Extrait Dictionnaires des personnages remarquables de la Manche

BARBEY D'AUREVILLY Jules-Amédée (1808-1889)

Le grand écrivain de la Manche

" Jules Barbey d'Aurevilly domine de toute sa haute taille les romanciers de notre région, écrivait en 1945 Georges Laisney dans son livre irremplaçable " La Manche ", mais on ignore un peu quel poète lyrique il fut : " Le buste jaune " et " Le Vieux Goéland " rappellent cependant par la forme et par le sentiment les derniers poèmes de Vigny. Pas d'écrivain plus normand, il incarne l'âme même de cette région à laquelle il voua un amour pieux et fidèle (...) Nul n'a chanté comme lui notre " ensorcelant pays ", il en adore les ciels bas et brumeux (...) Notre génération que son individualisme choque, peut-être, ne lui a pas donné la place qu'il mérite, mais l'avenir le mettra auprès de Flaubert, au premier rang. "

" Aujourd'hui, en province et à l'étranger, Barbey d'Aurevilly passe pour ce qu'il est : un des plus grands écrivains français, un esprit indépendant, un romancier aux créations inoubliables, digne d'être rapproché en plus d'un point de Balzac, son aîné et son maître. Ses livres ont triomphé de la quasi-indifférence qui les vit surgir. Sa vie, sa personnalité demeurent encore obscures, entachées de cette réputation de bizarrerie et d'outrance que lui firent ses contemporains... " Ainsi écrivait en 1965 un des multiples biographes de celui qu'on a surnommé le " Connétable des lettres ", le " Templier de la plume ", le " Walter Scott de la Normandie ", le " Roi des ribauds ", le " Sagittaire de son siècle", ou le " Sorcier normand ". Et l'on en oublie certainement ! Bien sûr, on hésite à présenter encore le grand homme du Cotentin tant sa vie et ses œuvres sont connues...

Aîné de quatre garçons, Jules-Amédée naît le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte où son père Théophile vit de son bien. Sa mère, Ernestine Ango, est la fille d'un ancien député du Tiers-État. La légende veut qu'elle descende d'un bâtard de Louis XV qui avait donné ses lettres de noblesse à la famille Barbey. Le futur écrivain prendra un malin plaisir à ne jamais démentir cette légende. Ce qui est sûr, c'est que le milieu familial demeure viscéralement attaché à l'Ancien Régime, à ses œuvres et à ses pompes. On y porte toujours le deuil de Louis XVI, on y cultive la haine de la Révolution, on y refuse de vivre avec son siècle, Bercé d'histoires de chouannerie, le jeune Barbey est profondément marqué par cette atmosphère. En outre, quand il séjourne, enfant et adolescent, chez son oncle Pontas du Méril, maire de Valognes et médecin plutôt voltairien, il rencontre d'anciens émigrés et des survivants de cette chouannerie qu'il magnifiera plus tard.

Après avoir achevé ses études secondaires au collège Stanislas, à Paris, le jeune homme s'inscrit en 1831 à la faculté de Droit de Caen où il devient l'ami du libraire Trébutien avec lequel il entretiendra une importante correspondance et fondera l'éphémère " Revue de Caen " qui publiera sa deuxième nouvelle, " Léa ". À cette époque, Barbey se déclare républicain et refuse sa particule nobiliaire. Il tombe aussi follement amoureux de la femme d'un de ses cousins.

Deux ans plus tard, grâce à une rente du chevalier de Montressel, son grand-oncle et parrain, il retourne à Paris où il commence son roman " Germaine ou la pitié ". Mais il revient rapidement en Normandie pour des séjours à Valognes et dans le Mortainais. Il écrit " La bague d'Annibal ", puis le poème en prose " Amaidée ". En 1936, il entreprend son " Premier Mémorandum ", voyage en Touraine et commence à mener sa vie de dandy à Paris, rompt pour longtemps avec sa famille, se met à boire, court les jupons, se fâche une première fois avec son ami Trébutien et fait ses débuts dans le journalisme. Durant quelques années, le " roi des ribauds " mène une vie qui, selon son propre journal intime, est pleine de " sardanapaleries  ". L'alcool et l'opium altèrent sa santé. En 1840, il publie néanmoins "  L'amour impossible " avant de se réconcilier avec Trébutien.

En 1846, Barbey revient au catholicisme pur et dur et au royalisme le plus intransigeant. Cette conversion, d'abord intellectuelle, s'approfondira à partir de 1851 sous l'influence de la baronne de Bouglon, surnommée " L'Ange Blanc ", avec laquelle il formera même un projet de mariage. C'est au cours de cette même année 1851 que paraissent " Une vieille maîtresse ", qui fait scandale, et " Les prophètes du passé ", violent réquisitoire contre la démocratie et la libre pensée. Ce dernier ouvrage lui vaut une réputation d'écrivain catholique intolérant.

L'année suivante, " L'Ensorcelée ", son roman de terroir par excellence, est publié en feuilleton. En 1856, l'écrivain se réconcilie enfin avec sa famille, En 1858, il se brouille définitivement avec Trébutien et s'installe bientôt à demeure à Paris, 25 rue Rousselet. Entre temps, Barbey a renoué avec ses vieilles nostalgies royalistes malgré son ralliement politique à l'Empire. C'est en effet à la chouannerie normande qu'il demande désormais son inspiration qui nous vaut " Le Chevalier des Touches " en 1864. Un an après paraît aussi " Un prêtre marié ". Simultanément, Barbey mène une besogne considérable de critique littéraire " mordante et partiale " qui le fait exclure de nombreuses revues.

Au moment de la Commune, il se réfugie dans son Cotentin natal. C'est le début de séjours de plus en plus fréquents à Valognes où il loue un appartement dans l'hôtel Grandval-Caligny, rue des Religieuses, et où il met la dernière main aux " Diaboliques " dont la première édition, en 1874, lui vaudra des poursuites judiciaires. Suivront encore en 1882 " une Histoire sans nom " qui connaît un grand succès, " Les Ridicules du temps " en 1883 et " Ce qui ne meurt pas " en 1884.

Victime d'une hémorragie, Barbey rend le dernier soupir le 23 avril 1889. Il est enterré au cimetière de Montparnasse. Ses restes seront transférés à Saint-Sauveur-le-Vicomte le 23 avril 1926, un an après l'inauguration du premier musée que lui consacra sa cité natale. En 1935, le baron de Beaulieu fondera la Société Barbey d'Aurevilly. Un quart de siècle plus tôt, Auguste Rodin avait sculpté son buste en bronze. Cette œuvre sera épargnée sous l'Occupation, mais les combats de la Libération ruinèrent le premier musée. Un autre fut reconstruit en 1956 avant d'être transféré en 1989 à son emplacement actuel.

" Cet artiste noble, affamé de grandeur, était hanté par le sentiment de la décadence ", dit de lui Michel Mourre dans son grand dictionnaire des auteurs. Et de poursuivre : " Barbey n'est peut-être pas très lu, mais ce qui demeure certainement, c'est sa biographie, son personnage de " Connétable des lettres ", qui fait penser à Bernanos encore, avec une superbe, un faste, une vanité assez dannunziennes. " Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly demeure le grand écrivain de la Manche. Il mérite d'être redécouvert car, disait un autre de ses biographes, jean Canu, cet homme égaré dans son siècle a préparé le suivant, celui de l'absurde et de l'engagement, de l'angoisse et du salut, de l'être et du néant.

Dans le Dictionnaire Bordas des littératures de langue française, on peut encore lire cet hommage : "Peu d'hommes au XIXe siècle ont autant fait parler d'eux, parmi ceux qui ont autant parlé des autres. Durant soixante années d'une vie chaotique, il fut intensément le contemporain et l'imprécateur des plus grands. Ses récits le placent au tout premier rang des, constructeurs d'univers. Et le monde aurevillien est étrange, de cette étrangeté qui n'est pas moins inquiétante d'être, au fond, familière. " Des centaines d'ouvrages ont été consacrés à la vie et à l'œuvre de Barbey d'Aurevilly. Plusieurs de ses œuvres ont aussi été adaptées à l'écran : " Le rideau cramoisi " et " Le bonheur dans le crime ", tirés des " Diaboliques ", " L'ensorcelée ", " Le Chevalier des Touches ", " Une vieille maîtresse ", " Une histoire sans nom " et " Un prêtre marié ".

BEUVE Louis (1869-1949)

Le Trouvère normand 

Quand on l'enterra à Quettreville-sur-Sienne, son village natal, on recouvrit son cercueil de la bannière écarlate aux trois léopards d'or. On ne pouvait rendre hommage plus symbolique à ce chantre du régionalisme normand que ses disciples appelaient respectueusement " Maît'Louis ".

Après des études à Coutances et chez les Jésuites de Jersey, ce fils de meunier commence à écrire ses premières poésies en patois durant son service militaire à Cherbourg. Il s'installe ensuite à Paris comme commis de librairie. C'est dans la capitale qu'il publie en 1895 sa première œuvre, " Les contes d'aôtfais ", puis qu'il crée l'année suivante, avec son ami François Enault le groupement culturel normand " Le Bouais-Jan " qui aura dix ans d'existence.

Il revient au pays en 1897 comme rédacteur en chef du " Courrier de la Manche " dont il prendra bientôt la direction. Dès lors, " il lutte sans trêve ni repos pour maintenir les traditions et faire triompher la cause de la Normandie dans tous les domaines " (Albert Desile). Il lutte par la plume, bien sûr, et d'abord celle du poète patoisant dont le chef d'œuvre est " La vendeue ". Ses poésies en patois et en français jalonnent irrégulièrement son existence journalistique. On lui doit aussi un roman inachevé intitulé " La lettre à la morte ". Louis Beuve fut le père spirituel du talentueux iournaliste Albert Desile. On ne relit pas sans émotion l'hommage que ce dernier rendit dans " La Manche Libre " du 26 juin 1949 à " celui qui fut le plus normand des Normands ". Il écrivait alors notamment : " Cet homme d'humble apparence était un géant. De multiples sentiments aussi puissants les uns que les autres s'agitaient en lui, tous dominés et commandés par son amour passionné de la Normandie ". Et de rappeler que Beuve était un admirateur inconditionnel de Barbey d'Aurevilly, qu'il avait été à l'origine du fameux " souper des Vikings " et qu'il avait mené une longue campagne pour imposer les prénoms nordiques dans la Manche.

Un autre disciple de Louis Beuve, Fernand Lechanteur a assuré que le " trouvère normand " avait été " plus encore qu'un poète et qu'un artiste, l'homme d'une idée ". Celle, évidemment, de cette Normandie à laquelle il vouait " un amour tyrannique " (Albert Desile). À la suite d'un Alfred Rossel dont il se voulait le continuateur, Louis Beuve a été le moteur du renouveau de la littérature dialectale du Cotentin. C'est lui qui, par exemple, a suscité la vocation littéraire de Côtis-Capel, le grand poète de la Hague. Laissons le mot de la fin au spécialiste de la littérature dialectale cotentinaise qu'est Roger Lebarbenchon : " Il prend et fait prendre conscience du fait régionaliste non sans être impressionné par le félibrige de Mistral : il exalte la Normandie historique, celle de Rollon et de Guillaume le Conquérant. Ce qui lui inspire des pièces de caractère épique et visionnaire. Son influence sera de ce point de vue déterminante sur toute une veine de la littérature dialectale du Cotentin (...) Louis Beuve sait aussi chanter les heures heureuses et nostalgiques d'une enfance rurale revécue avec une sensibilité symboliste de même qu'il compose des chansons inspirées par un sentiment authentiquement populaire ".

COUILLARD julienne (XVIe siècle)

Une héroïne de légende

Elle a laissé son nom dans l'histoire de Saint-Lô. Lors du siège de la' ville par les troupes de Matignon en 1574, julienne (ou Jeanne) Couillard avait pris la tête d'un groupe de femmes habillées d'un corsage rouge qui se battirent comme des lionnes pour défendre la cité huguenote, On sait que cette dernière finit par tomber entre les mains des ligueurs qui tuèrent trois cents défenseurs. Julienne Couillard fut épargnée par Matignon qui avait admiré son courage. Certains historiens pensent que cette julienne ne fut qu'une héroïne de légende. On la confond souvent avec une autre femme qui, un siècle plus tôt, avait pris une part active à la défense de Saint-Lô assiégé par les Bretons. Cette dernière est connue sous le surnom de " Jeanne Hachette " saint-loise. On dit qu'elle fut récompensée de sa bravoure par Louis XI en personne.

Avant elle, une autre Saint-Loise s'était distinguée par sa bravoure en défendant sa ville. Il s'agissait d'une certaine Hadvise qui, à la tête de ses compatriotes, avait sauvé Saint-Lô assiégée par les Bretons en 1467.

DELISLE Léopold (1826-1910)

Un maître de l'érudition

Au XIXe siècle, on n'hésita pas à l'appeler " maître de l'érudition française ". Comme son compatriote valognais Bon­joseph Dacier, il fut administrateur général de la Bibliothèque Nationale. Paléographe et historien, grand spécialiste de la science bibliographique et de l'histoire littéraire du Moyen-Âge, Léopold Delisle, qui devait sa vocation d'historien à Charles de Gerville, a aussi été considéré comme " le plus merveilleux dénicheur d'éditions rares et de manuscrits précieux qui fût au monde ".

De son vivant, cet illustre Valognais a été couvert d'éloges dithyrambiques largement justifiés. Cet ancien élève de l'École des Chartes d'où il sortit premier en 1849 n'avait que trente et un ans lorsqu'il fut élu à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres où il siégea durant plus d'un demi-siècle.

Il faut renoncer à énumérer ici ses principales études. Établie en 1910, la seule collation des titres de ses ouvrages et articles remplissait un volume de cinq cent quatre-vingt sept pages ! Il faut toutefois citer son " Histoire de la Normandie " et un ouvrage resté fameux sur la " Condition de la classe agricole en Normandie au Moyen-Âge ". Aujourd'hui encore, son œuvre immense et austère demeure indispensable à ceux qui étudient l'histoire de la Normandie et de la Manche.

Léopold Delisle est mort à Chantilly après une carrière scientifique de plus de soixante ans.

MILLET Jean-François (1814-1875)

L'autre " monument " de la Manche

Deux monuments dominent la Manche le Mont Saint-Michel au sud, Jean-François Millet au nord !

Par la stature que lui a donnée une renommé universelle, le peintre de l'Angélus et des Glaneuses toise de haut toutes les autres célébrités de notre galerie de portraits. Les reproductions de ses oeuvres les plus fameuses ont popularisé son nom aux quatre coins de la planète. À l'exception notable d'Alexis de Tocqueville, aucun autre ne peut se prévaloir d'une telle notoriété.

L'enfant génial de la Hague est né le 4 octobre 1814 au hameau de Gruchy, à Gréville. Son père, jean Louis est un petit cultivateur non dépourvu de dons artistiques qu'il transmettra à plusieurs de ses neuf enfants. Il saura reconnaître très tôt les talents de dessinateur de son aîné, Jean-François, et l'encouragera dès 1833 à suivre les leçons du peintre cherbourgeois Mouche], ancien élève de David. Quand ce père meurt en 1835, le jeune homme renonce à lui succéder et persévère dans sa vocation en se trouvant un autre maître cherbourgeois, Langlois de Chévreville, élève de Cros, qui, au vu de ses premiers travaux, lui obtient une bourse de la ville de Cherbourg et une aide du Conseil Général de la Manche grâce auxquelles Jean-François Millet peut monter à Paris où il s'inscrit, à l'École des Beaux Arts, dans l'atelier du peintre d'histoire Paul Delaroche (1797-18S6) dont il s'éloigne dès 1839, le jugeant trop académique.

Le jeune artiste loue son propre atelier malgré de graves difficultés pécuniaires. Pour vivre, il produit des peintures " alimentaires ", y compris des enseignes de boutiques, mais il poursuit dans la voie où il s'est d'abord engagé, celle du portrait, qui lui vaut Ses premiers succès au Salon de 1840. Ils lui attirent des commandes dans la ville de ses débuts. C'est l'année suivante qu'il épouse Marguerite Ono dont il brossera deux portraits célèbres. On pourrait croire alors que Millet investit tout son talent dans le portrait. Durant une dizaine d'années, il y consacrera en effet le meilleur de sa palette qui produira plusieurs chefs-d'oeuvre, dont ceux du legs Ono qu'on peut admirer au musée Thomas Henry, de Cherbourg.

Après la mort de Marguerite en 1844, Millet revient à Cherbourg ou le préfet de la Manche lui offre une place de professeur de dessin au collège de la ville. Il décline cette proposition comme s'il avait foi en son exceptionnel destin. En outre, ses succès à l'exposition de 1844, avec sa première " Laitière " et " La leçon d'équitation ", l'encouragent à faire front au dénuement. L'année suivante, il part au Havre en compagnie d'une servante d'auberge, Catherine Lemaire, qui lui donnera neuf enfants. Après quelques mois passés dans le port haut ­normand, Millet retrouve Paris avec sa nouvelle compagne. Durant quelque temps, sa production est assez éclectique et dominée par le nu féminin dans lequel il excelle. En 1847, son " œdipe détaché de l'arbre " est loué par la critique. Cette même année, il rencontre Daumier et, surtout, le peintre paysagiste Théodore Rousseau (1812-1867) ". Il se lie aussi d'amitié avec Alfred Sensier, un fonctionnaire du ministère des Beaux-Arts, qui saura lui venir en aide et qui écrira sa première biographie.

La carrière de Millet est à un tournant. Le portraitiste s'oriente désormais vers " le chant de la terre " et la représentation des scènes de la vie paysanne qui assurera sa renommée. Ce tournant est celui de l'année 1848 avec l'exposition du " Vanneur " que Ledru-Rollin  lui achète 500 francs. Une bonne partie de la critique parisienne s'enthousiasme devant le tableau. Théophile Gautier écrit par exemple : " Bien différent des maniéristes en laid, qui, sous prétexte de réalisme, substituent le hideux au vrai, Monsieur Millet cherche et atteint le style dans la représentation des types et des scènes de la campagne sait y mettre une grandeur et une noblesse rares bien qu'il n'atténue en rien leur rusticité. Il comprend la poésie intime des champs, il aime les paysans qu'il représente et, dans leurs figures résignées, exprime sa sympathie pour eux (...) Pourquoi les paysans n'auraient-ils pas du style comme les héros ". "Cependant, Millet ne fait pas l'unanimité dans l'éloge, loin de là. Certains lui reprochent la " tristesse" de ses oeuvres et son " socialisme ". Est ce parce qu'on a vu l'artiste (sans arme) sur une barricade du quartier Rochechouart pendant l'insurrection révolutionnaire de 1848 ?

Peu après, avec femme et enfants, Millet fuit la capitale frappée par le choléra et se réfugie en bordure de la forêt de Fontainebleau, dans le village de Barbizon qui, depuis 182S, est devenu le " centre spirituel " d'une colonie de peintres paysagistes. Il se dégagera assez vite de l'influence de ce groupe car, lui, il veut inclure dans le paysage l'homme attaché à la nature et aux travaux des champs. " Il s'agissait là d'un thème populaire qui affirmait l'innocence de l'homme rural ", a expliqué le critique jean de Caso avant d'ajouter : " À partir de ce moment, il choisit ses sujets dans les scènes les plus simples de la vie agreste et se prend d'un puissant amour de la nature (...). Il entreprend des scènes de peintures et de dessins qui décrivent de façon légèrement mélancolique la grande tendresse de l'artiste pour l'assujettissement de l'homme rivé aux champs. Il recherche une expression calme, robuste et monumentale qui pût  traduire la dignité originelle du travail et en exprimât la noblesse ". On pourrait faire observer en outre que le fils du paysan haguais est resté nostalgique de ses origines. Dès 1850, sa nouvelle " vocation " de peintre des paysans est confirmée avec éclat par l'exposition des " Botteleurs de foin " et, surtout, du " Semeur ".

Dans sa chaumière de Barbizon, l'enfant génial de la Hague mange de la vache enragée. Poursuivi par les créanciers, il doit troquer des toiles contre des meubles et des habits. Sa famille vit clans la misère, Néanmoins, sa cote commence à monter, notamment auprès de peintres et de collectionneurs américains. On admire tout Particulièrement son " Repas des Moissonneurs " de 1853 et son " Paysan greffant un arbre ", fort remarqué à l'Exposition Universelle des Beaux-Arts de 1855. Entre ces deux succès, Millet est revenu dans la Hague et, durant ce séjour, il a exécuté une centaine de dessins et de tableaux inspirés par son pays natal. Ses deux oeuvres les plus fameuses, " Les Glaneuses ", de 1857, et " l'Angélus ", de 1859, ne suffisent pas à le tirer de ses difficultés matérielles. L'aisance ne viendra qu'à partir de 1861 lorsque deux mécènes lui verseront une pension en échange de la propriété de certaines de ses oeuvres pendant trois ans. Et, six ans plus tard, c'est enfin la consécration avec une première médaille à l'Exposition Universelle de 1867 qui met à l'honneur plusieurs de ses oeuvres. Une consécration tardive car Millet, miné par des années de privations, est déjà très malade. Et les faveurs nouvelles du public ne lui rendront lamais la santé.

La guerre contre la Prusse et la Commune marquent le début du la dernière étape de sa carrière. Il fuit l'une et l'autre en venant se réfugier à Cherbourg et à Gréville avec les siens. Ce nouveau et long séjour au pays natal est une période très féconde. C'est celle du  " grand retour " durant laquelle il ébauche de superbes peintures de la Hague telles que " L'église de Gréville ", " La mer près de Gruchy " ou " Le prieuré de Vauville ". La paix revenue, il ira finir son oeuvre et ses jours a Barbizon où, quelques Jours après avoir épousé religieusement Catherine Lemaire, il s'éteindra le 20 janvier 1875. Jean François Millet fut enterré près de son ami Théodore Rousseau dans le petit cimetière de Chailly en Bière.

La haute stature du peintre de Gréville a naturellement fait beaucoup d'ombre à deux de ses frères qui, pourtant, furent eux aussi de grands artistes. Jean Baptiste (1831 1906), qui fut à Barbizon l'élevé du son illustre aîné, fut un bon peintre, un excellent dessinateur et un sculpteur sur bois. Son oeuvre picturale la plus connue s'intitule  " Abreuvoir au soleil ". Statuaire, il travailla durant plusieurs années avec Viollet le Duc. Quant à Pierre (1833 1914), il fut également graveur sur bois et sculpteur. Il accomplit une partie de sa carrière en Amérique. Enfin, François (1849 1897), troisième enfant de Jean François Millet, fut aussi un bon peintre. Il eut, on s'en doute, un nom bien difficile à porter !

La laitière Normande

FEUILLET Octave (1821-1890)

Le Roman d'un jeune homme pauvre

On a peine à imaginer aujourd'hui la popularité que connut Octave Feuillet sous le Second Empire. En pleine période réaliste et naturaliste, illustrée par Zola, le romancier saint lois sut à merveille, comme Hector Malot, l'auteur de " Sans famille ", exploiter ce qui restait de la veine idéaliste qui avait triomphé dans la première moitié du siècle. Il fut, au sens propre du terme, un auteur réactionnaire qui enchanta aussi bien le menu peuple que l'impératrice Eugénie. Aux yeux de l'élite de l'époque, son oeuvre, y compris son théâtre assez médiocre, apparaissait comme un contre poison aux "horreurs "du naturalisme.

Octave Feuillet a écrit nombre de ses romans et de ses comédies dans la propriété des Palliers à Saint-Lô, où il venait fréquemment se reposer des fatigues d'une vie parisienne agitée. C'est en 1848 qu'il rencontra le succès avec " Le Roman d'un jeune homme pauvre " qui fit rêver deux générations de lecteurs. Il faut bien admettre qu'uni siècle après, c'est à peu près tout ce qu'on a retenu de son oeuvre pourtant prolixe. Mais le romancier triompha aussi avec " Monsieur de Camors " (1867), dont l'histoire évoque " Les liaisons dangereuses ", avec " Julia de Trécoeur " (1872), avec encore " Sybille ", " La Belle au bois dormant ", " La partie de danses " ou " Dalila ".

Octave Feuillet déployait un style brillant et concis et faisait preuve d'un sens aigu de l'observation. Comme Barbey d'Aurevilly, Villers de l'Isle Adam, Hector Malot ou Léon Bloy, il milita ardemment contre le matérialisme littéraire. Mais son romanesque un peu fade et conventionnel passa vite de mode dès la fin du XIXe siècle. Octave Feuillet avait toutefois réussi à tenir le haut du pavé pendant une trentaine d'années. Et c'était déjà  un bel exploit !  

BOUET Marie (1884-1960)

La rescapée du " Titanic "  

Pour rejoindre ses employeurs, éleveurs de chevaux aux USA, elle embarqua donc à Cherbourg à bord du " Titanic ". On sait comment cette traversée tourna au cauchemar et à la tragédie. Marie Bouet, l'aînée d'une famille de cultivateurs de seize enfants de Tessy-sur-Vire faillit ne pas avoir de chance. Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, elle parvint à sauter dans un canot, mais elle tomba aussitôt dans l'eau glacée. Un homme d'équipage lui tendit une gaffe et elle s'y accrocha avec l'énergie du désespoir. À bord de l'embarcation, elle s'aperçut qu'elle avait conservé sur elle sa paire de jumelles et sa brosse à cheveux. Elle conserva ces deux objets comme des talismans jusqu'à la fin de sa vie.