10 juin
Les habitants d'Oradour massacrés par les SS
Le général Lammerding envoie un détachement de la division SS Das Reich détruire
Oradour-sur-Glane, un petit village près de Limoges. Toute la population est
rassemblée sur la place du marché sous le prétexte d'une vérification
d'identité. Les hommes sont enfermés dans des granges, les femmes et les
enfants sont conduits dans l'église. Les SS mettent le feu aux bâtiments et
642 habitants (dont 246 femmes et 207 enfants) trouveront la mort.
LE DRAME
La ville d'Oradour
Oradour-sur-Glane, qui a été si atrocement crucifiée par la barbarie allemande, était une accueillante et gaie petite cité limousine faisant partie de l'arrondissement de Rochechouart. D'après le recensement de 1936 sa population s'élevait à 1 574 habitants, dont 330 agglomérés. Au moment du drame, et compte tenu de la présence de nombreux réfugiés, ce dernier chiffre était sûrement doublé.
Elle s'était plaisamment accrochée aux bords de la Glane, pittoresque rivière, découverte par Corot au siècle dernier, et à laquelle ce peintre a consacré plusieurs toiles remarquables et de renommée mondiale. Ses rives, hantées par des muses en " barbichet ", ont inspiré maints poètes qui, de tout temps, en ont célébré le charme intime et pénétrant. Elle court dans un site agréable et reposant et chante sous d'épais berceaux de verdure son hymne éternel à la gloire de notre beau Limousin.
Le bourg, propre et bâti avec beaucoup de goût, avait des magasins riches, modernes et bien assortis. Il vivait doucement à l'ombre de sa vieille église. Si cet édifice a énormément souffert au cours de l'incendie, si sa charpente et sa menuiserie ont complètement disparu, fort heureusement l'architecture de sa maçonnerie a échappé, en grande partie, au désastre. Très ancienne, cette église offre encore, ainsi qu'on va le voir, un intérêt certain tant au point de vue artistique qu'archéologique. La nef, de même que les chapelles latérales, sont de la fin du XVe siècle. La chapelle de gauche présente une superbe voûte en ogives qui repose sur quatre consoles sculptées à personnages.
L'un d'eux, le chabretaire, ou joueur de musette, est fort curieux et a été souvent décrit et reproduit. Le clocher fortifié est du XVIe siècle ; il est étayé par deux hauts et sévères contre-forts surmontés de deux sortes d'échauguettes.
Le nom d'Oradour, qui vient du mot latin oratorium, indique qu'il y avait là, dès l'époque romaine, un oratoire, c'est-à-dire un autel et un lieu de prières pour les morts, qu'on enterrait alors au bord des routes et souvent au voisinage des carrefours.
Oradour n'aura pas failli à sa destinée !
Il n'aura, hélas ! jamais mieux mérité le nom qu'il a reçu.
Une lanterne des morts s'élève au milieu du cimetière. Elle est classée par l'Administration des Beaux Arts et mentionnée dans tous les ouvrages archéologiques du Limousin. Ces sortes de monuments sont assez clairsemés. Bien peu ont résisté à l'épreuve du temps.
La campagne autour d'Oradour est riche et féconde. C'est une contrée agricole et avant tout un pays d'élevage; aussi, ses habitants, particulièrement privilégiés, ont bénéficié durant la guerre d'un ravitaillement exceptionnel. Ceux des communes voisines venaient souvent s'y approvisionner.
Plusieurs hôtels réputés se partageaient dans la petite cité une nombreuse et sympathique clientèle - l'hôtel Milord particulièrement renommé pour sa bonne table, hébergeait un grand nombre de pensionnaires parmi lesquels beaucoup de réfugiés de condition aisée, venus chercher asile dans une région heureuse qu'ils supposaient à l'abri de tout danger.
Beaucoup de citadins s'y donnaient rendez-vous pour traiter des affaires et souvent plus simplement pour essayer d'oublier les rigueurs des restrictions, cependant que les bords ombragés de la Glane étaient fréquentés par une foule de pêcheurs qui se livraient à leur sport favori...
C'est dans cette riante et calme petite cité que les hordes germaniques devaient perpétrer le forfait le plus monstrueux et le plus abominable peut-être de notre histoire.
Les S. S. cantonnés autour d'Oradour la veille du massacre
Il est établi que les auteurs du drame appartiennent au fameux régiment de S. S. " der Führer ". Le 20 août, une émission de Radio-Londres nous apprenait que l'unité qui avait commis les atrocités d'Oradour-sur-Glane avait été identifiée. Radio-France venait de faire connaître qu'il s'agissait de la 3e compagnie du régiment de S. S. " der Führer ", lequel faisait partie de la 2e division panzer " das Reich ". Nous indiquerons le résultat de nos recherches à ce sujet dans un chapitre ultérieur. On a fait état de ce qu'un habitant des environs d'Oradour, chez lequel ces soldats avaient, pendant leur tragique expédition, déposé certaines parties de leurs uniformes, aurait relevé à l'envers de l'un de ceux-ci le chiffre 144. Il se pourrait qu'il ne s'agisse là que d'un numéro matricule. Peut-être, plus simplement, se trouve-t-on en présence d'une erreur due à la forme de la stylisation allemande des deux lettres S. S., laquelle, ainsi qu'on le sait, représente assez sensiblement dans son ensemble le chiffre 44. Précédé d'une tache plus ou moins linéaire, il a pu en imposer pour le nombre indiqué.
Un détachement de cette division était cantonné, dès le 9 juin, dans la région avoisinant Oradour : une partie à Rochechouart et l'autre à Saint-Junien. Nous avons en notre possession et nous reproduisons ci-contre un laissez-passer délivré et signé par un officier du contingent de Saint-Junien. Cette pièce ne porte aucune indication permettant une identification de ce groupe. Après les menaces de châtiment que la Radio alliée a maintes fois fait entendre à l'adresse des troupes qui transgressent les lois de la guerre, on réalise aisément l'utilité de cette précaution.
La formation détachée à Rochechouart s'y est conduite avec la pire barbarie. M. Raymond Proust, maire de la ville à cette époque, nous a, en effet, déclaré :
" Le 9 juin, à 8 h 30, j'apprends par le sous-préfet de Rochechouart que le chef d'un détachement d'Allemands, arrivé à Saint-Junien, vient de téléphoner dans ses bureaux pour demander si une unité qui doit cantonner à Rochechouart est arrivée. Les réfractaires au S. T. O. ainsi que les jeunes hommes de la commune sont aussitôt alertés par mes soins, afin qu'ils puissent à temps quitter la ville.
" Vers 9 h 30 deux S. S., baïonnette au canon, viennent me chercher à la mairie et m'ordonnent brutalement de les suivre. J'ai l'impression d'être arrêté. Je suis conduit au P. C. du commandant de l'unité et je lui suis présenté. C'est un jeune officier de 25 ans, grand, mince, aux yeux bleus, que je reconnaîtrais si j'étais mis en sa présence. Il exige un plan de cantonnement immédiat. Il m'a longuement questionné, par la suite, sur l'existence de terroristes dans la région. J'ai nié énergiquement leur présence.
Les S. S. ont alors fait main-basse sur les plus belles automobiles de la ville, enfonçant les portes des garages et frappant avec la dernière brutalité les propriétaires qui n'obéissaient pas assez vite à leurs injonctions.
" Au cours de la nuit qui a suivi ils ont fait de multiples et odieuses visites domiciliaires.
" Le matin du 10 juin, vers 6 heures, un ouvrier, M. Paynaud, occupé à faucher près de son domicile, est gravement blessé d'un coup de fusil. Son beau-père, M. Fredon, est arrêté ainsi qu'un jeune homme de sa famille. Ils sont tous les deux bâtonnés dans le but de leur faire avouer l'existence de " terroristes " à Rochechouart. Ils se sont tus, tous les deux, héroïquement.
" Au cours de l'après-midi. les S. S. ont posté des sentinelles sur la terrasse de la promenade " des Allées ", laquelle domine la campagne d'une hauteur impressionnante. De là ils ont ouvert le feu sur les gens du pays (hommes ou femmes) qui passaient paisiblement sur les routes ou qui travaillaient dans les champs. C'est ainsi que Mme Brousse, de la Chabeaudie, âgée de 67 ans, qui revenait de faire ses emplettes à la ville, a été tuée. Je me rendis alors au P. C. du capitaine S. S. et protestai énergiquement contre cette fusillade. L'officier me répondit sèchement : " On ne tire plus. " Mais, au même moment, d'autres coups de feu éclataient. Ont été blessés successivement Mme Duchambon, jeune, qui passait à bicyclette sur la route, et une réfugiée espagnole, ma bonne, qui se rendait à Babaudus.
" Le contingent des troupes arrivé à Rochechouart, le premier jour, a été dirigé, dès le même soir, sur Saint-Junien.
L'unité qui a opéré à Oradour, venant de cette ville, on a toutes bonnes raisons de penser qu'une partie des déments en provenance de Rochechouart ont participé au massacre.
" On pourrait utilement interroger à cet égard certains S. S. originaires de Schiltigheim (Alsace) qui parlaient couramment le français et servaient d'interprètes. Ils étaient connus à Rochechouart où ils avaient séjourné au début de la guerre. Ces troupes ont laissé aux gens du pays l'impression qu'elles cherchaient à susciter des incidents dans le but de pouvoir exercer des représailles, mais la population n'ayant pas réagi, selon leurs désirs, et étant restée calme, elles sont reparties précipitamment après le carnage d'Oradour, au cours de la nuit du 10 au 11 juin, non d'ailleurs sans proférer les pires menaces de mort et d'incendie.
" Elles semblaient être particulièrement entraînées à cette formule d'occupation.
" Elles ont déclaré s'être battues en Russie, venir de l'Ukraine. Un soldat a dit incidemment que cette unité avait cantonné antérieurement à Valence-d'Agen. "
Nous devons noter que, au cours de l'après-midi du lo juin, une partie du détachement cantonné à Rochechouart s'est rendue dans la petite cité industrielle de Saillat, y brutalisa la population et y assassina un ouvrier coupable d'être Lorrain. Détail particulièrement suggestif : l'officier qui commandait " l'expédition " s'acharna sur le directeur de l'usine en le traitant de capitaliste, puis, se retournant contre un ouvrier, il le frappa en l'appelant dédaigneusement communiste.
Ce jour-là
Il y avait eu bien rarement autant de monde à Oradour-sur-Glane que ce samedi 10 juin 1944. En dehors des habitants trop occupés par les travaux des champs pour pouvoir s'absenter, et des réfugiés habituels parmi lesquels des enfants évacués du Midi, notamment de Nice, d'Avignon, de Montpellier, de Bordeaux, on constatait un important concours d'affluence.
Une visite médicale avait groupé à la maison d'école le maximum des enfants ; de plus, il devait y avoir au bourg une distribution de tabac, et les amateurs, pour la plupart des cultivateurs des environs, ne manquaient pas. Si l'on ajoute que certains promeneurs étaient venus y passer leur " week-end " dans le but de s'y reposer ou de s'y ravitailler, on se rendra compte que ce jour-là il régnait une certaine animation dans la petite cité.
14 heures. - Le repas est juste terminé ; on déjeune tard à la campagne, surtout au moment où les travaux des champs battent leur plein. Il y a foule dans les hôtels.
À l'hôtel Avril les pensionnaires sont au grand complet. Parmi eux nous citerons une dame, ses trois enfants et sa petite nièce qui ont voulu échapper au danger des bombardements de Paris, un commandant vétérinaire de Reims, sa femme et un neveu, une dame de Montpellier avec sa mère, un ménage de Bordeaux, un père de famille et ses deux enfants, une ou deux familles d'israélites se cachant sous un nom d'emprunt, une vieille dame de Rennes, un ménage de Limoges.
C'est samedi, les clients de passage sont plus nombreux que les autres jours. Les tables sont pleines.
Mme Avril, qui a laissé le souvenir d'une hôtesse particulièrement aimable et active, préside aux derniers préparatifs du repas.
À l'hôtel Milord, on vient de servir le déjeuner. Il a bruiné pendant la matinée, mais le temps semble s'éclaircir ; les nouvelles du récent débarquement de Normandie sont excellentes. On compte une vingtaine de personnes à la table d'hôte. Le menu est prometteur. Il y a là, parmi les habitués, des Parisiens avec leur famille, des habitants de Limoges, un jeune Marseillais champion de chistera, une jeune dame qui venait précisément de faire transporter de son domicile ses objets précieux et son argenterie. Certains pensionnaires étaient seulement arrivés la veille à l'hôtel, tandis qu'un jeune couple l'avait quitté le matin même ! A chacun sa destinée ! ... On cause, on plaisante ; on parle incidemment de deux clients de passage qui, le jour précédent, avaient intrigué la table d'hôte en posant des questions indiscrètes et en s'efforçant de faire parler leurs voisins.
Alors que tout le monde commence à déjeuner, deux institutrices stagiaires âgées de vingt ans (l'une détachée à l'école d'Oradour, l'autre à celle d'un petit village des environs), quittent la salle à manger ; elles ont pris leur repas avant les autres clients. afin d'être prêtes pour l'heure de leur classe.
Celle d'Oradour accompagne quelques instants son amie sur la route qui la conduit à l'école de son village. Elles saluent des commerçants qui devisent sur le pas de leur porte, puis se séparent. Elles ne devaient plus se revoir.
Disons en passant qu'un groupe d'une vingtaine de jeunes normaliens et normaliennes de Limoges avaient décidé de profiter de la présence de leurs deux camarades à Oradour pour y venir en déjeuner excursion... justement ce jour-là; mais, au dernier moment, le voyage ne put s'effectuer. Toujours l'appel du destin !
Plusieurs écoles existaient à Oradour. Elles étaient fréquentées par de nombreux enfants, tant garçons que filles. M. Pont, inspecteur primaire à Rochechouart, de qui elles dépendaient administrativement, nous a donné les indications suivantes :
Il y avait deux groupes scolaires à Oradour :
1° L'école de garçons, située en face de la gare des tramways, avec M. Rousseau comme directeur, et Mme Rousseau comme adjointe.
2° L'école de filles, comprenant trois classes, dont deux situées au centre du bourg, et une sur la route de Peyrilhac, comprenant une section enfantine. Elle était dirigée par Mme Binet, qui avait comme adjointes Mme Bardet et Mme Vincent. La directrice étant malade, une jeune suppléante, Mlle Couty, la remplaçait.
" Depuis la guerre on avait créé une école spéciale destinée aux enfants des réfugiés lorrains et alsaciens. Elle avait à sa tête un instituteur de cette région, M. Goujon.
" Il y avait donc, le jour du drame, à Oradour-sur-Glane, deux instituteurs et cinq institutrices ; aucun d'eux n'a échappé au massacre.
" Ce centre scolaire était assez important ainsi qu'il en ressort d'après le nombre des inscrits :
" École de garçons. - Inscrits : 64 élèves ;
" École de filles (3 classes). Inscrits : 106 élèves ;
" École lorraine (1 classe). - Inscrits : 21 élèves.
Total : 191 enfants inscrits. "
Arrivée des Allemands
14 h 15. Nous avons demandé à quelques rescapés de cette tragédie de nous faire le récit de l'entrée des S. S. à Oradour. Il s'agit de jeunes gens audacieux qui ont réussi, dans des conditions parfois dramatiques, que nous rapporterons par la suite, à se dérober à l'effroyable destin de leurs compatriotes.
C'est d'abord M. Hubert Desourteaux, fils du président de la Délégation spéciale, qui, dissimulé à son domicile, a pu observer les premiers déferlements des nazis dans le village.
" Soudain, nous dit-il, un gros émoi s'empara de la population. Un lourd convoi de camions arrivait par la route de Limoges et stationnait dans la partie basse du bourg.
" Il transportait un détachement important de S. S. qui peut être évalué à environ deux cents unités. Ceux-ci étaient casqués et étaient revêtus d'amples vestes de toile imperméable grossière, mouchetée, où dominaient les teintes verte et jaune.
" Il v avait là une dizaine d'automobiles. Cinq d'entre elles (trois camions et deux chenillettes) parcoururent alors la rue principale, rue Émile Desourteaux, et se dirigèrent vers le haut de la ville où elles stoppèrent.
" Presque aussitôt les deux chenillettes revinrent du côté de l'église. Des soldats allemands descendirent de leurs voitures. Quelles étaient leurs intentions ? Nous n'allions pas tarder à le savoir. "
Un autre rescapé, M. Broussaudier (Clément), 26 ans, déclare en effet :
" Le 10 juin 1944, après l'arrivée des Allemands dans le bourg d'Oradour-sur-Glane, le tambour de ville Depierre-fiche passa dans les rues en lisant un ordre qui enjoignait à tous les habitants, sans exception, hommes, femmes et enfants, d'avoir à se rassembler immédiatement sur le Champ de Foire, munis de leurs papiers, pour vérification d'identité. "
M. Darthout, autre survivant du drame, ajoute :
" Les S. S. qui avaient mis pied à terre pénétrèrent dans les maisons d'Oradour, se firent ouvrir toutes les portes et brutalement, sous la menace de leurs armes, obligèrent tout le monde, même les malades, à se rendre sur le lieu de rassemblement.
M. Broussaudier précise :
" Mme Binet, institutrice, était malade au lit ; elle fut contrainte, malgré son état, à se mettre en route. Je l'ai vue sur le Champ de Foire en pyjama et revêtue de son manteau. Toutes les habitations ont été visitées soigneusement l'une après l'autre. "
M. Senon (Armand), âgé de 29 ans, rescapé lui aussi, signale que son oncle, impotent, a été brutalisé et également obligé de partir.
Mme Lang et son mari, cachés derrière une fenêtre de la chambre de Mme Raynaud, ont également assisté au début du drame.
" Les Boches, nous dit Mme Lang, entrent brusquement dans lés maisons ouvertes, gardent les issues, font sortir les gens, les dirigent vers le centre du bourg sous prétexte de vérifier leurs papiers.
" Deux S. S. poussent notre portail, frappent à la porte à coups répétés en criant : " Mossieu, Mossieu. " Les coups redoublent. L'abbé Lorich, prêtre lorrain, habitait une aile de la maison. Je l'entends répondre : " Minute, minute, on y va ! " Il ouvre sa porte. Immédiatement, sans lui laisser le temps de prendre son chapeau, ils s'emparent de lui, de sa soeur, d'une amie venue d'un village voisin avec trois enfants et les dirigent vers le centre du bourg ".
Toutes les dépositions confirment que ces troupes procédèrent sans hésitation, avec ordre et méthode, comme à la manœuvre. Mlle Gauthier (Maria), 17, place de la Motte, à Limoges, indique même qu'un poste de commandement fut établi dans un immeuble situé sur la route des Bordes et appartenant à M. Thomas, boulanger.
Les enfants des écoles
Les écoles ne sont pas oubliées ; elles sont envahies presque simultanément par les Allemands qui réunissent les enfants, garçons et filles, et leur demandent de se préparer à sortir. En ce qui concerne l'école de garçons, plusieurs rumeurs incontrôlables ont couru. On a dit qu'à l'arrivée des troupes nazies, le directeur, M. Rousseau, aurait tenté de faire fuir ses élèves. Le chef du détachement serait intervenu, déclarant qu'on craignait une escarmouche dans le village et qu'il allait lui-même conduire les enfants à l'église pour " assurer leur sécurité ".
D'aucuns prétendent que pour pouvoir entraîner plus facilement les écoliers il leur aurait promis des friandises ; d'autres, une séance de photographie, et qu'aussi bien les quelque deux cents marmots des groupes scolaires, précédés de leurs instituteurs et sous la conduite de leurs bourreaux, seraient partis relativement calmes et même insouciants.
Qu'importe d'ailleurs la raison qui ait pu leur être donnée ; ce qu'il y a de sûr, c'est que tous ont quitté l'école et qu'aucun d'eux n'est revenu de cette tragique promenade.
Il y eut, cependant, une exception : un jeune élève d'origine lorraine, Roger Godfrin, qui, avisant un de ses petits camarades, lui dit : " Ce sont des Allemands, je les connais, ils vont nous faire du mal, je vais tenter de me sauver. " Il s'échappa effectivement par le jardin situé derrière l'école, se dissimula parmi les massifs de verdure et disparut dans les bois. On le retrouva le lendemain chez des compatriotes lorrains, au village de Laplaud.
Rassemblement de la population au Champ de Foire
La chasse à l'homme
Pendant que s'opérait le " ramassage " des pauvres petits écoliers, s'effectuait celui des autres habitants d'Oradour.
Les témoignages qui vont suivre établissent que un à un, ou par groupes, conduits et surveillés par les S. S., ils vinrent peu à peu se masser sur le Champ de Foire. Mais les Allemands ne se contentèrent pas d'y réunir les gens domiciliés dans le bourg lui-même : ils allèrent chercher, jusque chez eux, les habitants des villages voisins.
M. Joyeux (33 ans), qui se trouvait près de celui des Bordes, a fait à cet égard, la déclaration précise suivante :
" Aussitôt après l'arrivée des Allemands il s'est produit dans la région un important mouvement de camions. Quelques véhicules sont allés, dès leur arrivée, prendre position dans la campagne environnante. On en a signalé un peu partout, en particulier autour du village des Bordes, derrière le cimetière, aux Brégères et à Puygaillard.
" Des militaires, munis d'armes automatiques et de fusils, en descendirent et encerclèrent la localité, rabattant vers le Champ de Foire les gens qu'ils rencontraient sur les routes et dans les terres. Les S. S. circulaient dans les champs et se cachaient derrière les haies pour surprendre ceux qui tentaient de s'échapper. Les cultivateurs durent abandonner leurs travaux. Des coups de feu crépitaient. Plusieurs personnes furent abattues. "
Parmi celles-ci, citons : MM. Foussat, Villoutreix, Michel Avril, Lachaud, ainsi que d'autres sur la mort desquelles nous aurons à revenir.
Un autre témoin, M. Darthout, précise :
" J'étais présent au rassemblement. Des camionnettes apportaient sans cesse des gens des villages environnants qui avaient été appréhendés à domicile. C'est ainsi qu'il y avait là des agriculteurs des Brandes et de Bellevue.
" Les camions s'éloignaient, puis revenaient, ramenant chaque fois de nouveaux contingents de malheureux vers leur fatal destin. Parmi eux, j'ai reconnu M. Dupic, qui arrivait des Bordes. "
14 h 45. – " Tous les habitants d'Oradour, continue M. Darthout, finissent de se rassembler sur la grande place du village. Ce sont des femmes en pleurs, d'autres plus courageuses ou confiantes. Certaines portent des bébés dans leurs bras ou les mènent dans de petites voitures. J'en vois qui Soutiennent un vieillard qui, apparemment, sort du lit. Les hommes sont là aussi, quelques-uns surpris en plein travail, le boulanger le torse nu, tout blanc de farine.
" Il y a là encore les notables : M. le docteur Desourteaux, père, président de la Délégation spéciale; le notaire, M. Montazeau ; le pharmacien ; le directeur de l'école de garçons, M. Rousseau, et sa famille ; les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les réfugiés, habitants des villages voisins, tous accompagnés de leur famille au grand complet ; les enfants des écoles avec leurs maîtres et leurs maîtresses. "
Mme Lang, cachée derrière sa fenêtre, ainsi que nous l'avons dit, a vu passer le lamentable cortège de ces malheureux se rendant au Champ de Foire.
" Quel spectacle angoissant, dit-elle, des mères serrent leur bébé dans leurs bras, d'autres les traînent dans des poussettes. Des fillettes pleurent, des femmes sanglotent. Puis, voici les enfants des écoles, garçons et filles. Ils se dirigent vers le lieu de leur supplice. J'entends encore le bruit des petits sabots de ces pauvres gosses frappant la chaussée et scandés par le heurt pesant des bottes de leurs bourreaux. "
" Soudain M. le docteur Jacques Desourteaux, fils du maire, rentrant déjeuner, sa tournée finie, arrive en automobile. Il gare sa voiture non loin du lieu du rassemblement. Un Allemand qui l'accompagne lui ordonne de se joindre à ses compatriotes. "
M. le docteur Desourteaux père, président de la Délégation spéciale, est soudain interpellé par un officier : " Vous allez, lui dit brutalement ce dernier, me désigner trente otages. " Le maire, très dignement, répliqua qu'il lui était impossible d'accéder à cette demande. Il fut conduit à la mairie où il resta quelques instants, puis revint vers le lieu du rassemblement où on l'a entendu dire à l'officier allemand qu'il se désignait lui-même et que s'il fallait d'autres otages, on n'avait qu'à arrêter sa famille.
M. Darthout ajoute :
" À ce moment-là nous sommes entourés de soldats allemands, six mitrailleuses légères sont braquées sur nous, le mitrailleur en position, et son servant près de lui. Je sens qu'à la moindre tentative d'évasion, nous serions abattus. Nous restons ainsi jusqu'à 15 heures environ. "
15 heures. – " Quand toute la population eut été réunie, poursuit M. Darthout, les Allemands la divisèrent en deux groupes, l'un composé des femmes et des enfants, l'autre des hommes.
" Le premier, encadré par huit à dix S. S. et comprenant les gosses des écoles, fut, vers 15 heures, conduit à l'église. Nous étions certainement plus de deux cents sur cette place. Les S. S. nous dénombrèrent, nous disposèrent sur trois rangs et nous firent attendre, assis sur le bord du trottoir, la face tournée vers le mur.
Je risque alors un coup d'oeil derrière moi, malgré l'ordre reçu, et je vois le groupe de nos mères et de nos compagnes qui s'éloigne lamentablement. Ce sont des femmes qui pleurent, d'autres qui s'évanouissent. Elles se soutiennent entre elles. J'aperçois..., pour la dernière fois, ma femme qui, en larmes, disparaît avec les autres au tournant de la rue.
" Il fallait trouver un prétexte à l'horrible massacre qui se préparait. Un interprète s'avança donc et déclara : " Il y a ici des dépôts clandestins d'armes et de munitions, faits par des " terroristes ". Nous allons opérer des perquisitions. " Pendant ce temps, et pour faciliter les opérations, nous " vous rassemblerons dans les granges. Si vous connaissez quelques-uns de ces dépôts, ajouta-t-il, nous vous enjoignons de nous les faire connaître. "
" M. Lamaud remarqua : J'ai une carabine de 6 millimètres, ce calibre est autorisé par la Préfecture. " L'Allemand répliqua : " Elle ne nous intéresse pas. "
" Aucun dépôt ne fut signalé, et pour cause, il n'y en avait pas dans le village qui était parfaitement tranquille et où chacun s'occupait uniquement de son petit commerce ou de la culture de ses terres. Je dois observer qu'on n'y avait jamais commis aucun attentat contre les troupes allemandes et qu'il n'existait aucune raison qui pût autoriser de leur part la moindre représaille. "
15 h 30. " Quelques instants après, déclare encore M. Darthout, les Allemands nous divisèrent en un certain nombre de groupes qu'ils dirigèrent, mitraillette à la main et avec force menaces et brutalités, vers différents points du village. "
M. Senon (Armand) confirme ce récit. Il est âgé de 29 ans. Immobilisé par une fracture de jambe qu'il s'est faite au cours d'une partie de football, il a pu d'une fenêtre du premier étage de sa maison, située sur le Champ de Foire, assister au rassemblement. Il a vu les allées et venues des camions et autos mitrailleuses. Ma mère, dit-il, est montée dans la chambre où je me trouvais et m'a annoncé que la population était invitée à se rassembler sur la place du village pour la vérification des cartes d'identité ; mes parents ont tenté de fuir, mais ils ont été ramenés sur le Champ de Foire avec ma grand-mère, ma tante et mon oncle. Aucun d'eux n'est revenu.
À ce moment, ajouta-t-il, j'ai vu les hommes assis sur trois rangs le long du Champ de Foire et gardés par des soldats allemands armés de mitrailleuses et de fusils. Soudain un officier, paraissant grand et élancé, venant du côté de l'église, alla parler au maire, M. Desourteaux. Après une brève discussion, les hommes se mirent debout et se formèrent en quatre groupes qui furent dirigés par des soldats en armes, deux vers le haut, et deux vers le bas du village. Un des premiers groupes entra dans une grange appartenant à mes parents (grange dite Laudy), à une trentaine de mètres de mon poste d'observation. "
Les hommes furent alors répartis dans les sept granges suivantes : Laudy, Milord, Desourteaux, Denis, Bouchoule, garage et grange Beaulieu.
La tuerie des hommes dans les granges
Les seuls habitants du sexe masculin qui ont pu échapper au carnage se trouvaient dans la vaste remise Laudy. Ce sont MM. Roby, Hébras, Borie, Darthout et Broussaudier.
Déclarations d'un premier témoin
Nous avons pu joindre M. Roby et l'interroger. M. Roby est né le 15 janvier 1926, à la Basse-Forêt où il demeure actuellement avec ses parents. Nous allons rapporter fidèlement son récit :
" Le groupe enfermé dans la grange où je me trouvais comprenait entre autres : Brissaud, le charron du village ; Compain, le pâtissier ; Morliéras, le coiffeur. À peine arrivés, les Allemands nous ont obligés à enlever deux charrettes encombrantes puis, nous ayant fait pénétrer à l'intérieur du bâtiment, quatre soldats demeurés à la porte braquèrent sur nous des mitrailleuses, à feu croisé, dans le but de nous empêcher de fuir. Ils parlaient entre eux et riaient en examinant leurs armes. Soudain, cinq minutes après notre entrée dans les granges, paraissant obéir à un signal donné par une forte détonation que j'ai déterminée comme provenant du Champ de Foire, ils poussèrent un grand cri et ouvrirent lâchement le feu sur nous. Les premiers qui furent abattus furent protégés des rafales qui suivirent par les corps qui tombaient sur eux. Je me mis à plat ventre, la tête entre mes bras. Cependant les balles ricochent contre le mur près duquel je me trouve. La poussière et le gravier gênent ma respiration. Les blessés crient, d'autres appellent leur femme et leurs enfants !
" Soudain, la mitraillade cesse ; les bourreaux, montant sur nos corps, achèvent, à bout portant, à l'aide de revolvers, les blessés qu'ils voient encore remuer. J'attends avec effroi la balle qui m'est destinée. Je suis blessé au coude gauche. Autour de moi, les cris s'éteignent, les coups de feu se font plus rares. Enfin, un grand silence règne, un silence lourd, angoissant, troublé cependant, par quelques plaintes étouffées.
" Les bourreaux ont alors déposé sur nous tout ce qu'il pouvait y avoir de combustible à leur portée : paille, foin, fagots, ridelles de charrettes, échelles, etc. ...
" Or, tout le monde n'était pas mort autour de moi. Quelques mots à voix basse, sont échangés entre ceux qui étaient indemnes et ceux qui n'étaient que blessés. Je tourne légèrement la tête et j'aperçois un de mes pauvres camarades couché sur le côté, couvert de sang, râlant encore. Mon sort va-t-il être le même ?... Des pas se font entendre, les Allemands sont revenus. Ils mettent le feu au tas de paille qui nous recouvre. Les flammes se répandent rapidement, envahissent toute la remise. Je tente de fuir ; mais le poids des corps de mes camarades gêne mes mouvements. De plus, ma blessure m'empêche de me servir de mon bras gauche. Après des efforts désespérés, j'arrive à me dégager. Je me dresse, pensant recevoir une balle, mais les bourreaux avaient déserté la grange.
" L'air devenait irrespirable. Je remarque alors un trou situé dans un mur à une distance d'ailleurs assez grande du sol. Ayant réussi à m'y engager, je me réfugie dans un grenier voisin. J'y avais été précédé par quatre de mes camarades : Broussaudier, Darthout, Hébras et Borie. Je me glisse alors sous un tas de paille et de haricots qui se trouve près de moi. Borie et Hébras se dissimulent derrière des fagots. Broussaudier se pelotonne dans un coin; enfin, Darthout, atteint de quatre balles dans les jambes et saignant de toutes parts, me demande de lui laisser une place près de moi. Nous nous serrons l'un contre l'antre, comme deux frères, et nous attendons avec anxiété, attentifs à tous les bruits du dehors. Hélas ! notre supplice n'était pas terminé ! Soudain, un Allemand entre, s'arrête devant le tas de paille qui nous abrite et y met le feu. Je retiens mon souffle. Nous évitons de faire le moindre mouvement. Mais les flammes me brûlent les pieds. Je me couche sur Darthout qui demeure immobile. Je risque un coup d'oeil, le S. S. est parti. À ce moment, Broussaudier traverse le grenier, il a trouvé une nouvelle issue. Je le suis à quelques pas et poursuivi par les flammes ; je me trouve dehors à proximité d'un clapier où Broussaudier vient d'entrer. J'y pénètre à sa suite. Là, sans perdre un instant, à l'aide de ma main droite et de mon pied, je creuse dans la terre un trou où je me blottis. Puis, je me recouvre de débris qui sont à ma portée. Nous restons environ trois heures dans cet abri. Mais, soudain, l'incendie, le gagne à son tour, la fumée nous prend à la gorge... Je passe la main droite sur ma tête pour enlever les braises qui tombent de la toiture et me brûlent le cuir chevelu. Nous devons fuir les flammes une troisième fois. J'aperçois un étroit passage entre deux murs, j'en dégage l'entrée et nous voici accroupis et respirant un peu d'air frais. Mais nous ne pouvions rester longtemps en cet endroit.
" Nous nous levons et avec précaution, nous nous dirigeons vers le Champ de Foire. Nous devons alors nous rendre compte si quelque soldat allemand n'y monte pas la garde. Broussaudier part en éclaireur. Personne ne se montre. Pouvons-nous traverser ?... Un dernier regard de droite et de gauche, et nous partons aussi vite que nous le pouvons dans la direction du cimetière. Une épaisse broussaille nous barre la route; mais rien ne nous arrête, nous traversons le buisson. Enfin, nous voici en sécurité au milieu d'un taillis. Nous nous embrassons, tellement est intense notre joie d'être revenus à la vie. J'ai dû passer la nuit au milieu d'un champ de seigle et j'ai regagné mon domicile à la Basse-Forêt, le lendemain, dimanche, à 11 heures. "
Déclarations d'un second témoin
Les déclarations des quatre rescapés de la grange corroborent pleinement celles de M. Roby.
M. Darthout, en particulier, confirme l'emprisonnement dans la remise, la fusillade, le massacre. Il précise que les portes du bâtiment étaient gardées par une demi-douzaine de soldats armés de fusils-mitrailleurs.
" Touché, dit-il, par la première rafale de deux balles dans les mollets, je m'écroule. J'en reçois alors deux autres dans les cuisses. Mes camarades commencent à tomber sur moi. En quelques secondes, tout le monde est par terre et je suis recouvert de corps. La mitrailleuse continue à tirer. Au milieu d'un vacarme infernal, j'entends les plaintes et les gémissements des blessés. Je demeure écrasé, aplati. Le sang de mes camarades coule sur moi. J'entends de temps en temps le bruit d'une culasse qu'on arme, puis un coup de feu, puis... plus rien. La tête enfouie dans la poussière, j'attends, moi aussi, le coup de grâce !
" La fusillade cesse. On entend le bruit des pas pesants des Boches dans la rue. Ils reviennent dans la remise, montent sur les cadavres, parlent, rient. Je me garde de donner signe de vie. Les assassins nous recouvrent de foin et de fagots puis partent de nouveau. Soudain, ma main frôle une autre main. Je la serre, elle répond à ma pression.
" C'est celle de mon camarade Aliotti. " J'ai les deux jambes brisées, murmure-t-il. D'autres voix sourdes se font alors entendre. Il y a là des camarades vivants. Duquerroy, garde champêtre, se lamente : Mes pauvres enfants, j'ai les deux jambes cassées ! " Un autre, indemne, sort prudemment la tête et observe : La porte est ouverte ! " On voit les Allemands passer dans la rue, on ne peut fuir. On les entend parler. Ils ont ouvert un poste de T. S. F. Le speaker parle allemand, et puis... c'est la musique ! Aliotti, près de moi, appelle sa femme, ses enfants et nous fait ses adieux !
Brusquement, les Allemands entrent dans la grange ; ils mettent le feu à. la paille. Les flammes s'élèvent, s'approchent de moi, mes cheveux brûlent. J'y porte les mains. Mes mains sont atteintes à leur tour. Je me tourne, je m'enfonce sous des cadavres pour essayer d'échapper au feu. Je sens à ce moment-là une horrible brûlure à l'épaule. La douleur est si forte que je n'y tiens plus. Il vaut mieux mourir d'une balle dans la peau que d'être brûlé vif ! Je me dresse avec peine... au-dessus des flammes. J'attends le coup de feu qui doit m'achever, mais les S. S. sont partis, la porte est fermée. Je me réfugie au fond de la grange. Bientôt nous- nous y retrouvons au nombre de cinq. Nous sommes épouvantés de voir que nombre de nos camarades sont brûlés vivants. Nous cherchons à fuir. Le mur de la grange est en mauvais état. Il y a là un trou qu'un de nos camarades agrandit. Nous passons et nous tombons dans un grenier à foin. Nous nous dissimulons dans un tas de paille. lin Allemand entre, y met le feu à l'aide d'allumettes. Nous devons quitter notre refuge. On m'aide à marcher et nous nous blottissons dans une étable à lapins.
" Ainsi que je l'ai dit, cinq hommes composaient alors notre groupe, mais je dois ajouter qu'un de nos camarades enfermé comme nous dans la grange, M. Poutaraud, garagiste, sortit isolément ; il fut aperçu par les Allemands et abattu au moment où il cherchait à fuir. Son corps a été, par la suite, découvert engagé dans une- barrière. Nous sommes restés dans notre cachette jusqu'à environ 19 heures. Ensuite, toujours protégés par un écran de fumée, nous avons réussi à gagner le Champ de Foire, puis, l'ayant traversé, je me suis réfugié dans une haie située à trente mètres environ du cimetière. J'y suis resté jusqu'à la nuit. J'ai pu m'échapper alors à la faveur de l'obscurité.
À la suite de ce témoignage, deux remarques s'imposent : la première c'est que, nous en rapportant aux blessures de MM. Darthout, Aliotti et Duquerroy, qui ont été touchés aux membres inférieurs, les Allemands ont tiré bas et dans les jambes de leurs victimes ; la seconde, c'est que le feu a été allumé sur des hommes encore vivants. La déclaration de M. Darthout établit qu'ils parlaient encore; les moins blessés ont pu s'échapper, mais ceux qui l'étaient davantage ont certainement été brûlés vifs.
Et voilà, dégagé de toute vaine littérature, le récit de l'épouvantable scène de carnage, qui a eu pour théâtre la grange Laudy. Il est à présumer que celle qui s'est déroulée dans les cinq autres ne lui cède en rien en cruauté et en horreur.
Notons ici qu'un témoin a eu un écho direct d'une de ces affreuses tragédies. Il s'agit de Mme Lang qui nous a précisé :
Soudain, de la remise Milord, située à six mètres de la maison où j'étais dissimulée, des cris déchirants et des cris de détresse me parvinrent ponctués par des rafales de coups de feu.
Il était utile de signaler cette déclaration qui constitue la seule indication que nous possédions sur ce qui s'est passé dans les granges autres que celle de M. Laudy. Car si dans cette dernière on compte cinq rescapés, nul n'a malheureusement pu s'enfuir des premières qui gardent leur tragique secret.
Constatations faites dans les granges tragiques.
Les déclarations des témoins sont confirmées par les constatations faites dans les six granges au lendemain des massacres dont elles avaient été le théâtre.
Il ne restait plus de ces bâtiments que les murs qui, hourdés de tuf, étaient à demi-effondrés. Le sol était recouvert de poutres plus ou moins consumées, de pierres, de miles et de matériaux divers. De nombreux cadavres et des débris humains y ont été trouvés.
Des points d'impact de balles sont encore visibles à l'intérieur de certaines remises, disséminés sur les murs qui font face aux portes d'entrée.
Le rapport particulièrement soigné et savamment rédigé de M. Bapt, médecin inspecteur de la santé de Limoges, donne les précisions suivantes quant à la répartition des cadavres dans les granges :
1. Grange de M. Bouchoule, boulanger, sur le Champ de Foire, près de l'église : débris calcinés et ossements d'hommes, femmes et enfants; en outre, un cadavre, tronc et tête en partie calcinés, vraisemblablement d'un homme;
2. Grange Milord : ossements et débris calcinés; 7 cadavres d'hommes retrouvés par les équipes de Saint-Victurnien ;
3. Garage de M. Desourteaux : ossements et débris calcinés ;
4. Hangar de Mme Laudy, née Mounier : ossements et débris calcinés ; 30 cadavres en partie calcinés, uniquement d'hommes, furent relevés par les équipes de Saint-Victurnien et enterrés dans la fosse commune ;
5. Remise de M. Beaulieu : 20 à 25 cadavres dont celui de M. Besson ;
6. Chai de M. Denis : ossements et débris calcinés de femmes et d'hommes.
Charnier du jardin Denis. Dans le jardin de la grange Denis on a découvert une fosse dans laquelle étaient enfouis un certain nombre de cadavres. Cette fosse a été creusée par les Allemands après la tuerie pour dissimuler les traces de leur crime.
Il y a été recueilli environ 25 cadavres d'hommes, dont le cadavre du docteur Desourteaux. Il fut retrouvé dans cette fosse une carte de tabac au nom de M. Denis.
Ce même rapport signale la découverte, le long du chemin du cimetière à gauche, à la hauteur de la dernière maison, du cadavre de M. Poutaraud, garagiste, relevé par son beau-frère de Limoges.
Rapport du maire délégué d'Oradour, M. Moreau :
" Les corps des victimes découverts dans les remises et garages étaient entièrement défigurés par le feu et méconnaissables : aussi bien, dans la grange de MM. Laudy, Milord et Bouchoule, aucune identification n'a-t-elle été rendue possible. "
En ce qui concerne les quatre autres granges, on n'a pu effectuer que celles qui sont indiquées ci-dessous :
Grange Beaulieu : Pinède (Robert), Valentin (Jean), Barder (Léonard), Chapelot (Louis), Nicolas (Jean-Baptiste), Moreau (Pierre), Moreau (Lucien), Lavergne (Jean-Baptiste), Lavergne (Jean), Peyroulet (Léon), Jackow (Jean), Mirablon (Albert).
Grange Denis : docteur Desourteaux, maire ; Tournier (Jean-Baptiste), de Limoges ; Tessaud (Jean).
Grange Derourteaux : Roumy (Jean).
À noter que le rapport de M. Bapt signale la découverte dans la grange Bouchoule de débris calcinés de femmes et d'enfants et dans le chai Denis de restes de femmes. Il s'agit là, sans doute, de pauvres victimes qui, appréhendées au dernier moment, ont été jointes fortuitement au groupe des hommes.
Le massacre des femmes et des enfants dans l'église
Pendant que s'effectuait l'affreuse tuerie des hommes s'accomplissait, plus sauvage et plus épouvantable encore, le massacre des femmes. Il dépasse les limites de l'imaginable. Il constitue une flétrissure impérissable pour l'armée qui s'en est rendue coupable.
Il n'existe qu'une seule rescapée à ce nouveau carnage, c'est Mme Rouffanche (Marguerite), née Thurleaux. Elle est originaire de Limoges et est âgée de 47 ans. Son témoignage constitue tout ce qu'il est possible de savoir du drame. Elle a perdu dans la tuerie, son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils âgé de sept mois. Elle nous a déclaré :
" Vers 14 heures, le 10 juin 1944, après avoir fait irruption dans ma demeure, des soldats allemands me sommèrent de rejoindre le Champ de Foire en compagnie de mon mari, de mon fils et de mes deux filles.
" Déjà de nombreux habitants d'Oradour y étaient assemblés cependant que, de tous côtés, affluaient encore hommes et femmes, puis les enfants des écoles qui arrivèrent séparément. Les Allemands nous divisèrent en deux groupes : d'un côté, les femmes et les enfants; de l'autre les hommes. Le premier, dont je faisais partie, fut conduit par des soldats armés jusqu'à l'église. Il comprenait toutes les femmes de la ville, en particulier les mamans, qui entrèrent dans le lieu saint en portant leurs bébés dans les bras ou en les poussant dans leurs petites voitures. Il y avait là également tous les enfants des écoles. Le nombre des personnes présentes peut être évalué à plusieurs centaines.
" Entassés dans le lieu saint, nous attendîmes de plus en plus inquiets la fin des préparatifs auxquels nous assistions.
" Vers 16 heures, des soldats, âgés d'une vingtaine d'années, placèrent dans la nef, près du choeur, une sorte de caisse assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu'ils laissèrent traîner sur le sol.
" Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l'engin dans lequel une forte explosion soudain se produisit et d'où une épaisse fumée noire et suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants, à demi asphyxiés et hurlant de frayeur, affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore respirable. C'est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée sous la poussée irrésistible d'un groupe épouvanté. J'y pénétrai à sa suite et, résignée, je m'assis sur une marche d'escalier. Ma fille vint m'y rejoindre. Les Allemands, s'étant aperçus que cette pièce était envahie, abattirent sauvagement ceux qui v avaient cherché refuge. Ma fille fut tuée près de moi, d'un coup de feu tiré de l'extérieur. Je dus la vie à l'idée que j'eus de fermer les lieux et de simuler la mort.
" Une fusillade éclata dans l'église, puis de la paille, des fagots, des chaises, furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles.
" Ayant échappé à la tuerie et n'ayant reçu aucune blessure, je profitai d'un nuage de fumée pour me glisser derrière le maître-autel.
" Il existe dans cette partie de l'église trois fenêtres. Je me dirigeai vers la plus grande qui est celle du milieu et à l'aide d'un escabeau qui servait à allumer les cierges, je tentai de l'atteindre. Je ne sais alors comment j'ai fait, mais mes forces étaient décuplées. Je me suis hissée jusqu'à elle, comme j'ai pu. Le vitrail étant brisé, je me suis précipitée par l'ouverture qui s'offrait à moi. J'ai fait un saut de trois mètres.
Ayant levé les yeux, je me suis aperçue que j'avais été suivie dans mon escalade par une femme qui, du haut de la fenêtre me tendait son bébé. Elle se laissa choir près de moi. Les Allemands, alertés par les cris de l'enfant, nous mitraillèrent. Ma compagne et le poupon furent tués. Je fus moi-même blessée en gagnant un jardin voisin. Dissimulée parmi des rangs de petits pois, j'attendis dans l'angoisse qu'on vienne à mon secours. Je ne fus délivrée que le lendemain vers 17 heures. "
Mme Rouffanche étant, ainsi que nous l'avons dit, la seule personne qui ait pu s'échapper vivante de la tragédie qui s'est déroulée dans l'église, nous devons nous en tenir strictement à son récit. Tous les détails donnés en dehors de celui-ci ne sauraient être que du roman.
Constatations faites dans l'église
Les constatations consignées dans les divers rapports que nous avons sous les veux et celles que nous avons pu faire nous-mêmes, dans le lieu saint, corroborent pleinement le témoignage de Mme Rouffanche et apportent même certaines précisions sur ce que fut cet affreux massacre. L'église a été le théâtre d'un violent incendie. La toiture a été entièrement consumée. La voûte de la nef, qui avait été respectée par le feu et qui existait encore au lendemain de la tuerie, s'est effondrée récemment. Les murailles noircies par les flammes sont encore debout. Le maître-autel est en partie détruit et, si l'autel de la chapelle de droite n'existe plus, celui de la chapelle de gauche a été épargné. L'incendie s'est moins développé dans cette dernière que dans le reste de l'édifice. Les quatre personnages sculptés, dont le fameux " chabretaire " qui se trouvaient dans cette partie de l'église, n'ont pas été atteints par les flammes.
Un rapport de l'Évêché constate : " Le maître-autel a été brisé en certains endroits par les balles et les marteaux, le tabernacle enfoncé devant et derrière, la table de communion a été arraché et tordue. " Les cloches ont été fondues sous l'effet de la chaleur et ne sont plus qu'un amas informe de bronze répandu sur les dalles.
Mme Rouffanche a déclaré que de multiples coups de feu ont été tirés dans le lieu saint. Le mur entourant la fenêtre de la sacristie présente, en effet, de nombreuses traces de balles. D'autre pan, les murailles situées en face de la principale porte d'entrée de l'église portent plusieurs points d'impact. La plaque de marbre où sont inscrits les noms des habitants d'Oradour morts pendant la guerre 1914-1918, traversée de part en part par des projectiles, a été détachée du mur. Cette constatation indique que de nombreux coups de feu ont été tirés depuis la porte d'entrée principale. D'autres fusillades ont également été effectuées à l'intérieur du lieu saint. On y a trouvé, en effet, un grand nombre de douilles. Nous y en avons recueilli nous-mêmes.
Le rapport de l'Evêché, établi d'après les constatations des séminaristes qui ont procédé aux exhumations et inhumations des cadavres, précise que des centaines de douilles ont été trouvées sur le sol jusqu'au premier tiers de l'église. Ce qui indique que les allemands ont pénétré assez avant dans l'intérieur du lieu saint pour procéder à leur tragique fusillade. D'ailleurs, des points d'impact de balles visibles sur certains murs sont fort éloquents à cet égard.
De même, d'importantes éclaboussures de sang maculent deux des murailles de la chapelle de gauche.
Combien de personnes ont trouvé la mort dans cette église ?
Le rapport de l'Évêché de Limoges indique :
" Dans les deux tiers ou même la moitié de l'édifice qui peut contenir normalement 350 personnes assises, on peut évaluer à plus de 500 le nombre des femmes et des enfants qui y ont été entassés. "
Les premières personnes qui sont entrées dans l'église ont constaté que sur le sol était répandue une épaisse couche de cendres et de débris humains, magma nauséabond de chair et d'ossements. Au milieu de cette matière gisaient un certain nombre de cadavres plus ou moins carbonisés et méconnaissables.
Le rapport de M. Bapt, directeur de la santé, relate :
" La prospection faite le premier jour nous a permis de découvrir des ossements de femmes et d'enfants en quantité considérable dans l'église et dans la sacristie. " Il précise qu'on a découvert, à côté du maître-autel, des ossements et des débris calcinés dont un pied d'enfant de six ans environ. Dans la chapelle de droite, où l'incendie a été moins violent, le confessionnal en bois a été conservé intact et le document signale qu'on y a trouvé deux cadavres d'enfants de 10 à 12 ans. Il établit que, sous les restes du plancher effondré de la sacristie, des débris calcinés, ossements de femmes et d'enfants ont été recueillis en grande quantité.
" Il existe une petite porte latérale de sortie située dans la chapelle de droite et la nef. Les suppliciés ont dû un moment espérer qu'elle avait pu être laissée ouverte et qu'il allait leur être possible de s'échapper. Ils se portèrent en grand nombre de ce côté-là. On a, en effet, trouvé un amas de cendres, d'ossements et chairs calcinés beaucoup plus abondant que dans le reste de l'église. Mais, hélas ! la porte était fermée et bien
fermée et les malheureux ne purent que retarder de quelques instants le moment fatal.
Le rapport de M. Bapt évalue la quantité des restes humains recueillis à cet endroit à environ un tombereau. Un rapport de police dit que les nombreux bijoux, les alliances et les objets métalliques qui y furent découverts laissent supposer que des centaines de personnes y ont trouvé la mort. Il précise que les marches des escaliers donnant accès à la petite porte de sortie disparaissaient sous les cendres et les ossements.
À proximité de l'église, on a également découvert un. certain nombre de corps.
Le rapport précité du médecin de la santé spécifie qu'on a retrouvé, dans l'appentis situé sous le presbytère, dix cadavres dont huit enfants et deux femmes parmi lesquels furent reconnus : Mme Hyvernaud, Mlle Marie-Rose Bastien, et les enfants Raymond et Georgette Thomas.
Il indique, en outre, que dans le jardin de la cure, deux fosses isolées ont été découvertes avec les cadavres de Mme Hyvernaud et de son enfant.
Enfin, il signale un charnier à côté de la petite porte de l'église. Il contenait dix cadavres et des débris humains correspondant à quinze personnes.
Les mères avaient bien apporté dans l'église leurs nouveau-nés. Plusieurs restes de bébés y ont été découverts. Si certaines mamans les tenaient dans leurs bras, d'autres les avaient menés là dans leurs petites poussettes. Nous avons recueilli un certain nombre de voitures d'enfants dont nous avons assuré la conservation. Quelques-unes ont été trouées par plusieurs balles et l'une d'entre elles présente de multiples perforations dues à l'explosion d'une grenade.
Les Allemands ont-ils tiré dans les jambes de leurs victimes comme ils l'ont fait dans les granges ?
De toute évidence, les tortionnaires ont tiré bas, ne serait-ce que pour atteindre les pauvres gosses d'Oradour. Les voiturettes de bébés en constituent une preuve indéniable.
Et s'ils ont tiré bas, il est vraisemblable que la scène qui s'est déroulée dans la grange Laudy a pu se reproduire ici. Des femmes seulement blessées aux jambes se sont écroulées les unes sur les autres et on peut penser que certaines qui n'avaient été que blessées ont pu demeurer sans mouvement pour ne pas attirer l'attention et échapper ainsi à de nouvelles fusillades. Celles-ci auraient alors été brûlées vivantes.
Il est logique de penser que parmi toutes ces femmes et tous ces enfants qui, ainsi que nous venons de le voir, ont afflué en foule dans la chapelle latérale de droite, certains avaient leurs vêtements en flammes et ont dû se communiquer le feu les uns aux autres. Un grand nombre d'entre eux a, de même, très certainement été brûlé vif. Leurs cris effroyables ont été entendus de divers points de la ville. Le rapport de l'Évêché signale qu'à deux kilomètres d'Oradour, des habitants ont perçu les clameurs qui s'élevaient du lieu saint.
Mme Lang fait à ce sujet le récit suivant : " Un bruit épouvantable éclate dans la direction de l'église qui était à quelques dizaines de mètres de nous. Détonations sur détonations se succèdent, suivies d'une immense clameur et de cris effrayants. Les mitrailleuses crépitent. Un nuage de fumée s'élève. Toujours des clameurs ! Nous demeurons muets de frayeur, attérés, épouvantés. Nous ne pouvions en douter ! Un massacre terrifiant s'accomplissait à quelques mètres de nous.
Le cadavre de la femme qui a essayé de s'échapper de l'église à la suite de Mme Rouffanche a bien été découvert à l'endroit indiqué par cette dernière, plusieurs témoignages et le rapport de M. Bapt en font foi. Quant à celui de l'enfant, M. Faugeras (Aimé), actuellement maire d'Oradour-sur-Glane, nous a déclaré :
" Avec un rescapé, M. Machefer (Martial), nous nous rendions vers le jardin où venait d'être retrouvée Mme Rouffanche. L'idée nous est venue de regarder dans les cabinets du presbytère situés sur le passage : j'y ai découvert le corps d'un bébé ; le petit cadavre gisait au fond de la fosse, la boîte crânienne éclatée. A la tempe droite, un large trou, vraisemblablement provoqué par une rafale de mitraillette tirée à bout portant, laissait échapper la matière cérébrale. Nous l'avons déposé sur la pelouse du jardin où M. Moreau, maire délégué d'Oradour, le recueillit le mardi soir. Cet enfant âgé de huit mois a été identifié par la malheureuse grand-mère, Mme Ledot, du Repaire.
Nous avons constaté et on peut encore constater que le mur de ces cabinets présente une large tache de sang. Quel drame s'y est déroulé ? A-t-on assommé l'enfant en projetant sa tête contre la muraille ? L'hypothèse est vraisemblable. C'est celle qui a le plus de crédit dans la région.
À noter que M. l'abbé Vignéras, curé de Javerdat, a trouvé, le 12 juin 1944, à côté de l'église, les langes encore épinglés d'un bébé et avant encore conservé la forme du corps de l'enfant qu'ils emmaillotaient. Ils n'ont d'ailleurs pu être conservés.
Atrocités
Pendant que dans les granges et dans l'église s'exécutaient ces horribles massacres, d'autres détachements de S. S. se déchaînaient dans le village, commettant les pires atrocités.
Nul n'a survécu à ces drames obscurs qui n'ont eu d'autres témoins que leurs odieux auteurs. On n'a retrouvé que des cadavres. Mais, ainsi qu'on va le voir, leur découverte jette cependant un jour bien cru sur les scènes horribles qui se déroulèrent à ce moment-là.
Les tortionnaires avant pénétré dans les maisons du bourg y tuèrent tous les habitants qui avaient pu échapper à leurs premières investigations, en particulier ceux que leur état physique avait empêchés de se rendre sur le lieu du rassemblement. C'est ainsi que les équipes de secours, dit un rapport officiel, ont trouvé dans diverses habitations les corps de quelques vieillards impotents brûlés à leur propre foyer. "
Rue Émile Desourteaux, on a découvert, gisant encore sur la carcasse d'un lit de fer, les restes carbonisés de M. Giroux, paralytique âgé de 75 ans. Nous y avons personnellement constaté la présence d'ossements calcinés. Aucune douille de cartouche, ni balle, ni même trace de projectile n'ont été découvertes à proximité, en dépit des recherches méticuleuses qui y ont été effectuées, en particulier par nous-mêmes.
Un de ses voisins, M. Dupic, père, a été trouvé si superficiellement enterré dans son jardin que sa main n'était même pas recouverte.
Un envoyé spécial des F. F. I, qui a visité Oradour dans les tout premiers jours, indique qu'on a recueilli dans le four d'un boulanger les restes calcinés de cinq personnes : le père, la mère et les trois enfants.
Pour notre part, nous avons constaté, à proximité du four de ce boulanger, l'existence d'un étouffoir encore à moitié rempli de charbon dans lequel on a découvert des ossements humains (vertèbres lombaires), dans un état de carbonisation avancé. En présence de cette trouvaille, il est évident que bien des suppositions sont permises.
Un puits renfermant de nombreux cadavres est à signaler dans la ferme de Lauze, chez Picat. Ceux-ci étaient tellement décomposés qu'on n'a pu effectuer aucune identification et qu'on s'est vu dans l'obligation de les laisser en place.
Il a été impossible de se rendre compte si les infortunées victimes avaient péri à la suite de fusillade ou si elles avaient été enterrées vivantes comme certains l'ont prétendu. Aucune douille n'a été trouvée à proximité et aucune trace de balle n'a été décelée.
C'est ainsi que les bourreaux se sont mis cyniquement à l'ouvrage, parcourant le village, la mitraillette et le revolver à la main. Nul ne devait survivre au carnage. La chasse à l'homme s'organisa farouchement. Toutes les personnes entrant dans le bourg furent arrêtées et fusillées sur-le-champ.
Un rescapé, M. Senon (Armand), rapporte le fait suivant :
" Aussitôt après le rassemblement, j'ai aperçu sur le Champ de Foire un groupe de six à sept jeunes gens étrangers au village qui arrivaient leurs bicyclettes à la main. Ils étaient encadrés de soldats allemands. On les fit attendre quelques instants et un gradé venant du bas du bourg les rejoignit et sembla donner des ordres à ceux qui les gardaient. On fit déposer à ces hommes leurs bicyclettes le long d'un mur du Champ de Foire et on les conduisit devant la forge de M. Beaulieu. Là, ils furent tous fusillés à l'aide d'une mitrailleuse. " Tragique fin d'une excursion de week-end !
Des mamans effrayées par les coups de feu qui crépitaient dans le bourg accoururent des villages environnants, pour tenter de ramener chez elles leurs enfants qui étaient en classe aux écoles d'Oradour. Elles furent immédiatement arrêtées et, sans pitié, conduites au supplice. On cite également MM. Duvernay et Raymond qui, allant au-devant de leurs enfants, ont été tués à coups de mitrailleuse.
Une commerçante, Mme Milord, rentrant de voyage, est prévenue par des amis de ce qui se passe en ville. On lui conseille de ne pas finir d'arriver jusque chez elle, on tente de la retenir ; mais peine inutile, elle a son mari et ses enfants en danger, elle court à son épouvantable destin !
M. Joyeux rapporte l'épisode suivant :
" M. Foussat, à ce moment-là, se trouvait avec moi au village des Bordes. Voyant, vers les 19 heures, que les coups de feu devenaient plus rares, il me dit : " Je veux rentrer au bourg ! J'ai mes papiers en règle. Je ne risque rien. " Il fit alors une centaine de mètres en brandissant un mouchoir blanc, escalada une petite élévation de terrain... mais il fut immédiatement mitraillé. "
Un certain nombre d'habitants ont péri dans les mêmes conditions sans qu'il soit possible de rien savoir du drame dont ils ont été les victimes. C'est ainsi qu'on a découvert, près des Bordes, le cadavre de M. Villoutreix qui présentait une large ouverture de l'abdomen, et, près de Masset, celui de M. Michel Avril. La motocyclette de ce dernier a été retrouvée dans la Glane. M. Lachaud, tué dans le village des Bordes d'une balle explosive dans la tête, n'a pas été enterré immédiatement par les équipes de camouflage allemandes. Il a été découvert le crâne éclaté.
On a dit que le cadavre du curé de la paroisse avait été trouvé dans l'église gisant près du maître-autel. Un rapport administratif a, d'un autre côté, signalé que trois prêtres ont été tués dans le lieu saint. En réalité, on n'y a découvert aucun cadavre d'ecclésiastique. Ce jour là, il y avait bien, en effet trois prêtres dans le bourg : l'abbé Chapelle (Jean-Baptiste), 71 ans, curé desservant la paroisse depuis 33 ans ; l'abbé Lorich, d'origine lorraine, et un jeune séminariste nommé Neumeyer (Émile-François-Xavier). Les deux premiers ont été vus dans les groupes du Champ de Foire, le troisième a disparu sans laisser aucune trace.
Constatations
Confirmant les faits tragiques que nous venons de rapporter, le rapport officiel de M. Bapt, inspecteur de la santé publique à Limoges, signale que les cadavres suivants ont été trouvés :
Buvette de M. Mercier, à Puygaillard
Dans la cave, sous un escalier en pierre, ossements calcinés, vraisemblablement d'une femme et d'un nourrisson.
Hameau de la Brégère
lin cadavre retrouvé par M. Brun, de Séguières, dans l'après-midi du 14 juin. Il s'agit du corps de Mme Victor Milord.
Boulangerie Bouchoule
Cadavre de M. Milord enlevé par la famille Milord, de Dieulidou, le mercredi 14, après-midi. Cadavre de M. Bouchoule (tronc et tête calcinés). Un cadavre dans l'étouffoir.
Ferme de M. Picat
Dans le puits situé dans la cour de la ferme, cadavre d'une femme et autres débris humains.
Jardin de M. Dupic
Le cadavre de M. Dupic, enlevé par M. Quériaud, à Cieux, le jeudi 15 juin.
Jardin de la Mairie
Le cadavre d'un jeune homme de vingt ans, non identifié.
Route des Bordes
Raymond (Pierre), relevé par sa famille. Foussat, minotier, enlevé par ses parents. Avril (Michel), enlevé par M. Laroudie. Lachaud (Léonard), enlevé par sa famille. Duvernay, enlevé par sa famille.
Dans une petite maison à côté de l'église
Restes calcinés d'une femme reconnue par M. Ledot père : Mme Devovon.
Autre constatation
Nous avons reconnu nous-mêmes, en présence de M. Cordeau, guide officiel des ruines, les restes de trois bicyclettes, déposées le long d'un mur du Champ de Foire et ayant appartenu au groupe d'hommes fusillés devant la grange Beaulieu. Nous en assurons d'ailleurs la conservation.
Les rescapés
Quelques personnes ont pu échapper de justesse à la tuerie. Certains jeunes gens qui, à cause de leur âge, avaient évidemment tout à redouter de la part des Allemands, se sont cachés dans leur domicile dès l'arrivée de ces derniers, puis se sont enfuis, la plupart en franchissant les barrières des jardins situés derrière leur maison. Certains ont pu aisément gagner la campagne.
C'est ainsi que M. Doutre (Paul), âgé de 21 ans, qui, étant réfractaire, n'a pas voulu aller sur le lieu de rassemblement, est resté chez lui. Les S. S. ont tenté de le brûler vivant dans sa propre demeure.
Il nous a déclaré !
" J'ai vu de ma fenêtre, abrité derrière mes persiennes, mes parents se diriger vers le Champ de Foire. Je me suis alors réfugié dans l'atelier, situé derrière ma maison. Celle-ci ayant été atteinte par l'incendie, j'ai tenté de sortir de ma cachette pour essayer de sauver quelques objets et papiers auxquels je tenais. Des soldats allemands m'aperçurent et m'obligèrent, sous la menace de leurs armes, à regagner ma retraite. Ils montèrent alors la garde devant la porte pour m'empêcher de fuir.
" Voyant que les flammes menaçaient la pièce dans laquelle je me trouvais, je réussis à tromper la surveillance dont j'étais l'objet et à m'échapper dans le jardin où je me dissimulai dans un carré de légumes.
" Soudain, la toiture s'étant effondrée, les Allemands m'ont cru mort et sont partis. En quittant leur faction, ils passèrent près de moi et j'entendis l'un d'eux dire : " Kapout. "
De son côté, M. Darthout signale :
" Un prisonnier rapatrié, M. Crémoux, m'a raconté qu'alerté, lors de l'entrée des Allemands dans le bourg d'Oradour, il a pu gagner la campagne et, pour se cacher, il s'est précipité dans un ruisseau. Il v resta dissimulé, sa tête seule émergeant de l'eau. C'est ainsi qu'il a vu passer près de lui deux S. S. M. Crémoux, qui comprend l'allemand, entendit l'un d'eux avouer à l'autre : " Moi, j'en ai tué vingt-six !
M. Machefer qui, ainsi que M. Senon (Armand), habitait une maison située sur le Champ de Foire, comme celui-ci été prévenu, en temps opportun, du danger qui le menaçait :
J'ai pu, nous a-t-il déclaré, lors de l'arrivée des Allemands à Oradour, être alerté à temps et m'échapper à travers champs. Ma femme, qui m'avait conseillé de fuir et qui négligea de me suivre, se rendit sur le lieu du rassemblement. Mais, hélas, je ne devais plus la revoir.
Ajoutons à ces noms de rescapés ceux de : M. Belivier, âgé de 18 ans, qui se dissimula dans son verger ; de M. Brissaud, charron, âgé de 19 ans, qui voyant que son jardin était cerné se cacha dans son grenier puis put fuir par la suite ; de M. Desourteaux (Hubert), fils du maire d'Oradour, qui s'abrita dans un réduit de son habitation ; de M. Senon (Armand), dont nous avons raconté plus haut la tragique odyssée et qui, s'étant réfugié dans son verger, y resta caché pendant vingt-quatre heures ; de M. et Mme Lang et Mme Raynaud qui ont pu, grâce à un sang-froid extraordinaire, sortir de leur maison en flammes.
Citons également : M. Litaud, ancien facteur ; Mme Lauzanet, sexagénaire; enfin deux jeunes filles israélites, Miles Pinède, et leur jeune frère, qui réussirent à échapper au massacre en s'enfuyant sous le nez des Allemands.
Toute une famille a pu, par miracle, éviter le sort tragique de ses compatriotes : le mari, la femme, les enfants, ainsi qu'une dame de leurs amies. Ils résolurent de ne pas se rendre au Champ de Foire et demeurèrent chez eux.
Un S. S., survenant, fouilla leur maison. Il découvrit les deux dames et les enfants et les conduisit vers le lieu du rassemblement. Le mari, caché dans une chambre, avait échappé à ses investigations, mais un nouvel Allemand le surprit dans sa cachette et l'en fit sortir non sans forces brutalités. Il se retrouva dans la rue avec les deux femmes et les deux enfants. Accompagné par un soldat, puis remis entre les mains d'un autre, le groupe parvint par une habile manoeuvre à échapper à la surveillance de ses gardiens et à gagner les bois environnants.
Quelques habitants ont eu la vie sauve parce qu'ils étaient absents d'Oradour au cours de cet après-midi-là. C'est ainsi qu'on cite deux personnes qui avaient décidé d'aller à la pêche, des artisans qui travaillaient dans les environs :
M. Desvignes, boucher, était à la foire de Saint-Victurnien qui se tenait précisément ce jour-là ;
M. Senon (Daniel), facteur, était en tournée ;
M. Pister, électricien, assurait son service au dépôt de l'Aurence ;
M. Deglane, sabotier, était hors du bourg ; M. liébras père travaillait près de Veyrac ;
M. Bardet, carrier, travaillait également hors d'Oradour ;
M. Desroches était à Cieux ;
M. Garraud était caché dans un jardin ;
M. Descubes était en famille près de Javerdat ;
M. Hyvernaud était dans sa propriété près de Saint-Gence ;
Mme Montazeau, femme du notaire, et sa fille ; Mlle Compain, fille du pâtissier ; M. Leblanc (Eugène), M. Redon (Emile), M. Darthout (Aimé) étaient allés passer la journée à Limoges. Quelques-uns d'entre eux sont arrivés à Oradour par le tramway du soir.
En rentrant, ils ne retrouvèrent plus les membres de leur famille demeurés dans le bourg.
Épisode du tramway
Deux tramways en provenance de Limoges sont entrés dans la ville au cours de l'après-midi. Un train d'essai est arrivé le premier. Seuls, quelques employés de la Compagnie y avaient pris place. Un de ceux-ci, M. Chalard, en descendit.
Il fut abattu d'un coup de feu alors qu'il passait sur le pont. Les Allemands se débarrassèrent de son cadavre en le jetant dans la Glane, où il a été retrouvé. Le tramway a ensuite été refoulé sur limoges.
Un second train, mais celui-ci de voyageurs, apparut vers 19 heures, c'est-à-dire pendant l'incendie de la ville.
Mlle Gauthier (Maria), née le 19 février 1888, débitante, place de la Motte, 17, à limoges, qui se trouvait dans ce tramway, nous a fait le récit suivant dès son arrivée à Oradour :
" Ce tramway fut arrêté à l'embranchement de la route de Saint-Victurnien par les Allemands qui nous enjoignirent de rester dans les voitures.
" Un soldat partit à bicyclette vraisemblablement pour demander des ordres. En revenant, il fit descendre tous les voyageurs qui étaient à destination d'Oradour.
" Nous fûmes, au nombre de 22 ou 23, conduits, sous bonne escorte, non loin du village des Bordes. On nous fit traverser la Glane sur une étroite passerelle faite à l'aide d'un tronc d'arbre ; puis, nous fûmes dirigés vers la maison Thomas où se trouvait le poste de commandement.
On arrête alors notre groupe en pleins champs. Le gradé qui commande le détachement s'entretient avec l'officier de poste. Les hommes sont séparés des femmes, on vérifie leur identité, puis on nous réunit à nouveau. On hésite, on parlemente... Soudain, les S. S. s'avancent, font cliqueter leurs armes, forment le cercle autour de nous. Nous comprenons tous qu'à n'en pas douter, il s'agit là de préparatifs d'exécution. Ce sont des minutes interminables d'angoisses et d'épouvante.
" Enfin, après une explication un peu vive entre l'officier et le gradé, on nous annonce que nous sommes libres. Aussi bien nous empressons-nous de gagner la campagne.
Un autre voyageur qui faisait partie de cette même tragique caravane nous a précisé qu'un interprète à ce moment-là s'est écrié : On vous laisse partir ! Vous pouvez dire que vous avez de la chance !
Une bicyclette, d'ailleurs volée, est remise à une jeune voyageuse pour qu'elle puisse regagner plus vite son domicile situé dans les environs. On a massacré toutes les jeunes filles du village, mais on est galant tout de même! Pendant ce temps on donne l'ordre de reconduire le tramway à Limoges es où il arrive aux environs de minuit.
Constatations
Le rapport de M. Bapt, inspecteur de la santé, signale qu'on a découvert dans la Glane, après la tuerie, le cadavre de M. Chalard, employé de la C. D. H.-V.
Pillage et incendie
En même temps qu'ils effectuaient cette tuerie, les S. S. entreprenaient un pillage en règle de la ville. On pense que celui-ci a commencé pendant l'heure qui s'est écoulée alors que le groupe des hommes attendait sur le Champ de Foire. Chaque maison a été soigneusement visitée et vidée de son contenu. Le village était riche et le vol ne pouvait être que fructueux. Argent, linge, provisions, objets précieux, rien ne manquait. Les camions ne sont pas repartis vides. Les coffres-forts ont été minutieusement examinés.
M. Paul Brousse, directeur honoraire de la Banque de France, désigné comme séquestre des biens récupérés à Oradour-sur-Glane, nous a donné à cet égard l'attestation suivante :
" Coffre-fort de marque Bauche (en fer et ciment) trouvé à Oradour chez M. Dupic, marchand de tissus. Ce coffre possédait sa clef mais n'a pu être ouvert immédiatement par suite de l'action causée par la chaleur. Nous avons dû le faire éventrer. Nous avons alors pu constater qu'il était vide. "
Dans le tabernacle de l'église profanée, on n'hésita pas à prendre les vases sacrés. Mgr Rastouil, évêque de Limoges, rapporte ce qui suit :
Le lundi matin les S. S. reviennent et font disparaître des quantités de cadavres dans de grands trous creusés en hâte.
" Le lundi soir, M. le chanoine Duron, curé-doyen de Saint-Junien, se rend à Oradour. Je suis entré dans l'église, dit-il, pour recueillir la Sainte Réserve. Le matin même, le tabernacle qui la contenait, épargné par l'incendie, avait été brisé et le ciboire emporté. Je n'ai pu savoir ce qu'étaient devenues les hosties qu'il renfermait.
Mgr Rastouil, dès qu'il a eu connaissance de ces faits, a écrit au général Gleiniger, commandant la Verbindungestab de Limoges, une courageuse lettre de protestation dont nous extrayons le passage suivant :
" Vous comprendrez ma douloureuse indignation quand j'apprends que l'église d'Oradour-sur-Glane a été souillée par l'exécution dans ses murs de centaines de femmes, de jeunes filles, d'enfants et profanée par la destruction du tabernacle et l'enlèvement du ciboire consacré.
" La responsabilité de ma charge me fait un devoir de rechercher s'il serait possible de savoir ce que sont devenus les vases sacrés pris dans le tabernacle d'Oradour-sur-Glane et de les récupérer, non point tant pour leur valeur que pour ce qu'ils contenaient : les hosties consacrées.
Les Allemands non seulement ont effectué le sac de la ville, mais ont même détruit certains mobiliers et ce, sans aucune raison valable, ni aucune utilité pour eux. C'est ainsi que M. Brissaud (Martial), âgé de 17 ans, a constaté les faits suivants :
" Me trouvant chez moi, à Oradour, le jour de l'arrivée de Allemands (10 juin 1944), j'ai voulu m'enfuir, mais le jardin était cerné. Dissimulé dans mon grenier, j'ai pu constater qu'avant l'incendie de la maison, les S. S. se sont acharnés à briser les meubles disposés au rez-de-chaussée.
L'incendie suit toujours le sac d'une ville. Il est de bonne règle de détruire par le feu les traces du pillage. Oradour n'a pas échappé à cette coutume.
C'est la partie haute du bourg qui a été la première la proie des flammes.
Pour allumer le brasier, les Allemands ont utilisé des grenades, des plaquettes et des balles incendiaires.
Maisons, fermes, boutiques, granges, flambèrent et disparurent tour à tour.
Le bourg a été anéanti très rapidement. L'incendie a commencé à 17 heures et, à 22 heures, la riante petite cité n'était plus qu'un amas de ruines fumantes. Quelques hameaux voisins comme " Les Brégères " et quelques fermes isolées ont subi le même sort.
La nuit qui a suivi le drame
Il existait dans le village une maison particulièrement bien approvisionnée en vivres et qui possédait, dit-on, une bonne cave. C'était celle de M. Dupic, marchand drapier. Le magasin contenait une grande quantité de tissus.
Les S.S. l'épargnèrent lors de l'incendie général. Ce ne fut que le lendemain matin qu'on y mit le feu.
Ce retard est dû au fait qu'on voulait se donner le temps d'en opérer le déménagement et aussi qu'il fallait se réserver un poste de garde confortable pour passer la nuit.
Un groupe de soldats allemands est, en effet, resté sur les lieux jusqu'au jour suivant. Il n'est reparti que le dimanche vers 11 heures du matin. N'est-il pas nécessaire, en effet, de détruire certains témoignages trop accablants du forfait ? On doit procéder après la guerre à la recherche des responsabilités et il convient de prendre ses précautions.
C'est ainsi qu'après le départ du gros du détachement un certain nombre de S. S. ont été vus s'affairant au milieu des décombres. Il est à présumer qu'ils se sont employés à faire disparaître des cadavres imparfaitement consumés et à brûler ce qui ne l'avait pas été.
Le rescapé, Senon (Armand), déclare :
" Au cours de la nuit, caché dans un buisson, derrière ma maison, entouré de lueurs d'incendie, et entendant toujours des coups de feu, je vis un point lumineux qui s'agitait auprès de moi. C'était un Allemand, posté en sentinelle, qui paraissait faire des signaux avec une torche électrique.
Il précise :.
" Le lendemain, dimanche matin, aussitôt l'aube arrivée, j'entendis les Allemands dans le bourg, et j'ai vu l'incendie reprendre du côté de la gare des tramways. J'ai pu me rendre compte, par la suite, qu'il s'agissait de la maison Dupic.
Il est hors de doute qu'au cours de la nuit, dans cette maison, se déroulèrent d'atroces orgies. M. Moreau, maire délégué, a trouvé dans les décombres de cette demeure les restes de 20 à 25 bouteilles de champagne !...
On y but, on y ripailla à la manière teutonne, et certaines autres découvertes indiquent assez le caractère monstrueux des scènes auxquelles se livrèrent ces brutes sadiques à la clarté des dernières lueurs de l'incendie.
Le dimanche 11 juin
M. Senon termine son récit en indiquant :
" Le jour venu, toujours dissimulé dans mon buisson, ayant entendu un bruit de camions et de véhicules motorisés, j'eus l'impression que les Allemands s'en allaient. Pendant de longues heures, précise-t-il, je suis resté dans ma cachette n'entendant que le crépitement fait par les pierres et les poutres qui tombaient dans les décombres des incendies.
" Dans le courant de l'après-midi des bruits de sabots se sont fait entendre dans le bourg. J'ai compris que des habitants du pays revenaient. Je suis alors allé à la recherche de mes parents. C'est à ce moment que j'ai aperçu le cadavre de M. Poutaraud, accroché à une palissade. Il avait été tué d'un coup de feu dans le dos. Un cheval était attaché à son bras par une corde.
" J'ai attendu alors, caché derrière une petite cabane, puis je décidai de me diriger vers la maison paternelle. J'aperçus M. Desvignes, boucher, qui m'apprit que tous les habitants d'Oradour avaient été massacrés, brûlés et que le village était entièrement incendié. Toute ma famille avait disparu. "
L'incendie de la maison Dupic se révéla impuissant à détruire les traces des abominables forfaits dont elle avait été le théâtre. Si l'orgie y laissa des preuves évidentes, le vol y apparut avec non moins de certitude.
C'est, en effet, dans cette maison que le lendemain du crime fut découvert le coffre-fort vidé de son contenu au cours de la nuit.
Le pillage d'une ville riche comme l'était Oradour fut évidemment des plus fructueux.
En regagnant leur cantonnement, les Allemands emportèrent des objets sur lesquels ils avaient fait main-basse. Ils les chargèrent dans l'automobile de M. L..., à laquelle ils avaient jusqu'alors évité de mettre le feu. Avant amarré cette voiture derrière un de leurs camions, ils partirent, à toute vitesse, dans la direction de Nieul.
Arrivés au village de La Plaine, la corde qui retenait l'automobile s'étant rompue, cette dernière alla buter violemment contre un poteau télégraphique et capota. Le soldat qui était au volant fut gravement blessé. On le coucha dans le camion. Pendant ce temps, d'autres S. S. se précipitant vers le véhicule accidenté en retiraient deux énormes valises lourdement chargées qu'ils transbordaient dans leur véhicule. Il s'agissait de toute évidence du produit de leurs vols.
Ceci fait, ils incendièrent la voiture qui gisait dans le fossé et se remirent en route.
Cette scène nous a été rapportée par M. Desourteaux, témoin oculaire.
Le lundi 12 juin
Des Allemands sont revenus à Oradour le lundi matin, à la première heure. Ils se mirent en devoir de creuser deux fosses où ils inhumèrent les restes trop compromettants de leurs victimes. La plus grande dépassait trois mètres de longueur. Elle fut découverte, ainsi que nous l'avons dit, dans le jardin du presbytère, à proximité de la petite porte de la chapelle de droite. On y recueillit, parmi des restes humains à demi carbonisés et des débris de chair et d'ossements, un certain nombre de corps rendus méconnaissables par l'action du feu.
Une deuxième fosse fut, ainsi que nous l'avons déjà signalé, creusée dans un petit jardin voisin du garage Denis. Celui-ci fait le coin de la rue principale du bourg et de la petite route de Dieulidou. C'est un des six bâtiments dans lesquels furent enfermés et massacrés les hommes d'Oradour. On trouva dans ce charnier des ossements et débris humains plus ou moins calcinés correspondant à une trentaine de cadavres. Un seul a pu être identifié, celui de M. Desourteaux, père, président de la Délégation spéciale. Il avait été tué de deux balles dans la poitrine. Son portefeuille avait été traversé par les projectiles, ce qui semble indiquer qu'il ne subit pas le sort commun des victimes suppliciées dans cette remise. Il fut abattu séparément, peut-être à la suite de protestations élevées contre les monstrueux exploits de ses bourreaux.
Un certain nombre de cadavres ont, en même temps, été enterrés par eux dans les champs aux alentours du bourg.
En se retirant, les soldats qui constituaient ce détachement d'arrière-garde tirèrent des rafales de mitraillettes dans la partie basse du bourg. Tl repartirent par la route de Limoges, laquelle pouvait les conduire également à Nieul.
On pense, en effet, qu'ils venaient d'une de ces deux villes et qu'ils avaient été envoyés à Oradour pour faire disparaître toute trace trop gênante de cet abominable forfait, ainsi que toute pièce trop accusatrice.
Ce qui est certain, c'est qu'ils ont, ce matin-là, envahi la maison d'habitation de M. Puygrenier.
Celui-ci était absent depuis la veille. Quand il voulut rentrer chez lui, vers 7 heures, il entendit dans ses appartements des bruits de bottes, des éclats de voix. Il écouta. On parlait allemand. 11 se retira prudemment.
En regagnant son domicile, au cours de la journée, il constata qu'on avait bu son eau-de-vie, qu'on avait utilisé son eau de Cologne et qu'enfin on avait fait main-basse sue une somme d'argent.
Des officiers allemands, envoyés par la Kommandantur quelques jours après à Oradour, pour effectuer une a enquête a, ont montré toute la mesure des qualités morales qui présidaient à l'accomplissement de leur mission en raflant toutes les volailles laissées par les malheureux habitants.
Tragique vision
Le dimanche, vers 14 h 30, après le départ des Allemands, arrivent les premières équipes de secours ; mais, hélas ! la mort a partout accompli son œuvre, il n'y a plus personne de vivant dans le village.
Les murs ravagés par les flammes se profilent douloureusement à perte de vue. Partout autour des fenêtres apparaissent des traces de balles incendiaires.
M. Marc Bernard, dans une page émouvante du premier numéro du Centre libre, relate qu'un grand nombre d'enseignes des boutiques de la petite ville n'ont pas été touchées par les flammes. C'est ainsi, qu'en effet, nous avons pu relever " Hôtel Alilord ", " Hôtel Beaubreuil ",
" Restaurant Dagoury ", " Café du Chêne ", et puis plus simplement " Boulangerie ", " Coiffeur ". Rien de plus saisissant dans cet asile de mort que ces derniers vestiges de la vie si active, accueillante et gaie de cette petite cité. Le contraste entre hier et aujourd'hui est poignant, bouleversant. Une atmosphère lourde pèse sur les épaules de chacun des assistants.
Toutes les toitures, toutes les fenêtres, toutes les portes ont été la proie des flammes. Deux petites conduites intérieures incendiées, dont celle du docteur Desourteaux, attendent désespérément à l'entrée du Champ de Foire leurs conducteurs qui, hélas ! ne reviendront plus !
Des animaux, à la recherche de leur étable ou de leur écurie, errent sinistrement dans le village désert.
Après la tragédie d'Oradour la plupart des chats de la ville s'étaient réfugiés dans la maison de M. Georges qui, située hors de la localité, avait été épargnée par le feu. C'était un spectacle bien émouvant que celui qu'offraient tous ces matous, s'assemblant à certaines heures, dans la cour de cette accueillante maison, pour y chercher leur nourriture.
M. Bapt, médecin inspecteur de la santé, qui a été une des premières personnes ayant pénétré dans Oradour après la tragédie, a dépeint de façon fort saisissante l'aspect qu'offrait la cité martyre à ce moment-là :
" Vision d'apocalypse. Cette petite cité riche et coquette où vivait une population paisible et laborieuse, qui était restée fidèlement attachée aux vieilles traditions limousines, n'était plus qu'un amas de ruines et de cendres. Des pans de murs calcinés sur lesquels on pouvait lire encore l'enseigne d'un restaurant ou d'une épicerie, des monceaux de matériaux de toutes sortes : briques, ferrailles, verres, etc. ..., encombrant les rues çà et là ; des poutres maîtresses de vieilles demeures du XVe siècle brûlant encore ou rongées par le feu ; des hirondelles sillonnant, rapides, inquiètes, les rues et les places, cherchant au milieu de ces ruines leurs nids à jamais détruits ; des chiens fidèles et craintifs couchés dans les décombres de leurs maisons, fuyant lentement la queue basse, à notre approche et revenant obstinément reprendre leur place dès que nous nous sommes éloignés ; des animaux de basse-cour, lapins, poulets, canards, échappés de leurs clapiers ou de leurs toits et surpris de cette liberté inconnue, courent dans les jardins paisibles où une moisson de fleurs s'épanouit au soleil ; des boeufs, des vaches qu'on retrouve couchés dans leurs étables détruites, à leur place habituelle, au milieu des décombres, et parmi toutes ces mines, la vieille église avec sa tour carrée, flanquée d'échauguettes, le toit effondré, les murs léchés par les flammes, recouverts de larges traînéés de suie, les statues et les autels mutilés, le sol jonché de décombres où l'on retrouve, à côté des objets du culte, une masse de bronze, tout ce qui reste des cloches que le feu a fondues et, sur les murs, des traces de balles.
" Voilà tout ce qui reste d'Oradour, ou plutôt non, car il reste encore dans ces ruines des cadavres, une foule de cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants, une population tout entière, 700, 800, peut-être plus. "
À l'intérieur des habitations les objets de métal, seuls, subsistent encore, mais dans quel état ! C'est ainsi qu'on peut voir, un peu partout, des ustensiles de ménage, brisés, déformés, des bicyclettes tordues par l'effet de la chaleur.
Dans les granges, les corps des suppliciés incomplètement carbonisés gisent parmi les décombres. Ils offrent aux regards épouvantés l'aspect de tragiques statues de bronze.
Devant tant de dévastations et de deuils on demeure confondu. Personne ne peut retenir ses larmes.
Quelques groupes se dirigent vers l'église. On ne retrouve que des mines âpres et tragiques. La toiture a complètement disparu. Son clocher dresse désespérément vers le ciel deux longs bras nus et désolés... comme pour une ultime et déchirante prière.
Mgr Rastouil, évêque de Limoges, fait l'émouvant récit suivant :
" Surprises... et enseignement. Sur le flanc extérieur de l'église le crucifix de mission est intact, tout argenté d'aluminium récemment passé.
" À 50 mètres de l'église, sur la façade d'une maison incendiée, accrochée au mur brûlé, une deuxième croix en bois, reste debout et dessus, Lui, toujours Lui, le Christ aux bras étendus sur les ruines.
" Nous pénétrons dans l'église... Les statues brisées gisent sur le sol, mais surprise encore et enseignement : face à l'autel gauche, deux statues sont absolument intactes : celle de N. D. de Lourdes, et à trois ou quatre mètres, celle de Bernadette tournée vers Marie et en prières. "
Un témoin déclare :
" À l'intérieur de cette église ébranlée, tourmentée, bouleversée, le spectacle est hallucinant.
Une odeur âcre de chair brûlée se dégage des décombres et prend à la gorge ; des cendres, des restes humains crient la fin lamentable de ces malheureuses victimes.
Ici, de pitoyables petites mains d'enfants gisent éparses sur les dalles ; là, on découvre des pieds de pauvres gosses qui n'ont pas été entièrement consumés.
" Dans le confessionnal on peut voir, épargnés par le feu, les cadavres émouvants de deux tout petits se tenant par le cou. Ils portent des traces de balles de revolver dans la nuque.
" Non loin de là, le corps d'une jeune institutrice gît au milieu des misérables restes de ses petits élèves.
" Un mari, soudain, reconnaît sa femme ! Celle-ci, dans une attitude d'épouvante, tient étroitement embrassée une de ses parentes. Il s'approche et veut les séparer ; mais, à peine sa main a-t-elle effleuré leurs épaules qu'à ses yeux horrifiés les deux cadavres s'effondrent subitement et disparaissent en poussière.
Des reconnaissances déchirantes ne cessent d'avoir lieu. Un habitant d'un village voisin et dont un enfant âgé de 9 ans n'était pas rentré de l'école la veille retrouve son petit cadavre affreusement défiguré.
Pitoyables épaves
De nombreux objets que les malheureuses victimes de ce drame portaient sur elles ou avec elles, au moment de leur mort, ont été recueillis dans les ruines de la cité martyre, en particulier dans l'église et dans les granges. Certains sont des plus impressionnants. Nous en assurons la conservation afin de les exposer un jour dans le lieu saint ou dans les vitrines de la maison du Souvenir dont la création est envisagée à Oradour.
Il convient de transmettre aux générations de l'avenir un témoignage concret et irrécusable de la barbarie allemande. Ces objets constitueront par ailleurs autant de pièces à conviction qu'il sied de produire devant le Tribunal de l'Histoire.
Nous citerons d'abord plusieurs voiturettes d'enfants qui ont servi aux mamans pour transporter leurs bébés sur le lieu de leur supplice et qui, ainsi que nous l'avons dit, présentent de multiples traces de balles allemandes. Rappelons - et on ne saurait trop le rappeler - que l'une d'elles a été littéralement lacérée par les éclats d'une grenade.
On a trouvé tant dans l'église que dans les granges une grande quantité de bijoux comprenant une série importante de bagues et d'alliances, dont la plupart sont en or, ainsi que de nombreuses montres de métal plus ordinaire, en acier ou en nickel. On a de même recueilli un certain nombre de montures de sacs à main et de porte-monnaie. L'inventaire que nous avons fait de ces tristes reliques comporte une assez grande quantité de pièces de monnaie parmi lesquelles une forte proportion de pièces en argent.
Signalons en outre des clefs, beaucoup de clefs, des briquets, quelques portefeuilles, contenant des papiers personnels et même des billets de banque plus ou moins carbonisés. Un de ces portefeuilles, ainsi que nous l'avons indiqué, est perforé par une balle. Deux étuis, l'un à cigarettes, l'autre à lunettes, ont également été traversés de part en part par un projectile.
Nous possédons de multiples couteaux de toutes les dimensions et de toutes les formes. Détail saisissant : quatre d'entre eux, à lame particulièrement longue, effilée, pouvant par conséquent servir d'armes, ont été trouvés grands ouverts. Il apparaît que certains des malheureux enfermés dans les granges, se voyant sur le point d'être massacrés, ont songé à se défendre.
On a recueilli dans l'église un nombre incroyable de baleines de corsets, de boucles de ceintures et de restes métalliques d'objets de toilette, de trousses, de poudriers, de boites ou d'étuis à rouge, accessoires émouvants de dernières coquetteries.
Nous avons groupé, pour être pieusement exposés dans une vitrine spéciale, de nombreux jouets ayant appartenu aux pauvres gosses d'Oradour. Il est hors de doute que s'il est un souvenir qui demeurera à jamais gravé dans l'âme des enfants appelés à les contempler, c'est bien celui de ces pitoyables restes de jeux de leurs petits camarades si férocement exterminés par les ogres allemands.
Pour terminer, relatons quelques découvertes bien poignantes qui également ont été faites dans le lieu saint. C'est, d'abord, celle d'une enveloppe timbrée mais non encore postée et maculée de sang.
Elle est à l'adresse de M. le Curé de Javerdat et contient une lettre faite à son intention. Celle-ci a été écrite, le 10 juin 1944, jour de la tragédie d'Oradour, et on y lit la phrase suivante :
" Je ne vais pas trop mal en ce moment. Pour moi, c'est le soleil.
La femme qui a écrit cette phrase devait mourir martyrisée le jour même.
Elle portait la lettre sur elle dans le but de la mettre à la poste.
Les traces de sang visibles sur l'enveloppe sont vraisemblablement celles du sien.
Cette lettre a été transmise, par la suite, à son destinataire.
Signalons également une chanson soigneusement copiée sur une page de papier à lettre. L'écriture semble en être d'une jeune fille. Nous y relevons le couplet suivant que nous transcrivons fidèlement :
Écoutez, le bonheur carillonne
Et résonne à grands coups dans mon cœur.
La chanson n'est jamais monotone,
Ah ! qu'il est doux le bing bong
Au clocher de mon cœur !
Combien dramatique et bouleversant est le destin de cette malheureuse enfant qui a apporté jusque sur le lieu de son martyre cet appel enivrant à la vie et au bonheur !
Enfin, M. l'abbé Vignéras, curé de Javerdat, nous signale une page de carnet d'écolier sur laquelle la petite Marguerite Simon, âgée de 11 ans, a tracé de sa plus belle écriture la phrase suivante : " Je prends la résolution de ne jamais faire de mal aux autres ". Cette décision d'une enfant tombée victime de si sauvages exploits est à reproduire et à diffuser dans toute l'Allemagne.
Quelle belle leçon donnée par une gosse de chez nous aux orgueilleux et ardents zélateurs de la Kultur germanique !
Et, parmi ces misérables reliques ensevelies au milieu de cendres et de débris humains, un nombre considérable de balles et de douilles allemandes.
Balles allemandes
Si l'on n'a recueilli dans les ruines aucun engin incendiaire, on a cependant trouvé des quantités de douilles de revolvers de 9 millimètres avec inscription au culot : NRA 9 mm, ainsi que des douilles de fusils.
M. Romério, entrepreneur T. P., chargé de la consolidation des mines de l'église, a découvert, près du maître-autel, sous des tas de décombres, au milieu d'ossements humains et d'objets divers, six douilles de fusils de 50 millimètres de longueur, portant au culot les inscriptions suivantes :
- la première hm St 39-43 ;
- la deuxième hrn St 4o-43 ;
- la troisième hrn St 41-43.
Les inscriptions des trois culots des autres douilles détériorées par le feu et l'oxydation demeurent illisibles.
Pour notre part, nous avons découvert une douille de revolver portant l'inscription suivante : aso Stf 8-44 et plusieurs autres de fusil sur lesquelles nous relevons les mêmes lettres et chiffres que ci-dessus. Nous en noterons une portant l'inscription suivante : Kam Sr 42-5.
Les assassins après le crime
Leur forfait accompli, les S. S. ne sont pas rentrés à Saint-Junien. Une partie a cantonné à Nieul, où notre enquête nous a révélé des épisodes particulièrement impressionnants.
Nous nous devons d'abord de signaler un fait qui, mieux que de longues phrases, dépeint la mentalité des criminels d'Oradour.
De nombreux habitants des environs de cette localité témoignent que, le soir de la tragédie, les S. S., du haut des camions qui les conduisaient à leur cantonnement, tiraient sur la route des rafales d'armes automatiques.
M. Demange (Henri), demeurant à la Barre-de-Veyrac, déclare, de son côté :
" Le 10 juin, vers 20 heures, sur un camion allemand, chargé de matériel venant d'Oradour et se dirigeant vers Nieul, j'ai vu et entendu des S. S. chantant et jouant de l'accordéon.
Plusieurs autres témoins confirment d'ailleurs ce témoignage.
Tous les habitants sont d'accord pour signaler qu'à leur arrivée à Nieul les Allemands étaient en proie à une excitation extraordinaire. Ils se répandirent dans les rues en poussant des cris. Ils ont déclaré avoir été surpris par le calme et la correction de l'accueil de la population qui ne savait encore rien de ce qui s'était passé à Oradour. Ils se sont montrés très méfiants. Les officiers décidèrent de ne pas se séparer et de coucher dans la même pièce.
On rentre d'une dure " expédition ". On a eu chaud ! On boit, on boit beaucoup ! On passe une partie de la nuit à se laver dans les lavabos de l'école. Il y a des taches qui sont difficiles à enlever ! On gaspille vivres et vins. Et c'est la grande ripaille ! On boit, on mange, on hurle ! On profère des menaces de mort et d'incendie. De jeunes femmes sont obligées de prendre la fuite.
M. Bouty, directeur d'école à Nieul, nous a fait, à ce sujet, la déclaration suivante :
Les S. S. sont arrivés à Nieul, le samedi 10 juin 1944, vers 22 heures ; leurs camions, précédés d'une auto-chenille, se sont arrêtés sur la place devant le groupe scolaire. Aussitôt, les soldats allemands sont descendus de leurs véhicules et, peu après, un petit groupe de trois ou quatre hommes s'est dirigé vers l'école.
" L'un d'eux a donné de violents coups de botte dans la porte fermée de mon habitation. J'ai ouvert aussitôt et un soldat qui parlait un peu le français m'a demandé : " École pour 150 bonshommes ? " J'ai indiqué les classes qui avaient été réquisitionnées la veille par un détachement de soldats allemands en même temps que les deux chambres de mon logement personnel et de nombreuses autres chambres du bourg. Les soldats se sont installés dans les classes, et, durant toute la nuit, de nombreux camions ont évolué dans les cours de récréation. Les officiers qui devaient occuper les chambres de mon appartement ne sont pas venus. J'ai appris, plus tard, qu'ils s'étaient fait porter des matelas dans la salle d'un bâtiment communal où ils passèrent la nuit.
" Le lendemain, dimanche, les soldats allemands se sont fait préparer des repas dans les maisons du bourg de Nieul, avec des volailles qu'ils avaient apportées vivantes dans des sacs.
" Après leur départ, j'ai trouvé, sur la pelouse, devant mon logement, un pot de confiture de ménage et une bouteille de liqueur pas tout à fait vides. Sous le préau de l'école une douzaine de poulets morts dont quelques-uns étaient décapités et plumés.
M. Michot (Paul), monteur au poste émetteur de Nieul, gendre de M. Laroudie, boucher, précise :
" Dans la maison de mon beau-père les Allemands ont débouché des bouteilles de vin vieux qu'ils avaient apportées et qui ont été retrouvées vides après leur départ. Ils étaient porteurs de nombreux jambons. Ils ont grillé dans la cuisine du café vert. Ils avaient des lapins et des pigeons à profusion. "
Nous avons demandé à M. Bouty s'il avait remarqué dans les mains des Allemands des objets de provenance suspecte. Celui-ci nous a répondu :
" J'ai vu, dans des camions, des soldats allemands enveloppés de couvertures qui n'avaient rien de militaire. J'ai vu aussi, le dimanche, dans la cour de l'école, des soldats qui
jouaient avec deux bicyclettes neuves qu'ils ont brisées en riant et en poussant des exclamations. Le lundi 12, après le départ de ces troupes, j'ai recueilli les cadres de ces deux bicyclettes. L'un d'eux portait une plaque d'identité au nom de Barthélemy, Oradour-sur-Glane.
" En outre, une motocyclette appartenant à M. Leblanc, d'Oradour-sur-Glane, a été retrouvée dans l'étang du parc. "
Durant l'occupation de Nieul se déroula la scène qu'on attendait ! Dans deux maisons, peut-être dans d'autres, mais sûrement dans deux, on a distribué de l'argent. Serait-ce le partage du butin d'Oradour ? Nul n'en doute dans le village.
M. Michot déclare :
" Un S. S. qui logeait dans la maison de mes beaux-parents a réparti entre ses camarades, par la fenêtre de la salle à manger, des billets de banque qu'il retirait de deux vastes cantines. Les Allemands ont circulé dans le bourg les mains et les poches pleines de ces coupures.
Nous avons demandé à Mme Riffaud, qui tient un restaurant à Nieul, quelle avait été l'attitude des Allemands dans cette localité.
Elle nous a répondu :
" J'ai reçu chez moi des Allemands qui étaient porteurs d'un canard vivant enfermé dans un sac. Ils m'ont demandé de le mettre de côté pour pouvoir l'emporter lors de leur départ de Nieul. Comme je leur représentais que cette bête risquait fort d'étouffer dans ce sac, l'un d'eux m'a répondu que s'il crevait, mon mari et moi serions kapout le lendemain. J'ai répliqué : " Après vous avoir servi toute la journée, vous ne feriez sûrement pas ça ! Ils m'ont répondu : « Oh ! Madame, nous avons fait pire ! ... Une balle ne fait qu'un tout petit trou ! " En prononçant ces paroles, il me visait avec son revolver. Ces mêmes Allemands, sur mon refus de leur indiquer les chambres des bonnes, employées dans l'établissement, m'ont menacée de me faire fusiller ainsi que mon mari et d'incendier la maison.
" J'ajoute qu'ils ont tué, sur la route de Bellac, un jeune homme de 15 ans, M. Doumeix, de Fougerat, qui en les voyant avait tenté de prendre la fuite.
M. Bouté signale en outre :
" Pendant toute la journée du dimanche, des soldats allemands sont restés installés dans les camions. Il est évident que les S. S. n'avaient pas la conscience tranquille. Ils réalisaient fort bien la gravité du forfait accompli ; aussi redoutaient-ils les représailles d'une population exaspérée et qu'ils pensaient peut-être susceptible de se révolter. "
M. Bouty poursuit :
" De temps en temps, un ou plusieurs de ces véhicules partaient dans la direction des localités voisines. J'ai appris qu'au cours d'une de ces expéditions, un détachement avait incendié le château de Morcheval, voisin de Nieul. "
Les victimes
Le nombre des morts d'Oradour ne peut être évalué de façon précise. Étant donné que la population a été entièrement anéantie, il est impossible, du moins pour le moment, d'effectuer les enquêtes que nécessite un tel recensement. N'oublions pas, d'autre part, qu'il y avait beaucoup de réfugiés dans le bourg et que précisément, ce jour-là, beaucoup de personnes étrangères à la localité étaient de passage. Des familles entières ont disparu. L'une d'elles compte 24 victimes. On cite de malheureux parents, M. et Mme Deschamps, qui ont perdu leurs quatre petites filles.
M. Moreau, l'actif maire délégué d'Oradour, jusqu'à présent, a pu relever les noms de 636 victimes. Mais on estime généralement que le chiffre des personnes massacrées n'est pas très éloigné du millier.
Nous publions à la fin de cet ouvrage la liste des personnes dont les corps ont été identifies et pour lesquelles un acte de décès a été dressé. Nous donnons, en même place, la liste de celles dont la présence a été établie à Oradour au cours du massacre et qui sont seules portées officiellement disparues.
Les habitations détruites
En ce qui concerne les constructions du bourg, il résulte d'une statistique établie par le maire délégué que les destructions portant sur les immeubles se répartissent comme suit :
Maisons d'habitation : 123
Ateliers : 26
Garages particuliers et autres : 19
Remises : 35
Granges : 40
Hangars : 58
Magasins : 22
Écoles : 4
Gare : 1
Au total 328 constructions détruites.
Les exhumations et inhumations
Ce service a été assuré sous la direction de M. le docteur Bapt, médecin inspecteur de la santé. Nous avons déjà cité de nombreux passages de son rapport. Nous allons en donner l'essentiel :
" Conformément aux instructions qui m'ont été données et avec l'autorisation des autorités allemandes (Ausweis n° 11 en date du 14 juin 1944 du général major), je me suis rendu avec mon adjoint, le docteur Bénech, à Oradour-sur-Glane afin de faire procéder à l'inhumation des victimes, à l'enfouissement des cadavres d'animaux et en vue de prendre toutes mesures de salubrité utiles.
" Le commandant de Praingy, adjoint au général Sigaud, directeur des services départementaux de la défense passive,a bien voulu m'apporter son concours. La Croix-Rouge française, le Secours National, les Services techniques, les jeunes des Équipes nationales et de Jeunesse-Secours, en mettant à notre disposition leurs équipes spécialisées, nous ont permis d'accomplir rapidement et dans les meilleures conditions la tâche qui nous avait été confiée.
" Nous nous rendîmes, le commandant de Praingy, le docteur Bénech et moi, le 14 juin, dans l'après-midi, à Oradour-sur-Glane, accompagnés d'une vingtaine de secouristes appartenant à des équipes d'urgence de la Croix-Rouge.
" ... Ce premier jour quatre cadavres ont été retrouvés. L'un devant ]a boulangerie Bouchoule. Il s'agit d'un homme dont il ne restait que la tête et le tronc calcinés, les bras et les jambes ayant été complètement carbonisés. Un second, dans la grange de Mme Laudy, tronc et tête calcinés, jambes et bras carbonisés, cadavre de femme reconnu par un de ses parents pour être celui de Mme Desbordes. Enfin, dans le jardin de Mme Laudy, à proximité de la grange dont nous venons de parler, un cadavre de femme et un cadavre d'homme, tués par les projectiles, légèrement calcinés, très reconnaissables. La femme est une réfugiée lorraine, identifiée par M. H. Desourseaux; l'homme, M. Thomas, boulanger. Ces cadavres ont été placés dans des cercueils et inhumés dans le cimetière.
" ... Le jeudi 15, un train de la C. D. H.-V. nous ramenait à Oradour avec les équipes des différents services, soit au total 149 hommes...
" ... Nos opérations se sont déroulées les jours suivants : vendredi 16, samedi 17 et lundi 19 dans les conditions ci-après :
" 1. Service d'ordre. - Sous la direction du commandant de Praingy, le service d'ordre a été assuré par l'une des équipes d'urgence mises à notre disposition. Des barrages ont été établis à l'entrée du bourg.
II. Déblaiement. - Les équipes du secours technique en furent chargées sous l'autorité du commandant de Praingy. Ne furent d'ailleurs déblayés que les immeubles : granges, garages, maisons sous les décombres desquels la présence de cadavres était présumée.
" III. Prospection. - Dès le premier jour, des équipes de jeunes sous la direction du commandant de Praingy furent désignées pour rechercher les cadavres humains ou d'animaux, les tombes et les charniers.
" IV. Récupération des valeurs et objets précieux. - Tous les objets qui furent trouvés soit sur les cadavres, soit dans les décombres : cassettes, pièces d'or, bijoux, titre, papier d'identité, furent déposés soit à la Banque de France, soit à la permanence de la rue Fitz-James, soit à M. Moreau.
" V. Emplacements où furent découverts les cadavres humains. - Le mardi 13 juin et dans la matinée du 14, une équipe composée de cantonniers et de personnes de bonne volonté de Saint-Victurnien était venue relever les cadavres : 35 très exactement furent retirés des décombres par leurs soins. En outre, d'autres victimes furent relevées et transportées ce même jour par les habitants des villages voisins. Nous avons indiqué plus haut les emplacements où furent trouvés ces cadavres; nous n'y reviendrons pas.
" VI. Identification et inhumation des victimes. - Les corps des personnes identifiées furent mis en bière et déposés soit dans les caveaux, soit dans des fosses particulières. Il fut placé sur chacune des fosses une croix sur laquelle est inscrit le nom de la victime. Les ossements et restes humains ainsi que les corps non identifiés furent déposés dans deux fosses communes.
(Suit dans ce rapport une liste de 28 personnes identifiées à l'époque où il a été rédigé. Le nombre des victimes qu'on est parvenu à reconnaître s'élève maintenant à 53. Nous en publions les noms à la fin de cet ouvrage.
" VII. Cadavres d'animaux. - Parmi les animaux tués, les uns étaient morts d'asphyxie, les autres en partie carbonisés.
" Ont été retrouvés dans la ferme de la Brégère : 8 cadavres, dont 5 bœufs ou vaches ;
" Dans l'étable de Mme Laudy (métayer Senon) : 5 bœufs en partie carbonisés ;
" Dans la propriété de Mme Laudy (métayer Desbordes) : 3 bœufs et 2 génisses asphyxiés dans une étable et les cadavres d'une trentaine de moutons dans une bergerie.
" Tous ces cadavres furent brûlés et les restes placés dans trois fosses.
VIII. AIesures de salubrité et de prophylaxie. (Suit la description des mesures de désinfection qui ont dû être prises. Nous nous bornerons à indiquer celles de protection individuelle.)
" Les équipiers chargés de relever les cadavres et de recueillir les restes humains étaient munis de gants de caoutchouc. En outre, ceux qui ont effectué l'exhumation, le transport et l'inhumation des cadavres étaient munis de masques imbibés d'essence d'eucalyptus pour combattre l'odeur nauséabonde qui était rendue plus pénible encore du fait de l'extrême chaleur.
" Incidents. Le lundi 19, alors que j'étais allé à bicyclette au village des Bordes... quelques villageois apeurés sont venus nous avertir que des soldats allemands se trouvaient à Oradour. Craignant quelques incidents et pour couvrir éventuellement les hommes de mes équipes, je suis rentré sur-le-champ.
À l'entrée du bourg je me suis trouvé en présence de trois camions allemands, le premier armé d'un fusil-mitrailleur en batterie. Deux sentinelles gardaient la route. Une dizaine de soldats armés de mitraillettes entouraient l'abattoir tandis que quelques autres démontaient roues et pneus d'une des deux seules voitures qui avaient échappé à l'incendie.
" Après avoir montré mon Ausweis et fait vérifier mon identité, je pus pénétrer dans le bourg. Là, M. Fichaud m'apprit que les soldats allemands chargeaient dans leurs véhicules plusieurs bicyclettes appartenant à nos hommes. Après explications il put les faire restituer. Dans le bourg les équipes avaient cessé leur travail et s'étaient dispersées dans la campagne. Elles vinrent me rejoindre au cimetière. C'est alors qu'on entendit une quinzaine de coups de feu. Les Allemands tiraient sur des animaux de basse-cour échappés dans les champs.
" Je remercie, ajoute ce rapport, tous ceux qui nous ont apporté leur concours, en particulier l'équipe des séminaristes, toujours volontaires pour accomplir les besognes les plus pénibles, j'ose même dire les plus rebutantes. "
Les incidents du service funèbre à la cathédrale de Limoges
Un service de Requiem pour le repos de l'âme des victimes d'Oradour avait été annoncé par Mgr Rastouil, évêque de Limoges, et fixé au mercredi 21 juin, à 9 h 30, à la Cathédrale.
Mgr Rastouil, dans un récit qu'il a fait des incidents auxquels cette cérémonie a donné lieu, révèle que du samedi au mercredi la police allemande a tout mis en oeuvre pour en empêcher l'accomplissement. Il signale que, dans ce but, elle a fait répandre en ville le faux bruit de son arrestation ainsi que celui d'une mystérieuse pose de bombes sous la cathédrale. Il précise qu'un dépôt d'explosifs y fut même simulé. C'est ainsi que durant la nuit du 20 au 21 juin on entendit des coups sourds de pics et de marteaux qui semblaient provenir des sous-sols du lieu saint. En réalité c'était une équipe d'ouvriers qui travaillaient dans des caves de maisons voisines.
" Le mercredi, à 8 h 30, dit l'évêque de Limoges, M. l'Archiprêtre m'avertit de ces travaux nocturnes. La police, alertée aussitôt, explore caves et sous-sols.
" 9 h 25, je me rends à la cathédrale ; la foule arrive, toujours dense, pour entrer dans une église déjà pleine. La messe commence et se poursuit normalement.
" Aux dernières oraisons, au moment où je vais revêtir la chape pour donner l'absoute, M. le Préfet régional me fait prévenir que la police n'est pas pleinement rassurée, qu'un danger reste possible et me demande, si possible, d'abréger la cérémonie.
" Sentant vivement ma responsabilité en face d'une foule compacte jusque dans les petites chapelles, comme aux grands jours des Ostensions, et largement débordante à l'extérieur ; réalisant d'une part, en une seconde, le drame que provoquerait une explosion, un effondrement, je réponds : " Dites à M. le Préfet que je supprime l'absoute.
" Mais aussitôt, je pense à cette foule qui a vu des mouvements insolites de policiers, des liaisons entre le Préfet et l'Évêque et qui va être étonnée d'abord par la suppression de l'absoute si traditionnelle en pareille cérémonie, puis affolée de ce qu'elle croirait être de ma part un départ précipité. La moindre panique peut provoquer la mort de plusieurs centaines de personnes.
" Je me tourne alors vers la foule entassée, innombrable, digne, et je dis : " Mes frères, pour les morts d'Oradour-sur-Glane, disons le De Profundis ". Après le psaume, j'ajoute : Disons un Pater et un Ave pour les familles des victimes.
" Et je sors lentement après avoir salué M. le Préfet régional.
" Il n'y avait pas eu de pose de mines, mais une feinte, un simulacre pour saboter le service funèbre en mémoire des victimes d'Oradour-sur-Glane.
Ainsi qu'on le voit il était même interdit de prier pour les infortunés martyrs !
LES ASSASSINS
Révélation d'importants documents permettant d'indiquer les véritables raisons du massacre d'Oradour, d'identifier l'unité en cause et de préciser les noms de certains des assassins.
Le 26 octobre 1944 la presse annonçait la capture du lieutenant général von Brodowski et de son second, le major Schradel, qui commandaient l'unité responsable d'Oradour. Tous les deux, accompagnés de quelques hommes de troupe, remontaient vers le nord de la France et essayaient de gagner l'Allemagne à pied. Le major Schradel fut arrêté le premier au château de Grenant, en Haute-Saône, le 21 septembre. Il venait de faire fusiller trois jeunes gens de la région ainsi que trois infirmières. Il révéla que son chef avait pris la direction de Corre. C'est en effet dans une grange des environs de cette localité qu'il fut découvert.
Les officiers chargés d'interroger von Brodowski trouvèrent sur lui un carnet de route sur les pages duquel étaient portées les indications suivantes :
" 11 juin 1944. - Au cours d'une action de la troupe en date du 10, la localité d'Oradour (31 kilomètres S.-O. de Limoges) a été réduite en décombres et en cendres.
" 14 juin 1944. - Une communication téléphonique en provenance d'Oradour me signale ce qui suit : 600 personnes ont été tuées. Toute la population mâle d'Oradour a été fusillée... Les femmes et les enfants se sont réfugiés dans l'église. L'église a pris feu. Des explosifs y étaient entreposés. Toutes les femmes et tous les enfants ont trépassé.
Ce document n'est qu'un tissu d'inexactitudes grossières. Ces femmes et ces enfants qui se réfugient dans l'église, ces munitions qui y sont entreposées et cette explosion accidentelle constituent autant de mensonges dont nos lecteurs feront justice d'eux-mêmes. Ni les témoignages reçus ni les constatations faites dans l'église ne révèlent l'existence de semblables faits.
Les nazis n'en sont d'ailleurs pas à une fable près. Ils se sont surpassés en ce qui concerne les raisons qu'ils ont inventées pour justifier leur crime du 10 juin. Ils ont prétexté l'existence d'une attaque à main armée contre des soldats allemands, puis contre des gradés. Selon certains, l'affaire se serait produite dans les environs d'Oradour, selon d'autres dans le bourg lui-même.
On fait état de ce qu'un S. S., arrêté depuis peu de temps, aurait prétendu, pour sa part, que le 10 juin, à quelques kilomètres de la cité martyre, le détachement auquel il appartenait avait été violemment attaqué par le maquis. L'officier qui commandait l'unité se serait alors vengé sur le premier village qu'il aurait rencontré et qui aurait été : Oradour-sur-Glane.
Il est évident que ce militaire avait tout intérêt à essayer de justifier ainsi le crime qu'on lui reprochait. Par ailleurs, l'enquête serrée que nous avons faite dans la région est en formelle contradiction avec de semblables allégations. La réalité est qu'aucun attentat ne se produisit, ni à Oradour, ni dans ses environs, pas davantage le 10 juin que tout autre jour. Répétons que les nazis n'avaient aucune raison valable pour s'attaquer à cette paisible cité.
Il n'existait d'ailleurs pas de maquis à Oradour-sur-Glane et si les S. S. ont décidé " cette expédition ", ce n'est pas parce qu'il y avait des éléments de la Résistance, mais bien plutôt parce qu'ils savaient pertinemment qu'il n'y en avait pas et que, dès lors, ils pouvaient commettre impunément leur odieux forfait.
Répétons qu'il n'y avait à Oradour ni dépôt de munitions ni dépôt d'armes d'aucune sorte. Toutes les déclarations des rescapés sont unanimes et formelles à cet égard. Oradour était, nous l'avons dit, un village calme et tranquille. Aucun officier ni soldat allemand, ni même aucun collaborateur n'y avait jamais été assassiné.
Le massacre de toute cette population avait d'autres raisons, que nous examinerons dans un des chapitres qui vont suivre.
Et d'abord d'où venaient et quels étaient ces assassins ?
Découverte d'une carte géographique annotée par les auteurs du massacre d'Oradour et permettant de rétablir l'itinéraire suivi par eux depuis leur arrivée en France
Les assassins d'Oradour ont laissé sur le théâtre de leur forfait de nombreux documents qui ont été recueillis après leur départ.
M. Villoutreix (Jean), domicilié à la Berthe, commune de Saint-Auvent, a fait la déclaration suivante :
" Je certifie avoir découvert, le 16 juin 1944, dans le champ de blé de M. Bélivier, demeurant aux Brégères, d'Oradour-sur-Glane, une sacoche ayant appartenu à un soldat allemand qui a dû l'oublier ou la perdre le jour du drame d'Oradour-sur-Glane.
" Je déclare sur l'honneur que cette sacoche en toile verte contenait :
1° Une toile imperméabilisée verte ;
2° Une carte routière Michelin sur laquelle étaient tracés au crayon divers itinéraires avec tous les noms des grandes villes et des mentions de dates ;
3° Des cartes postales, au nombre de huit, dont une écrite à la main et destinée à être expédiée en Allemagne et dont une autre portait une date ;
4° Diverses lettres que j'ai brûlées.
Cette sacoche et son contenu nous furent remis en septembre 1944.
La cane est des plus suggestives. Les S. S. y ont indiqué d'un trait très net tracé au crayon les routes qu'ils ont parcourues dans notre pays jusqu'à leur arrivée en Limousin. Grâce à elle, nous avons pu les suivre à la trace, ville après ville. Elle comporte deux itinéraires.
Premier itinéraire. - Le premier, suivi par ces troupes depuis leur apparition en France, traverse la " zone occupée " du nord-est au sud-ouest (de Mulhouse à Bordeaux), en longeant d'abord la partie nord, puis la partie ouest de l'ancienne ligne de démarcation. Il ne présente aucune annotation manuscrite et n'emprunte que des routes nationales. Il passe par Mulhouse, Belfort, Baume-les-Dames, Besançon, Délie, Dijon, Nuits-Saint-Georges, Beaune, Autun, Château-Chinon, Nevers, Bourges, Vierzon, Villefranche-sur-Cher, Saint-Aignan, Mont-richard, Chenonceaux, Tours, Montbazon, Sainte-Maure, La Celle-Saint-Avant, Châtellerault, Poitiers, Vivonne, Mansle, Angoulême, Barbezieux, Montlieu, Cavignac, Saint-André-de-Cubzac, Bordeaux.
Deuxième itinéraire. - Le second, qui part de Bordeaux, pénètre dans la zone dite libre, suit la Garonne jusqu'à Moissac, puis remonte brusquement vers le nord-est et enfin vers le nord. Sur ce dernier parcours, certains noms de villes sont encadrés ou seulement soulignés d'un trait au crayon. Parfois, ils sont accompagnés de chiffres, de signes et souvent même d'une date.
En examinant ce trajet, on est amené à réaliser que les noms des villes qui ont été encadrés sont ceux de localités où ces troupes ont cantonné. En effet, Saint-Junien où, comme nous le savons, elles ont séjourné et qui se signale sur la carte de semblable façon, parait devoir assez clairement l'établir.
La succession des dates inscrites le long de ce trajet montre qu'elles ne peuvent correspondre qu'à celles desdits cantonnements.
Décidément on ne manque ni de méthode ni de précisions dans les régiments nazis!
Nous ignorons les raisons pour lesquelles certains noms de localités ont été soulignés, ainsi d'ailleurs que la signification de certains chiffres ou lettres qui les accompagnent. Sans doute,
les unes ou les autres de ces indications marquent-elles le souvenir de quelques atrocités.
Les difficultés actuelles des communications ne nous permettent pas d'aller nous faire sur place une opinion définitive à cet égard, mais on sait que beaucoup de criminels ont l'habitude de noter sur leur carnet les dates de leurs forfaits.
Nous décrirons ce deuxième itinéraire en encadrant les noms des villes qui comportent un encadrement sur la carte et en les faisant suivre de la date de cantonnement qui les accompagne. C'est ainsi que jusqu'à Valence-d'Agen nous relevons :
Bordeaux
Barsac 2-3.
Langon 3-3-44.
Saint-Médard-en-Jalles S 5.23-3 = 6-4.
Agen 7-4-44.
Valence 8-4-44.
Nous pouvons donc rétablir cette première partie du trajet ainsi qu'il suit :
Bordeaux, Barsac (2 mars), Langon (3 mars). De Langon elles reviennent à Bordeaux où elles restent jusqu'au 23, puis se rendent à Saint-Médard-en-Jalles où se trouve une grande poudrerie. Elles y séjournent du 23 mars au 6 avril. Elles cantonnent à Agen le 7 avril, puis à Valence-d'Agen le 8 avril et pénètrent dans la région de Cahors. Dans cette contrée l'itinéraire ne présente plus aucune date ; il passe par La Française, par Lauzene, par Montcuq et aboutit à Cahors.
Les S. S. semblent être restés un mois à faire des guérillas dans les départements du Lot et de l'Aveyron. Les routes qu'ils ont suivies se croisent et s'enchevêtrent ; aussi bien nous est-il impossible, d'après ce tracé, de préciser exactement le sens de leurs randonnées.
Plus à l'est il comporte des noms de localités, encadrés et suivis de la date du cantonnement. Ces indications nous permettent de reconstituer le calendrier d'étapes suivant :
Caussade 13-5-44.
Gramat 10-5-44.
Bagnac 11-5-44.
Villecomtal 24-5-44.
Caylus I 25-5-44.
L'examen de ce tracé établit que ces troupes ont, au cours de cet itinéraire, traversé également Figeac, Capdenac, Decazeville et Villefranche-de-Rouergue probablement sans y cantonner, puisque ces villes ne présentent aucun encadrement.
Peut-être avaient-elles à ce moment-là Cahors comme centre de ralliement.
Quoi qu'il en soit, nous les retrouvons à Frayssinet, dont le nom est marqué d'une croix. Il semble qu'elles soient passées dans cette localité à la fin du mois de mai.
À partir de Frayssinet, le trajet marqué d'un trait très net au crayon ne comporte plus aucune indication de jour ni de mois. Il présente cependant de nombreux noms de ville encadrés et soulignés.
Nous le reproduisons ci-dessous :
Frayssinet + Gourdon, Sarlat. Terrasson, Larche, Brive Tulle Masseret Pierre-Buffière, Limoges Saint-Junien.
En considérant la région parcourue depuis
Bordeaux, on constate qu'elle est constituée par les départements du
Lot-et-Garonne, du Tarn-et-Garonne, du Lot, de l'Aveyron, de la Corrèze, de la
Dordogne et de la Haute-Vienne, c'est-à-dire par ceux où le maquis s'était le plus développé. On voit par là que
ces troupes étaient destinées à combattre la résistance armée de
l'intérieur ; mais il est hors de doute qu'elles préféraient s'en prendre
lâchement aux habitants sans défense.
Grâce à cette carte il sera possible désormais d'identifier les auteurs de
nombreuses atrocités commises sur les populations de ces régions. C'est ainsi
que nous avons pu retrouver ceux de la tuerie de Frayssinet.
Le 18 septembre 1944 Radio-Limoges, dans son émission de 13 h 30, a raconté longuement les odieux forfaits dont un détachement de troupes allemandes s'est rendu coupable à Frayssinet. Il aurait fusillé une douzaine d'otages et brûlé un certain nombre d'habitations. Nous retrouvons dans cette tragédie la même cruauté et aussi les mêmes méthodes que celles que nous avons constatées à Oradour. Ici comme là on tue, on brûle, on pille. On prétend qu'il y a des terroristes dans le bourg, on rassemble les habitants sur la place publique, on les enferme dans l'église. Mais à Frayssinet le massacre général n'a pas lieu, un contre-ordre est intervenu au dernier moment. L'unité responsable du crime n'est pas désignée ; mais la façon d'opérer fait peser les plus graves suspicions sur les assassins d'Oradour.
L'examen de cette carte fortifie singulièrement ces présomptions puisqu'elle nous indique que précisément à cette époque ces S. S. ont cantonné à Frayssinet dont le nom est encadré d'un trait de crayon. Nous avons signalé que, sur notre tracé, il est marqué d'une croix.
Tout le monde comprendra assurément la tragique et éloquente signification que revêt la présence de cette dernière.
Identification de certains soldats S. S.
responsables de la tuerie d'Oradour grâce à des documents manuscrits inédits oubliés par eux sur le lieu de leur crime
Nous avons dit que les assassins d'Oradour ont oublié en se retirant plusieurs autres documents. Nous nous proposons de les étudier successivement. Ce sont : 1° une enveloppe postée à l'adresse de l'un d'eux ; 2° une carte postale entière et une seconde fragmentée, écrites toutes les deux de leur main.
Ces diverses pièces d'ailleurs inédites permettent de démasquer quelques-uns de ces sinistres personnages.
ENVELOPPE POSTÉE
En septembre 1944, M. Sonntag, contrôleur du centre émetteur de Nieul (Haute-Vienne), en présence de M. Léglise, employé à la même administration, nous a ternis un document particulièrement intéressant qu'on trouvera ci-dessous reproduit. Il indique le nom et l'adresse d'un des auteurs du massacre d'Oradour.
Il s'agit d'une enveloppe jaune portant en écriture cursive la suscription suivante :
SS. gre. Siegfried Kuschke
field Post. N° 15807 D.
Le soldat en cause est donc un grenadier S. S. nommé Siegfried Kurchke. Le secteur postal de son unité est 15807 D.
L'enveloppe a été déposée à la poste de Kustrin, ainsi qu'en fait foi le cachet officiel.
Elle indique au dos le nom et l'adresse de l'expéditeur : Abs. Elli. Gusk. Kustrin-Kintz (2) Oderbruchstr. (2)
Mme Léglise nous a déclaré que cette enveloppe avait été trouvée par elle le 11 juin à Oradour-sur-Glane, dans le chemin du village des Bordes, auprès de deux cadavres déterrés d'hommes paraissant avoir respectivement environ 45 et 75 ans.
Nous en donnons la reproduction photographique. Cette pièce étant restée sur le sol durant cinq jours, l'encre en est un peu lavée, mais elle est suffisamment lisible tout de même.
CARTE POSTALE
La petite sacoche militaire contenant la carte Michelin que nous a remise M. Villoutreix et dont il a été question dans un chapitre précédent renfermait également une carte postale photographique écrite à la main par un des auteurs de la tuerie et indiquant son nom et son adresse. Nous la reproduisons page 119. Elle faisait partie d'un lot d'une dizaine d'autres non écrites et représentant diverses photographies de S. S. au combat. Libellée en écriture gothique, elle est assez difficile à déchiffrer.
Cette carte mérite toute notre attention. Elle nous permet, comme l'enveloppe que nous venons d'examiner, d'identifier un des assassins d'Oradour. Il s'agissait du grenadier Panzer S. S. du nom de Lzipke ou Lzupke, lequel pourrait bien être Polonais.
On remarque que le numéro du secteur postal 15807 D est le même que celui qui est indiqué sur l'enveloppe précédemment décrite.
Cette pièce nous donne l'adresse du correspondant de son auteur, c'est un autre soldat S. S. faisant partie d'une formation portant la dénomination d'Ascha.
Son nom est G. Koch, il appartient à la 4e S. S. D. à Prag-Kusing S. S. Kaserne.
AUTRE PIÈCE MANUSCRITE
En septembre 1944, au Centre de radio de Nieul, M. Sonntag, en présence de M. Léglise, nous remettait un fragment de carte postale illustrée ponant tracée au crayon à encre la suscription suivante :
S. S. ASCHA
LAUHER 3 SS. DF.
Cette pièce donne incontestablement une adresse : c'est celle d'un nommé Lauher, soldat S. S. de la formation ASCHA. Nous connaissons cette dénomination ASCHA pour l'avoir identifiée sur la carte postale décrite plus haut.
La suscription 3 S. S. D. F. complète la désignation.
Cette carte a été découverte en face de la gendarmerie de Nieul, le 11 juin 1944, par M. Michot, du poste émetteur de cette localité. Ce document nous donne-t-il bien le nom et l'adresse d'un des responsables de la tuerie ? Nous ne le pensons pas. Il semble plutôt que ce soit celle d'un camarade de quelques S. S. cantonné à Nieul. Quoi qu'il en soit, nous la signalons, elle peut avoir son importance.
Tout d'abord, est-il bien certain que les diverses pièces manuscrites qui ont été trouvées à Oradour et que nous venons de produire (carte géographique, enveloppe postée et carte postale) aient bien appartenu à un S. S. qui partage la responsabilité de l'horrible forfait du 10 juin ? Ne peuvent-elles pas avoir été perdues dans cette localité par quelques soldats ayant fait partie du détachement de camouflage qui y opéra le la juin, détachement qui, au lieu de venir de Saint-Junien, serait arrivé de Limoges et aurait appartenu au deuxième bataillon du régiment der Führer dont nous publions, ci-après, certains rapports.
Cette hypothèse est loin d'être vérifiée par les faits :
Nous avons vu que, d'une part, l'enveloppe et, d'autre part, la carte postale recueillies à Oradour portent toutes deux indications du secteur postal 15807 D. Or, il est établi que ce secteur postal était celui du contingent cantonné à Saint-Junien. Nous le retrouvons, en effet, sur le laissez-passer délivré par l'officier qui commandait cette unité : 15807 D (Dienststelle) (voir page 21). On sait par ailleurs que le secteur postal de l'unité de Limoges qui a produit les rapports dont nous venons de parler est 59731 B (Dienststelle) (voir page raz).
S'il était besoin d'un autre argument nous n'aurions qu'à nous reporter à la carte géographique annotée précitée. On constate en effet que le lieu d'aboutissement de l'itinéraire suivi par son propriétaire, c'est-à-dire sa dernière étape, est bien Saint-Junien. Le nom de cette localité y porte d'ailleurs un encadrement indiquant le cantonnement qu'il y effectua.
On voit donc que sans aucun doute possible, les S. S. qui ont égaré ces trois documents faisaient partie des troupes de Saint-Junien, non de celles de Limoges.
Causes du massacre d'Oradour et contribution à l'identification de la division responsable d'après des rapports militaires allemands inédits
Nous avons la bonne fortune de pouvoir publier deux rapports dont l'intérêt ne saurait échapper au lecteur. Ils ont été établis tous les deux par le 19e régimemt S. S. de police allemande. Le premier le 13 juin 1944, et le second le 17 juin 1944, c'est-à-dire au lendemain du massacre d'Oradour.
Signalons tout d'abord que le commandant de ce bataillon était le major de la Schutz Polizei Àboth, que son adjoint était le Hauptmann de la Schutz Volizei Engelbrecht.
Cette unité occupait la caserne Marceau, à Limoges. Le commandement du régiment était à Lvon.
Nous allons donner la partie essentielle de ces deux rapports ainsi que leur traduction et les examiner successivement.
PREMIER RAPPORT
Une action passagère de la S. S. Panzerdivision das Reich à Limoges et dans les environs a fait une impression visible sur la population.
SECOND RAPPORT
" Moral. – Le commencement des mesures de représailles a provoqué un soulagement sensible et a influencé le moral de la troupe favorablement.
Le premier rapport, qui émane du commandant du 2e bataillon, indique que des détachements de cette unité ont été envoyés à plusieurs reprises combattre les " bandits " de la région de Limoges et souligne l'impression produite sur la population. Cette pièce confirme nos conclusions dans l'étude que nous venons de faire de la carte trouvée à Oradour, à savoir que les S. S. de passage dans le Limousin avaient pour mission de réduire le maquis et d'effectuer des expéditions punitives contre les habitants. 1l rend compte des résultats favorables obtenus pour mettre ces derniers à la raison.
Si l'on remarque que ce rapporta été rédigé le 13 juin 1944, c'est-à-dire trois jours après le massacre d'Oradour, on comprend qu'il était destiné à le justifier en faisant valoir les avantages que le Reich en avait retirés.
Le second rapport a été établi par les soins du commandant de la Kraftstaffel (automobile), l'ob. lt Jaenich, qui avait comme second l'ob. lt Krause.
Cette pièce, écrite le 17 juin 1944, c'est-à-dire une semaine après les atrocités d'Oradour, veut comme la précédente tenter leur justification, nuis alors que la première envisage l'effet produit sur l'état d'esprit des gens de la région, celle-ci invoque sa salutaire influence sut le moral des troupes.
Une armée dont le moral a besoin pour s'exalter de semblables crimes est-ce bien ce qu'on peut appeler une armée ? On frémit à la pensée des forfaits qu'elle aurait été capable de commettre si elle avait été victorieuse ou seulement si on lui en avait laissé le temps.
Ces rapports prouvent, en outre, irréfutablement que les atrocités auxquelles elles se sont livrées, en particulier la tuerie d'Oradour, ont été voulues, ordonnées. On se félicite des résultats obtenus, quitte à laisser croire plus tard qu'on désavoue l'officier qui commandait " l'opération ". On prétendra au besoin qu'il a été fusillé alors qu'en réalité on lui aura donné de l'avancement.
Nous remarquons enfin que ce " commencement de représailles " mentionné dans ce document constituait une promesse non déguisée de nouvelles tueries pour toute la région limousine ; le brusque rappel au front de Normandie de la plupart des régiments spécialisés en ces sortes d'expéditions a seul interrompu le cours de leurs monstrueux exploits.
Ces deux rapports illustrent avec une clarté toute particulière l'état d'esprit du Grand Reich au lendemain du débarquement.
La propagande des journaux, de la radio et du cinéma, aidée par celle des notoires collaborateurs des pays occupés, avait toujours essayé de faire accroire que la puissance militaire nazie était assez forte pour empêcher toute invasion des " nations asservies ".
C'est la rage au coeur que les S. S. invincibles, auxquels semblable propagande s'était également adressée, connurent la réussite du débarquement en Normandie en même temps que leur convocation sur ce front.
Troupes de représailles d'élite, la Panzer " Das Reich " voulait faire un exemple avant de quitter les régions où les insaisissables et redoutés maquisards luttaient sans trêve pour la libération du pays.
Ainsi, en apeurant les populations par un crime sans précédent dans l'histoire, croyaient-elles garantir leurs arrières et a influencer favorablement le moral de la troupe, qui reprenait conscience de sa force en assassinant des populations sans défense !
Cette erreur psychologique ne pouvait être commise que par les ressortissants d'un peuple réduit depuis longtemps à l'esclavage et qui avait soumis son jugement individuel à celui des meneurs.
C'est ce qui en fit sa perte.
AUTRES RAPPORTS ALLEMANDS
Divers autres rapports rédigés entre le 3 avril et le 13 juin 1944 établissent que ce deuxième bataillon opérait contre le maquis :
1° Dans la région de Tulle (nuit du 31 mars au 1er avril 1944) ;
2° À Saint-Junien, le 18 mai 1944 ;
3° À La Péritie, les 5 et 6 juin 1944 ;
4° À La Souterraine, les 8 et 9 juin 1944.
Cette formation qui se trouvait à La Péritie les 5 et 6 juin et à La Souterraine les 8 et 9 juin était donc en pleine action dans la région limousine le to juin 1944, c'est-à-dire le jour du drame d'Oradour. On s'est demandé si elle n'y avait pas participé.
Si les troupes qui ont bagarré à la Péritie et à La Souterraine sont les mêmes que celles qui se sont battues à Tulle dans la nuit du 31 mars au ter avril 1944 et à Saint-Junien le 18 mai 1944, il apparaît impossible qu'on puisse les identifier avec celles d'Oradour.
En effet, en nous en rapportant au calendrier de notre carte itinéraire, on constate que ces dernières, au cours de la nuit du 31 mars au 1er avril, étaient encore dans la région bordelaise, exactement à Saint-Médard-en-Jalles, et que le 18 mai elles faisaient des opérations près de Bagnac et de Villecomtal.
Quelle était la division en cause à Oradour ?
Deux points sont nettement établis :
1° La division qui " opérait " en Limousin était la division Das Reich. Les rapports suscités sont nettement explicites à cet égard ;
2° Les S. S. qui ont commis le crime d'Oradour appartenaient au régiment " Der Führer ". Nous avons indiqué qu'ils dépendaient de la même unité que ceux qui étaient cantonnés à Rochechouart. Or, nous avons nous-mêmes constaté au bas de la manche de la vareuse de ces derniers une bande d'étoffe, d'ailleurs très apparente, portant les mots " Der Führer ". Or, à Oradour ce vêtement était recouvert d'une sorte de veste de toile qui a empêché de remarquer l'existence de cette inscription.
Il apparaît que les troupes qui ont commis les atrocités d'Oradour et qui, d'après les renseignements donnés par la carte géographique étudiée ci-dessus, n'étaient en Limousin que depuis fin mai, dépendaient du commandement de division " Das Reich " de Limoges. Nous nous empressons d'ajouter qu'il n'est pas invraisemblable de penser us. de,
éléments casernés dans cette ville ont pu se joindre à eux saur exécuter la tuerie d'Oradour, et, qu'en particulier, le commandant de la Kraftstaffel (automobile) n'a pu fournir certains véhicules nécessaires en la circonstance.
Nous savons en effet que les S. S. d'Oradour et ceux de Limoges étaient en étroite liaison.
Nous donnons ci-contre une déclaration éloquente à cet égard.
Témoignage établissant l'existence d'une liaison entre les S. S. d'Oradour et certaines unités de Limoges
Mme Loustaud (Marie), âgée de 37 ans, habitant près de la gare de Veyrac, à 4 kilomètres d'Oradour-sur-Glane, nous a déclaré avoir vu le 10 juin, vers 19 heures, deux véhicules automobiles allemands qui, venant d'Oradour, ont pris la direction de Limoges. Elle les a vus revenir à Oradour, vers 20 heures, le même soir.
Il est impossible naturellement de savoir s'ils conduisaient des soldats allant rendre compte des résultats de l'expédition d'Oradour ou chercher des ordres, ou même s'ils allaient prendre livraison d'engins spéciaux ou de munitions. Ils montrent néanmoins qu'il existait entre les S. S. de la division " Der Führer " en opération à Oradour et les S. S. en occupation ou stationnés à Limoges (S. S. de la division " Das Reich ") une liaison qu'il y a intérêt à connaître.
Et maintenant que nous avons pu préciser la division et le régiment dont dépendait l'unité responsable d'Oradour, il nous reste à identifier la compagnie à laquelle elle appartenait.
C'est ce qui fera l'objet du chapitre qui va suivre.
Révélation par des inscriptions murales du numéro de la compagnie de S. S. en cause à Oradour
Nous avons trouvé à Nieul une indication que nous nous devons de signaler. Les S. S. d'Oradour ont, ainsi que nous l'avons vu, cantonné à Nieul le soir de leur crime. Un groupe d'entre eux en a occupé l'établissement scolaire. Il ne fait de doute pour personne dans la localité que l'unité qui y a séjourné était bien celle qui venait de brûler la ville martyre. Nous en avons eu de multiples preuves circonstanciées. La bicyclette neuve ayant appartenu à M. Barthélemy, d'Oradour-sur-Glane, et la motocyclette de M. Leblanc, habitant de la même localité, toutes les deux abandonnées à Nieul par les S. S. n'en constituent pas deux des moindres.
il s'agit de deux inscriptions murales découvertes à Nieul après le départ des troupes allemandes : l'une à l'école communale, l'autre chez M. Rivet, pharmacien.
1° Inscription de l'école. - Le directeur de l'établissement scolaire, M. Bouty, nous a montré sur le mur encadrant l'entrée de chacune des deux classes de l'école de garçons l'inscription à la craie que nous reproduisons ci-après :
16 man
3 KP.
Le mot " man " est incomplet et le texte doit être traduit ainsi qu'il suit :
6 hommes
3e compagnie.
Les lettres KP étant l'abréviation de ce dernier mot, nous avons demandé au directeur de l'école d'assurer la conservation de ces deux inscriptions.
2° Inscription de la pharmacie. L'inscription suivante, à la craie, a été relevée par M. Rivet sur deux portes commandant deux pièces différentes, au premier étage de sa pharmacie.
Première porte : 4. S. Scha.
3 K P.
Seconde porte : 7. S. Scha.
3 KP.
Ces inscriptions ont été tracées le 9 juin 1944 après-midi par un sous-officier allemand accompagné d'un interprète parlant bien le français.
Ces deux hommes réveillèrent M. Rivet dans la nuit du 10 au 11 juin 1944 pour lui demander de leur indiquer la route de Chamboret.
Cette inscription, comme celle de l'école, indique d'une manière irréfutable que la troisième compagnie était en cause à Oradour.
Ainsi qu'on vient de le voir, les éléments de notre documentation nous ont permis d'établir quelles étaient les causes du monstrueux massacre d'Oradour, de connaître la division, le régiment ainsi que la compagnie qui en portent l'effrayante responsabilité, de savoir d'où venait cette unité et même d'identifier certains de ces abominables assassins.
Au moment où cet ouvrage est livré à l'impression, le grand soleil de la victoire vient de dissiper la sombre et tragique nuit de l'occupation de notre pauvre pays. Notre pensée émue va aux martyrs d'Oradour !
Le général de Gaulle, venu s'incliner sur leurs tombes, a dit :
" Oradour-sur-Glane est le symbole des malheurs de la patrie. Il convient d'en conserver le souvenir, car il ne faut plus jamais qu'un pareil malheur se reproduise. "
Aux martyrs d'Oradour
Le vendredi 16 juin 1944, à la cathédrale, Mgr l'Évêque de Limoges prononçait l'allocution suivante :
J'ai le devoir de faire connaître à mes diocésains que j'ai exprimé à M. le Général commandant les forces d'occupation à Limoges, ma douloureuse indignation du fait que l'église d'Oradour-sur-Glane a été souillée par l'exécution dans ses murs de centaines de femmes, de jeunes filles et d'enfants, et profanée par la destruction du tabernacle et l'enlèvement de la Sainte-Eucharistie, et j'ai demandé qu'une enquête soit menée et conclue dans le sens de la justice et de l'honneur.
" Mes très chers frères, prions d'abord pour les âmes des centaines de victimes : hommes, parmi lesquels trois de nos prêtres, femmes et enfants, jetés si tragiquement et si subitement dans leur éternité le 10 juin. De profundis.
" Prions ensuite pour les nombreuses familles en deuil qui, presque toutes, pleurent plusieurs victimes. Pater, Ave.
Enfin, demandons pardon à Dieu pour le double sacrilège de l'effusion de sang dans le lieu saint et pour la profanation de la Sainte-Eucharistie. Parce Domine. "
Le 18 juin 2944, M. le Pasteur Chaudier, actuellement président du Comité départemental de Libération, de son côté, dans un sermon fait au temple protestant de Limoges, s'est exprimé ainsi :
Avant toutes choses, nous saluons tous ces morts. Parmi eux peut-être s'en trouvait-il quelques-uns jeunes ou adultes, qui relevaient de nos Églises, mais ceci n'importe en rien. Nous les saluons tous avec respect, avec douleur, avec tendresse. Entre tant et tant de victimes civiles de cette guerre avilissante, on comprendra qu'en les associant étroitement à ces innombrables, innocentes comme elles, qui les ont précédées dans l'éternité, nous leur fassions une place à part. Leur fin, avec plus de raffinements terrifiants que celle de beaucoup d'autres et à un degré inégalé jusqu'alors, à notre connaissance, sur la terre française, fut un indicible martyre. Nous saluons tous ces morts, si proches de nous par la distance de leur pauvre sépulcre, bien plus proches encore de notre coeur déchiré. Nous ne cherchons pas à rejoindre, en une évocation trop désolante, leurs pauvres restes mêlés dans le charnier calciné qui fut une église; nous rejoindrons leur âme dans l'invisible, où ils sont enfin promus à l'inviolable liberté des enfants de Dieu et nous les remettrons à l'amour de Celui qui étend sur l'inqualifiable carnage deux bras de crucifié. Nous invoquons sur tous ces sacrifiés et en leur nom sur ceux qui devront les remplacer dans la France épuisée de demain, l'Esprit qui perpétue les souvenirs salutaires, qui fait germer les sanglants holocaustes en moissons de bonheur, de justice et de paix, et par qui les morts deviennent, pour les reconstructions à venir, des bâtisseurs, à côté des vivants.
" L'épouvante qui s'est ainsi répandue sur un petit bourg de notre Limousin nous dicte un autre devoir que celui de rendre hommage aux victimes et de pleurer sur elles. La conscience humaine et la conscience chrétienne se rejoignent pour se dresser contre de pareilles tueries.
Conclusion
Nous avons fait aussi objectivement que possible le récit de cet épouvantable forfait. On ne saurait dire que de telles cruautés soient le fait particulier de certains groupes de soldats plus criminels que d'autres, rassemblés en vertu de circonstances exceptionnelles.
En Dordogne, en Charente, en Corrèze, en Haute-Vienne, pour ne parler que de notre région, on ne compte plus les villes et les villages incendiés.
Partout des otages sont massacrés. C'est Brantôme, Rouffignac, Terrasson, Chabanais.
On prétend qu'en incendiant Oradour-sur-Glane les S. S. auraient commis une erreur de nom et que c'est le bourg d'Oradour-sur-Vayres sur lequel ils avaient l'intention de s'acharner. Pour certains, c'est la petite ville que nous habitons, proche d'Oradour également, qui devait subir ce tragique sort. Contre elle, à la vérité, plusieurs expéditions ont été tentées; c'est ainsi qu'à de multiples reprises il fut nécessaire de fuir non d'ailleurs sans enfouir dans les jardins les objets auxquels nous avions la faiblesse de tenir.
Aussi bien les documents que nous présentons aujourd'hui au public, et même notre manuscrit, sont-ils restés enterrés sous une pelouse pendant plusieurs jours.
Empressons-nous de dire que c'est grâce aux courageuses troupes des F. F. I. que notre cité a toujours pu être préservée.
Ce crime donne tellement l'impression d'avoir été préparé, mûri, médité, qu'il nous semble impossible qu'une telle confusion ait pu se produire.
Ce qui frappe surtout quand on examine les circonstances de l'horrible forfait d'Oradour, c'est la manière méthodique, systématique, scientifique même dont il a été perpétré. Tout a été, dans l'ensemble comme dans le détail, étudié, conçu avec un luxe effarant de précautions et exécuté avec un raffinement déconcertant de cruauté. Les auteurs de ces monstruosités ont agi avec un ensemble parfait, comme s'ils accomplissaient un exercice militaire simple. et banal. C'est ainsi qu'avant toutes choses on constitue un poste de commandement; qu'il est tenu un compte exact des victimes, qu'on sépare les femmes et les hommes ; que ces derniers sont disposés sur la place du Champ-de-Foire par rangs de trois. Tout a été prévu : on a compris des chenillettes dans le convoi afin de pouvoir passer dans les terres labourées pour effectuer la chasse aux habitants. Un coup de feu tiré du Champ de Foire donne le signal des exécutions et ce, dans le but d'éviter que certains groupes alertés par les premières fusillades ne s'en émeuvent et ne se révoltent. L'insistance des Allemands à demander s'il existe des dépôts de munitions est évidemment une mesure de prudence explicable par le désir de parer aux explosions que l'incendie est susceptible d'occasionner et dont ils pourraient être les premières victimes. On organise soigneusement le pillage. Ainsi que nous l'avons vu, aucune porte ne doit rester fermée à clef. Il y a là tout le matériel nécessaire pour allumer le brasier, bombes, cartouches, plaquettes incendiaires ; le dernier mot de la science... et du progrès ! Une caisse à gaz asphyxiant destinée au massacre des malheureuses victimes de l'église a été spécialement apportée dans un camion. Tout est étudié, préparé savamment et avec précaution. On en trouvera une preuve éloquente dans le fait suivant : une maison située à proximité du bourg, appartenant à M. F... et dont nous avons eu déjà l'occasion de parler, n'a pas été incendiée pour la raison qu'elle se trouve placée de l'autre côté du poteau indicateur qui délimite le bourg d'Oradour-sur-Glane.
Ses habitants ont également été épargnés. Ils durent toutefois garder leur domicile. Une mitrailleuse resta braquée sur leur porte tout le temps que dura la tuerie.
La brute hitlérienne a agi partout par ordre et selon les consignes reçues.
Il v a longtemps que nous avions tous été prévenus par certains éléments des troupes d'occupation elles-mêmes qu'au cas où elles se verraient dans l'obligation d'évacuer notre pays, elles ne manqueraient pas de s'y livrer à d'implacables actes de barbarie.
On ne peut plus parler d'armée allemande. Nos riantes et paisibles campagnes de France sont parcourues par des bandes de pillards qui brûlent nos villes et assassinent sauvagement les habitants.
Les Allemands se distinguent des autres peuples par un goût délirant de la torture, de la mort et du sang.
L'ex-Préfet de la Haute-Vienne, dans son oraison funèbre des victimes de la tuerie d'Oradour, s'est écrié : La langue française ne connaît pas de mots assez forts pour qualifier cet acte. Il est vrai que le déchaînement de si monstrueux instincts et la hantise de pareilles atrocités n'a de nom dans aucune langue... excepté cependant dans la langue allemande où l'on a créé le terme de " Schadenfreude ", qu'on peut traduire par joie de faire du mal. Il est édifiant de constater qu'en Germanie un si monstrueux état d'esprit, de coeur et d'âme soit si naturel, normal et courant, qu'il ait été nécessaire de créer un vocable spécial pour le désigner.
La race des Seigneurs voulait nous imposer les bienfaits de la Kultur allemande : la Kultur splendide, supérieure, féconde, éternelle avec sa plus belle fleur le Nazisme et ses plus beaux fruits les S. S.
On en a cherché, chez nous, la consécration dans l'application intégrale de son méthodisme scientifique à tous les actes de l'existence, par l'asservissement progressif des volontés, des désirs, des penchants, des instincts ! C'est la codification de toutes les vertus, de tous les sentiments ; la mathématique étroite du beau, du bien, du vrai : les illusoires et stériles réglementations, les vaines et excédantes disciplines... et c'est par suite le travail, puis les fêtes, les plaisirs en série; les devoirs à la chaîne, la conscience standardisée et finalement le bonheur pour tous obligatoire avec enthousiasme par ordre et liesse sur commande. " La force par la joie ", proclame-t-on dans un slogan célèbre... et célébré ! La force par la joie !... et la joie... par la force ! 17-12-1944.
17 mai
La bataille de Monte-Cassino
Durant la campagne d'Italie (1943-45), les tirailleurs marocains commandés par
le général Juin brisent la résistance des armées allemandes à Monte-Cassino,
entre Naples et Rome. Les Alliés perdront 115 000 hommes dans la bataille.
Mais, ils peuvent désormais poursuivre leur progression en Italie. C'est le
principal fait de gloire des troupes de la France Libre pendant la Seconde
Guerre mondiale.
6 avril
Rafle d'Izieu
Sous le commandement de Klaus Barbie, la Gestapo de Lyon arrête 44 enfants
juifs à l'orphelinat d'Izieu dans l'Ain. Les huit adultes reconnus "
coupables de les avoir cachés " sont eux aussi mis aux arrêts. Les
enfants d'Izieu et leurs professeurs seront envoyés au camp de Drancy puis
transférés à Auschwitz où ils seront gazés. Une seule fillette survivra.
L’OCCUPATION hitlérienne et la RÉSISTANCE dans l’Yonne
Résistance : le maquis Vauban
Le maquis Vauban, dont l’embryon est composé de deux groupes sédentaires est le plus ancien maquis de l’Yonne. Le 2ème groupe sédentaire est constitué dans le Bas-Morvan par Armand Simonnot qui habite la Provenchère, hameau de Saint-Léger-Vauban. Sont à ses côtés Jean Couhault, Luc Poupée, Charles Ravereau, René Rimbert, Lorano Santiago.
Différentes actions sont entreprises : transports d’armes, distribution de tracts, inscriptions patriotiques, affichage contre les réquisitions. Des éléments de la Côte d’Or et de la Nièvre entrent en contact avec ce groupe notamment Marcel Maugé qui devient l’adjoint de Simonnot. Camille et Grandjean sont également en liaison avec ce groupe FTPF à qui le commandant départemental François Grillot (Germain) donne les premiers matricules, les premières consignes, nommant Armand Simonnot chef de groupe sous le pseudo de Théo. Et Germain fait cadeau à Théo d’un pistolet 7-65.
Le 15 mars 1943, un cou terrible est porté au groupe : Marcel Maugé est arrêté. Malgré les tortures il ne dira rien, sera interné puis déporté.
Après cette arrestation, Germain décide de relier le groupe de Saint Léger au maquis de Ravières. Sur proposition de Théo la nouvelle formation ainsi constituée portera le nom de Vauban qui, né à Saint Léger fut non seulement le constructeur de places fortes imprenables mais aussi le défenseur des pauvres gens.
En réalité, en 1943 chacun des groupes, tout en assurant des liaisons utiles, poursuivit son action séparément. L’unité de Théo était formée de plusieurs paysans qui rendaient d’énormes services par le ravitaillement fourni et l’hébergement des clandestins et il n’était pas question qu’ils passent dans l’illégalité sauf danger immédiat. Théo, lui-même était plus utile comme sédentaires ayant plus de liberté d’action et ce n’est qu’au début de 1944 sur le point d’être arrêté qu’il rejoindra le maquis Vauban. " "
Le maquis sera attaqué par les Allemands aux Essarts et à la Grande aux Moines, près d’Asnières en Montagne et subira des pertes importantes. Bernard Alix devient commandant par intérim du « Vauban » chargé de diriger son unité en direction de Quarré les Tombes.
" Auparavant il fait partie dans une voiture légère un élément de reconnaissance commandé par Louis Philipot avec le chef de groupe Victor Bolzan et trois maquisards. Cet élément précurseur se heurte presqu’immédiatement à des barrages et patrouilles allemandes et, de ce fait, atteint sa destination avec plusieurs heures de retard sur l’horaire prévu. Le 30 novembre, Victor Bolzan en mission est blessé accidentellement chez le coiffeur de Quarré les Tombes. Grièvement blessé à la jambe, Bolzan est conduit à une clinique d’Avallon. Arrêté par les Allemands, laissé sans soins, la gangrène se met dans sa jambe qu’on doit lui couper à l’hôpital de Dijon.
Quant au maquis Vauban, composé alors de dix membres, il part finalement en camion pour Saint Léger, le village où naquit le grand homme dont il portait le nom. Et pour Noel, c’est 12 maquisards qui son t réunis à la Provenchère autour d’Armand Simonnot et qui fêtent la nativité de la manière la plus patriotique sui soit, un grand drapeau tricolore installé à la porte de la maison.
Mais les patrouilles allemandes se faisaient plus nombreuses et la région devenait dangereuse. Le maquis se replie d’abord à Saint-Martin hameau abandonné de la commune de Saint-Germain de Modéon (Côte d’Or).
Entre temps, le " Père Robert " a contacté Henri Guéniffet Maire de Saint-Agnanc qui est une de ses planques. Celui ci lui indique un endroit " La Chapelle Saint Pierre " comme refuge possible pour le maquis.