe dans la cabine d'aiguillage, après avoir renvoyé les femmes et les enfants, Quand ils sont trente ou quarante, un soldat vient les chercher : " Cent tués ! " dit-il en allemand au camarade de garde. (Entendu par un rescapé qui comprend l'allemand et qui a pu s'éclipser à la sortie de la cabine.)
Le groupe part vers le train saboté et se trouve bientôt sur un rang, le long de l'étroite piste qui borde la voie, défilant, mains levées, devant une haie de soldats armés de mitraillettes et de revolvers. Lorsque les premiers arrivent au bout du train, on les fait arrêter et l'officier abat le chef de file d'un coup de revolver. C'est le signal attendu et tous les autres sont abattus par les soldats qui font la haie sur la voie (tous ses fusillés ont été relevés la tête fracassée). Des hommes tombent. D'autres veulent fuir, mais un coup de sifflet retentit et les mitraillettes entrent en action. Les victimes sont alors achevées férocement. Coups de bottes dans les jambes, dans la poitrine, dans la figure (tous les morts portent des ecchymoses et de nombreuses plaies superficielles de la figure) et, pour finir, un coup de revolver dans la tête. Un rescapé a pu nous donner ces détails, il a fait le mort et le coup de grâce lui a éraflé la figure, de la pommette à l'oreille gauche.
D'autres groupes de trente et quarante viennent ensuite. On leur fait enjamber les cadavres de ceux qui les ont précédés. Sur le lieu de l'exécution, on a retrouvé 64 cadavres alignés le long de la voie, sur une distance de 29 mètres. D'autres, qui ont résisté, sont disséminés le long du sentier. Quelques-uns ont voulu se sauver, mais les bourreaux, experts en la matière, avaient établi des embuscades et mitraillaient les fugitifs dans les jambes. Le coup de grâce était donné dans la tête. On a retrouvé des victimes dans un champ bordant la voie, les jambes brisées et la tête fracassée.
Pendant ce temps, les patrouilles continuent leur sinistre besogne. L'une d'elles entre au presbytère. Le prêtre la reçoit dans son bureau. Il faut cent otages, jargonne le chef de patrouille, et si nous n'avons pas cent hommes, nous prenons des enfants " (déclaration de la bonne et d'une parente présente à l'entretien). Le curé est ensuite abattu dans son bureau. Deux de ses parents sinistrés habitaient chez lui. Ils sont abattus dans le vestibule. En sortant de la cure, la patrouille abat deux hommes qui, arrêtés peu avant par une autre patrouille, cherchaient à fuir. Le vicaire est arrêté dans sa maison et exécuté à dix mètres de chez lui. Personne n'a vu la scène, mais un Français passant près du cadavre, quelques minutes après, interrogea en allemand le soldat qui le conduisait. " Il a voulu fuir ", répondit il.
Quand le nombre de cent fut atteint, des coups de sifflet mirent fin à la chasse à l'homme. Un dernier groupe d'environ 30 ou 40 hommes (dont le maire de la commune) vient d'arriver. L'officier, en très mauvais français, parle alors. Ici, les témoignages varient, mais tous ont entendu : Vous avez la vie sauve, rentrez vite chez vous !
Bilan de cette tragédie : 86 morts, 25 blessés, dont plusieurs grièvement, ont été comptés pour morts par les Allemands. Ce qui fait en tout 111 exécutés. Si l'on veut bien déduire ceux qui ont été tués par les patrouilles, cela fait bien le compte qui avait été froidement arrêté. Parmi les victimes, on compte des vieillards de 75, 72 et 70 ans et des enfants de 15, 17 et 18 ans.
Trois ont été exécutés avec leur père, huit prisonniers récemment rapatriés, un père de huit enfants. En tout : 221 orphelins, 25 cheminots, dont le chef de gare et l'aiguilleur, 3 petits industriels, le garde champêtre.
Nous avons parlé tout à l'heure de scènes d'embuscades. En voici une :
Deux soldats entrent dans la maison qui est à proximité du lieu d'exécution (environ 80 mètres). Le père se lève. Ils visitent la maison. Une petite fille a une syncope. Cela les calme un peu. Ils redescendent, posent leurs revolvers sur la table et réclament de la bière. On leur apporte une bouteille et ils obligent le père à trinquer. Ils se promènent ensuite dans la pièce, regardent les photos, font marcher le poste, dansent la gigue, chantonnent. Ils ont l'air de jeunes gamins s'amusant beaucoup. Tout à coup, à un signal que le témoin n'a pu préciser (il a .entendu un bruit qu'il ne peut déterminer), leurs figures changent. Ils bondissent sur les revolvers comme des furieux et courent vers la rue. Des hommes viennent d'être tués. En cet endroit, on a ramassé 12 ou 15 cadavres défigurés dont quelques-uns avaient les jambes brisées. De temps en temps, un des tueurs rentrait pour recharger son revolver. Ils ne parlaient par le français, mais l'un d'eux montre dix fois ses dix doigts pour faire comprendre : " 100 Français capout. " Nous ne rapportons que des faits vérifiés par des témoignages concordants. Ce carnage a duré plus de deux heures. Des patrouilles de gendarmes français, attirés par la fusillade, étaient arrivées dans le village. Les secours s'organisèrent et on commença à ramasser les malheureuses victimes, toutes affreusement mutilées, la face ensanglantée, la plupart méconnaissables. Seule la vérification des papiers permit leur identification.
II. - UN RAPPORT DU PRÉFET DE LA DORDOGNE
Opérations effectuées par les troupes
allemandes
contre la population civile
Maires tués : Coulon, maire d'Azerat ; Desvaut, président de la délégation spéciale de Preyssac ; Lasoche, président de la délégation spéciale d'Auriac du Périgord.
Adjoints tués : Lacoste, adjoint élu d'Azerat ; Bonnerond, secrétaire de mairie d'Azerat ; Lascaud René, secrétaire de mairie de Terrasson.
Nombre de maisons détruites.
- Arrondissement de Périgueux : Azerat, 2 ; Genis, 1 ; Saint-Orse, 5 ; Sarliac, 1 ; Savignac-les-Eglise, 1 ; Sorges, 1 ; Temple-Leguyon, 1.
- Arrondissement de Sarlat : Auriac, de Périgord, 1 ; Coly, 6 ; La Bacheilerie, 4 ; Lacassagne, 4 ; Rouffignac, 100 (Rouffignac entière-ment détruit sauf l'église et trois maisons) ; Saint-Lazare, 1 ; Saint-Rabier, 4 ; Salignac, 1 ; Terrasson, 25 ; Villac, 8.
- Arrondissement de Nontron : Saint-Crépin de Riche raout, 1 ; Villards, 2.
Total : 169 maisons détruites.
Liste des personnes tuées. - Arrondissement de Périgueux : Azerat, 9 ; Beauronne, 1 ; Château-l'Evéque, 4 ; Clermont-d'Excideuil, 1 ; Excideuil, 3 ; Genis, 2 ; La Chapelle-Gonaguet, 1 ; Haute-
' fort, 8 ; Preyssac-d'Excideuil, 2 ; Riberax et communes avoisinantes, 12 ; Saint-Laurent-des-Hommes, 1 ; Sainte-Marie-de-Chignac, 23 ; Saint-Martial-d'Albarde, 1 ; Saint-Médard-d'Excideuil, 2 ; Saint-Médard de Mussidan, 1 ; Sainte-Orse, 9 ; Saint-Pierre-de-Chignac, 2 ; Saint-Raphaël, 1 ; Serliac-sur-Isle, 1 ; Thenon, 10.
Arrondissement de Bergerac : Aliès-sur-Dordogne, 1 ; Beaumont, 2.
Arrondissement de Nontron : Brantome, 33 ; Cantillac, 3 ; Champagne-de-Bel-Air, 4 ; Nantheuil-de-Thiviers, 3 ; Saint-Crépin-Richemont, 4 ; Saint-Pancrace, 5 ; Sarrazac, 7 ; Vaunac, 2 ; Villars, 3.
Arrondissement de Sarlat : Aurlac-de-Périgord, 6 ; Beauregard. 1 ; Chavagnac, 2 ; Coly, 3 ; Condat-sur-Vézère, 7 ; Jayac, 3 ; La Bachellerie, 12 ; Le Lardin, 1 ; Nadaillac, 5 ; Saint-Lazare, 1 ; Saint-Rabbler, 4 ; Salignac, 2 ; Villac, 3.
Total : 211 personnes tuées.
Le préfet ajoute, dans son rapport : " Néanmoins, les maquis n'ont pas été détruits. "
III. - LE MASSACRE D'ORADOUR-SUR-GLANE
Le samedi 10 juin, à 13 h. 30, plusieurs camions allemands transportant un certain nombre de SS appartenant à la division " Der Führer " firent irruption dans le gros bourg d'Oradour, à 21 km. N.-O. de Limoges. Un officier se présenta à la mairie et intima l'ordre au maire de rassembler toute la population sur le champ de foire. L'ordre fut aussitôt transmis aux habitants par le tambour de la ville.
Hommes, femmes, enfants, surpris au milieu de leurs paisibles occupations, s'amassèrent alors au lieu de rassemblement, pressés avec brutalité par les soldats qui patrouillaient dans les rues, mitraillettes à la hanche, pénétraient dans les maisons et contraignaient les vieillards, les malades, les infirmes eux-mêmes à sortir. L'attitude des SS très violents répandait la terreur parmi les habitants. Les enfants pleuraient, les femmes criaient, d'autres s'évanouissaient.
Le rassemblement achevé, les Allemands firent sortir les hommes de la, masse des habitants et les conduisirent devant une grange voisine. Par groupes de vingt environ, les hommes furent poussés à l'intérieur de la grange et abattus, séance tenante, à la mitraillette.
Sur le champ de foire, les hurlements de détresse des femmes et des enfants se mêlaient au bruit de la fusillade.
Le massacre des hommes achevé, les femmes et les enfants furent conduits à l'intérieur de l'église. Dans celle-ci se trouvaient déjà un certain nombre de garçons et de filles qui suivaient les exercices d'une retraite, car la première communion devait avoir lieu le lendemain.
Cependant, les SS parcouraient les maisons, recherchant ceux -qui auraient pu demeurer. Les enfants des écoles qui venaient de rentrer en classe au moment de l'arrivée des Allemands avaient entendu, effrayés, le bruit de la fusillade. Maîtres et élèves furent aussitôt enfermés dans l'église. Quelques habitants qui étaient également cachés dans leur demeure y turent également traînés avec brutalité ou abattus sur place s'ils tentaient de fuir. Une jeune femme accouchée depuis huit jours fut elle-même tirée de son lit et conduite à l'église où un soldat transporta derrière elle le berceau où reposait le nouveau-né.
Les SS se livrèrent à toutes sortes de brutalités sur les malheureux rassemblés dans l'église. Ils profanèrent l'autel, forcèrent la porte du tabernacle et s'emparèrent des Saintes Espèces.
Un peu plus tard, un groupe de soldats déposait au centre de l'église une caisse de grandes dimensions, puis les soldats se retirèrent, fermant les portes derrière eux. D'autres SS parcouraient pendant ce temps le village, arrosant les maisons et les granges de produits incendiaires, probablement du phosphore, et pourchassant ceux qui avaient tenté d'échapper au massacre en se dissimulant. (On a trouvé dans les jardins et autour du village plusieurs cadavres de femmes et d'enfants abattus tandis qu'ils fuyaient: Près d'une cabane où sans doute la malheureuse avait cherché refuge, était étendu le cadavre d'une femme sur lequel on a trouvé dix-huit traces de balles.)
Sur ces entrefaites, le tramway départemental de Limoges à Saint-Julien arrivait à Oradour. Il fut arrêté à l'entrée du village et les Allemands contraignirent les voyageurs à descendre. Selon une première version, ils auraient obligé tout le' monde à se rendre dans l'église. Selon d'autres, ils auraient fait un tri parmi les voyageurs, conduisant dans l'église ceux qui s'étaient déclarés habitants d'Oradour et enjoignant aux autres de s'en retourner.
Peu après, les SS commencèrent à mettre le feu au village ; une heure après son dépôt, la caisse déposée dans l'église fit explosion, incendiant l'édifice qui se mit à brûler de toutes parts. On ne sait exactement comment se déroula cette heure atroce et Ies moments qui suivirent pour les malheureux enfermés dans l'église, mais les habitants de hameaux voisins nous ont déclaré que pendant très longtemps l'air avait retenti d'horribles clameurs.
Le village entier ne fut plus bientôt qu'un immense brasier. Au crépitement de fumée se mêlaient des cris lugubres des bestiaux demeurés dans leurs étables et des hurlements hallucinants des malheureux que le feu commençait à ronger.
Les Allemands avaient établi un cordon de soldats tout autour du village. Des villageois isolés qui essayaient par la fuite d'échapper aux flammes étaient impitoyablement abattus. Une femme, alors que l'église n'était plus qu'un brasier, réussit à se hisser jusqu'à une fenêtre et, brisant un 'vieux vitrail, tenta de se laisser glisser au dehors. Un SS tira sur elle deux balles dont l'une l'atteignit à l'épaule. La femme tomba à l'extérieur évanouie et ce fait lui sauva la vie. Elle réussit à gagner un village voisin dans la nuit de samedi à dimanche : elle est actuellement en traitement dans un hôpital.
Alors que l'église commençait à brûler, des soldats pénétrèrent à l'intérieur et entassèrent des chaises et des bancs sur les malheureux dont beaucoup gisaient à terre, évanouis et blessés.
Dans le courant de l'après-midi, le toit de l'église s'effondra dans une immense gerbe de flammes. Les cris cessèrent alors. La plupart des maisons du village n'étaient déjà plus que ruines.
La nouvelle de l'horrible tragédie ne commença guère à se répandre à Limoges que le dimanche. La ville entière, accablée de stupeur et soulevée d'une horreur indicible, en parlait. Les Allemands demeurèrent à Oradour jusqu'au mardi 13, interdisant toute approche du village. Ils évacuèrent celui-ci dans la matinée, après en avoir achevé dimanche et lundi la destruction et jeté pêle-mêle un certain nombre de cadavres, principalement d'enfants, dans une fosse creusée par eux. Dès mardi après-midi le préfet régional, de Limoges et l'évêque de Limoges se sont rendus à Oradour. Quelques habitants de Limoges et des villages environnants y pénétrèrent également. Nous avons vu l'un d'eux qui y pénétra à bicyclette mardi soir et nous a fait le récit de ce qu'il avait vu. Quand il arriva aux abords de ce qui avait été le coquet petit bourg, il trouva celui-ci gardé par quelques G. M. R. Il n'osa pénétrer à l'intérieur, mais le spectacle qu'il put contempler était hallucinant. Rien n'a été épargné, plus une maison debout, pas une grange debout. Le village n'est plus qu'un amoncellement de ruines calcinées d'où émergent seulement quelques pans de murs rongés par le feu. Dans les ruines, on aperçoit des cadavres tordus et noircis ; dans ce qui fut l'église, on peut voir des restes humains calcinés et des cadavres agrippés debout à ce qui dut être le confessionnal, la moitié du corps seule rongée par le feu, le haut paraissant intact.
Une jeune fille d'Oradour, qui ne doit son salut qu'au fait que ce jour-là elle était venue faire des commissions à Limoges, est retournée avant-hier à Oradour et n'a rien retrouvé ni de sa maison, ni de ses parents.
Dès mercredi, des équipes furent envoyées sur place par les soins de la Croix-Rouge et du Secours national pour commencer le déblaiement des ruines et la recherche des cadavres. Les jeunes gens des Jeunesses-Secours qui furent employés à ces travaux ont confirmé qu'à part quelques pans de murs il ne reste plus rien du village. Les cloches de l'église ont fondu dans l'incendie. Quelques cadavres seulement ont pu être identifiés. Un certain nombre d'autres, non identifiables, ont néanmoins été reconstitués presque intégralement, mais leur nombre est infime. Des centaines de victimes ont péri; il ne reste plus que des cendres et, par-ci par-là, quelques ossements à demi calcinés. Les jeunes gens ont passé leur journée à amasser avec une pelle les cendres et les os dans les seaux qu'ils déversèrent ensuite dans une immense fosse commune. De place en place, on retrouve des débris humains, tantôt calcinés à demi, tantôt préservés on ne sait comment du feu.
Oradour comptait environ, avec les réfugiés lorrains qui s'y trouvaient depuis 1940, 700 habitants. Le samedi du drame, plusieurs habitants de Limoges s'y étaient rendus en week-end ou pour y rechercher du ravitaillement. Des parents, des amis étaient venus pour la première communion le lendemain. On estime à la préfecture que le nombre des victimes est de 750 à. 800. Le nombre des rescapés s'élève à 7 ou 8. Certains ont pu se sauver en sautant dans des puits : un jeune homme ayant la jambe cassée était demeuré dans sa chambre au lieu de se rendre au rassemblement sur le champ de foire ; devinant ce qui se passait aux cris et à la fusillade, il sauta du premier étage dans le jardin situé derrière la maison et put se dissimuler dans une haie où il ne fut pas découvert. De toute la population du village, il ne reste en dehors de ces sept ou huit rescapés que quelques rares personnes, qui étaient absentes ce jour-là.
Sur le motif de cette hallucinante tragédie, des bruits contradictoires circulent. Certains prétendent qu'un dépôt d'armes aurait été découvert dans le village, d'autres que des Allemands y auraient été tués. On dit même que c'était Oradour-sur-Vayres et non Oradour-sur-Glane que les Allemands avaient décidé de brûler. (Oradour-sur-Vayres est situé au sud, vers Rochechouart, dans une région où de sérieux engagements entre le maquis et les Allemands ont eu lieu.) Nous n'avons pu avoir aucune confirmation de ces différents bruits.
Ce que nous savons, par contre, c'est que deux divisions de SS, les divisions " Der Führer " et " Germania ", ont opéré plusieurs jours de la semaine dernière dans la région de Limoges, commettant un peu partout des atrocités. Il semble bien que ce soient des hommes de la division " Der Führer " qui aient commis l'incroyable massacre d'Oradour-sur-Glane.
15 juin 1944.
IV. - DEUX EXPÉDITIONS DANS LA NIÈVRE
Au cours des journées du dimanche 25 juin et du mardi 27, les troupes allemandes de l'École de Pionniers de Cosne, résidant dans la caserne du 85' d'infanterie, se sont livrées à différentes opérations à l'aide de camions réquisitionnés dans la journée du 24 juin et dont les chauffeurs et convoyeurs avaient été internés dans la caserne.
Les élèves de l'École de Pionniers portaient presque tous l'uniforme gris de la Luftwaffe et se prétendaient parachutistes. Certains portaient des brassards de la campagne de Crète ou de la campagne d'Afrique.
Expédition du 25 juin
Cette expédition comprenait 15 à 20 hommes commandés par un lieutenant de la Wehrmacht. Tous les hommes s'étaient habillés en civil en prenant les vêtements des chauffeurs et convoyeurs internés. L'officier arborait une veste de parachutiste avec les insignes de l'aviation américaine.
Cette troupe, montée sur deux camionnettes et une voiture de tourisme, se rendait au village de Thauvenay près de Saint-Satur. Ils étaient armés de mitraillettes de fabrication anglaise ou américaine et de fusils-mitrailleurs français, modèle F. M. 24.
Les hommes se présentèrent aux habitants de Thauvenay comme maquisards accompagnant un officier américain; deux ou trois d'entre eux parlaient correctement le français. Les autres étaient censés être des Polonais, déserteurs de l'armée allemande.
Après un accueil enthousiaste de la population, l'officier allemand enleva sa veste de parachutiste et montra son vrai uniforme. Les hommes révélèrent leur identité réelle et il s'ensuivit un sauve-qui-peut général, les habitants ayant été menacés. Le détachement ouvrit le feu à la mitraillette sur la population.
Ils tuèrent un certain nombre d'habitants du village et, dans leur précipitation, tuèrent également l'un des leurs et en blessèrent deux, mais mirent ces pertes sur le compte des habitants.
Dans le but de cerner le village, ils envoyèrent chercher du renfort qui arriva dans trois camionnettes faisant partie du plan de détresse de Paris et conduites par leurs chauffeurs habituels. Les Allemands recommencèrent le mitraillage et mirent le feu au village.
Ils se sont vantés d'avoir fait seize victimes. Six furent ramenées à la caserne de Cosne et exposées au milieu de la cour, devant les chauffeurs et convoyeurs réquisitionnés, pour leur enlever toute velléité de résistance. Parmi les victimes, qui avaient toutes été défigurées par les tirs de mitraillettes, se trouvaient un enfant de quatorze ans environ, et probablement une femme avec un pantalon d'homme. Les corps furent ensuite rechargés sur un plateau automobile et laissés toute la nuit à découvert sans aucun protecteur. Ils étaient emmenés le lendemain à Bourges avec dix otages pris dans le village, les morts et les otages étant cadenassés ensemble dans un fourgon de livraison, sans aération ni éclairage.
Le lundi 26 juin, les Allemands procédèrent à l'enterrement solennel de deux des leurs, celui qui avait été tué au cours de l'opération de Thauvenay et un autre tué accidentellement par une mine allemande.
Expédition du 27 juin
Le mardi 27 juin, à 3 heures du matin, les Allemands entreprirent une expédition contre le maquis, dans les bois au nord de Premery. Cette opération comptait 15 camions au départ de Cosne. Cinq autres camions, partis de Nevers, les rejoignirent sur les lieux. Sur ces derniers, deux canons antichars. De Cosne étaient partis également cinq tanks dont un T-34 d'origine russe et quatre petits tanks Renault. L'effectif était de 350 à 400 hommes. L'opération ne donna aucun résultat. A sa terminaison, la troupe se retrouva dans le village de Vielmanay, avec un groupe d'une douzaine de civils armés de mitraillettes et les poches bourrées de cartouches et de tracts. Les habitants du pays reconnurent en eux des hommes qui les avaient réveillés au milieu de la nuit en se faisant passer pour des Patriotes. Les tracts en évidence au milieu du village avaient trait à la " Nièvre libérée ". Le but de ces faux patriotes semblait être de découvrir l'emplacement des groupes de Résistance et de faire manifester la population en leur faveur, en vue de donner motif à des représailles. La sagesse des habitants du village a déjoué ces manœuvres. L'opération s'est terminée à 16 heures. Les cinq tanks restaient en panne faute de carburant. Un essai fait pour les remorquer est resté vain, et des tracteurs lourds étaient demandés à Nevers.
Il est temps de faire la guerre à la corruption effrénée et de faire rentrer dans le néant les ennemis du peuple français, qui flattent les vices et les passions des hommes corrompus pour créer des partis, armer des citoyens et, au milieu des discordes civiles, relever le trône et servir l'étranger. (Saint-Just.)
IV
LES COURS MARTIALES
Sans doute, les nazis ne perpétraient pas assez de crimes contre les Français ; le gouvernement de Pétain Laval va essayer de faire mieux encore.
Au début de janvier, il confie la police à Darnand et institue, le 20, les Cours martiales.
Il faut que les Français sachent ce que sont et comment fonctionnent ces Cours martiales.
La loi du 20 janvier 1944 prévoit que ces juridictions seront créées par le " Secrétariat Général au Maintien de l'Ordre ", Darnand désigne librement les trois membres qui les composent. Aux termes de l'article 3 de cette loi, " sont déférés aux Cours martiales les individus arrêtés en flagrant délit d'assassinat ou de meurtre, de tentative d'assassinat ou de meurtre... commis pour favoriser une activité terroriste. " L'article 5 ajoute : " Si la Cour martiale constate que les conditions prévues par l'article 2 de la présente loi sont réalisées et que la culpabilité est nettement établie, les coupables sont immédiatement passés par les armes. "
Sans doute la sinistre besogne de ces juridictions d'exception était-elle facile à prévoir. Mais, du moins, imaginait-on qu'elle s'accomplirait avec un minimum de discrimination ; que, conformément à la loi, seuls lui seraient déférés les patriotes qui seraient capturés les armes à la main, que les accusés seraient, sinon défendus, du moins entendus ; qu'enfin ses membres seraient des magistrats ou des fonctionnaires qui, bien que choisis pour leur cruauté ou leur servilité, observeraient les apparences de la légalité.
Ce que l'on sait maintenant dépasse en horreur tout ce qu'on imaginait.
Les Cours martiales sont composées d'hommes de la Milice désignés par la Waffen SS. Darnand. Ils sont porteurs d'ordres de mission, laissant leurs noms en blanc. Les préfets sont requis de les introduire auprès des directeurs de prisons, qui doivent leur remettre la liste des détenus. Les tueurs anonymes choisissent ensuite leurs victimes au hasard des dossiers ou de leur humeur.
Ayant constitué leur charrette, ils font procéder immédiatement à l'exécution. Parfois - pas toujours, - l'exécution est précédée d'un simulacre d'audience dans une salle de prison : il n'est évidemment pas question d'instruction, ni de défense, ni de respect d'une quelconque forme légale.
C'est ainsi que le 9 février, à Toulouse, trois individus, composant la Cour martiale, descendirent à l'hôtel Fagès ; le lendemain, ils se présentèrent chez le nouveau préfet, Sedon, qui, au vu de leur ordre de mission, les introduisit à la prison Saint-Michel.
Ils choisirent douze détenus politiques, qui furent immédiatement conduits devant le peloton d'exécution, composé de gardes mobiles. Quatre balles seulement portèrent ; il fallut abattre chaque victime d'une balle dans la tête. Le président sortit de sa poche un revolver, qu'il tendit au chef de peloton, en disant :
- Prends celui-là, ça ira plus vite.
Puis les assassins allèrent passer la nuit dans une maison de tolérance de la ville : " la Présidence ".
A Marseille, trois autre miliciens, constituant une Cour martiale, prétendirent s'adjoindre l'intendant de police, qui était alors Andrieu. Celui-ci, contraint de s'associer à cette épouvantable parodie de justice et au massacre qui s'ensuivit, protesta le lendemain auprès de Vichy. Il fut immédiatement révoqué.
À la suite de cet incident, les intendants de police ne paraissant pas suffisamment sûrs pour ce genre de besogne, une nouvelle loi a été promulguée le 11 février 1944, pour modifier l'article 3 de la loi sur les Cours martiales. Dorénavant, les patriotes arrêtés sont mis, non plus à la disposition des intendants de police, mais directement à celle du " Secrétariat Général du Maintien de l'Ordre, ", qui les place lui-même sous mandat de dépôt.
À Montauban, la Cour martiale désigna, entre autres victimes, un commerçant qui venait d'être incarcéré pour avoir tué un sergent de ville, Après l'exécution, on s'aperçut qu'il ne s'agissait pas d'un détenu politique, mais d'un prévenu justiciable des assises, pour avoir tué l'amant de sa femme : crime passionnel 1 !
À Eysses, après une tentative d'évasion à la Prison centrale, le 22 février dernier, de magnifiques automobiles amènent le chef Darnand, " ses commissaires ", " sa cour martiale ; le soir, ils feront ripaille au plus grand café de Villeneuve. Comment ne pas être satisfaite ? Ils ont désigné douze patriotes au peloton d'exécution. Les communiqués officiels parleront de découvertes d'armes et d'aveux. Quelles armes ? Quels aveux ? (Les gardiens ont déclaré avoir eu les yeux bandés et n'avoir rien vu.) Que pouvaient-ils avouer, ces condamnés d'avance ? Voilà ce qui s'appelle " maintenir l'ordre et rétablir la paix "... la paix des cimetières !
Et, le soir, les six luxueuses voitures emportent, après un bon repas, le chef, ses commissaires, sa Cour martiale. Ils sont contents : ils ont bien travaillé, ils ont bien dîné et... ils ont tué douze Français !
Les voitures roulent vers d'autres prisons, vers d'autres " coupables ", vers d'autres condamnés, vers d'autres fusillades.
Que reste-t-il à Eysses ? Dans la prison, des patriotes qui serrent les poings - immobiles sur leurs bancs - on leur a coupé les cheveux ras - on leur a interdit de bouger - ils ont droit à dix minutes de promenade le matin et dix minutes de promenade le soir ; quarante détenus sont en cellule -pas de colis - pas de visites.
Dans le pays, il y a des gens horrifiés par les récits des gardiens et ;qui, spontanément, collectent de l'argent pour secourir les familles et fleurir une fosse commune.
Les mêmes bandits font dérailler les trains de voyageurs français et commettent des crimes crapuleux, dans l'espoir de jeter le discrédit sur les actes de guerre des patriotes contre l'armée ennemie et ses agents. Les mêmes assassinaient hier Maurice Sarraut, Victor Basch et sa femme, l'abbé Sorel, le doyen Gosse et son fils, les sénateurs Berthod et Serlin, l'ancien député Fouilland.
Telle est la vérité sur les Cours martiales, dans son horrible nudité. Nous ne sommes pas en présence de véritables condamnations. On a connu des exécutions en masse ; mais jamais on n'a vu confier à des repris de justice anonymes à la fois le pouvoir de choisir les victimes, de s'ériger en tribunal et d'exécuter les sentences.
D'où sort ce gouvernement ? Regardez ! Cela coule encore, cela fume encore, c'est du sang !
Victor Hugo, " Napoléon le Petit. "
LA MILICE DE DARNAND
I. - COMMENT ELLE EST RECRUTÉE
Voici une lettre adressée par le détenu Robic (Pierre), vingt-sept ans, prison de la Santé, VIIe division, cellule 30, condamné le 10 octobre 1942 par la XVIe Chambre à dix mois pour escroquerie et complicité et le 7 mars 1944 par la XVIe Chambre du Tribunal de la Seine à dix-huit mois de prison et à la relégation pour émission de chèque sans provision et escroquerie, à M. le Seçrétaire général de la Milice française, 44, rue Le Peletier, Paris (IXe).
Le 15 avril 1944.
" Monsieur,
" Comme suite aux différentes lettres que je vous ai adressées, j'ai eu, avant-hier, la visite de votre envoyé.
" Je vous rappelle qu'afin de vous prouver ma bonne foi je vous prie de me punir très sévèrement dans le cas où mes déclarations seraient inexactes ou imaginaires et je vous garantis à nouveau l'authenticité absolue de mes informations.
Je vous indique d'ailleurs, avec la feuille ci-jointe, comment, à mon avis, il faut opérer pour obtenir un résultat aux affaires dont je vous entretenais. Une fois celui-ci acquis, je vous demanderai, en échange, de bien vouloir me faire libérer définitivement, afin que je puisse continuer à travailler pour votre service, si possible, officiellement.
" J'ai été condamné à dix-huit mois de prison pour émission de chèque sans provision. Les plaignants ont été entièrement dédommagés. Il n'y a pas de partie civile. Je suis en appel, il me reste douze mois à accomplir.
J'espère donc que vous voudrez bien donner suite à ma demande et me faire connaître votre décision afin que je sois fixé.
" Dans l'attente de votre réponse et avec mes remerciements anticipés, je vous prie de croire, monsieur, à l'assurance de mes sentiments très dévoués.
Signé : Pierre ROBIC.
L'envoyé auquel il est fait allusion est le sieur Letourneau, de la Milice française, qui s'est introduit à la Santé en violation de la loi, avec un permis délivré par le Chef du Gouvernement, ministre de l'Intérieur.
QUELQUES MILICIENS
GENESTE (Maurice), inscrit à la Légion des combattants de Marseille et au P. P. F., travailleur volontaire pour l'Allemagne.
Condamné, le 21 juin 1944, par la IIe Chambre de la Cour d'appel de Paris, à quatre années d'emprisonnement et à 1.000 francs d'amende pour avoir participé à une escroquerie se montant à 869.449 francs.
DUCREUX (René), milicien, arrêté depuis le 16 mai 1944 et incarcéré à la prison de Roanne. Inculpé d'avoir commis des vols au cours d'une " opération de la Milice " dans un château à Villerest, près de Roanne.
Six miliciens y prennent part : René Ducreux, Yves Bretagne dit le marquis, Roger Pres, Jean Bernardin, Fernand Beunot, Paul Bousse. Le but de l'opération était la réquisition d'une voiture au château de Commiène, situé à Villerest, à un kilomètre environ de Roanne.
Armés de mitraillettes et de revolvers, les miliciens firent irruption dans le château et expulsèrent les habitants. Puis ils se mirent à visiter ses pièces et s'emparèrent de ce qui leur plaisait.
Ils repartirent avec un réveil, un appareil photographique et une somme d'environ 160.000 francs.
Le duc Philippe Dissandes de Lavilette, colonel de la Milice, chef d'état-major de Paris, condamné le 26 juillet 1944, par la Xe chambre correctionnelle, à un an de prison ferme et 2.400 fr. d'amende pour escroquerie, chantage, exercice illégal de la médecine et port illégal de décoration.
II. - COMMENT ELLE TORTURE
Le Milice de Darnand perfectionne les procédés des brigades spéciales; elle montre un acharnement particulier contre les femmes.
Une patriote a été tellement frappée que, enceinte de quelques mois, elle fit une fausse-couche, ce qui n'empêcha pas les miliciens de continuer à la frapper.
Une jeune femme a été violentée par plusieurs miliciens qui voulaient lui faire avouer ce qu'elle ne voulait pas révéler.
Voici un récit authentique d'un cas entre cent autres ; il émane d'une jeune fille de vingt-deux ans, des F. F. I., membre du service des liaisons et transmissions des F. T. P. F.
Le 16 juin, entre 16 et 17 heures, je suis arrêtée par des miliciens inspecteurs alors que je me rendais dans une ferme, à 25 kilomètres de Rennes ; aussitôt appréhendée, je suis conduite devant un homme que je déclare ne pas connaître; ils me ramènent à la ferme. Là, ils me font déshabiller entièrement, en arrachant violemment mes habits, que je refusais de quitter. Ils me posent une première question : " Où est P... ? " Pas de réponse. " Tu vas nous emmener vers lui et sa " planque ". - " Je ne le connais pas ".
" Ils me frappent sans arrêt dessus, à coups de nerfs de bœuf et de ceinturon, puis ils me font rhabiller et me réitèrent l'ordre de les conduire à la planque de P... Je ne bouge toujours pas et dis ne pas le connaître ; ils continuent à me donner des coups. Ils m'emmènent à Rennes, dans leur maison ; d'autres inspecteurs et un chef milicien arrivent autour de la voiture :
- Qui est-ce ?
- La liaison à P...
- Ah ! celle-là, je m'en occupe personnellement.
J'entends les autres chuchoter :
- Qu'est-ce qu'elle va prendre !
En effet, ils me font monter dans une chambre qui sert de bureau, m'arrachent de nouveau tous mes vêtements et commencent l'interrogatoire ; ils m'interrogent, pas de réponse.
- Ton intérêt est de parler, sinon, gare ! Tu crèveras, mais tu parleras, on te rendra aussi impuissante que M..., J'a... et A..., qui nous ont tout dit, on va te les montrer. Voici J...
- Je ne la connais pas, dis-je.
Ils veulent me faire dire les planques de P..., mais je ne veux pas parler et leur explique que, pour raisons de sécurité, je ne les connais pas.
- Et toi, où couchais-tu ?
- Dans les bois, je campais.
Ils sont six à me battre avec des nerfs de bœuf, ceinturon et sabre, un autre m'étranglait jusqu'à ce que j'étouffe. Quand ils ont vu que ne voulais rien dire, ils me branchèrent l'électricité par tout le corps, jusqu'après les oreilles, ce qui me rendit presque sourde les jours suivants ; pendant ce temps, ils ne faisaient que me demander :
- Où est P... Où sont ses planques ? Ainsi que S... ?
- Je ne sais pas.
- Connaissais-tu J... ?
- Non.
- Hélène ?
- Non.
Si tu la connais, H... et S... sont la même.
- Je n'ai jamais connu H...
- Tu connais la nationale ?
- Non.
- - Tu mens, tu la connais, donne-nous ses planques.
Ils me tapent toujours dessus pendant longtemps ; ils me posent les mêmes questions. Puis ils me font habiller. Le sang coule le long des reins et des cuisses, je n'entends plus et je ne peux plus tenir debout.
- Tu vois, si tu avais parlé, tu ne serais pas arrangée comme ça !
En voyant M..., celui qui m'a dénoncée, je lui dis :
- Quel salaud !
Un inspecteur me demande :
- À qui t'adresses-tu ?
- À tous, lui répondis-je.
Un garde me fait descendre à la prison et me fait coucher par terre. Une demi-heure après, ils me font remonter les deux étages et me présentent J... ; je dis ne pas la connaître (ils Viennent de l'arrêter) ; ils me font redescendre. Cet interrogatoire a duré dix-huit heures, jusqu'à 3 heures du matin. Lorsqu'ils s'arrêtaient de me frapper, ils me faisaient tenir pendant des heures deux litres d'eau, bras horizontaux, et chaque fois que je baissais les bras, ils me tapaient toujours. Pendant tout ce temps, ils me laissaient entièrement nue aux regards de tous les miliciens qui circulaient dans les bureaux. Dans la journée, ils me promènent dans différents lieux de la ville, puis, le soir, ils me font remonter dans le bureau. Je vois le chef, la cravache à la main. Ils venaient de découvrir que je ne m'appelais pas V... mais F...
- Alors, tu nous as menti, cette F... que S... voyait c'était toi.
Ils me font re-déshabiller. J'avais le corps tout endolori et entièrement noir des coups de la veille. Ah ! les salauds ! Ils recommencent à me frapper à tour de bras ; chaque coup me provoque des douleurs atroces. Ils me font redescendre, je ne pouvais plus avancer. Quelques instants après, ils reviennent me chercher, cravache à la main ; ils me mettent en présence de Jo...
- Tu la connais, me disent-ils.
- Non.
- Elle vient de nous l'avouer, déshabille-toi, tu nous as encore menti, tu t'appelles encore C...
- Ce n'est pas vrai.
- Elle vient de nous le dire, aussi A... Tu ne voulais pas la vendre comme tu ne veux pas vendre les autres.
Ils me frappent à coups de nerf de bœuf sur les reins, les fesses, les cuisses et les bras. Ils continuent à me poser d'autres questions auxquelles je ne réponds pas ; ils me remettent le courant électrique et questionnent :
- Qui est E... ?
- Je ne le connais pas, c'est la première fois que j'entends parler de lui.
Ils s'acharnent sur moi pendant longtemps ; ils me posent la même question :
- Tu vas nous dire qui c'est et où sont ses planques.
Je réponds toujours par la négative. Ils me posent une nouvelle question et, comme je ne réponds pas, ils me " tabassent toujours, puis, finalement, ils me redescendent en prison. Je souffrais tellement qu'il m'était impossible de dormir et de rester quelques instants dans la même position. Je ne pouvais pas ouvrir les mâchoires.
Le mardi, à 5 heures du matin, ils m'emmènent à Paris, gardée par les miliciens avec mitraillettes, où ils me remettent entre les mains d'inspecteurs parisiens de la milice. Ils me font monter dans une chambre pour m'interroger de nouveau ; ils me font déshabiller, mais semblent surpris par les meurtrissures que je porte sur tout le corps. Ils ne m'en attachent pas moins les fils électriques aux chevilles et poignets et commencent à m'interroger tout en alternant leurs demandes par de violents coups de courant plus forts que ceux que j'avais ressentis à Rennes ; je ne fais que leur répéter ce que j'ai déjà dit. Cela dura encore quelques instants, puis ils me font rhabiller et me mettent dans une chambre à côté; ils 'me couchent et m'attachent avec les menottes après le chauffage central. Je souffre terriblement, mais je ressens une profonde joie intérieure car, malgré toutes mes appréhensions, je sens que j'ai été plus forte qu'eux. Je n'ai rien dit et pas un seul camarade ne sera de nouveau torturé et fusillé à cause de moi.
III. - COMMENT ELLE JUGE ET TUE
Voici un récit parvenu par un patriote arrêté et épargné :
Le 18 mars 1944, des patriotes furent transférés à la prison de la Santé, dans des cellules séparées de celles des détenus politiques, avec une surveillance spéciale quant à leurs gestes, paroles, etc. Le 29, ils passèrent en Cour martiale siégeant dans le bureau du directeur.
Cette Cour se composait de trois juges, dont le président pouvait avoir trente-cinq ans ; les deux autres, de quarante-cinq à cinquante ans. Parmi ces deux juges se trouvait un commissaire du gouvernement qui assistait en spectateur au jugement, sans intervenir d'aucune manière. Les juges étaient tous en civil. Ils étaient mandatés du gouvernement, mais leur mandat était en blanc : impossible de savoir leurs noms. Le directeur de la prison assistait à la séance. Le sous-directeur remplissait les fonctions de portier. Ils paraissaient tous deux très gênés. Le directeur n'a pas assisté au verdict. Il s'est éclipsé avant la fin. À chaque extrémité du bureau se trouvait un homme qui inscrivait : les greffiers, probablement. Trente-deux G. M. R. ont également assisté au jugement.
Les inculpés furent insultés par le président. D'après les accusés, lis étaient à peine interrogés. Entre autres, le président les a blâmés de n'être pas partis en Allemagne pour travailler, alors que c'est un devoir. À 5 heures du matin eut lieu la lecture du verdict comme suit : tout d'abord, l'appel de tous. Puis le président prononça la peine de mort dans l'ordre suivant : Massey Robert, Bosmayer Bernard, Courvoisier Claude, Godefroy Alfred, Marack Cazeck.
À la veille de la condamnation, des détenus politiques manifestèrent leur colère et leur douleur. Certaines divisions de droit commun refusèrent la soupe de midi en signe de protestation. Après la lecture du verdict, Courvoisier voulut parler, mais on ne lui en donna pas le droit. Quand ils apprirent qu'ils allaient être fusillés, Massey exhorta ses camarades au courage et à mourir bravement.
Le lieu de l'exécution était le chemin de ronde. Onze piquets étaient fichés en terre. Une sorte de palissade était dressée derrière. Les neuf patriotes marchèrent bravement à la mort en chantant la Marseillaise. Ils tombèrent sous les balles en criant : " Vive la France ! Vive de Gaulle ! le 30 avril 1944, à 5 h. 30.
Pas un ne flancha au dernier moment. Ils moururent en Français. Quelque temps après, deux camions emmenèrent les corps de nos pauvres camarades.
Les patriotes emprisonnés à la Santé, après avoir entendu une allocution d'un de leurs camarades, avaient manifesté dès la veille contre les assassins de la Cour martiale. Le dimanche matin, à 5 h. 30, ils reprirent en chœur la Marseillaise et le Chant du départ. Toute la journée, la prison retentit de chants patriotiques et de cris de vengeance. L'un des patriotes de la Santé écrit .
" C'est donc en plein Paris que, maintenant, on assassine les patriotes. De tels actes, de la part de nos ennemis, ne sont pas le signe de leur force. Aussi, tous les détenus politiques de la Santé ont éprouvé un stimulant nouveau à tout faire pour mettre fin à la cause qui provoqua de tels crimes. Le 1er mai, nous avons tous fait le serment de venger nos camarades et de libérer la France. "
Voici un autre récit de l'exécution.
" Il est samedi matin, à 5 heures. On vient chercher onze de nos camarades, dans les cellules.
La Cour martiale siège déjà dans les bureaux du directeur. Nos camarades sont conduits dans une cellule particulière où ils attendront, l'un après l'autre, d'être interrogés dans la matinée. Je m'excuse de ne pouvoir donner exactement les noms de mes camarades : le silence est d'or, dit un vieux proverbe français.
L'interrogatoire de la Cour a été tout à fait rapide. À notre chef, voici ce qu'elle a demandé : Tu t'appelles bien... tu habites bien... tu as tel âge... tu reconnais être le chef de la bande ? Eh bien ! tu peux faire ton testament. "
" Pour les autres, il m'est difficile de vous dire les questions posées exactement. Peut-être que, plus tard, nous le saurons. Ces onze se sont conduits comme des héros, en particulier le petit Polonais qui leur a dit tout ce qu'il avait sur le cœur. La Cour martiale avait déjà décrété onze condamnations à mort. Le président demande : " C'est bien toi qui t'appelles... tu n'es pas recensé... tu habites... tu as tel âge... ton devoir est de partir en Allemagne. Tu es un traître d'être resté ici... (Suit le discours de Philippe Henriot.) Voilà la France... tu portais aussi une arme curieuse... c'est bien... la Cour jugera. "
Dimanche 30 avril. - Cette journée est mémorable et je vous assure que nous attendons impatiemment le résultat. Le moral est bon. Vers 3 h. 30, nous sommes tous réunis dans le bureau du directeur pour écouter le verdict. Après une attente épouvantable d'une heure environ, le président arrive avec la Cour et passe à côté de la Milice qui présente les armes. Alors, d'une voix rapide, il lit les condamnations. Heures graves. Personne ne bouge. Pas une parole.
" La séparation entre les condamnés à mort et les autres a été épouvantable. Voici les seuls mots qu'ils ont laissés : " Vous nous vengerez, les gars, et surtout, dites-le à tous nos copains ! " Après avoir été confessés, ils s'en vont à l'exécution en chantant notre belle Marseillaise. Ils tombent tous en criant : " Vive la France ! " Pendant l'exécution, l'un des miliciens tomba évanoui et un autre, après le crime, pleurant comme un enfant, s'écria : " Nous avons fusillé des innocents ! "
BERCEUSE
Pour un orphelin (extraits)
Ils l'ont fusillé de douze balles.
Dors, mon petit, dors...
Pour qu'il n'ait pas de fleurs,
À d'autres ils ont mêlé son corps
Et pas de pierre à son nom :
Dors, mon amour. Peut-être en
[dormant
Un ange te montrera la tombe où
[il repose... Paul VAILLE.
V
LA MISÈRE DANS LES FOYERS DÉSORGANISÉS PAR LA RÉPRESSION
Combien de pères, de maris, de fils, victimes de la barbarie nazie, sont morts, déportés ou emprisonnés, laissant dans la plus grande détresse leur famille. Les cas ne sont pas rares non plus où la mère est elle-même poursuivie par la police, où les filles sont internées.
Mais il faut voir de près ces gens ainsi frustrés, non seulement de ce qu'ils avaient de plus cher, mais encore de leur soutien moral et matériel, pour se rendre compte de la grande misère qui règne. actuellement dans tant de foyers désorganisés par la répression.
" C'est parce que j'ai vu de près ces malheureux que je peux apporter les quelques témoignages que voici, nous rapporte une des nombreuses visiteuses de l'Assistance française.
" J'ai vu une femme courageuse, mère de trois enfants âgés respectivement de dix, six et deux ans, qui part le matin à l'usine à 5 h. 30, et ne rentre que le soir à 6 heures. Son mari, actuellement interné à Voves, assurait autrefois le bien-être de la famille. Maintenant une charge bien lourde incombe à la mère : il faut que la petite famille mange et que le père reçoive quelques colis. Les meubles, successivement, ont été vendus devant l'angoisse des besoins immédiats. Maintenant, la mère ne peut plus compter que sur ses bras, mais elle se refuse à sentir la fatigue et les privations. L'aînée des enfants, la fillette de dix ans, beaucoup trop raisonnable pour son âge, n'a pas besoin qu'on lui explique la situation. À midi, elle devient jeune maman, s'occupe du déjeuner des deux petits, fait leur toilette, lessive quelques culottes ou chaussettes. C'est une lourde responsabilité pour son jeune âge. Aussi ne connaît-elle guère les jeux d'enfant. La famille n'a comme moyen d'existence que le salaire de la mère ; aussi tous les quatre m'ont-ils accueillie avec joie quand je me suis présentée au nom de l'Assistance française. Je ne leur apportais pourtant que des secours insuffisants. Il y avait une sorte de gêne pour moi à sentir la gratitude de ces êtres qui ont droit à tout et qui, après quatre ans de misère, accueillent avec chaleur ce visiteur tardif qui essaie de leur apporter un infime soutien moral et matériel.
" Cette fois, me voici dans une rue tortueuse, étroite ; les façades lépreuses des vieilles maisons semblent se toucher. Je pénètre sous un porche étroit aux murs gluants et humides, puant la misère : l'escalier de bois grimpe en colimaçon, à tous les vents. Mais à. partir du septième étage les marches sont propres, fraîchement lavées, et j'éprouve une sensation de mieux-être. Une vieille femme ouvre la porte et m'accueille avec sympathie, une fois les présentations faites. Son petit appartement, reluisant de propreté, arrangé avec goût, fait oublier l'ascension pénible et malodorante. Elle en a du mérite, cette vieille femme qui vit toute seule : son soutien, son fils, a été déporté en 1910 en Afrique du Nord. A part son maigre secours à la mairie, aucun moyen de subsistance. Chaque jour amène pour cette vieille femme une série de problèmes insolubles et de chagrins plus grands...
Dans le XXe arrondissement, une grand'mère de soixante-douze ans a eu ses deux gendres fusillés, ses deux filles déportées, ainsi que sa petite-fille. Une de ses filles est morte depuis en captivité ; elle n'a aucune nouvelle de ses deux autres déportées. Quand nous arrivons chez elle, cette malheureuse fait peine à voir. A sa misère morale vient s'ajouter la misère physique. Elle est concierge depuis dix-neuf ans dans une maison qui est déclarée insalubre ; la propriétaire ne payant plus le gaz, la Société l'a coupé et, comme la loge était éclairée au gaz, cette pauvre vieille vit dans un taudis sans lumière et d'une nourriture plus que médiocre, n'ayant pour vivre que l'assistance obligatoire...
" Banlieue Nord, famille de six enfants (l'aîné quinze ans, le plus jeune quatre ans et demi). Le père a été arrêté il y a deux ans. La mère travaille dans la journée dans une fonderie. Le soir en rentrant, le travail à faire, les enfants à soigner. Cette femme courageuse s'est arrangée pour que les enfants continuent leurs études. Ils vivent à sept sur son maigre salaire !... "
Ces familles héroïques et misérables, contraintes de vendre leur mobilier, de disperser un à un de chers souvenirs, se privent encore pour envoyer à leurs prisonniers de pauvres colis, sans l'apport desquels, nous l'avons vu, ils ne résisteraient pas à la faim !
IL FAUT LES AIDER !
Que tous les Français entendent le message du patriote Blanchard, fusillé le 1er juin 1343 : " Nous plaçons nos enfants sous la sauvegarde populaire ! "
FORMEZ DES COMITÉS DE SOLIDARITÉ
qui auront à tâche de collecter de l'argent,
des vivres, des vêtements, des médicaments, de sauver des familles, de placer
des
enfants à la campagne, loin des bombardements, d'héberger des patriotes
traqués.
Ce n'est pas difficile : vous avez des amis ; vous décèlerez sans peine des sympathies autour de vous, à l'atelier, au bureau, parmi vos collègues ou vos voisins. Comme vous, ils s'enthousiasment au récit des exploits des Francs-Tireurs ou des faits d'armes de nos alliés. Comme vous, ils voudraient faire quelque chose. Groupez-les
Votre action sera bientôt connue de la " Solidarité de la Résistance " (Union des groupements de Solidarité Patriotique de la Résistance Française), qui appelle tous les Français à se grouper, sans distinction d'origine, de tendance ou de croyance, pour couvrir le pays d'un vaste réseau d'entraide patriotique et de soutien de nos jeunes combattants, qui montent à l'assaut de la tyrannie étrangère et des nouvelles bastilles de Vichy !
C'est si simple de mourir quand on sait exactement pourquoi on meurt...
André DELMAS.
Vaut mieux, vois-tu, mourir debout que vivre à genoux...
Une maman de fusillé.
VI
QUELQUES LETTRES
Prison de Châlons, 17 février 1944
" Chers parents, chère petite sœur,
" Le jour où vous lirez ces lignes, il y aura peut-être longtemps que j'aurai cessé de vivre, car hier nous avons été jugés, tous condamnés à mort.
" Nous attendons la confirmation du jugement. Je vous demande pardon de la peine que je vous ai causée et aussi de tous les ennuis et tracas que je vous ai causés, car je n'ai pas toujours été raisonnable.
" À toi, papa, qui m'as toujours élevé dans le droit et l'honnêteté ; à toi, maman, qui fus toujours si bonne pour moi; à toi, petite sœur chérie que j'aimais tant et à qui je confie maman, soyez tous courageux et fiers, car votre fils, votre frère est tombé pour que ceux qui viendront plus tard vivent libres et heureux. J'irai à la mort comme si j'avais été au combat, sans trembler.
" C'est dur de mourir à vingt-trois ans, mais il faut que le destin s'accomplisse.
" Petite sœur chérie, je te confie papa et maman ; rends-les heureux et fais-leur une vieillesse douce et sans tracas.
" Votre fils, ton frère qui se prépare à mourir en Français et vous envoie ses derniers adieux et baisers,
" Julien Ducos. "
Nous extrayons ci-après un passage de la lettre d'un jeune communiste, André Delmas, guillotiné le 25-6-42 ; sa tête était sur le billot qu'il chantait encore la Marseillaise :
" Quand a été prononcé le verdict, une seule personne a frémi, le président Devise. Nous sommes demeurés impassibles. Madeleine Marzin, il faut que le monde entier sache que tu mérites de figurer à la même place qu'Anna Pauker ou Lili Hermann, dans le cœur des hommes et des peuples. À aucun moment je n'ai pleuré, mais les larmes me montent aux yeux quand je revois l'inoubliable et magnifique sourire de Madeleine Marzin après le verdict.
" Tous, nous nous sommes embrassés, presque sans émotion, car une incroyable félicité nous baignait : nous avions vaincu, nous étions dignes de notre grand Parti et de tous ceux que la lutte a dévorés avant nous. Au retour, nous avons chanté la Marseillaise, exactement comme vous la chanterez au jour du grand triomphe.
" J'insiste là-dessus ; au fond nous n'avons pas grand mérite. C'est si simple de mourir quand on sait exactement pourquoi on meurt. Il est d'autant plus facile de mourir que l'on attache davantage de prix à la vie.
" Ici une seule chose nous prive : nous sommes isolés les uns des autres. Nous sommes mieux que des frères. Mais nous nous sentons les uns et les autres à travers les murailles, comme si des liens invisibles nous unissaient. Un seul regret : ne plus participer à la lutte gigantesque, ce que nous ferions avec des moyens et une ardeur décuplés.
" Vive notre grand Parti ! Vive la France !
" André Delmas, 25-6-42. "
Un jeune chrétien de seize ans, Henri Fertet, membre du détachement Guy Moquet, des F. T. P. F., écrit à ses parents, le 25 septembre 1943 :
" ...Pendant ces quatre-vingt-dix-sept jours de cellule, votre amour m'a manqué plus que vos colis...
" Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi et plus particulièrement mes plus proches parents et amis ; dites-leur ma confiance en la France éternelle. Je remercie Monseigneur du très grand honneur qu'il m'a fait, honneur dont, je crois, je me suis rendu digne...
Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère maman, mais qu'elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau gaulois.
" Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux... Ne vous faites pas de souci, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu'au bout et je chanterai Sambre-et-Meuse parce que c'est toi, ma chère maman, qui me l'as apprise.
" Les soldats viennent me chercher, je hâte le pas, mon écriture est peut-être tremblée, mais c'est parce que j'ai un petit crayon ; je n'ai pas peur de la mort, j'ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t'en supplie, prie, songe que si je meurs, c'est pour mon bien. Quelle mort serait plus honorable pour moi ? Je meurs volontairement pour ma Patrie.
" Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel.
" Qu'est-ce que cent ans ?
" Maman, rappelle-toi :
" Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs
Qui tous, après la mort, auront des successeurs. "
" Adieu, la mort m'appelle, je ne veux ni bandeau, ni. être attaché. Je vous embrasse tous. C'est dur quand même de mourir... "
Et, pour finir, lisons ensemble la lettre fière et courageuse d'une maman qui écrit à sa fille, détenue à la Petite-Roquette :
" Ma petite fille,
" J'ai été au Père-Lachaise, mais, hélas ! je n'ai pas trouvé, car on n'enterre pas là-bas ; mais, en effet, ils y sont bien venus pour y être incinérés. Les urnes sont restées une dizaine de jours et ils sont venus les prendre, mais ils ne savent dans quel cimetière ils les ont mis.
" Dans ses affaires, je n'ai rien trouvé, aucune lettre, aucune photo ; c'est bien comme ils m'ont dit : il n'avait pas réalisé et il croyait partir en Allemagne. Tu penses, quand il aura compris, je suis sûre qu'il aura regretté de n'avoir pu écrire, car tu sais, ma petite fille, je ne doute pas que, s'il avait pu le faire, ça aurait été pour crier sa haine des bourreaux, je suis sûre que sa dernière pensée aura été pour nous. Comme je ne doute pas qu'il est mort courageusement, car malgré que ce n'était qu'un gosse, malgré son jeune âge, tu sais, toi, ma petite fille, que je ne m'illusionne pas sur son compte. Marie et tous ceux qui l'ont bien connu, ses potes ", comme il disait, savent bien que bien des sommes, en fait de vaillance et de courage, ne lui arrivaient pas à la cheville.
" Je vais rentrer ce soir chez moi, ça me fera du bien de crier ma peine et de ne voir personne. Je ne sortirai que dans quelques jours, quand je serai assez forte pour ne pas pleurer devant ceux qui disent " Elle n'avait qu'à élever ses enfants autrement. " Je ne veux pas que l'on puisse critiquer la pensée de mon petit gars. Je ne regrette pas de vous avoir élevés comme nous l'avons fait et je suis sûre que ton père ne le regrette pas non plus. Notre but était de faire de vous des êtres conscients de leur valeur et non des êtres qui passent leur vie à ramper, car vaut mieux, vois-tu, mourir debout que vivre à genoux. Je savais d'avance en vous élevant comme cela ce qu'il pouvait arriver, mais j'espère que, pour un de tombé, dix se lèveront pour continuer la lutte ; vaut mieux mourir que de vivre esclave toute sa vie.
" Ton père et toi, malgré votre chagrin, vous vous trouverez moins seuls, car vous êtes auprès de camarades qui vous comprennent et qui savent que si mon Mit gars est mort c'est pour une cause juste.
" Dans quel état il était, mon petit gars, si tu voyais ses affaires : ils ne m'ont rendu que des guenilles ; comment pouvait-il faire pour s'habiller avec cela ? Et comme ils écrivent : " Venez chercher des souvenirs ", c'est à ne pas croire. Est-il possible, à l'époque où nous sommes, que des êtres humains puissent traiter ainsi d'autres êtres ! Je vais le faire voir. Je veux que ceux qui n'ont pas encore compris comprennent la mentalité de ceux-là ; c'est une honte. Je les conserverai, ses affaires, jusqu'à ce que vous soyez rentrés, car je veux que vous voyez dans quel état il était, mon petit gars.
" Une chose m'a toujours été chère, ma petite fille, c'est que toi, une fois mariée, tu n'avais pas changé.
" J'ai vu au Père-Lachaise un homme qui a fait l'incinération., il m'a dit qu'ils étaient tous habillés en bleu, sauf un en culotte de golf et un en Allemand. Il a appris que celui-là était de l'Intelligence Service, déguisé, et que, se voyant pris, il s'est jeté du quatrième étage et s'est fracassé la tête.
" Ils en ont incinéré cinquante et un ce jour-là et il m'a assuré qu'ils avaient mis tout leur cœur pour le faire convenablement. Ils ont été incinérés un à un et mis chacun dans une petite urne. Tu vois, il ne reste pas grand chose de mon petit gars. Je n'ai retrouvé dans sa valise qu'un petit sabot, une petite mandoline, un petit cœur brodé : " Pol Stalag 122. " Voilà les seules reliques que j'ai de lui.
" Au Père-Lachaise, ils ignorent le nom de ceux -qui ont été incinérés. "
La fille, détenue à la Petite-Roquette, prison française ; le mari de celle-ci, arrêté le 21 avril 1942 - aucune nouvelle depuis le 21 juin 1942, - fusillé probablement.
Le père, arrêté en octobre 1940 par la police de Vichy, vient de quitter le camp de Voves pour une destination inconnue.
Le jeune Paul, fusillé et incinéré le 2 octobre 1943, avait été arrêté le 16 mai 1942, était resté trois mois au dépôt et, depuis, au secret, à Romainville, d'où il n'a jamais pu correspondre avec sa famille ni recevoir de linge ou de douceurs. Il avait vingt et un ans.
Surtout n'expliquez pas les traîtres ! Je prends le crime en bloc...
Ne dites pas pourtant : ce lâche
[était un brave. Ne cherchez pas comment leur for-
[fait se construit Et s'éclaircit. Laissez ces monstres
[à la nuit. Où donc en serions-nous si l'on
[expliquait à l'homme Qui tel jour a livré PARIS ou
[trahi ROME ! Discuter, c'est déjà l'absoudre
[vaguement.
Il faut punir!
C'est pour la FRANCE en pleurs
[que notre cœur se serre.
La liquidation publique est néces-
[saire.
Aux pavés, tous ! Frappons ! et
[que l'écrasement
Du bandit soit sous l'ombre et les
[pierres fumant !
Pas de grâce, il faut être ou
[vengeur ou complice,
Et quiconque n'est pas du crime
[est du supplice.
Victor HUGO.
CONCLUSION
Comment ne pas entendre, mêlés aux cris de douleur, les cris de haine ? Comment, surtout, ne pas sanctionner cette impérieuse exigence de justice qui monte de toutes les poitrines françaises ? Demain, la France ne peut tolérer que la moindre équivoque vienne ternir l'éclat de sa grandeur retrouvée.
Tous ces crimes n'ont été possibles, toutes ces tortures n'ont été osées et infligées par l'ennemi que grâce à la complicité d'une poignée de traîtres qui rampent dans son ombre et l'aident dans sa sinistre besogne de destruction. Ils se sentent perdus et, par une monstrueuse aberration, tous ponts coupés vers la France, seuls, affolés déjà par la peur, ils ne voient le salut que dans de nouveaux crimes, toujours plus affreux, toujours plus noirs, comme s'il n'y avait pour eux de salut que dans cette surenchère de l'horreur, comme s'ils imploraient par leur folie sanguinaire la reconnaissance d'un ennemi qui, au dernier moment, les abandonnera.
C'est en vain qu'ils se cachent et gardent l'anonymat ; c'est en vain qu'ils veulent faire oublier leur nom et leur visage : le châtiment les atteindra au fond de leurs tanières.
Le peuple de France, du fond de sa géhenne, réclame cette justice : il n'est que de voir avec quelle chaleur il approuve les premiers signes concrets de ]a volonté d'épuration qui s'est traduite par la condamnation de Pucheu et des tortionnaires de Colomb-Béchar.
Pas de pitié, pas d'excuses, pas d'accommodements pour les lâches et pour les traîtres, pour les Pétain, les Laval, les Darnand qui ont organisé le massacre, pour les magistrats, les directeurs et médecins de prisons, les policiers tortionnaires qui ont été leurs serviles exécutants !
Certes, des coupables seront jugés et non assassinés comme le sont les patriotes tombés entre les mains de la Milice et des cours martiales. Il s'agit de justice et non de vengeance. Comme en Algérie, les procès auront lieu au grand jour, et l'accusé jouira de toutes les garanties légales. Laissons les émules de Henriot hurler avec hargne : la France ne connaîtra pas la guerre civile, mais les assassins de patriotes seront punis comme ils le méritent.
Oh ! nous le savons, le peuple de France restera longtemps meurtri dans sa chair ; mais cette justice qu'il exige et qu'il obtiendra sera la caution d'un avenir où de telles souffrances deviendront impossibles.
Rien ne peut désormais faire taire la voix des patriotes qui, dans l'aube claire, par delà les tombes, appelle tous les Français à l'union. Rien, ni les fusillades, ni les incendies, ni les sombres cachots, ni les prisons glacées, pas même les pendaisons de Nîmes, pas même le massacre d'Ascq, pas même les bûches de Charmes.
Ces appels, toute la France les entend, toute la France les écoute. Ces mille voix qui s'élèvent des geôles, des camps, des bagnes, s'enflent et s'unissent à la voix de tous ceux qui luttent pour libérer le sol de la Patrie. De tous côtés, elles frappent les oreilles des timides, de ceux qui se lèvent à présent pour entrer à leur tour dans la lutte.
Et cet hymne de force et d'espoir qui jaillit de toutes les campagnes et de toutes les villes, ce chant qui entraîne jeunes et vieux, qui ranime les volontés, qui exalte les courages, qui fait les yeux plus clairs et plus sûre la marche, c'est le chant même de la France qui, dans la douleur, se délivre de ses chaînes.