Extrait Dictionnaires des personnages remarquables de la Manche
BARBEY
D'AUREVILLY Jules-Amédée
(1808-1889)
Le
grand écrivain de la Manche
"
Jules Barbey d'Aurevilly domine de toute sa haute taille les romanciers de notre
région, écrivait en 1945 Georges Laisney dans son livre irremplaçable "
La Manche ", mais on ignore un peu quel poète lyrique il fut : " Le
buste jaune " et " Le Vieux Goéland " rappellent cependant par
la forme et par le sentiment les derniers poèmes de Vigny. Pas d'écrivain plus
normand, il incarne l'âme même de cette région à laquelle il voua un amour
pieux et fidèle (...) Nul n'a chanté comme lui notre " ensorcelant pays
", il en adore les ciels bas et brumeux (...) Notre génération que son
individualisme choque, peut-être, ne lui a pas donné la place qu'il mérite,
mais l'avenir le mettra auprès de Flaubert, au premier rang. "
"
Aujourd'hui, en province et à l'étranger, Barbey d'Aurevilly passe pour ce
qu'il est : un des plus grands écrivains français, un esprit indépendant, un
romancier aux créations inoubliables, digne d'être rapproché en plus d'un
point de Balzac, son aîné et son maître. Ses livres ont triomphé de la quasi-indifférence
qui les vit surgir. Sa vie, sa personnalité demeurent encore obscures, entachées
de cette réputation de bizarrerie et d'outrance que lui firent ses
contemporains... " Ainsi écrivait en 1965 un des multiples biographes de
celui qu'on a surnommé le " Connétable des lettres ", le "
Templier de la plume ", le " Walter Scott de la Normandie ", le
" Roi des ribauds ", le " Sagittaire de son siècle", ou le
" Sorcier normand ". Et l'on en oublie certainement ! Bien sûr, on hésite
à présenter encore le grand homme du Cotentin tant sa vie et ses œuvres sont
connues...
Aîné
de quatre garçons, Jules-Amédée naît le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte
où son père Théophile vit de son bien. Sa mère, Ernestine Ango, est la fille
d'un ancien député du Tiers-État. La légende veut qu'elle descende
d'un bâtard de Louis XV qui avait donné ses lettres de noblesse à la famille
Barbey. Le futur écrivain prendra un malin plaisir à ne jamais démentir cette
légende. Ce qui est sûr, c'est que le milieu familial demeure viscéralement
attaché à l'Ancien Régime, à ses œuvres et à ses pompes. On y porte
toujours le deuil de Louis XVI, on y cultive la haine de la Révolution, on y
refuse de vivre avec son siècle, Bercé d'histoires de chouannerie, le jeune
Barbey est profondément marqué par cette atmosphère. En outre, quand il séjourne,
enfant et adolescent, chez son oncle Pontas du Méril, maire de Valognes et médecin
plutôt voltairien, il rencontre d'anciens émigrés et des survivants de cette
chouannerie qu'il magnifiera plus tard.
Après
avoir achevé ses études secondaires au collège Stanislas, à Paris, le jeune
homme s'inscrit en 1831 à la faculté de Droit de Caen où il devient l'ami du
libraire Trébutien avec lequel il entretiendra une importante correspondance et
fondera l'éphémère " Revue de Caen " qui publiera sa deuxième
nouvelle, " Léa ". À cette époque, Barbey se déclare républicain
et refuse sa particule nobiliaire. Il tombe aussi follement amoureux de la femme
d'un de ses cousins.
Deux
ans plus tard, grâce à une rente du chevalier de Montressel, son grand-oncle
et parrain, il retourne à Paris où il commence son roman " Germaine ou la
pitié ". Mais il revient rapidement en Normandie pour des séjours à
Valognes et dans le Mortainais. Il écrit " La bague d'Annibal ", puis
le poème en prose " Amaidée ". En 1936, il entreprend son "
Premier Mémorandum ", voyage en Touraine et commence à mener sa vie de
dandy à Paris, rompt pour longtemps avec sa famille, se met à boire, court les
jupons, se fâche une première fois avec son ami Trébutien et fait ses débuts
dans le journalisme. Durant quelques années, le " roi des ribauds " mène
une vie qui, selon son propre journal intime, est pleine de "
sardanapaleries ". L'alcool et l'opium altèrent sa santé. En 1840, il
publie néanmoins " L'amour impossible " avant de se réconcilier avec
Trébutien.
En
1846, Barbey revient au catholicisme pur et dur et au royalisme le plus
intransigeant. Cette conversion, d'abord intellectuelle, s'approfondira à
partir de 1851 sous l'influence de la baronne de Bouglon, surnommée " L'Ange
Blanc ", avec laquelle il formera même un projet de mariage. C'est au
cours de cette même année 1851 que paraissent " Une vieille maîtresse
", qui fait scandale, et " Les prophètes du passé ", violent réquisitoire
contre la démocratie et la libre pensée. Ce dernier ouvrage lui vaut une réputation
d'écrivain catholique intolérant.
L'année
suivante, " L'Ensorcelée ", son roman de terroir par excellence, est
publié en feuilleton. En 1856, l'écrivain se réconcilie enfin avec sa
famille, En 1858, il se brouille définitivement avec Trébutien et s'installe
bientôt à demeure à Paris, 25 rue Rousselet. Entre temps, Barbey a renoué
avec ses vieilles nostalgies royalistes malgré son ralliement politique à
l'Empire. C'est en effet à la chouannerie normande qu'il demande désormais son
inspiration qui nous vaut " Le Chevalier des Touches " en 1864. Un an
après paraît aussi " Un prêtre marié ". Simultanément, Barbey mène
une besogne considérable de critique littéraire " mordante et partiale
" qui le fait exclure de nombreuses revues.
Au
moment de la Commune, il se réfugie dans son Cotentin natal. C'est le début de
séjours de plus en plus fréquents à Valognes où il loue un appartement dans
l'hôtel Grandval-Caligny, rue des Religieuses, et où il met la dernière main
aux " Diaboliques " dont la première édition, en 1874, lui vaudra
des poursuites judiciaires. Suivront encore en 1882 " une Histoire sans nom
" qui connaît un grand succès, " Les Ridicules du temps " en
1883 et " Ce qui ne meurt pas " en 1884.
Victime
d'une hémorragie, Barbey rend le dernier soupir le 23 avril 1889. Il est enterré
au cimetière de Montparnasse. Ses restes seront transférés à Saint-Sauveur-le-Vicomte
le 23 avril 1926, un an après l'inauguration du premier musée que lui consacra
sa cité natale. En 1935, le baron de Beaulieu fondera la Société Barbey d'Aurevilly.
Un quart de siècle plus tôt, Auguste Rodin avait sculpté son buste en bronze.
Cette œuvre sera épargnée sous l'Occupation, mais les combats de la Libération
ruinèrent le premier musée. Un autre fut reconstruit en 1956 avant d'être
transféré en 1989 à son emplacement actuel.
"
Cet artiste noble, affamé de grandeur, était hanté par le sentiment de la décadence
", dit de lui Michel Mourre dans son grand dictionnaire des auteurs. Et de
poursuivre : " Barbey n'est peut-être pas très lu, mais ce qui demeure
certainement, c'est sa biographie, son personnage de " Connétable des
lettres ", qui fait penser à Bernanos encore, avec une superbe, un faste,
une vanité assez dannunziennes. " Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly
demeure le grand écrivain de la Manche. Il mérite d'être redécouvert car,
disait un autre de ses biographes, jean Canu, cet homme égaré dans son siècle
a préparé le suivant, celui de l'absurde et de l'engagement, de l'angoisse et
du salut, de l'être et du néant.
Dans
le Dictionnaire Bordas des littératures de langue française, on peut encore
lire cet hommage : "Peu d'hommes au XIXe siècle ont autant fait
parler d'eux, parmi ceux qui ont autant parlé des autres. Durant soixante années
d'une vie chaotique, il fut intensément le contemporain et l'imprécateur des
plus grands. Ses récits le placent au tout premier rang des, constructeurs
d'univers. Et le monde aurevillien est étrange, de cette étrangeté qui n'est
pas moins inquiétante d'être, au fond, familière. " Des centaines
d'ouvrages ont été consacrés à la vie et à l'œuvre de Barbey d'Aurevilly.
Plusieurs de ses œuvres ont aussi été adaptées à l'écran : " Le
rideau cramoisi " et " Le bonheur dans le crime ", tirés des
" Diaboliques ", " L'ensorcelée ", " Le Chevalier des
Touches ", " Une vieille maîtresse ", " Une histoire sans
nom " et " Un prêtre marié ".
BEUVE
Louis (1869-1949)
Le
Trouvère normand
Quand
on l'enterra à Quettreville-sur-Sienne, son village natal, on recouvrit son
cercueil de la bannière écarlate aux trois léopards d'or. On ne pouvait
rendre hommage plus symbolique à ce chantre du régionalisme normand que ses
disciples appelaient respectueusement " Maît'Louis ".
Après
des études à Coutances et chez les Jésuites de Jersey, ce fils de meunier
commence à écrire ses premières poésies en patois durant son service
militaire à Cherbourg. Il s'installe ensuite à Paris comme commis de
librairie. C'est dans la capitale qu'il publie en 1895 sa première œuvre,
" Les contes d'aôtfais ", puis qu'il crée l'année suivante, avec
son ami François Enault le groupement culturel normand " Le Bouais-Jan
" qui aura dix ans d'existence.
Il
revient au pays en 1897 comme rédacteur en chef du " Courrier de la Manche
" dont il prendra bientôt la direction. Dès lors, " il lutte sans trêve
ni repos pour maintenir les traditions et faire triompher la cause de la
Normandie dans tous les domaines " (Albert Desile). Il lutte par la plume,
bien sûr, et d'abord celle du poète patoisant dont le chef d'œuvre est "
La vendeue ". Ses poésies en patois et en français jalonnent irrégulièrement
son existence journalistique. On lui doit aussi un roman inachevé intitulé
" La lettre à la morte ". Louis Beuve fut le père spirituel du
talentueux iournaliste Albert Desile. On ne relit pas sans émotion l'hommage
que ce dernier rendit dans " La Manche Libre " du 26 juin 1949 à
" celui qui fut le plus normand des Normands ". Il écrivait alors
notamment : " Cet homme d'humble apparence était un géant. De multiples
sentiments aussi puissants les uns que les autres s'agitaient en lui, tous dominés
et commandés par son amour passionné de la Normandie ". Et de rappeler
que Beuve était un admirateur inconditionnel de Barbey d'Aurevilly, qu'il avait
été à l'origine du fameux " souper des Vikings " et qu'il avait mené
une longue campagne pour imposer les prénoms nordiques dans la Manche.
Un
autre disciple de Louis Beuve, Fernand Lechanteur a assuré que le " trouvère
normand " avait été " plus encore qu'un poète et qu'un artiste,
l'homme d'une idée ". Celle, évidemment, de cette Normandie à laquelle
il vouait " un amour tyrannique " (Albert Desile). À la suite d'un
Alfred Rossel dont il se voulait le continuateur, Louis Beuve a été le moteur
du renouveau de la littérature dialectale du Cotentin. C'est lui qui, par
exemple, a suscité la vocation littéraire de Côtis-Capel, le grand poète de
la Hague. Laissons le mot de la fin au spécialiste de la littérature
dialectale cotentinaise qu'est Roger Lebarbenchon : " Il prend et fait
prendre conscience du fait régionaliste non sans être impressionné par le félibrige
de Mistral : il exalte la Normandie historique, celle de Rollon et de Guillaume
le Conquérant. Ce qui lui inspire des pièces de caractère épique et
visionnaire. Son influence sera de ce point de vue déterminante sur toute une
veine de la littérature dialectale du Cotentin (...) Louis Beuve sait aussi
chanter les heures heureuses et nostalgiques d'une enfance rurale revécue avec
une sensibilité symboliste de même qu'il compose des chansons inspirées par
un sentiment authentiquement populaire ".
COUILLARD
julienne (XVIe siècle)
Une
héroïne de légende
Elle
a laissé son nom dans l'histoire de Saint-Lô. Lors du siège de la' ville par
les troupes de Matignon en 1574, julienne (ou Jeanne) Couillard avait pris la tête
d'un groupe de femmes habillées d'un corsage rouge qui se battirent comme des
lionnes pour défendre la cité huguenote, On sait que cette dernière finit par
tomber entre les mains des ligueurs qui tuèrent trois cents défenseurs.
Julienne Couillard fut épargnée par Matignon qui avait admiré son courage.
Certains historiens pensent que cette julienne ne fut qu'une héroïne de légende.
On la confond souvent avec une autre femme qui, un siècle plus tôt, avait pris
une part active à la défense de Saint-Lô assiégé par les Bretons. Cette
dernière est connue sous le surnom de " Jeanne Hachette " saint-loise.
On dit qu'elle fut récompensée de sa bravoure par Louis XI en personne.
Avant
elle, une autre Saint-Loise s'était distinguée par sa bravoure en défendant
sa ville. Il s'agissait d'une certaine Hadvise qui, à la tête de ses
compatriotes, avait sauvé Saint-Lô assiégée par les Bretons en 1467.
DELISLE
Léopold (1826-1910)
Un
maître de l'érudition
Au
XIXe siècle, on n'hésita pas à l'appeler " maître de l'érudition
française ". Comme son compatriote valognais Bonjoseph Dacier, il fut
administrateur général de la Bibliothèque Nationale. Paléographe et
historien, grand spécialiste de la science bibliographique et de l'histoire
littéraire du Moyen-Âge, Léopold Delisle, qui devait sa vocation d'historien
à Charles de Gerville, a aussi été considéré comme " le plus
merveilleux dénicheur d'éditions rares et de manuscrits précieux qui fût au
monde ".
De
son vivant, cet illustre Valognais a été couvert d'éloges dithyrambiques
largement justifiés. Cet ancien élève de l'École des Chartes d'où il sortit
premier en 1849 n'avait que trente et un ans lorsqu'il fut élu à l'Académie
des Inscriptions et Belles Lettres où il siégea durant plus d'un demi-siècle.
Il
faut renoncer à énumérer ici ses principales études. Établie en 1910, la
seule collation des titres de ses ouvrages et articles remplissait un volume de
cinq cent quatre-vingt sept pages ! Il faut toutefois citer son " Histoire
de la Normandie " et un ouvrage resté fameux sur la " Condition de la
classe agricole en Normandie au Moyen-Âge ". Aujourd'hui encore, son œuvre
immense et austère demeure indispensable à ceux qui étudient l'histoire de la
Normandie et de la Manche.
Léopold
Delisle est mort à Chantilly après une carrière scientifique de plus de
soixante ans.
L'autre " monument
" de la Manche
Deux monuments dominent la
Manche le Mont Saint-Michel au sud, Jean-François Millet au nord !
Par la stature que lui a donnée
une renommé universelle, le peintre de l'Angélus et des Glaneuses toise de
haut toutes les autres célébrités de notre galerie de portraits. Les
reproductions de ses oeuvres les plus fameuses ont popularisé son nom aux
quatre coins de la planète. À l'exception notable d'Alexis de Tocqueville,
aucun autre ne peut se prévaloir d'une telle notoriété.
L'enfant génial de la Hague
est né le 4 octobre 1814 au hameau de Gruchy, à Gréville. Son père, jean
Louis est un petit cultivateur non dépourvu de dons artistiques qu'il
transmettra à plusieurs de ses neuf enfants. Il saura reconnaître très tôt
les talents de dessinateur de son aîné, Jean-François, et l'encouragera
dès 1833 à suivre les leçons du peintre cherbourgeois Mouche], ancien élève
de David. Quand ce père meurt en 1835, le jeune homme renonce à lui succéder
et persévère dans sa vocation en se trouvant un autre maître cherbourgeois,
Langlois de Chévreville, élève de Cros, qui, au vu de ses premiers travaux,
lui obtient une bourse de la ville de Cherbourg et une aide du Conseil Général
de la Manche grâce auxquelles Jean-François Millet peut monter à Paris où il
s'inscrit, à l'École des Beaux Arts, dans l'atelier du peintre d'histoire Paul
Delaroche (1797-18S6) dont il s'éloigne dès 1839, le jugeant trop académique.
Le jeune artiste loue son
propre atelier malgré de graves difficultés pécuniaires. Pour vivre, il
produit des peintures " alimentaires ", y compris des enseignes de
boutiques, mais il poursuit dans la voie où il s'est d'abord engagé, celle du
portrait, qui lui vaut Ses premiers succès au Salon de 1840. Ils lui attirent
des commandes dans la ville de ses débuts. C'est l'année suivante qu'il épouse
Marguerite Ono dont il brossera deux portraits célèbres. On pourrait croire
alors que Millet investit tout son talent dans le portrait. Durant une dizaine
d'années, il y consacrera en effet le meilleur de sa palette qui produira
plusieurs chefs-d'oeuvre, dont ceux du legs Ono qu'on peut admirer au musée
Thomas Henry, de Cherbourg.
Après la mort de Marguerite
en 1844, Millet revient à Cherbourg ou le préfet de la Manche lui offre une
place de professeur de dessin au collège de la ville. Il décline cette
proposition comme s'il avait foi en son exceptionnel destin. En outre, ses succès
à l'exposition de 1844, avec sa première " Laitière " et " La
leçon d'équitation ", l'encouragent à faire front au dénuement. L'année
suivante, il part au Havre en compagnie d'une servante d'auberge, Catherine
Lemaire, qui lui donnera neuf enfants. Après quelques mois passés dans le port
haut normand, Millet retrouve Paris avec sa nouvelle compagne. Durant quelque
temps, sa production est assez éclectique et dominée par le nu féminin dans
lequel il excelle. En 1847, son " œdipe détaché de l'arbre " est
loué par la critique. Cette même année, il rencontre Daumier et, surtout, le
peintre paysagiste Théodore Rousseau (1812-1867) ". Il se lie aussi
d'amitié avec Alfred Sensier, un fonctionnaire du ministère des Beaux-Arts,
qui saura lui venir en aide et qui écrira sa première biographie.
La carrière de Millet est à
un tournant. Le portraitiste s'oriente désormais vers " le chant de la
terre " et la représentation des scènes de la vie paysanne qui assurera
sa renommée. Ce tournant est celui de l'année 1848 avec l'exposition du "
Vanneur " que Ledru-Rollin lui
achète 500 francs. Une bonne partie de la critique parisienne s'enthousiasme
devant le tableau. Théophile Gautier écrit par exemple : " Bien différent
des maniéristes en laid, qui, sous prétexte de réalisme, substituent le
hideux au vrai, Monsieur Millet cherche et atteint le style dans la représentation
des types et des scènes de la campagne sait y mettre une grandeur et une
noblesse rares bien qu'il n'atténue en rien leur rusticité. Il comprend la poésie
intime des champs, il aime les paysans qu'il représente et, dans leurs figures
résignées, exprime sa sympathie pour eux (...) Pourquoi les paysans
n'auraient-ils pas du style comme les héros ". "Cependant,
Millet ne fait pas l'unanimité dans l'éloge, loin de là. Certains lui
reprochent la " tristesse" de ses oeuvres et son " socialisme
". Est ce parce qu'on a vu l'artiste (sans arme) sur une barricade du
quartier Rochechouart pendant l'insurrection révolutionnaire de 1848 ?
Peu après, avec femme et
enfants, Millet fuit la capitale frappée par le choléra et se réfugie en
bordure de la forêt de Fontainebleau, dans le village de Barbizon qui, depuis
182S, est devenu le " centre spirituel " d'une colonie de peintres
paysagistes. Il se dégagera assez vite de l'influence de ce groupe car, lui, il
veut inclure dans le paysage l'homme attaché à la nature et aux travaux des
champs. " Il s'agissait là d'un thème populaire qui affirmait l'innocence
de l'homme rural ", a expliqué le critique jean de Caso avant d'ajouter :
" À partir de ce moment, il choisit ses sujets dans les scènes les plus
simples de la vie agreste et se prend d'un puissant amour de la nature (...). Il
entreprend des scènes de peintures et de dessins qui décrivent de façon légèrement
mélancolique la grande tendresse de l'artiste pour l'assujettissement de
l'homme rivé aux champs. Il recherche une expression calme, robuste et
monumentale qui pût traduire la
dignité originelle du travail et en exprimât la noblesse ". On pourrait
faire observer en outre que le fils du paysan haguais est resté nostalgique de
ses origines. Dès 1850, sa nouvelle " vocation " de peintre des
paysans est confirmée avec éclat par l'exposition des " Botteleurs de
foin " et, surtout, du " Semeur ".
Dans sa chaumière de
Barbizon, l'enfant génial de la Hague mange de la vache enragée. Poursuivi par
les créanciers, il doit troquer des toiles contre des meubles et des habits. Sa
famille vit clans la misère, Néanmoins, sa cote commence à monter, notamment
auprès de peintres et de collectionneurs américains. On admire tout Particulièrement
son " Repas des Moissonneurs " de 1853 et son " Paysan greffant
un arbre ", fort remarqué à l'Exposition Universelle des Beaux-Arts de
1855. Entre ces deux succès, Millet est revenu dans la Hague et, durant ce séjour,
il a exécuté une centaine de dessins et de tableaux inspirés par son pays
natal. Ses deux oeuvres les plus fameuses, " Les Glaneuses ", de 1857,
et " l'Angélus ", de 1859, ne suffisent pas à le tirer de ses
difficultés matérielles. L'aisance ne viendra qu'à partir de 1861 lorsque
deux mécènes lui verseront une pension en échange de la propriété de
certaines de ses oeuvres pendant trois ans. Et, six ans plus tard, c'est enfin
la consécration avec une première médaille à l'Exposition Universelle de
1867 qui met à l'honneur plusieurs de ses oeuvres. Une consécration tardive
car Millet, miné par des années de privations, est déjà très malade. Et les
faveurs nouvelles du public ne lui rendront lamais la santé.
La guerre contre la Prusse et
la Commune marquent le début du la dernière étape de sa carrière. Il fuit
l'une et l'autre en venant se réfugier à Cherbourg et à Gréville avec les
siens. Ce nouveau et long séjour au pays natal est une période très féconde.
C'est celle du " grand retour
" durant laquelle il ébauche de superbes peintures de la Hague telles que
" L'église de Gréville ", " La mer près de Gruchy " ou
" Le prieuré de Vauville ". La paix revenue, il ira finir son oeuvre
et ses jours a Barbizon où, quelques Jours après avoir épousé religieusement
Catherine Lemaire, il s'éteindra le 20 janvier 1875. Jean François Millet fut
enterré près de son ami Théodore Rousseau dans le petit cimetière de Chailly
en Bière.
La haute stature du peintre de Gréville a naturellement fait beaucoup d'ombre à deux de ses frères qui, pourtant, furent eux aussi de grands artistes. Jean Baptiste (1831 1906), qui fut à Barbizon l'élevé du son illustre aîné, fut un bon peintre, un excellent dessinateur et un sculpteur sur bois. Son oeuvre picturale la plus connue s'intitule " Abreuvoir au soleil ". Statuaire, il travailla durant plusieurs années avec Viollet le Duc. Quant à Pierre (1833 1914), il fut également graveur sur bois et sculpteur. Il accomplit une partie de sa carrière en Amérique. Enfin, François (1849 1897), troisième enfant de Jean François Millet, fut aussi un bon peintre. Il eut, on s'en doute, un nom bien difficile à porter !
FEUILLET
Octave (1821-1890)
Le
Roman d'un jeune homme pauvre
On
a peine à imaginer aujourd'hui la popularité que connut Octave Feuillet sous
le Second Empire. En pleine période réaliste et naturaliste, illustrée par
Zola, le romancier saint lois sut à merveille, comme Hector Malot, l'auteur de
" Sans famille ", exploiter ce qui restait de la veine idéaliste qui
avait triomphé dans la première moitié du siècle. Il fut, au sens propre du
terme, un auteur réactionnaire qui enchanta aussi bien le menu peuple que l'impératrice
Eugénie. Aux yeux de l'élite de l'époque, son oeuvre, y compris son théâtre
assez médiocre, apparaissait comme un contre poison aux "horreurs "du
naturalisme.
Octave
Feuillet a écrit nombre de ses romans et de ses comédies dans la propriété
des Palliers à Saint-Lô, où il venait fréquemment se reposer des fatigues
d'une vie parisienne agitée. C'est en 1848 qu'il rencontra le succès avec
" Le Roman d'un jeune homme pauvre " qui fit rêver deux générations
de lecteurs. Il faut bien admettre qu'uni siècle après, c'est à peu près
tout ce qu'on a retenu de son oeuvre pourtant prolixe. Mais le romancier
triompha aussi avec " Monsieur de Camors " (1867), dont l'histoire évoque
" Les liaisons dangereuses ", avec " Julia de Trécoeur "
(1872), avec encore " Sybille ", " La Belle au bois dormant
", " La partie de danses " ou " Dalila ".
Octave
Feuillet déployait un style brillant et concis et faisait preuve d'un sens aigu
de l'observation. Comme Barbey d'Aurevilly, Villers de l'Isle Adam, Hector Malot
ou Léon Bloy, il milita ardemment contre le matérialisme littéraire. Mais son
romanesque un peu fade et conventionnel passa vite de mode dès la fin du XIXe
siècle. Octave Feuillet avait toutefois réussi à tenir le haut du pavé
pendant une trentaine d'années. Et c'était déjà
un bel exploit !
BOUET Marie (1884-1960)
La
rescapée du " Titanic "
Pour rejoindre ses employeurs, éleveurs de chevaux aux USA, elle embarqua donc à Cherbourg à bord du " Titanic ". On sait comment cette traversée tourna au cauchemar et à la tragédie. Marie Bouet, l'aînée d'une famille de cultivateurs de seize enfants de Tessy-sur-Vire faillit ne pas avoir de chance. Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, elle parvint à sauter dans un canot, mais elle tomba aussitôt dans l'eau glacée. Un homme d'équipage lui tendit une gaffe et elle s'y accrocha avec l'énergie du désespoir. À bord de l'embarcation, elle s'aperçut qu'elle avait conservé sur elle sa paire de jumelles et sa brosse à cheveux. Elle conserva ces deux objets comme des talismans jusqu'à la fin de sa vie.