Près de Limoges, le village d'Oradour-sur-Glane est un des lieux de France qui, en ce printemps tragique, vivent la vie la plus paisible et la plus favorisée. Le 10 juin 1944, Oradour-sur-Glane, entouré d'une campagne riche et féconde, de champs vallonnés et de boqueteaux, se réjouit d'être un pays d'élevage, doté d'un ravitaillement exceptionnel. Sa population normale compte 1.574 habitants, dont 330 agglomérés dans le bourg lui-même, et le reste réparti dans une couronne de hameaux, que l'on appelle des villages. À ces autochtones s'ajoute, depuis la guerre, un grand nombre de réfugiés, des enfants des villes que l'on envoie en vacances pour se remettre des privations, des habitants de Limoges qui y viennent pour un week-end ou pour un repos, des réfugiés d'Alsace et de Lorraine, deux familles d'israélites qui y séjournent sous de faux noms. Ainsi la population du bourg s'est accrue de plus de cent personnes, sans compter celles de passage. Pas de maquis aux environs.

Deux groupes scolaires comptent au total 191 enfants inscrits. En outre, depuis la guerre, une école spéciale destinée aux enfants alsaciens et lorrains a un effectif de 21 élèves. Pour encadrer tout ce petit monde, deux instituteurs et cinq institutrices, dont pas un ne va survivre au massacre.

Les hôtels et les maisons regorgeaient de monde

Le 10 juin est un samedi. Rarement autant de monde s'est trouvé réuni dans le village. Deux événements contribuent à l'affluence : une visite médicale a groupé dans la maison d'école la presque totalité des enfants. Au bourg a lieu une distribution de tabac : les amateurs sont nombreux pour faire honorer leurs cartes en un produit qui se raréfie et devient irrégulier.

L'approche du dimanche anime les conversations. Les hôtels sont pleins à craquer : les salles à manger regorgent.

À l'hôtel Avril, aucun des pensionnaires ne fait défaut. Parmi eux une dame, avec ses trois enfants et sa petite nièce : des Parisiens qui ont voulu échapper aux bombardements que subit la capitale. Un commandant vétérinaire de Reims, avec sa femme et un neveu. Une darne de Montpellier avec sa mère, un ménage de Bordeaux, un père de famille et ses deux enfants, une famille d'israélites, une vieille dame de Rennes, un ménage de Limoges... En outre, comme c'est samedi, les clients de passage sont nombreux. Madame Avril, hôtesse aimable et active, est débordée. Le repas est en retard.

A l'hôtel Milord, le déjeuner est servi. Il y a environ vingt convives à la table d'hôte. Il y a là, parmi les habitués, des Parisiens avec leur famille, des habitants de Limoges, un jeune Marseillais, champion de chistera, et une jeune dame; celle-ci, par une précaution qui s'avéra dramatiquement dérisoire, vient de faire transporter à Oradour ses objets précieux et son argenterie.

Une ombre s'inscrit au tableau de tranquillité et de paix que présente le village : la veille à la table d'hôte de l'hôtel Milord, deux clients de passage ont intrigué la clientèle en posant des questions indiscrètes et en s'efforçant de faire parler leurs commensaux.

200 S.S. surviennent au début de l'après-midi

14 h 15. Soudain, écriront en 1947 M. Guy Pauchou, sous-préfet de Rochechouart, et le Dr Pierre Masfrand, conservateur des ruines d'Oradour-sur-Glane, un grand émoi s'empare de la population. Un lourd convoi de camions arrivait par la route de Limoges et stationnait dans la partie basse du bourg. Environ dix automobiles, dont cinq, trois camions et deux chenillettes, parcourent la rue principale, rue Émile-Desourteaux, et se dirigent vers le haut de la ville, où elles stoppent. L'ensemble du détachement comprend quelque 200 SS casqués, vêtus d'amples vestes de grosse toile imperméable, mouchetée, où dominent le vert et le jaune. Pourquoi ce déploiement guerrier dans un village pacifique ? Halte au cours d'une étape ou opération militaire? Ou bien encore, vérification policière ? C'est dans ce dernier sens que s'oriente d'abord l'inquiétude des habitants.

En effet, quelques minutes à peine se sont écoulées depuis l'arrivée des Allemands qu'on entend le tambour de ville passer clans les rues en lisant un avis à la population. Cette procédure débonnaire prend en ce jour, à cette heure, un sens plus redoutable : tous les habitants, hommes et femmes, sans aucune sorte d'exception, doivent se rassembler sans délai sur le champ de foire munis de leurs papiers, pour vérification d'identité.

En même temps, des patrouilles de SS pénètrent dans les maisons et, sous la menace de leurs armes, obligent tout le monde, même les malades, à se rendre au lieu de rassemblement.

Comme à la manœuvre

Des actes de violence sont accomplis méthodiquement, comme à la manoeuvre, sur ordres venus d'un poste de commandement établi dans un immeuble situé sur la route des Bordes et appartenant à un boulanger.

Les SS n'oublièrent pas, hélas! les enfants groupés dans les locaux scolaires. Pour l'école des garçons, des bruits invérifiables ont couru. Selon les uns, le directeur, M. Rousseau, aurait essayé de faire fuir ses élèves. Le gradé allemand lui aurait dit alors qu'on allait mettre les enfants en sûreté dans l'église, car on craignait un combat dans le village.

D'autres prétendent que, pour emmener plus facilement les petites victimes, le chef de détachement leur aurait promis des friandises ou leur aurait annoncé qu'il les conduisait à une séance de photographie. Les deux cents bambins, encadrés par leurs instituteurs, seraient partis relativement calmes et insouciants.

Un seul d'entre eux se méfia et échappa au massacre : c'était un jeune élève, réfugié de Lorraine, Roger Godfrin, qui, instruit par l'expérience de sa province d'origine, dit à un de ses petits camarades : Ce sont des Allemands, je les connais : ils vont nous faire du mal, je vais tenter de me sauver. Il s'échappa par le jardin, derrière l'école, se cacha dans des massifs de verdure, puis dans les bois. On le retrouva, le lendemain, seul enfant rescapé, chez des compatriotes lorrains du village voisin de Laplaud.

En même temps que se rassemble au champ de foire la population du bourg, les Allemands effectuent le ratissage des hameaux environnants. Les soldats, qui en descendent rabattent vers le champ de foire toutes les personnes qu'ils rencontrent sur les routes et dans les terres. Les cultivateurs sont contraints sous la menace de laisser leurs travaux ; ceux qui tentent de s'échapper sont immédiatement abattus.

À 14 h 15, tous les habitants d'Oradour finissent de se rassembler sur la place du village. Ce sont des femmes en pleurs, d'autres plus courageuses ou confiantes. Les hommes sont là aussi, quelques-uns surpris en plein travail, le boulanger, le torse nu, tout blanc de farine. Il y a là encore les notables : M. le docteur Desourteaux père, président de la Délégatlon spéciale, c'est-à-dire l'homme nommé par le gouvernement de Vichy pour faire office de maire.

Soudain, un officier allemand l'interpelle : Vous allez me désigner trente otages. Courageusement, le maire refuse. Puis, sur l'insistance des SS, il déclare qu'il se désigne lui-même et que s'il faut d'autres otages, on arrête toute sa famille.

Attitude de dignité, de générosité, qui va demeurer sans effet. Six mitrailleuses légères sont mises en position autour du champ de foire : les mitrailleurs et les servants sont à leurs postes, prêts à tirer à la moindre tentative d'évasion.

Les hommes d'un côté, femmes et enfants de l'autre

À 15 heures, le rassemblement est terminé. Les Allemands divisent la population en deux groupes. D'une part, les femmes et les enfants. qu'ils conduisent à l'église. D'autre part, les hommes, au nombre de plus de 200, qu'ils dénombrent et alignent sur trois rangs assis sur le bord du trottoir, face au mur. Malgré la consigne, M. Darthout se retourne un court instant : c'est pour voir les femmes s'éloigner lamentablement : parmi elles, son épouse, qu'il aperçoit pour la dernière fois.

Un interprète s'avance alors et demande où sont les dépôts clandestins d'armes et de munitions effectués pas des terroristes. Seul, un des hommes rassemblés déclare qu'il a une carabine de six millimètres, calibre autorisé par la préfecture : Elle ne nous intéresse pas, dit l'Allemand.

On perquisitionne alors dans toutes les demeures évacuées, sans résultat.

La tuerie dans les granges

À 15 h 30, les hommes sont divisés en quatre groupes dont deux sont dirigés par des soldats en armes vers le haut du village et deux autres vers le bas. L'ensemble est réparti entre sept granges, appelées du nom de leurs propriétaires ou de l'hôtel dont elles dépendent : Laudy, Milord, Desourteaux, Denis, Bouchoule, garage et grange Beaulieu.

Les seuls rescapés du massacre se trouvèrent dans la grange Laudy. On ne sait donc rien sur ce qui s'est passé dans les six autres. Pour celle-ci, voici le récit d'un des cinq survivants, M. Roby. Dans sa précision, sa concision, il permet d'imaginer ce qui eut lieu ailleurs :

« A peine arrivés, les Allemands nous ont obligés à enlever deux charrettes encombrantes; puis, nous ayant fait pénétrer à l'intérieur du bâtiment, quatre soldats demeurés à la porte braquèrent sur nous des mitrailleuses à feu croisé, dans le but de nous empêcher de fuir. Soudain, paraissant obéir à un signal donné par une forte détonation que j'ai déterminée comme provenant du champ de foire, ils poussèrent un grand cri et ouvrirent lâchement le feu sur nous. Je me mis à plat ventre, la tête entre mes bras. Cependant, les balles ricochent contre le mur près duquel je me trouve. La poussière et le gravier gênent ma respiration.

Soudain, la mitraillade cesse ; les bourreaux montent sur nos corps, achèvent, à bout portant, à l'aide de revolvers, les blessés qu'ils voient encore remuer. J'attends avec effroi la balle qui m'est destinée. Je suis blessé au coude gauche. Autour de moi, les cris s'éteignent, les coups de feu se font plus rares. Enfin, un grand silence règne, un silence lourd, angoissant, troublé cependant par quelques plaintes étouffées.

Ils ont alors disposé sur nous tout ce qu'il pouvait y avoir de combustible à leur portée : paille, foin, fagots, ridelles de charrettes, échelles... Ils mettent le feu au tas de paille qui nous recouvre. Les flammes se répandent rapidement, envahissant toute la remise. Je tente de fuir, mais le poids des corps de mes camarades gêne mes mouvements. Après des efforts désespérés, j'arrive à me dégager. Je me dresse, pensant recevoir une balle, mais les S.S. avaient déserté la grange.

Les femmes abattues dans l'église

Les mêmes abominations se produisirent dans l'église. De toutes les femmes et les enfants rassemblés, une seule a réchappé : Mme Roufanche, qui a perdu, dans le massacre, son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils âgé de sept mois. Voici des fragments du récit qu'elle effectua par la suite :

Entassés dans le lieu saint, à plusieurs centaines, nous attendîmes de plus en plus inquiets.

Vers 16 heures, des soldats âgés d'une vingtaine d'années, placèrent dans la nef, près du choeur, une sorte de caisse assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu'ils laissèrent traîner sur le sol.

Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l'engin dans lequel une forte explosion soudain se produisit et d'où une grosse fumée noire et suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants, à demi asphyxiés et hurlant de frayeur, affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore respirable. C'est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée sous la poussée irrésistible d'un groupe épouvanté. J'y pénétrai à sa suite, et, résignée, je m'assis sur une marche d'escalier. Ma fille vint m'y rejoindre. Les Allemands, s'étant aperçus que cette pièce était envahie, abattirent sauvagement ceux qui y avaient cherché refuge. Ma fille fut tuée près de moi d'un coup de feu tiré de l'extérieur. Je dus la vie à l'idée que j'eus de fermer les yeux et de simuler la mort.

Une fusillade éclata dans l'église, puis de la paille, des fagots, des chaises furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles.

Ayant échappé à la tuerie et n'ayant reçu aucune blessure, je profitai d'un nuage de fumée pour me glisser derrière le maître-autel.

Il existe dans cette partie de l'église trois fenêtres. Je me dirigeai vers la plus grande qui est celle du milieu et, à l'aide d'un escabeau qui servait à allumer les cierges, je tentai de l'atteindre. Je ne sais alors comment j'ai fait, mais mes forces étaient décuplées. Je me suis hissée jusqu'à elle, comme j'ai pu. Le vitrail était brisé, je me suis précipitée par l'ouverture qui s'offrait à moi. J'ai fait un saut de plus de trois mètres.

Ayant levé les yeux, je me suis aperçue que j'avais été suivie dans mon escalade par une femme qui, du haut de la fenêtre, me tendait son bébé. Elle se laissa choir près de moi. Les Allemands, alertés par les cris de l'enfant, nous mitraillèrent. Ma compagne et le poupon furent tués. Je fus moi-même blessée en gagnant un jardin voisin. Dissimulée parmi des rangs de petits pois, j'attendis dans l'angoisse qu'on vienne à mon secours. Je ne fus délivrée que le lendemain vers 17 heures.

Telles sont les seules précisions que l'on puisse avoir sur les épisodes principaux du drame : massacre collectif des hommes dans les granges, massacre collectif des femmes et des enfants clans l'église.

Des cadavres partout

D'autres crimes furent accomplis au cours d'actions isolées.

Tout autour de la ville martyre, on retrouva dans les jours qui suivirent des ossements calcinés, des cadavres fusillés ou des bicyclettes appartenant à des victimes.

Dans la nuit, après le drame, les meurtriers sablèrent le champagne dans une maison confortable et particulièrement bien approvisionnée en vivres, où se passèrent d'atroces orgies, à côté de corps inanimés. Le lendemain, dimanche 11 juin, vers onze heures du matin, ils mirent le feu à la maison, puis, clans une voiture volée., transportèrent deux valises contenant le butin qu'ils avaient fait dans le bourg.

Après leur départ, les quelques rescapés sortent de leurs cachettes et voient le village incendié. Mais leur angoisse n'est pas finie. En effet, le lendemain 12 juin, à la première heure, les Allemands revinrent à Oradour pour creuser deux fosses où ils enfouirent les restes trop visibles de leurs victimes. D'autres furent enterrés dans les champs. En se retirant, ce détachement liquidateur tira encore des rafales de mitraillettes dans la partie basse du village.

Le nombre des victimes se monte à 642.

Dans le village même, le nombre des rescapés s'élève seulement à une femme et cinq hommes.

Pourquoi un tel massacre

Quelle est la cause d'un tel massacre, que rien ne pourrait justifier, et que rien, semble-t-il, n'explique ? On en est réduit aux conjectures.

La première hypothèse, relatée dans des notes documentaires du ministère de l'Information, en juin 1945, indiquerait qu'il s'agit d'une vengeance exercée par des SS surexcités par l'assassinat d'un officier supérieur allemand à Nieul, village situé à quinze kilomètres d'Oradour. Explication peu vraisemblable. D'une part, il n'est pas certain que cet assassinat ait eu lieu. Sans doute, clans l'après-midi du 9 juin. le bruit a couru qu'un officier et trois militaires allemands ont été arrêtés par des maquisards à Nieul. Deux soldats auraient été tués, le troisième fait prisonnier. Mais l'officier se serait évadé et aurait donné l'alerte.

D'alliés une autre thèse qui aurait la faveur des autorités d'occupation de Limoges, trois militaires allemands auraient été faits prisonniers dans les environs d'Oradour et d'eux d'entre eux auraient été fusillés.

Parmi eux se serait trouvé un officier subalterne du service de l'intendance qui aurait réussi à s'évader au cours de la nuit après avoir été dépouillé de ses vêtements. Il aurait donné l'alerte à Limoges et les représailles auraient été effectuées immédiatement après.

Cette thèse, qui se rapproche de la précédente et qui n'en diffère que par l'endroit où se seraient passés les faits, n'a pas plus qu'elle fait l'objet d'une confirmation précise.

Une dernière thèse consiste à dire que les représailles ont été effectuées par les Allemands parce qu'ils pensaient qu'un dépôt d'armes était dans le bourg. Aucune preuve n'est fournie à l'appui de cette explication, sauf quelques paroles prononcées par les meurtriers en arrivant au village.

À côté de ces hypothèses, recueillies par une source officielle française, et dont on pourrait signaler d'autres variantes, il en est une que nous avons rencontrée au cours d'une enquête personnelle. Un agent diplomatique étranger, qui se trouvait à Limoges, au moment de l'événement, a bien voulu nous communiquer les éléments d'un rapport inédit qu'il écrivit à son chef de poste :

On se perd en conjectures sur les causes du massacre. Le censeur allemand interrogé a dit qu'il s'agissait d'une regrettable erreur et que l'expédition punitive était destinée à un autre hameau appelé Oradour-sur-Vayre. Quant au général résident à Limoges, il paraît désolé de la chose et prétend que ces incidents sont le fait d'éléments isolés qui ont agi sans ordre.

Quel que soit d'ailleurs le concours de circonstances qui ait amené le massacre d'Oradour, que ce village ait été désigné par suite d'une erreur ou d'une volonté précise, les intentions et la responsabilité des meurtriers restent les mêmes et ne peuvent être contestées.

Deux rapports de police allemands, établis à Limoges au lendemain du massacre, et qui ont été retrouvés après le départ des occupants, indiquent les causes du drame :

Une action passagère de la SS Panzer division Das Reich à Limoges et dans les environs a fait une impression visible sur la population » (13 juin 1944).

Le commencement des mesures de représailles a provoqué un soulagement sensible et a influencé le moral de la troupe favorablement (17 juin 1944).

Telle est à la fois l'explication et l'aveu : 642 êtres innocents ont été sacrifiés par les SS pour remonter le moral des troupes allemandes et pour impressionner la population civile. Tout commentaire est superflu.

L'un des bourreaux, découvert par hasard

Quatre mois plus tard, l'armée allemande est en pleine retraite et évacue à marches forcées les quelques morceaux du territoire français non encore libérés.

Le 16 septembre, en Haute-Saône, le général Sudre, de la 1re division blindée, voit arriver un étrange cortège. ce sont quatre soldats français poussant une voiture d'enfant dans laquelle se trouve un colonel allemand : cet officier supérieur, véhiculé de façon aussi peu réglementaire, est le colonel von Alvveyden, chef d'état major du général SS von Brodowski, lequel n'est autre qu'un des responsables du massacre d'Oradour.

Les quatre soldats français prisonniers de la Wehrmacht avaient reçu l'ordre de suivre le repli de celle-ci, en assurant le transport du colonel, qui, ayant les pieds en sang, ne pouvait pas marcher.

Ils l'installent dans une voiture d'enfant ; à dessein et malgré ses pleurnicheries, raconte le capitaine Berthet, par qui l'on connaît l'épisode, nos hommes prennent leur temps, traînent en longueur, s'attardent et parviennent ainsi à rester très en arrière du gros de la troupe ennemie. Bientôt, la voiture est seule. Les Français rejoignent alors la grand-route et se dirigent sur un village dont on aperçoit le clocher. Trois jours plus tard, le 19, une patrouille du 2e régiment de reconnaissance de spahis découvre deux Allemands endormis clans une grange près de Corre, à quinze kilomètres de Jussey. L'un d'eux, surpris en plein sommeil, est précisément von Brodowski.

Le bourreau d'Oradour n'a pas perdu sa superbe. Conduit au P.C. du colonel Lecoq, qui commande le régiment, il s'indigne que le général Sudre ne soit pas là pour l'accueillir. Malgré ses protestations, on le fouille et on trouve sur lui son journal de marche prouvant sa responsabilité dans le drame d'Oradour, prouvant aussi qu'il sait travestir les circonstances du massacre : voici, en particulier, comment il raconte l'incendie meurtrier dans l'église :

Une communication téléphonique en provenance d'Oradour me signale ce qui suit : 600 personnes ont été tuées. Toute la population mâle d'Oradour a été fusillée..., les femmes et les enfants se sont réfugiés dans l'église. L'église a pris feu. Des explosifs y étaient entreposés. Toutes les femmes et les enfants ont trépassé.

Ce meurtrier, qui se double ainsi d'un faussaire, est incarcéré à la citadelle de Besançon. Quelques jours plus tard, il cherche à s'évader et est abattu par une sentinelle F.F.I.

Destin trop clément quand il s'agit du responsable d'actes aussi monstrueux. Le général SS a subi ainsi réellement le sort qu'il attribuait à ses victimes exécutées au mépris des lois de la guerre, lorsque sur son fameux carnet, pour donner le change, il inscrivait en face de leur nom : « Fusillé en cours d'une tentative d'évasion. »