POURQUOI CETTE RÉÉDITION

Vingt ans ont passé, j'aurai pensé que l'inévitable oubli dû à la séparation des morts et des vivants aurait effacé, ou du moins, jeté un voile sur le souvenir, le visage, la vie et les actes de mon frère, l'abbé Jean Truffy, Curé du Petit Bornand, qui le 18 septembre 1958 s'éteignit, des suites de sa déportation, dans un hôpital savoyard.

Vingt ans... une longue période, le quart de la vie d'un homme, au-delà c'est le sursis, il n'y a que peine et douleur.

L'actualité nous enseigne que l'oubli est le sort dévolu à chacun de nous après son passage sur cette terre.

Et pourtant... je suis contraint de reconnaître, que les milliers de personnes qui se pressaient sous la pluie, lors de sa sépulture - comme l'on dit en Savoie - ne l'ont pas oublié.

Pour preuve, le témoignage des nombreuses lettres que je continue à recevoir, venant de personnalités du monde politique, militaire, résistant, du large cercle d'amis, et surtout, je tiens à le souligner, d'inconnus en grand nombre. Lettres expédiées, parfois sans adresse ou portant encore très simplement, comme une chose naturelle, le nom propre suivi de la désignation Annecy Haute-Savoie. Elles finissent toujours par me parvenir même au-delà des frontières au cours de mes missions. Et ceci, grâce aux P.T.T. si souvent critiqués, rendons leur justice pour une fois.

Au cours de ces dernières années, j'ai été surpris par les sollicitations venant d'horizons et de milieux très différents, qui me réclamaient l'expédition des mémoires du Curé du Maquis des Glières.

Il m'était, hélas, impossible d'accéder à leurs désirs, car l'édition originale fut épuisée en moins de deux mois, malgré les réactions épidermiques de certains, une distribution détestable, une présentation et un papier dont la structure rappelait les plus beaux jours des restrictions.

Du côté du marché de l'occasion, il n'y avait aucune possibilité ; car les possesseurs se refusaient, bien entendu, à s'en défaire.

Devant cette carence, les demandes renouvelées, les pressions amicales de la part des uns et des autres, je me suis décidé à faire publier une réédition des mémoires du Curé des Glières. Sans rien y changer - même pas les fautes typographiques de l'édition princeps.

De quel droit y changerais-je quelque chose ? Ce serait trahir l'auteur et l'histoire. Car toute la population d'une commune et bien d'autres, sont là pour témoigner des faits qu'ils ont vécus consignés dans les mémoires de mon frère, qui était leur Curé.

Mon Dieu ! Quels témoins ! Témoins irrécusables. Il suffit de lire la magnifique citation de la Croix de Guerre attribuée à l'héroïque population du Petit Bornand :

Qui voulut, mieux que nulle autre commune de France, affirmer au monde sa volonté de vivre libre et de respecter l'homme par lui-même et pour lui-même.

Georges TRUFFY

D'ailleurs en 1959, le Général de Gaulle m'avait demandé de faire rééditer les Mémoires de mon frère.

PRÉFACE

Bien des livres ont paru sur la période 40-45, hélas, trop souvent fantaisistes, voire intéressés.

Le prévoyait-il, le cher abbé Truffy, en écrivant son livre en 1950, date de la première édition ? Rendre témoignage à la vérité écrivait-il et c'est bien là son immense mérite. Sans haine aucune, au contraire charitable pour tous, il raconte les évènements tels qu'il les a vécus, sans rien céder de ce qui était bon, mais aussi de ce qui était mauvais.

Il a aussi un autre grand mérite : celui de mettre en lumière le long acheminement qui nous fut nécessaire pour arriver au résultat d'août 44 ; la libération de la Haute-Savoie par les seules forces de la Résistance bien avant l'arrivée d'un seul soldat débarqué en Provence.

Certes, nous savions depuis la fin de juin 40, (le général Weygand me l'avait affirmé le 28 juin) que tôt ou tard la France rentrerait dans la guerre, et à cette éventualité, nous nous préparions de toutes nos forces. Mais les évènements se sont chargés de rendre caducs les différents processus envisagés pour la reprise de la lutte. Invasion de la zone libre, dissolution de l'Armée de l'Armistice, perte - par trahison - de la plupart des dépôts de matériel dispersés dans tous les coins de la Haute-Savoie, mise en oeuvre du S.T.O., sans oublier les coups portés par l'adversaire, ont ruiné tous nos plans successifs. À chaque fois il a fallu repartir à zéro, sans avoir pu prévoir en temps voulu l'organisation nouvelle, et encore moins réuni, en ces jours de grande pénurie, les moyens matériels indispensables : argent, armement, équipement, nourriture, transports et liaisons.

Improviser en de telles circonstances, singulièrement aggravées par la clandestinité, entraîne à chaque fois tâtonnements et souvent erreurs, auxquels il fallait remédier d'urgence, tâche d'autant plus difficile que des initiatives locales, parfois imprudentes, parfois contraires, venaient compliquer et parfois tout compromettre. L'affaire Montfort en est un exemple typique.

Jamais nous n'aurions pu réussir, s'il ne s'était trouvé sur notre chemin tant de gens de cœur et de bonne volonté, alliant courage et intelligence.

L'abbé Truffy était l'un de ces hommes, il retrace l'action qu'il a menée en toute connaissance des dangers encourus... qui l'ont conduit à Dachau.

Son livre est vrai. Il faut le lire et le méditer pour en tirer des leçons. C'est un dernier service que peut rendre le curé Jean Truffy, notre ami.

Vallette d'Osia, Général de C.A. (C.R.)

Vallette d'Osia, G de C.A. (C.R.) Commandant du 27e B.C.A. de 40 à 42, chef militaire de Haute-Savoie en 43 jusqu'à son arrestation en septembre 43, évadé puis passé à Londres et Alger en 44. Grand Croix de la Légion d'Honneur, Croix de guerre 14-18, T.O.E., 39-45.

TOMBEAU POUR L'ABBÉ JEAN TRUFFY

LAUDEMUS VIROS GLORIOSOS ; c'est un devoir en effet de dire le mérite de ceux qui ont su élever en eux les capacités de leur âme au plus haut niveau. Justice à leur égard ; exemple et stimulation pour les générations à venir. Des circonstances exceptionnelles, il est vrai, les ont souvent servis ; mais il fallait bien s'y hausser, en se dépouillant de l'inertie molle ou calculée inhérente à la nature. Dans les années tragiques 1940-1945, l'Abbé Jean Truffy a singulièrement réalisé ce type d'humanité supérieure qui donne la plus belle assise à la maxime évangélique : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. Il n'est que de lire ses Mémoires, heureusement réédités, pour s'en convaincre.

Humanité, oui, mais Sacerdoce d'abord. Comme d'autres, l'Abbé n'avait pas accepté la défaite de la France ; mais, avant tout, il voyait dans les succès, et la victoire possible, du nazisme, intrinsèquement pervers lui aussi, un grave risque pour la Patrie de débiliter sa Tradition et donc de perdre son âme. Il était urgent, quand il était temps encore, de donner son témoignage chrétien à la face d'une population qui, préoccupée d'une situation matérielle difficile, engourdie par de hautes voix, ne distinguait plus l'enjeu spirituel de ce conflit. Et c'est par là surtout que l'attitude de l'Abbé Truffy, et de ses confrères, a laissé une trace qui assure l'avenir et garantit l'espoir.

Mais cette option religieuse s'imbriquait par les faits dans le temporel. Les Saints n'ont jamais séparé la Prière de l'Action, et bien que l'Évangile n'ait point, quoi qu'on en prétende, d'incidence politique, le Prêtre, résistant au paganisme, se trouvait dans le réel, aux portes de l'engagement au combat. Pas la balle ou le couteau à la Camillo-Torres, mais propagande de l'idée antinazi, aide à la diffusion des consignes et nouvelles exaltantes, abri aux amis traqués, appui aux organisations militairement ordonnées et armées régulièrement, liaisons entre groupes clandestins, service religieux aux dissidents et aux maquisards. On verra le détail de cette polyvalence dans le décours des Mémoires.

Ces pages révèleront à plain-pied l'âme totale de l'Abbé Jean Truffy. Un courage solide, dû à son tempérament musclé, à un caractère affermi par la formation scoute ; et il en fallait. Car l'existence du Prêtre-Résistant n'avait rien de confortable : des confrères souvent réticents ou prévenus, une autorité franchement hostile, et, après les retours victorieux, de la sympathie déférente, mais de pure commande. Et puis, l'ennemi était là, partout, avec ses agents parfaitement stylés du S.D. et de la Gestapo ; comme tous, l'Abbé prenait ses précautions, mais la chaleur même de sa conviction, la volonté de service religieux et patriotique, qui ne sait pas biaiser, tordre la vérité, fluctuer avec les gens et les dires, pouvait parfois atténuer sa prudence. Comme parle Saint-Paul Foris pugnae, intus timores, la bataille au dehors et la crainte au dedans.

Plus, il te fut demandé, mon cher Jean, le sacrifice réservé à une rare élite : la déportation, qui t'accabla dans ta force vive, avec l'écœurement des épreuves qui suivirent. Si parfois la fatigue t'effleurait de son doute, tu te redressais, ne te sentant pas seul ; car cette Église d'antan, dont on fait assez aujourd'hui une banquise, un décor, un vernis, un folklore, était capable de susciter des coeurs forts et généreux. Et tu voyais autour de toi Francis Berger, Camille Benoit, François Bogain, Rémi Contat, Amédée Folliet, Camille Folliet, Marcel Gauthier, Aimé Josserand, Alfred Ritz, Jean Rosay, Aimé Vacherand, Jean-Marie Vibert, Jean de Viry... et quelques autres. Le grand nombre sont morts, l'un ou l'autre demeure, témoin, et pour combien de temps ?

Et je vois surtout, dans le retour de tes Mémoires, la reviviscence de ta silhouette puissante et souriante, un peu oubliée. Ingratitude ? Non, délaissement pour d'autres soucis, vision moins claire des vraies grandeurs ; on préfère les ruines. Mais, le buste survit à la Cité. Permets-moi, mon cher Jean, de déposer devant le tien cette couronne, que je sens qu'elle te plaira, tressée de souvenir et d'amitié.

Abbé Maurice Greffier Initiateur et Responsable de la Résistance en Vallée de Thônes,
Médaille militaire, Médaille de la Résistance, Croix de guerre.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

GUERRE 1939-1945

CITATION

Décision N° 78

LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX FORCES ARMÉES
(Guerre)

MAX LEJEUNE
CITE À L'ORDRE DU CORPS D'ARMÉE PETIT-BORNAND.- LES-GLIÈRES (Haute-Savoie)

Petit Bornand les Glières fut un des foyers de résistance active où se constituèrent les premiers Maquis. Par son exemple et le comportement de sa population, a témoigné à l'Étranger la volonté active de libération du Pays, et a encouragé la Lutte contre l'Envahisseur.

Toujours à la pointe du combat, la Commune devint vite un Foyer de ralliement de toute la région dont elle anima la lutte jusqu'à la Victoire.

Théâtre de combats sanglants et acharnés, ayant

provoqué l'intervention d'une Division Allemande au complet, accompagnée d'avions qui lancèrent des bombes incendiaires ; objet de représailles féroces, Petit Bornand les Glières, battu mais jamais vaincu, a bien mérité de la Patrie.

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de Guerre avec étoile de vermeil.

Fait à Paris, le 11 Novembre 1948.

Signé : MAX LE JEUNE.

CITATION

À L'ORDRE DE LA DIVISION

A ÉTÉ CITÉ :

Le Sergent TRUFFY JEAN A.S. Secteur de Bonneville pour les motifs suivants :

Curé du Yetit-Bornand, a été l'âme de la Résistance dans sa commune.

Dès 1942, a dissimulé et hébergé chez lui, pendant de longues périodes, des proscrits de toute opinion.

A assuré la pleine mesure de ses sentiments ardemment et courageusement patriotiques, lors des opérations du Maintien de l'Ordre en Haute-Savoie, servant de guide aux Chefs de la Résistance camouflant maquisards, armes et matériel à son domicile.

N'a pas hésité, en maintes circonstances, a se compromettre gravement en faveur des Patriotes arrêtés, réussissant a en faire libérer plusieurs.

Fait prisonnier par l'ennemi a été déporté aux camps de NEUENGAMME et DACHAU.

La présente citation comporte l'attribution de la

Croix avec étoile d'argent.

Lyon, le 15 novembre 1946.

Le Général de Corps d'armée DE HESDIN
Gouverneur militaire de Lyon
Commandant la 8ème Région

Signé DE HESDIN.

Pour ampliation
Le Lieutenant Ducret
Secrétaire permanent de la Commission régionale d'Homologation.


Avant Propos

Beaucoup d'entre mes lecteurs s'attendent peut-être en ouvrant ce livre intitulé : Les Mémoires du Curé du Maquis à n'y trouver que dityrambes à la Gloire de la Résistance et imprécations contre ceux qui n'y ont pas participé. Qu'ils se rassurent... En tant que Prêtre, je ne crois pas être sorti de mon rôle en me dévouant à tous et en m'efforçant de servir ainsi de mon mieux mon Pays ; en aidant ses enfants qui se cachaient pour échapper à l'ennemi ou qui travaillaient à libérer leur Patrie.

Mais j'estime que maintenant comme alors, j'ai autre chose à faire qu'à emboucher la trompette pour louer béatement tout ce qui a pu se parer du nom de Résistance. En racontant simplement les faits, je préfère contribuer à la Justice et faire éclater la Vérité. Je n'entends pas davantage me substituer à l'Histoire qui jugera, bien qu'à l'occasion, je puisse louer ce qui m'en paraît digne et blâmer ce qui me semble le mériter. Je ne veux qu'apporter mon humble contribution à l'histoire d'une époque troublée en narrant d'une façon loyale et sincère, tous les événements dont j'ai pu être témoin ou auxquels j'ai pu participer, parce qu'ils se sont déroulés dans notre région du Petit Bornand ou sur le célèbre Plateau de Glières partie intégrante de la Paroisse dont j'avais la garde en tant que Curé.

C'est de ce rôle de Curé qu'a découlé pour tant de mes confrères comme pour moi, toute notre action pendant l'occupation et la période du Maquis. Ce n'est pas parce que nous étions contre le Maréchal Pétain ou pour le Général de Gaulle que nous avons agi : c'est parce que nous étions Curés. Comme autrefois sur un champ plus vaste, les Evêques étaient qualifiés de défenseurs de la Cité, nous étions aussi les Défenseurs des Paroissiens qui nous étaient confiés. En l'occurrence, nous avions à les protéger, contre les vexations de l'envahisseur, contre les erreurs ou les faiblesses du Gouvernement prisonnier de l'occupant, contre les abus également de certains Groupes qui prétendaient travailler à sauver le Pays, en pillant des Français. Si nous devions aider les jeunes à échapper à la déportation en Allemagne pour le service obligatoire, notre devoir était aussi de veiller à ne pas les laisser enrôler par certaines bandes qui se constituaient en marge de la Résistance ou sous son couvert et risquaient de les entraîner hors du droit chemin.

Notre devoir de Curé était aussi d'accueillir tous les malheureux, tous les traqués, d'où qu'ils vinssent, à quelque parti politique ou confession religieuse qu'ils appartinssent. C'est tout simplement ce que nous avons essayé de faire et c'est comme cela que nous avons été mélés à la vie intime du Maquis.

Mais tout de suite et avant d'aller plus loin il importe de dissiper toute équivoque et de bien préciser dans quel esprit nous avons estimé nécessaire ce témoignage vécu.

Le Maquis en effet, n'est pas qu'entouré d'une auréole. S'il a fourni à beaucoup de jeunes et même de Vieux l'occasion d'écrire de leur sang ou de leur sacrifice des pages de Gloire splendides, il a servi à d'autres de prétexte et d'alibi commodes pour camoufler des activités moins reluisantes. Trop de gens ont tendance à confondre les vrais Maquisards avant tout Patriotes avec ceux dont les actes sont de nature à discréditer la Résistance. Il ne faut pas hésiter devant les discriminations indispensables.... Seule la Vérité nous délivrera. C'est à force de mentir que l'on tue un Pays et qu'on l'achemine lentement mais sûrement vers sa ruine. Il faut avoir le courage de dire les défauts et les qualités de chacun sans parti-pris. Nous le devons à ceux qui ont donné leur vie ou souffert pour que la France vive.

Situons d'abord le Petit Bornand qui étage ses hameaux à flanc de montagne de part et d'autre de la pittoresque vallée du Borne, qui s'y élargit en une sorte de cirque central où l'on entre et d'où l'on sort par deux étroits goulets s'ouvrant l'un sur la vallée de l'Arve à Saint Pierre de Rumilly, l'autre sur la Vallée de Thônes à Saint Jean de Sixt.

Cette petite commune d'un millier d'habitants défrichée et développée par les Moines de l'Abbaye voisine d'Entremont, fut autrefois un bénéfice ecclésiastique dont les bénéficiaires étaient nommés par Rome sur proposition de l'Évêque du lieu. C'est à ce titre que la Paroisse du Petit Bornand peut s'enorgueillir d'avoir eu Saint François de Sales pour Curé pendant un an, du 30 juin 1597 au 17 juin 1598.

Aujourd'hui ses habitants vivent surtout des produits de l'élevage, de la transformation du lait et de l'industrie du Bois. L'été, de nombreux estivants y viennent goûter le calme apaisant, l'air tonifiant et la fraîcheur verdoyante de ses montagnes. C'est parmi elles que se trouve le Plateau de Glières et le village du même nom, détruit par les Allemands en Mars 1944.

Il convient même de bien préciser au début de ce récit que Glières n'a jamais été une montagne déserte dont ses voisins auraient pu se disputer la possession. Son vaste plateau a toujours fait partie du territoire du Petit Bornand. Les chalets construits sur ce Haut-Seuil par les Petits Bornandins y ont abrité jusqu'à près de cent cinquante habitants et le hameau jusqu'à 1937 y avait une institutrice détachée. Une dizaine de familles y habitaient encore lors des événements que nous allons raconter. Elles ont souffert avec le Bataillon de Glières ; il est juste que nous leur donnions leur place dans la bataille contre l'occupant.

Mais après nous être orientés dans l'espace, orientons nous dans le temps, avant d'entrer dans le vif du sujet.

Après l'Armistice de juin 1940, la Population du Petit Bornand s'était remise au travail bien qu'accablée et dans l'attente de ses vingt sept prisonniers.

Lorsque fut constituée la Légion des Combattants, tous y adhérèrent d'enthousiasme, espérant qu'elle deviendrait un instrument de libération. Un des premiers qui donna sa démission fut Marcel Merlin, actuellement Maire de la Commune, qui devait devenir en 1943 chef de Trentaine de l'A.S. La section peu à peu se mettait en sommeil, lasse de ses vains espoirs et ne s'occupait plus que de son oeuvre du colis des Prisonniers dont la caisse était surtout alimentée par les séances de la chorale Paroissiale et de la J.A.C. ; ou par les subventions des sociétés locales et celles que voulait bien lui accorder le Maire François Merlin.

Lorsque il fut question de la création des S.O.L., le Curé et l'Instituteur Monsieur Pinget s'entendirent pour déconseiller aux Jeunes d'en faire partie. On peut dire qu'à la fin de 1942, tout en continuant d'exister sur le papier, la Légion avait en fait cessé d'exister au Petit Bornand.

C'est d'ailleurs vers la fin de 1942 que je commençais moi-même à m'occuper de la Résistance en donnant asile aux enfants de Maurice Guérin, mes cousins et cousines, qui traqués par la Gestapo, avaient dû fuir Limoges et dont le long séjour dans mon Presbytère ne fut pas sans intriguer beaucoup de personnes.

Depuis la rupture de l'armistice et l'invasion de la Zone dite libre, le Petit Bornand, était d'autre part occupé par une compagnie Italienne qui cherchait surtout à se nourrir sur le Pays. Mon premier accrochage avec leur Capitaine se produisit le soir de Noël. Il avait décidé que sa Troupe assisterait à la Messe de Minuit en armes et ne les quitterait pas. J'essayais en vain pendant près d'une demi heure, avant de commencer ma Messe, de le faire revenir sur sa décision. Il me fallut finalement céder pour ne pas priver ses hommes de l'accomplissement de leurs devoirs religieux. Ainsi finit l'année 1942. La nouvelle année allait être beaucoup plus mouvementée.

1943

ANNÉE DE PRÉPARATIFS ET D'INCIDENTS

Depuis le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le mot d'ordre venu de Londres était d'organiser dans le Pays, les points d'appui autour desquels se préparerait le soulèvement national pour faciliter le débarquement sur le territoire métropolitain et sa libération. Toute l'Année 1943 allait être prise par ces préparatifs compliqués par l'affaire de la Relève et mille autres incidents.

PREMIER CAMP DE GLIÈRES

Au début de cette année, une Trentaine fut constituée sous les ordres de Marcel Merlin et dès le 9 mars une équipe commandée par Roger Broisat s'installait à Glières pour aller attendre le premier parachutage. Pour ravitailler ce premier camp, le ravitaillement était monté chez moi par un jeune vicaire de Bonneville, ancien vicaire du Petit Bornand, l'Abbé Rémy Contat.

Mais avant le parachutage, j'eus à résoudre une question délicate : la Relève. Plusieurs jeunes gens du Petit Bornand furent convoqués pour partir en Allemagne le 15 mars. Ils vinrent me demander conseil. Que fallait-il faire ? Partir ? Rester ? Je pensais que La Relève était une véritable Déportation et j'estimais qu'au point de vue moral elle était inacceptable. La Relève en effet, c'était servir l'ennemi contre son pays ; secondairement c'était l'esclavage. Après leur avoir bien expliqué, je leur déclarais que si j'étais à leur place, je ne partirais pas. Et c'est ainsi qu'après une dernière discussion le dimanche soir 14 mars à 10 heures du soir, ils décidèrent de ne pas partir et de gagner la Montagne. Après avoir formé un petit camp au Levat, ils émigrèrent à Cenize. Puis comme tout paraissait calme, ils redescendirent chez eux.

Enfin, le 21 mars eut lieu le premier parachutage. " Ça ne durera pas autant que les contributions " tel fut l'indicatif lancé à la Radio qui alerta le Camp de Glières et la Trentaine du Petit Bornand. Tout le monde rejoignit son poste et eut fort à faire car, malheureusement les 15 cylindres lancés par l'avion parachuteur s'espacèrent sur tout le plateau. Aussi nos Maquisards, aidés des habitants du Plateau, eurent-ils toutes les peines du monde à rassembler les containers.

Il nous souvient que l'Abbé Contat, redescendu chez nous le soir, complètement épuisé, fut obligé de se coucher avec une forte fièvre et délira une partie de la nuit. Prisonnier une dizaine d'heures en 1940, il se croyait de nouveau au milieu des Boches. À d'autres moments il se croyait près de la délivrance et il chantait de nouveau victoire. Il fallut un travail surhumain aux équipes de Marcel Merlin et de Roger Broisat pour descendre les armes et les vivres, avant de les emmener de nuit en camion dans les dépôts prévus. La Résistance du Secteur de Bonneville pouvait commencer à espérer ; elle venait de recevoir ses premières armes.

C'est à ce moment-là qu'arrivèrent les deux premiers Maquisards étrangers : André Catel et Robert . Reçus d'abord chez le Maire François Merlin pendant quelques jours, je les accueillis ensuite et les logeais provisoirement chez le Fruitier des Lignières : Veyrat, d'où je les expédiais à la Houillon chez Marcel Denarié. On les ravitaillait comme on pouvait, mais on peut dire qu'ils en virent de dures les premiers temps. Ils rejoignirent du reste Glières en Février 1944. Au même moment dans le mois d'avril existait à Andey un petit camp commandé par Arragnol.

CAMP DE TRIAGE DE DOMPTAZ

Avec le mois de Mai, le Petit Bornand allait devenir le véritable centre du Maquis. L'Armée Secrète avait en effet décidé d'établir un Camp de Triage à la Montagne de Domptaz. Les futurs Maquisards arrivaient de tous les coins de la France à la gare de Saint Pierre de Rumilly et de là étaient acheminés gratuitement par les cars Levet jusqu'au Petit Bornand. Ils étaient pris en charge par la Trentaine locale qui les guidait sur Domptaz... Tous ces jeunes, après avoir passé deux ou trois semaines dans ce camp d'épreuve, étaient renvoyés chez eux ou dirigés sur les camps de Saint Jeoire, Chamonix, Sallanches, etc... Le camp était commandé par un certain Clovis qui du reste était sous les ordres directs du Lieutenant Rannard commandant du secteur du Petit Bornand, lequel en même temps qu'il organisait un autre camp à Tinnaz, fondait le deuxième camp de Glières.

Mais c'est peut-être le moment d'illustrer ce camp de Domptaz d'une ou deux anedoctes qui en éclaireront l'atmosphère. Je me rappelle qu'un certain jour, alors que je n'avais plus une seule place de disponible à la Cure, je vis arriver une brave femme, accompagnée de son jeune neveu muni d'une recommandation à mon adresse. Cette brave Tante ne voulait pas quitter son neveu qu'elle avait élevé avant de savoir qu'il serait en sûreté et elle aurait bien voulu monter au camp, ce qui n'était pas possible. Je finis par loger la Tante chez les Soeurs et notre futur Maquisard chez Fernand Puthod. Le lendemain je le fis monter à Domptaz par un de nos guides, non sans avoir reçu force recommandations de la Tante. Au camp où l'histoire de la Tante était parvenue on appelait notre brave garçon : La Nounou.

Un autre jour je vis arriver, après la Grand'Messe du Dimanche, Clovis, le Chef de camp qui muni de son révolver me déclara sans sourciller qu'il n'usait pas beaucoup de la religion, mais enfin qu'il avait parmi ses hommes des pratiquants et qu'il comprenait leur souffrance d'être privés des secours religieux. Alors je n'avais qu'une chose à faire ; c'était de monter leur dire la Messe là-Haut, puisqu'on ne pouvait pas leur donner la permission de descendre.

Je tiens à propos de ce camp de Domptaz à mettre à l'honneur la Trentaine du Pays qui se dépensa sans compter pour acheminer les arrivants à leur destination et surtout pour leur monter le ravitaillement.

ÉVASION DE MICHEL

Un jour de ce même mois de Mai, je vis arriver le Lieutenant Rannard qui m'informa qu'il avait trouvé entre Tinnaz et Glières un Jeune avec les menottes aux mains se recommandant de l'Abbé Camille Folliet. Je téléphonais immédiatement à l'Abbé Folliet lui demandant de venir prêcher le dimanche suivant pendant que le Lieutenant Rannard faisait descendre chez moi le Jeune en question qui répondait au nom de Michel.

Voici l'odyssée qu'il nous conta. En passant de Suisse en France, il avait été arrêté avec des papiers compromettants et de l'argent qu'il apportait pour les mouvements de Résistance. Il avait eu le temps d'avaler les papiers, mais il n'avait pas pu se défaire des 100.000 francs qu'il avait sur lui. Emprisonné à Annecy, il avait été ramené à Saint Julien pour y être jugé et il revenait par le train du soir en compagnie de son avocat, Madeleine Hérisson et du Juge d'Instruction. Il bavardait familièrement avec eux lorsqu'en approchant du tunnel d'Évires, Madeleine Hérisson lui fit signe que c'était le moment d'agir. Michel demanda à aller aux W.-C. et les gendarmes mis en confiance le laissèrent partir seul. Mais il était à peine au fond du couloir, qu'ils se ravisèrent et partirent à sa suite.

C'était trop tard. Michel avait ouvert la portière et d'un bond avait sauté sur le ballast. Nos braves gendarmes eurent beau tirer le signal d'alarme. Avant que le train eut stoppé Michel avait déjà plongé sous le viaduc et remonté de l'autre côté.

Et pendant que la maréchaussée le recherchait de tous côtés, Michel se dirigeait vers le Parmelan où il était attendu, mais exténué de fatigue et blessé, il s'égara et vint atterrir vers Tinnaz où il fut accueilli par le Lieutenant Rannard. Je ne puis vous décrire la joie de l'Abbé Folliet en retrouvant Michel qu'on avait cherché pendant deux jours dans la région du Parmelan. Cette évasion sensationnelle valut à son auteur de rester quinze jours chez moi en attendant d'être remis de ses émotions et de sa blessure et surtout d'avoir reçu de nouveaux papiers d'identité. Puis un jour de juin il partit à pied pour Grenoble en passant par Saint Jean de Sixt, Thônes, Faverges. Michel reste pour moi le type du garçon énergique, plein de franchise et animé d'une ardeur patriotique sans égale.

LE COUP DE CHAMBÉRY ET LE LIEUTENANT SIMON

Vers la même époque dans la nuit du 28 au 29 Mai ; les divers groupes de Résistance et une trentaine de camions avaient été alertés pour aller à Chambéry rafler un dépôt de vêtements et de matériel provenant des Chantiers de Jeunesse et entreposé dans une usine.

Les Chefs du Maquis rencontraient de grosses difficultés pour habiller tous leurs Hommes et tous ces effets qui devaient être livrés aux Allemands seraient les bienvenus dans nos montagnes. Malheureusement tous ces braves gens qui se dévouaient pour fournir l'habillement à leurs frères d'armes furent trahis par le chef des Chantiers qui avait promis de leur livrer le dépôt. Ils tombèrent sur d'importantes Forces de police et durent s'enfuir par toutes les routes possibles et même à travers champs. Plusieurs d'entre eux furent capturés.

C'est à la suite de cette expédition manquée que je connu celui qui devait devenir le légendaire Lieutenant Simon. Le soir du 29 mai, je recevais en effet un Jeune dont je ne me souviens plus du nom à l'heure actuelle. Il était exténué et ,venait de Saint Laurent à pied en passant par le sentier des Gardes. Il était 11 heures du soir et il avait faim.

Il me dit à brûle-pourpoint : Vous savez bien l'histoire de Chambéry ? Ou est François ? Je n'étais pas encore prévenu de l'échec de l'expédition et je ne connaissais pas François. C'était François Servant qui devait devenir chez moi François Chevalier et plus tard à Thorens le Lieutenant Simon. Pendant qu'on lui préparait un frugal repas, il me raconta le retour de Chambéry.

Poursuivi par les Forces de police après bien des détours, il avait réussi à rejoindre Annecy vers quatre heures du matin pour aller se reposer à l'Hôtel de France.

Au petit jour, François qui dormait d'un sommeil lourd, tout en ayant son revolver à la portée de sa main, s'éveille encadré de deux policiers qui inspectent la pièce, découvrent des mitraillettes et des grenades. Devant l'importance de la découverte l'un des policiers va téléphoner pour demander du renfort. Tout de suite ses collègues sont sur place et se passent le butin de main en main.

François, qui les guette du coin de l'œil, met à profit cette inspection détaillée des armes. Il bondit sur la porte et avant que les policiers soient revenus de leur surprise, il fuit dans les couloirs de l'Hôtel. C'est le branle bas général...

la poursuite... C'est trop tard... François a disparu dans Annecy...

Et ce Jeune veut retrouver son Chef tout de suite. - Tu monteras demain matin. - Non cette nuit... Et à minuit il se met en route conduit par mon cousin Marius Guérin.

Le lendemain matin dimanche, le lieutenant Rannard arrive flanqué de François et de son fidèle équipier. Après dîner, François accepte de se reposer un peu, mais il est pressé de repartir et le soir même malgré nos conseils et ceux de Michel, il part pour Annecy chercher des effets et une nouvelle carte d'identité.

À Annecy l'aventure est trop récente... François trop imprudent... Un policier le reconnaît, le file... Il va être cueilli... François le chanceux lui laisse sa bicyclette dans les mains... et arrive tranquillement le mardi chez moi. Il s'appelle François Chevalier. Il reste encore deux mois parmi nous soit au camp du Levat, soit à Glières... Et puis il part... Où ? Quelques temps après, une superbe voiture s'arrête au chef-lieu du Petit Bornand... François est devenu le Lieutenant Simon... Il commande à Thorens.

J'ai donc connu Simon pendant deux mois et si j'avais un jugement à porter sur lui, je dirais qu'il était brave jusqu'à la témérité. Il n'avait peur de rien, mais était d'une imprudence folle. C'est ainsi que ses exploits, peut être brillants, coûtèrent parfois la vie à des Français. Il fonçait, tête baissée, sans se soucier de ceux qui étaient avec ou autour de lui. Témoin l'histoire du train de Saint Pierre.

Simon, ayant trouvé qu'on n'obtenait pas le résultat escompté en faisant sauter les machines en gare de La Roche décide d'agir lui-même. Il se rend en Gare de La Roche, ordonne au mécanicien et au chauffeur d'un train de marchandises de sauter en bas de leur machine, après avoir ouvert les manettes de la vapeur et desserré les freins. Le train descend à toute allure la rampe qui va sur Saint Pierre de Rumilly... En gare se trouve un train de voyageurs... Que va-t-il se passer ?... Le train de marchandise déraille et prend en échappe le train de voyageurs... Il n'y a que quelques blessés ; il aurait pu y avoir de nombreux morts !

Simon n'avait pas réfléchi aux conséquences de son exploit.

Il avait cherché quelque chose de spectaculaire et avait failli tuer de nombreux Français.

Pour Noël, il va chercher du ravitaillement dans la région de Leschaux, rentre dans un café, suspend sa mitraillette au porte-manteau, et s'attable.

Un officier allemand cherche lui aussi des victuailles pour le réveillon... Il rentre dans le café... aperçoit la mitraillette... va pour demander à qui elle est... Simon a compris le danger... la mitraillette a craché... les boches sont par terre... Il les charge dans leur voiture... et va la verser dans un ravin... Résultat : des représailles... des morts... des déportés...

Si la mitraillette avait été cachée, il n'y aurait pas eu d'accrochage.

Je l'ai vu pendant les deux mois qu'il resta au Petit Bornand souvent indiscipliné envers ses chefs et pour être Chef, il faut savoir se plier à une rude discipline. En un mot il était trop indépendant, trop téméraire. Cela n'enlève rien à sa bravoure, à son abnégation totale pour la Cause Française qu'il défendait. Les plus grands Héros ont leurs défauts parce qu'ils ne sont pas des surhommes et c'est leur rendre hommage que de révéler en même temps leurs qualités et leurs défauts.

Si j'avais à me résumer, je dirais de Simon qu'il aurait été un brillant officier et un Héros admirable s'il avait pu allier à la fougue de la jeunesse, la prudence de l'âge mûr.
Simon restera dans la légende parce qu'il fût un Français sans peur... Mais il ne fut pas un Bayard parce qu'il ne fut pas sans reproche...

JUIN

Tout avait l'air de très bien marcher dans la vallée du Borne et pourtant les affaires allaient bientôt se gâter. J'étais en relations fréquentes avec le Capitaine Humbert Clair qui commandait à ce moment-là tout l'arrondissement de Bonneville et qui était tout simplement camouflé dans un emploi des Ponts et Chaussées. Il dirigeait de plus en plus de monde sur ma cure et pourtant cela devenait de plus en plus dangereux. Une note nous avait informés que des agents de la Gestapo se déguisaient en faux Maquisards et parcouraient la région. Allez donc les reconnaître puisque tous nous arrivaient sans un mot de recommandation. Tant pis j'acceptais tout le monde et à la grâce de Dieu...

Ce mois de juin allait du reste être catastrophique pour notre vallée. C'est tout d'abord le brave Abbé Camille Folliet que je vois arriver sur une pauvre bicyclette le dimanche 30 Mai. Il vient d'échapper de justesse aux Italiens. Pendant qu'ils rentraient par une porte à la Maison du Peuple à Annecy, l'Abbé en sortait par une autre. Je l'engageais à rester chez moi quelques jours et à y établir son quartier général. Mais il avait promis d'aller prêcher dans je ne sais plus quelle paroisse du Chablais le jour de l'Ascension et il voulut y aller malgré tout. Je lui proposai de faire annoncer dans les journaux les paroisses où il avait l'intention de prêcher, afin que les Italiens le trouvent plus facilement ! Il n'avait pas peur et ce qui devait arriver arriva. Il reprit sa soutane et quelques jours plus tard, les Italiens l'arrêtaient en gare d'Annecy... le déportaient en Italie, d'où il parvint à s'échapper après la capitulation Italienne pour malheureusement venir se faire tuer en Maurienne aux Combats de La Libération.

Le Camp de Domptaz dut être évacué à cause de l'affaire Montfort. Celui-ci qui était de La Roche-sur-Foron et qui possédait un chalet à Andey avait participé au ravitaillement du Maquis et avait mis à sa disposition son chalet. Je ne sais pourquoi il fût bientôt accusé de détourner les vivres du Maquis... Des discussions assez vives éclatèrent et un beau jour on apprit que Montfort avait disparu... La Police le rechercha et finit par découvrir son corps enfoui sous un tas de fumier.

Les conséquences de cette affaire furent incalculables. Le camp de Domptaz fut obligé de déménager à Cocogne, mais ce qui était plus grave, c'est que cette mort avait attiré l'attention de la Police et des Italiens sur le Pays.

Autre conséquences, les Chefs du Maquis sont inquiétés et alors qu'ils pouvaient circuler librement, ils sont obligés de rentrer dans la clandestinité. Le Lieutenant Rannard qui avait logé pendant longtemps chez le boucher du Petit Bornand René Périllat est obligé de se cacher. Je le cache d'abord chez le Fruitier des Lignières Veyrat et ensuite quelques jours chez moi d'où il gagnera le Mont Saxonnex, Saint Jeoire et le Chablais. Plottier de Bonneville est obligé de partir vers la Suisse. Le Capitaine Clair qui voyageait sous le nom de Lachenal trouve asile tantôt à la Cure de Marignier, tantôt à celle du Petit-Bornand.

Un mandat d'arrêt est lancé contre eux, bien qu'ils ne soient pour rien dans l'affaire ; mais ils sont considérés comme les responsables du Maquis. Heureusement les Gendarmes bons enfants, ne les voient pas quand ils les rencontrent... Désormais le Capitaine Clair est obligé de laisser l'auto et la moto de côté et c'est à bicyclette, affublé d'une roue de secours sur son porte bagage que je le vois arriver régulièrement chez moi.

Le Camp de Cocogne est dissous et réparti entre les autres camps de la Région. Seul le groupe Franc demeure encore quelques temps aux Lignières et un petit Groupe à Glières. Bientôt du reste nous arrive un nouveau chef de Secteur Louis Vonderweidt qui prend le nom de Jacques Oter. Logé d'abord chez Bricosson, il a sa chambre perquisitionnée par les Gardes Mobiles... et tout naturellement il vient s'établir dans la salle de mon catéchisme avec un de ses adjoints... Il part régulièrement visiter ses camps et faire l'instruction aux Trentaines d'Entremont et du Petit Bornand.

Un soir du mois de Juillet en revenant d'Entremont il est capturé par les Gardes Mobiles... Sa mitraillette est démonté dans son sac... Son compte est bon... Je ne le reverrais plus que le 22 décembre 44 au Camp de Dachau où il eut assez souvent la charité de se priver de soupe pour sauver la pauvre loque que j'étais devenu... Je l'ai toujours connu comme un Homme de Devoir doublé d'un coeur serviable à tous... Dans le dénuement, il faisait volontiers comme Saint Martin... Et s'il n'avait rien il partageait son cœur...

Le lendemain matin à 5 heures, les murs de la Cure résonnaient sous l'appel pressant de la cloche... En hâte... je mets le nez à la fenêtre... C'est le fils Bricosson... Jacques a été arrêté à la Puya à Minuit.... Et je bondis avec lui à mon garage... Vite on sort les mitraillettes les grenades, les boules de pain et on les enfile dans le creux du gros Tilleul sur la place de l'Eglise...

Les Gardes continuent à parcourir le Pays... Mais ils ont eu une proie... ils sont couverts... Ils ne voient plus rien... et ils s'adonnent à la chasse aux reblochons à Glières... C'est plus intéressant pour leurs familles et moins dangereux pour le Maquis.

Mais voilà les Italiens... Ils ont l'habitude de tourner le dos au danger... Aussi ils vont à Cenize au lieu d'aller à Glières. Et comme il faut ramener du gibier, ils emmènent Lucien Caullireau, André Gaillard, Lucien Saddy, Nestor Rachex, Virgile Rachex et Edgard Rachex qu'ils relâchent deux jours après. Louis Rachex lui s'en tire avec un séjour d'un mois à Chambéry. La région n'est plus sûre du tout... Vers la fin de juillet les Camps achèvent de se disperser...

AFFAIRE DES DENTS DE LANFONT

Enfin du calme... Non la Cure va continuer à servir d'asile et de rendez-vous. Au mois d'août, notre garagiste, Joseph Merlin fils du Maire est ramassé dans son garage. Les Italiens cherchaient le Chef, son frère Marcel. Ils emmènent Joseph qui en sera quitte pour quatre semaines de détention avec Auguste Levet des Cars de Saint Pierre de Rumilly.

Au même moment se déroulait l'accrochage des Lanfonts entre les Italiens et les Maquisards. Les Italiens eurent plusieurs tués et blessés, mais nos Maquisards durent se replier. Et c'est ainsi que je vis arriver deux rescapés cherchant leurs camarades et m'annonçant qu'ils avaient reçu l'ordre de se diriger sur le Petit Bornand. Effectivement le lendemain je recevais la visite du Colonel Valette d'Osia et du Lieutenant Monnet qui venaient m'avertir de ce passage et me donner l'ordre de diriger nos Maquisards sur le Mont Saxonnex. Un agent de liaison fut mis à ma disposition et resta quinze jours chez moi à les attendre. Entre temps ils avaient été dirigés sur le Chablais. Je devais retrouver au mois d'avril suivant à Compiègne ce brave agent de liaison dans un piteux état. Il est du reste mort dans mes bras après que j'eus réussi à lui donner l'Extrême-Onction.

Au milieu de toutes ces échauffourées il fallait s'occuper des cartes d'alimentation et des cartes d'identités. Ce serait peut être l'occasion de rendre hommage à Lydie Périllat, chargée de distribuer les cartes d'alimentation à la Mairie du Petit Bornand. Elle me renouvellait ou me remettait toutes les cartes dont j'avais besoin pour le Maquis. Il me souvient que du temps de l'encerclement de Glières en Mars 1944, je lui ai porté jusqu'à 400 cartes à renouveler. Les Miliciens perquisitionnèrent chez elle... Mais ils eurent peur de se salir et la gouille du fumier échappa à leurs investigations... Les Cartes étaient sauvés et la détentrice aussi.

Quand aux Cartes d'identité, je les remplissais, les portais au Maire François Merlin qui les signait et les tamponnait. Malheureusement il fut arrêté le 15 septembre en défendant son fils Joseph, qui à peine rentré de la captivité Italienne était de nouveau arrêté par les Allemands. Ils resteront Prisonniers à Montluc pendant un mois.

ÉPURATION DES BANDES ET ARRESTATION LE CLAIR

Mais peu à peu dans ce Maquis incontrôlable naissaient de petits groupes dissidents qui agissaient pour leur propre compte ; ce qui amena la création d'une police du Maquis. Cette police agit quelquefois rudement, surtout au début. Pensez qu'elle devait sévir dans la clandestinité pour, à la fois, défendre le Maquis contre les dénonciations, mettre à la raison les indisciplinés et poursuivre ceux qui étant sortis du Maquis, formaient des bandes d'écumeurs et de pillards qui portaient le plus grand tort à la Résistance, en attirant l'attention de la Police et de l'occupant et en indisposant les braves gens.

C'est ainsi que la Police du Maquis eut à intervenir au Petit Bornand pour chasser une petite bande qui s'était installée au-dessus du village de la Ville. Cette bande commandée par un nommé Jacques Durand, qui avait appartenu au deuxième camp de Glières terrorisait la population. Elle n'était plus rattachée par aucun lien à la Résistance et agissait pour son propre compte. Pour en débarrasser le Pays, la Police du Maquis entreprit de la neutraliser. Mais ce fut en vain que le samedi 9 et le dimanche 10 octobre, elle essaya d'appréhender le chef de la bande Jacques Durand. Dans la soirée, celui-ci ayant été signalé comme redescendant de La Clusaz, ceux qui étaient chargés de l'opération s'embusquent en plein chef-lieu. Un bruit de vélo moteur s'en va grandissant... Un coup de mitraillette claque... Et Jacques Durand va s'écrouler contre l'hôtel des Balances.... Appelé immédiatement je lui administre l'Extrême Onction et le fais transporter au hangar des Pompes. Et ses compères s'enfuirent du Pays...

Revenons en arrière, à la date du 1er octobre. Le Curé de Marignier l'Abbé Gauthier prévient le capitaine Clair que sa cure est grillée et que chaque fois qu'il vient il est suivi... Clair se doute qu'il en est de même du Petit Bornand. Il espace ses visites et va installer son P.C. chez Julot au Nanty... Mais soit dénonciation d'un Maquisard du Mont Saxonnex à qui il avait fait des remontrances, soit indiscrétion d'un de ses subordonnés, parlant inconsidèrement dans un train... Une nuit... le P.C. est investi par la troupe du Capitaine Koll de Cluses. Un de ses adjoints saute par une fenêtre... Clair est pris avec tous ses papiers le 1er octobre... Le Capitaine Koll est plein de sollicitude pour lui et prend des mesures spéciales de surveillance à son égard La raison... Il n'a pas envie qu'il fasse comme le Colonel Valette d'Osia, qui arrêté en compagnie du Lieutenant Régis vient de s'évader en sautant par la portière du train en marche avant Dijon. Aussi Clair est transféré à Montluc le 6 octobre sous bonne escorte... Mais son tour viendra.

Pendant ce temps Simon agit... Le Maquis a besoin de tabac... Les F.T.P. lui demandent de déménager l'entrepôt de Bonneville. Simon réussit son coup sans peiné, prend une partie du tabac pour ses hommes et laisse le gros du dépôt dans une petite remise de Martin à Bonneville. Mais cela commence à devenir dangereux et de nouveau les F.T.P. demandent à l'A.S. de leur déménager le tabac. L'A.S. accepte à condition de partager à part égale et c'est ainsi qu'une nuit arrive au Petit Bornand un camion chargé de tabac. On le cache dans un petit chalet appartenant à Julien Missillier et on le distribue régulièrement chaque quinzaine aux camps des environs à raison de deux paquets de tabac et de cigarettes par homme.

Mais Clair ne devait pas rester longtemps en prison. Il avait pu me faire donner de ses nouvelles par le Maire et son fils qui avaient été relâchés. Interrogé pendant trois jours de suite, le deuxième jour il se fâche parce qu'on ne lui donnait rien à manger lorsqu'il rentrait des interrogatoires. Bien lui en prit... Son interlocuteur lui fait servir une collation, lui permet de faire sa toilette et veut lui offrir une cigarette...

Mais Clair... voyons l'homme à la pipe légendaire... Clair rétorque qu'il ne fume que la pipe... Et voilà qu'on lui rend sa bouffarde et un paquet de tabac.... Alors, tout en inondant de fumée son interlocuteur, il entreprend de démolir tous les renseignements fournis par les documents qui ont été pris avec lui. Il y réussit à merveille, puisque au même moment on voit courir dans tous les azimuts, ces pauvres Allemands... mais uniquement dans les montagnes où il n'y a personne... dans les dépôts où il n'y a plus rien...

Cette petite mise en scène aurait pu lui coûter cher. Mais il est servi par la chance... Le 21 octobre, on le ramène enchaîné avec un autre inculpé à Montluc dans une camionnette... Soudain une voiture les suit... les dépasse... Des coups de feu claquent... La camionnette zigzague... Le conducteur est tué... Un des gardiens se sauve... L'autre qui veut résister est tué... Alors nos deux détenus se sauvent... Son compagnon arrache la menotte qui le tient rivé à Clair... Celui-ci s'en va demander asile à des amis et de là muni d'une fausse carte d'identité, regagne Annecy à bicyclette puis à pied par Glières, débarque à 9 heures du soir chez moi. Vous jugez de notre joie.

Et c'est ainsi que le lendemain nous nous réunissions chez moi pour fêter son évasion avec quelques amis autour d'une table bien garnie... Nous étions en admiration devant l'appétit de Clair lorsque soudain on vient nous prévenir que le dépôt de tabac a été cambriolé. Immédiatement nos amis se rendent sur place et reviennent un moment après armés de mitraillettes.... C'est ainsi que se termina

le repas, les armes à la main... ; On fit transporter le tabac sur les voûtes de mon Église. Et Clair s'en fut le lendemain matin vers la Suisse goûter un repos bien gagné.

APPARITION DU GROUPE LAMOUILLE

Dans le courant du mois de novembre apparaissait au Petit Bornand un Groupe qui allait causer bien des malheurs dans le pays et qui plus tard serait cause de l'investissement de Glières; Glières en effet était un terrain de parachutage merveilleux, accepté par les Alliés, qui devait être défendu à tout prix. C'était aussi l'endroit choisi pour le regroupement des Maquisards au moment du débarquement. Il importait donc de ne pas attirer l'attention sur le pays. C'était pour cela que provisoirement il n'y avait plus de camps au Petit Bornand. Le Groupe Lamouille malheureusement allait par sa turbulence faire échouer ce plan.

Marcel Lamouille, natif du Petit Bornand, tenait à Annemasse l'hôtel des Bains. Arrêté en 1939 et mis dans un camp de concentration par suite des décrets Daladier sur les Communistes, il réussit à s'évader et fit son apparition au Petit Bornand dans le courant de 1942, pour commencer à faire parler de lui au début de novembre.

Après avoir recruté une troupe hétéroclite, composée de deux Russes et de quelques indigènes, Lamouille s'équipa facilement en armes, sur l'ordre de ses chefs, a-t-il dit, en se faisant remettre les dépôts d'armes de l'A.S. grâce à quelques transfuges qui passèrent, c'est le cas de le dire, avec armes et bagages de son côté.

Il traitait les Groupes d'A.S. d'attentistes et avait paraît-il reçu l'ordre de ses chefs, de créer de l'agitation dans le Pays et d'attaquer les boches en toute occasion.

Aussitôt la danse commence... Faut-il rappeler l'arrestation du Fruitier de Saxiat pour l'empêcher d'aller chercher le lait à Beffay... Le pillage de magasins dont le butin est entreposé au Petit-Bornand et dans lequel on découvre des caisses de layettes et de biberons... L'arrestation, un mercredi de décembre, des contrôleurs du Ravitaillement Briffod et Burtin qui, venant réquisitionner du bétail, se voient dépouillés de leur argent et de leur voiture... L'arrestation de la camionnette de ramassage du reblochon dont les caisses furent vendues un dimanche après midi... L'enlèvement, à l'usine Électrique du Borne d'une dizaine de fûts d'huile de deux cent litres... La prise de la camionnette de Gaston Thabuis... L'interdiction aux Fruitières de livrer le beurre et le fromage au Ravitaillement...

Le 23 décembre au soir le groupe se rend à Puze chez Marius Caullireau dont le fils Esther faisait partie de la Trentaine de l'A.S. Pour avoir son argent on martyrise le fils et on brûle les pieds du père... Et on repart avec un important butin. A plusieurs reprises, on essaye de désarmer les membres de l'A.S... Les gens terrifiés nous appellent à l'aide et nous sommes obligés d'installer un système d'alerte pour porter secours à ceux qui seraient attaqués.

À la Messe de Minuit je déclare aux gens qu'ils ne doivent pas céder devant les menaces et qu'ils doivent continuer à faire leur devoir en ravitaillant les villes.

Devant cette agitation il faut prendre une décision pour empêcher l'action du Groupe. Lamouille de nuire à la fois aux braves gens et à la résistance. Heureusement Clair est revenu de Suisse pour passer huit jours chez moi avant de prendre le Commandement du Département. Nous allons étudier la situation car la Constitution du Troisième camp de Glières est imminente... Mais auparavant...

AFFAIRE PIERRE DE LA CHAISE

Le lendemain de Noël à la sortie de la Grand'Messe, au lieu du Garde Champêtre pour faire les publications, c'est le Groupe Lamouille qui s'en charge... Les gens s'affolent... La Chorale cependant comme à l'ordinaire me souhaite ma fête... Je réponds à leurs vœux en leur demandant de m'aider de toutes leurs forces parce que leur dis-je l'heure est grave et l'année 1944 ne sera pas tranquille pour la paroisse. Par prudence l'après-midi, je fermais l'Église et nous allâmes chercher des mitraillettes au dépôt avec Clair en cas de coup dur.

Au cours de la soirée arrive un Maquisard, vêtu d'une veste de cuir, la main bandée qui demande à se faire soigner par les Sœurs parce qu'il s'est coupé avec une hache... Sans hésiter, je le conduis chez les Sœurs... Clair à flairé le danger... Avec deux autres, il me suit revolver au poing... Les Soeurs sont absentes... Je le ramène à la Cure pour le faire panser par mon cousin... On cherche à le faire causer... Soudain il me demande à se confesser... Il n'a pas pu venir à la Messe de Noël... Puis il se restaure... Il ne veut pas dire de quel maquis il est... Il précise simplement qu'il est parti des Gardes Mobiles il y a quelques jours et qu'il redescend sur Saint Pierre... À son départ je le fais pister... Il monte chez Lamouille...

Pierre de la Chaise avait promis de venir se faire panser le lendemain... Deux ou trois jours se passent... Personne... Qu'est-il devenu ?

Un jeune qui se trouvait chez Lamouille m'apprit son sort le mercredi suivant : Vous savez Monsieur le Curé, celui qui est venu vous voir dimanche pour se faire panser la main. Lorsqu'il est rentré au camp, Lamouille lui a demandé d'où il venait. Il a répondu qu'il était venu se confesser vers vous ? Alors Lamouille l'a fait sortir et il l'a descendu.

Est-ce pour cela que Pierre de la Chaise a été tué ? Ou plutôt comme le prétendent les Responsables à l'heure actuelle, parce qu'il avait reçu une mission qu'il a refusé d'accomplir ?

Cette mission me concernait-elle ?...

Dieu le sait...

Ainsi finit l'Année 1943... le Capitaine Clair resta passer les derniers jours de l'Année chez moi et j'eus le plaisir de pouvoir lui procurer la grande joie de revoir dans ma cure sa femme et quelques-uns de ses enfants. Ce père de famille de cinq enfants en bas âge n'avait pas craint de quitter sa famille pour rentrer dans le Maquis afin d'accomplir son devoir d'officier qui était de libérer la France.

Oh... Humbert à la pipe légendaire, au sourire captivant... me permets-tu de faire ici ton éloge... de rappeler tes entrées de nuit dans la cure soit par la cave ou la fenêtre... Te rappelles-tu lorsqu'en mon absence tu venais répondre à mes paroissiens, revêtu d'une de mes soutanes, avec l'insigne de la Légion à la boutonnière... Te rappelles-tu, alors qu'il y avait des bandes de toutes sortes qui regorgeaient d'argent, toi, Commandant le Secteur de l'Arrondissement de Bonneville et après commandant le Département de la Haute-Savoie, tu n'avais pas, un sou pour toi, même pas pour tes enfants... Cela ne t'empêchait pas de rire avec ta pipe et de sauter sur ta bicyclette pour parcourir, le plus souvent de nuit, les routes du département... Tu n'avais pas besoin de réquisitionner pour te nourrir... Partout tu recevais un bon accueil, parce que toi tu travaillais uniquement pour la France.

1944

LA QUESTION À RÉSOUDRE

Au début de cette année 1944, qui allait être si tragique pour le Petit-Bornand, nous avions à résoudre une grave question de conscience. La population toute entière, se trouvait en effet terrifiée par l'agitation du Groupe Lamouille. Or de deux choses l'une, ou ce groupe n'appartenait à aucune organisation de résistance et agissait pour son propre compte et il fallait le mettre dans l'impossibilité de nuire ; ou alors il appartenait à une organisation de résistance et il était urgent de prévenir les chefs afin de faire cesser cette agitation préjudiciable à la résistance.

Lamouille avait décrété la fermeture des Fruitières pour le 1er Janvier. Cela allait encore attirer l'attention sur le Petit-Bornand déjà marqué à l'encre rouge. J'eus la visite à ce moment-là d'un Inspecteur de Police d'Annemasse, favorable à la Résistance qui vint m'entretenir des dangers que courait notre commune. Grâce à Monsieur Sallaz, je lui ménageais une entrevue avec Lamouille qui lui promit de retarder la fermeture des Fruitières.

Pendant ce temps nous étions dans l'expectative et nous cherchions en plein accord, le Maire, le Commandant Clair et moi la solution la meilleure pour protéger le Petit-Bornand et éviter le pire. Le devoir d'un Maire est de protéger ses administrés et de maintenir l'ordre dans sa commune et si à cette époque troublée un maire Patriote avait le devoir d'aider la résistance, il avait aussi le devoir de la protéger contre les abus et de dénoncer ceux qui lui portaient tort. Au reste François Merlin n'était pas suspect pour la résistance. Nous l'avons déjà vu. Il fut un des premiers à donner asile à des réfractaires. Il avait favorisé le ravitaillement du Maquis et m'avait été d'une aide précieuse pour les fausses cartes. Il avait été arrêté par la Gestapo et détenu pendant un mois à Montluc.

En parfait résistant, il se montra à la hauteur de sa tâche et décida, pour protéger à la fois sa commune et la résistance de prévenir la Préfecture et la Police. Avec Clair nous continuions de chercher les remèdes nécessaires à la situation qui s'aggravait de jour en jour, et nous causait d'autant plus de soucis, nous l'avons dit, que la constitution du 3e camp de Glières était proche.

Clair partit aux renseignements et il lui fut répondu par les F.T.P. à ce moment-là que le Groupe Lamouille ne faisait pas partie de leur Organisation. Il fut donc décidé de monter une expédition pour le mettre dans l'impossibilité de nuire. Je fis pression alors pour qu'on évite toute effusion de sang et qu'on capture tout simplement les éléments du Groupe Lamouille pour les intégrer si possible dans les différentes trentaines de l'A.S. Et c'est ainsi que pendant toute une nuit nous attendîmes avec le Capitaine Clair les Groupes Francs de Henry Plantai et de Simon chargés de l'opération. Mais ce fut en vain. Le lendemain matin le Maire fut prévenu que l'expédition n'avait pas eu lieu et c'est ainsi qu'il téléphona aux policiers jeudi soir 6 janvier que La volaille n'avait pas été plumée. Il avait été entendu en effet que si la résistance ne faisait pas l'opération la police s'en chargerait. Mais la police avait insisté pour que le maquis effectue lui-même le désarmement. Le même soir, non sans avoir failli nous tuer dans un tête à queue sur la route glacée de Saint-Jean-de-Sixt, je ramenais Clair au P.C. à Thônes et j'attendais les événements.

Le dimanche 9 janvier le Capitaine Clair était de retour et m'informait que l'opération n'avait pas pu avoir lieu et avait été décommandée au dernier moment parce que les F.T.P. avaient fait savoir qu'ils reconnaissaient le Groupe Lamouille comme un des leurs. Clair décida alors de monter voir Lamouille aux Cerets en compagnie de Roger Broisat pour lui demander de ne plus essayer de désarmer les membres de l'A.S. et de ne plus troubler la tranquilité du Pays.

ARRESTATION DES POLICIERS A BONNEVILLE

Le lundi 10 janvier le Groupe Lamouille s'emparait des policiers surnommés les Canadiennes à Bonneville, les emmenait en voiture au Petit-Bornand et les montait aux Cerets dans un chalet que je m'étais primitivement réservé en cas de coup dur. Le dimanche 16 janvier dans l'après-midi, je voyais passer la voiture du Groupe Lamouille avec à l'intérieur un homme aux yeux bandés.
C'était un des policiers qu'ils envoyaient à Vichy pour demander en échange des policiers, des Maquisards emprisonnés. Mais le Policier ne revint pas et comme par suite des mesures de police prises dans le département la situation devenait dangereuse, le Groupe Lamouille exécuta les policiers et les ensevelit dans une fosse à côté du chalet des Cérets. Lamouille lui-même m'avoua à mon retour de déportation que s'ils avaient procédé à cette exécution, c'est
qu'ils ne savaient plus que faire des policiers et que c'était trop dangereux pour eux de les relâcher. Or, d'après l'Inspecteur Massendes qui fut Secrétaire Général de la Préfecture d'Annecy à la Libération : tous ces Inspecteurs
sauf deux appartenaient à des Organisations de Résistance.

RÉQUISITION DES AUTOS ET AFFAIRE DES LOCOMOTIVES

En prévision du débarquement, l'ordre avait été donné de réquisitionner autos et camions. Le groupe Lamouille s'empressa de mettre la main sur toutes les voitures du pays et c'est avec peine que da trentaine du Pays pourra se réserver deux voitures.

Mais un autre ordre beaucoup plus important avait été donné : celui de faire sauter les locomotives pour paralyser toutes les communications au moment du débarquement qui était prévu à cette époque pour le mois de février.

Le moyen indiqué par le commandement était de placer une cartouche de cheddite sous les pistons des locomotives afin de les rendre inutilisables pendant un mois. Ce fut Roger Broisat qui en fut chargé avec sa petite équipe composée de Lucien Missillier, François Périllat, Gaby Rachex, Louis Carrara. Ils s'acquittèrent à merveille de leur mission et nombreuses furent les locomotives mises à mal en gare de La Roche-sur-Foron. Il faut rendre hommage à tous ces jeunes, car non seulement ils remplirent leur mission avec courage, mais scrupuleusement ils exécutèrent les ordres donnés afin que les machines puissent être réparées plus tard et cela souvent au péril de leur vie.

AFFAIRE DU MAIRE FRANÇOIS MERLIN

Après l'arrestation des policiers de Bonneville, Lamouille avait découvert dans un carnet de l'Inspecteur Marie, les notes suivantes :

Mardi 4 janvier 1944. Prenons contact avec M. Merlin, Maire du Petit-Bornand qui nous donne des renseignements très précis sur une bande de pillards qui sévit dans sa commune. Ils ont à leur tête un nommé Lamouille, communiste dangereux, évadé des camps de concentration. Ils ont volé des mulets à Jeunesse et Montagne que ses beaux frères Ballantat détiennent ainsi que Séraphin Puthod, etc.

Arrivés au Petit-Bornand, tournez le dos à l'Hôtel Bellevue. Vous avez devant vous le Borne. Traversez le pont des Lignières la première route à gauche vous conduira au chalet de Lamouille,

l'avant dernier au pied de la montagne. La bande une quinzaine campe dans le bois tout à côté. J'ai appris qu'elle devait être desar mée par le vrai maquis. Mercredi soir téléphonez, si désarmée je

répondrais Volaille plumée et je mettrais mes fils au courant. Jeudi matin téléphoné à Merlin Joseph fils qui répond qu'il n'est pas au courant si la bande est désarmée. L'après-midi M. Merlin

nous dit Volaille non plumée. Nous prenons rendez-vous pour le a mardi 3.

Voici ce qui a été trouvé dans le carnet de l'Inspecteur Marie du moins tel que le rapporte Lamouille dans le Travailleur Alpin du 4 octobre 1945.

Lamouille vint immédiatement menacer le Maire qui avoua facilement ce qu'il avait fait. Comment ne l'aurait-il pas fait ? Une autorité quelconque doit toujours faire son devoir dans les circonstances les plus difficiles, même au péril de sa vie. C'est ce qu'avait fait M. Merlin dans le seul souci de protéger sa commune et ses administrés.

Mais devant les menaces du Groupe Lamouille, Merlin se réfugie dans son chalet à Cocogne. Devant la tournure prise par les événements, je pars le jour même où le groupe Lamouille dévalise la perception de Bonneville, pour aller à Taninges demander à l'Abbé Bogain, arrêté lui-même par la Gestapo pendant un mois, de bien vouloir cacher mon maire. Nous décidons de le cacher chez le Curé de Verchaix qui est un ancien Vicaire du Petit-Bornand.

Et c'est ainsi qu'un matin à cinq heures, le brave Félix Fontaine emmenait dans son camion le Maire à Taninges d'où il gagna Verchaix. J'allais du reste au cours des jours qui vont suivre lui rendre plusieurs fois visite pour le mettre au courant des événements du Petit-Bornand. Il faut bien remarquer que lorsque Merlin téléphona aux Inspecteurs, il était persuadé comme moi que Lamouille agissait pour son propre compte. Le désordre et la terreur qu'il faisait régner dans le pays n'avaient rien à faire avec la Libération du Pays et lui était plutôt préjudiciable ; quand on est obligé d'agir dans la clandestinité, on fait tout pour ne pas attirer l'attention sur soi et les lieux où l'on réside. C'est pourquoi nous ne comprenons pas que les F.T.P. aient pu donner à Lamouille des ordres pouvant couvrir son attitude.

ATTAQUE DANS LES ÉTROITS

À la sortie d'Entremont, pour rejoindre Saint-Jean-de-Sixt, on rencontre un étroit goulet qu'on nomme les Étroits. Ce sont ces gorges qui furent les témoins de la folle équipée du groupe Lamouille.

C'est le jeudi 27 Janvier. On me prévient que plusieurs camions chargés d'Allemands viennent de passer dans le Chef-lieu. Je m'y rends immédiatement pour avoir de plus amples renseignements... Tout est désert... Lamouille arrive en courant, me demande si je sais quelque chose... Nous montons à la poste... La postière demande à Entremont ce qui se passe... Les Allemands sont passés... Lamouille repart vers son chalet... L'atmosphère est lourde... Midi... Une huitaine de gars à Lamouille, les poches et les musettes bourrées de grenades qu'ils sèment un peu à tous les vents se précipitent à l'arrivée du car pour contrôler les papiers des voyageurs... Un fusil mitrailleur est installé vers l'hôtel des Balances avec un champ de tir de 10 mètres... Je pars en me promettant de revenir après-midi pour voir ce qui se passe... Le Lieutenant Monnet qui vint me trouver m'empêcha de remonter assez tôt pour les événements... Au grand désespoir des gens, le groupe Lamouille avait décidé de tendre une embuscade en plein chef-lieu aux Allemands... À force de supplications les

habitants finirent par les décider à partir... Ils s'étaient forgés une atmosphère de bataille et découvraient tout d'un coup que leurs amis d'Alex étaient en danger... La camionnette s'ébranla au milieu des chants au grand soulagement des spectateurs... Qu'allait-il arriver ?... Les Allemands qui venaient de Cluses et qui avaient tout simplement été faire une reconnaissance à la Clusaz, redescendaient... Toujours en chantant le groupe Lamouille passe Entremont, aborde la ligne droite qui précède l'entrée des Etroits... À cet instant les camions débouchent... La camionnette s'arrête... Vite Sauve qui peut. En haut par les bois... Les Allemands ont repéré la manœuvre... Heureusement un des Russes se met en batterie et tire avec son fusil... Son courage sauve ses camarades. Les allemands tirent en effet sur ce nid de résistance et négligent les fuyards... Ils prennent en remorque la camionnette y chargent le Russe... et c'est ainsi que je les voyais passer quelques instants plus tard en batterie sur. les ailes de leur camion... Pressentant un malheur, je demandais immédiatement des nouvelles à Entremont et j'apprenais que seul le Russe avait été tué et que ses camarades allaient descendre par un camion qui venait les chercher depuis Bonneville.

À leur retour je représentais à Lamouille qu'on ne fait pas de bêtises pareilles et que s'il avait voulu attaquer les Allemands : il aurait dû mettre un fusil mitrailleur en batterie pour barrer les Étroits pendant que d'autres auraient lancé depuis les rochers des grenades sur les camions. Ils auraient été sûrs d'arriver à un résultat dans ce lieu désert sans risque pour la population et pour eux-mêmes. Il reconnut ce jour-là qu'ils manquaient de chefs et qu'on ne s'improvise pas officier en quelques minutes. Ils avaient eu chaud, mais ils rapportaient la cervelle du Russe qu'ils enterrèrent en grande pompe le dimanche 30 janvier. C'est ce dimanche là que le détachement précurseur arriva à Glières pour installer le troisième camp.

D'autres livres racontent l'histoire de Glières, entre autres le livre de l'Association des Rescapés de Glières. Je n'ai donc pas à raconter cette histoire, mon but sera seulement de narrer les événements vu du Petit-Bornand et auxquels j'ai été intimement mêlé.

Dès le 31 janvier les Groupes du Maquis de la Vallée de Thônes rejoignent Glières en passant par l'Essert village du Petit-Bornand, au pied de Glières, et qui doit servir de base de ravitaillement. Aussitôt tous les chevaux du Petit-Bornand et d'Entremont sont réquisitionnés pour monter le matériel. Le Lieutenant Bastian a établi son P.C. à Entremont et dirige de cette commune le ravitaillement dont est chargé Roger Broisat, au Petit-Bornand. Tout va pour le mieux et nos braves montagnards qui ont compris qu'une grande partie se jouait en faveur de la Libération, se dévouent de leur mieux. Mais à peine installé le camp de Glières va se trouver aux prises avec toutes sortes de difficultés.

AFFAIRE DU 7 FÉVRIER

Le lundi 7 février à 8 heures du matin, des Forces de police arrivent au Petit-Bornand pour tenter de capturer le groupe Lamouille aux Cerets. Il y a un escadron de Gardes Mobiles, un groupe de G.M.R. et de nombreux inspecteurs. Ils encerclent toute la matinée le groupe des maisons des Cerets et y perquisitionnent. Bien entendu ils ne trouvent rien puisque Lamouille prévenu la veille, à dispersé son groupe et se trouve lui-même deux cent mètres plus haut, d'où il suit les opérations à la jumelle.

Pendant ce temps, un jeune aspirant de la Garde qui se trouvait avec son groupe de garde à La Puya et qui n'avait pas mission d'aller plus loin, s'avança et découvrit sur le pont de l'Essert une voiture louche poussée par plusieurs jeunes gens qui lui parurent armés. Il envoya immédiatement son groupe en reconnaissance en donnant l'ordre de tirer. Les jeunes qui faisaient partie des ravitailleurs de Glières, se mirent à fuir... Les gardes ouvrent le feu avec un F.M... Deux jeunes réussissent à s'enfuir à Glières, mais l'un d'eux, Roger Broisat, est blessé à l'épaule... Les trois autres sont arrêtés... Aussitôt je suis prévenu et je me rends près du Commandant des gardes mobiles pour faire relâcher ces jeunes dont deux appartiennent à ma Paroisse : Louis Carrara et Gaby Rachex. Le commandant m'adresse au Commissaire Frédérich qui ne veut pas les relâcher parce que l'Aspirant proteste et qu'il y a de la Gestapo dans l'assistance. Comme j'insiste, l'Inspecteur Massendès me fait signe de me taire. Et le commissaire Frédérich me promet de faire son possible.

Le lendemain je descends à Bonneville trouver le commandant des gardes mobiles qui me donne le numéro de téléphone du commissaire Frédérich. Je téléphone depuis la Gendarmerie. Il ne peut rien faire avant d'avoir reçu le rapport de l'Aspirant. Je recommence le mercredi et le jeudi. Le rapport est formel ; mes deux jeunes ont été trouvés porteurs de revolvers, et le commissaire ne veut rien faire sans en avoir référé au Colonel Lelong. Je n'hésite pas, je réquisitionne une voiture et je descends voir Lelong à Annecy le jeudi soir 10 février.

L'intendance est bien gardée... les miliciens sont en nombre important... Il ne paraît pas facile de pénétrer à l'intérieur... Au premier essai, on me répond que Lelong n'est pas là... Je continue à bavarder avec les miliciens et je fais une distribution de cigarettes... cela délie les langues et un des miliciens s'offre à me conduire près de l'adjoint de Lelong : le Capitaine Kum... J'étais dans la place et le capitaine Kum ne tardait pas à m'introduire auprès de Lelong.

Celui-ci après m'avoir dit que j'avais des paroissiens qui étaient bien remuants, m'exposa que l'opération du lundi avait été dirigée contre le Groupe Lamouille et qu'elle avait fait découvrir un camp beaucoup plus important du côté de Glières. Le plus ennuyeux de l'affaire, c'est que la Gestapo s'en était aperçu. Lelong me pria alors de bien vouloir aller trouver les jeunes de Glières pour leur demander de disparaître pendant quelques temps. Je lui répondis que je voulais bien me charger de cette mission ; mais que je ne pouvais le faire avant le lundi 14 ; Lelong acquiesça parce que les opérations ne devaient pas commencer avant la semaine suivante. Il me libéra alors mes deux jeunes sous ma garantie et c'est le coeur joyeux que je les ramenais à leurs parents.

Il est donc prouvé que si le groupe Lamouille n'avait pas existé, et n'avait surtout pas attiré l'attention sur la région, Glières n'aurait pas été découvert ce jour-là et les événements en auraient pu être changés. L'agitation inconsciente fait parfois porter de bien lourdes responsabilités.

Entre temps, à Glières, Tom (lieutenant Morel) furieux de voir que la Garde avait tiré sans sommation, avait blessé Roger Broisat et avait fait prisonniers trois de ses hommes, donnait lui aussi l'ordre de tirer sur la Garde si elle essayait de monter au Plateau, alors que les ordres précédents étaient de ne pas tirer sur la Garde mais de toujours parlementer avec elle. C'était l'amorce d'un autre drame.

Le vendredi soir, j'étais très surpris de voir arriver plusieurs pelotons de gardes. Lelong s'était-il ravisé ?... Que se passait-il ?... Il me fut impossible de le savoir...

Le samedi matin 12 février, Marcel Merlin me prévint que les gardes étaient partis en direction de Glières et que le lieutenant Bastian me priait de prendre contact avec leur commandant pour sonder ses intentions et savoir s'il y avait moyen de s'entendre. Immédiatement je pars voir le commandant Raulet à son P.C... L'endroit est peu sûr pour se faire des confidences et le commandant m'indique qu'il me rejoint à la Cure.

J'explique sur le champ au commandant Raulet la mission dont je suis chargé. et mes inquiétudes au sujet des ordres nouveaux donnés à Glières par représailles en suite de l'affaire du 7 février. Le commandant Raulet, me répond qu'étant donné l'épaisseur de la couche de neige, l'équipement de ses hommes, et la neige qui continue à tomber, il espère que ses gardes ne pourront aller loin. Mais d'autre part il est sûr que rien de grave ne peut arriver car il a pris toutes ses précautions.

1) Il a pris soin de trouver un habitant du pays pour monter à Glières la veille au soir prévenir les maquisards de leur arrivée et leur proposer un arrangement pour que sa Mission ait l'air d'être remplie et que le camp de Glières ne soit plus inquiété après cette opération.

2) Il a mis en tête de la colonne le plus sûr de ses capitaines : le capitaine Yung et il est certain qu'avec lui et les hommes qui l'accompagnent il ne se produira pas d'accrochage.

Le commandant Raulet me quitte alors en me disant qu'il va donner des ordres pour ralentir la progression de ses gardes et qu'il est d'accord pour rencontrer le plus rapidement possible Bastian pour examiner la situation et prendre les différentes solutions qui s'imposent.

Nous nous quittons devant la Cure et je pars réquisitionner une voiture pour aller rejoindre Bastian à Entremont. C'est déjà trop tard... Le Drame est noué... J'entends le crépitement du F.M. L'accrochage à lieu au même moment... En arrivant à Entremont je fais part de mes craintes à Bastian, de la bonne impression que j'ai eu du commandant Raulet et il est entendu qu'ils se rencontreront le soir même.

Au retour je rencontre le commandant Raulet qui se rend à l'Essert... C'est trop tard, il y a des morts et des blessés... Il me fait mettre un side car à ma disposition pour aller administrer les blessés. Il y a deux morts les gardes Cariou et Lancelôt, des blessés parmi lesquels le capitaine Young qui mourra dans l'ambulance qui le transportera. Je l'arrête au passage et il me dit : Allez vite vers mes hommes qui sont blessés. Il y avait encore le lieutenant Maurel que j'ai confessé et administré et trois autres dont je ne me souviens pas des noms.

Alors que toutes les précautions semblaient prises, ce drame s'explique ainsi :

1) L'Agent de liaison choisi n'a pas fait son devoir. Il s'est ennivré et n'est pas monté à Glières...

2) Par suite de l'accrochage du lundi, Tom ayant donné l'ordre de tirer même sur la garde, le malheur a voulu que le capitaine Young tombe sur une patrouille qui exécute l'ordre immédiatement.

Le lieutenant Maurel blessé, a reconnu Tom comme un de ses camarades et ils se sont embrassés sur le lieu du drame. Tom donna l'ordre de descendre les blessés sur des civières et ce sont des jeunes du maquis qui les redescendirent aidés de quelques habitants du pays. Il donna l'ordre aussi de garder trois gardes pour les échanger contre les trois jeunes capturés le lundi 7 février et dont il ignorait encore la libération.

L'Intendant de police Lelong arrive sur ces entrefaites avec un état major nombreux et me prenant à part m'affirme que s'il avait su il ne m'aurait pas rendu mes deux jeunes. A la suite de leur libération en effet, et, devant le rapport formel du jeune Aspirant, des miliciens et des Inspecteurs avaient protesté et j'étais considéré comme suspect. Le soir même Lelong m'assigne en résidence forcé à ma cure. Voici du reste l'ordre signé du commandant Raulet :

ORDRE N° 4

Monsieur le Curé du Petit-Bornand est prié de bien vouloir rester à sa cure et à son Eglise jusqu'à nouvel ordre.

Il ne pourra s'absenter qu'avec une autorisation à demander au Commandant d'Armes.

Le Petit-Bornand, le 12 février 1944

Le Chef d'Escadron Raulet

Signé : RAULET

Je sortis du reste de cette résidence forcée grâce à l'habileté du commandant Raulet qui avait deviné mon activité et qui était de cœur avec nous. Le lendemain, dimanche 13 février, je donne une absoute solennelle pour les tués de la Garde et je fais une petite allocution avec une quête pour leurs Veuves et leurs orphelins. Le commandant Raulet me suggère aussi de faire une souscription dans la commune et il fait valoir tout cela pour me sortir de la Résidence forcée. En attendant, il met à mon service un Sous-lieutenant de la garde Froley pour me servir d'officier de liaison. Je dois rendre hommage à mes paroissiens qui participèrent immédiatement à la souscription pour me sortir d'embarras et surtout au commandant Raulet qui depuis ce jour, mit à ma disposition sa voiture et son essence pour les missions que j'avais à remplir.

Le soir même je fis déménager le tabac qui restait sur les voûtes de mon Église dans la crainte d'être perquisitionné et le fit enterrer derrière la Cure où malheureusement il fut volé.

LIBÉRATION DES GARDES MOBILES

Nous en étions là, lorsque le dimanche soir je reçus, par un agent de liaison de Glières, deux lettres destinées au Colonel Lelong. L'une de Tom, proposant au Colonel Lelong l'échange de ses Gardes contre la libération des jeunes arrêtés le 7 février et déjà libérés ainsi que celle du curé du Petit-Bornand. Heureusement que j'eus la bonne idée d'ouvrir le courrier. Cette lettre qui me mettait en plein dans le bain et qui aurait gêné considérablement mon action future passa au feu d'accord avec le commandant Raulet. Seule la lettre du Maréchal des Logis chef Rivalleau qui parlait des mêmes choses sans parler de moi fut acheminée vers Lelong.

Le 14 janvier je recevais la réponse suivante :

L'Intendant de Police, Directeur des

Opérations de Maintien de l'Ordre en Haute-Savoie à Monsieur l'Abbé Truffy,

Curé du Petit-Bornand,

Je vous autorise par la présente à prendre connaissance de la réponse faite à une lettre que m'a adressé le Maréchal-des-Logis, chef Rivalleau, capturé au cours de la rencontre du 12 février 1944.

J'attire votre attention sur le fait que les nommés Bouvard, Carrara et Rachex ont été libérés sur votre intervention alors qu'ils appartenaient à l'A.S. comme en font foi les termes de la lettre adressée par le Maréchal-des-Logis, chef Rivalleau.

Quoiqu'il en soit, je me permets de vous rappeler mon désir de voir mettre fin à une lutte fratricide qui n'a que trop durer.

Usez de toute votre influence auprès de nos frères égarés pour les amener à reprendre le chemin du vrai devoir. Je me tiens à votre

disposition pour tenter l'impossible. Mais pour l'amour de Dieu faites vite avant qu'il ne soit trop tard. Ce faisant vous aurez bien servi la cause de notre malheureux Pays.

Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, l'assurance de mes sentiments respectueux.

Signé: LELONG.

Je crois que le Colonel Lelong était d'accord pour camoufler la vraie Résistance vis-à-vis des Allemands. Il avait du reste un de ses Fils qui combattait de l'autre côté en Afrique et chaque fois que je lui ai demandé quelque chose, il me l'a accordé.

Lelong voulait que je fasse rentrer les maquisards de l'A.S. chez eux, promettant qu'ils ne seraient pas inquiétés. Le commandant Raulet qui était d'accord avec la Résistance et qui pensait passer de son côté au moment voulu, trouvait que ce n'était pas encore le moment d'agir et avait un plan beaucoup plus précis. Il proposait que les maquisards de Glières disparaissent pendant une journée du Plateau afin de pouvoir y faire passer son Escadron et dire aux Allemands qu'il n'avait rien trouvé. Ainsi aurait pu être sauvé l'existence des Glières. Il s'agissait de faire adopter ce plan par Lelong et par Tom. Mais Tom répondit que c'était impossible, qu'il ne pouvait pas abandonner le terrain du parachutage. Il avait surtout peur que Lelong continua à faire occuper le Plateau et le Plan ne put être mis à exécution.

Je montais à Glières, le mardi 15 février pour ramener les trois gardes avec le lieutenant Bastian. J'y rencontrais le Capitaine Clair et le cantinier. Le soir même le commandant Raulet m'apprenait que j'étais libre. C'est ce soir là que je reçus la visite de Bayard Capitaine Anjot. Il était venu par Saint-Jean-de-Sixt et avait dû laisser sa voiture aux Etroits barrés par les avalanches. Il avait vu Lelong la nuit précédente et il était urgent de trouver Clair pour avoir une entrevue avec Lelong. Immédiatement nous nous rendîmes auprès de Raulet qui après nous avoir offert à souper dans une chambre de l'hôtel de la Poste mit à notre disposition un de ses officiers pour faire franchir les barrages aux agents de liaison de Bayard. Nous leur avions donné rendez-vous le lendemain au barrage de l'Essert et nous descendîmes tranquillement nous coucher à la Cure avec Bayard.

NÉGOCIATIONS AVEC LES FORCES DE POLICE

Mais le mercredi 16 février à 9 heures, nos agents de liaison arrivent bien à l'Essert, mais sans Clair qui est redescendu directement sur La Roche avec le. Cantinier, officier de liaison interralliée. Il nous faut donc rejoindre La Roche pour midi... La voiture de Bayard est dans les Etroits, aussi je réquisitionne une fois de plus la camionnette d'Emile Pedat... Le Commandant Raulet me fournit l'essence et nous nous embarquons avec le laisser-passer suivant :

Prière laisser passer Monsieur l'Abbé Truffy et Monsieur Audouit (Anjot) le 16 février 1944 sur le parcours Petit-Bornand à Bonneville, La Roche-sur-Foron et retour.

Petit-Bornand le 16-2-44.
Le chef d'Escadron Raulet
Signé RAULET.

Ainsi nous sommes bien en règle et protégés par les gardes mobiles qui, du reste, prendront l'habitude de me voir passer et pour qui, le seul nom de curé de Petit-Bornand ouvre tous les passages. Nous voici arrivés à La Roche pour midi où nous retrouvons Clair et le Cantinier. Tranquillement installés devant une table accueillante, Bayard rend compte de sa Mission auprès de Lelong. Il avait du reste indiqué brièvement dans le mot qu'il avait fait tenir à Clair la veille ce qu'il espérait : Inutile que je vous donne tous les détails, mais j'ai eu hier au soir un contact personnel avec Lelong. Il y a nécessité absolue pour que nous trouvions, espérons-le, un terrain d'entente entre nous et le

M.O. (Maintien de l'Ordre). Redescendez avec mes deux hommes, porteurs du présent pli, de tacon à vous présenter à 9 heures aux Esserts. Vous continuez la route et vous me trouvez entre la Ville et Entremont. Je vous demande instaurent de faire redonner l'armement et l'équipement aux gardes. C'est là à mon sens, un geste à faire et qui compensera en faible partie l'incident de l'autre jour. Au besoin, redescendez cet armement et la chose sera réglée ainsi rapidement.

Que cet entretien entre Lelong et moi reste strictement secret entre vous et Tom.

Ainsi Anjot croyait qu'il y avait quelque chose à faire avec Lelong. Il fut donc décidé qu'il y aurait une entrevue dans une maison que j'étais chargé de préparer à la Lovatière. Clair devait venir chez moi et de là se rendre au lieu du rendez-vous... Nous repartons avec Anjot et arrivés au Petit-Bornand, le commandant Raulet met un side-car à la disposition d'Anjot pour remonter dans les Étroits pendant que je me rends à Annecy dans la voiture du commandant Raulet indiquer à Lelong le lieu de la Rencontre. Ainsi le maquis voyage dans les voitures et sous la protection de la police. N'est-ce pas de bonne augure ?...

L'entrevue acceptée par les deux parties, je recevais de Lelong pour la confirmer le pli suivant :

Monsieur l'Abbé,

Ci-joint, veuillez trouver une lettre destinée à qui vous savez et que je vous demande, après en avoir pris connaissance de bien vouloir faire parvenir.

Ce faisant, vous aurez bien servi, Monsieur l'Abbé, aussi est-ce dans cet esprit que je vous prie de croire à mes sentiments les meilleurs.

Signé LELONG

P.S. Donnez-moi un coup de téléphone Annecy 17-91 dès mission remplie. Merci d'avance.

Le rendez-vous fixé par cette lettre pour le lendemain à 14 heures, fut devancé, puisque le capitaine Clair, qui s'appelait Navan sous son nom de chef départemental, se rendit la nuit précédente au P.C. de Lelong. Lelong promit entre autres à Clair de ne pas le faire arrêter ainsi qu'Anjot. Les négociations furent difficiles parce que Lelong voulait donner le change aux Allemands et que pour cela il voulait la dispersion de la troupe de Glières. De l'autre côté, il n'était guère possible de lui donner satisfaction parce que cela aurait été d'un effet lamentable sur les hommes qui avaient déjà passé un an dans l'attente et qui pensaient que l'heure de la bagarre était enfin arrivé. Il ne s'agissait plus que de gagner du temps et c'est à quoi s'employa le commandant Raulet.

Désormais tous les soirs je me rends à Entremont dans la voiture du commandant Raulet pour faire la liaison avec Bastian. Nous y allons sous prétexte d'acheter des reblochons pour les familles des gardes et même un soir où nous n'avons pas le temps, c'est Bastian qui nous cède une caisse au prix de la taxe. Mais ce n'est qu'un paravent : autres sont nos préoccupations. Nous y allons surtout pour indiquer à Bastian les heures où il peut faire passer le ravitaillement. Le commandant Raulet a eu soin en effet de laisser libre un chemin par la Lovatière, mais c'est un sentier de piétons et certains jours il laisse passer les charrettes de ravitaillement par la route de l'Essert en profitant de la relève. C'est ainsi que trente cinq vaches purent être acheminées à la fois sur le Plateau. Le Blocus grâce au commandant Raulet, n'est donc pas bien rigoureux.

Comment ne pas rendre hommage au commandant Raulet et à ses officiers ; il m'aida si merveilleusement dans ma tâche, me prêta sa voiture, me donna son essence et tous les laisser passer dont j'avais besoin pour moi et pour d'autres. Les Allemands du reste le recherchèrent. Voici un télégramme de la Gestapo du 1-4-1944 adressé au commandant Supérieur des S.S. et de la Police Oberg :

...En ce qui concerne l'attitude de la Garde qui tolérait des livraisons de ravitaillement aux terroristes, j'ai écrit à Lelong en le priant de faire arrêter les Officiers et de les faire comparaître devant la Cour Martiale. Il s'agit des Officiers des unités de la garde qui étaient mises en place au Petit-Bornand depuis l'encerclement du Plateau... Le Commandant de la Police de Sûreté et du S.D. de Lyon et actuellement à Annecy Signé : KNAB.

Raulet, du reste, rencontra plusieurs fois, non seulement Bastian, mais aussi Clair et Tom. Il avait promis à Tom de l'avertir de toutes les opérations montées contre Glières et de l'avertir du jour et de l'heure où il quitterait le Petit-Bornand.

LES JEUNES DU PETIT-BORNAND

Après la mise en place du blocus, il n'étais plus possible de circuler dans la commune, d'en sortir et d'y entrer sans un laisser passer spécial. Or, les Jeunes du Petit-Bornand étaient tous Réfractaires au S.T.O. Cela devenait dangereux pour eux. J'en parlais à Raulet qui me promit de me faire appeler chaque fois qu'on arrêterait des jeunes et de les relâcher en attendant que j'ai pu faire des démarches pour les mettre en règle. C'est ainsi que j'établis 27 dossiers dans une soirée et que grâce à un chef de Service du S.T.O. à qui je dois beaucoup de gratitude, je fis affecter tous mes jeunes dans les scieries du Petit-Bornand. À partir de ce moment ils eurent leur laisser passer et purent circuler normalement.

Il y avait eu pendant ce temps-là deux parachutages sur le Plateau, l'un de cinquante quatre cylindres le lundi 14 février, l'autre de trente, le dimanche 5 mars.

Une de mes principales difficultés, étaient d'entretenir la vie religieuse sur le Plateau. Je ne pouvais pas en effet à moi tout seul, m'occuper de ma Paroisse, servir d'agent de liaison, d'intermédiaire et assurer le service religieux à Glières. Je décidais donc de faire appel à l'Abbé Benoit, ancien aumônier du 27eme B.C.A. et de le faire monter tous les samedis pour dire la Messe à Glières le dimanche matin. Ceci se fit en parfait accord avec le Commandant Raulet et même avec l'accord passif du Colonel Lelong.

De temps en temps quelques Gardes désertaient de leur Unité et montaient à Glières. Raulet me donnait immédiatement des renseignements sur eux en m'indiquant s'ils étaient sûrs. C'est ainsi qu'il me prévint un jour qu'il fallait absolument se défier du Garde Siegel : - Je prévins Tom qui malheureusement n'en tint pas compte et ce fut ce traître qui dénonça après la bataille de Glières, mes malheureux agents de liaison qui furent fusillés par les Allemands ainsi que mon activité.

Le mois de février se passa donc à peu près bien et nous espérions nous en sortir. Hélas le mois de Mars devait nous être fatal.

PERQUISITIONS DANS LES MAISONS

Pendant tout le mois de février les Gardes Mobiles eurent l'ordre de perquisitionner dans les maisons. Ils firent des trouvailles invraisemblables dans les dépôts qu'avait constitués Lamouille : layettes, biberons, vêtements de femmes etc. ... qui furent mis en vente par le Commandant Raulet au profit des veuves et des orphelins du 12 février.

Au cours du mois de janvier, Lamouille avait été prendre à la Centrale électrique de Saint Pierre de Rumilly toute l'huile des machines et c'est ainsi qu'il en avait monté un plein camion au Petit-Bornand pour l'entreposer chez le fruitier des Lignières Veyrat. Celui-ci avait toujours abrité de nombreux maquisards en leur fournissant le vivre et le couvert sans compter l'argent dont ils avaient besoin.

Or pendant que le Groupe Lamouille s'était réfugié à Bellajoux, Veyrat se trouvait bien ennuyé avec leurs fûts d'huile. Il me demande ce qu'il fallait faire... Je lui dis de ne pas s'inquiéter et j'avise immédiatement le Commandant Raulet qui ordonne une perquisition de tous les alentours... Les fûts d'huile furent ramassés et le fruitier fut sermonné pour la forme.

En même temps que les gardes perquisitionnaient, ils récupérèrent deux des voitures du groupe Lamouille. Comme Merlin s'impatientait à Verchaix, je pris rendez-vous avec Lamouille à Beffay chez Puthod Théophile pour lui demander de cesser ses menaces envers le Maire. Il me souvient que Lamouille me déclara que son intention était de faire juger le Maire par la population mais qu'il ne voulait pas le tuer. Je lui déclarais mon intention de faire revenir le Maire au Petit-Bornand et que du reste celui-ci était sous la protection de l'A.S. Lamouille promit de ne rien faire. Le lendemain, j'empruntais la Lancia à Briffod, récupérée sur le groupe Lamouille et j'allais à Verchaix chercher mon Maire... Aussitôt rentré, celui-ci ne voulut pas reprendre ses fonctions par peur des représailles. Mais après la libération le 16 août 1944 alors que j'étais déporté, Merlin fut lâchement assassiné chez lui par un groupe de F.T.P.

Pour en finir tout de suite avec l'histoire du groupe Lamouille, mentionnons qu'après s'être réfugié à Bellajoux, ce groupe, devant la menace d'encerclement qui pesait sur lui, se réfugia à Glières. Il devait la nuit précédant l'attaque de' Glières, avant l'ordre de décrochage, disparaître, grâce à sa connaissance des moindres passages, à la barbe des Allemands et des combattants de Glières.

DÉPART DES GARDES MOBILES ET ATTAQUE DES G.M.R. À ENTREMONT

Le 6 Mars, arrive l'ordre de départ pour les Gardes Mobiles. Le Commandant Raulet me prévint immédiatement et tint à aller lui-même dans la soirée à moitié du Chemin de Glières dire au revoir à Tom. Cet événement avait de grosses conséquences pour nous et pour Glières. En effet les Gardes Mobiles étaient remplacés par les G.M.R. Nous n'aurons plus autant de facilité pour circuler et il n'est plus question de faire passer du ravitaillement par l'Essert... Raulet me conseille bien de prendre contact avec le Commandant des G.M.R. mais en me prévenant d'être prudent. Désormais je n'ai plus la voiture à Raulet pour circuler et passer ainsi inaperçu.

C'est ainsi que je dois raconter la deuxième affaire du tabac. Clair était venu me rendre visite avec Anjot. Il faut apporter du tabac pour Glières qui n'en a plus... Je réquisitionne la voiture d'Emile Pedat et je pars avec Clair et Roger Broisat pour Saint-Jeoire. Après avoir cherché Henry Plantaz pendant une heure, nous rentrons en possession de 500 paquets de cigarettes et de 600 paquets de tabac, qui proviennent du wagon qui a été subtilisé en gare de Saint-Pierre-de-Rumilly. Mais il faut revenir et si je suis en possession d'un laisser-passer signé Lelong que m'a remis Anjot, je n'ai aucun laisser passer pour ma cargaison de tabac et il y a sept barrages à franchir. Sur le pont de Bonneville, les G.M.R. m'arrêtent et me font caler mon moteur.. Je les attrape et leur ordonne de me pousser. Ce qu'ils font sans me demander mes papiers... À Saint-Pierre l'alerte est plus chaude... Le G. M. R. qui m'arrête après m'avoir demandé mes papiers, me dit d'ouvrir le fourgon... J'hésite une seconde et la réponse vient : Mais je ne suis pas marchand, je suis Curé. Ah vous êtes Curé ?... Oui le Curé du Petit-Bornand... Eh bien allez ... Vous pensez si je m'empresse de démarrer, le tabac est passé, et le soir même il est sur la voûte de mon Église, en attendant qu'Arthur Ballanfat le monte à Glières avec son frère.

Pendant ce temps le blocus se resserre autour du Plateau. Michou l'aide médecin est arrêté au Grand-Bornand et Tom décide d'aller attaquer les G.M.R. à Entremont pour desserrer cette étreinte... Tout va bien... Le téléphone est coupé et les G.M.R. vont être désarmés lorsque le Commandant Lefèvre abat Tom d'un coup de revolver... Il est aussitôt abattu par le maquis. Et nos chasseurs remontent la mort dans l'âme en ramenant les corps de Tom et de Descours et une soixantaine de G.M.R. qu'ils ont fait prisonniers.

Tom est mort... Cet officier chevaleresque, dur autant pour lui-même que pour les autres, cette âme si belle qui a le don d'entraîner derrière elle tous ses hommes.... Tom celui qui est aimé par tous... Celui qui ne connaît que son devoir et qui aime par dessus tout la France et son Dieu... Tom est mort... Quelle perte pour Glières...

Et pourtant sa mort a sans doute sauvé le Petit-Bornand. Tom avait en effet projeté, s'il ne pouvait plus se ravitailler, de descendre par l'Essert et de faire une trouée à travers les Forces du maintien de l'Ordre. Pour cela Lamothe Lalande avait reçu l'ordre de se rendre à Cenize avec ses hommes et d'attaquer par derrière en même temps que Tom aurait foncé par l'Essert. La bataille se serait livré en plein dans le pays... Nul ne sait quelles auraient été les représailles... Mais s'il n'était pas mort... qui sait si les événements n'auraient pas changé de face... La mort de Tom a été un désastre pour Glières.

SÉPULTURE DE TOM

Le 10 mars je recevais la lettre suivante du Lieutenant Joubert : Le Lieutenant Joubert commandant par interim le Bataillon des Glières :

à Monsieur le Curé du Petit-Bornand

Cher Monsieur le Curé,

J'ai la grande peine de vous annoncer la mort de deux des nôtres survenue au cours d'une opération de la nuit dernière : notre chef vénéré le Lieutenant Tom et un des braves gradés, un père de famille de trois enfants.

Je vous demanderai de vouloir bien faire votre possible pour faire à ces deux héros des sépultures dignes d'eux.

En conséquence auriez-vous l'obligeance de faire confectionner des cercueils et de nous dire le jour et l'heure où vous pourriez faire ici la cérémonie.

Comptant Monsieur le Curé, sur votre religieux dévouement, veuillez croire à mes sentiments chrétiens et dévoués.

Signé JOUBERT.

Étant donné les événements, je ne peux pas rester absent deux jours de ma Cure... Je fais donc appel à l'Abbé Benoit pour dire la Messe de Sépulture que nous décidons pour le lundi 13.

Le samedi 11 mars a lieu le plus grand parachutage... 680 cylindres tombent du ciel et redonnent confiance aux défenseurs de Glières... Mais le dimanche 12, ils sont bombardés par trois avions allemands, heureusement sans résultats... Je reçois l'ordre, sur ces entrefaites, d'acheminer Lalande avec ses hommes sur Glières, afin de renforcer la défense... L'idée d'attaquer les Forces du Maintien de l'Ordre par derrière est donc abandonnée... Après être descendu jusque chez moi par des chemins détournés, je conduis le soir du 12 mars Lalande et sa Troupe jusqu'à la Fruitière des Lignières où Ballanfat Arthur les prend en charge pour leur faire éviter les barrages et les amener à bon port.

Et ce soir là à 8 heures, je reçois le Père et la Mère de Tom qui viennent assister à la sépulture de leur fils... Comment sont-ils arrivés jusqu'à moi ?... Ils ont demandé un laisser passer à Lelong qui regrette de ne pouvoir le leur donner parce qu'il en est empêché par Kniping. Lelong est en effet supervisé et en fait c'est Kniping qui commande... Madame Morel a dit à Lelong qu'elle monterait coûte que coûte... Lelong lui a répondu qu'elle ne pourra pas passer les barrages... Elle est son mari bénéficient d'un concours de circonstances imprévues ?... Ils ont pris un taxi et lorsqu'ils arrivent au premier barrage au Pont du Diable ils se trouvent au milieu des camions des Gardes Mobiles qui montent renforcer la garnison du Petit-Bornand. Ils sont confondus dans la Colonne et passent sans encombres. Je leur offre l'hospitalité pour la nuit et j'essaye de dissuader madame Morel de monter à Glières le lendemain à cause de la neige trop abondante. Mais Madame Morel tient à monter absolument. Aussi nous partons le lendemain matin munis de l'autorisation du Commandant des G.M.R. l'Abbé Benoit est monté depuis la veille ;

Arrivés sur le plateau, nous sommes immédiatement introduits dans la Chapelle mortuaire à l'infirmerie où Tom repose avec Descours, entourés de drapeaux tricolores faits avec des parachutes. Au dehors une section rend les Honneurs... Après la Messe dite par l'Abbé Benoit et l'Absoute, le cortège se forme pour aller au sommet du Plateau... Là, devant les cercueils, le Capitaine Clair lit la citation de Tom La neige est jonchée de parachutes multicolores, les trois couleurs flottent fièrement dans le ciel... On se sent en territoire libre et tout en pensant à nos morts, on pense à la libération de la France. La mère de Tom déclare que le corps de son fils ne quittera pas Glières avant que la France soit redevenue libre. Jamais je n'ai assisté à une sépulture aussi émouvante... La France pleurait ses enfants ensevelis dans un linceul de neige... Pendant ce temps les cloches dans la vallée sonnaient le glas.

Après un frugal repas nous redescendons et je m'occupe de faire venir un taxi pour emmener les parents de Tom et l'Abbé Benoit.

ARRIVÉE DES MILICIENS ET ATTAQUE DU PLATEAU PAR LES ALLEMANDS

Désormais tous les jours le Plateau est survolé par des avions allemands et souvent bombardé. L'angoisse augmente dans les cœurs. Je demande à Lelong de faire fermer les écoles et je recommande à mes paroissiens de sortir le moins possible. La Milice vient relever les G.M.R. le samedi 18 mars et immédiatement je suis mis en résidence forcée dans ma cure. Cela ne m'empêche pas de sortir et je joue à cache cache avec les miliciens. Le dimanche 19 mars, après une perquisition chez la tante de Roger Broisat, j'ai la chance d'envoyer sa fiancée assez tôt pour le prévenir de fuir. Comme je ne suis plus admis à sortir, je vais trouver le Chef de Légion Louis Ballanfat pour qu'il m'aide à négocier avec les Miliciens... Nous avons de la peine et la semaine se passe sans résultat, mais nous savons que les Allemands vont arriver... Nous ne pouvons plus ravitailler Glières et nous n'avons presque plus de liaison. L'atmosphère est lourde ; les Miliciens sont déjà montés à Bellajoux lorsque arrivent les premiers allemands le jeudi 23 mars.

Le samedi 25 mars, je réussis à me faire délivrer un laisser passer par le Chef de la Milice pour me rendre auprès de Lelong... Le stratagème à réussi et me voici en route avec la camionnette d'Émile Pedat... J'éclate à La Roche et je suis obligé d'emprunter la voiture de la Banque Savoisienne. Arrivé à Annecy, je reproche à Lelong d'avoir laissé venir les Allemands et de ne pas avoir fait évacuer mes paroissiens qui sont encore sur le Plateau... Il me répond en pleurant qu'il ne peut plus rien et il me conseille de fuir... Lelong a du reste essayé de démissionner comme en fait foi un document de la Gestapo en date du 18-3-1944 adressé à Paris au Colonel de la Police Dr Knochen ; De Vaugelas me signale à l'instant que la lettre de démission de Lelong avait été rejeté par Darnand. Mais je ne perds pas mon temps et je cherche immédiatement Clair qui par malheur est en Mission à Lyon... Je finis par découvrir le Cantinier et je lui expose qu'il est urgent de secourir Glières par parachutage... Ils n'ont plus de ravitaillement... Le Cantinier me promet que cela sera fait... Le soir tout le monde veut m'empêcher de remonter et je voudrais bien aller à la première Messe d'un de mes séminaristes à Samoëns ; Je décide d'emmener l'Abbé Paulmaz avec moi jusqu'à Saint-Pierre... Mais les ordres sont formels... Le Commandant des G.M.R. ne veut pas laisser passer l'Abbé Paulmaz... Il en est quitte pour s'en retourner à pieds... Je décide de monter seul... Je ne me reconnais pas le droit d'abandonner mes Paroissiens dans le malheur... Pendant mon absence les Allemands ont bombardé et détruit Monthievret... Le Chef de la Milice s'est fait insulter par Darnand parce qu'il m'avait laissé partir... Et l'on me donne une nouvelle fois l'ordre de rester dans ma Cure...

Le Dimanche matin depuis la Grand'Messe le canon tonne... Et à une heure je vois les premières troupes d'assaut déboucher au Levet... Que va-t-il arriver ?... J'apprends qu'un de mes agents de liaison Joseph Vitupier a été arrêté en redescendant de Monthievret... Le soir c'est le grand silence... La nuit s'écoule lourde d'angoisse, lorsqu'on vient m'apprendre que le Lieutenant Baratier a pu s'échapper et m'attend à Puzes chez Marius Caullireau... Trompant la surveillance des Miliciens, je monte à Puzes où je retrouve Baratier... Celui-ci qui a eu sa section encerclée et presque tous ses hommes tués, a pu se laisser glisser par les rochers et a ensuite été conduit par Gaston Thabuis du côté de Lessy... Glières a été enfoncé et il ne sait rien de plus.. Je lui dis qu'après s'être reposé, il faut absolument qu'il parte de bonne heure le lendemain par Cenyze parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver... Le lendemain j'apprends qu'Anjot avait donné l'ordre de décrochage le dimanche soir... Et Arthur Ballanfat vient me prévenir qu'il y avait des maquisards qui étaient dans les bois en dessus de chez lui... pour la plupart du Grand-Bornand. Ils furent sauvés grâce à un séjour prolongé dans les bois... Malgré l'interdiction de la milice, je continue à sortir, mais le mercredi 29, je recevais la lettre suivante à émarger :

Le Chef de détachement, Commandant le P.C. au Petit-Bornand à Monsieur le Curé du Petit-Bornand.

Suivant les ordres reçus et qui vous ont été communiqués, je vous invite à ne pas quitter votre cure que pour vous rendre à votre Église. Et vice-versa. Dans le cas où cet ordre sera transgressé, il me serait désagréable de vous faire arrêter et diriger sur une résidence surveillée.

Croyez Monsieur le Curé, à mes sentiments dévoués.

Signé JACQUET

Je refuse d'émarger et répond par la lettre suivante :

Le Curé du Petit-Bornand

au Chef de détachement,

Commandant le P.C. au Petit-Bornand.

Je vous serais bien obligé de bien vouloir demander à vos chefs pourquoi on me place dans l'obligation de rester à la Cure. Une telle mesure n'est pas prise sans certaines suspicions où même certaines calomnies dont j'ai le devoir de me justifier. De plus elle me place dans l'impossibilité de remplir mon ministère. Nous sommes à la période de Pâques j'ai plusieurs ports de sacrements à faire. J'ai à préparer la fête de Pâques et de plus la Confirmation où je dois recevoir mon Évêque. Cela me demande en plus du travail habituel de voir certains de mes paroissiens.

Je comprends que vous m'empêchiez comme mes paroissiens de sortir de la paroisse, mais je ne comprends pas que vous m'empêchiez d'accomplir mon ministère. Si je dois rester à ma Cure, il faut que vous me permettiez de prévenir mon Evêque de la situation afin qu'il puisse m'envoyer un vicaire pour les affaires à traiter dans la Paroisse.

Pour traiter de cette situation, je vous serais bien reconnaissant de venir me trouver cet après-midi afin que nous discutions et que vous puissiez communiquer à vos Chefs ce que je vous aurais dit.

Voici la réponse que je reçus :

Chef de Bourmont,

Il a été convenu depuis l'arrivée de la milice au Petit-Bornand que Monsieur le Curé devait rester dans sa cure ou dans son Église.

Il est entendu

1) Qu'entre la cure et l'Église Monsieur le curé ne doit parler à qui que ce soit ;

2) Que s'il est appelé pour administrer les derniers sacrements il devra être accompagné d'un milicien.

Monsieur le Curé ne devrait pas s'étonner de telles mesures étant donné ses relations avec le Maquis. Nous sommes décidés à ne pas tolérer plus longtemps les agissements des prêtres qui couvrent leur activité néfaste sous l'inviolabilité de leur ministère.

Thorens, le 29-3-44, Signé DE BOURMONT

Que fallait-il faire ?... Devais-je rester à mon poste ou partir ?... Déjà une maison est prête pour me recevoir... J'apprends que l'Adjoint au Maire est arrêté ainsi que d'autres personnes. Toute la nuit j'hésite sur la conduite à tenir.. Si je pars, j'ignore ce que les Allemands savent sur moi, et je me demande avec angoisse s'ils n'exerceront pas des représailles sur mes paroissiens... Finalement par peur des représailles, je décide de rester. À midi Jacquet en compagnie du Chef de Légion vint me dire que je serais libre le lendemain... Mais à trois heures la Gestapo venait m'arrêter...

MON ARRESTATION

Le Jeudi 30 mars, après la visite des miliciens, et de Gérard Pessey, vers trois heures de l'après-midi, j'entends une voiture... Ca y est ; c'est pour moi... Je me présente devant la porte de ma cure et un sous-officier de la Gestapo me demande de le suivre pour quelques renseignements... Je lui réponds que je prends ma douillette et que je suis à sa disposition...

J'arrive ainsi à l'école du Chef-lieu où je retrouve une vingtaine de mes paroissiens et où je vais subir trois interrogatoires... Ces Messieurs de la Gestapo commencent par me demander tout ce que je sais sur Glières... Il paraît que j'y suis monté très souvent... Je commence par affirmer avec force que je ne suis monté que deux fois à Glières ; une fois pour la libération des gardes mobiles et une autre fois pour la sépulture de Tom... J'insiste en disant que c'est un devoir de mon ministère et qu'il n'y a rien à redire à ce sujet et que si d'aventure il y avait des officiers ou des soldats allemands à enterrer, je le ferais volontiers car l'Église est au-dessus des Pays...

Mal m'en prit, car il m'est aussitôt déclaré par l'officier de la Gestapo que les maquisards étaient des terroristes qu'on devait laisser crever sur place et qu'on devait abandonner leur corps aux bêtes...

Puis il me demande des renseignements sur ceux qui ont ravitaillé Glières... La réponse est aisée, car j'affirme que tous ceux qui ont ravitaillé Glières n'ont pas été assez bêtes pour les attendre et qu'il sont tous montés au Plateau avant leur arrivée. On les retrouvera donc, me fut-il répondu, car ils seront tous pris là-haut...

Et alors ce fut l'interrogatoire sur les boulangers. Les boulangers, dis-je, n'avaient rien à faire à Glières étant donné que les maquisards avaient leur farine et faisaient leur pain eux-mêmes... Le boucher ? Mais ils étaient bien mal renseignés, s'ils ne savaient pas que le maquis avait

réquisitionné de force le bétail qu'ils tuaient eux-mêmes sur le plateau... Le buraliste ?... Jamais à ma connaissance il n'avait été pillé et ne leur avait donné du tabac... Les fruitières sont plus difficiles à défendre... Ils m'affirment en effet qu'elles ont livré du beurre et du fromage au maquis... Je leur réponds qu'elles étaient bien obligées de le faire puisque le maquis était armé et qu'eux les Allemands nous avaient enlevé toutes nos armes et qu'il n'y avait personne pour nous défendre... Ils me dirent alors qu'on a qu'à les appeler et qu'ils viendront nous défendre... Je fais l'idiot et je leur dis que j'étais bien aise de l'apprendre ; qu'ils veuillent bien me donner leur numéro de téléphone pour les appeler la prochaine fois...

Jusque-là tout va bien et je pense m'en sortir facilement... On me remet dans la cour de l'école et j'en profite pour m'enfiler aux W.C. et me débarrasser de tout ce qui peut être compromettant dans mon portefeuille... Ils n'ont pensé ni à me fouiller ni à perquisitionner à la Cure...

Au bout d'un moment, je suis introduit à nouveau et on me presse de nouveau de dire ce que je sais sur Glières et sur le tabac... C'est bien simple, je ne sais rien de plus que ce que je leur ai dit... Les ravitailleurs sont tous montés à Glières et à une liste de noms qu'ils me présentent, je réponds invariablement que je ne les connais pas ou qu'ils sont à Glières. Ce système de défense est très facile puisqu'ils m'affirment qu'ils sont tous tués... Ils n'ont plus besoin de les chercher. C'est alors qu'ils m'accusent d'avoir donné l'ordre de monter du tabac à Glières... Et, comme je leur demande où j'aurais pris ce tabac... Que je n'en étais pas marchand... et que je n'étais pas un voleur... Ils me disent qu'ils vont me confronter avec celui qui a monté le tabac et ils me renvoient dans la cour...

Cela se corse ; celui qui a monté le tabac Arthur Ballanfat vient d'être arrêté aussi... J'entends depuis la cour ses cris et je sens qu'on doit le frapper pour le faire avouer... Un instant l'officier sort pour me demander un notaire... Par la porte j'aperçois Siegel en face d'Arthur... Je commence à m'inquiéter sérieusement, mais je prends le parts de nier.

Je suis introduit une troisième fois pour me trouver cette fois en face de Siegel, ancien garde mobile passé au maquis et qui sert maintenant de dénonciateur. Il commence par affirmer aux Allemands que je suis monté plusieurs fois à Glières... Je passe alors à l'attaque et je lui demande assez vertement s'il m'a vu à Glières... Il est obligé de répondre qu'il ne m'a pas vu, que ce sont des camarades qui le lui ont dit... Puis il dit que c'est moi qui ai donné l'ordre de monter le tabac à Glières... Je réponds que non et pour les ébranler, je leur dis que je sais comme tout le monde qu'il y a eu du tabac dans le pays et je me paye le luxe de leur indiquer l'endroit, derrière la cure dans une maison démolie... On peut voir encore le trou ; mais on murmure dans le pays que le tabac a été volé... Heureusement ils ne pensent même pas à aller contrôler... alors qu'il en restait encore sur la voûte de mon Eglise. Ils regrettent alors de ne pouvoir pas me confronter avec celui qui avait monté le tabac car il était absent... Or Arthur Ballanfat était toujours là ; mais il ne m'avait pas vendu...

Le soir du reste, je pus me glisser à côté de lui pour dormir et il me dit Vous savez pour le tabac, je n'ai rien dit mais je suis perdu, Siegel a affirmé que je montais tous les jours. Je l'encourageais de mon mieux et lui donnais l'Absolution. Hélas ce brave Arthur devait être fusillé le samedi 1er avril à La Lovatière avec Gérard Pessey et César Sonnerat... Il avait eu le courage de ne pas vendre son Curé...

Malgré mes protestations je ne suis plus interrogé, ni relâché... Mais je suis emmené le vendredi après-midi à Annecy où le Commandant de la Gestapo me déclare que j'ai besoin de corriger... Je n'en sus pas plus long... On m'enferma à la Prison Saint-François d'où on me dirigea le 17 avril sur Compiègne et le 3 juin sur Neuengamme et enfin Dachau...


ÉPILOGUE

Là s'arrête mon histoire parce que là, finit mon action dans le maquis... Je ne raconterai pas les souffrances et les horreurs de la déportation parce que beaucoup de camarades les ont narrés avant moi. Et puis je ne crois pas utile à la grandeur d'un Pays de raconter toujours les crimes de son ennemi. Cela ne fait qu'exciter ses enfants à la haine et ce n'est pas avec de la haine que l'on rebâtira le monde et qu'on apaisera les querelles. Il faut savoir pardonner même quand on a bien souffert et apprendre à ses bourreaux que l'amour est plus fort que la haine. Il ne faut pas en effet reprocher aux autres ce que par vengeance, on désire leur faire. On devient en effet à ce moment tel qu'eux et ce n'est pas la peine de les combattre si nous ne valons pas mieux qu'eux.

Pour moi, je remercie mes bourreaux de Neuengamme, de Wantestet, de Dachau et je les bénis de m'avoir fait souffrir pour la France et pour Dieu. J'ai pu en effet apporter ma petite coopération à la libération de mon Pays en souffrant pour lui. Et puis cela m'a permis de témoigner en faveur de ma foi puisque l'on m'a surtout frappé parce que j'étais Prêtre. Ils ne pensaient pas ces pauvres bourreaux que chaque fois qu'ils nous torturaient chaque fois qu'ils nous frappaient, ils avançaient la libération de la France et l'heure de leur défaite. C'est en effet avec de la souffrance et le sang de ses enfants que l'on délivre un Pays. Là où il n'y a pas de sacrifice, il ne peut pas y avoir de rédemption. Heureux donc ceux qui ont donné leur sang pour la Patrie. Heureux vous les quatre fusillés du Petit Bornand qui avez été jugés dignes par Dieu de sauver, par le sacrifice de votre vie, votre si belle France... Heureux vous les sacrifiés de Glières qui avez donné au monde entier l'exemple du Sacrifice total et lui avez appris que la France était en train de ressusciter... Heureux vous les déportés qui avez tant souffert pour que la France renaisse. C'est à cause de vous tous que la France doit reprendre dans le monde sa mission de Charité.

C'est à cause de vous que les Français doivent s'unir et se pardonner. Ah ! certes, il y en a qui se sont laissés égarer, beaucoup d'autres qui ont commis de graves fautes, peut-être même des crimes. Ne soyons pas plus durs, plus terribles que Dieu. Il faut redonner à tous la possibilité de se racheter des fautes qu'ils ont pu commettre dans quelque camp qu'ils se soient rangés, avec des intentions pures. Oui, la France se doit de pardonner afin de refaire l'union de ses enfants, afin de faire cesser cette haine et de faire régner partout en France, l'Amour qui seul, fait vivre un pays.

Nous n'avons pas souffert, nous n'avons pas donné notre sang pour que les Français se détruisent entre eux, mais au contraire pour qu'ils s'unissent et imposent au monde l'amour fraternel. Si je suis rentré des Bagnes d'Allemagne, c'est uniquement pour rendre témoignage à la Vérité et demander à la France qu'elle pardonne à tous ses enfants coupables, à condition qu'ils fassent amende honorable et que désormais ils soient décidés à s'aimer entre eux...


LES DOCUMENTS DE LA GESTAPO

On a beaucoup épilogué sur la soi-disant erreur de Glières... A-t-on bien fait ?... A t-on mal fait de faire un tel rassemblement à Glières ?... Nous répondrons à cette question en disant que le Rassemblement de Glières avait été prévu pour garder le terrain de parachutage et surtout pour occuper la valeur d'une division allemande pour le débarquement annoncé primitivement pour le mois de février.

Voilà pourquoi le Camp de Glières fut constitué au mois de février... Mais le débarquement fut remis au mois de juin et si les Anglais effectuèrent les parachutages prévus, ils ne parachutèrent pas les hommes qu'ils avaient promis...

Il n'est que de lire les documents de la Gestapo qui vont suivre, pour voir que Glières a bien rempli son rôle en occupant pendant deux mois un grand nombre d'Allemands et en paralysant toute une division Allemande qui aurait été très utile ailleurs. De plus Glières a appris aux Alliés qu'ils pouvaient compter sur l'appui de l'intérieur au moment du débarquement.

Les télégrammes que l'on va lire sont la traduction des télégrammes officiels de la Gestapo pendant les opérations de Glières.

Il en manque, mais ceux-là éclairent déjà bien des dessous.

Copies conformes de traductions de télégrammes allemands

Les petites opérations signalées jusqu'à présent ont permis de constater qu'un nombre relativement faible de membres actifs de bandes ont été arrêtés. Ceci n'était d'ailleurs pas le but, mais uniquement une préparation de la grande opération. Par l'arrestation de personnes suspectes, on voulait se rendre compte du lieu de refuge des principaux chefs.

Des déclarations des prisonniers et des renseignements recueillis auprès de la population contactée au cours des opérations, il appert que les membres des bandes, notamment de l'A.S. se sont retirés sur le Plateau des Glières, au S.E. de Thorens, S.O. de Petit-Bornand et au N. de Thônes. Le Colonel LELONG a donc décidé d'attaquer par encerclement ce plateau. Les préparatifs sont en cours depuis ce soir à 18 h. Pour cette attaque concentrique, il 'a engagé 3 groupes A. B. et C. Depuis ce soir, il y a en ligne pour cela : 9 escadrons de la Garde, 3 G.M.R. et 200 hommes de la milice. Le groupe A se dirigera de Bonneville vers le S. dans la vallée de la Borne, ce groupe est sous le commandement de 2 chefs d'Escadrons de la Garde Cormoran et RAULET. Le groupe B est sous les ordre du Commandans BRENOD des G.M.R. et partant de Thorens, avancera vers l'E dans la vallée de la Fillière. Le groupe C sous la conduite du Capitaine NAY partira de Faverges vers le N. sur THORENS, et progressera plus vers le N. sur le Plateau des Glières.

Cette avance n'a pour l'instant aucun caractère offensif, et ne sert qu'à des reconnaissances et à l'encerclement. Les trois groupes de marche ont ordre de barrer toute la région, et de la soumettre au plus strict des contrôles. D'autre part, les trois groupes doivent s'approcher du Plateau, afin de trouver des bases de départ pour l'attaque générale du Plateau à une date à fixer.

En vue d'une préparation plus poussée de cette attaque, une conférence eut lieu chez moi entre le Colonel LELONG, le Lieutenant Bock et le Lieutenant MANSKE. Le Colonel LELONG désirait encore des photos aériennes du Plateau et de ses voies d'accès. Le Lieutenant MANSKE les procurera dès que le temps le permettra. Dès l'arrivée des photos, l'attaque pourra être déclanchée. Si les prises de vues n'étaient pas possibles par suite du mauvais temps, le Colonel veut néanmoins engager l'opération au début de la semaine prochaine probablement, même sans les photos. Je visiterai demain en compagnie du Colonel LELONG et du Lieutenant Bock les zones, pour me rendre personnellement compte des mesures prises.

Objet : ACTION LELONG.

En complément de mon rapport sur les mesures préparatoires dans la grande action contre le Plateau des Glières, à l'Ouest de Thorens, un détachement de 25 hommes de la Garde s'est heurté ce matin près de LA RAVOUX, au Sud-Ouest de Petit-Bornand, contre environ 100 membres de l'A.S. (fusils, pistolets-mitrailleurs, mitrailleuses, et lance-grenades). Ont été tués dans la Garde : 2 Officiers et 3 soldats - 3 blessés et quelques - le nombre n'en a pas encore été précisé - prisonniers faits par l'A.S. Les reconnaissances de la Milice, faites ces jours derniers, ont démontré qu'il était certain qu'une grande partie du maquis de la Haute-Savoie s'est retirée sur le Plateau des Glières et l'a mis en état de défense, car, à l'approche d'une patrouille vers le Plateau, le mercredi 9-2-1944, il fut observé que de nombreux hommes apparaissaient pour se rendre à leurs postes de combat.

D'un entretien avec le Capitaine DE VAUGELAS et le Lieutenant CONSTANZO de la milice, il résulte que la neige le rend à peu près insurmontable. D'ailleurs l'expérience montre que l'attaque contre le Plateau des Glières n'est possible qu'avec des armes lourdes, pour autant qu'elles puissent être amenées à proximité du point d'attaque par ce temps de neige. Le mieux serait - et ceci est désiré par la milice - la mise en action de l'aviation.

Mais pour ménager l'intérêt national français, ce qui est actuellement très apprécié par la population de la Haute-Savoie, une attaque par l'aviation ne devrait se faire que sous les couleurs françaises. Si une action des avions de combat n'était pas possible pour des raisons quelconques, il serait nécessaire et désirable que des avions de reconnaissance prennent des vues aériennes très exactes de ce Plateau des Glières, qui seront à mettre à la disposition du Colonel LELONG. Des entretiens dans cet ordre d'idées ont déjà eu lieu le 11-2-1944 chez moi, entre le Colonel LELONG et le Lieutenant d'aviation MANSKE de la base de Dijon.

Etant donné que du côté allemand, toute aide possible et imaginable a été promise au chef de la Police française DARNAND pour sa première grande entreprise en Haute-Savoie, il me semble utile, notamment dans ce cas, de mettre à la disposition des Français pour l'accomplissement de leur action, tous les moyens de combat nécessaires.

Objet : ENTREPRISE LELONG.

Ai fait part aujourd'hui au Colonel LELONG de la Décision du Chef de la Police de Sûreté, au sujet de l'engagement de l'aviation Il me dit que D. viendra très probablement ici demain le 16-2-44. Il me le fera savoir de suite de sorte qu'une entrevue pourra avoir lieu à mon bureau. Prière de faire savoir si vous venez à A. demain. Par ailleurs LELONG, me communique qu'à présent il est incontestablement établi que des avions ont parachuté de nombreuses armes et munitions au-dessus du Plateau des Glières dans la nuit du 14 au 15-2-44. Le Plateau est actuellement cerné entièrement par des forces de police française. L'A.S. cernée sur le plateau et comprenant 400 hommes environ a donné l'ordre d'évacuation à la population qui y est établie. La population est déjà arrivée en partie aux sentinelles des barrages. LELONG a la certitude qu'il existe une liaison entre diverses unités de la Garde et l'A.S. puisque l'A.S. était complètement au courant d'une attaque devant avoir lieu le lendemain. L'attitude de l'A.S. commence à changer, parce qu'elle doit combattre maintenant des forces purement françaises. L'A.S. commence à être dans le doute, si elle se bat pour une cause juste. LELONG est d'avis que la situation du ravitaillement causera sous peu des difficultés à l'A.S. et qu'elle tentera de percer la ceinture à un endroit. Il faut observer à ce sujet que la ceinture de barrages n'est composée que de 600 hommes, en cas d'engagement massif de l'A.S. et vu son armement excellent, ceci pourrait être tout à fait dans le domaine des réalités. L'A.S. croit cependant que le barrage est effectué par des forces de police beaucoup plus importantes. Le 16-2-44 une opération d'une certaine importance sera effectuée à Thonon parla Milice en liaison avec les G.M.R. Quelques jours plus tard doit avoir lieu une grande action dans la région de Saint-Jeoire, Annemasse. En ce qui concerne l'attitude des forces engagées, LELONG dit que seule l'attitude des chefs était décisive et que celle-ci était très différente auprès des divers détachements. À part la milice, il s'exprime en termes très élogieux au sujet des G.M.R. il est moins emballé de la Garde.

Commissariat frontalier - Annecy
Signé : Dr. JEEWE

Ce matin à 11 heures devait avoir lieu chez moi, une conférence entre le Colonel von SCHWEINICHEN, le Lieutenant Colonel de l'armée de l'Air KILLIAN, sous-chef du territoire des armées Sud et le Colonel LELONG. L'entrevue n'a pas eu lieu parce que LELONG déclara ne pouvoir participer à l'entretien, parce que son courrier portant des instructions au sujet de l'engagement de l'aviation, n'était pas encore de retour de Vichy. Le Colonel von SCHWEINICHEN vient donc de retourner à Lyon, après avoir essayé vainement d'atteindre le SS. GRUPPENFUHRER Oberg ici. Il se présentera chez vous encore dans le courant de l'après-midi. J'avais déjà fait observer hier après-midi, selon les informations que vous et le Colonel von SCHWEINICHEN m'aviez données, que la question de l'engagement de l'aviation était réglée par SS GRUPPENFUHRER Oberg. J'ai donné à entendre qu'un engagement sous l'emblème de nationalité française ne peut être pris en considération. De plus, je lui ai fait savoir que le Colonel von SCHWEINICHEN, avec un Lieutenant Colonel de l'armée de l'Air désireraient lui parler aujourd'hui chez moi. Il ressort de tout ceci que le Colonel LELONG ne désire pas, en aucun cas, un engagement de forces allemandes. Il serait donc utile, que le SS Gruppenführer Oberg en informat DARNAND, afin qu'il puisse donner des instructions en conséquence à LELONG. Il nie semble que DARNAND selon les déclarations qu'il m'a faites, ne s'oppose pas, à ce que le Plateau soit bombardé par des avions allemands sous emblème allemand ; ou bien le bombardement aura lieu sans en informer DARNAND. Dans ce cas, il suffirait que LELONG en soit informé deux heures auparavant. Par ailleurs, j'attire à nouveau l'attention sur le fait que les hommes cernés au Plateau des Glières, peuvent rompre la ceinture de barrages relativement faible.

Greko Annecy.
Signé : Dr. JEEWE.

Objet : ENTREPRISE LELONG.

Le Colonel LELONG a oublié, une note chez moi, par mégarde. Il y est dit :

1) Ancien Chef d'État-Major du Général LECLERC demande rendez-vous avec intendant de Police. 2) Éviter rencontres au cours desquelles des Français se battent mutuellement.

3) Il promet que du côté armée secrète, il n'y aura pas de pillage aussi longtemps que dureront les actions de police.

4) Cet officier donne des renseignements intéressants au sujet des F.T.P., notamment au sujet de cantonnements et effectifs.

5) Rendez-vous : jour heure, lieu. Cet officier sera accompagné de son adjoint. L'Intendant fixera le lieu du rendez-vous, s'il le désire, mais il doit venir seul. Il semble qu'il s'agit ici d'une tentative de médiation de la part du Commandant de l'A.S. du Plateau des Glières.

Greko Annecy

Signé : Dr. JEEWE

Objet : ENTRERISE LELONG.

DE VAUGELAS me communique que LELONG a reçu ce matin un télégramme de DARNAND avec de nouvelles instructions. Il contient certainement le résultat des pourparlers entre SS Gruppenführer OBERG et DARNAND tendant à activer l'entreprise LELONG. Malheureusement le Lieutenant Bock et moi, en qualité d'officiers de liaison auprès de LELONG, n'avons pas encore été informés du côté allemand sur les points discutés à PARiS. Dans les instructions de DARNAND à LELONG, il est dit :

1) Activité plus importante dans l'entreprise d'ensemble.

2) Engagement plus important de la Garde et des G.M.R. par rapport à la Milice qui, jusqu'à présent, agissait presque exclusivement seule.

3) Renforcement des barrages mobiles des routes.

4) Renforcement de la bretelle autour du Plateau des Glières.

5) Ordres pour l'attaque du Plateau des Glières. L'attaque même doit être lancée par la Milice renforcée de G.M.R. La Garde se charge uniquement de la protection et du barrage du territoire de l'arrière.

6) L'opération d'ensemble de LELONG en HAUTE-SAVOIE doit être terminée le 10-3-44, sinon des forces allemandes interviendront. - À partir de ce matin des opérations sont en cours à l'est d'Annemasse. Des opérations analogues suivront dans les régions d'EVIAN, BERNEX, et ABONDANCE, entièrement effectuées par la Milice. DE VAUGELAS compte avec une grande résistance. Il engage a cet effet les hommes de la Milice. devant arriver ces jours-ci. La répartition des lieux de stationnement de ces nouvelles forces de la Milice est la suivante : 350 hommes à Thonon, 700 hommes à Evian. Après la fin des opérations dans la région du Lac de Genève et à la frontière suisse, l'attaque du Plateau des Glières doit suivre vers la fin de la semaine. L'attaque doit avoir lieu avec 4 colonnes de combat, dont 3 de la Milice et 1 des G.M.R. Une colonne de combat de la Milice se compose de chasseurs de montagne, qui sont munis d'un équipement d'hiver et de vêtements de camouflage. - Hier matin 6 condamnés par le tribunal spécial de Thonon ont été fusillés par les G.M.R.

Objet : Vol de reconnaissance au-dessus du Plateau de Glières, avec participation du chef de la Milice, DE VAUGELAS.

Réf.: Communication téléphonique de ce jour du S S. Hauptsturmfuhrer GELS SLER avec le GREKO ANNECY, Melie DOLLE.

VAUGELAS me fait savoir qu'il ne pouvait aller à PARIS à cause d'une grande opération à peine commencée, car cela exigerait une absence de plusieurs jours. Prière de faire connaître si un atterrissage intermédiaire de l'avion de reconnaissance est possible à LYON pour embarquer là-bas.

VICHY demande réponse urgente - Télégramme urgent part Commissariat frontalier (Greko)

À PRÉSENTER DE TOUTE URGENCE.

Objet : ENTREPRISE LELONG.

Aujourd'hui une chaîne de trois machines a bombardé le Plateau des Glières de 13 heures 30 à 15 heures. Le résultat n'est pas encore connu. Le bombardement doit être poursuivi.

Commissariat frontalier (GREk0) ANNECY Signé : Dr. JEEWE. SS. Hauptsturmführer.

Objet : ENTREPRISE LELONG.

DE VAUGELAS vient de me faire savoir confidentiellement qu'il avait vu hier soir, par hasard, la copie d'une lettre de démission adressée par LELONG à DARNAND. VAUGELAS observe à ce sujet que /

1) Lelong n'avait pas été d'accord avec le bombardement du Plateau des Glières par des avions allemands et que?

2) La Milice exécutait des opérations à son compte sans en référer au préalable à LELONG. Par ailleurs l'attitude de LELONG ces derniers temps laissait prévoir qu'il n'était plus disposé à prendre des mesures énergiques en Haute-Savoie. Ceci a été également confirmé par le Commandant KNIPPING, le délégué spécial de DARNAND, qui est constamment à ses côtés, cés derniers temps.

Greko, Annecy.

À Chef de la police de sûreté et S.D. Lyon à l'attention du SS. Obersturmbannführer. Dr KNAB.

Objet : ENTREPRISE LELONG.

Les conditions atmosphériques et surtout les masses de neige énormes se trouvant sur et autour du Plateau des Glières, ne permettent pas pour l'instant une progression couronnée de succès des forces de police françaises engagées. Le Dimanche 12 Mars 1944, trois avions du groupe de l'école d'aviation de Dijon ont été mis en ligne. En tout, 110 bombes de 50 kgs furent lancées. On ne connaît pas le résultat jusqu'à présent. Nous n'avons reçu que des photos aériennes prises avant le bombardement. La photo aérienne donne un bel aperçu du Plateau de la région avoisinnante. 50 à 60 cantonnements sont repérés. Le plateau est accessible par 3 laies mon-tantes ; celles-ci sont bien défendues par les cernés au moyen d'armes automatiques installées dans les rochers. Les voies d'accès passent par des pentes rocheuses abruptes et présentent parfois une pente de 70 à 80 degrés. Ces défenses installées sont en mesure de repousser, à grande distance déjà, des troupes d'assaut assez fortes. L'engagement prévu d'unités allemandes ne peut être effectué pour l'instant, parce que les forces d'invasion des forces de police françaises engagées ne peuvent pénétrer à travers les masses de neige, même sous la protection d'un feu nourri. Une nouvelle chute de neige de 70 cms la nuit dernière, démontre l'instabilité de la situation météorologique de la région, surtout dans le massif montagneux autour du Plateau. Une attaque du Plateau est donc impossible pour le moment. Seul un engagement plus poussé de l'aviation avec objectif de briser et détruire tous les cantonnements sur le Plateau, a des chances de succès, parce que les forces A.S. cernées seront ainsi obligées de chercher d'autres cantonnements et de s'opposer nécessairement aux forces de barrage. L'aviation est constamment mise au courant de la situation météorologique. Les forces de police françaises, en particulier la Milice, sont occupées à d'autres opérations en Haute-Savoie, qui en partie se développent avec succès.
Signé : Dr. JEEWE

Urgent, à présenter immédiatement.

Objet : ACTION LELONG.

DE VAUGELAS me signale à l'instant que la lettre de démission de LELONG a été rejetée par DARNAND. À minuit DE VAUGELAS a reçu de LELONG l'ordre de rompre toutes les actions de la Milice et de relever avec toutes ses forces les unités de la Garde des G.M.R. et de la Gendarmerie qui encerclent le Plateau des Glières et de cerner le plateau avec ses seules forces de la Milice.

DARNAND et KNIPPING ne sont pas venus à Annecy, mais par contre se sont rendus à Paris. KNIPPING est attendu à. Annecy le 18 au soir, avec les 3 commandants en Chef de la Garde, G.M.R. et Gendarmerie. L'action de la Milice prévue pour ce matin, à laquelle les 2 correspondants de guerre devaient participer n'a pas eu lieu, car les terroristes avaient déjà quitté le camp.

Un homme de l'A.S. encerclée a quitté le plateau des Glières. Il rapporta que le bombardement de dimanche avait été presque sans résultat. Uniquement deux chalets ont été détruits, aucun tué, aucun blessé. Les encerclés du Plateau des Glières doivent se trouver, depuis la mort du Lieutenant MOREL, sous le commandement du Chef F.T.P. LAMOUILLE. D'autre part, il déclare que les cernés ont l'intention de quitter le plateau et de changer de camp.

Cet après-midi un appareil allemand a bombardé durant 1 h 30.

Au B.D.S. Paris à l'attention du SS Standartenführer et Colonel de la Police Dr. Knochen.

À Chef de la Police de Sûreté et S.D. Lyon à à l'attention du SS. Obersturmbannführer. Dr. KNAB.

Objet : ACTION EN HAUTE-SAVOIE.

Sous la direction du colonel SCHWER, une conférence a eu lieu cet après-midi, au sujet de l'action contre le Plateau des Glières. Une autre conférence aura lieu demain à AIx-LES-BAINS au sujet de l'engagement de l'aviation. Par la suite. KNIPPING et DE VAUGELAS de la Milice, étaient présents. Les points de barrage du Plateau ont été fixés avec eux. A partir d'aujourd'hui, 18 heures, la milice avec 2 escadrons de G.M.R. relèvera les forces de la Garde qui assuraient le barrage jusqu'à présent. L'action démarrera au plus tôt vendredi de la semaine prochaine. LELONG avait l'intention de faire l'opération à ANNEMASSE avec la Garde et les G.M.R. au lieu et place de la Milice, ce qui cependant a été refusé par KNIPPING.

Objet : OPÉRATION HAUTE-SAVOIE.

Aujourd'hui un Fieseler Storch a atterri à Annecy avec le Lieutenant GOETZ de l'École d'aviation de Dijon. Ensuite a eu lieu un entretien chez le Colonel SCHWER à AIX-LES-BAINS sur l'engagement de l'aviation au cours de l'opération. On demande d'urgence un Junker 88 appareil d'exploration avec outillage photographique pour donner une image exacte de la progression et des bases de départ. Demande à présenter cependant par le Commandant supérieur des Armées Sud à la Flotte aérienne. Les avions de combat sont avantageux pour l'engagement tactique à cause de leur armement plus fort et de leurs possibilités d'attaque au col. Le premier bombardement le 12-3 n'a pas eu de succès pour cette raison que le Heinkel n'est pas adapté comme avion de combat pour le bombardement de petits abris, mais seulement pour des missions opératoires. Au cours du premier bombardement, un avion a été atteint par des balles de mitrailleuse. Le radio a reçu une balle dans le gant. Lors du deuxième bombardement le 16-3 par un avion, différentes bombes ont été jetées dans un groupe d'objectifs (groupement de maisons), avec une bonne efficacité. On ignore si les terroristes ont subi des pertes.

Objet : OPÉRATION HAUTE-SAVOIE.

Aujourd'hui a eu lieu une reconnaissance détaillée autour du Plateau des Glières par le Général PFLAUM. A la reconnaissance ont pris part le Colonel SCHWER, les Chefs de Bataillon et quelques commandants de Compagnie des Bataillons de Chasseurs Alpins. Le Lieutenant Bock conduisit le Général PFLAUM avec l'Adjoint DE VAUGELAS, RAYBAU, dans le dispositif du barrage de la Milice. DE VAUGELAS, avait, après le retrait des forces de la Garde, et dans les plus courts délais, disposé ses forces sur les principales voies d'accès vers le Plateau, et exécuté déjà de précieuses recherches, et explorations du terrain à attaquer. Le Général PFLAUM s'exprima à ce sujet devant RAYBAU de la manière la plus reconnaissante.

À deux occasions, au cours de leurs reconnaissances, les forces de la Milice ont eu des engagements avec des groupes ennemis supérieurs en nombre. Du côté de l'ennemi il y eut au total 7 tués et plusieurs blessés. Il s'agit de membres de l'A.S. des cartes d'identité desquels il ressort sans discussion qu'ils appartenaient autrefois à l'Armée française. Milice aucune perte. Malgré les difficultés techniques de la Milice (en premier lieu armement et équipement insuffisants) ces éléments font preuve d'entrain dans l'engagement et d'un esprit combatif très élevé. Le Général PFLAUM, ainsi que tous les Officiers ayant pris part à la reconnaissance, se sont rendus compte des grosses difficultés de terrain qui attendent les troupes. Sans la protection d'armes lourdes, l'entreprises n'est pas possible, car l'ennemi a en sa possession les hauteurs dominantes et est en tout temps dans la situation de déceler tout mouvement de forces et de les troubler par l'action lointaine de ses armes automatiques, sinon de les repousser. Pour l'opération seront engagées 4 colonnes de chacune i bataillon, appuyées par 4 batteries d'artillerie, y compris une Section de mortiers de campagne. La milice tient actuellement les accès du Plateau Nord et du Nord-Ouest. Un groupe de combat de la Milice est prêt à l'attaque sur la côte 1600 par le Nord-Ouest avec l'appui de l'artillerie. Jusqu'à la préparation complète des groupes d'assaut probablement terminée vendredi, la Milice et nos propres patrouilles de combat exécutent des reconnaissances et pointes d'exploration contre le Plateau. Dans le courant de mercredi, le Colonel Schwer entreprendra une reconnaissance aérienne détaillée pour avoir une image exacte de la progression et des positions de départ. Le Général PFLAUM a accordé un appui des plus sérieux à la Milice. Début de l'attaque prévu pour le Samedi 25-3-44.

Objet : OPÉRATION HAUTE-SAVOIE

Lors d'une reconnaissance de la Milice, le 20-3-44 au soir, au Plateau des Glières, un combat eut lieu au cours duquel un G.M.R. déserteur en Février a été tué, et un garde également déserteur a été fait prisonnier. Celui-ci a donné sur les forces stationnées au Plateau les renseignements suivants : Sur le Plateau se trouvent 9oo hommes parmi lesquels 100 officiers. Parmi les 900 hommes se trouvent 200 Espagnols anciens membres de la Brigade Internationale sous les ordre du Capitaine Anthonioz. Le Commandement d'ensemble du Plateau appartient au Chef de Bataillon FAURE, alias VALETTE d'Osia, autrefois Commandant du 27e B.C.A. à Annecy. Il s'agit vraisemblablement du FAURE déjà arrêté le 15-9 par le S.D. d'Annemasse, qui, quelques jours après, s'est évadé au cours du transport entre Lyon et Dijon. Son remplaçant est un Capitaine PIERROT. Les 90o hommes sont répartis en 6 compagnies : 5 compagnies françaises de l'A.S. 1 compagnie espagnole, La discipline du camp doit être très bonne. - Les hommes sont conduits sévèrement. Alcool interdit. Outre l'armement normal en fusils-mitrailleur et mitrailleuses, chaque Compagnie est dotée de : 4 mitrailleuses anglaises ZWILLING sur affût, 4 lance-grenades anglais 2 mortiers français de 6o m/m, 2 mortiers français de 81 m/m, 1 canon de 37. L'uniforme de Chasseurs alpins est porté en majorité avec insigne tricolore, ainsi que la Croix de Lorraine. Différents membres de cette troupe portent aussi des tenues civiles ou l'uniforme kaki. Les espagnols portent exclusivement l'uniforme kaki. Deux médecins militaires sont à leur disposition. Toutes les maisons sont fortifiées et en partie restaurées avec du béton. De nombreux emplacements sont existants dans lesquels les armes automatiques ont été installées. Un poste émetteur et plusieurs postes optiques sont également existants. Les avants-postes sont dotés de sirènes à main avec lesquelles l'alarme est donnée en cas d'approche ennemi. La nuit, des artifices lumineux à trois feux blancs sont tirés. Jusqu'à présent, 800 cylindres de chacun 500 kilos ont été parachutés sur le Plateau.

Répartition de l'ennemi comme suit :

1) Direction USILLON, avant-poste de sûreté renforcé, poussé en direction de la vallée.

2) A S.R. Là se trouve la Compagnie espagnole. Ce sont de bons tireurs.

3) Direction Saint-Jean-de-Sixt : jusqu'à présent aucun résultat d'exploration.

4) Direction Notre-Dame des Neiges, dans le chalet Le FORT se trouvent 48 hommes. Ce point d'appui a été solidement étayé et partiellement doté d'annexes en béton. À Notre-Dame des Neiges même, se trouvent 50 hommes qui se tiennent dans les chalets bien fortifiés. Entre Notre-Dame et la Commanderie se trouvent également plusieurs chalets fortifiés occupés par 6 sections.

5) Les forces principales se trouvent dans les chalets de la Commanderie qui sont de construction solide et protégés par de nombreux travaux en béton.

Au sujet de ces informations, un entretien a eu lieu cet après-midi chez le Général PFLAUM à Grenoble avec le Lieutenant Bock et le Chef de la Milice DE VAUGELAS. En outre, au cours de l'après-midi, réunion au bureau d'ici avec le Capitaine aviateur BORCHERS en vue de l'emploi de l'aviation.

Objet : ACTION HAUTE-SAVOIE

Réf. : Entretien téléphonique du SS Obersturmbannfuhrer, Dr. Knab et SS Haupsturmfuhrer, Dr JEEWE du 22-3-44 au soir.

Selon vos indications, on a dû trouver, au cours de l'opération contre les A. S. à Grenoble, des pièces desquelles il ressort que les A.S. auraient demandé aux F.T.P. de venir au Plateau des Glières. Prière de me faire connaître la date de ces pièces encore aujourd'hui par télégramme. Selon les renseignements en ma possession, il ne se trouve que 150 espagnols rouges et 50 F.T.P. sous les ordres de LAMOUILLE, sur le Plateau, à part les 5 Compagnies A.S.

GREkO ANNECY
Signé : Dr. JEEWE

Objet : ACTION HAUTE-SAVOIE.

Cet après-midi visite du terrain autour du Plateau des Glières par le Général PFLAUM avec État-Major. En même temps visite des postes avancés de la Milice. Ensuite, discussion détaillée à notre bureau entre le Général PFLAUM avec son Etat-major et le Chef de Milice VAUGELAS avec son Etat-major au sujet de l'engagement de la Milice lors de l'attaque du Plateau. Il ressort de cet entretien qu'il a été affecté à la Milice un secteur de défense entre USSILLON et PETIT-BORNAND, au Nord-Ouest du Plateau, sous commandement indépendant. Le Général PFLAUM a montré la plus grande compréhension pour le côté politique, parce que la Milice et les troupes allemandes vont opérer ici, pour la première fois en France, ensemble contre des Français. Le P.C. de la Division se trouvera à Thônes, à partir du vendredi 24 Mars ; le P.C. de la Milice à Thorens. Depuis aujourd'hui, les troupes allemandes, 4 bataillons, montent en ligne dans leur secteur respectif. Le déploiement sera probablement terminé le Samedi 25 Mars. Le Général P. observa que cela représenterait une entreprise extrêmement difficile, nécessitant vraisemblablement un certain temps, en raison du terrain et de l'état des neiges ; qu'il n'était pas encore certain d'atteindre le but avec les forces à sa disposition ; qu'il voulait en tout cas obtenir du Commandant du territoire des Armées de la France méridionale qu'un appui aérien supplémentaire soit mis à sa disposition. Jusqu'à présent, il dispose de 4 FOCKE-WULF 190, comme avions de combat, et de quelques avions de combat H.E. III ; il croit avoir besoin d'un appui supplémentaire.

Objet : OPERATION HAUTE-SAVOIE.

Aujourd'hui a eu lieu un entretien avec DARNAND. Le Sous-Chef de la Division a été empêché pour raison de service d'y assister. La discussion portait sur l'engagement de la Milice lors de l'attaque générale du Plateau des Glières. Ainsi qu'il nous a été signalé la Milice a été chargée de barrer tout le secteur Nord-Ouest de Thorens au Petit-Bornand. La Milice manque cependant d'armes lourdes pour remplir sa tâche. Pour les lui procurer, le Général PFLAUM avait prévu la solution suivante :

1) Mise à la disposition d'armes lourdes et de munitions du côté allemand (Division).

2) En cas d'impossibilité du point 1, la Milice devait essayer de se procurer des armes lourdes auprès de la Garde.

3) En cas d'impossibilité du point 2, une Compagnie allemande avec armes lourdes devait être mise à la disposition du Chef de la Milice. - La Collaboration de la Milice avec la Wehrmacht allemande lors de l'opération étant d'une importance au point de vue politique, il était nécessaire d'en référer à DARNAND sur l'instigation du Chef de la Milice DE VAUGELAS. DARNAND déclara être toujours d'accord à ce que la Milice fasse cause commune avec la Wehrmacht allemande, et qu'il le désirait même. Il observa cependant que le Gouvernement français pouvait avoir des scrupules politiques à ce sujet. Il serait donc à recommander que les forces françaises lors de l'opération contre le Plateau, soient seules responsables de leur secteur, mais subordonnées naturellement au Général PFLAUM commandant en chef en ce qui concerne l'opération générale.

Dans ce cas, le Chef de Milice DE VAUGELAS aurait des Gardes et des G.M.R. avec armes lourdes à sa disposition pour son secteur. Il ne sera décidé que dans la soirée du 25, lors d'une entrevue du Général PFLAUM et de DARNAND, au service local, si le Général PFLAUM est d'accord avec l'engagement de la Garde. Je vous prie cependant de me répondre par radio si l'engagement de la Garde dans le cadre de l'opération est souhaitable. L'attention est attirée sur le fait que selon l'avis du Général PFLAUM et de ses Officiers, il faut absolument admettre la possibilité pour les forces A.S. cernées de se replier sur le secteur de la Milice. DARNAND visitera la région de l'opération le 25 mars : le lieutenant Bock et le SS. Hauptsurmführer JEEWE l'accompagneront. DARNAND a l'intention de rester ici pendant toute l'opération.

GREKO, ANNECY

Objet : DÉTACHEMENTS DE CHASSE POUR OPÉRATIONS PLATEAU DE GLIÈRES.

J'estime qu'il est impossible et peu avisé au point de vue politique d'adjoindre un détachement de chasse allemand à la Milice pour son secteur. DARNAND protestera énergiquement. Il ressort même de sa déclaration momentanée (DARNAND se trouve actuellement avec le Général PFLAUM chez moi) qu'il revendique tous les prisonniers pour la Milice. Prière de faire résoudre cette question de suite par le SS Gruppenführer OBERG, parce que DARNAND revient constamment sur cette question, auprès du Général PFLAUM et y insiste manifestement. Par ailleurs, il faut que les détachements de chasse détachés auprès de la Wehrmacht allemande soient des alpinistes éprouvés, dans le cas contraire, le commando de chasse étant inutile.

Objet : ACTION EN HAUTE-SAVOIE.

À la suite d'une tournée d'inspection avec DARNAND à Thorens et au PETIT-BORNAND, une conférence eut lieu dans les locaux de mon service entre le Général PFLAUM et DARNAND. Il fut d'abord décidé que les forces de la Milice sous le commandement de DE VAUGELAS, auraient pour mission la sécurité du combat et le barrage du secteur Petit-Bomand, Thorens, Villaz, Dingy. DE VAUGELAS veut occuper la première ligne exclusivement avec de la Milice : en deuxième ligne seront placés les trois escadrons de G.M.R. avec armes lourdes qui lui ont été mises à disposition par DARNAND. Le Général PFLAUM était complètement d'accord. DE VAUGELAS aura également sous ses ordres une compagnie de grenadiers de la Wehrmacht comprenant deux sections. DARNAND était d'accord. DARNAND demande que du point de vue politique et dans l'intérêt de la collaboration franco-allemande, tous les prisonniers soient mis entre les mains des autorités françaises. Le Gouvernement français ne peut admettre que les prisonniers éventuels faits au cours d'une action commune accomplie par des forces françaises et allemandes, contre des Français, ne lui soient pas livrées, déjà par égard à l'opinion publique en France, ainsi qu'à l'étranger et pour sauvegarder l'honneur national. Après l'entretien avec DARNAND, le Général PFLAUM croit qu'il est utile de céder sur ce point au desiderata français, et il a dépêché ce soir, un courrier au commandant militaire de la zone sud, pour obtenir des éclaircissements immédiats. Quant au butin global, DARNAND a exprimé le désir qu'une partie du butin soit remise aux forces françaises. de Police l'action une fois terminée. DARNAND a proposé de faire jeter des tracts au-dessus du Plateau des Glières, à un moment tactique à fixer par la Division. Les tracts doivent faire état des points suivants dont voici le sens :  Français, vous êtes cernés par de puissantes forces allemandes et françaises. La situation est sans issue. Rendez-vous. Vous ne serez pas traduits devant les Tribunaux allemands, mais jugés par des Français. Si vous ne donnez pas suite dans les 24 heures à cet appel, vous serez sûrement détruits... DARNAND désirerait faire rédiger cet appel par des Français et le signer lui-même. Le moment du lancement des tracts par des avions mis à la disposition par la Division est laissé à la discrétion après le début des opérations contre le Plateau des Glières. Je vous prie de vous mettre en relation avec le Commandant militaire de la zone Sud pour éclaircir ces points. Pour les raisons indiquées ci-dessus, je ne juge pas nécessaire d'adjoindre à la Milice un Kommando de chasse allemand. Avec l'aide des hommes de l'intendant de Police DETTMAR, la Milice peut procéder elle-même aux interrogatoires. Je propose donc que les commandos de chasse allemands soient répartis sur les 3 Batl. d'attaque, dont 1 parle français. J'ai déjà causé en ce sens avec le Général PFLAUM. Il attend ma décision définitive pour le 26-3-44 à 16 heures. Etant donné que je ne possède pour les commandos de chasse qu'un seul homme parlant français, je vous prie de mettre à ma disposition, au moins deux autres hommes parlant français. Il faut qu'ils soient en possession d'un équipement de montagne, étant donné qu'ils marchent avec la troupe et doivent faire des ascensions jusqu'à 2.000. En ce qui concerne votre télégramme reçu à l'instant N°4449 du 25-3-44, je vous expose officiellement ce qui suit :

1) À la suite de ma tournée d'inspection avec Darnand et le Général PFLAUM dont je suis revenu à 16 heures - J'ai omis de donner l'ordre que les télégrammes concernant l'action en Haute-Savoie, ne devaient pas être transmis comme d'ordinaire, au B.D.S. et au Commandant de Lyon. Secrétaire et télégraphiste ont passé les messages aux deux services, selon mes instructions précédentes.

2) Dans ce télégramme je supposais n'exprimer que ma propre opinion et si le ton n'a pas été conforme à la règle, je le regrette beaucoup et vous prie de m'en excuser étant donné qu'il n'entre pas dans mon intention de ne pas tenir compte des rapports avec mon service hiérarchique. D'ailleurs, je me permets de faire remarquer, qu'étant donné ma connaissance exacte des préparatifs actuels, - j'ai assisté à toutes lés conférences, j'étais en droit de penser qu'il m'était permis de donner mon opinion quant à la mise en place du commando de chasse. D'autre part, lors de la dernière entrevue à Paris, le SS. Gruppenführer OBERG m'a donné à moi, ainsi qu'au lieutenant Bock, pouvoir de faire part de mes opinions sur tout ce qui avait trait au nettoyage du département de la Haute-Savoie. Cette autorisation, ne m'a pas encore été retirée, à ce que je sache.... (fin manque).

Objet : ACTION EN HAUTE-SAVOIE.

Pour des raisons particulières, la fin des préparatifs prévue pour ce jour a été retardée de 24 heures, étant donné que le transport d'un groupe de combat a été accidenté près de St- Jean-de-Maurienne, à la suite d'une explosion de la voie ferrée. La mise en place sera terminée Dimanche ou Lundi. Le début de l'attaque dépend encore des missions de reconnaissance. L'action ne sera déclanchée probablement que le Mardi 28-3. L'attaque sera menée par trois groupes de combat, en réserve 1 Bataillon. L'attaque sera soutenue par deux batteries de canons de montagne et une section de mortier lourd de 15 ces. De plus 1 Bataillon de D.C.A. sera chargé d'opérations de sécurité dans toute la région. De plus, il y aura au Nord-Ouest pour barrer le terrain, 800 hommes de la Milice, plus une compagnie de Grenadiers de la Wehrmacht, avec des armes lourdes et en deuxième lieu 400 hommes des forces de police. Selon les circonstances, l'attaque sera soutenue par une escadrille d'aviation de combat avec couverture de chasseurs, Jusqu'ici, le groupe de combat 1/98 a exécuté des missions de reconnaissance fructueuses et est en possession de bonnes bases de départ.

Note pour le Commandant de la Police de Sécurité et du S.D. Lyon : Deux déserteurs sont interrogés actuellement par mon service. Le résultat sera transmis de suite par télégramme. DE VAUGELAS rapporte que dans son secteur, il a fait également prisonnier cinq déserteurs du Plateau des Glières. Ces dépositions seront également transmises dès que possible par télégramme.

Objet : ACTION EN HAUTE-SAVOIE.

Comme suite à mon télégramme d'aujourd'hui No 250, je vous transmets un compte-rendu des dépositions faites par les deux déserteurs du Plateau des Glières. Selon ces indications, l'effectif serait d'environ 800 hommes, membres des F.T.P. environ 100 qui ont été rattachés à l'A.S. ainsi que les 55 espagnols rouges. Tous sont répartis par section de 45 hommes. VALETTE d'OSIA ne doit plus se trouver sur le Plateau, soit-disant mort. Un certain PIERROT détient le commandement. Les officiers suivants sont encore là : JOUBERT, JoucLAS, FAURE (qui n'est pas identique avec VALETTE d'OSIA, IMBERT, FAVRE, BARRAT). Les civils sont quelques familles avec enfants. Parmi ces 800 hommes, environ 200 appartiennent à l'ancienne armée française, 70 G.M.R. déserteurs. Tous les chalet ; ne sont pas fortifiés. Armement très bon. Il doit y avoir des armes pour doter 3.000 hommes, donc pour deux hommes : 1 F.M. léger et 2 fusils, mais il n'y aurait que 4 mitrailleuses lourdes et 4 lance-grenades. De plus, trois à quatre pistolets-mitrailleurs anglais pour chaque homme, aucun canon. Il ne doit pas s'y trouver d'émetteur, la liaison se fait par courrier avec Lyon où l'émetteur doit être installé. Lors du dernier bombardement par avions allemands, il y a eu 1 tué, 1 blessé et 1 chalet détruit. Le, ravitaillement est des plus précaire. On attend avec impatience une aide d'Angleterre. Selon ces dires, l'Angleterre a l'intention de parachuter des canons de D.C.A. avec leurs servants, ainsi que 300 parachutistes canadiens. Ces deux derniers mois, il y a eu 400 parachutages de 300 kilos chacun. Le moral de la troupe semble bon. On croit que personne ne se rendra. D'ailleurs les deux hommes donnent des indications très précises sur la répartition des forces et de l'armement pour autant qu'elle leur soit connue. Les points sont indiqués exactement sur la carte. Je présenterai cette documentation demain à l'occasion de la conférence avec le Général.

Comme suite à mes télégrammes de ce jour n° 250 et 252, je vous communique ci-après les dépositions que les 5 G.M.R. déserteurs du Plateau des Glières ont fait à la Milice : les dépositions des 5 G.M.R. concordent en ce qui concerne l'essentiel avec les déclarations des 2 autres G.M.R. déserteurs, dont parle mon télégramme N° 252. Sont identiques notamment les déclarations concernant les effectifs, l'armement, la répartition des forces, le ravitaillement, les commandants des forces de l'A.S. et l'excellent esprit de combat. Ils confirment de même la présence de certains civils. La seule contradiction importante dans les déclarations est la suivante : les G.M.R. affirment qu'on leur a dit que certains terrains d'accès étaient défendus par des champs de mines.

Objet : ACTION EN HAUTE-SAVOIE.

Par communication téléphonique, le remplaçant du Général Commandant militaire de la zone Sud, priait de lui transmettre immédiatement le texte du tract que les avions allemands doivent lancer au-dessus du Plateau des Glières. DARNAND et DE VAUGELAS rédigèrent ce texte qui est présenté ci-après dans sa teneur original. Prière de transmettre ce texte au Général NIEHOFF, Commandant militaire du territoire de la zone Sud, le 26-3-44 avant midi. Texte : VOTRE SITUATION EST SANS ISSUE. CEUX D'ENTRE VOUS QUI NE SE SONT PAS LIVRÉS À DES ACTES DE BANDITISME NE SERONT PAS CONSIDÉRÉS COMME DES TERRORISTES, MAIS COMME DES COMPATRIOTES ÉGARÉS PAR UNE PROPAGANDE MENSONGÈRE. À CEUX LA, LA LOI FRANÇAISE SERA APPLIQUÉE AVEC LA PLUS GRANDE COMPRÉHENSION. - FRANÇAIS RENTREZ DANS LA LEGALITÉ DÉPOSEZ VOS ARMES SUR PLACE. REJOIGNEZ IMMÉDIATEMENT VOS VALLÉES.

GREKO ANNECY

Objet : ACTION CONTRE LE PLATEAU DES GLIÈRES.

Au cours d'un entretien avec le Général NIEHOFF et le Lieutenant Général PFLAUM, la mise en place des forces de police de sécurité a été réglée comme suite à l'ordre du 23-3, ainsi qu'il suit ; La Wehrmacht attaquera avec trois bataillons. Les bataillons ont lés bases de départ suivantes :

a) THUY (Capitaine STOECKEL).

b) ENTREMONT (Capitaine SCHNEIDER.)

C) PETIT-BIRNANT) (Capitaine GELER). - Les P.C. du régiment et celui du Lieutenant Général PFLAUM se trouveront à THONES. La Milice couvrira par le Nord avec point d'appui à THORENS. En complément de l'ordre du 25-3-44, les forces de police de sécurité seront réparties comme suit :

a) Au Bataillon STOECKEL seront adjoints : SS Hauptsturmführer Drr JEEWE avec le SS Hauptscharführer FROM Es et SS Oberscharführer ABT.

b) Au batl. Schneider seront adjoints : SS Obersturmführer WANNEMACHER, SS Sturmcharführer HEESCH, SS Unterscharführer LUETTKE et un policier auxiliaire.

c) Au Bataillon GELER seront adjoints SS Sturmscharführer BALDEWEG, SS Sturmscharführer NowAx et SS Scharführer KUHN. Le Lieutenant Bock sera officier de liaison auprès de la Milice, ayant comme adjoint le SS Sturmscharführer BECKER. Les chefs des détachements de police de sécurité et du S.D. sont responsables des missions de sécurité leur incombant durant l'engagement. Ils veilleront particulièrement à la mise à l'abri du matériel de documentation et à l'interrogatoire des prisonniers éventuels. Il y aura lieu de procéder avant tout à la reconnaissance des points fortifiés, afin de faciliter la tâche de la troupe. Les captifs seront internés dans des prisons provisoires à installer par les Chefs de Bataillons. Le centre de ramassage des prisonniers se trouvera au Commissariat frontalier (GREKO) Annecy. Les rapports relatifs à l'action sont à me remettre au P.C. du régiment. Le Lieutenant Bock me transmettra les rapports destinés au Commandant supérieur des SS et de la Police. Le Général de Division NIEHOFF et le Général de Division PFLAUM ont décidé d'engager la Division PFLAUM dans d'autres opérations, telles que l'action FRUHLING et ensuite l'action BERGEN à la suite de l'engagement contre le Plateau des Glières. L'action contre le Plateau des Glières doit débuter mardi le 28-3-44.

Le Commandant de la Police de Sécurité et des S.D. actuellement à Annecy. Signé : Dr. KNAB.

Objet : OPERATION GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

Le Chef de la Milice française DE VAUGELAS communique qu'un groupe de la Milice avait reçu l'ordre de prendre la côte 1491 à 2 km. d'USILLON. Déjà pendant la marche d'approche, elle fut attaquée avec des lance-grenades. Du côté de la Milice, 2 morts, 2 blessés, 4 disparus. On ignore jusqu'à présent les pertes adverses.

Le Chef de la police de sûreté et du S.D. Lyon
actuellement GREKO ANNECY

Signé : Dr. KNAB. Obersturmbannführer.

Objet : OPERATION GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

La troupe a observé que des terroristes tentent de quitter le Plateau et de passer à travers. À la suite de ces renseignements, le Général PFLAUM vient d'ordonner de commencer l'attaque qui ne devait débuter que mardi matin 28 Mars. Les formations allemandes attaquent en 3 colonnes.

Le Chef de la police de Sûreté et du S.D. Lyon
actuellement à Annecy.

Signé : Dr. KNAB.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

Ainsi qu'il a déjà été signalé, l'opération a démarré aujourd'hui prématurément. Le démarrage prématuré a eu lieu ainsi qu'il a été constaté lors d'un entretien personnel avec le Général PFLAUM, à la suite d'une décision du Colonel SCHWER, Commandant un Régiment sans que celui-ci en ait référé au Général PFLAUM et sans que la Milice en ait été avertie. Les bataillons étaient déjà en route depuis 2 heures au moment où la police de Sûreté et le S.D. en ont été informés. Le Colonel SCHWER a été amené à prendre cette décision lorsqu'il a été en possession de renseignements sûrs disant que les terroristes avaient reçu l'ordre de quitter le Plateau isolément. Prière de ne rien entreprendre par suite du démarrage prématuré, parce qu'il ne semble pas que des inconvénients en soient résultés. Il ressort des dépositions de terroristes faits prisonniers, qu'en raison du feu d'artillerie du 26 Mars et de l'attaque d'une section d'assaut allemande le même jour, ceux-ci étaient d'avis que l'attaque générale était déjà déclenchée et avaient donné ordre de décrocher dans la nuit du 26 au 27 à 24 heures en direction de Champ Laitier et de se frayer un passage isolément. Ils devaient emporter leurs pistolets automatiques et le plus de vivres possibles. Une partie des terroristes s'est enfuie dans une autre direction. Peu d'arrestations jusqu'à présent. L'ennemi n'opposa aucune résistance aujourd'hui quoique les pointes d'attaque eussent déjà été avancées en partie aux entrées du Plateau. La plupart menacent de s'échapper puisqu'un barrage hermétique n'est pas possible, en raison des conditions du terrain. 40 G.M.R. détenus ont été envoyés en rangs serrés vers la vallée par les terroristes, de même que 10 policiers d'Etat qui avaient été faits prisonniers. Ils ont été arrêtés par la Wehrmacht. Comme il s'agit de membres de la Police, ils doivent être remis à la Milice. Les chefs ont dû quitter le Plateau les lors. 3 membres de l'Armée allemande qui avaient été enlevés doivent se trouver encore au Plateau. 1 terroriste prisonnier a déclaré qu'au cours des deux derniers mois il y a eu trois parachutages anglais. La première fois ont été parachutés 65 cylindres contenant armes et matériel, la seconde fois 15 avions auraient parachuté pendant 2 heures 1/2. Les terroristes rejettent la faute des attentats sur les F.T.P. ; aucun ne veut faire partie des F.T.P. Il a été ordonné à la Milice et à la Police française de resserrer le contrôle le long de la ligne de barrage et dans les localités avoisinantes ; et de rechercher les terroristes dispersés. Les maires doivent être rendus responsables de la déclaration immédiate des étrangers à la localité. DE VAUGELAS a déclaré qu'il traduira les policiers qui ont passé aux terroristes ou se sont faits prendre facilement devant le Tribunal Militaire. Par ailleurs, il est d'avis de n'exécuter que les terroristes qui étaient Chefs ou faisaient partie des F.T.P. Il lui fut répondu que cette manière de voir était trop douce, parce que des membres de la Milice également sont menacés directement par des terroristes de toute nuances. Si les terroristes ne sont pas punis, ou intimidés, la terreur ne pourra être brisée. Des détachements de chasse du service de sûreté ont reçu l'ordre de rechercher les complices des terroristes dans les localités à la suite des dépositions de ces derniers et de leur demander des comptes. Conformément aux instructions, le Général NIEHOFF a été informé.

La Chef de la Police de Sûreté et du S.D. Lyon
actuellement à Annecy.

Objet : RECHERCHE DE TERRORISTES EN FUITE.

Lors de l'opération contre le Plateau des Glières, Haute-Savoie, environ 400 terroristes ont pris la fuite. Une grande partie tentera de rentrer dans les localités d'où ils sont originaires. Faire des recherches. Signe de reconnaissance : bruns foncé, brûlés par le soleil, vêtements civils en partie gilets du maquis.

Le Chef de la Police de Sûreté et du S.D. Lyon actuellement à Annecy.

URGENT

Section 1. a - La division signale : La totalité du Plateau des Glières a été occupée le 28 mars 1944 à 15 heures.

2. Des dépositions de prisonniers nous ont fait savoir que les localités de LA CLUSAZ, MANIGOD, MONTREMONT et LE BOUCHET ont été désignées comme lieu de rassemblement pour les maquis ayant rompu le barrage. L'occupation de ces localités par des détachements volants est en cours.

3) L'engagement des troupes se trouvant sur le Plateau aura lieu le 29-3-1944 aux fins de peignage de nombreux ravins et de collectes d'armes et munitions restées sur place.

4) Propres pertes Le 28-3-1944 : 2 sous-offciers et 2 hommes fort accidentés. Pertes ennemies depuis le début de l'opération : morts : 35 maquis ; prisonniers 88 maquis.

5) Butin : des quantités assez grandes de fusils pistolets automatiques, révolvers à barillet et munitions. Le nombre exact n'est pas encore connu.

Objet : OPERATIONS PLATEAU DES GLIÈRES,

HAUTE-SAVOIE.

Tout le Plateau occupé par nos forces. Pas de résistance ennemie. Seulement engagement à MONTREMONT entre terroristes et la troupe chargée de barrer les routes. Un ennemi tué, 6 prisonniers. 400 à 800 terroristes se trouvaient sur le plateau dont environ 400 se sont enfuis pendant que le reste rôde encore dans la région voisine. La troupe pourchasse et fait nécessaire pour rechercher les fugitifs dans toute la France. Les terroristes ont abandonné la presque totalité des armes. Des quantités particulièrement grandes d'armes et de munitions ainsi que du matériel sabotage ont été prises. Dénombrement pas achevé. Aujourd'hui 20 à 30 prisonniers. Les terroristes cantonnaient dans plus de zoo chalets. La troupe a reçu l'ordre de détruire tous les cantonnements. Les quelques familles de cultivateurs qui s'y trouvent encore seront évacuées. Les terroristes possédaient un émetteur qui n'a pas été trouvé. Ils avaient encore eu le temps d'évacuer leur siège d'état-major. Le dépôt au siège de l'état-major était gazé au moyen de gaz lacrymogène. A d'autres endroits, un matériel d'adresses important et des photos ont été saisis. De plus, des bovins en nombre moyen ont été capturés Un récepteur de poche a été trouvé. J'ai répondu négativement à la demande du Général MICHOFF Si je désirais l'installation d'un Tribunal Militaire.

Secret.

La division signale :

1) Le Plateau a été peigné le 29 Mars 1944 dans sa partie Est. On a rassemblé des armes et des munitions et détruit des cantonnements et des camps.

2) Les troupes se trouvant sur le Plateau seront engagées le 30 mars pour peigner la partie Ouest du Plateau et les versants Ouest.

3) Les localités nommées dans le rapport du 28-3-1944 al. 2 ont été occupées et 6 prisonniers ont été faits.

4) Le nombre total des prisonniers faits à ce jour s'élève à 183.

5) Le butin fait jusqu'à présent se compose comme suit : 87 mitraillettes, 731 pistolets automatiques, 622 fusils, 160 révolvers, 2 fusils anti-chars.

6) Propres pertes : Le 29-3-44 néant. Pertes ennemies depuis le début de l'opération : 39 morts.

Urgent.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

Opération au Plateau des Glières terminée. La troupe explore encore les régions voisines. La police de sûreté et le service de Sûreté (détachement de Chasse) recherchent également encore les terroristes en fuite et leurs complices. La milice est encore engagée pareillement. Selon les renseignements reçus jusqu'à présent, le résultat total de l'opération est le suivant :

a) ennemis morts :39 dont 10 tués par la Milice). b) prisonniers : 183 (dont 54 G.M.R. et 85 faits prisonniers par la Milice).

c) armes : 87 mitraillettes, 622 fusils, 731 pistolets automatiques, 160 révolvers à barillet,

2 panzerbuchsen (carabines anti-chars). Les munitions et les grenades à main n'ont pas encore été dénombrées. Les terroristes

avaient fait sauter avant leur départ, avec beaucoup de succès, un dépôt d'armes d'une certaine importance. La milice prétend n'avoir pris que peu d'armes comme butin. Parmi les prisonniers de la Milice se trouve le chef de groupe F.T.P. du Plateau, un Adjudant du 27 Bataillon de Chasseurs Alpins d'Annecy, en plus le neveu du Colonel Chapuis (du cabinet du Maréchal), De plus, la Milice aussi bien que les forces allemandes ont capturé quelques espagnols rouges. Parmi les ennemis tués par la Milice se trouve un Lieutenant de la Brigade rouge internationale ainsi qu'un Lieutenant du 270 Bataillon de Chasseurs Alpins d'Annecy. Parmi les prisonniers faits par les Allemands se trouve le Lieutenant BASTIAN, alias BARRAT, le dernier Commandant du Plateau. Un rapport spécial vous sera adressé au sujet de son interrogatoire. Il ressort de dépositions de terroristes, qu'ils avaient l'ordre de quitter le Plateau pour se rassembler dans leurs camps primitifs. Appréciation d'ensemble : l'opération était prévue comme opération militaire parce qu'on supposait que les terroristes allaient défendre le Plateau. Comme aucune résistance n'a été opposée, on n'a pas obtenu le résultat espéré au point de vue nombre de prisonniers et tués. Par contre il semble que la plus grande partie du stock d'armes a été prise et que les réserves de vivres ont été gaspillées ou perdues autrement. Il est d'une importance particulière que le Plateau ne pourra plus servir de base pendant longtemps et que le fief du terrorisme en Haute-Savoie a perdu son prestige. Au cours de cette opération, il a été observé également que les terroristes portent souvent des uniformes des Chantiers de Jeunesse. C'est pourquoi je réitère ma proposition d'interdire le port de l'uniforme des Chantiers en public.

Objet : ALLOCUTION RADIOPHONIQUE DE HENRIOT AU SUJET DE L'OPÉRATION EN HAUTE-SAVOIE.

La causerie radiophonique de HENRIOT du 29-3 au sujet de l'opération Glières n'a pas pu être empêchée parce qu'il avait été avisé trop tard de l'opposition allemande. Etais ce soir avec HENRIOT et DARNAND. Conformément aux instructions j'en ai informé HENRIOT qui déclara qu'à l'avenir, naturellement il ne fera plus mention d'opérations de police sans l'accord du Chef de Groupe. Mais il lui semblerait sage au point de vue politique, de pouvoir être autorisé à présenter, à la population d'une façon tout à fait générale et à titre de propagande, des événements en rapport avec la lutte contre l'ennemi. Par ailleurs, pour des raisons techniques, il pouvait difficilement présenter au préalable les textes de ses conférences radiophoniques, parce qu'il les rédigeait régulièrement quelques minutes seulement avant l'exposé. DARNAND a l'intention de revenir sur la question lors de sa prochaine rencontre avec le Chef de Groupe dans un à deux jours.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES

HAUTE-SAVOIE.

D'après les renseignements qui sont parvenus à la Division jusqu'à 17 heures, le bilan total s'est augmenté comme suit :

a) Tués ennemis : 41.

b) Prisonniers : 227.

c) Armes : 87 mitraillettes, une mitrailleuse, 1 lance-grenades, 2 fusils anti-chars, 1011 pistolets mitrailleurs, 662 fusils, 160 révolvers à barillet, 300 grenades à main, 130.000 cartouches, 100 kilos d'explosifs, une caisse de matériel de pionnier. À cette occasion, il faut considérer que le plus grand dépôt d'armes et de munitions a sauté le jour avant l'occupation du Plateau, et ceci non pas comme il avait été annoncé primitivement, par les terroristes eux-mêmes, mais bien à la suite des coups tirés par les armes de bord de l'aviation. À l'aide des aveux de prisonniers terroristes toute une chaîne d'auxiliaires importants dans les villages de la vallée est connue. Les opérations contre eux sont en cours, l'arrestation signalée hier du Lieutenant BARRAT est particulièrement intéressante pour les renseignements ultérieurs, quoiqu'après la mort de Morel, il n'ait été que passagèrement chef du camp, ainsi qu'on a pu l'apprendre entre temps et relevé ensuite par le Capitaine PIERROT. Toutefois, il tenait dans ses mains l'organisation entière et le ravitaillement. C'est pour cela qu'il connaît les auxiliaires dans la vallée et spécialement à Annecy. Son interrogatoire est en cours. On a trouvé sur lui 170.000 francs. Il était muni de papiers réglementaires et avait déjà passé deux patrouilles de Milice avec succès. Grâce à leur circonspection quelques soldats allemands, ont réussi à le capturer. En ce qui concerne la situation sur le Plateau il est significatif que même après son encerclement par les forces de LELONG, et jusqu'à l'arrivée des troupes allemandes, le ravitaillement était monté couramment en grandes quantités depuis les villages de la vallée. Le transport s'effectuait là où la Garde avait la surveillance des barrages. J'espère, avec l'aide de BARRAT, trouver les Officiers de la Garde responsables. Un G.M.R. prisonnier a déclaré qu'à l'enterrement du Lieutenant MOREL, les parents d'Annecy et un prêtre étaient présents. Ils auraient eu l'autorisation de la Milice. Lorsque j'en ai parlé hier à DARNAND, il déclara que ceci avait été une faute grossière, non pas de la Milice mais de LELONG. En outre, LELONG aurait conduit des négociations au sujet des soins médicaux des terroristes. DARNAND l'a réprimandé très violemment à ce sujet. Il paraît cependant que LELONG aurait changé profondément d'opinion sur l'A.S. depuis l'arrestation de types de bandits. LELONG a déclaré aujourd'hui au nom de DARNAND qu'il aurait reçu l'ordre de DARNAND de trier les terroristes qui doivent être traduits devant la Cour Martiale. Il veut mettre les autres à la disposition du Travail Obligatoire pour qu'ils soient emmenés en Allemagne. Je propose d'accepter ce règlement. Mais je voudrais préciser à LELONG qu'il ne traduise devant la Cour Martiale que ceux des terroristes pour lesquels on doit s'attendre à la peine de mort. Autrement il vaudrait mieux que ce soit nous qui recevions des prisonniers. Les prisonniers seront ensuite envoyés immédiatement d'ici au B.D.S. (délégué de la Sûreté) avec demande d'arrêt échelon III, LELONG pouvant alors croire qu'ils sont emmenés pour le service du travail.

Le Commandant de la Police de Sûreté et du S.D. Lyon actuellement à Annecy.

Objet : TRANSPORT DE DÉTENUS. PRECEDENT : zoo.

Le 2-4-1944, les détenus se trouvant à la prison d'ici, au nombre de 140 environ et qui sont destinés à un camp de concentration, serpnt dirigés sur le camp de Compiègne. Je vous prie de m'attribuer par retour un numéro de transport.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES

HAUTE-SAVOIE.

Au cours de l'opération contre le Plateau des Glières, le ressortissant français ÉCHASSON Roger, né le 11-2-1921 a été capturé.

Sa femme se trouve actuellement chez ses parents à St-HEYAND-sur LOIRE. Je vous prie d'arrêter sa femme immédiatement et de la transférer ici. Veuillez me prévenir de l'arrestation par message. Il y aurait lieu de déclarer aux grands-parents que l'arrestation de la femme n'a lieu que pour une courte durée pour des raisons de sécurité.

Objet: OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

D'après les listes trouvées, il y aurait un certain terroriste BEGES sur le Plateau des Glières. D'après les déclarations d'un autre terroriste, ses parents habitent à Lyon où ils ont une fabrique de valises et maroquinerie. Je vous prie d'arrêter les parents et de les interroger sur le séjour de leurs fils. Veuillez me donner connaissance de l'arrestation par message.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

D'après les listes trouvées, il y avait parmi les terroristes sur le Plateau un certain LAN. D'après les déclarations d'un autre terroriste, ses parents habitent à la CIOTAT, près Marseille. Ils exploitent un débit de tabac là-bas. Lui-même était dessinateur au Chantier naval de Marseille. Je vous prie d'arrêter les parents et de les interroger sur le séjour de leur fils. Veuillez me donner connaissance de l'arrestation par message.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

J'étais seulement d'accord avec la proposition de LELONG relative au traitement des détenus français, parce que l'arrangement considéré a l'avantage qu'en fin de compte tous les terroristes paient leur conduite par la mort. Si toutefois ils sont tous amenés devant la Cour Martiale, il y a danger du fait de la situation ici, que la plupart s'en tirent avec la détention ou même avec la mise en liberté. Même un homme comme DE VAUGELAS qui est très dur dans ses façons de voir, a déclaré que l'on ne pouvait pas tous les fusiller, pour cela, je dois proposer que les prisonniers ne soient traduits par DARNAND devant la Cour Martiale, que si DARNAND fait le nécessaire pour qu'ils soient réellement condamnés à mort. Je vous prie de me faire connaître votre décision si possible encore aujourd'hui dans la soirée, car le cas échéant, je dois rompre définitivement les débats de transport et de prise en charge engagés. Les parents de MOREL et l'ecclésiastique qui a assisté à son enterrement n'ont pas encore pu être saisis. Par contre, le prêtre du Petit-Bornand a été arrêté parce qu'il a été maintes fois sur le Plateau, assistait les terroristes et dans un cas à participé à l'enterrement d'un terroriste tué.

Le Commandeur de la Police de Sûreté (Sipo) et du S.D. Lyon actuellement au Commissariat
frontalier GREKO ANNECY

Objet : ACTION SUR LE PLATEAU DES GLIÈRES.

Le résultat total s'augmente des chiffres suivants :

a) Ennemis tués : 8.

b) Prisonniers : 10.

c) armes : 35 mitrailleuses légères, 1 lance-grenades, 100 fusils, 3.000 chargeurs de mitrailleuses et autres munitions.

Nos pertes : 1 blessé. La Milice a eu 2 tués et 4 blessés (les pertes sont du premier jour de l'action) Confiscation d'un récepteur de poche. Les ennemis tués tombèrent devant nous à l'exception de 16 devant la ligne tenue par la Milice. 1 terroriste prisonnier, Sous-Officier du 27 B.C.A. fit une déposition complète. Il déclara avoir été embrigadé de force par les terroristes qui lui montrèrent un ordre du Gouvernement d'Alger, selon lequel les anciens soldats seront considérés déserteurs s'ils ne rallient pas l'A.S. Le responsable du ravitaillement serait GABRION, chef départemental du Ravitaillement d'Annecy. La solde serait payée par le Capitaine PONARD qui aurait également charge du règlement des autres dépenses matérielles. PONARD est le Chef du Centre d'Accueil des Prisonniers de Guerre. Ces aides seront arrêtés. - Le moral des terroristes au Plateau des Glières a été brisé par le feu des armes de bord de l'aviation. En ce qui concerne l'attitude de la Garde qui tolérait des livraisons de ravitaillement aux terroristes, j'ai écrit à LELONG en le priant de faire arrêter les Officiers et de les faire comparaître devant la Cour Martiale. Il s'agit des Officiers des unités de la Garde qui étaient mis en place au Petit-Bornand, depuis l'encerclement du Plateau. La Milice a arrêté un aide qui faisait la liaison entre les terroristes et la Suisse. Il sera transféré au Commissariat frontalier GREXO les cantonnements des terroristes et de leurs aides seront tous incendiés.

Le Commandant de la Police de Sûreté et du S.Y. à Lyon actuellement à ANNECY

Objet : ACTION CORMAND.

Sur les indications d'un prisonnier du Plateau des Glières, une action a été lancée aujourd'hui contre le village de Cormand, où devaient se trouver depuis longtemps le Chef Régional des F.T.P. Henri PLANTAZ et contre l'usine de St-Jeoire, où parmi le personnel ouvrier devaient être de nombreux terroristes et partisans. Le Capitaine Allemand STOCKEL lui-même avec deux témoins de son bataillon se mit à la disposition. Le résultat de l'action est : 4 tués, dont le Chef PLANTAZ et 45 prisonniers. La prise d'une mitrailleuse Hotchkiss, r fusil, r8 chargeurs de mitrailleuse, 6 grenades à main, 40 chargeurs vides 5000 coups de munitions. La troupe a été attaquée à coups de feu des hauteurs, tant dans le village que dans l'usine, Pertes du côté troupe : 1 blessé.

Objet : PLATEAU DES GLIÈRES.

Action Plateau des Glières clôturée le 31-3-44 à 18 heures. Prisonniers : 237, tués du côté ennemi 64,

Armes a) F.M. léger : 122 et 3.000 chargeurs.

b) Pistolets-mitrailleurs anglais : 1011

c) Fusils : 722.

d) Révolvers à barillets : 160.

e) fusil-anti-Chars : 2

f) lance-grenades : 2.

g) Grenades à main : 300.

h) F.M. lourds : 1.

i) une caisse contenant du matériel de génie.

j) explosifs 100 kgs. Rapport final sur l'action et matériel cartographique suivront immédiatement.

Entreprise LELONG : Pour pacifier la région Sud et Sud-Est d'Evian LELONG a engagé une nouvelle action le 1-3-44. Rapport suivra.

Signé Bock Lieutenant.

Objet :PLATEAU DES GLIÈRES.

Les pièces à l'appui et les dépositions des prisonniers faits dans votre secteur du Plateau des Glières que vous m'avez promises ne m'ont pas été transmises, à l'exception du cas ÉCHASSON. Je vous prie de me faire savoir où se trouvent ces pièces et de quelles personnes il s'agit, étant donné que les recherches correspondantes et les interrogatoires ne pourraient avoir lieu en raison de l'encombrement de la prison locale. En particulier, je vous prie de me faire tenir les pièces concernant le Curé de Petit-Bornand, vu que même le nouveau Chef de la Milice et le Directeur du service de renseignements de la Milice, CHAVENAZ est intervenu en sa faveur.

Objet : OPÉRATION AU PLATEAU DES GLIÈRES,

Le 8-4-44, l'Adjoint du Colonel LELONG, le Capitaine KHUM, m'a fait savoir que le 7-4-44 dans la soirée, le Lieutenant HUMBERT du Plateau des Glières, avait été arrêté à la Gare d'Annecy par une patrouille de Police française.

Objet : ACTION SUR LE PLATEAU 1)ES GLIERES HAUTE-SAVOIE.

Le 8-4-44 l'adjoint du Colonel LELONG, le Capitaine KHUM m'a fait savoir que le 7-4-44, dans la soirée, une patrouille de la Police Française avait arrêté à la gare d'ANNECY, le Lieutenant HUMBERT. du Plateau des Glières. Etant donné qu'on a trouvé sur le Plateau des Glières une cravate de couronne mortuaire portant le nom de HUMBERT, l'identité du captif n'est pas encore établie.

Objet : OPERATION PLATEAU DES GLIÈRES

HAUTE-SAVOIE.

Le B.D.O. PARIS (Délégué de l'Ordre) me prie par le télégramme ci-dessus, de lui envoyer :

1) des photos aériennes du Plateau des Glières. 2) Des plans d'opérations de la 157e Division de Chasseurs de montagne GRENOBLE. En ce qui concerne le point i, je les ai à ma disposition : en ce qui concerne le point 2, j'espère pouvoir me les procurer. De plus, le B. D. O. demande au sujet de cette opération un rapport d'expérience et d'exploitation au point de vue police de sûreté et politique. En ce qui concerne ce point, il est dit dans le télégramme :

Il a été conféré à ce sujet avec le chef du S.D. Lyon. Ces pièces sont demandées pour un rapport au Reichsführer SS. Prière de me faire savoir par télégramme si vous êtes au courant du point 3 et si je dois faire ce rapport d'exploitation au point de vue police de sûreté et politique.

Commissariat frontalier GREKO ANNECY.

Objet : MANIÈRE DE TRAITER LES PRISONNIERS DU PLATEAU DES GLIÈRES.

LELONG vient de m'aviser que par ordre de DARNAND, une commission était arrivée à ANNECY pour interroger, comme il a été convenu les prisonniers faits par les Allemands lors de l'opération contre le Plateau des Glières. Ceci est en contradiction flagrante avec les instructions du SS Gruppenführer OBERG. Je n'ai pas sous la main la copie du télégramme qui nous a été adressé en son temps. Il y est dit, autant que je sache, que chacun doit conserver ses prisonniers. Les prisonniers faits par les Français devaient tous être traduits devant la Cour Martiale. Les prisonniers faits par les Allemands ne devaient être remis aux Français aux fins d'interrogatoire que dans des cas très urgents, et seulement si les intérêts allemands n'en sont pas lésés. Prière de me transmettre par télégramme la copie du message du Chef de groupe OBERG, afin que je puisse répondre à LELONG en conséquence. A mon avis, DARNAND procède encore toujours selon les désirs exprimés au Général PFLAUM, selon lesquels tous les prisonniers doivent lui être remis. Est-ce que ceci n'a pas déjà été réglé au cours d'un entretien personnel entre le Chef de Groupe OBERG et DARNAND ? A l'exception de BARRAT et ESCHASSON, je n'ai plus de prisonniers politiques. Le reste est dirigé sur PARIS ce soir par convoi collectif.

Objet : OPÉRATION AU PLATEAU DES GLIÈRES HAUTE-SAVOIE.

Ont pu être arrêtés comme complices des terroristes du Plateau des Glières :

1) Capitaine PONARD Émile, né le 19-7-04 à ALBERT-VILLE, Chef du Centre d'Accueil des anciens prisonniers de guerre à ANNECY.

2) ARRAGAIN Jeanne, née CLAVEL, née le 20-2-97, domiciliée à ANNECY, 2 Rue du Pâquier, propriétaire de café. Le mari est déjà en fuite depuis des semaines.

3) Maurice MALLET né le 12-5-17, employé au Ravitaillement d'ANNECY. Il y a encore de nombreuses autres personnes signalées, qui en partie sont déjà en fuite depuis des semaines. Lieutenant BARRAL commence à parler. Il a avoué avoir été pendant quelques jours commandant du Plateau. Il fut auparavant chef de secteur de THONES. Le Chef du Département de la Haute-Savoie est un capitaine NAVENT. Recherches le concernant sont en cours. Selon communication de la Police française, le Capitaine PIERROT, alias BAYARD, alias ANJOT chef du Plateau après la mort du Lieutenant MOREL, a été tué dans les environs de NAVES. Des membres de la famille de PIERROT veulent l'avoir reconnu. J'ai demandé à la police française d'exhumer PIERROT pour identification de la personne.

Commissariat frontalier GREKO ANNECY.

Objet : PLATEAU DES GLIÈRES — Précédent Connu.

Ce jour a été arrêté à son bureau le Commandant CLERC indiqué par le Chef de secteur Roger Eschasson. Une perquisition a été faite à son domicile situé à ANNECY. Cependant il n'a pu être découvert de matériel à charge. CLERC est accusé par ESCHASSON d'avoir aidé le maquis et, de l'avoir assisté par des conseils. CLERC était commandant d'active au 1790 Bataillon de Chasseurs Alpins et devait séjourner en cas de guerre principalement dans les ouvrages fortifiés des Alpes. Le Chef Départemental, Capitaine CLAIR alias NAVENT, qui était une fois apparu au Plateau lors des obsèques du Lieutenant MoREL, fusillé, a été arrêté par la Milice à Bonneville, il y a environ 3 mois. Selon les déclarations du père de CLAIR, alias NAVENT, ce dernier a cependant dû résussir à prendre la fuite. Le père de CLAIR prétend toutefois être sans nouvelle de son fils depuis environ 3 mois. On continue à rechercher CLAIR et il vous sera rendu compte en cas de succès.


NOTE DU COMMANDANT HUMBERT CLAIR RESPONSABLE DÉPARTEMENTAL 
DE L'ARMÉE SECRÈTE

La lecture des rapports allemands peut laisser croire que la Wehrmacht ne subit que peu de pertes lors de l'attaque de Glières.

Pourtant environ cent soldats allemands blessés au cours de ce combat étaient soignés dans les hôpitaux d' Aix-les-Bains ; quant aux tués, il est impossible d'en déterminer le nombre, les Allemands brûlant leurs morts.

Par ailleurs une compagnie se trouvant au repos à Frangy était commandée par un Felwebel (adjudant) ce qui est anormal.

Ce Felwebel, discrètement questionné, répondit qu'il avait été désigné comme Chef de Compagnie parce que tous ses supérieurs avaient été tués ou blessés lors de l'assaut donné à Glières.

En ce qui concerne les miliciens, ils ont perdu dans le secteur d'Usillon une cinquantaine d'hommes tués ou blessés.

impossible et, à peu près certain de le payer du sacrifice de sa vie, revendiqué le commandement du plateau, se réservant seulement le droit d'ordonner la dispersion, quand l'honneur serait sauf.

Les résonnances

La campagne de Tunisie, où les Français, malgré leur armement périmé avaient supporté le plus dur, avait eu peu de publicité en raison des nombreuses erreurs d'un commandement et de troupes débarquant d'Amérique sans aucune expérience. Les premiers exploits du C.E.F, en Italie, pour les mêmes raisons, restaient inaperçus.

Et voilà que, prélude sur le sol national, à ce qui allait être l'éclatante victoire du Garigliano, une poignée de maquisards français s'étaient battus héroïquement contre un ennemi infiniment supérieur.

Le retentissement à l'extérieur a été très grand. Non, la France n'était pas finie ; les Alliés à nouveau pouvaient lui accorder une certaine confiance.

Glières restera dans l'histoire

Déjà bien des villes ont donné ce nom à l'une de leur rue ; une promotion de Saint-Cyr s'est rangée sous ce vocable. Malraux, lors de l'inauguration du monument en 73, avait raison en s'écriant : Passant, va dire à la France que ceux qui sont morts ici, ont vécu selon son cœur.

Vallette d'Osia


POSTFACE

De son poste aux lisières du plateau des Glières, le curé du Petit-Bornand a suivi avec une angoisse passionnée les événements qui se déroulaient sur le plateau.

Il n'a pu en connaître la Genèse, ni surtout en voir les résonances.

La Genèse.

Le Bataillon avait été rassemblé à l'annonce de parachutages importants. Hélas, ceux-ci se sont fait attendre, et ce n'est point la faute des Anglais. Pendant de longues semaines un brouillard intense avait couvert l'Angleterre entière, entraînant la perte, à leur retour de mission, de plusieurs dizaines de bombardiers ; l'activité aérienne avait alors été suspendue. Ce long retard donnait le temps à l'adversaire de prendre conscience du danger et d'entreprendre l'investissement du plateau. Quand les parachutages, enfin, eurent lieu, il était trop tard pour que cet armement important puisse être descendu et réparti dans toute la Haute-Savoie. L'abandonner, le livrant intact à l'ennemi n'était-ce point donner raison à ceux qui, à l'étranger, prétendaient la France finie et la traitaient en quantité négligeable ? Les conséquences auraient été graves, catastrophiques.

Anjot ne l'a pas admis. Pleinement conscient de l'erreur tactique consistant pour le faible à accepter un combat régulier contre le fort - et Dieu sait quelle était la disproportion des moyens - il a jugé cet abandon impossible et, à peu près certain de le payer du sacrifice de sa vie, revendiqué le commandement du plateau, se réservant seulement le droit d'ordonner la dispersion, quand l'honneur serait sauf.

Les résonnances

La campagne de Tunisie, où les Français, malgré leur armement périmé avaient supporté le plus dur, avait eu peu de publicité en raison des nombreuses erreurs d'un commandement et de troupes débarquant d'Amérique sans aucune expérience. Les premiers exploits du C.E.F. en Italie, pour les mêmes raisons, restaient inaperçus.

Et voilà que, prélude sur le sol national, à ce qui allait être l'éclatante victoire du Garigliano, une poignée de maquisards français s'étaient battus héroïquement contre un ennemi infiniment supérieur.

Le retentissement à l'extérieur a été très grand. Non, la France n'était pas finie ; les Alliés à nouveau pouvaient lui accorder une certaine confiance.

Glières restera dans l'histoire

Déjà bien des villes ont donné ce nom à l'une de leur rue ; une promotion de Saint-Cyr s'est rangée sous ce vocable. Malraux, lors de l'inauguration du monument en 73, avait raison en s'écriant : " Passant, va dire à la France que ceux qui sont morts ici, ont vécu selon son cœur ".

Vallette d'Osia


NOTE DE L'ÉDITEUR

GEORGES TRUFFY nous a demandé de rééditer les mémoires de son frère le curé Jean Truffy, publiés en 1950.

Nous avons accepté volontiers car cet ouvrage constitue un témoignage irremplaçable et sans complaisance sur une époque tragique.

Sombres années au cours desquelles des actes d'héroïsme motivés par le patriotisme le plus pur cotoyaient de sordides exactions et règlements de compte.

Les populations, mal informées et déconcertées par ces drames, n'arrivaient plus à discerner le bien du mal. Pourtant toutes les époques troubles de notre histoire ont connu les mêmes situations.

Le curé Truffy, arrêté le 30 mars 1944 et déporté à Dachau a laissé de ce fait un témoignage un peu tronqué. Il n'a pu saisir l'impact de la tragédie de Glières ni vivre les heures exaltantes de la libération.

Les rapports de l'armée allemande et les recits des rescapés nous ont appris que les défenseurs du plateau se sont fait massacrer courageusement sans pour autant pouvoir contenir l'attaque ennemie plus de quelques heures.

Ils ont pourtant tenu jusqu'à l'ordre de dispersion donné à la tombée de la nuit.

Dès ce moment là, le combat se transforma en battue au cours de laquelle les résistants étaient traqués comme du gibier.

Les soldats du bataillon des Glières n'ont pourtant pas démérité.

Pour qui connaît les lois de la guerre, la catastrophe était inéluctable.

Le plateau est beaucoup trop grand pour que 458 hommes puissent établir un front continu, et à plus forte raison constituer des réserves.

Le Capitaine Anjot qui avait remplacé Morel à la tête du bataillon n'avait pu poster que des bouchons. Si l'un de ceux-ci cédait, tout le système de défense s'effondrait, ce qui est arrivé.

Napoléon disait, Dieu est toujours du côté des gros bataillons.

Par ailleurs, les défenseurs affaiblis par la faim et le froid (les chalets ayant été détruits et les sources de ravitaillement coupées) étaient matraqués depuis trois jours par l'aviation et l'artillerie, et ceci sans pouvoir répondre car ils ne possédaient ni DCA ni canon.

En face de ces quatre cent cinquante huit jeunes garçons placés dans une situation impossible, attaquaient dix mille professionnels de la guerre formés dans les campagnes de Russie.

Glières n'a pu donc être une victoire. Mais Glières est bien plus que cela. Un geste symbolique, audacieux et gratuit.

En effet, planter un drapeau Français au sommet d'une citadelle naturelle en plein milieu d'une Europe presque entièrement occupée par l'ennemi, c'était un acte à la fois grand et fou ; cette aventure ne pouvant se terminer autrement que par la mort ou une capture qui ne valait guère mieux.

Toute résistance organisée ayant cessé, les Allemands et leurs complices de la Milice pourchassèrent les survivants comme des chiens enragés, les exécutant et abandonnant pour l'exemple leurs cadavres au bord des routes.

Deux lieutenants de Chasseurs, Bastian et La-lande, défigurés et rendus au trois quarts aveugles par les sévices furent fusillés et leurs dépouilles jetées près du col de Bluffy.

Cette barbarie voulue n'engendra pas la terreur escomptée et, bien au contraire, fit flamber dans toute la région une fureur vengeresse.

Plus nombreux que jamais de nouveaux maquis se formèrent, alimentés en armes par de grands parachutages que les Allemands n'étaient plus à même d'empêcher.

L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme, et, dans le courant du mois d'août, l'A S et les F.T.P. unis engagèrent le combat.

Faisant 3.500 prisonniers, ils libéraient entièrement la Haute-Savoie sans l'appui des alliés.

La Haute-Savoie est le premier de tous les départements Français a avoir été délivré par le maquis seul. C'est un fait historique et glorieux, et le geste de Glières y est certainement pour quelque chose.