Le grand silence des morts

On quitte Annecy par l'avenue d'Albigny, on contourne le lac en le laissant à droite ; on prend la Nationale 509 dans la direction de l'est. On passe à Veyrier, au col de Bluffy, on s'engage dans une gorge qui monte, pas très fort, entre deux petits massifs montagneux, celui de la Tête-Ronde et celui de la Dent du Cruel. À 20 kilomètres du chef-lieu de la Haute-Savoie, à droite de la route, un cimetière dont les tombes sont impeccablement alignées, toutes semblables. Là reposent 102 maquisards tués au printemps de l'an 1944. Un monument très simple et très émouvant. On s'approche et voici ce que l'on peut lire :

VIVRE LIBRE OU MOURIR.

Le 24 Janvier 1944, le gouvernement de Vichy met la Haute-Savoie en état de siège.

Afin d'échapper è l'extermination, 465 maquisards, sous les ordres du lieutenant Morel (Tom), puis du capitaine Anjot (Bayard) et encadrés par d'autres officiers et sous-officiers du 27e bataillon de chasseurs alpins. se retranchent sur le plateau des Glières, bastion naturel et terrain idéal de parachutage.

Les forces vichyssoises échouent.

La 157e division alpine de la Wehrmacht, forte de 12 000 hommes, leur succède, appuyée par l'aviation et l'artillerie.

Le 26 mars, après avoir livré le premier grand combat pour la libération, le bataillon des Glières succombe.

Mais son geste efficace et symbolique prouvait la solide réalité de la Résistance et rendait à la France, enfin retrouvée, l'estime du monde.

En ce lieu même de leur sacrifice, ces morts fraternels témoignent à jamais pour les hommes libres.

Des noms, sur ces croix. Neuf couvrent des inconnus. Les autres ont été identifiés, après la Libération, un peu partout, dans cette région réputée inaccessible ; leurs cadavres, leurs ossements ont été groupés à Moretté, qui vit se dérouler bien des drames, puis ensevelis, et ce cimetière est devenu un lieu de recueillement.

Des chefs d'État y sont venus et se sont inclinés, seuls, devant les sépultures. Des honneurs militaires ont été rendus. À 20 kilomètres, c'est Annecy qui accueille chaque année des milliers de touristes. Il ne faut pas dire que ce cimetière constitue une attraction touristique, mais les cars s'y arrêtent, des gens de toutes nationalités regardent, effarés,ces alignements de croix sous lesquelles dorment de jeunes morts, petits officiers ou soldats, minces adolescents fauchés en pleine exubérance, tombés là au pied de ce plateau, pour que le pays renaisse à la liberté. Des femmes se signent, vaguement apeurées. Des hommes qui ont été soldats, esquissent un garde-à-vous, tête nue. Des étrangers : Allemands ? Italiens ? Américains ? Britanniques ? y vont carrément en claquant les talons. Et n'osent s'aventurer dans les allées de cet étrange cimetière surgi au détour d'une route.

Au-dessus de la nécropole militaire, se dresse le fameux plateau des Glières.

Un réduit de la Résistance

Il se dresse, farouche, avec sa masse sombre de rochers, ses grands sapins, ses sentiers broussailleux. Il culmine à 1 500 mètres, à quelque 16 ou 17 kilomètres d'Annecy, direction est-nord-est. Il se trouve à peu près parfaitement au centre des Aravis, une chaîne calcaire du massif préalpin des Bornes, dans les Alpes du Nord : 2 752 mètres. Tout le monde connaît le col des Aravis (1 500 m) qui permet le franchissement de la chaîne. Toute cette région est énormément fréquentée, aussi bien en hiver qu'en été. Vous avez là Talloires, sur le lac, Thônes et Manigod, Ugine, les gorges de l'Arly et, au sud, Albertville. Et aussi le Chatelard, en plein sud d'Annecy. Des paysages splendides. Des sites sauvages, aujourd'hui encore d'accès parfois difficile. Pour se rendre au plateau des Glières, il n'y avait pas de routes, seulement des sentiers de bûcherons qui disparaissaient sous les neiges de la mauvaise saison. Et, tout près encore, la Suisse.

Annecy, forte garnison il y a cinquante ans et plus, abritait des fantassins du 30e régiment et des chasseurs alpins du 11e bataillon. La ville était devenue, par la suite et au moment de la deuxième guerre mondiale, le fief d'une fière unité arborant la fourragère aux couleurs de la Légion d'honneur - bleu cerise, comme disent les chasseurs, qui n'aiment pas entendre prononcer le mots rouges puisqu'ils appartiennent à des divisions " bleues ". Des forces de la Tradition Militaire. Donc, se trouvait dans ses murs le 27e qui avait livré, au cours de son existence, maints combats. Il avait retrouvé sa ville après la débâcle de juin 1940 et faisait partie de cette " Armée de l'Armistice " qui dans la zone non occupée, rappelait aux Français, en sonnant du clairon, que la France vivait toujours.

En attendant quoi ? La fin prochaine de la guerre qui, semblait-il à beaucoup, ne pouvait pas s'éterniser.

Cette petite armée de 100.000 hommes comptait bien, un jour ou l'autre, en découdre de nouveau avec les Allemands, grâce à des alliances qu'elle prévoyait et à un esprit de corps que ses chefs s'efforçaient d'entretenir.

Des jours encore plus sombres allaient venir. Le 8 novembre 1942, les Britanniques et les Américains prenaient pied en Afrique du Nord, le plan prévu pour un sursaut national en France échouait à la suite de machinations vichyssoises, la Wehrmacht occupait entièrement la zone sud et, quinze jours après, faisait irruption dans les casernes, désarmait les soldats : il n'y avait plus d'armée française. Ses derniers éléments sauvaient leurs drapeaux et passaient ensuite dans les bureaux de démobilisation. Les hommes regagnaient leurs foyers, les cadres essayaient de ses recycler, comme on dit aujourd'hui. Les officiers gardaient le contact avec les militaires de carrière qui leur étaient attachés et, désormais dans la clandestinité, jetaient les bases d'une résurrection nationale. Ils fondaient l'O.R.A., Organisation de Résistance de l'Armée.

Il s'agissait, en somme, de regrouper des forces dans des régions difficilement accessibles à l'ennemi - qui d'ailleurs ne pouvait s'occuper de tout - et les zones montagneuses s'y prêtaient beaucoup mieux que d'autres : les Alpes, le Jura, le Massif Central.

Un premier chef Valette d'Osia

En novembre 1942, l'Armée Secrète (A.S.) s'organisa tant bien que mal en Haute-Savoie, sous l'impulsion du commandant Vallette d'Osia, ancien chef de corps du 27e bataillon de chasseurs alpins. C'était un homme de valeur, encore jeune ; il était capitaine en 1939 à l'état-major de la 64e division où il avait comme collègue, au 3e bureau, le capitaine Faure, autre alpin, qui, devenu général, se retrouva un jour enfermé à la prison de Tulle avec quelques autres, pour avoir tenu assez solidement tête au général de Gaulle. Lorsque ce dernier visitait les popotes en Algérie. De Gaulle n'aimait pas du tout cela, le général Faure en pâtit durement. À l'époque qui nous occupe, c'est-à-dire après l'invasion de la zone sud, tandis que Vallette d'Osia s'efforçait d'organiser un maquis dans son département, Faure était quelque part au Maroc où il s'occupait de groupements de jeunesse.

D'Osia, avec l'aide de cadres du 27e bataillon demeurés dans la région, constitua de petits groupes (anciens chasseurs alpins, jeunes qui se cachaient, étrangers aussi, Israélites) qu'il implanta dans quelques villages des vallées : Entremont, Bouchet-de-Serraval, Manigod. En ce dernier village étaient venus se rassembler des Jocistes d'Annecy. Chaque village devait entretenir et héberger une trentaine d'hommes (cinq sixaines ) et chaque vallée devait donner naissance à un bataillon.

Le commandant d'Osia avait sans doute des illusions. Mais d'autres aussi. La Résistance naissait à peine. Elle comprenait des groupes indépendants qui opéraient ici et là selon la tactique des guérillas que d'anciens combattants des brigades internationales de la guerre d'Espagne avaient transférée en France où l'occasion était propice. Mais il n'y avait que peu d'armes. Les militaires démobilisés avaient tenté de sauver tout ce qu'ils avaient pu en quittant leurs cantonnements, mais les dépôts constitués avaient été peu à peu découverts par la police de Vichy et par la police allemande. Il ne faut pas oublier que, bien avant l'occupation de la zone sud, la Gestapo, l'Abwehr, avaient été autorisées par le gouvernement dit français à opérer de concert avec la police nationale. Naturellement, les dénonciations avaient afflué, puisque aussi bien la moitié de la France dénonçait l'autre moitié, et les caches d'armes, les stocks camouflés, aisément découverts.

On manquait donc à peu près de tout pour reprendre le combat. Bien que Vallette d'Osia ait fait connaître au général de Gaulle que dans la région des Alpes plusieurs centaines de milliers d'hommes étaient prêts à se ranger à ses côtés - s'il leur faisait envoyer des armes - il n'y avait encore, selon les estimations pour ainsi dire officielles, dans le courant de l'été de 1943, que 250 maquisards dans la région entre Annecy et la Suisse, dont 100 armés. Pour ainsi dire : rien.

Les fermiers abritaient volontiers des réfractaires, les nourrissaient et les employaient pour leurs travaux. Les autorités locales fermaient les yeux. Il y avait déjà toute une organisation de faux papiers d'identité. Ces groupes de partisans, qui s'essayaient à de petits coups de main contre l'occupation italienne, pas bien méchante, opéraient isolément.

Le 16 février 1943, le IIIe Reich, qui avait un besoin pressant de main-d'œuvre, institua le service du travail obligatoire, le système de la relève volontaire n'ayant rien donné de bon. Les jeunes classes furent recensées, on ratissa les villes et même les campagnes et les réfractaires s'enfuirent. Mais ils étaient désormais sans travail, sans état civil, sans cartes d'alimentation. Ils vinrent tout naturellement grossir les effectifs de la Résistance.

Il fallait les instruire, en faire des soldats et ce n'était pas commode.

L'occupant, d'ailleurs, s'en mêlait sérieusement. L'armée italienne avait reçu l'ordre de supprimer les maquis de Haute-Savoie. Elle n'en fit rien. On fit appel à l'O.V.R.A. (Organizzazione Vigilanza Repressione Antifascismo) qui n'obtint que peu de résultats. Alors, la Gestapo (Geheimestaatspolizei) prit l'affaire en mains et tout changea subitement. Il se produisit des accrochages, des arrestations, la prison d'Annecy se remplit et, au mois de septembre 1943, le commandant Vallette d'Osia, dénoncé, fut livré à la police allemande qui décida de le transférer au coeur du Reich, aux fins d'interrogatoires.

Menottes aux mains, deux SS le mirent dans un convoi de chemin de fer partant d'Annecy. Le commandant réfléchit à toute vitesse, passa à travers la fenêtre du compartiment dont il avait brisé la vitre avec ses menottes, se laissa tomber sur le remblai et détala. Il connaissait bien le terrain, il courait comme un bon chasseur qu'il était. Il échappa à toutes les recherches. Mais il était brûlé, sa tête mise à prix. On le fit passer en Angleterre.

Romans-Petit : son terrain d'élection, le maquis

De l'officier d'état-major, de l'officier breveté, Vallette d'Osia avait à la fois les qualités et les défauts. Il n'était pas plus fait pour la guérilla que bien d'autres officiers de carrière, plus à leur aise dans des opérations de grande envergure que dans des harcèlements en zone montagneuse. Il fallait, pour galvaniser ces quelques centaines d'hommes épars dans la région de la Haute-Savoie et qui erraient, sans chef au gré de leur fantaisie ou sous la conduite de quelques petits cadres qui n'avaient rien des chefs de bandes, un homme vif, entreprenant, sans complexes, allant de l'avant sans se soucier d'autre chose. On le chercha, ils étaient très rares, on le trouva en la personne du capitaine de réserve de l'armée de l'Air Henri Romans-Petit qui, en décembre 1942, avait pris en mains les maquisards de l'Ain et plus spécialement ceux de la région d'Oyonnax. Il les avait brassés et était parvenu à les transformer en véritables combattants. Intelligent, Industrieux, Romans-Petit, ancien combattant de la guerre 1914-1918, avait été à bonne école. Il avait appartenu, comme simple chasseur, à la fameuse division bleue du général Brissaud-Desmaillets, la 66e, puis il avait bifurqué vers l'aviation. Il n'avait rien du militaire de carrière, ni du fantassin renforcé. Il était partout et nulle part, faisant preuve d'une activité débordante, jamais à court d'une astuce ou d'une ruse de guerre. Avec cela, direct au possible et ne s'embarrassant de rien. Un homme, un chef. Il n'avait qu'une idée, faire la guerre aux Allemands. Il était de la trempe d'un Leclerc, d'un Kœning, d'un Ingold. Mais son terrain d'élection, c'était le maquis et non le champ de grande bataille.

Il arriva dans le secteur du 27e bataillon, visita les groupes, jaugea les hommes, organisa une école de cadres - à Manigod - dont il donna le commandement à un ancien sous-officier, Louis-Jourdan-Joubert, qu'il fit lieutenant, et où l'on pratiqua la formation accélérée des chefs de section. Il y avait de très bons éléments, parmi ces jeunes, et il y en avait d'autres qui ne valaient rien. Mais on connaît la manière de séparer le bon grain de l'ivraie. Romans-Petit la connaissait. À tous, il tint le langage des guérilleros, de ceux qui se soulèvent contre l'occupant de leur pays, qui le guettent au coin des chemins. Le jeune Français ne connaissait pas ce combat, il fallait le lui inculquer.

- Il n'est pas question de vous cacher, dit Romans-Petit à ses nouveaux soldats. Il faut passer à l'offensive. Pas question de faire la guerre, nous ne sommes pas assez et nous ne pouvons entreprendre de grandes opérations. Si nous ne pouvons encore chasser l'ennemi de chez nous, il faut le harceler, l'user, en pratiquant des coups de main, l'user sans cesse, le forcer à se découvrir, immobiliser de gros effectifs constamment menacés par une poignée d'hommes résolus, infliger des pertes, tuer, saboter, puis décrocher lorsqu'il est temps de le faire et ne pas se laisser prendre.

Romans-Petit ne se laissa jamais prendre.

Quant aux moyens matériels, il faut les attendre. Arrive de Londres une mission composée de deux hommes seulement : le colonel britannique Richard Heslop (Xavier), et le lieutenant Jean Rosenthal, grièvement blessé avec la colonne Leclerc en Tripolitaine, évacué et qui reprend du service en s'appuyant sur deux cannes. On le connaît sous le nom des capitaine Cantinier. Les deux hommes confèrent avec les chefs de la. Résistance de la région lyonnaise, gagnent la Haute-Savoie, se rendent compte de ce qu'on y peut faire. Cantinier dénombre 2 350 hommes qui feront autant de combattants. Ce sont des cadres du 27e bataillon, d'anciens républicains espagnols, des réfractaires, des francs-tireurs, des villageois. C'est Cantinier qui fera, à Londres, admettre la nécessité de ravitailler en armes ce maquis que l'on ne connaît pas encore.

À la fin de l'automne de l'année 1943 de grands événements sont en préparation. Si l'on abandonne les maquisards à leur immobilité dans leurs repaires, ils se feront tôt ou tard capturer par les forces de l'ordre qui ne vont par tarder à entrer en ligne. Il faut faire autre chose.

À la recherche d'un camp de parachutage

Les ordres venus de Londres prescrivent de rassembler les hommes des maquis et de les concentrer sur une position susceptible d'être défendue et difficilement accessible : la zone montagneuse: On abandonne ainsi la tactique des petits groupes et c'est nécessaire puisqu'il va y avoir parachutages d'armes. Or, on ne peut effectuer ces parachutages que sur une position centrale afin de ne pas forcer les gens à surgir de partout et à transporter partout des matériels qu'il faudra ensuite entretenir, ravitailler en munitions et, surtout, apprendre à s'en servir. Et puis, pourquoi ne pas se servir de ces contingents bien implantés sur le sol de France en vue d'une opération stratégique ? Ne seraient-ils pas aptes à fixer des réserves ennemies lorsque se produira l'invasion que les états-majors alliés sont en train de préparer ?

Il convient donc de trouver un terrain qui deviendra un camp militaire. Il n'y en a pas beaucoup en Haute-Savoie, département trop compartimenté. Certains sont, certes, réputés inexpugnables, mais des pics élevés ne sont pas propices à des survols à basse altitude. On a pensé au Semanoz, au plateau de Beauregard, au col des Saisies... Ils ne conviennent pas. Mais il y a le plateau des Glières, au centre d'un massif épais de montagnes, que les avions britanniques peuvent aisément survoler, car il s'agit d'un quadrilatère d'une vingtaine de kilomètres de côté. Pas de routes, rares passages, nombreux obstacles, à peu près au centre du département, entre les vallées de Thônes, de Thorons et du Borde. C'est là que Vallette d'Osia avait résolu son implantation. C'est là que l'on créera un camp. C'est ce nom des Glières, parfaitement inconnu des états-majors alliés, que Xavier, Cantinier et Romans-Petit communiqueront au B.C.R.A.

En janvier 1944, le rassemblement s'opère. La neige couvre la région. Romans-Petit est retourné dans le département de l'Ain, où ses maquis sont attaqués par les Allemands. Il passe le commandement à un jeune officier de vingt-huit ans, le lieutenant Théodose Morel, connu sous le nom de guerre de Tom, un chasseur du 27e que l'on a pu qualifier de conducteur d'hommes prestigieux et qui, le 29 janvier, organise et réalise la montée vers le plateau. De tous les hameaux, dans la nuit glaciale, de petits groupes d'hommes s'infiltrent par les sentiers de bûcherons. Il faut aller vite, car des opérations de police sont imminentes. La Haute-Savoie va être encerclée.

Simon le Baroudeur

On va se battre, mais on s'est déjà battu. Des réfractaires demeurés dans des replis de montagnes appliquent les consignes de la guérilla tant prônées par Romans-Petit. Un garçon de vingt et un ans, Simon dit le Baroudeur, a pris le commandement du corps franc de Thorens. C'est un montagnard vigoureux, insouciant du danger. Il dispose de cent cinquante hommes, il les engage à tout bout de champ, attaque des convois allemands, exécute des collaborateurs, pille les magasins de l'État, les réserves de la police, traite avec les trafiquants du marché noir et pourchasse les miliciens.

Le 21 novembre 1943, à 13 h 45, trois miliciens : le capitaine de réserve Jacquemin, chef départemental de la Haute-Savoie, Roger Franc et Paul Courtois, prennent leur repas à Thunes, dans un hôtel. Soudain, quatre hommes armés et masqués font irruption.0020'est le chef F.T.P. Simon et trois de ses fidèles. Une rafale de mitraillette : Jacquemin et Franc sont tués, Courtois blessé.

Blessé dans un engagement avec les gardes mobiles, en janvier 1944, Simon sera pris, enfermé dans une chambre de l'hôpital d'Annecy, gardé par des miliciens. Il parviendra à s'échapper, on ne sait au juste comment. Un mois plus tard, il sera tué en essayant de forcer un barrage...

Joseph Darnand a besoin d'une victoire

Le tragique épisode des Glières, le 26 mars 1944, se situe exactement entre l'offensive allemande de février contre les maquis de l'Ain, qui sont surpris mais parviennent à échapper à l'étreinte, et un nouvel assaut dans l'Ain, plus vigoureux que le précédent, qui sera repoussé par les maquisards de Romans-Petit. Notons qu'un troisième assaut, en juillet, forcera les maquisards à décrocher, à peu près dans le même temps que l'épisode du Vercors.

C'est en janvier 1944 que Joseph Darnand, secrétaire d'État au Maintien de l'Ordre, jette les yeux sur une carte de la Haute-Savoie. Il sait que le maquis s'est organisé dans cette région, de même que dans celle du Vercors. Il veut faire capituler d'abord les Savoyards. On verra ensuite. Il est le chef de la Milice, il a besoin d'une victoire.

Comment en est-il arrivé là ?

Darnand est un dévoyé, c'est également un ambitieux. Ce pur héros de la Grande Guerre, à qui le maréchal Pétain a remis la médaille militaire, qui a été fait chevalier de la Légion d'honneur quelques années plus tard, qui a été qualifié par le président Raymond Poincaré d'artisan de la Victoire, est issu d'une famille fort modeste d'un gros bourg de l'Ain, Coligny. C'est un homme trapu, solide, plutôt petit, le visage carré. Il a été instruit dans des établissements libres, élève très moyen, petit pâtre à seize ans, apprenti ébéniste ensuite, incorporé en 1916 dans l'infanterie, caporal, sergent en 1917, volontaire pour tous les coups durs, pour toutes les patrouilles, ramenant des prisonniers. À la fin de la guerre, il est adjudant, cinq fois cité. Il voudrait rester dans l'armée, mais il est trop fruste pour faire un officier. Il s'en va en juillet 1921, amer, déçu, rentre à Bourg-en-Bresse, exerce divers métiers. Il est travailleur, tenace, volontaire, mais il lui manque une certaine classe. Il adhère à l'Action Française, milite â Nice où il s'est établi, devient l'ami de quelques jeunes bourgeois... Il n'est pas bête, mais il n'est pas intelligent. Autoritaire, il manque de sens critique. Lent, prudent, il s'obstine dans ce qu'il entreprend. C'est un crédule, un complexé : mais ce n'est pas un homme d'argent.

Extrémiste de droite, il quittera l'Action Française en 1929, passera aux Croix de Feu, tout naturellement, fera partie du C.S.A.R. (Comité secret d'action révolutionnaire). En 1940, il est lieutenant de réserve au 24e bataillon de chasseurs, se couvre de gloire au cours d'un coup de main sur Forbach en février. C'est la grosse publicité, son portrait parait dans les journaux, Il fait la couverture de Match. Prisonnier en juin, il s'évade, regagne Nice, couvert de décorations. Bien entendu, il est pour Pétain. L'ordre, la légalité, la discipline. Traumatisé par la défaite, il accuse les juifs, les francs-maçons, les démocrates, les pourris. Il devient chef départemental de la Légion des Combattants : 70 000 adhérents dans-les Alpes-Maritimes, il est reçu par Pétain à Vichy. Il est quelqu'un dans le nouveau régime.

Cela étant dit, Darnand ne connaît pas les Allemands. Il n'a eu de contact avec eux qu'au combat. Il est loin de les aimer, mais il éprouve une certaine sympathie pour ce nazisme vainqueur. Si la France pouvait prendre le même chemin... Il faut suivre le maréchal qui revient de Montoire. Les gaullistes ? D'ignobles crapules qui brocardent le vieux chef qui a fait don de sa personne à la France. Darnand deviendra ainsi membre du Conseil national de l'État Français et juge au Tribunal d'État qui condamne les communistes, autre abominable vengeance. En 1941 apparaît le S.O.L. (Service d'ordre légionnaire) qu'il façonnera, ce sera, en quelque sorte, son parti, à lui qui se fait une autre Légion épousant strictement ses idées. Il est partisan d'une alliance militaire avec l'Allemagne, il veut prendre parti complètement, échoue parce que Laval n'a pas confiance en lui - pas encore - et attend son heure.

Un SS français

Or, le 19 décembre 1942, Laval est convoqué par Hitler qui formule - entre autres - une exigence : il veut que l'on crée en France une police supplétive qui collaborera avec la police allemande afin de maintenir l'ordre. Laval opine et la Milice sort de cet entretien. Le 5 janvier 1943, à Vichy, le maréchal annonce cette création aux chefs de la Légion des combattants. Le 31 janvier, parait au Journal officiel la loi 43 relative à la milice française. Une séance inaugurale a lieu au Thermal. Qui la préside ? Joseph Darnand, dont les voeux sont comblés. Il prononce un long discours...

Mais la milice a immédiatement mauvaise réputation, le recrutement est difficile. Qui trouve-t-on dans ses rangs ? Des extrémistes de droite, des catholiques ultras, des anticommunistes, des antisémites, d'anciens ligueurs d'Action Française, de jeunes bourgeois, étudiants, adolescents. Les cadres sont formés de gens à l'esprit étroit, de notables provinciaux. En février 1943, la milice compte une trentaine de mille adhérents, mais les actifs ne dépassent pas le chiffre de 10 000. La troupe de combat, ce sont les Francs Gardes, créés le 2 juin au camp des Calabres, prés de Vichy.

Darnand est sûr que l'Allemagne gagnera la guerre. En août 1943,il prête le serment a Hitler : il devient SS. Il a fait le saut, il est de l'autre côté du mur. C'est un pur nazi qui va bientôt être chargé de maintenir l'ordre dans la France occupée. Il est nommé secrétaire général le 30 décembre 1943, et secrétaire d'État à l'Intérieur en juin 1944. Il commande et contrôle, tant au point de vue du personnel qu'au point de vue technique, l'ensemble des forces de police : police nationale, gendarmerie, garde mobile, groupes mobiles de réserve (les G.M.R.), Préfecture de Police de Paris, gardes des communications, services pénitentiers, contrôle économique (décret du 10 janvier 1944).

Guerre à la Résistance

Il déclare la guerre à la Résistance. Le 7 janvier, Paris-Soir publie ses déclarations fracassantes :

Nous avons affaire à deux catégories de gens qui sont, pour le pays, une menace perpétuelle et un mortel danger. D'une part, les bandes qui tiennent le maquis et dont les effectifs ne sont pas tellement nombreux. D'autre part, la masse de ceux qui se font leurs complices en les ravitaillant, en les renseignant, en les abritant. Je frapperai aussi durement les uns que les autres. Les bandes du maquis seront attaquées partout où elles seront, avec les effectifs et les moyens nécessaires.

Une épuration énergique rendra la tranquillité à tous les honnêtes gens. Quant aux autres il faut qu'ils se disent bien que l'heure est venue de choisir : ou bien avec les défenseurs de l'ordre national, ou bien contre eux. Dans ce dernier cas, ils seront frappés aussi impitoyablement que les hommes du maquis.

En janvier 1944, les maquis armés sont peu nombreux mais bénéficient de la complicité de beaucoup de Français. On sait qu'ils vont apporter des morts et des ruines, que les régions où ils opéreront seront châtiées, qu'ils pillent volontiers les maisons et les fermes (il faut bien vivre). Mais les Allemands ? Et les miliciens, contre lesquels les attentats se multiplient ?

La Franc-Garde reçoit des armes, avec la bénédiction des autorités d'occupation. Elle peut puiser dans les stocks de l'armée d'Armistice et ce qu'elle saisit en cours d'opérations est de bonne prise. Elle comptera 5.000 hommes à la veille du débarquement. Dans ses rangs, beaucoup de condamnés de droit commun qui ont contracté un engagement pour sortir de prison, un bon nombre de voleurs et d'escrocs.

Au début de 1944, la milice s'est installée aux postes de commande. Darnand dispose d'un état-major technique composé d'anciens officiers d'active, de conseillers militaires et d'un groupe spécial de sécurité, 200 fortes têtes avec le chef Tomasi. Des combats se déroulent en Limousin, danse la Loire, nous sommes à l'époque de la violence.

Et c'est aussi l'époque où Darnand jette les yeux sur la carte de la Haute-Savoie et charge son état-major de monter une attaque contre le maquis de la région d'Annecy qui commence à inquiéter la police allemande.

L 'encerclement des Glières

Sur place, on a déjà rassemblé des forces régulières, en l'occurrence des gendarmes et plusieurs escadrons de la Garde. C'est l'ancienne garde mobile, dont les effectifs en 1940 étaient assez considérables et dont on a conservé cinq régiments qui n'ont pas été compris dans la dissolution de l'armée de l'Armistice. Ils sont uniquement chargés du maintien de l'ordre. À leurs côtés, les groupes mobiles de réserve, appartenant à la police d'État. Dans les villes importantes existent des corps de police qui vaquent aux besognes de routine, mais chaque intendant régional de police dispose de plusieurs G.M.R. forts d'environ 200 hommes, encadrés par des officiers de police formés dans diverses écoles. Ces G.M.R. sont composés d'engagés recrutés parmi ceux qui veulent ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire ne pas partir au S.T.O. et ne pas rejoindre le maquis. C'est dire qu'ils sont assez mous et on ne peut guère compter sur eux en cas de coup dur. N'importe, ils font nombre et, sur la quantité, on trouve, comme partout, des hommes dévoués. Il n'y a pas que des héros dans le maquis, il y a même énormément de tièdes qui ont tout de même été lancés dans la bagarre, et parmi les hommes des forces de l'ordre, les héros sont également rares. Attaquer des Français ne leur dit rien. Les gendarmes sont parfaitement réticents, à quelques exceptions près. C'est ainsi que Darnand a nommé, pour coiffer les éléments disparates dont il va disposer et pour conduire les opérations contre le maquis de Haute-Savoie. un capitaine de gendarmerie, Lelong, promu colonel pour la circonstance et pourvu du titre d'intendant de police chargé du Maintien de l'Ordre. Lelong dirigeait une école de police à Périgueux. Pourquoi a-t-il été subitement placé à ce poste périlleux ? On le dit énergique, c'est un homme grand et fort, un costaud. On dit aussi que, discrètement, le maintien de l'ordre a payé les ... dettes que sa femme, beaucoup plus jeune que lui, avait contractées dans des cercles de jeux : Mme Lelong était une flambouse. Il faut bien s'amuser un peu, n'est-ce pas ? Mais il y a des jeux dangereux.

Conflit entre miliciens et gendarmes

Lelong s'est donc installé à Annecy, à la villa des Romains, en janvier 1944. Comme il se plaint de ne pas avoir suffisamment d'effectifs, Darnand - qui veut sa part de la victoire escomptée - lui dépêche quelques centaines de Francs-Gardes venus de toutes les régions de France, regroupés, divisés en trentaines, puis en centaines. L'ensemble sous les ordres du chef Jean Vaugelas, directeur de l'École des Cadres de Saint-Martin-d'Uriage. C'est un royaliste, un homme très dur, très strict sur la discipline, farouchement anticommuniste. Il a pour chef d'état-major le capitaine Raybaud, venu lui aussi d'Uriage, et les commandants d'unités sont quatre officiers. Il y a de Bernonville, ancien officier d'active, monarchiste ; de Bourmont, ancien officier de tirailleurs algériens, l'un des descendants du maréchal de Bourmont, royaliste, qui trahit Napoléon à la veille de Waterloo ; Di Constanzo, officier de réserve, une brute épaisse ; Dagostini, ancien lieutenant d'infanterie coloniale, véritable chef de bande, qui s'était engagé dans la L.V.F. et qui en a été chassé par les Allemands eux-mêmes qui ne purent admettre ses manières de procéder envers les prisonniers. Dagostini est un cruel. Beau garçon, il traîne avec lui sa maîtresse. Maud, fille d'un sénateur, ancien ministre, qui participe aux opérations en uniforme. Elle sera fusillée plus tard en même temps que son amant. Ils auront commis les pires exactions. Les miliciens sont armés du fusil MAS 36, ils ont des mitraillettes Stem, des fusils-mitrailleurs 24/29, quelques mitrailleuses et quelques mortiers. L'ensemble a pris le nom de "2e unité de la Franc-Garde ".

Immédiatement, les rapports deviennent tendus entre les miliciens et les gendarmes, les gardes mobiles qui, professionnels admettent difficilement ces amateurs qui ressemblent étonnamment à des bandits. Par ailleurs, Vaugelas se heurte au colonel Lelong : il voudrait diriger les opérations ! Lelong se cabre. Darnand dépêche à Annecy son meilleur collaborateur qu'il a fait venir de Paris, Max Knipping, ancien officier de l'armée de l'Air qui réglera le conflit en son nom. Lelong est confirmé en tant que seul chef opérationnel, maître absolu sur le terrain. Vaugelas s'incline de mauvaise grâce.

Vichy veut agir avec doigté

Knipping profite de sa présence à Annecy pour faire un tour d'horizon avant l'attaque. Il confère avec Lelong. Celui-ci sait parfaitement que les maquis des Glières sont coiffés par des officiers et des sous-officiers du 27e bataillon de chasseurs. Vichy a recommandé d'agir avec doigté. L'affaire doit être uniquement française : pas d'Allemands. Le but est de faire capituler les Glières afin d'obtenir une victoire à laquelle la propagande donnerait un certain retentissement. Victoire pour les forces de l'ordre, victoire pour la milice. Pas question de noyer la rébellion dans le sang. On sera dur avec les terroristes, ceux qui ont tué, pour les autres, on opérera un tri...

Cette attaque, évidemment, sera une opération coûteuse, on y laissera des hommes. Du reste, les exécutants le savent. Gendarmes, gardes mobiles, sont disciplinés, ils marcheront, ils ne désobéiront pas, mais ils vont à la mort. Les hommes des G.M.R. ne sont pas très chauds mais ils iront aussi. Quant aux miliciens, Vaugelas est formel, ils fonceront ! Mais ce sera peut-être un échec ! Le plateau est bien organisé, défendu par des gens militairement encadrés qui occupent d'excellentes positions, possèdent des armes automatiques grâce â des parachutages. Ils vendront chèrement leur peau et si l'assaillant lâche pied, la victoire change de camp.

On va essayer de parlementer. Lelong a noué quelques intelligences. Lui aussi, lui surtout, ne voudrait pas que le sang coule. Il a beau être gangrené, il a parfois des remords, des sursauts de conscience. Il a porté l'uniforme..., il surestime l'effectif des maquisards du plateau, il l'évalue entre 12 et 12 500 hommes. Il est loin de compte, hélas !

Tom : pourquoi nous attaquer ?

Le commandant du bataillon des Glières, c'est le lieutenant Morel Tom. Il appartient à une excellente famille lyonnaise, il est né en 1915, il a la vocation militaire, il s'est engagé au 27e bataillon en 1940. Il est demeuré sur le front des Alpes avec les éclaireurs-skieurs, il s'y est conduit brillamment, a capturé une compagnie italienne. Chevalier de la Légion d'honneur à vingt-quatre ans. Puis, après l'armistice de juin. instructeur à l'École spéciale militaire, Saint-Cyr, replié à Aix-en-Provence. Largement compromis parce qu'il se livre à une propagande antivichyssoise, il prend le maquis savoyard, y retrouve des camarades, parmi lesquels le capitaine Maurice Anjot lui aussi du 27e. Anjot travaille avec Romans-Petit. La consigne est d'attaquer partout où l'on rencontrera l'ennemi. Au mois de janvier 1944, à l'entrée du bourg de Thônes, Moral et Anjot tombent sur une voiture allemande. Ils bondissent, pistolet au poing. Celui de Tom s'enraye. Un Allemand va tirer. Le jeune homme se rue sur lui, le terrasse mais l'autre a immédiatement le dessus. En quelques fractions de seconde, Anjot se déchaîne à son tour et, d'une balle bien placée, tue le soldat allemand.

Les chalets du plateau sont répartis entre les divers postes de commandement, l'infirmerie. On forme quatre compagnies que commanderont les lieutenants Joubert, Forestier, Humbert, Lamotte. Elles sont divisées en sections qui ont chacune leur secteur à défendre. On construit des fortins. Tom se donne tout entier à cette tâche. Il met sur pied une section de skieurs. Des groupements épars arrivent à leur tour : de la Clusaz, d'Entremont, de Thorens, les F.T.P. du Grand-Bomand. Puis une troupe d'une cinquantaine d'hommes, anciens combattants républicains d'Espagne, évadés des camps de travail de haute montagne, la section Ebre. Des corps francs de ThBnes, du Giffre avec les lieutenants Lalande et de Griffolet. Cela fera 465 hommes venus de tous les horizons et dont l'âge varie entre cinquante et dix-neuf ans.

C'est avec Tom que Leang a pris langue. Il en parle à Knipping qui décide d'avoir un entretien avec le jeune officier. Ils se rencontrent en terrain neutre. Knipping annonce qu'une offensive est proche...

- Mais pour quelle raison voulez-vous nous attaquer ? lui dit Tom. Nous ne voulons aucun mal à la police, ou même à la milice. Nous n'en voulons qu'aux Allemands. Nous voulons les chasser de notre pays. La politique, cela ne nous regarde pas, nous sommes des Français dressés contre l'envahisseur. Un point, c'est tout. Alors, nous ne comprenons pas. Nous n'avons commis aucune exaction, nous nous défendons. Laissez les Allemands nous attaquer !

Knipping décommande l'offensive et s'en va trouver Darnand à Vichy. Celui-ci a des difficultés avec les Allemands.

Les Allemands vont prendre l'opération à leur compte

Car les Allemands commencent à trouver que c'est bien long cette attaque du plateau par les forces du maintien de l'ordre. Le général Oberg donne de là voix, il commande la 157e division de montagne de la Wehrmacht, la division à tout faire de la région. Elle est forte de 12.000 hommes, mais ils ne sont pas tous engagés à la fois dans une même opération. En principe, on forme trois ou quatre ou cinq bataillons de marche, au complet, bien encadrés, pourvus de tout l'armement moderne ; c'est la troupe de choc, composée de montagnards bavarois ou tchèques, appuyés par de l'artillerie semi-lourde, des mortiers et par deux ou trois escadrilles de chasseurs et bombardiers. Et cette force de frappe débouche à l'heure H, écrase ce qu'elle trouve sur son chemin, fait irruption au coeur de la position : tout est réglé en quelques heures. Le docteur Knab, chef de la police de sécurité allemande (Sicherheitsdienst) de Lyon ; le docteur Kampf, chef de la Gestapo à Annecy, interviennent également pour une solution rapide de la question irritante des Glières. Les Allemands ne peuvent laisser subsister dans ces régions qui seront, demain, ils le savent, sur leur flanc gauche lorsque les troupes alliées auront débarqué en Provence, des forces de maquisards grossies d'un afflux de volontaires et qui leur mèneront la vie dure. Donc : réduire les maquis de l'Ain, réduire les Glières, enfin effacer le Vercors.

L'offensive des forces de l'ordre

Lelong a sous ses ordres environ 3 000 hommes. Les opérations débutent le 5 février, la milice rafle des gens à Thônes. Le surlendemain, 7 février, les gardes mobiles attaquent au nord-est du plateau, à l'Essen après une escalade terrible dans la neige :

Ils font trois prisonniers. Pendant ce temps, la milice patrouille à l'ouest, dans le secteur de l'Ussillon. Puis, le 12 les gardes attaquent de nouveau à l'Essert et tombent sous le feu des armes automatiques des maquisards. Ils ont plusieurs tués et blessés. C'est ce jour-là que le chef F.T.P. Simon est abattu en essayant de franchir un barrage. Aussi, le lendemain 13, Philippe Henriot, milicien lui aussi, entonne un chant ! de victoire sur les ondes :

La lumière commence à se faire dans certains esprits. La preuve en est que, dans les groupements de résistance, les scissions s'opèrent déjà. Les éléments troubles qui en assurent la direction commencent à devenir intolérables à ceux qui n'étaient allés rejoindre le maquis qu'avec des illusions patriotiques. Les opérations qui se déroulent en Haute-Savoie en apportent la preuve tous les jours. Elles ont menées exclusivement par des forces françaises qui, jusqu'ici ont capturé un nombre considérable de ces malfaiteurs, mais ont trouvé dans leurs repaires les choses les plus hétéroclites, produits de cambriolages et de vols... La plupart des individus interrogés, dont plusieurs sont juifs ou étrangers, se déclarent fidèles à la doctrine du communisme. Gens sans aveu pour la plupart, ayant plusieurs crimes sur la conscience, etc. ...

Ce sont les miliciens qui se rendent coupables de vols, les gendarmes en sont écœurés !

Lelong va maintenant prendre contact avec le capitaine Anjot, lui soumettre les conditions d'une capitulation honorable. Seuls, les criminels seront déférés aux cours martiales. Refus d'Anjot. Le bataillon des Glières ne capitulera pas.

Le 22 février, deux trentaines de la milice sous les ordres de Dagostini attaquent à Forges, au sud du lac Léman, à 20 kilomètres de Thonon, un petit groupe de F.T.P. retranchés dans un chalet. Ils ne peuvent en venir à bout. Alors, ils mettent

le feu au chalet. Les résistants ne se rendront pas et seront brûlés vifs. Un chef de trentaine, Canton, a été tué. L'autre, Ponsolle, reçoit la Légion d'honneur !

La mort de Tom

Nous voici au mois de mars. Les forces du maintien de l'ordre sont toujours tenues en échec, aucune patrouille ne réussit à percer les défenses, mais les maquisards sont réduits à quelques maigres rations, le ravitaillement n'arrive plus, toutes les issues sont bouclées. Et les Allemands commencent à arriver depuis quinze jours. Darnand se pose la question : Faut-il persévérer, donner l'assaut, au prix de dizaines, de centaines de morts ? Il faudrait de vrais soldats. Les miliciens ne sont pas des soldats...

Dans la nuit du 9 au 10 mars, le lieutenant Théodose Morel, Tom, monte une petite opération sur Entremont, à l'est des Glières, contre une unité de G.M.R. (Aquitaine) qui occupe le village. Il emmène avec lui une compagnie de 150 hommes décidés. Les policiers, surpris, se rendent. Mais l'hôtel de France, où se trouve l'état-major du groupe, résiste. Le commandant de ce G.M.R. s'appelle Lefèvre. Morel lui demande une entrevue afin de parlementer. Lefèvre refuse de se rendre et tire un coup de pistolet à bout portant contre l'officier qui tombe, raide mort. Une rafale de mitraillette descend Lefèvre. Cinquante hommes du G.M.R. sont prisonniers. Le sergent Decours est tombé aux côtés de Tom. À l'aube du 10 mai, le commando regagne le plateau, emportant ses morts qui sont inhumés au centre. Les parents de Moral, avertis on ne sait par qui, sont venus de Lyon pour assister à l'enterrement de leur fils. Ils arrivent aux Glières en utilisant on ne sait quel chemin, avec l'abbé Trully, curé du Petit-Bornand, et le service funèbre suit son cours tragique. Quelque temps après, un homme des G.M.R., libéré après la prise du plateau, racontera cet épisode auquel il avait assisté ; ce récit parviendra aux oreilles de Darnand qui en sera ulcéré et accusera Lelong de manquer de fermeté.

Tom mort, le commandement revient au capitaine Anjot que l'on connaît sous le nom de Bayard. Mais Philippe Henriot, auparavant, apprenant l'incident qui a provoqué la mort du jeune lieutenant de chasseurs, déversera sur son cadavre un flot d'ordures.

Maintenant, les Allemands, lassés d'attendre, vont intervenir.

Le 12 mars, premier bombardement du plateau par trois avions Heinkel.

Le 17, nouveau bombardement à la Chapelle des Anges.

Le 23, encore un bombardement aérien au centre du plateau.

Et les accrochages vont se multipliant.

Le 10 mars, les G.M.R. ont attaqué à Notre-Dame-des-Neiges et ont été repoussés. Ils ont reflué en désordre. Le 20, Vaugelas et Dagostini s'en sont pris à la Rosière et au col de Landron. Ils ont complètement échoué.

Ultimes tentatives pour obtenir la reddition

Le 22 mars, par l'intermédiaire du chanoine Pasquin, supérieur du collège Saint-Joseph, à Thônes, et de l'abbé Gaver, le colonel Lelong fait parvenir au capitaine Anjot un dernier ultimatum.

Les Allemands vont arriver, votre chance de tomber entre des mains françaises disparaît.

Le capitaine Anjot refuse de se rendre, il ne se rendra jamais. Il ne croit plus à la sincérité de ses adversaires. Ceux-ci avaient promis de libérer Michou, un médecin, ils ont renié leur parole, c'est la raison pour laquelle Tom avait attaqué Entremont, afin de faire des prisonniers et de proposer un échange. Anjot a fait le sacrifice de sa vie. On le connaîtra sous le nom de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche.

Joseph Darnand est arrivé à Annecy, le 22 (ou le 23), il a pris contact avec les autorités allemandes qui sont à pied d'oeuvre : le général Pflaum, le docteur Knab et aussi avec Lelong, Vaugelas, Raybaud.

Colloque tragique. Le secrétaire d'État au Maintien de l'Ordre commence par déclarer qu'il n'acceptera pas l'anéantissement par des forces allemandes de gens qui ne se sont livrés à aucun sabotage.

- La Haute-Savoie est régulièrement occupée par les forces du Maintien de l'Ordre, les villes et les voies de communication sont libres. Donc, pour quelle raison faire intervenir des contingents allemands ?

- Oui, répond Pflaum, mais j'ai des ordres, vous comprenez ?

Il ne comprend que trop bien, Darnand. Il tente un dernier compromis. Il a envisagé de retirer ses troupes, mais il ne le fera pas, à la condition que les forces allemandes ne se livrent à aucun excès et que les prisonniers faits sur le plateau soient remis aux Français. La milice occupera le nord-est et bouclera les voies de sortie de ce côté-là. Elle opérera une diversion du côté du nord et du nord-ouest.

Le général allemand promet tout ce qu'on veut. Il reste donc aux miliciens à faire en 'sorte qu'une porte de sortie soit libre par où pourront s'enfuir les rescapés de cette attaque qui s'annonce sévère...

Rendez-vous ! Merde !

Dimanche 26 mars 1944.

L'action principale va être menée par trois bataillons allemands soutenus par deux batteries de montagne et une section de mortiers lourds. Un quatrième bataillon couvrira les assaillants. Huit cents hommes de la milice et une compagnie allemande barreront le nord-ouest. Quatre cents policiers allemands viendront en deuxième vague pour nettoyer le terrain conquis. Une escadrille de chasse formera le parapluie aérien. Les trois bataillons partiront de Thuy, Ehtremont et du Petit-Bomand. Postes de commandement à Thônes.

Depuis la veille, les chalets brûlent, les arbres sont abattus sous une pluie d'obus. Le point d'appui de la milice se trouve à Thônes. Les gendarmes français, les gardes mobiles, les G.M.R. restent dans les vallées et ne prendront aucune part au combat.

La milice prononce son attaque de diversion sur l'Enclave et l'Ussillon, puis par les cols de Spée et de Freux. Elle est partout repoussée.

À 10 heures, un détachement allemand vient tâter le col de Spée. Il est accueilli par le sergent-chef Becker qui sert un fusil-mitrailleur. Des morts sur le terrain.

Une heure plus tard, les bataillons allemands débouchent. Les hommes sont enveloppés dans des manteaux de toile cirée blanche. Ils avancent sans se soucier des pertes qui sont d'ailleurs légères. Les assaillants sont parfaitement renseignés sur les positions qu'ils ont pour mission d'enlever. Des prisonniers G.M.R. se sont évadés et ont narré ce qu'ils ont vu sur le plateau. Le capitaine Anjot se déplace et visite tous les points d'appui. C'est vers l'est que les chasseurs de montagne font porter leur gros effort, venant d'Entremont. Ils parviennent peu avant midi devant le fortin qui barre le passage. Un officier allemand s'avance, seul :

- Rendez-vous !

- Merde !

L'officier fait un geste, la colonne monte à l'assaut, encercle le point d'appui, les défenseurs mitraillent les fantômes blancs...

À Monthiévret, d'autres points d'appui sont débordés vers midi. Deux fusils-mitrailleurs français se sont enrayés. Les maquisards se battent à un contre dix, un contre vingt. Impossible désormais d'évacuer les blessés sur l'infirmerie. Les défenseurs succombent, un à un. L'Histoire conservera les noms de Baratier et d'André Guy, commandant les deux sections de Monthiévret, morts au milieu des leurs, couchés dans la neige. Maintenant, les hommes de la Wehrmacht surgissent de partout, écrasent les fortins, les sections sont encerclées, les maquisards brûlent leurs dernières cartouches puis y vont à la grenade. La tactique d'encerclement ennemie a été couronnée de succès.

Pour abattre les dernières résistances, l'aviation revient, les pièces de 77 de l'artillerie de montagne se déchaînent. Le poste de commandement du capitaine Anjot est écrasé, l'infirmerie brûle. Anjot se replie jusque auprès du tumulus qui marque la tombe de Tom.

Le dernier assaut a lieu à 16 h 30.

Les vagues de chasseurs des montagnes se ruent, entraînées par les officiers, poussées par les sous-officiers, revolver au poing. Il ne s'agit pas de flancher ! Les maquisards luttent pied à pied, ils doivent tenir par tous les moyens jusqu'à la nuit. Les derniers carrés font face. Les blessés tentent d'échapper à l'encerclement qui se dessine de plus en plus. Au-dessus d'un tas de ruines flotte encore le drapeau français. On va se battre au corps à corps. Les Espagnols jouent du poignard. La nuit tombe... L'ombre descend sur la montagne. Le combat cesse.

L'honneur est sauf, va dire le capitaine Anjot à ses officiers. On va tenter maintenant un décrochage général en direction de Parmelan. Puis, ceux qui sortiront indemnes du verrouillage gagneront les refuges, des maisons amies...

C'est la fin des Glières.

La mort de Bayard

Mais c'est aussi la chasse à l'homme.

Le lendemain, 27 mars, le groupe que commande le capitaine Anjot se heurte à un barrage ennemi a l'entrée du village de Nâves. L'officier tombe, les armes à la main, en même temps que le lieutenant Duparc, chef de la section des éclaireurs-skieurs. Le lieutenant Lambert-Dancet les suit dans la mort. Un véritable massacre. Le lieutenant Lalande réussit à passer. Deux édaireurs-skieurs, faits prisonniers près de Thênes, seront fusillés le 30.

Pas de quartier : les chasseurs de montagne ont eu 300 morts...

Dans la gorge de Morette, le groupe du lieutenant Bastien-Joubert tombe dans une embuscade : tous tués ou pris.

Le lieutenant Lalande, qui a pu parvenir jusqu'à Aix-en-Provence, est revenu à Annecy. pour ne pas laisser ses camarades mourir sans lui. Il est reconnu, poursuivi par des miliciens, intercepté par deux gendarmes ; il rejoint, à la prison, son camarade Bastien, ils sont torturés et meurent sous les coups.

La prison est d'ailleurs pleine, on entasse les jeunes hommes capturés un peu partout, dans la caserne Dupleix, dans des caves, à l'hôtel Savoy-Léman et ailleurs encore.

Ce sont les Allemands qui ont pris les Glières...

De la boue sur des cadavres encore chauds

Le porte-parole de la milice a beau jeu de triompher. Le pire, c'est que des Français écoutent cette voix prenante, chargée de fiel...

Dans Thorens, des camions embarquent par fournées les fameux résistants qui, traqués par les forces du Maintien de l'Ordre, débusqués de ce plateau inexpugnable se rendent en foule. Car la fin de cette aventure tragique, déguisée en épopée par les menteurs de Londres, c'est la capitulation à un rythme accéléré de bandes qui, pendant des mois, ont terrorisé le pays. Je les ai vus, Français et étrangers mêlés arriver sans armes. Tous ces hommes ont été lâchés par leur chef au premier assaut. Eux-mêmes ont lâché leurs armes pour fuir plus vite. La légende est morte. Les camions n'emportent vers les prisons qu'un ramassis de déserteurs, de gamins.

Philippe Henriot, réformé pour faiblesse de constitution, n'a jamais été soldat, n'a jamais subi l'épreuve du feu.

Pendant trois jours, il exploitera la situation à la radio. Il ne dira pas un mot de l'attaque allemande, la seule décisive, mais il glorifiera l'admirable cohorte des forces de l'ordre.

Il sera abattu une nuit, sans gloire... D'autres seront fusillés : Darnand, Lelong : la liste serait trop longue.

Que va-t-on faire des prisonniers ?

Oberg et les SS disent qu'ils doivent être jugés et exécutés par des Français, car ils tombent sous le coup des lois de Vichy. Fusillez-les ou bien nous allons nous en charger !

Darnand fait état de l'accord passé avec le général Pflaum. Il est partisan d'opérer une discrimination, d'examiner chaque cas particulier.

Le 4 mai 1944, onze prisonniers passent devant une cour martiale à la maison d'arrêt d'Annecy. Ils sont condamnés à mort. Cinq d'entre eux seront fusillés : l'adjudant-chef Conte, Schmidt, Decon, Valseria et Zelkovitch, qui meurent courageusement sous les balles des pelotons composés de gardes mobiles et d'hommes des G.M.R. L'exécution des six autres est différée. Deux seront déportés en Allemagne, quatre seront délivrés par leurs camarades des maquis reconstitués au mois d'août.

Tous les autres prisonniers seront déportés. Beaucoup ne reviendront pas.

Et ils sont cent deux qui dorment, dans le petit cimetière de Maurette, le grand silence des morts.


Le 18 juin 1940, les Français qui, la veille, avaient écouté le maréchal Pétain leur prêcher la résignation et l'acceptation de la capitulation, entendent une autre voix. D'Outre-Manche, de Londres, portée par les ondes de la B.B.C., c'est celle de l'honneur, du devoir, du refus. Elle questionne : " Le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? " pour crier aussitôt " non ". Personne n'a compris, en ce début de l'été tragique de 1940, qu'aux dimensions du monde, la France n'a perdu qu'une bataille d'avant-garde. Celle dont le théoricien de Gaulle avait prévu le déroulement et redouté le dénouement. Dans cette première allocution (qui sera bientôt suivie de deux autres), un projet est lancé à la nation, qui a été rejeté par ceux-là mêmes qui la dirigeaient, accroché à un mot " résistance ". En accédant à un sens nouveau, il allait devenir un nom nouveau, un nom propre qui s'écrirait dans l'histoire avec une majuscule. Dés lors " le protestataire " assume la France, en tous ses siècles de gloire, des Capétiens à la IIIe République. Il l'assume dans sa continuité historique qui, quels qu'ils soient, rassemble et dépasse ses citoyens. Il l'assume afin qu'elle prolonge le combat mais aussi pour qu'elle ne cesse pas d'exister pour elle-même en tant qu'État et pour les Alliés en tant que puissance. Détenteur du contre-pouvoir du " refus de la trahison ", il se fait le garant de l'État dans le dessein de remettre au pays, au terme de sa lutte pour l'indépendance, " un destin qui ne dépend que de lui-même ". Voilà pourquoi, dans l'espace du timbre, c'est la République qui apparaît. Symbole de la nation, elle appelle à la Résistance, à travers le drapeau de la France Libre. Au sein d'un territoire désorganisé par le repli des armées, par l'exode des populations, par la rupture des communications, les messages du général de Gaulle ne touchent d'abord qu'une minorité. Peu à peu vont affluer d'un peu partout, poignée par poignée, ceux qui auront entendu l'appel parmi eux les 124 marins pêcheurs de l'île de Sein. Quelques décennies avant que ne s'instaure l'empire du marketing politique ou de la guerre psychologique, " l'homme du 18 juin " en avait mis en action tous les rouages. Le visionnaire, doté d'un colossal charisme, était aussi un réaliste amarré à l'événement comme à la longue durée. " Vous savez, la politique, la grande, la vraie, celle qui change le cours des événements, le destin des peuples, l'avenir des nations, c'est le Verbe. In principio erat Verbum. Le 18 juin, j'ai changé l'histoire par un appel de quarante lignes ". Aujourd'hui le 18 juin ne se millésime plus, comme s'il avait été soustrait à une année noire, pour signifier uniquement l'abolition de la défaite.

à la BBC