3 septembre 1939 - À la suite de l'invasion de la Pologne, la France déclare la guerre à l'Allemagne.

13 mai 1940 - L'Allemagne lance son offensive contre la France.

23 mai 1940 – 9.000 ressortissantes allemandes et autrichiennes, dont 50 % de juives, sont internées par les Français au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) avec leurs enfants.

22 juin 1940 – Signature de l'Armistice entre la France et l'Allemagne nazie.

10 juillet 1940 - Le maréchal Pétain devient chef de l'État français.

27 septembre 1940 - Ordonnance allemande pour le recensement des juifs en zone occupée.

3 - 4 octobre 1940 - Vichy promulgue les premières lois contre les juifs, ainsi que des mesures arbitraires d'internement à leur encontre.

21 Octobre 1940 – Interdiction aux juifs d'exercer certaines professions : enseignants et assimilés.

À partir du 22 octobre 1940 - Apposition de la mention juif sur les cartes d'identité en zone occupée.

24 octobre 1940 - Entrevue de Montoire, poignée de main entre Pétain et Hitler.

23 - 23 mars 1941 – Création du Commissariat général aux questions juives.

2 juin 1941 – Promulgation du second statut des juifs par le gouvernement de Vichy. Recensement des juifs en zone libre.

20-21 août 1941 - Création du camp de Drancy.

5 septembre 1941 - Ouverture de l'exposition Le juif et la France au palais Berlitz à Paris.

20 janvier 1942 – Conférence de Wannsee, en banlieue de Berlin. Les nazis décident que tous les juifs d'Europe seront déportés dans le cadre de la "solution finale " qui prévoit leur extermination systématique.

Printemps 1942 - Sabine Zlatin prend la direction d'une maison d'enfants juifs à Palavas-les-Flots.

Juin 1942 - Obligation du port de l'étoile jaune.

Été 1942 - Sur l'ensemble du territoire, les autorités françaises procèdent à de grandes rafles visant des familles juives.

16 - 11 juillet 1942 - Rafle du Vel' d'Hiv à Paris.

14 août 1942 – Pour la première fois, les enfants de moins de seize ans sont intégrés dans les convois de déportation partant de Drancy pour Auschwitz.

8 novembre 1942 - Les alliés débarquent en Afrique du Nord.

11 novembre 1942 - Les Allemands envahissent la zone sud, l'armée italienne occupe les départements français situés sur la rive gauche du Rhône.

11 décembre 1942 - Décret Laval imposant le timbre " juif " sur les cartes d'identité et les cartes d'alimentation dans toute la France.

Janvier 1943 - Création de la Milice.

Mars-Avril 1943 - Les époux Zlatin quittent Montpellier pour Chambéry avec une quinzaine d'enfants juifs. Ils fondent la colonie d'Izieu.

8 septembre 1943 - L'Italie capitule. Les Allemands occupent l'ex-zone italienne.

16 octobre 1943 - Gabrielle Perrier est nommée institutrice à la " Colonie d'enfants réfugiés " d'Izieu.

6 avril 1944 - La Gestapo et l'armée allemande raflent l'ensemble des occupants de la Maison d'Izieu.

13 avril-30 juin 1944 - 42 enfants et 6 éducateurs, répartis dan plusieurs convois, quittent Drancy pour être assassinés à Auschwitz. Deux adolescents et le directeur de la colonie sont assassinés à Reval en Estonie.

6 juin 1944 - Les alliés débarque en Normandie.

11 août 1944 - Départ du dernier convoi de Drancy pour Auschwitz.

26 août 1944 - De Gaulle descend les Champs-Élysées.

8 mai 1945 – Signature de l'armistice.

Été 1945 - Retour de 2.500 survivants sur 76.000 juifs déportés, dont 11.000 enfants.

1 avril 1946 - Première commémoration de la rafle à Brégnier-Cordon et à Izieu.

1912 - 1982 - Traque de Klaus Barbie par les époux Klarsfeld. Février 1982 - Klaus Barbie est expulsé de Bolivie vers la France.

11 mai - 4 juillet 1981 - Procès de Klaus Barbie à Lyon.

8 mars 1988 - Création de l'Association pour la création et la gestion du Musée-mémorial d'Izieu.

24 avril 1994 - Le président de la République inaugure

le Musée-mémorial des enfants d'lzieu.


Personne ne s'étonnera de lire cette évocation de la tragédie des enfants d'lzieu dans une collection consacrée au patrimoine régional. Vieilles pierres et ceuvres d'art ne valent d'être conservées, on l'a souvent dit, que pour le témoignage qu'elles portent. Et quel témoignage pourrait être plus important que celui qui est inscrit dans les murs de la grande maison du hameau de Lélinaz, commune d'lzieu dans l'Ain ? Quelle histoire, quels faits, peuvent être plus graves que l'arrestation, la déportation et l'extermination de quarante-quatre enfants au seul et unique motif qu'ils étaient juifs ?

La Maison d'Izieu est, par décret présidentiel du 4 janvier 1993, instituée comme l'un des trois lieux de la mémoire nationale avec le Vélodrome d'Hiver et le camp d'internement de Gurs.

On ne doit pas sous-estimer pour autant le relatif silence qui a entouré ce lieu durant quarante ans. Jusqu'au moment où, grâce aux époux Klarsfeld et au procès Barbie, il devint impossible de ne pas se souvenir, de ne pas conduire enfin publiquement le travail de mémoire indispensable. Et de regarder dans les yeux une France qui ne fut pas que résistante.

C'est dans cette perspective qu'a été installé sur le site un lieu culturel sans équivalent : la Maison d'lzieu - Mémorial des Enfants juifs exterminés, inaugurée en avril 1994, cinquante ans après le drame. Sa directrice, Geneviève Erramuzpé, a accueilli avec intérêt notre proposition d'éditer cet ouvrage, son collaborateur PierreJérôme Biscarat l'a conduit avec le degré de précision, de rigueur et de retenue que requiert ce type de témoignage. Les Éditions Le Dauphiné Libéré et deux grands quotidiens régionaux, Le Dauphiné libéré et Le Progrès, permettent aujourd'hui de l'adresser à un très large public.

Ainsi doit se transmettre le témoignage, ainsi doit servir le patrimoine, pour que ces quarante-quatre noms restent à jamais inscrits dans le mémorial universel de l'humanité: Sami, Hans, Nina, MaxMarcel, Esther, Élie, Jacob, Jacques, Richard, Jean-Claude, Raoul.. ."


Durant la Seconde Guerre mondiale, au nom d'une idéologie raciste, l'Europe s'amputa d'une partie d'elle-même. Six millions d'êtres humains, hommes, femmes et enfants, furent massacrés sous prétexte qu'ils étaient nés juifs.

Le 6 avril 1944, la Gestapo de Lyon, sous le commandement de Klaus Barbie, a arrêté, dans la Maison d'lzieu, quarante-quatre enfants qui y avaient tri refuge et leurs sept éducateurs. Parmi les personnes présentes, seul un éducateur a pu s'échapper. Quarante-deux des enfants et cinq adultes ont été gazés dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Deux adolescents directeur de la Maison ont été fusillés en Estonie. Des sept éducateurs, un revint d'Auschwitz.

Après la guerre, parfois de manière inégale, la mémoire de cette tragédie portée à bout de bras par des gens admirables : survivants, familles des s vants, témoins, journalistes, avocats, magistrats, artistes, universitaires, horr politiques, etc. Dès 1946, pour la première commémoration de la rafle, la fondatrice et directrice de la colonie, Sabine Zlatin, fit graver dans la pierre du monument de Brégnier-Cordon une phrase du poète John Donne : Tout homme est un morceau de Continent / Une part du Tout / La mort de tout homme me diminue / Parce que je fais partie du genre humain." Le crime d'lzieu nous concerne tous. L'humanité est Une.

Si ce drame nous interpelle encore aujourd'hui, c'est qu'il touche à une règle fondamentale qui n'a eu de cesse d'être bafouée depuis Auschwitz : un homme égale un homme. Le XXe siècle fut celui des génocides de l'Arménie au Rwanda, en passant par tant d'autres. L'avenir paraît tout aussi sombre. Pourtant, une justice universelle avec la Cour pénale internationale semble voir le jour. Le droit contre la barbarie. Le chemin sera probablement très long, mais la voie est ouverte.

Des raisons d'espérer ? Peut-être. Des raisons de ne pas désespérer ? Sûrement.


Les enfants juifs dans la tourmente

Tout commence en Europe. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, des démocraties aux fascismes et au nazisme, de la France républicaine à la France de Vichy, le sort des juifs bascule dans le mépris, la négation absolue, l'indifférence.

Fuir. Fuir le manque de travail, fuir les agressions antisémites, telles sont les motivations de nombreuses familles juives de l'entre-deux-guerres pour quitter leur patrie d'origine. Certaines choisissent la France. Ce choix ne relève pas du hasard. L'image de la France est celle du pays des droits de l'homme et de l'intégration républicaine.

Pour beaucoup, elle est une véritable terre d'accueil. Au sein de cette communauté dispersée, les 31 familles dont sont issus les 44 enfants juifs arrêtés le 6 avril 1944 à Izieu, ont pris la difficile résolution de tout laisser pour venir se réfugier en France.

En fonction de leur origine et de leur date d'arrivée en France, nous pouvons les classer en quatre groupes : celles qui sont originaires de l'Est de l'Europe, venues en France dans l'entre-deux-guerres ; les familles autrichiennes qui fuient leur pays après l'Anschluss en 1938 ; les juifs allemands du pays de Bade et du Palatinat expulsés en octobre 1940 ; et enfin trois familles françaises qui quittent l'Algérie en 1939.

Le premier groupe, en majorité des Polonais, fuit la misère et l'antisémitisme. Ces familles juives s'installent en France dans les années 1920 et les années 1930. Ce sont pour la plupart des gens de condition modeste.

Le poison de l'antisémitisme

" Une autre fraction, celle-là immense, composée d'étrangers ou de quasi-étrangers, naturalisés de la veille, venus de tous les points de l'Europe, principalement de l'Allemagne, de la Russie et du Levant presque sauvage, dans laquelle l'élément juif-métèque a très peu de peine à dominer... Voici la violence des mots avec lesquels Charles Maurras dans son journal L'Action française, décrit le 18 février 1936, le " peuple de gauche ". Son quotidien tire, en moyenne, à 100.000 exemplaires. Deux ans plus tard, il est élu à l'Académie française. Son audience dans la vie politique et intellectuelle française est très importante.

Nous sommes au milieu des années 1930, dans un pays touché de plein fouet par une crise économique, sociale et politique, dans une Europe ou l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie prospèrent. Ce terrain favorise le développement de mouvements antiparlementaristes et réactionnaires comme les ligues.

Une frange de l'opinion désigne les étrangers, et principalement les juifs, comme responsables de tous les malheurs. Le juif n'est pas français. C'est un " étranger ". On le dit forcément bolchevik, riche et corrompu. À chaque crise, il est présenté comme le coupable idéal. Au début de 1934, éclate l'affaire Stavisky, banquier escroc qui a bénéficié de l'appui de nombreux politiciens. La droite nationaliste saisit cette occasion pour mener une campagne de presse injurieuse. Elle dénonce ce "métèque juif" venant on ne sait d'où, qui trafiquerait avec l'argent des épargnants, bénéficierait du soutien d'une République gangrenée par " l'étranger ".

Si, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les étrangers sont bien accueillis, c'est qu'ils permettent de subvenir aux carences démographiques et économiques de la France. Mais, avec les années de crise, dans une Europe en proie aux dictatures racistes, les immigrés sont alors stigmatisés comme des " concurrents indésirables ". La xénophobie et l'antisémitisme sont de plus en plus violents. Les réactions de rejet sont nombreuses et s'étendent à l'ensemble des sensibilités politiques. La France devient moins généreuse. Des blocages administratifs se font lourdement ressentir. La famille Halaunbrenner, originaire de Pologne, dont deux enfants seront placés à lzieu en novembre 1943, subit ces restrictions de la IIIe République. Parents de quatre enfants nés en France et donc français, ils ne parviennent pas à être eux-mêmes naturalisés.

Les "camps de la honte "

La xénophobie, très vivace dans les années 1930, est avivée par la guerre et la défaite. Puis, avec le gouvernement de Vichy, tout bascule radicalement : livraison des antifascistes aux nazis, annulation des mesures de naturalisation, multiplication des internements. L'État français n'attend pas les pressions allemandes pour prendre des mesures contre les juifs. Dès le 3 octobre 1940, avec la loi sur le statut des juifs, l'antisémitisme est officialisé. Ils n'ont plus le droit d'être enseignants, hauts fonctionnaires, rédacteurs de journaux... La loi fait des juifs un groupe à part, à placer à part.

" Est regardé comme juif pour l'application de la présente loi,
toute personne issue de trois grands-parents de race juive
ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. "

Article 1er, loi portant statut des juifs, 3 octobre 1940.

À partir du 4 octobre 1940, les juifs de France peuvent être internés arbitrairement dans des " camps spéciaux ". Il est donc indispensable pour le régime de Vichy d'acquérir des infrastructures matérielles pour mener à bien sa politique d'exclusion. L'État français récupère et développe le réseau des camps d'internement hérité de la IIIe République, créés pour les républicains espagnols.

Dans ces " camps de la honte ", les conditions de vie matérielles et morales sont dégradantes. La dignité des internés est bafouée. Des milliers de personnes souffrent du grand froid en hiver, de la chaleur insoutenable en été, du manque dramatique d'hygiène, de la promiscuité et de l'isolement. Les plus jeunes et les plus âgés sont les premiers à mourir de la " maladie de la faim ". Dans ces conditions effroyables, plus de 3.000 personnes succombent. Lorsqu'elle arrive, en novembre 1941, au camp de Rivesaltes (Pyrénées Orientales), Friedel Bohny-Reiter, infirmière du Secours suisse aux enfants, écrit à propos des internés : " Manger à leur faim, ils n'ont que cette obsession en tête dès le lever du soleil et celle-ci ne la quittera plus jusqu'au soir, les empêchant même de dormir ". Pour lutter contre cette inhumanité, des membres d'organisations d'entraide, juives et non juives (CIMADE, l'Amitié chrétienne, l'YMCA des Quakers, etc.) mettent en œuvre des actions concrètes d'assistance et de sauvetage, notamment en faveur des enfants.

C'est dans ce contexte d'exclusion et d'enfermement que plusieurs familles des enfants d'Izieu, originaires de l'Est européen et de la Belgique, venues en France dans l'entredeux-guerres, se retrouvent internées. Certaines sont parquées dans les camps d'Agde et de Rivesaltes où elles rencontrent une infirmière travaillant pour l'CEuvre de Secours aux Enfants : Sabine Zlatin.

Sauver les enfants

Immigrante juive polonaise, naturalisée française à la veille de la guerre avec son mari, Sabine Zlatin est à Montpellier

en 1941. Ayant perdu son emploi d'infirmière en raison des lois antisémites, elle refuse de se laisser abattre. Volontaire et déterminée, elle contacte la préfecture de l'Hérault où elle propose ses services comme infirmière. La Préfecture la dirige vers l'Œuvre de Secours aux Enfants (OSE). Très présente dans le Sud de la France, cette association développe des activités d'assistance en faveur des enfants internés. Elle s'emploie à faire libérer les jeunes internés par le biais notamment de certificats d'hébergement, pour ceux de moins de quinze ans. Par chance, le personnel


À l'origine, les nazis excluent provisoirement la déportation des enfants de moins de seize ans qui risquaient de retarder la mise en place de la chaîne de l'extermination.

Ce qui oblige l'administration de Vichy à s'occuper d'un nombre important d'orphelins. À la surprise des nazis, qui n'avaient formulé aucune demande, ce sont les autorités françaises qui proposent d'intégrer les enfants dans les convois de déportation. Dans une note adressée le 6 juillet 1942 à Berlin, Théo Dannecker, le chef de la section anti-juive de la Gestapo en France, avertit ses supérieurs que " Le président Laval a proposé, à l'occasion de la déportation des familles juives de la zone non occupée, de déporter également les enfants de moins de seize ans ".

Après un temps de réflexion, Adolf Eichmann, chargé des affaires juives au sein de la Gestapo du Reich, donne son accord le 20 juillet. Ainsi, comme l'indique un télégramme de la section anti-juive de Paris à Berlin : " Le 14.8. 1942, à 8 h 55, le convoi n° D 901114 a quitté la gare du Bourget-Drancy en direction d'Auschwitz avec 1.000 juifs en tout (parmi eux, pour la première fois, des enfants)". Le convoi n° 19 comprend 80 enfants de moins de douze ans. Comment expliquer l'attitude française ?

L'historien Michaël R. Marrus propose l'explication suivante : " La haine que les Allemands vouaient aux juifs reposait sur une théorie raciste, selon laquelle les enfants représentaient pour l'Ordre Nouveau une menace au moins aussi sérieuse que leurs parents : en Pologne comme en France, le programme consistait purement et simplement à les exterminer. La plupart des responsables de Vichy, pour leur part, ne croyaient pas à une guerre totale contre les juifs. Ce n'est ni le fanatisme ni la haine qui ont lancé l'appareil de l'État français contre les enfants juifs, c'est tout bêtement l'indifférence. Deux années de discrimination officielle avaient érigé une barrière morale entre les juifs et le reste de la société française. S'étant accoutumés à considérer les juifs comme des parias, s'étant peu à peu accommodés du discours prônant leur exclusion, les hommes de Vichy ont fini par traiter les personnes comme de simples objets ".

Sur les 11.000 enfants juifs de France déportés, moins de 100 ont survécu.


de la préfecture de l'Hérault adopte une attitude courageuse en favorisant le sauvetage d'enfants juifs. Benedetti, le préfet régional, Ernst, le secrétaire général de la préfecture, et Fridrici, chef de division, acceptent de délivrer largement de telles autorisations.

Ainsi l'OSE accueille de nombreux enfants au solarium marin de Palavas-les-Flots, mis à disposition par l'abbé Prévost. Au printemps 1942, Sabine Zlatin en prend la direction. Elle participe elle-même à des opérations de sauvetage sans passer par la voie administrative. Dès que cela est possible, elle sort, au besoin, des enfants sous sa cape d'infirmière de la Croix Rouge alors que ceux ci ne figurent pas sur la liste des libérables, ou elle achète des gardiens afin qu'ils ferment les yeux sur des évasions.

Diane Popowski n'est qu'un nourrisson lorsqu'elle est internée au camp d'Agde. Ses parents ont été déportés le 11 septembre 1942. Sabine Zlatin la sort du camp puis la confie à des amis à Montpellier, la famille Pallarés. Les deux sœurs Pallarés, Paulette et Renée, passeront l'été 1943 à Izieu, avec la petite Diane. Celle-ci sera cachée jusqu'à la fin de la guerre par la famille Pallarés. Diane vit aujourd'hui au Canada, ainsi que son père rescapé des camps.

Depuis le début de l'année 1942, la destruction systématique des juifs d'Europe est l'un des axes majeurs de la politique hitlérienne. La guerre contre les juifs devient totale. Les nazis les rejettent radicalement hors de la communauté humaine. En juin, pour la première phase de l'opération en France, les nazis fixent à 100.000 le nombre de juifs à identifier et rassembler en zone non occupée et en zone occupée. Dès lors, le gouvernement de l'État français collabore à la mise en œuvre de la " solution finale ". Le 2 juillet, René Bousquet, Secrétaire général à la police de Vichy, négocie avec les responsables de la police allemande un accord pour leur livrer 10.000 juifs de zone non occupée et 20.000 juifs de zone occupée. Le 3 juillet, à Vichy, en conseil des ministres, Laval et Pétain entérinent en partie cet accord. Arrestations, livraisons, déportations : l'été 1942 est le théâtre d'un véritable désastre humain.

À partir du 14 août, les enfants sont envoyés dans les convois en direction des camps de la mort. L'OSE travaille rapidement pour sauver le plus d'enfants possible en instance de départ. Dans les camps d'internement, elle assume la dramatique obligation de convaincre les parents de lui confier leurs enfants. Entre le mois d'août et le mois de septembre, les familles Krochmal, Gamiel-Hirsch, Lœbmann, Wertheimer, Reis, Zuckerberg, Spiegel, Springer et Bulka sont déportées. Certains enfants de ces familles, sortis des camps par l'OSE, suivent des filières qui les mènent dans différents hébergements de la zone non occupée, du château de Montintin (Haute-Vienne) à Penne-d'Agenais (Lot-et-Garonne), en passant par de nombreuses maisons. Ces enfants, privés de leur famille retrouvent dans ces lieux d'accueil des conditions de vie décentes, tant sur le plan de la santé que de l'éducation.

Il reste que 1942 est une année noire : 42.000 juifs de France dont environ 6.000 enfants sont déportés.

Parmi eux, seules 805 personnes dont 21 femmes reviendront des camps. Parmi les enfants, aucun ne survivra.

L'historien Serge Klarsfeld souligne t que 34 convois totalisant 33.057 juifs sont partis entre le 17 juillet et le 30 septembre. Pendant ces onze semaines, avec le concours massif du gouvernement de Vichy, de l'administration et de la police françaises, 3.000 juifs par semaine ont été déportés de France ".

Le 8 novembre 1942, un événement militaire bouleverse l'Europe hitlérienne. L'opération Torch marque le débarquement des alliés en Afrique du Nord. En réaction, l'armée allemande envahit la zone sud, et occupe ainsi tout le territoire français. Seuls les huit départements se trouvant sur la rive gauche du Rhône sont occupés par les Italiens. Dans cette i zone, les juifs ne sont pas pourchassés. Le village d'Izieu se situe en zone italienne.


Sabine Zlatin

Ténacité et dévouement

Née Chwast, le 13 janvier 1907, à Varsovie en Pologne, Sabine est la dernière de douze enfants. Le père est architecte. Il n'aime pas le prénom donné à sa fille, et décide de l'appeler Yanka, un nom qu'elle gardera par la suite. Ne supportant plus un milieu familial étouffant et l'antisémitisme des Polonais, elle décide au milieu des années 1920 de quitter son pays natal.

Au gré des rencontres, elle gagne successivement Dantzig,

Köenigsberg, Berlin, Bruxelles pour finalement arriver en France à Nancy. Elle entreprend alors des études en histoire de l'Art. Puis, elle fait la connaissance d'un jeune étudiant juif de Russie : Miron Zlatin. Né à Orcha en 1904, issu d'une famille aisée, il prépare, à l'université de Nancy, un diplôme d'études supérieures agronomiques. Le 31 juillet 1927, ils se marient. En 1929, Miron et Sabine acquièrent une ferme avicole à Landas dans le Nord. Après quelques difficultés, l'exploitation se révèle un succès. Ils sont nationalisés le 26 juillet 1939. En septembre 1939, la guerre éclate. Sabine décide de suivre des cours de formation d'infirmière militaire à la Croix-Rouge à Lille. En mai 1940, ils fuient pour Montpellier. La suite de l'histoire les conduit dans l'Ain à Izieu.

Après la rafle, Sabine Zlatin rejoint Paris où elle s'engage dans

la Résistance. À la Libération, elle est nommée hôtelière-chef du Centre Lutétia, en charge d'organise le retour et l'accueil des déportés. En juillet 1945, plus d'un an après la rafle, Sabine Zlatin apprend que son mari ne reviendra pas de déportation. Après la fermeture du Lutétia, en septembre 1945, elle s'installe définitivement à Paris.

Elle s'adonne à la peinture, signant ses toiles du nom de Yanka. Parallèlement, elle va exercer le métier de libraire spécialisé dans les arts du spectacle.

Sabine Zlatin n'a jamais cessé, à partir de la Libération, de porter et de promouvoir la mémoire de la rafle d'Izieu.


La colonie d'Izieu

Refuge et lieu de vie

[Avril 1943 - avril 1944]

" Je suis très contente d'être ici ; il y a de belles montagnes et du haut " des montagnes on voit le Rhône qui passe et c'est très beau ".

Fin 1942, maîtres de la quasi-totalité du territoire, les nazis accentuent la répression antisémite. Dans ce contexte, le solarium de Palavas-les-Flots, comme d'autres maisons d'enfants, est fermé par l'OSE. Au début 1943, les époux Miron et Sabine Zlatin, qui habitent Montpellier, constatent que la situation devient de plus en plus critique. Au cours de l'hiver 1942-1943, les bureaux de l'OSE sont transférés de Montpellier à Vic-sur-Cère (Cantal). Ils songent alors sérieusement à quitter la zone sud.

Les maisons d'enfants réfugiés sont en danger. Parmi elles, la maison de Campestre abrite quatorze enfants. La préfecture de l'Hérault réussit à convaincre les époux Zlatin de les prendre en charge. Vers mars-avril 1943, ils se réfugient avec les enfants en zone italienne, à Chambéry.

Sur les recommandations de Fridrici, chef de division à la préfecture de l'Hérault, Sabine Zlatin rencontre Pierre-Marcel Wiltzer, sous-préfet de Belley, petite ville de l'Ain. D'après son témoignage, Sabine Zlatin " est arrivée en uniforme d'infirmière de la Croix-Rouge. On a joué très rapidement cartes sur table. Elle m'a parlé d'enfants de déportés. On s'est compris ".

Pierre-Marcel Wiltzer use alors de son influence pour aider à l'installation de la colonie. Il sélectionne, avec l'aide d'un inspecteur de la jeunesse et des Sports, deux propriétés qu'il propose à Sabine Zlatin.

Je me rappelle toujours, vous savez, Reifman [l'un des éducateurs], il a sauté du camion et a dit : Quel paradis ! (témoignage de Sabine Zlatin, Les Voix d'Izieu).

Le choix de Sabine Zlatin se porte sur une grande maison qui se trouve dans le hameau de Lélinaz, à côté du village d'lzieu, à une vingtaine de kilomètres de Belley. Construite à la fin du XIXe siècle, cette vaste demeure est juchée à flanc de montagne, à proximité de la route menant du hameau de La Bruyère au village d'lzieu.

La maison possède une grande fontaine, ainsi qu'une immense terrasse. Elle s'ouvre sur le paysage du Bugey et du Dauphiné avec, en toile de fond, par temps clair, le massif de la Chartreuse. Le site dégage un sentiment de sérénité et semble un rempart aux dangers de la guerre.

Aux enfants de Campestre s'ajoutent de nouveaux arrivants provenant de différentes maisons d'enfants cachés. D'autres sont directement amenés par leurs parents. Certains, restés seuls après la déportation de leur famille, sont issus du réseau Garel. Leur nombre ne cesse de croître pour atteindre, en septembre 1943, la soixantaine. Un petit groupe d'éducateurs est chargé de leur encadrement. Quant à l'administration de l'OSE, elle verse des pensions pour les enfants dépendant de ses services.

Pour exemple, l'histoire de Samuel Pintel, six ans : le 16 novembre 1943, à l'hôtel des Marquisats à Annecy, une rafle survient. Sa mère, qui sera raflée, le précipite contre une amie non-juive présente. Par la suite, c'est l'OSE de Chambéry qui prend Samuel en charge. Miron Zlatin va le chercher à Chambéry pour l'amener à Izieu. Il en repart quelques mois avant la rafle.

Pour parvenir au hameau de Lélinaz, il faut emprunter une petite route sinueuse en terre. Le site d'lzieu est isolé. L'atmosphère est celle des campagnes : immobile et douce.

Le confort de la maison est limité. Les bâtiments ne sont pas en très bon état. Il n'y a ni chauffage, si ce n'est de petits poêles, ni l'eau courante. Jeune éducatrice, Paulette Pallarés, se rappelle que les enfants faisaient leur toilette dans la grande fontaine : " Tous les matins, ils attrapaient leur petite cuvette, ils venaient prendre de l'eau dans le bassin, ils se lavaient ". L'hiver, la toilette se fait dans le vestibule de la maison où de l'eau est chauffée dans un chaudron.

Ces conditions de fortune n'empêchent pas les enfants de vivre pleinement cette parenthèse de liberté. Henri Alexander, qui a quinze ans à l'époque, passe l'été 1943 à Izieu. Il en garde un souvenir heureux : " Les journées, on jouait, on s'amusait, on chantait, on faisait des promenades, des choses comme ça ". Des baignades dans le Rhône sont organisées par l'un des éducateurs, Léon Reifman. De nombreuses fêtes rythment la vie de la colonie : anniversaires, Noël, mardi gras... Les enfants s'approprient les lieux. Paul Niedermann, qui avait lui aussi quinze ans et demi au cours de cet été 1943, se souvient: "Ce qui reste dans mon esprit, c'est le soir, sur les marches de l'escalier, devant la maison, autour de la fontaine et sur la fameuse terrasse, où tant de photos ont été prises. On parlait de l'après-guerre, où on se rencontrerait, où on se retrouverait, ce qu'on voudrait faire ". La nuit tombée, les éducatrices veillent au coucher. Paulette Pallarés explique que, chaque soir, elle passait " d'une paillasse sur l'autre, raconter une histoire parce que les garçons, il fallait leur raconter une histoire à chacun, pas forcément la même ". Dans ce cadre extraordinaire, bénéficiant de tous les soins, les fracas de la guerre semblent très lointains pour les enfants de la colonie d'lzieu.


Les éducateurs

Sabine et Miron Zlatin s'entourent d'un petit groupe d'adultes pour encadrer tous ces enfants.

La doctoresse Sarah Reifman et son fils Claude. Elle est accompagnée de ses parents Eva et Moïse. Elle remplace, à partir de septembre 1943, son frère Léon, étudiant en médecine, ancien moniteur à Palavasles-Flots. Après avoir participé à la création de la colonie, il quitte Izieu parce qu'il est recherché pour le Service du travail obligatoire (STO). Il y a aussi Mina Friedler avec Lucienne, sa fille de cinq ans, Lucie Feiger et Léa Feldblum. Avec Miron Zlatin, ils seront tous arrêtés au cours de la rafle du 6 avril 1944. Seul Léon Reifman parvient à s'échapper. Léa Feldblum sera la seule rescapée de la Déportation.

Il convient de rappeler l'aide apportée par ceux qui ont eux la chance de partir quelques mois avant la tragédie : le cuisinier Philippe Dehan et sa mère, Marcelle Ajzenberg, le couple Rachel et Serge Pludermacher ou encore Dora Leidervarger. Des amies de Sabine Zlatin viendront aussi porter main forte : Berthe Mering, Emma Blanc, ainsi que deux jeunes filles, Paulette et Renée Pallarés. Paulette, la plus jeune des sœurs, vit une histoire d'amour avec l'un des adolescents de la colonie, Théo Reis. On peut lire, encore aujourd'hui sur l'une des poutres du grenier, l'inscription : " Paulette aime Théo, 27 août 1943 ".

Derniers instantanés

Moins d'un an plus tard, Théo est fusillé à Reval en Estonie.

"Dans les lettres, les dessins, on sent battre le cour de enfants. Mieux qu'un long discours, s'y expriment la tendresse la gratitude, le besoin d'un asile calme et rempli de gaieté, le désir que chacun retrouve sa famille " (Sabine Zlatin, 1994).

Des documents précieux, reflétant la vie de la colonie, ont été conservés après-guerre. Il s'agit d'une série de photographies, de lettres et de dessins. Ces derniers instantanés nous permettent de percevoir ce que fut l'univers des enfant d'lzieu, et nous les rendent plus proches.

Les principales photos sont prises par deux adolescents, Paul Niedermann et Henri Alexander, les éducatrices, René et Paulette Pallarés, et par Philippe Dehan, le cuisinier. Elle expriment l'apparente insouciance d'une colonie ordinaire : jeux dans les prés, baignade, discussions sur la terrasse, distribution du courrier, etc. Il existe également une série de photos prises par Marie-Louise Bouvier, nièce de madame Perticoz, propriétaire de la ferme voisine : " Comme j'allais travailler au village en haut, en revenant ils me voyaient, ils venaient à ma rencontre. J'avais pris toute la pellicule, de petites photos avec un appareil minuscule, que les gosses voulaient envoyer à leurs parents. Et puis, elles ont été tirées le samedi, et eux ils ont été pris le jeudi d'après. Les gamins, ils n'ont pas pu les voir. Moi, je les ai gardées ". Il s'agit du samedi 1er avril et du jeudi 6 avril 1944. Les photos, elles, ont été prises le dimanche 26 mars, douze jours avant la rafle, trois semaines avant l'assassinat de la plupart d'entre eux à Auschwitz.

Quelques lettres et dessins d'enfants de la colonie ont été conservés par Sabine Zlatin ou par les familles qui ont survécu à la guerre. La gaieté y cohabite avec les tourments. La fête des mères, les anniversaires, les jeux, le quotidien sont autant de sujets évoqués auxquels s'ajoutent la douleur de l'absence des parents et l'angoisse d'un avenir incertain.

Les lettres sont parfois appliquées, écrites avec l'aide et les conseils d'un adulte, d'autres plus spontanées sont d'une mauvaise écriture, jalonnées de fautes d'orthographe et d'expressions. Mais toutes sont saisissantes : Georgy Halpern (huit ans) se plaint à sa mère qu'il lui manque " des caleçons et des chaussettes " ; Senta Spiegel (neuf ans) écrit un mot pour le onzième anniversaire de Suzanne Szulklaper, en lui souhaitant de retrouver ses parents ; Nina Aronowicz (onze ans) raconte à sa tante qu'à l'occasion de l'anniversaire d'une monitrice et de deux " petits ", " on a joué beaucoup de pièces et c'était très beau ".

Leurs dessins sont également une porte ouverte sur leur imaginaire : pirates, chat botté, indiens et cow-boys, jeux d'enfants, aventures dans les terres polaires et dans les steppes tartares, etc. L'inspiration est celle de tous les enfants de leur âge. Ils composent même des bandes dessinées qu'ils déroulent devant une lampe avec un texte lu pour chaque image, recréant ainsi l'illusion du cinéma.

Une classe comme les autres

Je revois les récréations dans la cour, où tout ce petit monde s'égayait, riant, insouciant, heureux de vivre. Plus tard, dans d'autres écoles, en regardant d'autres enfants jouer avec la même insouciance, je ne pouvais m'empêcher de penser à ceux d'lzieu ". Gabrielle Perrier a vingt et un ans quand l'inspection académique la nomme institutrice à Izieu, le 18 octobre 1943. Pierre-Marcel Wiltzer, le souspréfet de Belley, a effectué toutes les démarches nécessaires pour permettre la création de cette classe.

Les cours ont lieu dans la maison au premier étage, dans la pièce la plus lumineuse. Le petit Georgy Halpern (huit ans) décrit méticuleusement, dans les courriers qu'il adresse à ses parents, sa vie scolaire : " La classe est jolie, il ya deux tablaux, il y a un poêl, des cartes de geographie, des images sur les mur, il y a 4 fenêtres, je mamuse bien, il y 15 buraux " ; " en classe le matin on fait de l'ecriture du calcul. Lapré midi on fait une dictée ou un devoir de grammaire est quand on saie on aprent des leçon, une resitations, des verbes la table de 1 de 2 de 3 de 4 de 5 de 7 de 8 de 9 de dix. On fait des conpositions j'ai u 64 points edemi j'ai etait le troisième sur 8.

Pour l'institutrice, la tâche n'était pas aisée : J'avais une classe unique, une très grosse classe unique. C'était pas toujours très facile. Mais l'image qu'elle en a gardée est celle d'une classe comme les autres avec parmi les élèves des intelligences remarquables. Néanmoins, Gabrielle Perrier devinait les blessures cachées de ces enfants : " J'ai trouvé qu'ils étaient un petit peu différents de ceux que j'avais connus jusqu'à présent, parce qu'ils étaient déjà mûris. Ils étaient plus mûrs que les autres, on voyait que c'étaient des enfants qui avaient déjà souffert ".

Quant aux plus " grands ", ils suivent des cours au collège moderne de Belley où ils sont internes et rentrent à lzieu pendant la période des congés. Pour les plus petits, ce sont les éducatrices de la colonie qui les prennent en charge.

L'une des éducatrices, Léa Feldblum, s'attache particulièrement à Émile Zuckerberg (cinq ans) qu'elle considère comme son propre enfant. D'autres enfants, plus âgés, sont placés à l'extérieur de la colonie pour travailler dans des fermes.

" La colonie des enfants réfugiés de l'Hérault " est un lieu de vie à part entière. Chacun a alors le sentiment que la Maison d'lzieu constitue un véritable refuge.


L'honneur et la conscience

Pierre-Marcel Wiltzer

Aux abords de Noël, madame Zlatin vint me proposer d'assister à l'arbre de Noël qu'elle allait organiser. Cela ne m'arrangeait guère ; mon épouse était à quelques jours d'un accouchement ; comment m'engager ! Je décidais cependant de m'y rendre et, pour donner un peu d'éclat à cette visite, pourtant voulue discrète de ma part, j'y suis allé, à la tombée de la nuit, en uniforme, accompagné de mademoiselle Cojean et munis, tous deux, de paquets et de gâteries, de sucreries et de friandises ".

Rappelons le cadre historique de ce geste.

Nous sommes à la fin de l'année 1943.

Depuis septembre, cette partie du territoire est occupée par les Allemands. Les lois antisémites de Vichy et les persécutions nazies s'intensifient. Au mépris de ces lois, le jour de Noël, le sous-préfet de Belley, en tenue officielle, rend visite à une maison d'enfants juifs cachés. Cette anecdote illustre bien la personnalité et l'action de celui qui fut le protecteur de la colonie d'lzieu. Humain et discret, continuant à servir l'État tout en sachant rester fidèle à sa conscience et à ses convictions républicaines. Il s'arrangera même pour éviter de prêter serment au Maréchal Pétain. Le 5 mars 1944, soit un mois avant la rafle, il dut quitter son poste de Belley pour cause de mutation.

Pierre-Marcel Wiltzer est né le 14 avril 1910

à Sarreguemines (Moselle). Diplômé en Droit, il entre dans la " préfectorale " en 1940. Le 2 octobre 1942, il est nommé sous-préfet de Belley. Parallèlement, en novembre, il intègre le réseau GalliaKasanga des Forces françaises combattantes.

Le 5 mars 1944, un mois avant la rafle, il est muté à Châtellerault (Vienne). En pleine débâcle de l'armée allemande, il négocie afin qu'elle ne fasse pas sauter le pont Henri IV de Châtellerault. Après la guerre, il devient préfet et termine sa carrière dans les plus hautes fonctions publiques.

En 1988, il devient président de l'Association pour la création du Musée-mémorial des enfants d'lzieu, et le restera jusqu'en

1995. Il s'éteint à son domicile parisien le 1er mars 1999.


De la rafle à l'assassinat

Izieu-Auschwitz

[Avril-juillet 1944]

Je pense qu'il n'y aurait pas de justification à l'extermination des hommes si on autorisait leurs vengeurs, sous la forme de leurs enfants, à grandir au milieu de nos fils et de nos petits-fils.

Le 8 septembre 1943, l'Italie fasciste capitule. Dès le 9 septembre les Allemands occupent la zone italienne de la France. Elle n'est plus un territoire de protection pour les juifs. La politique nazie anti-juive s'y applique avec détermination. Les responsables du réseau Garel intensifient leur activité pour cacher les enfants et assurer leur sécurité. L'OSE procède à la fermeture progressive des maisons d'enfants et à la dispersion de leurs occupants.

L'Ain n'est pas épargné par la répression allemande : 184 arrestations, 42 personnes fusillées et 38 maisons incendiées au cours du seul mois de février 1944. La ville de Belley est occupée par les Allemands et compte quelques miliciens. À Glandieu, près d'lzieu, un médecin juif, Albert Bendrihem, : est arrêté le 7 janvier 1944.

Ce médecin soignait les enfants d'lzieu. Son arrestation inquiète sérieusement les responsables de la colonie et résonne pour Sabine Zlatin comme un signal d'alarme.

Le 8 février, la Gestapo rafle le personnel du siège de l'OSE à Chambéry. L'Œuvre bascule alors dans la clandestinité totale. Les quelques maisons encore en fonction sont fermées, celle d'Izieu reste en activité mais les liens avec l'OSE sont coupés.

Dès lors, Sabine Zlatin multiplie les démarches afin de disperser les enfants dans des lieux sûrs. Courant février, elle cherche à céder la maison au Service social d'aide aux émigrants. Elle prévoit de transférer les enfants dans l'Hérault. Le 5 mars, Pierre-Marcel Wiltzer est muté dans un autre département. La colonie perd son principal protecteur et se retrouve complètement isolée.

La dispersion est prévue pour le 11 avril. Le 2 avril, Sabine Zlatin se rend à Montpellier qu'elle considère comme sa base arrière. L'abbé Prévost lui propose de cacher une douzaine de garçons dans un établissement religieux. Mais il est déjà trop tard. La rafle a lieu lors de son déplacement.

Je voulais revoir ma famille pour les vacances pascales et, le 6 avril, je suis arrivé à Belley. En cours de route, j'ai pris deux grands garçons qui étaient au collège de Belley. Arrivés à Brégnier-Cordon, nous avons pris un petit chemin de façon à faire notre arrivée le plus discrètement possible. Par ailleurs, le 6 avril, on sentait déjà que la guerre touchait à sa fin. Alors, il y avait une sorte d'ambiance euphorique. " Par une journée magnifique ", Léon Reifman, ancien éducateur de la colonie, rend visite à sa famille réfugiée à la Maison d'lzieu.

Nous sommes au premier jour des vacances de Pâques. Il est environ 8 h 30. Les 44 enfants déjeunent au rez-dechaussée dans le réfectoire. L'institutrice Gabrielle Perrier est rentrée chez ses parents la veille. Avant de monter à l'infirmerie, Léon Reifman croise une dernière fois le regard de ses parents, de sa sœur et de son neveu. Mis à part le brouhaha des enfants, tout est calme en ce jeudi 6 avril 1944.

Soudain deux camions et une voiture s'arrêtent devant la maison. La rafle est exécutée avec une rapidité effrayante. Trois hommes en civil, dont deux officiers de la Gestapo de Lyon, et une quinzaine de soldats de la Wehrmacht, rentrent brutalement dans la maison. Ils regroupent avec violence tous les occupants sur le palier. Prévenu par sa sœur, seul Léon Reifman échappe à l'arrestation en sautant par une fenêtre du premier étage.

Les voisins Eusèbe Perticoz et Julien Favet sont les témoins impuissants de la rafle. Les enfants et les adultes sont jetés

dans les camions comme de vulgaires marchandises. Les cris et les pleurs se font entendre. Le convoi quitte le hameau de Lélinaz. Comme un acte de résistance, les enfants chantent en chœur : " Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine. "

À la faveur d'un arrêt, à Brégnier-Cordon, les Allemands font descendre du camion, à la demande d'une habitante, le seul enfant non juif de la colonie, René Wucher (huit ans). Dans cette opération, seule l'arrestation des juifs intéresse les nazis. Puis, le convoi prend la route de Lyon. Pour les enfants et leurs éducateurs, c'est le début de l'engrenage qui mène à l'extermination.

Sabine Zlatin apprend la terrible nouvelle à Montpellier par le biais d'un simple télégramme que lui transmet Marie-Antoinette Cojean, secrétaire en chef à la sous-préfecture de Belley. Le message est le suivant : " Famille malade, Maladie contagieuse. "

L'industrie de la mort

Le 6 avril au soir, à Lyon, les portes de la prison du fort Montluc se renferment sur le convoi en provenance d'lzieu. À partir de cet instant, le destin des enfants et des éducateurs bascule. Enfermés dans des cellules, ils y passent la nuit. Tous, à tour de rôle, sont interrogés par la Gestapo.

Le lendemain, les adultes et les adolescents menottés, les 51 prisonniers sont transférés en train à Drancy, l'antichambre de la mort. Enregistrés dans le carnet des entrées du camp, le 8 avril 1944, ils portent les numéros 19 185 à 19 235.

Dès l'annonce de la rafle, Sabine Zlatin ne se résigne pas. Elle veut tout faire pour les sauver. Elle se rend à l'administration de Vichy pour qu'on les libère. Sans résultat. Toujours aussi déterminée, elle se rend à Paris et rencontre la directrice de la Croix-Rouge qui lui indique qu'ils sont à Drancy. Mais rien à faire, leur sort est définitivement scellé. Implacablement.

Une semaine après la rafle, le 13 avril 1944, 34 des enfants d'lzieu et 4 des éducateurs sont déportés au centre de mise à mort d'Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 71. Après trois jours d'un trajet aux conditions inhumaines, ils arrivent sur la Judenrampe où l'on procède à la sélection. Les enfants sont directement dirigés vers les chambres à gaz, ainsi que les époux Éva et Moïse Reifman. Leur fille Suzanne Reifman et Léa Feldblum sont dirigées vers les kommandos de travail.

Alors qu'elle entend pleurer son fils Claude, Suzanne décide de le rejoindre dans l'autre file, celle qui mène directement à la mort.

Les autres enfants et éducateurs d'Izieu sont déportés puis assassinés à Auschwitz par les convois n° 72, n° 74, n° 75 et n° 76, entre le 20 avril et le 30 juin 1944. Quant à Miron Zlatin et aux deux adolescents de la colonie, Théo Reis et Arnold Hirsch, ils sont déportés par le convoi n° 73 du 15 mai 1944, uniquement constitué d'hommes jeunes, à destination de l'Europe du Nord. Transférés à la forteresse de Reval en Estonie, ils effectuent des travaux forcés dans une carrière, avant d'être fusillés à la fin du mois de juillet 1944.

Aucun des enfants ne reviendra. De tous les éducateurs, seule Léa Feldblum a survécu.

La culpabilité de Klaus Barbie

Le responsable direct de ce massacre est le chef de la Gestapo de Lyon : le SS Obersturmführer Klaus Barbie. Par la simple signature d'un télégramme, il scelle la mort de 44 enfants et de 6 adultes. En effet, le 6 avril 1944, à 20 h 10, il envoie un télégramme à Paris, adressé au responsable de la police de sûreté et des services de sécurité en France, à l'attention du service des affaires juives de la Gestapo. Le contenu du télex décrit la rafle et ordonne la déportation pour Drancy. Il se termine par la mention : " Par ordre, signé BARBIE. "

Une question se pose : est-il présent à Izieu lors de la

" liquidation " de la colonie ? À l'heure actuelle, nous l'ignorons. Peu importe, car une chose est sûre, en signant ce télégramme, Barbie endosse la responsabilité de cette arrestation. De son propre chef et de par son pouvoir décisionnel, il enclenche un processus criminel que rien ni personne ne pourra arrêter.

Au lendemain de la guerre, Klaus Barbie réussit à se faire engager par les services spéciaux américains. Il interroge les transfuges de l'Est dans le cadre de la guerre froide ou exécute des missions dans la partie communiste de l'Allemagne. Alors que la France le réclame aux Américains, les États-Unis le font passer en Amérique du Sud. D'Argentine, il passe en Bolivie où il travaille dans l'armée aux services de différentes dictatures.

Les deux membres de la Gestapo qui participaient à l'opération du 6 avril ne seront jamais identifiés. Quant à l'unité militaire qui procède à l'arrestation, il s'agit du 958, bataillon de la défense antiaérienne de la Wehrmacht. Au lendemain de la guerre et jusqu'au procès de Barbie à Lyon en 1987, aucun membre de cette unité militaire ne sera retrouvé pour être jugé ou pour témoigner.

La question de la dénonciation

Autre interrogation essentielle : d'où venaient les informations qui ont permis à la Gestapo de repérer les enfants de la colonie ?

En septembre 1945, une enquête est ouverte dans la région pour identifier les auteurs de crimes de guerre. Concernant la rafle d'lzieu, les recherches mettent en cause Lucien Bourdon. Réfugié lorrain, paysan dans une commune proche d'lzieu, Brens, il embauche, en septembre 1943, l'un des adolescents de la colonie : Fritz Lœbmann. Le 6 avril 1944, il accompagne la Gestapo et assiste à l'arrestation des enfants. Le 8 avril, les Allemands assurent son déménagement pour son retour en Lorraine. Il finit la guerre comme gardien d'un camp d'internés politiques à Sarrebruck. Le 15 mars 1945, il est incorporé dans les rangs de la Wehrmacht, avant d'être fait prisonnier par les Américains quinze jours plus tard. En juin, il est rapatrié en France.

Soupçonné d'avoir dénoncé les enfants d'lzieu, il est arrêté le 1er mars 1946 près de Metz. Transféré à Lyon, il est inculpé de trahison. L'un des chefs d'inculpation est d'avoir ntretenu des intelligences avec une puissance étrangère, l'Allemagne, ou avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France. Faute de preuves suffisantes,

l'accusation de dénonciation n'est pas retenue mais, le 13 juin 1947, la Cour de justice de Lyon le juge " coupable d'indignité nationale " et le condamne à la " dégradation nationale à vie ".

Le nom d'André Wucher a été également évoqué comme un coupable potentiel. Tout d'abord parce que son fils René, arrêté avec les enfants à la Maison d'lzieu, est remis en liberté par les Allemands à Brégnier-Cordon. On l'a accusé d'avoir placé son fils à la colonie comme espion. Ensuite parce qu'André Wucher est exécuté en août 1944, probablement par des " groupes autonomes " de maquisards, pour des comptes personnels sans rapport avec la rafle d'lzieu.

Pierre-Marcel Wiltzer, le sous-préfet de Belley, a déclaré avoir reçu une lettre de dénonciation au cours de l'hiver 1943-1944 : " C'était une lettre écrite à l'encre bleue, rédigée d'une écriture maladroite sur une demi-page. Elle disait que les enfants de la colonie étaient des enfants juifs. Elle n'était pas signée ". Ce témoignage atteste que l'on a tenté, au moins une fois, de dénoncer les enfants juifs d'lzieu.

Cette rafle reste une énigme dans l'histoire de la France des années sombres. Il a forcément fallu que la Gestapo soit en possession d'une information pour commettre son crime. Mais nous ne connaissons pas, en l'état actuel des recherches historiques, l'origine de cette information. Dénonciation(s) ? Traces laissées par le courrier, par la scolarisation d'adolescents à Belley ou lors des démarches pour le ravitaillement de la colonie ? Informations interceptées dans les bureaux de l'UGIF de Chambéry lors de la rafle du 8 février 1944 ? Autant de pistes pour lesquelles nous n'avons aucun élément tangible. Barbie est mort en prison, en 1991, emportant avec lui les réponses.


Les liens avec la résistance

La Résistance dans le département de l'Ain est très combative. Ainsi, le 11 novembre 1943, à Oyonnax, le maquis occupe la ville quelques heures en organisant un défilé pour rendre hommage aux combattants de 1914-1918. Une gerbe est déposée au monument aux morts. Une épitaphe l'accompagne :

" Les vainqueurs de demain aux vainqueurs de 1914-1918 ". Cet épisode épique illustre bien le dynamisme des maquis de l'Ain.

Pour ce qui est de la région d'Izieu, la situation est différente.

Le sud du Bugey est une zone relativement calme où la résistance n'est pas aussi opérationnelle que dans le nord du département. Néanmoins, une question se pose : pour l'année 1943-1944, le maquis local était-il en lien direct avec la colonie d'Izieu ?

Lui a-t-il apporté une aide ? Une protection a-t-elle été envisagée ? En l'état actuel des recherches, au vu des documents, des témoignages écrits et oraux, il semble peu probable que des liens structurels aient existé ente le maquis et la Maison d'enfants d'lzieu. Tout au plus, quelques témoignages laissent envisager une aide sous la forme de ravitaillement. Mais ces actions seraient individuelles, et non pas le résultat d'une décision concertée du maquis.

Cependant, Sabine Zlatin a toujours affirmé qu'avec son mari, ils étaient en liens étroits avec la Résistance. Miron aurait participé à des opérations de parachutage.

Une attestation datée du 13 mai 1945, signée du lieutenant-colonel Romans, chef des maquis de l'Ain, rapporte que

Miron a fait partie de la Résistance à dater de juillet 1943 et qu'il a rendu de multiples services à une formation de bûcherons dont la majorité étaient des réfractaires au STO. A été en relations constantes avec J3, chef des liaisons des Mouvements unis de la Résistance et dont le nom véritable est Adhemar.

La question des liens avec la Résistance reste donc ouverte en l'attente de nouveaux témoignages et documents historiques. Soulignons qu'au lendemain de la guerre, quand Sabine Zlatin entreprend des démarches pour la commémoration

de la rafle d'lzieu le 7 avril 1946, elle sait que ce projet ne pourra aboutir sans l'aide des associations et des personnes issues des mouvements de résistance. Il lui fallait nécessairement établir un lien entre la colonie et le maquis.

De 1945 à nos jours, le souvenir de la tragédie d'lzieu est le produit d'une histoire difficile et mouvementée. Grâce à la ténacité et à la responsabilité d'une poignée de personnes, la mémoire des enfants d'lzieu n'est jamais tombée dans l'oubli.

Dès 1945, Sabine Zlatin met toute son énergie pour accomplir son devoir de mémoire. Le 24 juillet elle écrit une lettre au préfet de l'Ain et lui demande l'autorisation d'apposer une plaque sur la Maison d'lzieu. Une commémoration officielle est programmée pour le 7 avril 1946. La préparation de la cérémonie est assurée par un comité présidé par Jean Cardot, sous-préfet de Belley et ancien chef de la résistance locale. Une souscription est lancée. Les fonds recueillis permettent la pose d'une plaque sur la façade de la maison de l'ancienne colonie. Sur la commune de Brégnier-Cordon, un monument en pierre de l'Ain est érigé à la mémoire des victimes de la rafle.

La cérémonie du 7 avril 1946 est impressionnante. La foule est venue en masse à Lélinaz. Aux côtés de Sabine Zlatin, dans un esprit œcuménique, de nombreuses personnalités ont fait le déplacement : Laurent Casanova, ministre communiste des Victimes de la guerre ; le préfet ; le sous-préfet , le révérend-père Chaillet, directeur de Témoignage Chrétien, ainsi qu'un détachement de tirailleurs sénégalais.

Cette cérémonie est le premier et le seul grand événement célébrant la tragédie d'lzieu avant les années 1980. Il faudra attendre quatre décennies pour que l'écho de ce drame se fasse réellement entendre sur un plan national et international. Entre-temps, Sabine Zlatin continue à honorer chaque année, en avril, la mémoire des disparus en venant fleurir la stèle d'lzieu. De leur côté, les autorités locales fleurissent régulièrement le monument de Brégnier-Cordon lors des fêtes nationales.

En 1950, la Maison d'lzieu est rachetée par la famille Thibaudier. Peu après, quelques événements modestes évoquent à nouveau la tragédie. En déplacement dans l'Ain, en juin 1956, le général de Gaulle fait allusion à la rafle qu'il qualifie de " honte ". Le vingtième anniversaire est célébré, en avril 1964, en présence de quelques personnalités.

L'efficacité militante des époux Klarsfeld

La Paz, capitale de la Bolivie, 3.700 mètres d'altitude. Nous sommes le 6 mars 1972. Vers midi, Beate Klarsfeld et Ita-Rosa Halaunbrenner s'enchaînent sur un banc, en plein centre ville. La première est la femme de l'avocat Serge Klarsfeld, la deuxième est une femme âgée de soixante-huit ans. Elle est la mère de Claudine et Mina, deux fillettes raflées à Izieu le 6 avril 1944. Son mari et l'aîné de ses cinq enfants, Léon, ont également été arrêtés par Barbie le 24 octobre 1943. Son mari a été fusillé le 24 novembre. Des trois enfants déportés, aucun n'est revenu des camps. Seuls deux des enfants Halaunbrenner, Yvette et Alexandre, ont survécu à la guerre.

Madame Halaunbrenner porte une pancarte sur laquelle figure une photo de sa famille, ainsi que l'inscription : " Boliviens, écoutez ! En tant que mère, je réclame seulement la justice et que soit jugé Barbie-Altmann, assassin de mon mari et de mes trois enfants. " Celle de Beate Klarsfeld :

Au nom des millions de victimes du nazisme, que soit permise l'extradition de Barbie Altmann. "

Barbie, responsable direct de la rafle d'Izieu, restera en Bolivie, mais le retentissement de cette action exceptionnelle est considérable. Toute la presse internationale s'en fait l'écho. La Bolivie, montrée du doigt, ne peut ignorer le problème indéfiniment. Les bases du règlement de l'affaire Barbie sont posées.

Les époux Serge et Beate Klarsfeld se battent pour que Klaus Barbie soit enfin jugé pour ces crimes. Chasseurs de nazis, militants de la mémoire, ils ont retrouvé la trace de Klaus Barbie au tout début des années 1970, alors que la justice allemande désirait classer le dossier. Il faudra des actions spectaculaires et risquées, comme celle de La Paz, pour faire échec au classement de l'affaire : à Munich, en septembre 1971, avec Fortunée Benguigui, ou bien la tentative d'enlèvement de Klaus Barbie au cours de l'hiver 1972-1973.
Après un changement de gouvernement en Bolivie, Barbie
est enfin arrêté puis expulsé vers la France le 4 février 1983.

Le lendemain, il est incarcéré à la prison Montluc à Lyon et inculpé de " crime contre l'humanité ". Le procès peut être instruit. Pour le couple Klarsfeld, dix années de combat ont porté leurs fruits. Dix années de combat contre l'impunité dont bénéficiait Klaus Barbie depuis quarante ans. Il faut souligner le courage exceptionnel de mesdames Benguigui et Halaunbrenner qui n'ont pas hésité à se lancer pleinement dans cette bataille. Sans eux, sans elles, rien n'aurait été possible.


Un " Péché d'oubli " !

Izieu, 8 avril 1984. Juifs, catholiques, hommes politiques de droite comme de gauche, d'Albert Decourtray, archevêque de Lyon, au simple citoyen, tous viennent honorer la mémoire des victimes. La cour de la Maison d'lzieu se repeuple à nouveau. Après quarante années d'absence, un événement regroupant des institutions nationales et leurs représentants se tient à nouveau devant la plaque posée en avril 1946.

Le retentissement du retour de Barbie en France et les travaux de Serge Klarsfeld ont pour conséquence de réintroduire la tragédie d'lzieu sur la place publique. Présente dans l'ensemble de ses composantes régionales et nationales, la communauté juive intègre cette histoire dans sa mémoire. Théo Klein, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et le grand rabbin Wertenschlag ont fait le déplacement.

Dans son discours, très remarqué, Théo Klein exprime ce regret : " Nous avons, comme les autres, commis un péché d'oubli envers ces enfants. "

La formule " comme les autres ", blesse les autorités et la population locale. Les différentes mémoires se heurtent. Dans son discours prononcé le 29 avril 1984, lors de la Journée nationale de la Déportation, Robert Mériaudeau, maire de Brégnier-Cordon, réagit vivement : " Comme les autres... La formule valait assurément pour la communauté un nom de laquelle le président du CRIF parlait et vaut aussi pour certaines autres associations. Elle ne s'appliquait pas aux institutions de la République, et notamment à celle au nom de laquelle je parle. " Il insiste sur l'action continue, depuis l'après-guerre, de certaines communes, de Sabine Zlatin et de familles des victimes pour préserver le souvenir du drame d'Izieu.

La mémoire n'étant jamais neutre, cet incident révèle que les enjeux mémoriels, quarante ans après les faits, soulèvent encore les passions.

Le choc du procès Barbie

Je veux dire surtout à la défense de Barbie, que Barbie a toujours dit qu'il s'occupait uniquement des résistants et des maquisards ; ça veut dire des ennemis de l'armée allemande. Je demande : les enfants, les 44 enfants, c'était quoi ? C'étaient des résistants ? C'étaient des maquisards ? Qu'est-ce qu'ils étaient ? C'étaient des innocents ! (Sabine Zlatin s'adressant à maître Vergès, avocat de Klaus Barbie, 13e audience, 27 mai 1987).

Génocide et crime contre l'humanité

Izieu, 6 avril 1994 : le cinquantenaire de la rafle est célébré dans le recueillement.

Le même jour, au Rwanda débute le génocide des Tutsis par les Hutus : plus d'un million de morts entre avril et juin 1994. La promesse du plus jamais ça, prononcée après Auschwitz, est à nouveau démentie.

Le génocide est la forme la plus radicale du crime contre l'humanité. Il consiste en ce que des hommes exterminent d'autres hommes, non pour ce qu'ils font, mais pour ce qu'ils sont. En 1945, le tribunal militaire de Nuremberg définit le crime contre l'humanité comme l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain contre les populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien des persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux. Ce crime est imprescriptible.

En octobre 1996, le Musée-mémorial des enfants d'lzieu organise un colloque sur le crime contre l'humanité. Maître Roland Rappaport faisait remarquer : À travers le génocide commis contre les juifs, l'humanité tout entière était visée. Il en va de même des dangers pour toute l'humanité, si on peut massacrer au Rwanda, au Cambodge et que les crimes restent impunis. Les participants soulignèrent l'importance de la mise en place des Tribunaux pénaux internationaux pour juger les criminels du Rwanda (TPIR) et de l'ex-Yougoslavie (TPIY). À la différence du tribunal de Nuremberg de 1945, il ne s'agit plus d'une justice des vainqueurs, mais d'une justice internationale. Où en sommes-nous ? Malgré de réelles difficultés, le processus semble irréversible. Qui, il y a trois ans, aurait pu penser que l'ex-leader des Serbes, Slobodan Milosevic, comparaîtrait devant le TPIY ? Enfin, depuis le 11 avril 2002, soixante États ont ratifié le traité de Rome (1998) donnant ainsi une existence officielle à la Cour pénale internationale (CPI). Ce traité instituant la CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002, déclenchant ainsi la juridiction du premier tribunal pénal international permanent, même si son statut n'a pas encore été ratifié par tous les pays ce qui fait que sa compétence n'est pas encore universelle pour juger des auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerres. Une première dans l'histoire des hommes.

La rafle d'Izieu est l'une des principales charges qui pèsent contre Barbie. Le procès s'ouvre, à Lyon, le 11 mai 1987, après quatre années d'instruction. Trois audiences, entre le 27 mai et le 2 juin 1987, sont consacrées à l'affaire d'Izieu. Une série de témoins ayant croisé la destinée des enfants défilent à la barre. Parmi eux, l'une des mères d'enfants d'Izieu, Ita-Rosa Halaunbrenner, à laquelle Barbie a enlevé les êtres les plus chers. Âgée de quatre-vingt-trois ans, elle trouve encore le courage et la force de venir témoigner.

Devant la cour, elle ne peut contenir sa colère contre Barbie : Je me suis dit " qu'est-ce qui est plus cher pour une mère que ses enfants ! Il y a pas plus cher ? Non ! Dans la vie, il n'y a pas plus cher que ses enfants ! C'est un homme... Comment ? Il vit encore ? Un homme comme ça ? Il m'a fait mal pour toute ma vie ! "

Le 3 juillet 1987, le président Cerdini interroge Barbie une dernière fois " Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ? " Barbie a toujours nié les crimes dont il est accusé. Sa réponse est encore une dérobade : Je n'ai pas commis la rafle d'Izieu. Je n'ai jamais eu le pouvoir de décider des déportations. J'ai combattu la Résistance que je respecte avec dureté. Mais c'était la guerre et la guerre est finie. Merci. Ce seront ses derniers mots. Après trente-six jours d'audience, après les dépositions des témoins, les plaidoiries des avocats, le réquisitoire, les jurés délibèrent. En pleine nuit, en pleine chaleur estivale, après six heures trente d'attente, à 0 h 40, le verdict tombe enfin. La Cour d'assises du Rhône condamne Klaus Barbie à la réclusion à perpétuité pour crime contre l'humanité. Une première dans la justice française. Il mourra en prison, le 25 septembre 1991.

Le procès Barbie connaît un écho considérable tant sur le plan national qu'international. Ce procès constitue un tournant dans la perception que les Français ont de cette période. Le rôle du gouvernement de Vichy, les lois antisémites françaises, les camps d'internement, les rafles comme celle du Vél d'Hiv en juillet 1942 sont abordés à la fois dans le procès et les médias. Le regard sur la France de l'Occupation n'est plus le même. Le mythe d'une France en majorité résistante se défait peu à peu.

Le devoir républicain

" Rappelons à la Nation ce qu'il advint ici " (allocution de François Mitterrand, inauguration de la Maison d'lzieu, 24 avril 1994).

À l'issue du procès Barbie, il est impensable que le souvenir de la rafle d'lzieu retombe à nouveau dans l'oubli. L'idée de créer un mémorial à lzieu s'impose comme une évidence.

Le 8 mars 1988, les statuts de l'association pour la création et la gestion du Musée-mémorial d'Izieu sont déposés à la préfecture de l'Ain. Sabine Zlatin et Pierre-Marcel Wiltzer en assurent la présidence. L'objectif premier est de commémorer la mémoire des victimes innocentes de cette tragédie. L'association doit acquérir la maison. Elle lance une souscription publique nationale sous le haut patronage du président de la République, François Mitterrand. L'État et les collectivités accordent des subventions. Après des négociations parfois difficiles, la maison est finalement acquise en juillet 1990. L'historienne Anne Grynberg est nommée commissaire de l'exposition permanente et assure la conception scientifique avec des personnalités réputées : Bernard Comte, Philippe Joutard, Pierre Nora, Henry Rousso, Pierre Birnbaum, le procureur Pierre Truche, le maire de Brégnier-Cordon Robert Mériaudeau et Hélène Waysbord, inspectrice générale de l'Éducation nationale.

Un projet de musée est présenté en avril 1992. Au mois de novembre, François Mitterrand inscrit le projet dans la liste des " Grands travaux de la présidence de la République ". Il décide par décret d'instituer une Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite Gouvernement de l'État français (1940-1944). Cette journée est fixée le 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d'hiver à Paris.

La tragédie d'lzieu devient un symbole auquel la République rend hommage. Au début des années 1990, la France commence à regarder son passé en face. La République doit s'inscrire dans cette dynamique de vérité. Dans un message lu à Izieu le 25 avril 1993, François Mitterrand écrit: "La douleur de la communauté juive est aussi celle de la République."

Un an plus tard, le 24 avril 1994, le président inaugure le Musée-mémorial des enfants d'lzieu. Le drame d'lzieu rentre définitivement dans la mémoire républicaine.

Une mémoire vivante

En activité depuis avril 1994, la Maison d'Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés, se veut un endroit d'accueil et d'éveil à la vigilance.

À partir de l'évocation des enfants juifs d'lzieu et la perpétuation de leur souvenir, elle consacre ses activités à l'information et à l'éducation de tous les publics sur le crime contre l'humanité et les circonstances qui l'engendrent. Elle entend contribuer à la défense de la dignité, des droits et de la justice, et à la lutte contre toutes les formes d'intolérance et de racisme.

Tout au long de l'année de nombreuses activités sont proposées : rencontres, colloques, expositions, conférences, etc.

La Maison d'lzieu est un lieu de mémoire active et vivante, elle s'adresse aux publics de l'Éducation nationale et reçoit des écoliers du primaire, des collégiens, des lycéens, jusqu'aux étudiants de l'université. Elle répond à sa vocation pédagogique en mettant à la disposition des enseignants les moyens de compléter leur travail ou de développer de nouveaux projets tels qu'ateliers, parcours artistiques, rencontres avec des témoins et intervenants divers, voyages sur des lieux de mémoire comme Auschwitz ou Rivesaltes.

De nouveaux développements à ces activités voient le jour : ouverture au monde universitaire, partenariat et projets avec les départements pédagogiques de plusieurs lieux de mémoire en Allemagne.