Missak Manouchian a 19 ans lorsqu'il arrive en France en 1925. Il est né le
1er septembre 1906 dans une famille de paysans arméniens du petit village
d'Adyaman, en Turquie. Il a huit ans lorsque son père est tué par des
militaires turcs au cours d'un massacre. Sa mère mourra de maladie,
aggravée par la famine qui frappait la population arménienne. Les atrocités
du génocide marquent Missak Manouchian pour la vie. De nature
renfermée, il deviendra encore plus taciturne ce qui le conduira, vers l'âge
de douze ou treize ans, à exprimer ses états d'âme en vers :
" Un charmant petit enfant
A songé toute une nuit durant
Qu'il fera à l'aube pourpre et douce
Des bouquets de roses ".
Orphelin, il est recueilli par une famille Kurde puis par une institution
chrétienne.
À son arrivée en France, il apprend la menuiserie, mais acceptera toutes les
tâches qu'on lui proposera. Parallèlement il fonde 2 revues littéraires,
Tchank (Effort) puis Machagouyt (Culture). Missak Manouchian fréquente
les " universités ouvrières " créées par les syndicats ouvriers (CGT), et en
1934, il adhère au Parti communiste et intègre le groupe arménien de la
MOI (Main d'œuvre immigrée). En 1937, on le trouvera en même temps à la
tête du Comité de secours à l'Arménie, et rédacteur de son journal, Zangou
(nom d'un fleuve en Arménie).
Après la défaite de 1940, il redevient ouvrier puis responsable de la section
arménienne de la MOI clandestine. En 1943, il est versé dans les FTP de la
MOI parisienne dont il prend la direction militaire en août, sous le
commandement de Joseph Epstein. Missak dirige donc ce réseau de 22
hommes et une femme.
Depuis fin 1942, ces hommes ont mené dans Paris une guérilla incessante
contre les Allemands : ils ont réalisé en moyenne une opération armée tous
les deux jours: attentats, sabotages, déraillements de trains, pose de
bombes. Leur grand coup d'éclat a lieu le 28 septembre 1943 lorsqu'ils
abattent Julius Ritter, responsable du S.T.O. en France et général S.S.
Le 16 novembre 1943 Missak Manouchian doit rencontrer Joseph Epstein
sur les berges de la Seine à Evry. il ignore qu'il est suivi depuis son
domicile parisien lorsqu'ils sont arrêtés sur la rive gauche par des policiers
français en civils. en fait ce sont toutes les unités combattantes de la MOI
parisienne qui seront démantelées ce jour là ou les jours suivants. S'agit-il
d'un travail de police bien mené ou d'une dénonciation?.... Certains
historiens pensent que les circonstances dans lesquelles eut lieu
l'arrestation du groupe Manouchian demeurent obscures et relèvent de la
dénonciation. Il semblerait que le groupe ait été utilisé dans des actions
trop périlleuses pour ses moyens et qu'il n'ait pas été suffisamment
prévenu par la direction de la Résistance communiste des risques qu'il
encourait.
Les Allemands donnent une publicité inhabituelle à leur procès. La presse
est invitée : une trentaine de journaux français et étrangers sont
représentés. Les services de la propagande allemande envoient une équipe
cinématographique. C'est un procès de 3 jours à grand spectacle. Son but
est évident, le président de la cour martiale le précise : il faut " faire savoir
à l'opinion française à quel point leur patrie est en danger ". Pensez-vous,
des étrangers....
De fait, le groupe est essentiellement composé d'étrangers : huit Polonais,
cinq Italiens, trois Hongrois, deux Arméniens, un Espagnol, une Roumaine
et trois Français seulement. Parmi eux, neuf sont juifs et tous sont
communistes ou proches du P.C. Leur chef est l'Arménien Missak
Manouchian.
Dans le même temps les murs de France se couvrent d'une affiche les
désignant comme des criminels : l'Affiche Rouge. La propagande allemande
veut montrer que ces hommes ne sont pas des libérateurs mais des
criminels, des terroristes, des droits communs. Les auteurs de l'affiche ont
essayé de réaliser une composition apte à marquer les esprits:
1. Le choix de la couleur : le rouge, couleur du sang, le sang des meurtres
perpétrés par " l'armée du crime ".
2. En haut de l'affiche, une question : " Des libérateurs ? ". En bas, la
réponse : Non, ce sont des criminels. Et entre les deux, des preuves
(caches d'armes, sabotages, morts et blessés).
3. Sous le mot de libérateur , telle une légende, les dix visages mals rasés
présentés dans des médaillons cerclés de noir et répartis symétriquement.
Sous chacun de ces visages, un nom à consonance étrangère, et juif pour
sept d'entre eux. Bien entendu, aucun des Français du groupe n'y figure.
Missak Manouchian y est qualifié de " chef de bande ". Ce n'est pas un
résistant, ce n'est pas un libérateur, mais un criminel de droit commun.
Les 10 médaillons s'intègrent à une flèche dont Manouchiant forme la
pointe et qui met le focus sur les " crimes ".
Lorsque l'affiche rouge est diffusée sous forme de tracts, c'est pour rajouter
au verso le commentaire suivant :
" Si des Français volent, sabotent et tuent, ce sont toujours des étrangers
qui les commandent ; ce sont toujours des chômeurs et des criminels
professionnels qui exécutent ; ce sont toujours des Juifs qui les inspirent. "
Les Allemands et Vichy ont voulu transformer ce procès en propagande
contre la Résistance. Ils veulent montrer que la Résistance n'est que du
banditisme et un complot étranger contre la France et les Français. Ils
misent sur la xénophobie, l'antisémitisme et l'anticommunisme supposés de
l'opinion publique. La radio et les journaux de Vichy reprennent le thème
du " judéo- bolchevisme, agent du banditisme ". Il s'agit de déstabiliser la
Résistance à un moment où elle est organisée et pose des problèmes de
plus en plus importants aux forces de répression.
Missak Manouchian tombera au Mont-Valérien, avec vingt-et-un de ses
camarades, sous les balles de l'ennemi, le 19 février 1944. La femme fut
décapitée à Stuttgart ultérieurement. Joseph Epstein et vingt-huit autres
partisans français seront fusillés le 11 avril 1944.
Extrait WEB