Au printemps de 1944. les groupes de maquisards qui s'étaient, depuis un an, constitués dans les forêts et les fermes de la région montagneuse limitée par le Drac, l'Isère, le Rhône et la Drôme et qui avaient déjà eu maille à partir avec les Allemands, se trouvaient répartis sur la série de plateaux élevés qui s'étendent de Die à Grenoble et dont les principales localités sont Vassieux, la Chapelle, les Barraques, Villard-de-Lans, Saint-Nizier et Sassenage. C'est le Vercors, à cheval sur les départements de la Drôme et de l'Isère.
Forts d'environ 4.000 hommes, les patriotes avaient un encadrement composé en majorité d'officiers d'active. L'élément purement militaire était représenté par des chasseurs alpins du 6e Bataillon, que son chef, le Commandant de Seguin de Reynies, s'était efforcé de reconstituer en même temps qu'il prenait la tête de la Résistance dans l'Isère. Ce noyau initial, il l'avait confié à l'Adjudant-Chef Chabal, l'un de ses meilleurs sous-officiers. En mai 1944, cette petite formation passe sous les ordres du Commandant Thivollet, le Commandant de Reynies ayant été arrêté à Grenoble par la Gestapo.
Grâce à de nombreux parachutages, les troupes du Vercors disposent d'un armement considérable. Toutefois, elles sont dépourvues de matériel lourd.
Le 13 juin, les Allemands, qui ont concentré des forces imposantes - elles atteindront l'effectif de trois divisions - font une première tentative : venant de Grenoble ils attaquent Saint-Nizier, l'un des rares points où l'on puisse déboucher sur le plateau que défendent par ailleurs des gorges profondes aux falaises abruptes. Sur l'ordre du Lieutenant-Colonel Huet (Hervieux), actuellement chef d'état-major de la XIVe Région), les chasseurs sont dirigés sur Saint-Nizier : tout de suite aux prises avec l'ennemi, la section Chabal réagit énergiquement : les Allemands se dérobent et évacuent leurs services installés à Sassenage.
Le 15, au petit matin, un bataillon allemand, conduit par des miliciens, réussit à tourner les positions des chasseurs.
Durant toute la matinée, Chabal lutte à 1 contre 10 et ne se replie qu'à midi, le gros des forces s'étant déjà retiré. Saint-Nizier est abandonné, mais l'ennemi l'a payé cher et il a été finalement contenu.
La section Chabal se reforme. Son effectif augmente rapidement. En un mois, 300 chasseurs montent de Grenoble et revêtent les uniformes bleu foncé passés à la barbe des Allemands.
Le 16 juillet, le 6e Bataillon de chasseurs alpins est reconstitué à quatre compagnies - effectif total : 650 hommes - sous les ordres du Commandant Costa de Beauregard (Durieux). La Luftwafe se montre de plus en plus agressive, mais le moral reste élevé ; on attend des parachutistes alliés et l'on aménage un terrain d'atterrissage à Vassieux.
Le 21 juillet, les Allemands attaquent de tous côtés, leur supériorité leur permettant de lancer un assaut général. On a une idée de la disproportion des forces en présence quand on sait que la 1re Compagnie doit faire face à la ruée d'un bataillon venant de Saint-Nizier.
Le 22, les chasseurs continuent à soutenir brillamment le combat inégal, ne cédant le terrain que pied à pied. La 2e Compagnie, qui est maintenant commandée par Chabal, se distingue à Valchevrière, encore qu'une de ses sections soit aux prises avec des parachutistes allemands à Vassieux. En effet, alors que les maquisards, ayant aperçu des planeurs remorqués par des avions, étaient accourus au-devant de ceux qu'ils croyaient être des amis, ils s'étaient trouvés en présence de troupes aéroportées ennemies et avaient été décimés avant d'avoir pu comprendre leur erreur. Ne disposant que de faibles réserves, notre Commandement se trouvait dans l'impossibilité d'éliminer le danger mortel constitué par des Allemands atterris en un point essentiel du Vercors et Vassieux était perdu.
D'autre part, les chasseurs de montagne ennemis, s'infiltrant à travers les pas, mordaient sur le plateau à l'est, tandis que la vallée de la Drôme était occupée.
Le 23 juillet, les 2e et 4e Compagnies du 6e B.C.A. sont presque anéanties. Après avoir, à plusieurs reprises, arrêté l'assaillant par des destructions successives et s'être héroïquement battu au bazooka et au fusil-mitrailleur, Chabal, deux fois blessé, est tué à Valchevrière. Voici son dernier message : je suis presque complètement encerclé. Nous apprêtons à faire Sidi Brahim. Vive la France ! Les 1re et 3e Compagnies doivent se replier dans les bois. Pour toutes les troupes, la situation est devenue intenable et le
Commandant se résigne à donner l'ordre de dispersion. Le gros des forces parviendra à échapper à l'ennemi en se dissimulant dans les profondes forêts du plateau, cependant que les mongols de Vlassov sèmeront la terreur à Crest, que les parachutistes incendieront Vassieux dont la population sera massacrée, de même que les blessés et le personnel de l'infirmerie réfugiée dans la grotte de la Luire.
Trois semaines plus tard, les Allemands, croyant avoir définitivement réglé le compte du maquis, commencent à évacuer la région. D'ailleurs, à partir du 15 août, ils vont avoir d'autres soucis. Bientôt, les Américains débarqués en Provence avec la 1re Armée française foncent sur Grenoble ; nos hommes, qui ont immédiatement recommencé à harceler les Allemands, leur sont d'une aide précieuse, leur servant de guides et s'opposant aux destructions ennemies. Le 23 août, le 6e B.C.A. est regroupé à Saint-Gervais. Le 3 septembre, il occupe Venissieux ; le 4, il est à Lyon. Puis il rentre à Grenoble.
Réorganisé et complété par des F.T.P., il monte en Maurienne au mois d'octobre et, en décembre, il est l'un des trois bataillons de la demi-brigade de l'Isère.
Ainsi a survécu dans la lutte et par la lutte, grâce au sacrifice de ses officiers et de ses hommes, le 6e Bataillon de Chasseurs Alpins, unité d'élite de cette Armée française que l'ennemi s'était flatté de détruire pour toujours.
Les Glières ! Sous ce vocable on désigne, en Haute-Savoie, dans le pays du Faucigny, au sud de Bonneville, un plateau d'une altitude de 1.400 mètres situé au centre d'un massif montagneux d'une vingtaine de kilomètres de long sur une quinzaine de large, entouré de vallées profondes comme celles de Thorens et de Thônes, avec des à-pic impressionnants qui en rendent l'accès malaisé.
C'est là qu'au début de 1944, les forces de Darnand entreprirent de réduire un groupe de quelque 500 maquisards dont l'activité semblait un défi au Maintien de l'ordre. Essentiellement des anciens du 27e Bataillon de. chasseurs alpins d'Annecy, encadrés par leurs officiers et sous-officiers, c'est-à-dire de l'Armée Secrète, cette A.S. qui était devenue le cauchemar des miliciens.
Ce 27e B.C.A., le sombre mois de novembre 1942 l'avait trouvé prêt à se reconstituer et à reprendre la lutte, grâce à l'activité du commandant Valette d'Osia.
Aussi lorsqu'à l'automne de 1943 les réfractaires du S.T.O. affluent dans la région, les officiers et sous-officiers du 27e deviennent-ils tout naturellement les chefs des maquis en voie de formation dont l'effectif atteint bientôt 3.000 hommes, chiffre qui diminue sensiblement, il est vrai, dès les premiers froids.
Le commandant Valette d'Osia, arrêté par la Gestapo, s'est évadé mais doit renoncer à la direction du mouvement en Haute-Savoie où il est désormais repéré. Il est remplacé par le lieutenant Morel, dit Tom, jeune officier plein d'enthousiasme, ancien instructeur de Saint-Cyr.
Pour échapper aux miliciens qui infestent les vallées, il est décidé de regrouper les maquis aux Glières. Le lieutenant Morel organise le plateau et prend le commandement du bataillon. Car il s'agit bien d'une formation militaire, articulée en compagnies et en sections et, après plusieurs parachutages, convenablement armée de mitrailleuses, fusils-mitrailleurs, mitraillettes, grenades, plus quelques mortiers récupérés sur le dépôt du 27e.
Les vastes dimensions du plateau et les rigueurs de l'hiver rendent difficiles le ravitaillement et les liaisons.
En février, la petite garnison (467 hommes) est complètement investie par plusieurs milliers de miliciens, de gardes et de gendarmes. Le lieutenant Morel fait hisser les couleurs devant le bataillon ; sur le drapeau se détachent les mots : Vivre libre ou mourir.
L'échec des assiégeants allait être total et même humiliant, étant donné leur supériorité. Ayant bientôt pris l'initiative des opérations, les maquisards ne cessèrent de harceler leurs adversaires, leur infligeant des pertes sensibles, jusqu'au jour où, descendant du plateau, ils les acculèrent dans leurs cantonnements et leur firent 60 prisonniers.
Mais, au début de mars, au cours de son interrogatoire, l'un des captifs, le commandant Lefèvre, saisit un petit revolver qui avait échappé à la fouille et abattit Tom à bout portant. Les patriotes firent immédiatement justice d'une aussi lâche traîtrise, mais la mort avait déjà privé le plateau des Glières d'un chef prestigieux, adoré de ses hommes. Ceux-ci lui firent, dans les solitudes glacées de leur repaire, des funérailles d'une grandiose simplicité.
Devant l'insuccès des miliciens et l'attitude des gardes et des gendarmes qui, à plusieurs reprises,avaient refusé de marcher contre le maquis, les Allemands prirent l'affaire en mains : 5 bataillons d'infanterie alpine bavaroise et 2 bataillons de SS., appuyés par des auto-mitrailleuses, des engins antichars, de l'artillerie et de l'aviation, au total 12.000 hommes avec
un matériel énorme. En présence de pareilles forces, les maquisards, sous le commandement du capitaine Anjot, ex-adjudant major du 27e B.C.A., qui avait remplacé Tom, luttèrent jusqu'aux dernières limites des possibilités, sans espoir, pour l'honneur.
La Wehrmacht commença par bombarder le plateau des Glières de façon systématique ; puis les chasseurs-bombardiers entrèrent dans la danse. Cela dura dix jours, pendant lesquels l'ennemi massa ses forces du côté de la Roche et de Thorens, resserrant en même temps son étreinte dans la vallée du Petit-Bornand afin de couper toute retraite aux assiégés.
Le 25 mars, à midi, après une violente préparation de l'artillerie et l'intervention répétée de la Luftwaffe, l'attaque se déclenche. A six reprises, les maquisards rejettent l'assaillant, lui causant des pertes sérieuses.
Le lendemain, les Allemands repartent à l'assaut : une première colonne de 300 chasseurs, suivie d'une autre de 800. Vêtus de blanc afin de se confondre avec la neige, ils se ruent sur les postes avancés. L'un d'eux, le poste Leclerc, fort de 45 hommes, soutient le choc sans broncher et fauche les premiers rangs ennemis. Ivres de rage, serrés au coude à coude, les Bavarois passent sur les cadavres de leurs camarades et entament une lutte sans merci au cours de laquelle ils sont décimés, tandis que les défenseurs tombent les uns après les autres.
De toutes parts, le plateau est attaqué. En fin de journée, nos positions vont être tournées. La garnison tente une percée, que doit favoriser une attaque menée de l'extérieur par le détachement du lieutenant Jérôme (l'aspirant Griffolet). Mais cette diversion échoue ; Jérôme est tué avec tous les siens, tandis que le sous-lieutenant Barillet succombe avec les 30 hommes de sa section. Pour ne pas vouer à une mort inutile nos éléments dispersés sur toute la périphérie, le capitaine Anjot - il sera tué peu après - ordonne à 22 heures le décrochage général.
Pendant plusieurs jours, les patriotes durent se frayer un chemin à travers des passages rendus impraticables par la neige, pourchassés par les Allemands, mitraillés par les avions, traqués par les miliciens qui formaient un cordon en arrière de la Wehrmacht. Beaucoup succombèrent à la faim et au froid. Quelque 200 maquisards furent finalement capturés : les uns furent exécutés sur place, d'autres fusillés au cours des semaines suivantes ; d'autres encore torturés, comme les lieutenants Bastron et Lalande ; le reste fut déporté.
Les rescapés - 166 hommes - se regroupèrent ; ayant reçu des renforts, ils prirent part à tous les combats de la libération de la Haute-Savoie. En septembre 1944, le 27e B.C.A. remontait en Tarentaise. Il devait, en avril 1945, franchir le Petit Saint-Bernard et pénétrer dans le Val d'Aoste.
On estime que la bataille du plateau des Glières coûta au maquis 150 morts et autant de blessés ou prisonniers ; aux Allemands 400 tués et 300 blessés ; plus deux avions abattus. Les corps des patriotes tués ou fusillés furent enterrés, sans indication d'identité, par les miliciens qui, après avoir uniquement joué le rôle d'indicateurs, de rabatteurs et de tortionnaires, pillèrent et brûlèrent les fermes de la région, écœurant les Allemands eux-mêmes, dont l'un des chefs déclara : Les hommes du maquis se sont battus comme des lions ; mais la milice, c'est de la racaille !
Malgré l'énorme disproportion des forces et des moyens en présence, la résistance des soldats des Glières avait duré quatorze jours. C'est à l'abnégation de ces hommes et à celle de leurs frères en héroïsme que la France doit l'auréole de gloire qui nimbe son front de nation ressuscitée.