AUGUSTIN LE MARESQUIER
PORTRAIT D’ UN HISTORIEN POPULAIRE
Tout ce que nous avons appris sur la vie d’Augustin Le Maresquier évoque un homme simple, pondéré, profondément ancré dans la tradition populaire, la vie sociale, culturelle et historique locale. Il fait partie des hommes et des femmes qui ont marqué l’histoire de Tourlaville au 20è siècle notamment à la faveur de son travail d’érudition sur l’ Histoire de Tourlaville paru en 1943. Les Tourlavillais connaissaient tous " Tintin " et aujourd’hui encore, les collégiens empruntent chaque jour la rue Augustin Le Maresquier.
Grâce à la complicité de ses quatre enfants, Erik, Edith, Richard et Gilles nous avons reconstitué quelques tranches de sa vie. Ce reportage fait également appel à des souvenirs lointains de l’Abbé Canu, un ami d’enfance, ainsi qu’à la mémoire de collègues de travail. 94 rue Gambetta, à deux pas de l’hôtel de ville, au premier étage d’une belle demeure en pierres du pays, la bibliothèque a perdu son archiviste ; le grand bureau son âme. Restent les archives et les livres. Beaucoup de dossiers et d’ouvrages que le temps n’altère pas ; il les rend plus précieux même lorsque les pages jaunissent et se couvrent de poussière.
Passionné d’histoire locale Augustin Le Maresquier hérite de son père, Eugène, receveur principal à l’octroi de Cherbourg, la passion de l’histoire. Comme lui, il aime se documenter, collectionner les documents. C’est ainsi que très jeune il possède déjà un nombre important d’archives, de dossiers, de photos, de notes, de livres et en particulier des ouvrages d’histoire locale.
Son personnage historique préféré est Gilles de Gouberville, gentilhomme du Cotentin (1521-1578) dont les manuscrits, retrouvés par hasard au XIXème siècle dans le chartrier de Saint-Pierre-Église, comblent de bonheur tous les passionnés d’histoire. Augustin Le Maresquier est reconnu dans le Cotentin comme l’un des meilleurs spécialistes du passé normand et on lui confie facilement de la documentation qu’il ne refuse jamais ! Il s’en inspire abondamment pour la rédaction de ses recherches. L’Abbé Jean Canu, autre historien remarquable, nous confiait récemment : " Augustin avait une documentation exceptionnelle. Je pense même qu’il ne pouvait pas connaître tout ce qu’il possédait ; il n’a sans doute pas eu le temps d’établir un répertoire précis de ses archives, ce qui fait qu’il était le seul à pouvoir s’y retrouver. " Aussi étrange que cela puisse nous paraître aujourd’hui, les deux hommes, tous les deux nés en 1910, qui se connaissent fort bien et partagent la même passion pour l’histoire de Tourlaville n’ont jamais travaillé ensemble. " Je le rencontrais souvent, j’assistais à ses conférences et réciproquement, mais nos sujets de recherches étaient différents ; Augustin s’intéressait à l’histoire générale de la commune et moi je travaillais sur l’histoire des " Seigneurs de Tourlaville ". De plus je ne vivais pas ici ce qui ne facilitait pas toujours le rapprochement. "
Sa carrière d’historien commence très tôt puisque dès 1930, à l’âge de 20 ans, il a publié plusieurs articles historiques ou littéraires dans la presse locale et régionale ; il est déjà membre de la société archéologique de Valognes. Six ans plus tard, il est élu à la société nationale académique de Cherbourg puis à la société des antiquaires de Normandie. L’appartenance aux sociétés savantes locales, très répandues et réputées entre les deux guerres, confèrent à ses membres reconnaissance et notoriété. Ces sociétés réunissent les intellectuels, scientifiques et érudits de la région et leur offrent les moyens d’échanger leurs connaissances, de les éditer et de les diffuser auprès du public lors de conférences. Augustin Le Maresquier excelle dans cet exercice et obtient les faveurs de son auditoire. Sous le titre " record d’affluence ", un quotidien local donne un compte-rendu de la récente conférence de l’historien : " ... Une salle comble est venue écouter avec le plus vif intérêt deux siècles d’histoire des noms de rues de Cherbourg. Les retardataires ne purent rentrer et une trentaine de personnes durent rester debout... Monsieur Le Maresquier a su piquer la curiosité du public en choisissant un sujet à la fois original et enrichissant... "
De la conférence au livre, il n’y a qu’un pas ; Augustin Le Maresquier le franchit en 1938 avec la publication de son premier travail consacré à l’hôpital-hospice de Bricquebec suivi en 1942 de l’histoire d’Équeurdreville,
illustrée par son ami de toujours Pierre Campain et en 1943, Histoire de Tourlaville qui lui vaudra le prix Montyon(1) décerné par l’Académie française. En 1946, paraît La Manche libérée et meurtrie publié à la demande de l’Entraide française. Le texte de l’ouvrage rédigé début 45 sert partiellement de support à la réalisation du film de Jean Grémillon (2) Le six juin à l’aube. C’est à Tourlaville qu’il consacre ses derniers travaux en publiant Histoire et légende des Ravalet en 1949 et une paroisse mi-urbaine mi-rurale sous la révolution : Tourlaville
1789-1794 en 1959.
" Tintin " de Tourlaville
Il reste d’Augustin Le Maresquier l’image d’un intellectuel mais derrière l’historien se cache un homme extrêmement populaire. A Tourlaville bien sûr mais bien au-delà dans le Cotentin, il répond au sobriquet de " Tintin ". A la poste principale de Cherbourg, place Divette, où il commence sa carrière en 1929 comme agent manipulant, il a bonne presse : " Tintin était un collègue de travail tout à fait sympathique. Il m’a remplacé au télégraphe et je n’ai donc pas travaillé très longtemps avec lui mais tout le monde le connaissait et l’appréciait " se souvient Louis Cabart aujourd’hui retraité à Octeville. Même écho du côté de Jacqueline Le Brun de Tourlaville : " J’étais plus jeune que lui, je ne l’ai connu que peu de temps mais c’était un vrai poème. " Il a terminé sa carrière avec le grade d’inspecteur central. Populaire il l’est aussi à la campagne où il affectionne de faire la collation avec ses parents et amis du terroir. Il possède quelques champs à Magneville près de Bricquebec où il se rend fréquemment à bicyclette avec sa femme et ses enfants. Une façon sans doute de retrouver ses racines et de communier avec la terre de sa petite patrie du Cotentin. À l’époque la propriété foncière à la campagne donne le droit de bouillir, privilège désormais en voie d’extinction. Par plaisir et peut-être aussi par goût " Tintin " fait son cidre et le bout. Son calva est même excellent, les rédacteurs de Reflets peuvent en témoigner s’étant laissés soudoyer lors d’une rencontre avec Richard Le Maresquier pour les besoins de ce reportage.
Sa popularité ne débouche pas sur une longue carrière politique. Il se présente sur la liste d’unité française aux élections municipales d’avril 1945 mais il n’est pas élu. Il aura davantage de succès en 1947 sur la liste d’administration municipale et d’action sociale et familiale dont il conduit la destinée. Conseiller municipal sortant, tête de liste aux élections d’avril 1953 sur la liste d’administration municipale et d’action, il n’est pas élu. Il se retire de la vie politique après les élections législatives de juin 1958 lors desquelles il se présente comme suppléant de Monsieur Brard, battu par René Schmit. D’ailleurs, est-il vraiment passionné par le pouvoir ? On peut penser que non, même s’il aurait probablement apprécié une franche reconnaissance du suffrage universel.
Au demeurant, il a une difficulté majeure pour être élu à Tourlaville car il appartient à la droite tourlavillaise ; or depuis 1947 la gauche a trouvé en Georges Fatôme un leader incontestable. Augustin Le Maresquier se résigne t’il à laisser le champ libre à son jeune adversaire et néanmoins ami ou bien se désinteresse-t’il de la vie politique ?
Peu importe. Il reste que les deux hommes entretiennent des relations respectueuses ainsi qu’en témoignent les extraits de l’article de la Presse de la Manche paru le 11 décembre 1972 sous la plume de Georges Fatôme lors du décès d’Augustin Le Maresquier : " ...Il fut un Tourlavillais qui honora notre ville, illustrant dans ses admirables études, son histoire, justifiant la fierté de ses habitants d’appartenir à ce terroir dont il retrouva les traces à l’époque néolithique.... À notre concitoyen, ardent Tourlavillais, nous tenons à rendre hommage... "
" Je n’ai fait que mon devoir "
Il est une période de sa vie dont il parle peu estimant n’avoir fait que son devoir selon les circonstances : la guerre. Il ne se considère pas comme un héros de la résistance mais ses fonctions au service des mesures du central téléphonique, chargé du contrôle des lignes lui donnent l’occasion de faire passer à Londres des renseignements précieux sur les liaisons téléphoniques allemandes du nord de la Manche. Il appartient au groupe des PTT Saint-Lô créé en septembre 1941. Ce noyau de résistants extrêmement efficace joue un rôle très important dans la nuit du 5 au 6 juin 44 lorsqu’il reçoit de la BBC les ordres de sabotage et de guérilla. Onze membres du groupe PTT Saint-Lô, réfugiés après leurs actions dans une ferme de Beaucoudray, tombent dans des circonstances non élucidées sous les balles de la terrible 2è Panzer SS. Comme tous ses amis des PTT, Augustin Le Maresquier est éprouvé par la tragédie du sud Manche. Depuis, il se rend fréquemment au mémorial de Beaucoudray élevé à la mémoire des victimes.
Il collabore aussi sous le nom de Phébus 34 au réseau de renseignement Delbo-Phénix à partir du 1er décembre 1942. L’antenne cherbourgeoise de ce réseau franco-belge a été créée par le jeune Paul Talluau en juin 1942. Début44, l’affaire tourne mal lorsque Delbo-Phénix est démantelé par la gestapo. Paul Talluau est arrêté le 6 janvier, transféré à Fresnes puis déporté à Mathausen où il meurt le 22 août 44. Quelques jours après l’arrestation de Talluau, le 29 janvier 1944, Augustin Le Maresquier et cinq amis du réseau (3) sont à leur tour incarcérés à Fresnes pendant six semaines. Dans son ouvrage La résistance dans la Manche, Marcel Leclerc écrit : " …Ils seront libérés le 10 mars, grâce à l’intervention auprès du colonel allemand Witzel, de sa confidente Mademoiselle X, membre du réseau Alliance. "
Son action pendant les années noires lui a valu la croix de guerre en 1947, la médaille de la résistance belge, la médaille de la commémoration belge en 1949, la médaille militaire et la médaille de la France libérée en 1958. En 1967, il est nommé chevalier de la légion d’honneur. Augustin Le Maresquier est aussi l’un des membres fondateurs du musée de la libération au Fort du Roule et il en assura le titre de conservateur plusieurs années durant.
Une oeuvre inachevée
Par définition, l’historien n’achève jamais son oeuvre. Augustin Le Maresquier moins encore que les autres car il décède le 6 décembre 1972 à l’âge de soixante deux ans, emportant avec lui ses connaissances, ses idées et les projets qu’il prépare pour sa retraite. Sans doute avait-il en tête des ouvrages sur l’histoire locale et même peut-être sur Tourlaville ? Nous ne le savons pas mais le nombre de notes consignées, de documents dépouillés, laisse penser qu’il préparait une retraite fructueuse.
En décembre 1972, la Presse de la Manche rend un dernier hommage à Augustin Le Maresquier : " …La mort de cet homme actif, connu de tous, ce chercheur infatigable occupé à servir son pays en racontant son histoire, affligera les innombrables amis qu’il comptait en cette ville et dans la région… "
(1) Le baron Jean-Baptiste de Montyon (1733-1820) mit une grande partie de sa fortune au service d’hôpitaux, d’oeuvres de charité et fonda en 1782 le prix de la vertu attribué chaque année par l’Académie française au " Français pauvre ayant accompli l’action la plus vertueuse."
(2) Jean Grémillon, réalisateur du cinéma français 1902-1959, auteur entre autre de Gardiens de phares, Gueules d’amour, Remorques, Le ciel est à vous… Jean Gabin et Michel Simon ont tourné dans plusieurs de ses films
(3) Sont arrêtés le même jour qu’Augustin Le Maresquier, Alphonse Le Baron, Jessurun, Fernand Henry, Marie-Louise Copuppey et Jean Delacotte. Pierre Kerroux, comptable de ce dernier est également arrêté alors qu’il ignorait l’activité clandestine de son employeur.