ORADOUR sur GLANE est entré dans l'histoire.
Autrefois - un autrefois qui s'appelle encore hier - ce nom rappelait, pour ceux qui savaient où le situer, un charmant village de France; et même mieux : un bourg, un gros bourg Limousin, bien placé, prospère, et où les habitants de Limoges, la ville proche, aimaient à se rendre pour respirer l'air des champs, goûter toutes les joies, toute la sereine paix de la nature, et pêcher dans la Glane.
Pour beaucoup de gens Oradour n'évoquait rien qu'un assemblage de syllabes musical. À d'autres, ce nom à consonances harmonieuses, demeurait parfaitement étranger ; ils l'ignoraient. Peut-on connaître tous les villages de France, tous les petits endroits souriants ou austères, riches ou pauvres, calmes ou animés, graves ou insouciants en apparence, où maints êtres humains - que l'on ne connaît pas - vivent leur vie ?
Oradour n'était que cela, simplement, modestement : un petit pays comparable à tant d'autres, sur la terre de France.
Vint le 10 juin 1944. Et de ce jour-là, tragiquement, Oradour est entré dans l'histoire...
10 juin 1944
Ce jour-là l'armée allemande s'est déshonorée.
Bourg martyr que l'ennemi a voulu rayer de la carte de France, le 10 juin 1944, a été le théâtre d'une tragédie unique en son horreur dans les annales de la guerre.
Le rassemblement méthodique, en vue de leur massacre délibéré, de ces 700 hommes, femmes et enfants, la destruction systématique de ces 328 immeubles, en font l'exemple type d'une communauté française victime de la barbarie. Crime vain, inutile cruauté qui n'ont fait qu'exalter encore le patriotisme du peuple de France, raidir sa volonté de libération et ajouter, s'il était possible, au déshonneur de l'Allemand et à l'opprobre qu'il avait encouru.
Citation à l'Ordre de la Nation du bourg d'Oradour-sur-Glane.
Oradour-sur-Glane est le symbole des malheurs de la patrie. Il convient d'en conserver le souvenir, car il ne faut plus jamais qu'un pareil malheur se reproduise.
Charles de Gaulle, 4 mars 1945.
Certes, nous savions qu'il n'est pas possible "
d'humaniser la guerre "... Nous savions que des milliers de sacrifiés se recruteraient parmi les désarmés, les sans défense... Il nous restait à apprendre qu'il y a des degrés dans l'horrible, toute une graduation dans l'épouvantable...
Nous le savons maintenant... Nous ne pouvons plus ignorer qu'il y a des méfaits inexplicables, des crimes inexcusables.
Sermon du Pasteur Chaudier à Limoges, le 18 juin 1944.
L'ARRIVÉE DES ALLEMANDS
Il était environ 14 heures.
Il était environ quatorze heures...
Dans la tiède somnolence de l'après-déjeuner, ce jour de printemps paisible, Oradour paressait, avant de se remettre aux occupations habituelles. Aucun pressentiment ne troublait sa quiétude. Les enfants venaient de rentrer à l'école, la rue était calme; quand un moteur y passa dans une pétarade bleuâtre, quelqu'un, peut-être, regardant à la fenêtre, dit simplement : " Tiens, un Allemand ! " Ce n'était que le premier. D'autres suivirent. Une voiture blindée, deux... cinq... six ; un camion... trois camions... dix camions... qui stationnèrent en différents points du pays. Et la population regarda, remarqua la tenue de guerre des soldats casques, bottes, uniformes camouflés de vert et de brun... Qu'allait-il arriver ? On n'était pas inquiets. Il ne s'était jamais rien passé à Oradour ; point de maquis, aucune histoire entre l'habitant et l'occupant - qu'on ne voyait, d'ailleurs, que de loin en loin. Il y eut bientôt du monde sur les pas de portes, observant avec plus de curiosité que d'angoisse le va-et-vient des hommes. Très peu de personnes songèrent à s'enfuir, d'ailleurs le village avait été cerné aussitôt et par des voitures et par des cordons de sentinelles.
LE RASSEMBLEMENT DE LA POPULATION
Cependant voilà que résonne le tambour de ville : rassemblement général au Champ de Foire. Au début on y va sans hâte, mais les patrouilles arrivent, pénètrent partout, tirent celui-ci, poussent celui-là : " Allons, allons, Schnell ! " Hommes, femmes, enfants, vieillards, aucune exception... Les petits écoliers sont conduits par rangs; ils ont obéi, dociles, aux conseils de leurs maîtres : " Ne faites pas attendre; dépêchez-vous... " Ils ont obéi, tous, sauf un ; et celui-là - un petit Lorrain réfugié qui " les " connaissait et se sauva dans les jardins - Roger Godfrin fut le seul rescapé des 247 enfants des écoles d'Oradour. Voici donc rassemblée sur le Champ de Foire toute la population. Un bruit circule : c'est pour vérifier les cartes d'identité. Certains trouvent cela bizarre ; la plupart, s'ils s'inquiètent pourtant, ne soupçonnent pas encore qu'un drame va se jouer et qu'ils en seront tous les victimes.
LE PREMIER ACTE DU DRAME
Déjà, avec la brutalité prussienne, débute le premier acte de ce drame : le tri de la foule; d'un côté les femmes et les enfants, de l'autre les hommes. Dans chaque cœur, cette fois, naît et grandit le doute, la crainte : " Que va-t-on faire de nous ? " Et peut-être les femmes furent-elles soulagées de se voir diriger vers l'église avec tous les enfants : l'église, c'est la maison de Dieu et de la Paix : que pourrait-il leur arriver de funeste entre les murs du sanctuaire ? Elles s'inquiètent surtout pour leurs maris, leur fils, leurs pères.
Des commandements éclatent dans le silence : l'officier allemand réclame des otages, avant de faire perquisitionner dans leurs maisons. Le maire, le docteur Paul Désourteaux, s'avance aussitôt, offrant avec lui ses quatre fils. L'Allemand n'insiste pas sur cette question d'otages : cela faisait partie de la mise en scène, et voilà tout. Une heure se passe. Ordres et contre-ordres se succèdent. Alentour, la vie continue à son rythme habituel, qui se douterait, à quelques kilomètres, de ce qui se passe à Oradour ? Des cyclistes, - cinq jeunes gens et une jeune fille - traversant le bourg par malchance, furent aussitôt saisis et subirent le sort des autres ; qui donc pourrait donner l'alarme ? De tous ceux qui entrèrent à Oradour, par ce clair après-midi de juin, pas un ne ressortit vivant.
Une heure donc se passe. Et puis les S.S. divisent en plusieurs sections tous ces hommes que l'angoisse a, finalement, rendus silencieux; on les conduit respectivement dans trois granges, deux garages, un chai et un hangar ; et, là, le supplice va commencer.
LE MASSACRE DES HOMMES
Récit d'un rescapé
Vers 16 heures une explosion dans le bourg donne le signal du massacre. Il commence au même instant dans tous les lieux de supplice.
Les S.S. tirent bas, à hauteur des jambes. Les hommes tombent, s'entassent. Les bourreaux continuent jusqu'à ce que plus rien ne bouge. Ils montent alors sur ces corps sanglants et donnent le coup de grâce à quelques malheureux qui remuent encore. Puis toujours aussi calmement, en continuant leurs conversations, ils recouvrent les cadavres de paille, de foin, de bois, tout ce qui pourra brûler.
Leur besogne terminée, ils partent, et les survivants se mettent à parler. Les mourants se plaignent, râlent, gémissent, pleurent...
" Attention les voilà ! " dit une voix. Il se fait un grand silence.
Les S.S. allument le feu qu'ils ont préparé, et quand les flammes commencent à monter, ils s'éloignent.
Le feu ronfle. C'est l'horreur. Les mourants, les blessés trop faibles vont brûler vifs...
De l'église où elles sont toujours enfermées, les femmes entendront le claquement des mitrailleuses ; elles devineront : " Ils tuent nos hommes ! " Elles ne devineront pas tout ; elles ne verront pas l'horreur de ce massacre : les armes automatiques fauchant les rangées d'hommes alignés les uns derrière les autres, la paille entassée sur ces corps sanglants - et qui, en grand nombre, sont encore vivants - et le feu allumé là-dedans et qui s'élève pétillant, joyeux, torturant ces êtres à l'agonie, rendant impossible la fuite, ajoutant son ultime horreur à toutes les horreurs précédentes.
ÉCHAPPÉS DE L'ENFER
De cet enfer, pourtant, des hommes sortirent. Au prix de quels efforts, de quelles ruses, ils le raconteront dans des souvenirs poignants; le petit nombre de ces rescapés montre la hardiesse de leur entreprise, et leur chance - qu'on peut qualifier de miraculeuse. Il s'agit de MM. Borie Mathieu, Broussaudier Clément, Darthout Marcel, Hébras Robert, Roby Yvon. Tous suivirent le même procédé : se jeter à terre dès la première salve de mitrailleuse et faire le mort : se dégager ensuite, prudemment de leurs couvertures de cadavres et gagner un coin de la grange - un clapier, entre autres - attendre là, des heures, alors que l'incendie court tout autour ; et puis, quand les flammes arrivent, se sauver encore, en se dissimulant entre deux murs, et gagner la campagne avec des ruses infinies ; rester, enfin, tapis dans des broussailles jusqu'à ce que la pleine nuit, le départ des sentinelles, permettent la fuite.
Quelques habitants d'Oradour, qui ne s'étaient pas rendus au rassemblement, purent échapper au massacre. Ils évitèrent ainsi l'atroce fusillade, citons entre autres Mme, Auzanet, Rénaud Jeanine, Robert Maria. MM. Belivier Marcel, Brissaud Martial, Crémoux, Désourteaux Hubert, Doutre Paul, Litaud, Senon Armand, Beaubreuil Joseph, Beaubreuil Maurice, Besson Robert, Machefer Martial, Rénaud Aimé. Mais beaucoup d'autres furent abattus dans leurs maisons par les S.S. qui fouillaient le bourg. Enfin deux groupes, l'un de cinq personnes, l'autre de trois, s'enfuirent dès l'arrivée des Allemands dans le pays, et parmi ceux-là le petit écolier lorrain. Leurs témoignages à tous concordent pour décrire la rapidité et la sauvagerie de l'attaque, l'horreur du martyre qu'ils ont vécu. On reste confondu devant un tel raffinement de cruauté. Et que dire alors de ce qui se passa dans l'église ? Quel nom donner au supplice infligé à ces êtres sans défense, et parfaitement innocents ?
LE DRAME DE L'ÉGLISE
Après de longues heures d'angoisse, dans l'incertitude du sort de ceux qu'elles ont laissés sur le Champ de Foire - et les rafales de mitrailleuses entendues laissent tout présager - voilà que les femmes voient s'ouvrir la porte de l'église. Enfin ! Est-ce la liberté ? Déjà s'ébauche le mouvement de sortie, sur le visage des petits enfants un timide sourire se dessine... Mais les deux Allemands qui sont entrés referment la porte; ils vont déposer près de la table de communion une caisse volumineuse d'où dépassent des cordons; à ces cordons ils mettent le feu, puis sortent en refermant la porte derrière eux. Presque aussitôt une explosion se produit; une fumée âcre, suffocante, se dégage. Quel affolement, alors ! " Nous allons mourir ! Nous allons mourir asphyxiés, brûlés ! " Les enfants se jettent sur leur mère ; des cris, des supplications jaillissent, bientôt étouffés par la fumée. Dans une vision infernale, les malheureuses victimes fuient en tous sens, se heurtant aux issues fermées, s'aggrippant aux murs : par où s'échapper ? Sous la pression de cette masse hurlante, aux forces décuplées par la terreur, la porte de la sacristie cède ; le salut, peut-être ? Non. Les tortionnaires ont songé à tout; ils se sont embusqués à l'extérieur et, par les fenêtres, tirent de toutes leurs armes. Quel carnage ! Femmes, enfants s'écroulent les uns sur les autres ; aucun refuge ! Aucun recoin n'est épargné.
Par quel miracle une femme réussit-elle à se glisser, bravant la mort qui crache de partout, jusque derrière l'autel ? Là, un escabeau qui sert à allumer les cierges ; au-dessus, un vitrail ouvert... Le salut ! Péniblement, la femme se hisse jusqu'à l'ouverture et, quelques secondes, boit avidement le soleil et l'air pur. Un saut de trois mètres. Elle se redresse. Elle va fuir. Mais des cris retiennent son mouvement ; elle lève la tête : une autre femme a suivi le même chemin qu'elle, une jeune mère, qui vient de jeter précipitamment son bébé par le vitrail : " Sauvez mon petit, prenez-le ". L'enfant s'est écrasé sur le sol, tandis que sa pauvre maman va sauter à son tour pour courir vers le jardin du presbytère, tout proche, où les deux femmes espèrent se dissimuler. Trop tard ! Leur fuite a été aperçue; tout autour d'elles les balles sifflent, crépitent; frappée à mort la jeune mère s'écroule, et son petit enfant expire à ses côtés. Il n'y a plus, maintenant, qu'une rescapée, blessée grièvement, et qui s'est affalée un peu plus loin, entre des rames de petits pois ; les jeunes feuillages recouvrent son corps exténué ; à demi-consciente elle reste là, des heures et des heures...
Dans l'église la tragédie touche à sa fin ; les Allemands ont entr'ouvert les portes, ils tirent, au hasard, dans la fumée, ils tirent sans relâche, sans répit, jusqu'à l'épuisement de leurs munitions. Et puis ils s'en vont. Un grand silence... Mortes ou agonisantes, les victimes affolées de tout à l'heure ? De combien de cadavres doit être jonché le sol de cette nef, ce matin, encore si nette et parfumée d'encens ? Il faut faire disparaître ces témoins de la civilisation nazie : les soldats reviennent; entasser pêle-mêle les bancs et les chaises en un monstrueux bûcher, y mettre le feu, tout cela ne demande qu'un instant. Dans le ciel clair de cette fin d'après-midi, s'élève une immense colonne de fumée et de flammes : l'église d'Oradour brûle...
CEUX QUI N'ÉTAIENT PAS LÀ...
Vers 7 heures du soir, lorsque le tramway qui vient de Limoges arriva au pont de la Glane, près de Puy-Gaillard, il fut soudainement arrêté par des S.S. Les voyageurs terrorisés furent divisés en deux groupes : les habitants d'Oradour, et les autres; pour ceuxci on leur donne l'ordre de retourner à Limoges; pour ceux-là, une vingtaine environ, on les aligne devant une palissade, une mitrailleuse braquée sur eux. Ils attendent la mort. Ils l'attendirent trois heures, au milieu des plaisanteries des Allemands véritablement ivres de feu et de sang. Quand au bout de ce temps on leur dit qu'ils sont libres, ils n'en peuvent croire leurs yeux; hébétés, il s'en vont demander asile dans les hameaux environnants, car il leur est interdit de rentrer à Oradour. Que s'est-il passé au village qu'ils ont quitté le matin ? Les flammes tourbillonnent dans la nuit commençante : l'appréhension, l'horreur, étreignent toutes les poitrines ; Oradour brûle; que sont devenus les habitants ? Hélas !...
APRÈS LE DRAME
Toute la nuit les Allemands ont fait bombance, ripaillé, chanté... Le pays était riche, il y avait de bonnes caves dans de nombreuses maisons ; au matin seulement, après avoir incendié deux maisons encore debout - théâtre de leurs réjouissances probablement - les assassins quittèrent les lieux de leur crime. D'Oradour il ne restait plus rien... Des pans de murs noircis, des tas de pierrailles, dans un garage des châssis de voitures, tordus, déchiquetés, et le squelette décharné de l'église. Le silence est enfin tombé sur la cité morte, sur ceux qui, enfouis sous les bûchers consumés, dorment leur sommeil de martyrs.
SPECTACLE D'HORREUR
Que dire de l'affreux spectacle qui attendait les malheureux revenus à Oradour dès les premières heures du lendemain, furtivement, en se cachant, dans l'espoir de retrouver - vivant, peut-être ? - un être cher ! Un à un les charniers sont découverts; les désespoirs succèdent aux désespoirs; ceux qui, les premiers, pénètrent dans l'église, reculent, saisis d'horreur. Quelle folie que de s'être imaginé retrouver un corps, un seul, vivant, dans le tas de ces cendres humaines encore chaudes ! Un pauvre homme reconnaît sa femme et l'une de ses parentes, serrées l'une contre l'autre ; il s'élance, saisit cette épaule qui garde encore l'apparence de la vie, et, sous sa main, s'écroule une pluie de poussière comme s'évanouirait un mirage. Dans le confessionnal demeuré intact deux petits garçons, la main dans la main, sont là, debout ; le feu les a épargnés, mais les balles allemandes se sont acharnées sur eux, et leurs cuisses potelées ne sont plus qu'une chair sanguinolente.
Par un de ces caprices du sort, habituels aux cataclysmes, certaines parties de cette église en ruines restent semblables à ce qu'elles furent avant le drame, comme, par exemple, les statues de Notre-Dame de Lourdes et de Sainte Bernadette, comme aussi l'autel de Saint Joseph ; celui de Sainte Anne, par contre n'existe plus : la sacristie s'est effondrée dans la cave avec son chargement de cadavres ; du clocher brûlé la cloche s'est écroulée et son métal fondu a laissé sur la pierre de larges traînées.
UNE FAIBLE VOIX...
Tout à leur macabre besogne, les survivants
- qui ne pourront pas même être des sauveteurs - n'entendent pas une faible voix qui, d'un jardin peu éloigné, appelle ; seule, les fera tressaillir cette clameur : " Les revoilà ! " C'est un sauve-qui-peut affolé devant cette nouvelle offensive de l'ennemi ; ceux qui sont revenus savent quel serait leur sort si l'Allemand les trouvait là... Pourtant, dans l'après-midi de ce dimanche orageux, lourd au ciel comme dans les cceurs, d'autres ombres vivantes viennent encore se glisser parmi les ombres mortes; ne faut-il pas essayer de sauver, au moins, quelques cadavres ? Et c'est ainsi qu'on découvrit, presque agonisante, épuisée de souffrance sous son abri de feuillages, l'unique rescapée de l'église, Mme Rouffanche, dont les appels, le matin, n'avaient pas été entendus. Sur son lit d'hôpital, cette femme de 46 ans qui perdit dans le massacre d'Oradour son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils, racontera - récit combien émouvant dans sa sobriété - les heures d'agonie que vécut cette population disparue dans un supplice sans nom.
LES RECHERCHES
Quelques jours plus tard, les habitants de la région furent enfin autorisés " officiellement " (!) à rechercher les corps et à les inhumer. Recherches combien difficiles, les Allemands, revenus deux jours après le massacre pour tenter d'en faire disparaître la trace, ayant jeté pêle-mêle tous les débris humains - dont certains eussent été facilement reconnaissables - dans diverses fosses hâtivement creusées en des points quelconques du pays. Des équipes de sauveteurs, dont on ne saura trop louer le dévouement et le savoir-faire, mirent à jour un répugnant mélange de chairs carbonisées, d'ossements et de ferrailles... Bien peu de corps purent être identifiés. Chaque soir, avant de descendre dans une fosse spéciale du cimetière les débris et cendres retrouvés au cours des travaux de la journée, une absoute fut donnée sur ces restes informes, spectacle déchirant, empreint, pourtant, d'un réconfortant esprit de Foi.
POURQUOI CE MASSACRE ?
Pourquoi ce massacre ? Les Allemands ont donné des prétextes - leur abondance même est une preuve de leur inexactitude. On a dit que ce n'était pas Oradour-sur-Glane, mais Oradour-sur-Vayres, important centre de maquis, qui avait été visé et que le détachement allemand s'était trompé. On a dit aussi que des armes auraient été aperçues dans un garage d'Oradour par des S.S. qui auraient décidé alors de revenir en force pour anéantir le bourg. On a dit encore : qu'une rixe aurait éclaté entre Allemands et réfractaires et que deux Allemands auraient été tués; que des patriotes en embuscade auraient tiré sur la colonne de S.S. à son arrivée au pays ; enfin, qu'une voiture allemande de tourisme aurait été attaquée, les jours précédents, à quelques kilomètres d'Oradour et deux officiers tués... En fait, on ne sait rien
de précis sur ce qui provoqua le martyre d'Oradour. Des Allemands se sont vantés d'avoir accompli une expédition punitive dans un village à 20 km de Limoges ; il s'agissait bien, évidemment, d'Oradour-sur-Glane... Ont-ils voulu faire un exemple pour terroriser les habitants de cette contrée qui ne leur étaient pas favorables ? On ne sait pas... Quoi qu'il en soit, aucun mobile ne pourrait excuser l'horreur d'un tel massacre, et il semble bien que ce mobile même n'existe pas. Les tortionnaires de toute une population laborieuse et innocente se sont mis à jamais au ban de l'humanité.
LE PROCÈS DE BORDEAUX
Le 12 janvier 1953 le procès s'ouvre enfin, après une instruction qui a duré près de neuf ans.
Instruction difficile, faute de preuves précises, absence des responsables et, bien sûr, amnésie de tous les accusés.
Sur 65 identifiés, 21 se présentent, la plupart en prévenus libres. Il y a 7 Allemands dont un adjudant. Et 14 Français alsaciens dont un sergent. Tous font partie de la sinistre division Das Reich. Aucun officier !
Le Commandant Dickmann est mort en Normandie. Le Capitaine Kahn a " disparu " en Suède. Le Général Lammerding a repris son métier à Dusseldorf. Intouchable... en zone d'occupation britannique. Il a même envoyé une lettre au tribunal pour innocenter ses hommes : " ils n'ont fait qu'obéir aux ordres ". Quant au lieutenant Barth, il ne sera " retrouvé " qu'au bout de 37 ans, en R.D.A., après une vie heureuse.
Dès le début du procès s'engage une bataille de procédure. Les alsaciens (français) seront-ils jugés en même temps que les allemands ? Oui, décide le tribunal. Mais les tracasseries continuent tout au long des audiences.
M. Brouillaud, Président de l'Association des Familles des Martyrs d'Oradour-surGlane conduit la délégation des témoins et parents des victimes. Beaucoup de dignité dans leur immense douleur. Ils n'ont pas de haine. Ils demandent justice.
Puis c'est l'acte d'accusation, interminable... Il tente de décrire l'horreur.
Les témoins, des rescapés viennent à leur tour dire leur souffrance, et leur peine, toujours présents neuf ans après. Ils décrivent le pillage avant l'incendie, le massacre délibéré de 642 hommes, femmes et enfants, souvent brûlés vifs...
Les accusés. Dans cette ambiance d'horreur, ils sont calmes, ils attendent. Pas un mouvement de compassion devant les pleurs des parents de leurs victimes. Comme si ce procès n'était pas le leur. D'ailleurs, ils ne se souviennent pas. Ils ont monté la garde. S'ils ont tiré, c'est sans viser.
Le 13 février 1953, le tribunal rend son verdict. D'abord les allemands. L'adjudant est condamné à mort. Pour les autres, un est acquitté, cinq sont condamnés à dix et douze ans. Le sergent alsacien est condamné à mort, les 13 autres ont des peines de cinq à huit ans.
Ce jugement ne satisfait personne. À Oradour, on est accablé, écoeuré. Les familles restent avec leur douleur, malgré tous les témoignages de sympathie en Limousin.
En Alsace, une certaine presse prend fait et cause pour les " Malgré nous ", oubliant, trop vite, que ceux d'Oradour étaient des assassins. Ces réactions poussent les parlementaires à voter le 21 février une loi d'amnistie pour gracier les 13 condamnés alsaciens, au nom de l'Unité de la France.
Et le jour même, ils quittent la prison, libres, ainsi que les six soldats allemands ayant déjà accompli leur peine quant aux condamnés à mort, ils furent graciés quelques temps après.
Et Oradour a rendu à l'État la Croix de la Légion d'Honneur et lâ Croix de Guerre qui lui avaient été remises quelques années plus tôt.
LE PROCÈS DE BERLIN
Le Lieutenant Barth a vécu en R.D.A. dans son village natal, sous son vrai nom, sans être inquiété jusqu'en 1981. Et c'est en pleine " guerre froide " que le Service de recherche des criminels de guerre a " réussi " à le retrouver. On ne peut pas l'accuser de zèle excessif. Mais peut-être d'autres raisons, plus politiques, sont-elles à la base de cette découverte.
Enfin le procès s'ouvre à Berlin-Est, le 25 mai 1983.
La délégation des témoins d'Oradour comprend cinq rescapés : Hébras, Roby, Machefer, Beaubreuil et Darthout.
Ils refont le récit de cet après-midi du 10 juin 1944 où un détachement de la Division Das Reich a exterminé 642 victimes et détruit Oradour-sur-Glane. Ils redisent l'horreur, toujours dans l'esprit et dans le cœur, quarante ans après.
Barth reconnaît tout.
Non, ils n'ont pas trouvé d'armes à Oradour. Pas de maquisards non plus. Les ordres avaient été donnés par le Commandant Dickmann. Il fallait détruire la localité et ses habitants, y compris femmes et enfants.
Aucun regret. Il n'avait pas réfléchi, il avait obéi. " En temps de guerre, on opère avec toute la rigueur voulue et avec tous les moyens ".
Le verdict : Réclusion à vie.
Et le mur de Berlin est tombé 6 ans plus tard, en 1989...
Pour que mémoire demeure...
Souvenons-nous !...
Les jours, les mois ont passé sur le drame d'Oradour ; dans les cœurs des Français il doit demeurer présent, comme l'exemple le plus complet de ce que fut la cruauté nazie.
Que la France de demain, grandie par l'épreuve, purifiée par le sacrifice de tant de ses enfants, peut-être les meilleurs, n'oublie pas les humbles et innocentes victimes de la campagne limousine qui payèrent dans les supplices et les flammes leur seul crime être Français.
Souvenons-nous !...