...Tous ces documents sont conservés aux Archives du Service de Recherche des Crimes de Guerre ennemis, au Ministère de la Justice.

Le dossier d'Oradour comprend, en outre, un certain nombre de notes ou de fiches de renseignements d'un moindre intérêt, qui ne peuvent être considérées comme des pièces de base et dont le classement n'est pas encore arrêté. D'ailleurs, des renseignements nouveaux arrivent encore de temps à autre et le dossier d'Oradour reste ouvert. La liste présentée ci-dessus n'est donc pas définitive, mais il est peu vraisemblable que des points importants puissent être maintenant remis en question.

La documentation photographique et les pièces à conviction sont déposées aux Archives du Service des Crimes de Guerre ennemis, au Ministère de l'Information. Mais la principale des pièces à conviction reste, bien entendu, le village même. La conservation des ruines est assurée par les soins du Comité du Souvenir, créé à Oradour-sur-Glane en octobre 1944.

Composition du dossier. - Le dossier d'Oradour-sur-Glane se compose de deux séries de documents, les uns établis au lendemain même du massacre, donc au temps de l'occupation allemande, les autres établis après la libération du territoire français, soit, en gros, trois mois après les événements. La première série, qui est de beaucoup la moins copieuse, comporte les pièces Nos 28, 30, 31, 33, 34, 39, 41 et 42 ; il faut noter que les Nos 39 et 42 émanent d'autorités allemandes et le No 31, des autorités de la Résistance, les autres pièces de cette série, provenant des représentants du gouvernement de Vichy ou de leurs services. La deuxième série comprend tout le reste du dossier.

Pour des raisons diverses, qui se ramènent essentiellement aux obstacles opposés par les Autorités d'occupation et aux tendances politiques du gouvernement d'alors, la première enquête ne présentait pas le caractère exhaustif que l'importance de l'événement eût exigé. Par contre, la série de pièces qui en résulte offre à la critique historique l'avantage d'avoir été établie par des gens qu'on ne peut guère soupçonner d'une hostilité systématique à l'égard des Allemands. Leur témoignage risque donc d'être, plus que tout autre, accablant pour les coupables. Trois documents présentent, de ce point de vue, un intérêt particulier : ce sont les dépositions recueillies par le sous-préfet de Rochechouart (pièce N° 41), les constatations du médecin-inspecteur de la Santé (pièce N° 28) et le rapport établi par le préfet régional Freund-Valade au lendemain de sa visite à Oradour (pièce N° 30).

Survenant moins de trois mois après le massacre d'Oradour, la Libération permit de reprendre l'enquête en toute liberté et de rassembler quantité de témoignages jusque là négligés ou recueillis de façon trop sommaire. C'est à cette seconde enquête qu'on doit la plupart des pièces essentielles du dossier. Le rapport de l'Évêché de Limoges, bien qu'il nous donne copie de nombreux textes contemporains des événements et puisse, à ce titre, figurer dans la première série, ne date lui-même sous sa forme définitive que du mois de septembre 1944.

On aurait été en droit de s'attendre à certaines contradictions entre deux séries de documents établies dans des conditions d'enquête aussi différentes. Or les deux séries, loin de s'opposer, se confirment de la façon la plus impressionnante. Il n'y a pas eu sur Oradour deux vérités successives et contradictoires, mais une seule vérité, d'abord tenue secrète et ensuite publiée au grand jour : les données nouvelles révélées par la seconde enquête viennent seulement éclairer et enrichir la France immuable d'un même récit. Il est exceptionnel que d'une confrontation de documents ressorte pareille impression de certitude. Et c'est pourquoi la publication de ces textes est apparue à la fois si facile et si nécessaire. Il est peut-être des crimes allemands sur lesquels on discute encore : mais sur Oradour, on ne discute plus.

Rédaction de l'ouvrage. - Conformément aux principes adoptés pour l'ensemble de la collection, cet ouvrage a été conçu comme une simple publication de documents. Nous devions dès lors observer un certain nombre de règles susceptibles de garantir le caractère scientifique de la publication ; c'est ainsi que nous avons pris le parti d'enchaîner les citations de façon quasi-ininterrompue et de ne jamais citer un texte ou faire état d'un renseignement sans indiquer au lecteur le numéro de la pièce qui en établit l'authenticité. Nous n'avancerons donc aucun fait qui ne soit aisément contrôlable.

Le travail de mise en œuvre s'est borné à l'établissement d'une rédaction à peu près suivie. À cet égard, c'est pour nous un devoir en même temps qu'un plaisir de rendre publiquement hommage à M. Guy Pauchou, Sous-Préfet de Rochechouart et à M. le docteur Masfrand, Conservateur des ruines d'Oradour-sur-Glane, qui, menant leur enquête sur place au lendemain même du massacre, ont largement contribué à faire la lumière sur les événements. Non contents de recueillir les témoignages et les indices les plus variés, ils ont consigné par écrit les résultats de leur enquête et rédigé un mémoire d'une telle rigueur et d'une telle précision qu'il a servi de base à la rédaction définitive.

Nous souhaitons que des initiatives de cette nature - et aussi de cette qualité - se répètent partout où des crimes allemands ont été commis, car l'intérêt de la France est d'aboutir au plus vite à la connaissance exacte et intégrale de la vérité.

ORADOUR-SUR-GLANE

C'était un village comme il y en a tant d'autres en France.

Un village en apparence sans histoire. Et pourtant ce nom d'Oradour à lui seul - l'Oratoire - évoquait un passé lointain, le temps où les premières habitations étaient venues se grouper autour de quelque chapelle jusque-là isolée. Et l'église, une église ancienne, encore romane par son chevet -, comme la lanterne des morts du cimetière - mais en grande partie reconstruite après les ravages de la Guerre de Cent Ans, suffisait à témoigner de quelques étapes de ce long passé.

C'était un village ignoré de la plupart des Français, mais non de tous. Nous savons que Corot le traversa maintes fois, au cours de ses pérégrinations limousines, attiré par cette vallée de la Glane qui lui arrachait des exclamations d'enthousiasme, et certains de ses croquis ont été notés aux abords immédiats du village.

Tant il est vrai que, dans un vieux pays comme la France, il n'est pas un coin de terre qui ne soit chargé d'histoire et qui n'ait contribué, de façon éclatante ou obscure, à quelque produit supérieur de notre civilisation.

Oradour-sur-Glane était une grosse commune rurale du département de la Haute-Vienne. Situé dans l'arrondissement de Rochechouart et dans le canton de Saint-Junien, à 22 kms au nord-ouest de Limoges, le village s'étendait sur la rive nord de la Glane, non loin de la route nationale n° 141 qui, de Limoges gagne Saint-Junien, puis La Rochefoucauld et Angoulême.

La population totale de la commune était de 1.574 habitants lors du recensement de 1936 ; mais le village proprement dit, le chef-lieu de la commune, ce que dans la région on appelle le bourg, ne groupait alors que 300 habitants, car dans ce pays d'habitat dispersé, le gros de la population se répartit en fermes isolées et en multiples hameaux, que dans la langue du pays on appelle : villages, ainsi le village des Bordes, celui des Brandes, Lapland, le Mas Férat, Bellevue, le Repaire, ou Cagnac, La Fauvette, bien d'autres encore.

Depuis 1939, la commune était surpeuplée : dès les premiers mois de la guerre, de nombreux réfugiés lorrains avaient été repliés sur Oradour - 54 d'entre eux trouveront la mort dans la journée du 10 juin - (pièce n° 1). Dans les années suivantes, avec les difficultés du ravitaillement urbain, diverses familles de Limoges ou de villes plus lointaines étaient venues chercher refuge dans ce village où elles trouvaient des conditions de vie mieux assurées. Car dans ce pays d'élevage qu'est la campagne limousine, les restrictions ne se faisaient pas trop sentir ; et l'existence d'une petite ligne des Chemins de fer départementaux de la Haute-Vienne permettait, en cas de besoin, de regagner rapidement Limoges.

D'après le Procureur Général de Limoges, la population du bourg était, en 1944, de 405 habitants.

C'était un village actif et bien tenu, possédant plusieurs auberges et un restaurant réputé ; les magasins, aux devantures modernes, se groupaient principalement dans la partie basse du bourg, autour de la vieille église aux murs sombres.

10 JUIN 1944

On voudrait pouvoir reconstituer l'atmosphère de ce village pendant les quelques heures qui ont précédé son anéantissement.

C'était un samedi, le jour le plus animé de la semaine. Des gens de Limoges étaient venus, comme à l'ordinaire, pour passer le week-end et chercher, à cette occasion, un peu de ravitaillement. C'était aussi, pour les fumeurs, le jour de la perception de la 2e décade de juin, et des commissionnaires étaient venus des divers coins de la commune pour la répartition du tabac (pièce n° 29). Pour comble de malchance, tous les enfants des écoles étaient rassemblés pour une visite médicale que devait passer le Maire, le Dr. Desourteaux.

Après une matinée brumeuse, le temps, vers midi, se dégageait.

14 heures. - Tout le monde est encore à table : on déjeune tard à la campagne, surtout à cette époque de l'année, où les travaux des champs battent leur plein. Il y a beaucoup de monde dans les auberges et à l'hôtel Milord. Les nouvelles du débarquement de Normandie sont bonnes ; les conversations sont animées.

14 h. 15. - Les Allemands arrivent. Leur entrée dans le village nous sera décrite par l'un des rescapés, M. Hubert Desourteaux, fils du Maire, ou plus exactement du Président de la Délégation spéciale (pièce n° 20) :

Soudain, nous dit-il, un gros émoi s'empara de la population. Un lourd convoi de camions arrivait par la route de Limoges et stationnait dans la partie basse du bourg.

Il transportait un détachement important de S.S. qui peut être évalué à environ deux cents hommes. Ceux-ci étaient casqués et revêtus, en guise d'imperméables, de leurs toiles de tente où le camouflage mettait des mouchetures jaunes et vertes.

Il y avait là une dizaine d'automobiles. Cinq d'entre elles (trois camions et deux chenillettes) parcoururent alors la rue principale et se dirigèrent vers le haut de la ville où elles stoppèrent.

Aussitôt, les deux chenillettes revinrent du côté de l'Église. Des soldats allemands descendirent de leurs voitures. Quelles étaient leurs intentions ? Nous n'allions pas tarder à le savoir.

LES PRÉPARATIFS DU MASSACRE

Le rassemblement du Champ de Foire.

Un deuxième rescapé, M. Clément BROUSSAUDIER, nous dit : (pièce n° 22) :

Le 10 juin 1944, après l'arrivée des Allemands dans le bourg d'Oradour-sur-Glane, le tambour de ville Depierrefiche passa dans les rues en lisant un ordre qui enjoignait à tous les habitants, sans exception, hommes, femmes et enfants, d'avoir à se rassembler immédiatement sur le champ de foire, munis de leurs papiers, pour vérification d'identité.

Le Maire vient d'être convoqué d'urgence à la mairie par le Chef de détachement ; le village est d'ores et déjà cerné (pièce n° 1) ; les Allemands ont établi leur poste de commandement en dehors de l'agglomération, dans une maison de la route des Bordes appartenant à M. Thomas, boulanger (pièce n° 10). L' opération commence.

M. Joyeux se trouvait alors près des Bordes et son témoignage est des plus précieux (pièce n° 11) :

Aussitôt après l'arrivée des Allemands, il s'est produit dans la région un important mouvement de camions. Quelques véhicules sont allés, dès leur arrivée, prendre position dans la campagne environnante. On en a signalé un peu partout, en particulier autour du village des Bordes, derrière le cimetière, aux Brégères et à Puygaillard.

Des militaires munis d'armes automatiques et de fusils en descendirent et encerclèrent la localité, rabattant vers le Champ de Foire les gens qu'ils rencontraient sur les routes et dans les terres. Les S.S. circulaient dans les champs et se cachaient dans les haies pour surprendre ceux qui tentaient de s'échapper. Les cultivateurs durent abandonner leurs travaux. Des coups de feu crépitaient. Plusieurs personnes furent abattues.

Sans doute est-ce dès ce moment que furent tués N. Henri Villoutreix, M. Michel Avril et M. Léonard Lachaud, dont les corps ont été retrouvés dans la campagne. C'est ainsi qu'on a découvert près des Bordes le cadavre de M. Villoutreix qui présentait. une large ouverture de l'abdomen et près de Masset celui de M. Michel Avril. La motocyclette de ce dernier a été retrouvée dans la Glane. M. Lachaud, tué dans le village des Bordes d'une balle explosive dans la tête, n'a pas été enterré immédiatement par les équipes de camouflage allemandes. Il a été découvert le crâne éclaté. (Pièce n° 28). Bien peu échapperont aux rabatteurs.

Dans le village, on ne tue pas encore, mais c'est la perquisition à domicile chacun est obligé de sortir de chez soi. Voici ce que nous dit l'un des témoins, M. Jean Darthout (pièces nos 6 et 7) :

Les S.S. qui avaient mis pied à terre pénétrèrent dans les maisons d'Oradour, se firent ouvrir toutes les portes et brutalement, sous la menace de leurs armes, obligèrent tout le monde, même les malades, à se rendre sur le lieu de rassemblement.

M. Armand Senon signale que son oncle, impotent, a été brutalisé et obligé de suivre les autres (pièce n° 5), et M. Broussaudier ajoute (pièce n° 22) :

Mme Binet, institutrice qui était malade au lit, a été contrainte, malgré son état, à se mettre en route. Je l'ai vue sur le champ de foire en pyjama et revêtue de son manteau. Toutes les habitations ont été visitées soigneusement l'une après l'autre.

Tous les témoignages concordent pour prouver la parfaite méthode avec laquelle les troupes procédèrent : ce n'était visiblement pas la première fois qu'elles exécutaient ce genre de manœuvre.

Ainsi peu à peu, isolés ou par groupes, tous les habitants du village affluent vers le Champ de Foire, sous l'étroite surveillance des S.S.

Mais les Allemands ne devaient pas se contenter des gens du bourg ou de ses abords immédiats : ils organisèrent le ramassage et allèrent chercher jusque chez eux les habitants des hameaux voisins. M. Darthout le dit formellement (pièces nOS 6 et 7) :

J'étais présent au rassemblement. Des camionnettes apportaient sans cesse des gens des villages environnants qui avaient été appréhendés à domicile. C'est ainsi qu'il y avait là des agriculteurs des Brandes et de Bellevue.

Les camions s'éloignaient puis revenaient, ramenant chaque fois de nouveaux contingents de malheureux vers leur fatal destin. Parmi eux, j'ai reconnu M. Dupic, qui arrivait des Bordes.

LES ENFANTS DES ÉCOLES

Les déclarations de M. Pont, Inspecteur Primaire à Rochechouart, dont dépendaient les écoles d'Oradour-sur-Glane, nous permettent d'avoir toutes les précisions désirables (pièces nOS 13 et 14).

Oradour possédait deux groupes scolaires :

1° L'école de garçons, située tout en haut du bourg, en face de la gare des tramways, avec M. Rousseau comme Directeur et Mme Rousseau comme adjointe ;

2° L'école de filles, comprenant trois classes : deux situées au centre du bourg et l'autre, qui comportait une section enfantine, sur la route de Peyrilhac ; elle était dirigée par Mme Binet, avec comme adjointes Mlle Conty (qui, ce jour-là, remplaçait Mme Binet, malade), Mlle Bardet et Mme Vincent.

Depuis la guerre, il y avait en plus une école destinée aux enfants des réfugiés lorrains et alsaciens. Elle avait à sa tête un instituteur lorrain, M. Goujon.

Il y avait donc le jour du drame, à Oradour-sur-Glane, deux instituteurs et cinq institutrices. Aucun d'eux n'a échappé au massacre.

Quant au nombre des enfants, M. Pont nous fournit les chiffres suivants :

école de garçons inscrits 64 élèves.

Ecole de filles (3 classes) inscrits 106 élèves.

Ecole lorraine (1 classe) inscrits 21 élèves.

soit un total de 191 enfants inscrits.

Les S. S. n'eurent garde de les oublier.

Les écoles furent envahies presque simultanément par les Allemands qui réunirent les enfants et leur dirent de se préparer à sortir. À l'école des garçons, on prétend que M. Rousseau aurait tenté de faire fuir ses élèves. Le chef de détachement serait intervenu, déclarant qu'on craignait une escarmouche dans le village et qu'il allait faire conduire les enfants à l'église pour assurer leur sécurité. Certains ajoutent que, pour pouvoir entraîner plus facilement les enfants, il leur aurait promis des friandises ou l'attraction d'une photographie de groupe ; toujours est-il que les quelques deux cents garçons et filles des divers groupes scolaires, précédés de leurs instituteurs et escortés comme se doit, partirent relativement calmes et même insouciants.

Il y eut cependant une exception. Un jeune élève d'origine lorraine, Roger Godfrin, avisant un de ses petits camarades, lui aurait dit : Ce sont des Allemands, je les connais, ils vont nous faire du mal. Je vais tenter de me sauver. Il s'échappa effectivement, passa derrière l'école, se dissimula dans le jardin, parmi les massifs de verdure, et de là disparut dans les bois. On le retrouva le lendemain chez des compatriotes lorrains, au village de Laplaud.

LE RASSEMBLEMENT S'ACHÈVE

14h.45 - M. Darthout poursuit son récit (pièces nos 6 et 7) :

Tous les habitants d'Oradour furent bientôt rassemblés sur la grande place du village. Ce sont des femmes en pleurs, d'autres plus courageuses ou confiantes. Certaines portent des bébés dans leurs bras ou dans de petites voitures. J'en vois qui soutiennent un vieillard qui apparemment sort du lit. Les hommes sont là aussi, quelques-uns surpris en plein travail, le boulanger le torse nu, tout blanc de farine.

Il y a là les notables. Le Dr Desourteaux, père, président de la Délégation spéciale, le notaire M. Montazeau, le pharmacien, le directeur de l'école des garçons, M. Rousseau et sa famille, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les réfugiés, habitants des villages voisins, tous accompagnés de leur famille au grand complet, les enfants des écoles avec leurs maîtres et leurs maîtresses. Peu après, le Dr Jacques Desourteaux, fils du maire, rentrant déjeuner, sa tournée finie, arrive en automobile. Il gare

sa voiture sur le lieu du rassemblement. Un Allemand qui l'accompagne lui ordonne de se joindre à ses compatriotes.

Soudain le Dr. Desourteaux, père, est interpellé par un officier " Vous allez me désigner trente otages. " Le Maire, très dignement, répond qu'il lui est impossible d'accéder à cette demande. On le conduit à la mairie où il reste quelques instants ; puis il revient vers le lieu de rassemblement et on l'entend dire à l'officier allemand qu'il se désigne lui-même et que s'il en faut davantage, on n'a qu'à arrêter sa famille.

À ce moment-là, dit M. Darthout, nous sommes entourés de soldats allemands, six mitrailleuses légères sont braquées sur nous, le mitrailleur en position et son servant près de lui. Je sens qu'à la moindre tentative d'évasion, nous serions abattus. Nous restons ainsi jusqu'à 15 heures environ.

SÉPARATION DES GROUPES

15 heures. - Suite du récit de M. Darthout : (pièces 6 et 7) :

Quand toute la population eut été réunie, les Allemands la divisèrent en deux groupes, l'un composé des femmes et des enfants, l'autre des hommes.

Le premier, encadré par huit à dix S. S. et comprenant les gosses des écoles, fut, vers 15 heures, conduit à l'église. Pendant qu'il partait, les Allemands nous ont ordonné de faire face au mur. Nous étions certainement plus de deux cents sur cette place. Les S. S. nous dénombrèrent, nous disposèrent en trois rangs et nous firent attendre, assis sur le bord du trottoir, la face tournée vers le mur.

Je risque alors un coup d'oeil derrière moi, malgré l'ordre reçu, et je vois le groupe de nos mères et de nos compagnes qui s'éloigne lamentablement. Ce sont des femmes qui pleurent, d'autres s'évanouissent. Elles se soutiennent entre elles. J'aperçois... pour la dernière fois, ma femme qui, en larmes, disparaît avec les autres au tournant de la rue.

Il fallait trouver un prétexte à l'horrible massacre qui se préparait. Un interprète s'avança et déclara : Il y a ici des dépôts clandestins d'armes et de munitions faits par des terroristes. Nous allons opérer des perquisitions. Pendant ce temps et pour faciliter les opérations, nous vous rassemblerons dans les granges.

Si vous connaissez quelques-uns de ces dépôts, ajouta-t-il, nous vous enjoignons de nous les faire connaître.

M. Lamaud remarqua : J'ai ma carabine de 6 mm. de calibre, le calibre est permis par la Préfecture. L'Allemand lui répliqua : elle ne nous intéresse pas.

Aucun dépôt ne fut signalé, et pour cause, il n'y en avait pas dans le village qui était parfaitement tranquille et où chacun s'occupait uniquement de son petit commerce ou de la culture de ses terres. Je dois observer qu'on n'y avait jamais commis aucun attentat contre les troupes allemandes et qu'il n'existait aucune raison qui puisse autoriser, de leur part, la moindre représaille.

15 h. 30. - À ce moment-là, poursuit M. Darthout, les Allemands nous divisèrent en un certain nombre de groupes qu'ils dirigèrent, mitraillette à la main et avec force menaces et brutalités, vers différents points du village.

M. Armand Senon (pièce n° 5) confirme en tous points ce récit. S'étant cassé la jambe au cours d'une partie de football, il était immobilisé chez lui, et comme il habite sur le Champ de Foire, il a pu, de sa fenêtre, assister au rassemblement. Il a vu les allées et venues des camions et autos-mitrailleuses.

Ma mère, dit-il, est montée dans la chambre où j'étais et m'a annoncé que la population était invitée à se rassembler sur la place du village pour vérification des cartes d'identité. Mes parents ont tenté de fuir, mais ils ont été ramenés sur le Champ de Foire avec ma grand'mère, ma tante et mon oncle. Aucun d'eux n'est revenu.

À ce moment (ajoute-t-il), j'ai vu les hommes assis sur deux rangs le long du Champ de Foire et gardés par des soldats allemands armés de mitrailleuses et de fusils. Soudain, un officier paraissant grand et élancé remonta du bas du bourg et alla parler au Maire, M. Desourteaux. Après une brève discussion, les hommes se sont mis debout et se formèrent en quatre groupes qui furent dirigés par des soldats en armes, deux vers le haut et deux vers le bas du village. Un des premiers groupes entra dans une grange appartenant à mes parents (grange dite Laudy) à une trentaine de mètres de mon poste d'observation.

Les hommes furent alors répartis dans les six granges suivantes : Laudy, Milord, Desourteaux, Beaulieu, Denis et Bouchoule.

EN MARGE DU RASSEMBLEMENT

Il était désormais trop tard pour s'enfuir ; mais quelques personnes avaient pu être prévenues à temps et se dérober au rassemblement. Elles échappèrent ainsi de justesse au massacre.

Ce fut le cas de trois jeunes gens, réfractaires au S.T.O., qui avaient donc tout intérêt à ne pas tomber aux mains des Allemands :

M. Paul Doutre, 21 ans (pièce n° 8),

M. Belivier, 18 ans,

et M. Brissaud, 17 ans (pièce n° 21).

Le prétexte d'une vérification des papiers d'identité n'était pas fait pour leur donner confiance.

M. Armand Senon resta dans sa chambre, miraculeusement épargné par les perquisitions ; mais lorsqu'il entendit les fusillades, malgré sa jambe cassée, il se hâta de s'enfuir dans son verger. Un de ses voisins, M. Machefer, qui habitait aussi sur le Champ de Foire, put gagner la campagne ; voici son témoignage (pièce n° 12) :

J'ai pu, lors de l'arrivée des Allemands à Oradour, être alerté à temps et m'échapper à travers champs. Ma femme, qui m'avait conseillé de fuir et qui négligea de me suivre, se rendit sur le lieu de rassemblement. Je ne devais plus la revoir.

C'est aussi dans les champs que s'enfuit M. Cremoux, ce prisonnier rapatrié dont M. Darthout nous retrace l'odyssée (pièces n°s 6 et 7) : sans doute avait-il vu les Allemands de trop près. Quelques autres encore purent se cacher : M. Hubert Desourteaux, M. Lauzaret et M. Litaud, ancien docteur.

Mais il y eut des hasards étonnants. Deux jeunes filles, Mlles Pinède, filèrent avec leur jeune frère sous le nez des Allemands, dès le début du rassemblement ; un peu comme l'avait fait le petit Godfrin à l'école des garçons. En outre, toute une famille avait résolu de ne pas se rendre au Champ de Foire ; il y avait là cinq personnes : le mari, la femme, les deux enfants et une dame de leurs amies. Ils restèrent chez eux. Un S. S., survenant, fouilla la maison. Il découvrit les deux femmes et les enfants et leur fit prendre la direction du rassemblement. Caché dans une chambre, le mari avait échappé à ses investigations ; mais un nouvel Allemand le surprit dans sa cachette et le sortit, non sans brutalité. Il se retrouva dans la rue avec les deux femmes et les deux enfants. Accompagné d'abord par un soldat, puis remis entre les mains d'un autre, le groupe, par une habile manœuvre, réussit à échapper à la surveillance de ses gardiens et à gagner les bois environnants.

On arrive ainsi à un total de dix-huit évadés. Beaucoup sont restés dans les vergers et les jardins, car la campagne était bien gardée ; un des déserteurs en témoigne (pièce n° 40).

LES MASSACRES

1. Massacre des hommes dans les granges

Les seuls hommes qui aient réussi à s'échapper après la fusillade se trouvaient dans la vaste remise Laudy. Ce sont MM. Roby, Hebras, Borie, Darthout et Broussaudier. .

Déclaration d'un premier témoin :

M. Roby, qui avait alors 18 ans, habite à la Basse-Forêt, chez ses parents. Il a déclaré : (pièces 3 et 4).

Le groupe enfermé dans la grange où je me trouvais comprenait, entre autres : Brissaud, le charron du village, Compain, le pâtissier, Morlieras, le coiffeur. A peine arrivés, les Allemands nous ont obligés à enlever deux charrettes encombrantes ; puis, nous ayant fait pénétrer à l'intérieur du bâtiment, quatre soldats demeurés à la porte braquèrent sur nous des mitrailleuses, à feu croisé, dans le but de nous empêcher de fuir. Ils parlaient entre eux et riaient en examinant leurs armes. Soudain, cinq minutes après notre entrée dans la grange, paraissant obéir à un signal donné par une forte détonation que j'ai déterminée comme provenant du Champ de Foire, ils poussèrent un grand cri et ouvrirent lâchement le feu sur nous. Les premiers qui furent abattus furent protégés des rafales qui suivirent par les corps qui tombaient sur eux. Je me mis à plat ventre la tête entre mes bras. Cependant, les balles ricochent contre le mur près duquel je me trouve. La poussière et le gravier gênent ma respiration. Les blessés crient, d'autres appellent leur femme et leurs enfants.

Soudain, la mitraillade cesse, les bourreaux montant sur nos corps achèvent à bout portant, à l'aide de revolvers, les blessés qu'ils voient encore remuer. J'attends avec effroi la balle qui m'est destinée. Je suis blessé au coude gauche. Autour de moi, les cris s'éteignent, les coups de feu se font plus rares. Enfin un grand silence règne, un silence lourd, angoissant, troublé cependant par quelques plaintes étouffées.

Les bourreaux ont alors déposé sur nous tout ce qu'ils pouvaient trouver de combustible autour d'eux : paille, foin, fagots, ridelles de charrettes, échelles, etc. ...

Or, tout le monde n'était pas mort autour de moi. Quelques mots à voix basse sont échangés entre ceux qui étaient indemnes et ceux qui n'étaient que blessés. Je tourne légèrement la tête et j'aperçois un de mes pauvres camarades couché sur le côté, couvert de sang, râlant encore. Mon sort va-t-il être le même ?... Des pas se font entendre, les Allemands sont revenus. Ils mettent le feu au tas de paille qui nous recouvre. Les flammes se répandent rapidement, envahissant toute la remise. Je tente de fuir, mais le poids des corps de mes camarades gêne mes mouvements. De plus, ma blessure m'empêche de me servir de mon bras gauche. Après des efforts désespérés, j'arrive à me dégager. Je me dresse, pensant recevoir une balle, mais les bourreaux avaient déserté la grange.

L'air devenait irrespirable. Je remarque alors un trou situé dans un mur à une distance d'ailleurs assez grande du sol. Ayant réussi, à m'y engager je me réfugie dans un grenier voisin. J'y avais été précédé par quatre de mes camarades : Broussaudier, Darthout, Hebras et Borie. Je me glisse alors sous un tas de paille et de haricots qui se trouve près de moi. Borie et Hebras se dissimulent derrière des fagots. Broussaudier se pelotonne dans un coin, enfin Darthout atteint de quatre balles dans les jambes et saignant de toutes parts, me demande de lui laisser une place près de moi. Nous nous serrons l'un contre l'autre, comme deux frères et nous attendons avec anxiété, attentifs à tous les bruits du dehors. Hélas ! notre supplice n'était pas terminé. Soudain, un Allemand entre, s'arrête devant le tas de paille qui nous abrite et y met le feu. Je retiens mon souffle. Nous évitons de faire le moindre bruit, le moindre mouvement. Mais les flammes me brûlent les pieds. Je me couche sur Darthout qui demeure immobile. Je risque un coup d'oeil ; le S. S. est parti. À ce moment Broussaudier traverse le grenier, il a trouvé une nouvelle issue.

Je le suis à quelques pas et, poursuivi par les flammes, je me trouve dehors à proximité d'un clapier où Broussaudier vient d'entrer. J'y pénètre à sa suite. Là, sans perdre un instant, à l'aide de ma main droite et de mon pied, je creuse dans la terre un trou où je me blottis. Puis, je me recouvre de débris qui sont à ma portée. Nous restons environ trois heures dans cet abri. Mais soudain l'incendie le gagne à son tour, la fumée nous prend à la gorge. Je passe la main droite sur ma tête pour enlever les braises qui tombent de la toiture et me brûlent le cuir chevelu. Nous devons fuir les flammes une troisième fois. J'aperçois un étroit passage entre deux murs, j'en dégage l'entrée et nous voici accroupis et respirant un peu d'air frais. Mais nous ne pouvons rester longtemps de la sorte.

Nous nous levons et avec précaution nous nous dirigeons vers le Champ de Foire. Nous devons alors nous rendre compte si quelque soldat allemand n'y monte pas la garde. Broussaudier part en éclaireur. Personne ne se montre. Pouvons-nous traverser ?... Un dernier regard de droite et de gauche, et nous partons aussi vite que nous pouvons dans la direction du cimetière. Une épaisse broussaille nous barre la route ; mais rien ne nous arrête, nous traversons le buisson. Enfin nous voici en sécurité au milieu d'un taillis. Nous nous embrassons tellement est intense notre joie d'être revenus à la vie. J'ai dû passer la nuit au milieu d'un champ de seigle et j'ai regagné mon domicile à la Forêt-Basse, le lendemain, dimanche à 11 heures.

Déclaration d'un second témoin :

Les déclarations des quatre autres rescapés de la grange Laudy confirment pleinement le récit de M. Roby.

M. Darthout décrit de même l'emprisonnement dans la remise, la fusillade, le massacre. Il précise que les portes du bâtiment étaient gardées par une demi-douzaine de soldats armés de fusils-mitrailleurs (pièces 6 et 7).

Touché, dit-il, par la première rafale de deux balles dans les mollets, je m'écroule. J'en reçois alors deux autres dans les cuisses. Mes camarades commencent alors à tomber sur moi. En quelques secondes, tout le monde est par terre et je suis couvert de corps. La mitrailleuse continue à tirer. Au milieu d'un vacarme infernal j'entends les plaintes et les gémissements des

blessés. Je demeure écrasé, aplati. Le sang de mes camarades coule sur moi. J'entends de temps en temps, le bruit d'une culasse qu'on arme, puis le coup de feu, puis... plus rien. La tête enfouie dans la poussière, j'attends, moi aussi, le coup de grâce.

La fusillade cesse. On entend le bruit des pas pesants des boches dans la rue. Ils reviennent dans la remise, montent sur les cadavres, parlent, rient. Je me garde de donner signe de vie. Les assassins nous recouvrent de foin et de fagots, puis parlent de nouveau. Soudain, ma main frôle une autre main. Je la serre, elle répond à ma pression.

C'est celle de mon camarade Aliotti. J'ai les deux jambes brisées, murmure-t-il. Soudain, d'autres voix sourdes se font entendre. Il y a là des camarades vivants, Duquerroy, garde champêtre, se lamente : Mes pauvres enfants, j'ai les deux jambes cassées. Un autre indemne sort prudemment la tête et observe. La porte est ouverte ! On voit les Allemands passer dans la rue, on ne peut fuir. On les entend parler. Ils ont ouvert un poste de T.S.F. Le speaker parle allemand et puis... c'est) de la musique ! Aliotti, près de moi, appelle sa femme, ses enfants et nous fait ses adieux.

Brusquement les Allemands entrent dans la grange. Ils mettent le feu à la paille. Les flammes s'élèvent, s'approchent de moi, mes cheveux brûlent. J'y porte les mains. Mes mains sont atteintes à leur tour. Je me tourne, je m'enfonce sous les cadavres pour essayer d'échapper au feu. Je me sens à ce moment-là une horrible brûlure à l'épaule. La douleur est si forte que je n'y tiens plus. Il vaut mieux mourir d'une balle dans la peau que d'être brûlé vif ! Je me dresse avec peine... au-dessus des flammes. J'attends le coup de feu qui doit m'achever, mais les S.S. sont partis, la porte est fermée. Je me réfugie au fond de la grange. Bientôt nous nous y retrouvons au nombre de cinq. Nous sommes épouvantés de voir que nombre de nos camarades sont brûlés vivants. Nous cherchons à fuir. Le mur de la grange est en mauvais état. Il y a là un trou qu'un de nos camarades agrandit. Nous passons et nous tombons dans un grenier à foin. Nous nous dissimulons dans un tas de paille. Un Allemand entre, y met le feu à l'aide d'allumettes. Nous devons quitter notre refuge. On m'aide à marcher et nous nous blottissons dans une étable à lapins.

Ainsi que je l'ai dit, cinq hommes composaient alors notre groupe, mais je dois ajouter qu'un de nos camarades enfermé comme nous dans la grange, M. Poutaraud, garagiste, sortit isolément. Il fut aperçu par les Allemands et abattu au moment où il cherchait à fuir. Son corps a été, par la suite, découvert engagé dans une barrière. Nous sommes restés dans notre cachette jusqu'à environ 19 heures. Ensuite, toujours protégés par un écran de fumée, nous avons réussi à gagner le Champ de Foire, puis l'ayant traversé, je me suis réfugié dans une haie située à trente mètres environ du cimetière. J'y suis resté jusqu'à la nuit. J'ai pu m'échapper alors à la faveur de l'obscurité.

Ces témoignages se passent vraiment de commentaire. Tout au plus ferons-nous deux remarques. Tout d'abord, les blessures de MM. Darthout, Aliotti et Duquerroy prouvent que les Allemands ont tiré bas, dans les jambes de leurs victimes : cela fait partie de la technique du massacre en masse. Ensuite, les deux témoignages établissent qu'un certain nombre d'hommes vivaient encore lorsque les Allemands ont allumé sur eux le brasier. Les moins blessés ont pu s'échapper, mais les autres ont été brûlés vifs.

Voilà ce qui s'est passé dans la grange Laudy. On peut supposer que, dans les cinq autres granges, la scène n'a guère varié ; mais si, dans la première, on compte cinq rescapés, nul n'a pu s'enfuir des autres.

CONSTATATIONS FAITES DANS LES GRANGES ET GARAGES

Les déclarations des témoins sont confirmées par les constations faites dans les six granges au lendemain des massacres dont elles avaient été le théâtre.

Il ne restait plus de ces bâtiments que les murs qui, hourdés de tuf (c'est-à-dire de pisé), s'étaient à demi effondrés. Le sol était couvert d'un amas de poutres plus ou moins consumées, de pierres, de tuiles et de matériaux divers au milieu desquels se trouvaient de nombreux cadavres et des débris humains.

Dans le jardin de la grange Denis on a découvert une fosse où avaient été enfouis un certain nombre de cadavres.

Des points d'impact de balles sont encore visibles à l'intérieur de certaines de ces remises, sur les murs qui font face aux portes d'entrée.

Le rapport de M. Bapt, Médecin-Inspecteur de la Santé de Limoges, permet de donner les précisions suivantes (pièce 22) :

1° Grange Milord : ossements et débris calcinés. 7 cadavres d'hommes retrouvés par les équipes de St-Victurnien.

2° Grange de M. Bouchoule, boulanger sur le Champ de Foire, près de l'église : débris calcinés et ossements d'hommes, femmes et enfants. En outre, un cadavre, tronc et tête en partie calcinés, vraisemblablement d'un homme ;

3° Garage de M. Desourteaux : ossements et débris calcinés ;

4° Hangar de Mme Laudy, née Mounier : ossements et débris calcinés, 30 cadavres en partie calcinés uniquement d'hommes furent relevés par les équipes de Saint-Victurnien et enterrés dans la première fosse commune ;

5° Remise de M. Beaulieu : 20 à 25 cadavres dont celui de M. Besson ;

6° Chai de M. Denis : environ 25 cadavres d'hommes dont le cadavre du docteur Desourteaux. Il fut également retrouvé dans cette fosse une carte de tabac au nom de M. Denis.

Dans le même rapport, M. Bapt signale la découverte, le long du chemin du cimetière, à gauche, à la hauteur de la dernière maison, du cadavre de M. Poutaraud, garagiste, relevé par son beau-frère de Limoges.

Le Maire-Délégué d'Oradour, M. Moreau, donne quelques autres précisions (pièce n° 43) :

Les corps des victimes découverts dans les remises et garages étaient entièrement défigurés par le feu et méconnaissables. Aussi bien dans les granges Laudy, Milord et Bouchoule, aucune identification n'a-t-elle été rendue possible. En ce qui concerne les quatre autres granges on n'a pu effectuer que celles qui sont indiquées ci-dessous:

Grange Beaulieu : Pinède Robert, Valentin Jean, Bardet Léonard, Chapelot Louis, Nicolas Jean-Baptiste, Moreau Pierre, Moreau Lucien, Lavergne Jean-Baptiste, Lavergne Jean, Peyroulet Léon, Jackow Jean, Myrablon Albert.

Grange Denis : Dr Desourteaux, Maire, Tournier Jean-Baptiste, de Limoges, Tessaud Jean.

Grange Desourteaux : Rotuny Jean.

II. - Massacre des femmes et des enfants dans l'église.

La sauvagerie de ce premier massacre est de loin dépassée par les scènes dont l'église fut, presque au même moment, le théâtre. Il est inimaginable qu'une armée puisse se livrer à de pareilles atrocités.

La seule rescapée de l'église d'Oradour est Mme Marguerite Rouffanche, née Thurleanx, originaire de Limoges âgée de.47 ans. Elle a perdu dans cette journée son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils, un bébé de sept mois. Son témoignage constitue tout ce qu'il est possible de savoir du drame. Le voici (pièce n° 2) :

Vers 14 heures, le 10 juin 1944, après avoir fait irruption dans ma demeure, des soldats allemands me sommèrent de rejoindre le Champ de Foire en compagnie de mon mari, mon fils et mes deux filles.

Déjà de nombreux habitants d'Oradour y étaient assemblés, cependant que de tous côtés affluaient encore des hommes, des femmes, puis les enfants des écoles qui arrivèrent en groupe. Les Allemands nous divisèrent en deux : d'un côté les femmes et les enfants, de l'autre les hommes. Le premier groupe, dont je faisais partie, fut conduit par des soldats armés jusqu'à l'église. Il comprenait toutes les femmes de la ville, en particulier les mamans qui entrèrent dans le lieu saint en portant leurs bébés dans les bras ou en les poussant dans leurs petites voitures. Il y avait là également tous les enfants des écoles. Le nombre des personnes présentes peut être évalué à plusieurs centaines.

Entassés dans le lieu saint, nous attendîmes, de plus en plus inquiets, la fin des préparatifs auxquels nous assistions.

Vers 16 heures, des soldats âgés d'une vingtaine d'années placèrent dans la nef, près du chœur, une sorte de caisse assez volumineuse de laquelle dépassaient des cordons qu'ils laissèrent traîner sur le sol.

Ces cordons ayant été allumés, le feu fut communiqué à l'engin dans lequel une forte explosion se produisit et d'où une épaisse fumée noire et suffocante se dégagea. Les femmes et les enfants à demi-asphyxiés et hurlant d'épouvante affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore respirable. C'est ainsi que la porte de la sacristie fut enfoncée sous la poussée irrésistible d'un groupe épouvanté. J'y pénétrai à sa suite, et, résigné, je m'assis sur une marche d'escalier. Ma fille vint m'y rejoindre. Les Allemands, s'étant aperçus que cette pièce était envahie, abattirent sauvagement ceux qui y venaient chercher refuge. Ma fille fut tuée près de moi d'un coup de feu tiré de l'extérieur. Je dus la vie à l'idée que j'eus de fermer les yeux et de simuler la mort.

Une fusillade éclata dans l'église. Puis de la paille, des fagots, des chaises, furent jetés pêle-mêle sur les corps qui gisaient sur les dalles.

Ayant échappé à la tuerie et n'ayant reçu aucune blessure, je profitai d'un nuage de fumée pour me glisser derrière le maître-autel.

Il existe dans cette partie de l'église trois fenêtres. Je me dirigeai vers la plus grande qui est celle du milieu et à l'aide d'un escabeau qui servait à allumer les cierges, je tentai de l'atteindre. Je ne sais alors comment j'ai fait, mais mes forces étaient décuplées. Je me suis hissée jusqu'à elle, comme j'ai pu. Le vitrail était brisé, je me suis précipitée par l'ouverture qui s'offrait à moi. J'ai fait un saut de plus de trois mètres, puis je me suis enfuie jusqu'au jardin du presbytère.

Ayant levé les yeux, je me suis aperçue que j'avais été suivie dans mon escalade par une femme qui, du haut de la fenêtre me tendait son bébé. Elle se laissa choir près de moi. Les Allemands alertés par les cris de l'enfant nous mitraillèrent. Ma compagne et le poupon furent tués. Je fus, moi-même, blessée en gagnant le jardin voisin. Dissimulée parmi les rangs de petits pois, j'attendis dans l'angoisse qu'on vienne à mon secours. Je ne fus délivrée que le lendemain vers 17 heures.

Pour être tout à fait exacts, nous noterons qu'à en croire les premiers rapports (pièce n° 30) Mme Rouffanche semble avoir tout d'abord estimé que le massacre avait commencé un peu plus tard, vers 17 heures ; mais cela ne change rien à la substance même des faits.

CONSTATATIONS FAITES DANS L'ÉGLISE

Les constatations officielles consignées dans les divers rapports qui figurent au dossier d'Oradour et celles que tous les sauveteurs ont pu faire, non seulement corroborent le témoignage de

Mme Rouffanche, mais apportent même certaines précisions sur ce que fut cet épouvantable massacre.

Etat de l'édifice. - L'église a été le théâtre d'un violent incendie. La toiture a été entièrement consumée. La voûte de la nef, qui avait été respectée par le feu et qui existait encore au lendemain de la tuerie, s'est effondrée récemment. Les murailles noircies par les flammes sont encore debout. Le maître-autel du XVIIe siècle est en partie détruit et, si l'autel de la chapelle de droite n'existe plus, celui de la chapelle de gauche a été épargné. L'incendie s'est moins développé dans cette chapelle que dans le reste de l'édifice ; les quatre consoles sculptées qui, dans cette partie de l'église, portent les retombées des voûtes, n'ont pas été atteintes par les flammes.

Le rapport de l'évêché (pièce n° 29) constate que le maître-autel a été brisé en certains endroits par les balles et les marteaux, le tabernacle enfoncé devant et derrière. La table, de communion a été arrachée et tordue. Les cloches ont été fondues sous l'effet de la chaleur et ne sont plus qu'un amas informe de bronze répandu sur les dalles.

La fusillade. - La fusillade dont parle Mme Rouffanche a laissé des traces innombrables. Le mur qui entoure la fenêtre de la sacristie présente, en effet, de nombreux points d'impact ; de même les murailles situées en face de la principale porte d'entrée de l'église, ainsi que la plaque de marbre où sont inscrits les noms des morts de la guerre de 1914-1918. Cette plaque, traversée de part en part, a même été détachée du mur. Tout cela prouve que de nombreux coups de feu ont été tirés de la porte d'entrée principale.

Mais les Allemands ne sont pas restés aux portes. Le. rapport de l'Evêché, établi d'après les constatations des séminaristes qui ont procédé aux exhumations et inhumations des cadavres, précise que des centaines de douilles jonchaient le sol jusqu'au premier tiers de l'église : preuve que les Allemands ont pénétré assez avant dans la nef, pour tirer de plus près sur les femmes et les enfants. D'ailleurs, les traces de balles, encore visibles sur certains murs inaccessibles de l'entrée, confirment, s'il en était besoin, cette déclaration officielle. Deux des murailles de la chapelle de gauche sont, en outre, maculées de larges éclaboussures de sang.

Là encore, il est certain que les Allemands ont tiré bas ; ne fut-ce que pour atteindre les enfants avec plus de certitude. Les voitures d'enfants, conservées par les soins du Dr. Masfrand et du Sous-Préfet de Rochechouart, constituent à. cet égard d'écrasantes pièces à conviction. Plusieurs sont traversées de balles ; une autre a été déchirée plus largement par l'explosion d'une grenade (pièce n° 38).

Les morts. - Combien de personnes ont trouvé la mort dans cette église ?

Le rapport de l'Evêché de Limoges estime que dans les deux-tiers ou même la moitié de l'édifice, qui peut contenir normalement 350 personnes assises, on peut évaluer à plus de 500 le nombre des femmes et des enfants qui y ont été entassés. (Pièce n° 29).

Les premières personnes qui sont entrées dans l'église ont constaté que sur le sol était répandue une épaisse couche de cendres et de débris humains, amas nauséabond de chair et d'ossements. Au milieu de cette matière sans nom, gisaient des cadavres plus ou moins carbonisés et méconnaissables.

Dans son rapport, M. Bapt, inspecteur de la Santé, déclare : (pièce n° 28).

La prospection faite le premier jour nous a permis de découvrir des ossements de femmes et d'enfants en quantité considérable dans l'église et dans la sacristie. Il précise qu'on a découvert à côté du maître-autel des ossements et débris calcinés dont un pied d'enfant de six ans environ. Dans la chapelle de droite, où l'incendie a été moins violent, le confessionnal en bois a été conservé intact et le document signale qu'on y a trouvé deux cadavres d'enfants de 10 à 12 ans. Il établit que, sous les restes du plancher effondré de la sacristie, des débris calcinés, ossements de femmes et d'enfants, ont été recueillis en grande quantité.

Il existe, dans la chapelle de droite, une petite porte latérale de sortie. Ceux qui avaient échappé à la fusillade ont dû, un moment, espérer qu'elle avait pu être laissée ouverte et qu'il allait leur être possible de fuir. Ils se portèrent par là en grand nombre : on a, en effet, trouvé de ce côté un amas de cendres, d'ossements et de chairs calcinés beaucoup plus abondant que dans le reste de l'église. Mais, hélas ! la porte était fermée et le brasier sans issue. Le rapport de M. Bapt évalue la quantité des restes humains recueillis à cet endroit à environ un tombereau. Un rapport de police cuit que les nombreux bijoux, les alliances et les objets métalliques qui furent découverts à cet endroit laissent à supposer que des centaines de personnes y ont trouvé la mort. Il précise que les marches des escaliers donnant accès à la petite porte de sortie disparaissaient sous les cendres et les ossements : tous ces malheureux ont été brûlés vifs.

Leurs cris effroyables ont été entendus de divers points du village par les survivants, qui en ont témoigné. Le rapport de l'Evêché assure même qu'à deux kilomètres d'Oradour des habitants ont entendu les clameurs qui s'élevaient dans l'église (pièce n° 29).

Des Allemands étant venus, dès le lundi matin, pour déblayer quelque peu les ruines, un certain nombre de corps ont été retrouvés en dehors de l'église. Le rapport du médecin de la Santé spécifie qu'on a retrouvé dans l'appentis du presbytère dix cadavres, dont huit d'enfants et deux de femmes, parmi lesquels furent reconnus : Mme Hyvernaud, Mlle Marie-Rose Bastien et les petits Raymond et Georgette Thomas. Il indique, en outre, que dans le jardin de la cure deux fosses isolées ont été découvertes, avec les cadavres de Mine H. Joyeux, née Hyvernaud, et de son enfant. Enfin., il signale l'existence d'un charnier à côté de la petite porte de l'église : il contenait dix cadavres et des débris humains correspondant à quinze personnes (pièce n° 28).

Le cadavre de la femme qui tenta de s'échapper de l'église à la suite de Mme Rouffanche a bien été découvert à l'endroit indiqué : plusieurs témoignages et le rapport de M. Bapt en font foi. Quant à celui de l'enfant, un rescapé, M. Machefer, cordonnier à Oradour a déclaré :

J'ai découvert avec un de mes amis le corps d'un bébé âgé de quelques mois qui gisait le crâne largement ouvert dans les cabinets du presbytère. Nous l'avons déposé sur la pelouse du jardin, où M. Moreau, Maire-Délégué d'Oradour, le recueillit le mardi soir. Cet enfant a été identifié par sa grand'mère, Mme Ledot, du Repaire. (Pièce n° 12).

On peut encore constater sur les murs de ces cabinets une large tache de sang.

On a dit que le corps du curé de la paroisse avait été retrouvé près du maître-autel. Un rapport administratif a, d'un autre côté, signalé que trois prêtres auraient été tués dans l'église même. En réalité, on n'y a découvert aucun cadavre d'ecclésiastique. Ce jour-là, il y avait bien, toutefois, trois prêtres dans le bourg :

le curé, l'abbé Jean-Baptiste Chapelle, âgé de 71 ans, et qui desservait la paroisse depuis 33 ans ; l'abbé Lorich, d'origine lorraine, et un jeune séminariste, Emile François-Xavier Heumeyer. Les deux premiers ont été vus dans les groupes du champ de foire : tous trois ont disparu sans laisser aucune trace.

MEURTRES ISOLÉS, PILLAGE, INCENDIE
(la soirée du 29 juin)

Ces massacres collectifs n'étaient que le début d'une opération méthodique d'anéantissement : le pillage et l'incendie devaient achever cette oeuvre de destruction.

Le pillage semble avoir commencé pendant l'heure de battement qui s'écoula entre la fin du rassemblement et les exécutions en masse, alors que le groupe des hommes attendait sur le Champ de Foire. Les Allemands visitèrent soigneusement chaque maison, emportant tout ce qui pouvait s'emporter : argent, linge, provisions, objets précieux. Le village étant riche, les camions se remplirent. Après quoi, on brisait les meubles, en attendant d'y mettre le feu, M. Martial Brissaud nous dit en effet (pièce n° 21) :

Me trouvant chez moi à Oradour, le jour de l'arrivée des Allemands (10 juin 1944), j'ai voulu m'enfuir, mais le jardin était cerné. Dissimulé dans mon grenier, j'ai pu constater qu'avant l'incendie de la maison, les S.S. se sont acharnés à briser les meubles disposés au rez-de-chaussée.

Au cours de ce pillage systématique, les Allemands tuaient tous ceux qu'ils découvraient encore. C'est alors que les rescapés de la première heure risquèrent le plus. La prospection des ruines devait révéler aux équipes de secours quantités d'assassinats isolés.

C'est ainsi que M. Dupic père a été trouvé dans son jardin, si superficiellement enterré que sa main n'était même pas recouverte. Dans la ferme de Lauze, chez M. Picat, un puits était rempli de cadavres tellement décomposés qu'on n'a pu effectuer aucune identification et qu'on a dû les laisser sur place. Il a été impossible de se rendre compte si ces malheureuses victimes avaient été d'abord fusillées ou si elles avaient été précipitées vivantes dans le puits, comme certains l'ont prétendu. Ce qui est certain, c'est

qu'on n'a retrouvé à proximité aucune douille, ni aucune trace de balle.

Un envoyé spécial des F.F.I. qui a visité Oradour dans les premiers jours indique qu'on a recueilli dans le four d'un boulanger les restes calcinés de cinq personnes : le père, la mère et les trois enfants.

Le Dr Masfrand et M. Pauchou, sous-préfet de Rochechouart, ont constaté à proximité du four de ce boulanger l'existence d'un étouffoir, encore à moitié rempli de charbon dans lequel on a découvert des ossements humains (vertèbres lombaires) en état de carbonisation avancée.

Quiconque prétendait entrer dans le village était voué à une mort certaine. Voici un fait que rapporte M. Armand Senon (pièce n° 5) :

Aussitôt après le rassemblement, j'ai aperçu sur le Champ de Foire un groupe de six à sept jeunes gens qui tenaient des bicyclettes à la main. Ils étaient encadrés de soldats allemands. On les fit attendre quelques instants ; puis un gradé venant du bas du bourg les rejoignit et sembla donner des ordres à ceux qui les gardaient. On fit déposer à ces hommes leurs bicyclettes le long d'un mur du Champ de Foire et on les conduisit devant la forge de M. Beaulieu. Là, ils furent tous fusillés à l'aide d'une mitrailleuse.

Le Dr Masfrand a retrouvé, le long d'un mur du Champ de Foire, les restes de trois bicyclettes qui avaient appartenu à ce groupe de jeunes gens (pièce n° 38).

Des mamans, effrayées par les coups de feu qui crépitaient dans le bourg, accoururent des villages environnants pour tenter de ramener chez elles leurs enfants partis en classe aux écoles d'Oradour. Elles furent immédiatement arrêtées et subirent le sort commun. On cite également les noms de MM. Duvernay et Raymond qui, allant au-devant de leurs enfants, ont été abattus à coups de mitraillettes.

Une commerçante, Mme Milord, rentre de voyage ; des amis la préviennent de ce qui se passe en ville ; on lui conseille de ne pas aller jusque chez elle, on tente de la retenir ; peine inutile, elle veut à tout prix rejoindre son mari et ses enfants.

Le rapport de gendarmerie de la Brigade de St-Junien (pièce n° 1) fait remarquer que :

Les troupes opérant sur la route de Javerdat se sont montrées moins cruelles que celles opérant sur les autres routes, en faisant faire demi-tour aux personnes des villages de la Métairie, la Lande et Bel-Air, qui ont été épargnées.

Nous savons que la 2e section, préposée à la garde du village, comprenait des éléments peu sûrs. Un déserteur nous dit (pièce

n°45) :

Je n'ai vu personne qui tente de s'échapper du village, et ceux qui voulaient y entrer, je leur enjoignais de s'échapper. Il y en eut ainsi 7 ou 8 qui ne sont pas entrés, mais par contre il y en a eu un qui a voulu rentrer à tout prix, disant que ses papiers étaient en règle. Il n'est d'ailleurs pas ressorti.

Encore fallait-il tomber sur ces éléments peu sûrs. Mais on ne plaisantait pas du côté des Bordes : M. Joyeux put le constater. C'est lui qui nous relate l'épisode suivant (pièce n° 11) :

M. Foussat, à ce moment-là, se trouvait avec moi. au village des Bordes. Voyant, vers les 19 heures, que les coups de feu devenaient plus rares, il me dit : Je veux rentrer au bourg. J'ai nies papiers en règle. Je ne risque rien. Il fit alors une centaine de mètres en brandissant un mouchoir blanc, escalada une petite élévation de terrain... et fut immédiatement mitraillé.

Le témoignage de M. Darthout nous apporte encore un détail ; un petit détail, mais terriblement évocateur de cette chasse à l'homme (pièces nos 6 et 7) :

Un prisonnier rapatrié, M. Cremoux, m'a raconté qu'alerté lors de l'entrée des Allemands dans le bourg d'Oradour, il a pu gagner la campagne et, pour se cacher, il s'est précipité dans un ruisseau. Il y resta dissimulé, sa tête seulement émergeant de l'eau. C'est ainsi qu'il a vu passer près de lui deux S.S. ; M. Cremoux qui comprend l'allemand, entendit l'un d'eux déclarer à l'autre : Moi, j'en ai tué vingt-six.

Bien d'autres habitants ont dû trouver la mort dans des conditions analogues, sans qu'il soit possible de rien savoir du drame dont ils ont été les victimes ; il faut s'en remettre aux constatations laconiques que le Dr Bapt a consignées dans son rapport officiel (pièce n° 28) :

Buvette de M. Mercier, à Puygaillard.

Dans la cave, sous un escalier en pierre, ossements calcinés, vraisemblablement d'une femme et d'un nourrisson.

Hameau de la Brégère.

Un cadavre retrouvé par M. Brun, de Seguières, dans l'après-midi du 14 juin. Il s'agit du corps de Mme Victor Milord.

Boulangerie Bouchoule.

Cadavre de M. Milord enlevé par la famille Milord, de Dieulidou, le mercredi 14 dans l'après-midi. Cadavre de M. Bouchoule (tronc et tête calcinés). Un cadavre dans l'étouffoir.

Ferme de M. Picat.

Dans le puits situé dans la cour de la ferme, cadavre d'une femme et autres débris humains.

Jardin de M. Dupic.

Le cadavre de M. Dupic enlevé par M. Queriaud, de Cieux le jeudi 15 juin.

Jardin de la Mairie.

Le cadavre d'un jeune homme de vingt ans, non identifié. Route des Bordes.

Raymond Pierre, relevé par sa famille. Foussat, minotier, enlevé par ses parents. Avril Michel, enlevé par M. Labroudie. Lachaud Léonard. enlevé par sa famille. Duvernay, enlevé par sa famille.

Dans une petite maison à côté de l'église.

Restes calcinés d'une femme reconnue par M. Ledot, père. Mme Devoyon.

Pour finir, Oradour brûla. On peut faire confiance au feu pour effacer les traces du pillage et pour liquider les derniers survivants. C'est toujours le dernier acte des grands massacres. L'incendie commença vers 17 heures dans la partie haute du bourg ; grenades, plaquettes et balles incendiaires étendirent rapidement le brasier ; et à 22 heures la petite bourgade, si accueillante encore au début de l'après-midi, n'était plus qu'un amas de ruines fumantes. Quelques hameaux voisins, comme les Brégères, et quelques fermes isolées avaient subi le même sort.

Les équipes de secours ont constaté que des vieillards impotents avaient été surpris par l'incendie et brûlés vifs dans leur chambre ou dans leur maison. C'est ainsi que, rue Émile-Desourteaux, on a découvert, gisant encore sur la carcasse d'un lit de fer, les restes carbonisés de M. Giroux, paralytique, âgé de 75 ans. Le Dr Masfrand et le Sous-Préfet de Rochechouart ont personnellement constaté la présence d'ossements calcinés. En dépit des recherches méticuleuses, ils n'ont pu découvrir à proximité aucune douille de cartouche, aucune balle, ni aucune trace de projectile.

Les Allemands semblaient d'ailleurs prendre plaisir à varier les supplices de leurs victimes : le feu les changeait de la fusillade. Écoutons plutôt ce témoignage du réfractaire Paul Doutre (pièce n° 8) :

J'ai vu de ma fenêtre, abrité derrière mes persiennes, mes parents se dirigeant vers le Champ de Foire. Je me suis alors réfugié dans l'atelier situé derrière ma maison. Celle-ci ayant été atteinte par l'incendie, j'ai tenté de sortir de ma cachette pour essayer de sauver quelques objets et papiers auxquels je tenais. Des soldats allemands m'aperçurent et m'obligèrent, sous la menace de leurs armes, à regagner ma retraite. Ils montèrent alors la garde devant la porte pour m'empêcher de fuir.

Voyant que les flammes menaçaient la pièce dans laquelle je me trouvais, je réussis à tromper les surveillances dont j'étais l'objet et à m'échapper dans le jardin où je me dissimulai dans un carré de légumes.

Soudain la toiture s'étant effondrée, les Allemands m'ont cru mort et sont partis. En quittant leur faction, ils passèrent près de moi et j'entendis l'un d'eux dire : kapout.

Ils auraient pu l'abattre d'un coup de feu ; mais non, ils avaient décidé de le faire brûler vif dans sa maison et firent - fort heureusement pour lui - l'économie d'une cartouche.

ÉPISODE DU TRAMWAY

Deux tramways en provenance de Limoges sont arrivés à Oradour au cours de l'après-midi. Le premier était un train d'essai ; seuls quelques employés de la compagnie y avaient pris place. L'un de ceux-ci, M. Chalard, en descendit. Il fut abattu d'un coup de feu alors qu'il passait sur le pont. Les Allemands se débarrassèrent de son corps en le jetant dans la Glane, où il fut retrouvé

par les équipes de secours (pièce n° 28). Le véhicule fut ensuite refoulé sur Limoges.

Un second train, celui-ci de voyageurs, apparut vers 19 heures, c'est-à-dire au beau milieu de l'incendie. Mile Maria Gauthier, débitante, 17, place de la Motte, à Limoges, se trouvait dans ce tramway. Elle a fait le récit suivant (pièce n° 10) :

Ce tramway fut arrêté à l'embranchement de la route de Saint-Victurnien par les Allemands qui nous enjoignirent de rester dans les voitures.

Un soldat partit à bicyclette, vraisemblablement pour demander des ordres. En revenant, il fit descendre tous les voyageurs qui étaient à destination d'Oradour.

Nous fûmes, au nombre de vingt-deux ou vingt-trois, conduits, sous bonne escorte, non loin du village des Bordes. On nous fit traverser la Glane sur une étroite passerelle faite à l'aide d'un tronc d'arbre. Puis nous fûmes dirigés vers la Maison Thomas où se trouvait le poste de commandement.

On arrête alors notre groupe en pleins champs. Le gradé qui commande le détachement s'entretient avec l'officier de poste. Les hommes sont séparés des femmes ; on vérifie leurs papiers, puis on nous réunit à nouveau. On hésite, on parlemente... Soudain, les S.S. s'avancent, font cliqueter leurs armes, forment le cercle autour de nous. Nous comprenons tous qu'à n'en pas douter, il s'agit là de préparatifs d'exécution. Ce sont des minutes interminables d'angoisse et d'épouvante.

Enfin, après une explication un peu vive entre l'officier et le gracié, on nous annonce que nous sommes libres.

Un autre voyageur qui faisait partie de ce même convoi a précisé qu'un interprète, à ce moment-là, s'est écrié : On vous laisse partir ! Vous pouvez dire que vous avez de la chance ! »

Une bicyclette, volée au cours du pillage, est remise à une jeune fille voyageuse pour qu'elle puisse regagner plus vite son domicile : maintenant qu'on a massacré toutes les femmes et toutes les jeunes filles du village, on peut se payer le luxe d'un semblant de galanterie.

Et pendant ce temps, on donne l'ordre de reconduire le tramway à Limoges, où il arrivera aux alentours de minuit.

LES S. S. A NIEUL

Après l'anéantissement d'Oradour, les S. S. ont repris leur itinéraire. Ils venaient de Saint-Junien (pièce n° 1) ; ils se sont dirigés sur Nieul, où leur cantonnement avait été préparé dès le 9 juin par un détachement précurseur (pièce n° 18). Ils sont restés là toute la journée du dimanche et la matinée du lundi (pièces nos 18 et 25).

C'est dans la soirée du 10 juin, entre 20 et 22 heures, que les S. S. firent mouvement d'Oradour sur Nieul. Ils se firent remarquer sur le parcours : de nombreux habitants des environs d'Oradour témoignent que, le soir de la tragédie, les S.S., du haut des camions qui les conduisaient à leur cantonnement, tiraient sur la route des rafales d'armes automatiques. D'autre part, M. Henri Demange, qui demeure à la Barre de Veyrac, a déclaré (pièce n° 26) :

Vers 20 heures, j'ai uni un camion militaire allemand chargé de matériel venant d'Oradour et se dirigeant vers Nieul.

J'ai vu et entendu un soldat allemand qui se trouvait sur le chargement et qui jouait de l'accordéon. Dans le même véhicule se trouvaient d'autres militaires allemands qui chantaient.

Ce témoignage est d'ailleurs amplement confirmé.

À Nieul, tous les habitants sont d'accord pour signaler qu'à leur arrivée les Allemands étaient en proie à une excitation extraordinaire. Ils se sont répandus dans les rues en poussant des cris. Ils ont déclaré avoir été surpris par le calme et la correction de l'accueil de la population : elle ne savait encore rien de ce qui s'était passé à Oradour. Cependant, ils se montrèrent très méfiants : les officiers décidèrent de ne pas se séparer et de coucher tous dans la même pièce.

Pendant tout leur séjour à Nieul, les S.S. mangèrent et burent copieusement, gaspillèrent les vivres et le vin et firent preuve d'une brutalité particulière à l'égard de la population. Voici
ce que déclare M. Bouty, Directeur d'école à Nieul (pièce n° 18) : Les S. S. sont arrivés à Nieul le samedi 10 juin 1944, vers 22 heures. Leurs camions, précédés d'une auto-chenille, se sont
arrêtés sur la place devant le groupe scolaire. Aussitôt, les soldats allemands sont descendus de leurs véhicules et, peu après, un petit groupe de trois ou quatre hommes s'est dirigé vers l'école.

L'un d'eux a donné de violents coups de bottes dans la porte fermée de mon habitation. J'ai ouvert aussitôt et un soldat qui parlait un peu le français m'a demandé : École pour 150 bons-hommes ? J'ai indiqué les classes qui avaient été réquisitionnées la veille par un détachement de soldats allemands, en même temps que les deux chambres de mon logement personnel et de nombreuses autres chambres du bourg : Les soldats se sont installés dans les classes, et, durant toute la nuit, de nombreux camions ont évolué dans les cours de récréation. Les officiers qui devaient occuper les chambres de mon appartement ne sont pas venus ; j'ai appris plus tard qu'ils s'étaient fait porter des matelas dans la salle du bâtiment communal, où. ils passèrent la nuit.

Le lendemain, dimanche, les soldats allemands se sont fait préparer des repas dans les maisons du bourg de Nieul, avec des volailles qu'ils avaient apportées vivantes dans des sacs.

Après leur départ, j'ai trouvé sur la pelouse, devant mon logement, un pot de confitures de ménage et une bouteille de liqueur pas tout à fait vide ; sous le préau de l'école, une douzaine de poulets morts, dont quelques-uns étaient décapités et plumés.

M. Paul Michot, pointeur au poste émetteur de Nieul, et gendre de M. Larcudie, boucher, ajoute : Dans la maison de mon beau-père, les Allemands ont débouché les bouteilles de vin vieux qu'ils avaient apportées et qui ont été retrouvées vides après leur départ. Ils étaient porteurs de nombreux jambons. Ils ont grillé dans la cuisine du café vert. Ils avaient des lapins et des pigeons à profusion (pièce n° 16).

Lorsqu'on a demandé à M. Bouty s'il avait remarqué entre les mains des Allemands des objets de provenance suspecte, il a répondu : J'ai vu, dans les camions, des soldats allemands enveloppés de couvertures qui n'avaient rien de militaire. J'ai vu aussi, le dimanche, dans la cour de l'école, des soldats qui jouaient avec deux bicyclettes neuves qu'ils ont brisées en riant et en poussant des exclamations. Le lundi 12, après le départ de ces troupes, j'ai recueilli les cadres de ces deux bicyclettes : l'un d'eux portait une plaque d'identité au nom de Barthélemy, Oradour-sur-Glane (pièce n° 18).

En outre, une motocyclette appartenant à M. Leblanc, d'Oradour, a été retrouvée dans l'étang du parc.

M. Michot déclare de son côté (pièce n° 16) :

Un S. S. qui logeait dans la maison de mes beaux-parents a réparti entre ses camarades, par la fenêtre de la salle à manger, des billets de banque qu'il retirait de deux vastes cantine. Les Allemands ont circulé dans le bourg, les mains et les poches pleines de ces coupures.

Mme Riffaud, qui tient un restaurant à Nieul, apporte quelques précisions significatives sur l'attitude des Allemands dans la localité (pièce n° 25) :

J'ai reçu chez moi des Allemands qui étaient porteurs d'un canard vivant enfermé dans un sac. Ils m'ont demandé de le mettre de côté pour pouvoir l'emporter lors de leur départ de Nieul. Comme je leur représentais que cette bête risquait fort d'étouffer dans ce sac, l'un d'eux m'a répondu que s'il crevait, mon mari et moi serions kapout le lendemain. J'ai répliqué : Après vous avoir servi toute la journée, vous ne feriez sûrement pas ça. Ils m'ont répondu : Oh ! Madame, nous avons fait pire ! Une balle ne fait qu'un tout petit trou. En prononçant ces paroles, il me visait avec son revolver. Ces mêmes Allemands, sur mon refus de leur indiquer les chambres des bonnes employées dans l'établissement, m'ont menacée de me faire fusiller ainsi que mon mari et d'incendier la maison (pièce n° 25).

J'ajoute qu'ils ont tué, sur la route de Bellac, un jeune homme de 15 ans, M. Doumeix, de Fougerat, qui, en les voyant, avait tenté de prendre la fuite.

Quant à M. Bouty, il termine ainsi sa déposition : Pendant toute la journée du dimanche, des soldats allemands sont restés installés dans les camions, équipés, le fusil à la main. De temps en temps, un ou plusieurs de ces véhicules partaient dans la direction des localités voisines. J'ai appris qu'au cours de ces expéditions, un détachement avait incendié le château de Morcheval, voisin de Nieul. (Pièce n° 18).

Les S.S. quittèrent Nieul le lundi 12 juin, vers la fin de la matinée ; ils prirent la direction de Bellac.

LA MAISON DUPIC

Il y avait, à Oradour, une maison particulièrement bien approvisionnée en vivres et munie, dit-on, d'une. bonne cave : c'était la maison de M. Dupic, marchand drapier. Dans le magasin étaient stockées de grandes quantités de tissus. Les Allemands réservaient à cette maison un traitement particulier : ils l'épargnèrent lors de l'incendie général et n'y mirent le feu que le lendemain matin. C'est qu'il fallait le temps d'en opérer méthodiquement le pillage ; il fallait aussi conserver pour la nuit un poste de garde confortable.

Car tous les Allemands ne quittèrent pas Oradour dans la soirée du 10 : après le départ du gros détachement, on en vit encore s'affairer au milieu des décombres ou inspecter les abords du village, dont l'accès restait interdit. Ce petit détachement ne devait repartir que le dimanche matin, vers 11 heures.

Voici ce qu'a pu constater M. Armand Senon (pièce n° 5) :

Au cours de la nuit, caché dans un buisson, derrière ma maison, entouré de lueurs d'incendie, et entendant toujours des coups de feu, je vis un point lumineux qui s'agitait auprès de moi. C'était un Allemand posté en sentinelle qui paraissait faire des signaux avec une torche électrique. Le lendemain dimanche matin, aussitôt l'aube arrivée, j'entendis les Allemands dans le bourg et j'ai vu le feu reprendre du côté de la gare des tramways. J'ai dû me rendre compte, par la suite, qu'il s'agissait de la maison Dupic.

Il est hors de doute que cette maison avait été, au cours de la nuit, le théâtre d'une véritable orgie. Dans les ruines, M. Moreau, Maire-Délégué d'Oradour, a pu retrouver les restes de 20 à 25 bouteilles de champagne ; et certains indices, malheureusement insuffisants pour constituer des preuves, suggèrent l'idée que d'autres scènes, facilement imaginables, durent accompagner la beuverie. Il est regrettable qu'aucun des rescapés ne se soit trouvé assez près de la maison Dupic pour entendre les chants et les cris qui durent, à certains moments, y retentir. Certains bruits avaient couru, que les témoins n'ont pas confirmés...

Du moins le vol a-t-il été facile à établir. M. Paul Brousse, Directeur honoraire de la Banque de France, désigné comme séquestre des biens récupérés à Oradour-sur-Glane, a constaté ce qui suit (pièce n° 27) :

Coffre-fort de marque Banche (en fer et ciment) trouvé à Oradour-sur-Glane, chez M. Dupic, marchand de tissus. Ce coffre possédait sa clef mais n'a pu être ouvert immédiatement par suite de l'action causée par la chaleur. Nous avons dû le faire éventrer. Nous avons alors pu constater qu'il était vide.

Et voici la fin du récit de M. Senon (pièce n° 5) :

Le jour venu, toujours dissimulé dans mon buisson, ayant entendu un bruit de camions et de véhicules motorisés, j'eus l'impression que des Allemands s'en allaient. Pendant de longues heures, je suis resté dans ma cachette, n'entendant que le bruit fait par les pierres et les poutres qui tombaient dans les décombres des incendies.

Dans le courant de l'après-midi, des bruits de sabots se sont fait entendre dans le bourg : j'ai compris que des habitants du pays revenaient. Je suis alors allé à la recherche de mes parents : c'est à ce moment que j'ai aperçu le cadavre de M. Poutaraud accroché à une palissade. Il avait été tué d'un coup de feu dans le dos. Un cheval était attaché à son bras par une corde.

J'ai attendu alors, caché derrière une petite cabane, puis je décidai de me diriger vers la maison paternelle. J'aperçus M. Desvignes, boucher, qui m'apprit que tous les habitants d'Oradour avaient été massacrés, brûlés et que le village était entièrement incendié. Toute ma famille avait disparu.

CONSTATATIONS ET DÉBLAIEMENT DES RUINES

C'est donc dans l'après-midi du dimanche, à partir de 14 h. 30 environ, que les habitants des alentours et les quelques rescapés commencent à parcourir les ruines d'Oradour, accablés par ce spectacle de mort et de désolation.

Le Dr Masfrand, qui fut parmi les premiers' sauveteurs, nous décrit ainsi son arrivée à Oradour :

Cette petite cité n'était plus qu'un amas de ruines et de cendres. Des pans de murs calcinés sur lesquels on pouvait lire encore l'enseigne d'un restaurant ou d'une épicerie, des monceaux de matériaux de toutes sortes : briques, ferrailles, verres, etc. ... encombrent les rues çà et là ; des poutres maîtresses de vieilles demeures du XVe siècle brûlent encore.

Toutes les toitures, toutes les fenêtres, toutes les portes ont été la proie des flammes. Deux petites conduites intérieures incendiées, dont celle du Dr Desourteaux, sont restées au milieu de la rue. Des animaux à la recherche de leur étable ou de leur écurie errent dans le village désert, tandis que la plupart des chats de la ville ont été chercher refuge dans la maison de M. George, qui, se trouvant en dehors du bourg, a été épargnée par le feu.

À l'intérieur des habitations, les objets de métal, seuls, subsistent encore : on retrouve un peu partout des ustensiles de ménage brisés, déformés, des bicyclettes tordues sous l'effet de la chaleur.

Dans les granges, les corps des victimes incomplètement carbonisés gisent parmi les décombres. Ils offrent aux regards épouvantés l'aspect d'horribles statues de bronze.

L'église surtout présente un spectacle hallucinant :

Une odeur âcre de chair brûlée se dégage des décombres et prend à la gorge ; des cendres, des restes humains crient la fin lamentable de ces malheureuses victimes.

Ici, de pitoyables petites mains d'enfants gisent éparses sur les dalles. Là, on découvre les pieds de pauvres gosses qui n'ont pas été entièrement consumés.

Dans le confessionnal, on peut voir, épargnés par le feu, les cadavres émouvants de deux tout petits se tenant par le cou. Ils portent des traces de balles de revolver dans la nuque.

Non loin de là, le corps d'une jeune institutrice gît au milieu des misérables restes de ses petits élèves. Elle est identifiée le lendemain par son fiancé.

Un mari, soudain, reconnaît sa femme ! Celle-ci dans une attitude d'épouvante, tient étroitement embrassée une de ses parentes. Il s'approche et veut les séparer ; mais à peine sa main a-t-elle effleuré leurs épaules, que les deux cadavres s'effondrent subitement et disparaissent en poussière.

Des reconnaissances déchirantes ne cessent d'avoir lieu. Un habitant d'un village voisin dont un enfant, âgé de 9 ans, n'était pas rentré de l'école la veille, retrouve son petit cadavre affreusement défiguré.

Dans les pièces du dossier, le rapport du Préfet régional de Limoges (pièce n° 30) est le seul à faire état de ces premières constatations :

Dans l'après-midi du dimanche, certains... purent tout de même pénétrer dans les ruines et attestent que l'église était entièrement remplie de corps de femmes et d'enfants recroquevillés et calcinés.

Un témoin absolument sûr a pu voir, à l'entrée de l'église, le cadavre d'une maman tenant son enfant dans les bras ; devant l'autel se trouvait le cadavre d'un petit enfant agenouillé, les mains jointes auprès du confessionnal, deux cadavres d'enfants s'étreignaient encore.

La nuit suivante, les Allemands revinrent et firent disparaître certaines traces en ensevelissant à la hâte femmes et enfants...

Toutes les constatations officielles sont postérieures à ce second passage des Allemands ; arrivés le lundi matin au petit jour, ils repartirent avant la fin de la matinée. Que firent-ils au juste ?

Envoyés, de toute évidence, pour faire disparaître les vestiges les plus compromettants, ils enlevèrent les corps les plus apparents ; mais il aurait fallu des journées entières pour atténuer l'horreur du spectacle. Ils se contentèrent de creuser deux fosses où ils entassèrent un certain nombre de cadavres. La plus grande de ces fosses dépassait trois mètres de longueur. Elle fut découverte dans le jardin du presbytère, à proximité de la petite porte de la chapelle de droite. On y recueillit, parmi des restes humains à demi-carbonisés et des débris de chair et d'ossements, un certain nombre de corps rendus méconnaissables par l'action du feu.

L'autre fosse fut creusée dans un petit jardin voisin du garage Denis. Ce garage, qui fait le coin de la rue principale du bourg et de la petite route de Dieulidou, est l'un des six bâtiments où furent enfermés et massacrés les hommes d'Oradour ; on trouve dans ce charnier des ossements et débris humains plus ou moins calcinés correspondant à une trentaine de cadavres ; un seul à pu être identifié, celui de M. Desourteaux père, Président de la Délégation spéciale. Il avait été tué de deux balles dans la poitrine ; son portefeuille avait été traversé par les projectiles : cela semble indiquer qu'il ne subit pas le sort commun des victimes de cette remise, mais qu'il fut abattu séparément, peut-être le premier, à la suite de ses protestations.

C'est aussi dans la matinée du lundi que les Allemands enterrèrent dans les champs la plupart de ceux qui avaient été abattus aux alentours du bourg.

En se retirant, les soldats qui constituaient ce détachement d'arrière-garde tirèrent des rafales de mitraillettes dans la partie basse du bourg. Ils repartirent par la route de Limoges, qui pouvait également les conduire à Nieul.

On devait se rendre compte, après leur départ, qu'ils avaient achevé le pillage. Dans l'église, déjà profanée par le massacre, ils n'avaient pas hésité à forcer le tabernacle pour s'emparer des vases sacrés. Voici le texte du rapport de l'Évêché de Limoges (pièce n° 29) :

Le lundi matin, les S. S. reviennent et font disparaître des quantités de cadavres dans de grands trous creusés en hâte.

Le lundi soir, M. le Chanoine Duron, curé-doyen de Saint-Junien, se rend à Oradour. Je suis entré dans l'église, dit-il, pour recueillir la Sainte Réserve. Le matin même, le tabernacle qui la contenait, épargné par l'incendie, avait été brisé et le ciboire emporté. Je n'ai pu savoir ce qu'étaient devenues les hosties qu'il renfermait. Lorsqu'il eut connaissance de ces faits, Mgr. Rastouil, évêque de Limoges, écrivit au général Gleiniger, commandant la Verbindungstab de Limoges, une courageuse lettre de protestation dont nous extrayons le passage suivant (pièce n° 29) :

Vous comprendrez ma douloureuse indignation quand j'apprends que l'église d'Oradour-sur-Glane a été souillée par l'exécution dans ses murs de centaines de femmes, de jeunes filles, d'enfants et profanée par la destruction du tabernacle et l'enlèvement du ciboire consacré.

La responsabilité de ma charge me fait un devoir de rechercher s'il serait possible de savoir ce que sont devenus les vases sacrés pris dans le Tabernacle d'Oradour-sur-Glane et de les récupérer, non point tant par leur valeur que pour ce qu'ils contenaient : les hosties consacrées.

Il est évident que les S.S. n'en étaient pas à un sacrilège près.
L'instinct de rapine est si développé chez les troupes allemandes que les officiers envoyés quelques jours plus tard par la
Kommandantur de Limoges pour enquêter à Oradour ne purent eux-mêmes résister à la tentation et firent main basse sur toutes
les volailles qu'ils purent trouver. Et le 19 juin encore, les équipes de secours faillirent se voir enlever leurs bicyclettes ; voici, d'ailleurs quelque peu abrégé, le récit du Dr Bapt (pièce n° 28) :
À l'entrée du bourg, je me suis trouvé en présence de trois camions allemands, le premier armé d'un fusil-mitrailleur en batterie. Deux sentinelles gardaient la route. Une dizaine de soldats armés de mitraillettes entouraient l'abattoir, tandis que quelques autres démontaient roues et pneus d'une des deux seules voitures qui avaient échappé à l'incendie. Après avoir montré mon ausweis et fait vérifier mon identité, je pus pénétrer dans le bourg...
Là, M. Fichaud, m'apprit que les soldats allemands chargeaient dans leurs véhicules plusieurs bicyclettes appartenant à nos hommes. Après explications, il put les faire restituer. Au bourg, les équipes avaient cessé leur travail et s'étaient dispersées dans la campagne. Elles vinrent me rejoindre au cimetière... C'est alors qu'on entendit une quinzaine de coups de feu... Les Allemands tiraient sur des animaux de basse-cour échappés dans les champs.

Petits incidents, il est vrai, auprès des horreurs qui avaient ouvert ce cycle de pillages.

Les constatations officielles, retardées par le refus des permis de circuler (pièce n° 30), ne purent commencer que le lundi 12 juin dans l'après-midi : c'est alors que se placent la visite à Oradour du Sous-Préfet de Rochechouart, celle du Doyen de Saint-Junien et celle d'un envoyé spécial des F.F.I. (pièce n° 31). Le lendemain donc, le mardi 13 juin, l'évêque de Limoges, Mgr Rastouil, put se rendre à Oradour, avec le Préfet régional, le Préfet-Délégué de la Haute-Vienne et le Sous-Préfet de Rochechouart, déjà venu la veille (pièces nOS 29 et 30).

C'est aussi ce jour-là que les premières équipes de secours se mirent à l'ouvrage :

Le mardi 13 juin et dans la matinée du mercredi 14, une équipe composée de cantonniers et de personnes de bonne volonté de Saint-Victurnien était venue relever les cadavres. Trente-cinq, très exactement, furent retirés des décombres par leurs soins. En outre, d'autres victimes furent relevées et transportées ce même jour par les habitants des villages voisins (pièce no 28). Suit l'indication des emplacements où avaient été retrouvés ces cadavres.

Le 14 juin, au début de l'après-midi, le Dr Bapt, Médecin-Inspecteur de la Santé, arrivait de Limoges avec une vingtaine de secouristes appartenant à des équipes d'urgence de la Croix-Rouge. Il devait revenir le lendemain avec un personnel beaucoup plus important.

Voici des extraits de son rapport (pièce n° 28) :

Conformément aux instructions qui ont été données et avec l'autorisation des Autorités allemandes (ausweis n° 11 en date du 14-6-44 du Général-Major), je me suis rendu avec mon adjoint le Dr. Benech à Oradour-sur-Glane, afin de faire procéder à l'inhumation des victimes, à l'enfouissement des cadavres d'animaux, et en vue de prendre toutes mesures de salubrité utiles...

Nous nous rendîmes... le 14 juin dans l'après-midi à Oradour-sur-Glane... Ce premier jour, 4 cadavres ont été retrouvés, l'un devant la boulangerie Bouchoule. Il s'agit d'un homme dont il ne restait que la tête et le tronc calcinés, les bras et les jambes ayant été complètement carbonisés. Un second, dans la grange de Mme Laudy, tronc et tête calcinés, jambes et bras carbonisés, cadavre de femme reconnu par un de ses parents, pour être celui de Mme Desbordes. Enfin, dans le jardin de Mme Laudy, à proximité de la grange dont nous venons de parler, un cadavre de femme et un cadavre d'homme tués par les projectiles, légèrement calcinés, très reconnaissables. La femme est une réfugiée lorraine, identifiée par M. Desourteaux ; l'homme, M. Thomas, boulanger. Ces cadavres ont été placés dans des cercueils et inhumés dans le cimetière...

Le jeudi 15, un train de la C.D.H.V. nous ramenait à Oradour avec les équipes des divers services, soit au total 149 hommes.

Il y avait là des équipes de déblaiement, accompagnées de fonctionnaires des Ponts et Chaussées, les équipes d'urgence de la Croix-Rouge, un grand nombre de séminaristes, accompagnés d'un Directeur du Grand Séminaire, et des équipes de jeunes de la Défense Passive ou de divers groupements. Les deux assistantes sociales de Saint-Junien et les services de l'Inspection de la Santé participaient à l'encadrement de ces équipes de sauveteurs ; le Secours National en assurait le ravitaillement.

Les mesures à prendre étaient considérables : établissement d'un service d'ordre, déblaiement des ruines, prospection et récupération des valeurs ou des objets précieux, exhumation et éventuellement identification des cadavres, puis transfert au cimetière et inhumations, mesures de désinfection, enfin incinération et enfouissement des nombreux cadavres d'animaux.

Ces travaux remplirent les jeudi 15, vendredi 16, samedi 17, lundi 19 juin. Les équipiers chargés de relever les cadavres et de recueillir les restes humains étaient munis de masques imbibés d'essence d'eucalyptus, pour combattre l'odeur nauséabonde qui était rendue plus pénible encore du fait de l'extrême chaleur...

Chaque soir, à 17 h. 30, une absoute était donnée sur la grande fosse commune. Tous les hommes, abandonnant leur travail, y assistaient et apportaient quelques fleurs cueillies dans les jardins de ceux qui n'étaient plus.

Au cours de ces travaux de déblaiement, aucun engin incendiaire ne fut retrouvé ; par contre on trouva des douilles en grand nombre. Mais deux découvertes faites dans la campagne, aux abords du village, présentent un intérêt particulier.: ce sont, d'une part, une enveloppe postée à Kustrin et adressée à un S.S. Panzer grenadier du Régiment responsable du massacre d'Oradour (Feld-Post n° 15.807 D) ; cette enveloppe a été trouvée par Mme Léglise, dans le chemin du village des Bordes, le 15 juin 1944, auprès de deux cadavres déterrés d'hommes paraissant avoir respectivement 45 et 75 ans (pièce n° 15). L'autre trouvaille a été faite par M. Jean Villoutreix, domicilié à La Berthe, commune de Saint-Auvent. Il a fait la déclaration suivante (pièce n° 9) :

Je certifie avoir découvert, le 16 juin 1944, dans le champ de blé de M. Belivier, demeurant aux Bregères d'Oradour-sur-Glane, une sacoche ayant appartenu à un soldat allemand qui a dû l'oublier ou la perdre le jour du draine d'Oradour-sur-Glane.

Je déclare sur l'honneur que cette sacoche verte contenait :

1° Une toile imperméabilisée verte ;

2° Une carte routière Michelin, sur laquelle étaient tracés au crayon divers itinéraires avec tous les noms des grandes villes, des indications de dates ;

3° Des cartes postales au nombre de 8, dont une écrite à la main et destinée à être expédiée en Allemagne et dont une autre portait une date (traduction en français) ;

4° Diverses lettres que j'ai brûlées.

Cette sacoche est maintenant conservée parmi les pièces à conviction au Service des Crimes de Guerre du Ministère de l'Information. Le Secteur Postal indiqué sur la carte postale écrite est le même que celui de l'enveloppe trouvée par Mme Léglise (15.807 D); et la carte Michelin renseignée est précieuse par les itinéraires qu'elle porte. Tous ces documents auront leur rôle à jouer dans l'identification des auteurs du massacre.

LES DESTRUCTIONS

La statistique en a été établie comme suit, par le Maire-Délégué d'Oradour (pièce n° 35).

Total

Maisons d'habitation 123

Ateliers 26

Garages particuliers et autres 19

Remises 35

Granges 40

Hangars 58

Magasins 22

Ecoles 4

Gare 1

Cela représente la totalité du bourg et des hameaux de la Bregère et de Puygaillard, plus un certain nombre de maisons et de fermes isolées.

LES RESCAPÉS

Le rapport de gendarmerie (pièce n° 1) nous fournit des chiffres approximatifs.

Sur 60 rescapés, 40 étaient absents du bourg, les 20 autres se sont cachés dans les broussailles, aux abords des habitations, ou se sont enfuis !...

Nous savons que 24 personnes très exactement ont pu se cacher ou s'enfuir. En voici la liste :

1° Ont survécu aux divers massacres Mme Rouffanche rescapée de l'église, (pièce n° 2) ; MM. Borie rescapé de la remise Laudy ;

Broussaudier (pièce n° 22) ;

Darthout (pièces nos 6 et 7) ;

Hebras

Roby (pièces nos 3 et 4).

2° Ont réussi à s'enfuir :

Un groupe de 5 personnes : le mari, la femme, les deux enfants et une dame amie ;

Un groupe de 3 personnes : Mlles Pinède et leur jeune frère, le petit Godfrin, M. Machefer.

3° Ont réussi à se cacher :

MM. Belivier ; Brissaud ; Cremoux ; Desourteaux Hubert ; Doutre ; Lauzaret ; Litaud ; Senon Armand.

Parmi ceux qui avaient la chance d'être absents d'Oradour, on peut citer. :

Mme Montazeau, femme du notaire et sa fille à Limoges ;

Mlle Compain, fille du pâtissier à Limoges ;

MM. Barde, carrier travaillant hors d'Oradour ;

Darthout, Aimé à Limoges ;

Deglane, sabotier à Cieux ;

Descubes en famille près de Javerdat ;

Desroches absent d'Oradour ;

Desvignes, boucher à la foire de Saint-Victurnien ;

Hebras, père travaillant près de Veyrac ;

Hyvernaud dans sa propriété, près de St-Gence ;

Leblanc, Eugène à Limoges ;

Pister, électricien au dépôt de l'Aurence ;

Redon, Émile à Limoges ;

Senon, Gabriel, facteur en tournée.

Mais cette dernière liste est évidemment très incomplète.

BILAN

Les victimes.

Le 14 juin 1944, prenant acte du massacre d'Oradour-sur-Glane, le général von Brodowsky inscrivait sur le journal de marche du Hauptverbindungstab, n° 588 (pièce n° 39) le chiffe de 600 morts. Ce chiffre est très inférieur à la réalité.

Dès le mois de juin 1944, les estimations officielles françaises les plus modérées (pièces n° 30 et 33) étaient de 800 à 1.000 morts ; et actuellement M. Moreau. Maire-Délégué d'Oradour, considère que le nombre des victimes du massacre a dû être de 850 environ. Ce chiffre concorde avec les approximations que nous avons rencontrées au cours du récit : au témoignage de M. Darthout (pièces n° 6 et 7), plus de 200 hommes se trouvaient rassemblés sur le Champ de Foire, après le départ pour l'église du groupe des femmes et des enfants ; d'autre part, les constatations effectuées dans l'église établissent que plus de 500 personnes y avaient été entassées (pièce n° 29) ; on arrive ainsi à un total nettement supérieur à 700, auquel il faut encore ajouter les nombreux assassinats isolés dont le village et ses alentours ont été le théâtre.

M. Moreau a d'ores et déjà relevé les noms de 635 victimes : 52 dont les corps ont été identifiés et pour lesquelles un acte de décès a été dressé ; 583 portées disparues à la suite du massacre d'Oradour.

Nous publions en appendice ces deux listes officielles. On peut ajouter quelques précisions numériques. Pour les seuls habitants du bourg, le Procureur Général de Limoges donne les chiffres suivants ;

Sur une population totale de 405 habitants en 1944 (y compris les réfugiés lorrains).

Victimes 357

Rescapés 48

On sait par ailleurs (pièce n° 1) que 54 réfugiés lorrains sont, au nombre des victimes.

M. Rivet, relevait sur deux portes commandant deux pièces différentes au premier étage de sa pharmacie :

1re porte 4 5 cha

3 KP

2e porte 7 5 cha 3 KP

Il a ajouté que ces inscriptions avaient été posées le 9 juin 1944 dans l'après-midi, par un officier allemand accompagné d'un interprète parlant bien le français. Ces deux hommes le réveillèrent dans la nuit du 10 au 11 juin 1944, pour lui demander de leur indiquer la route de Chamboret, premier village après Nieul dans la direction de Bellac (pièce n° 17).

Les Services de Renseignements français et alliés ont permis de préciser à quel régiment cette compagnie appartenait ; et toutes confirmations à cet égard ont été apportées par l'interrogatoire de deux déserteurs provenant de la 3e compagnie du régiment der Fuhrer (pièce n° 44). Ils ont même précisé quel avait été le rôle de chaque section.

En arrivant, le Commandant fit placer autour du village les hommes de la 2e section à laquelle j'appartenais. Les 1re et 3e sections entrèrent à l'intérieur du village.

Aucun doute n'est donc possible sur l'identification de l'unité.

On a pu, d'autre part, reconstituer partiellement l'itinéraire de ce 1er bataillon dans la région limousine. Venant, semble-t-il, de la Dordogne (pièce n° 1), ce bataillon se trouvait le 9 juin à Rochechouart et à Saint-Junien ; le 11 juin, il cantonnait partie à Saint-Junien et partie à Nieul ; le 12, à la fin de la matinée, il faisait mouvement vers le nord, en direction de Bellac. Cela nous donne, pour la période du 9 au 12 juin, un axe général de marche sud-nord passant à l'ouest de Limoges. On sait, par ailleurs, que le 2e bataillon du même régiment, remontant de la Corrèze, cantonnait à Limoges les 10 et 11 juin et quittait la ville le 12, en direction de Poitiers. Au moment du sac d'Oradour, le P.C. de la division das Reich était établi à l'hôtel Central à Limoges pièce n° 32).

Il est pratiquement impossible de reconstituer le détail des déplacements effectués par les diverses unités de ces deux bataillons, car il semble que chaque compagnie ait suivi un itinéraire particulier et que toutes les petites routes aient été sillonnées.

De plus la division Das Reich avait reçu mission de patrouiller dans toutes les régions qu'elle traversait, pour réprimer l'action du maquis ; des détachements rayonnaient sans cesse autour de leurs points de cantonnement. Enfin, les différentes unités assuraient leur liaison par véhicules isolés ou par motocyclistes. L'extrême complexité de tous ces déplacements a amené certaines confusions, qu'il faudrait pouvoir tirer au clair. En voici quelques données probables.

Tout d'abord on sait que pendant l'après-midi du 10 juin 1944, la 3e compagnie restait en liaison avec Saint-Junien et avec Limoges : un motocycliste, dont on a le signalement, aurait fait l'agent de liaison entre les troupes opérant à Oradour et celles eu stationnement à Saint-Junien (pièce n° 1) ; la liaison avec Limoges est d'autre part attestée par Mme Loustaud, habitant près de la gare de Veyrac, à 4 kilomètres d'Oradour-sur-Glane. Elle déclare, en effet, avoir vu le 10 juin, vers 19 heures, deux véhicules automobiles allemands qui, venant d'Oradour, ont pris la direction de Limoges ; elle les a vus revenir à Oradour le même soir, vers 20 heures (pièce n° 23). Il semble même que toute la compagnie n'ait pas cantonné à Nieul le 10 juin au soir : si l'on en croit le témoignage des deux déserteurs (pièces nos 00 et 00), la 2e section, qui n'avait pas participé activement au massacre, aurait été renvoyée à Saint-Junien dès la fin de l'après-midi, aurait passé là toute la journée du dimanche et n'aurait quitté Saint-Junien que le lundi matin ; seules les équipes de massacreurs de la Ire et de la 3e section auraient été à Nieul. Il est possible que le Commandement ait jugé bon de séparer pendant quelque 36 heures des éléments qui, n'ayant pas eu à jouer le même rôle, n'étaient pas dans les mêmes conditions psychologiques. Toujours est-il qu'une étroite liaison est confirmée entre Nieul et Saint-Junien dans la journée du dimanche 11 juin : M. Lévêque, brasseur à Saint-Junien, fut requis avec son camion pour transporter de la troupe à Nieul ; il conserve son laissez-passer dont voici copie (pièce n° 1) :

Service F. P. N° 15.807 A Bataillon le 11-6-44

ATTESTATION

à Monsieur LI:VT UE Joseph, carte d'identité n° 39, à qui il est certifié qu'il ait le 11-6-44, après exécution de son transport avec sa voiture Hotchkiss n° 6186-ZL3 à libérer pour son retour à son domicile à Saint-Junien.

Signé : L. AUGER

S. S. Oberstammführer et Adjoint (Il porte le cachet de cette unité).

Un second point semble établi : c'est que les S.S. revenus à Oradour le lundi matin 12 juin, pour procéder au déblaiement des cadavres, n'appartenaient pas à l'unité responsable du massacre. Dans ces conditions, rien ne prouve que les objets découverts à Oradour les 15 et 16 juin - l'enveloppe postée et la sacoche de sous-officier - ne proviennent pas tout simplement de cette équipe de fossoyeurs. On se souvient que la sacoche trouvée par M. Villoutreix contient une carte Michelin renseignée, portant au crayon des itinéraires et des dates. Or, ces renseignements ne cadrent pas avec ce que nous savons des déplacements de la 3e compagnie ; par contre, ils semblent concorder avec ce qu'on peut reconstituer de l'itinéraire du 2e bataillon, qui était encore à Limoges, dans la journée du 12 juin. La conférence tenue dans la matinée du 12 entre les Chefs de la Gestapo de Limoges et le Chef du 2e bataillon (pièce n° 32) aurait eu lieu à la suite de ces premiers travaux de déblaiement, sans doute pour rendre compte de leur insuffisance et de la nécessité où l'on serait de recourir aux services français de Santé. Ajoutons que le détachement venu le 12 juin au matin à Oradour est reparti par la route de Limoges. Tout cela semble indiquer que les équipes allemandes de déblaiement - qui ont d'ailleurs poursuivi le pillage et fracturé le tabernacle - appartenaient au 2e bataillon du régiment der Führer et nullement à la Compagnie qui avait opéré le 10 juin.

Il reste un dernier point : les rapports allemands qui font mention des mesures de représailles exercées dans la région limousine (pièce n° 42) et qui datent des 13 et 17 juin, émanent du 19e S. S. Polizer régiment, dont le 2e bataillon occupait la caserne Marceau à Limoges. On sait que ce 2e bataillon opérait alors dans le nord du département ; il était à la Souterraine les 8 et 9 juin. Il est fort peu vraisemblable qu'il ait fourni des renforts à la 3e compagnie du régiment der Fuhrer pour l'exécution du massacre d'Oradour.

L'effectif d'une compagnie suffisait largement. Par contre il est possible que ses dépôts aient fourni du matériel de destructions (plaquettes incendiaires ou autres) que les deux camions partis d'Oradour vers 19 heures auraient rapporté de Limoges une heure plus tard.

Il est clair que tous ces détails ne changent rien à la question et que l'identification des auteurs du massacre reste établie sans discussion possible.

II. - Les prétextes du massacre.

Il semble que les autorités allemandes n'aient eu aucun prétexte sérieux à invoquer, car leurs déclarations officielles sont vagues et se contredisent : à la date du 11 juin 1944, le général von Brodowsky enregistre simplement la destruction du village (pièce n° 39).

11-6-44 (page 40). - La situation reste incertaine dans la région de Limoges. Au cours d'une action de la troupe, le 10 juin 1944, la localité d'Oradour-sur-Glane (31 km. S.-O. de Limoges) fut réduite en décombres et en cendres.

À la date du 14 juin, il invoque un incident qui aurait eu lien à Nieul et que rien n'a confirmé (même pièce).

14-6-44 (page 54). - Une communication téléphonique en provenance d'Oradour (30 km. S.-O. de Limoges) signale ce qui suit : 600 personnes furent tuées. Un Untersturmführer de la S. S. Pz. Div. Das Reich avait été fait prisonnier à Nieul (8 km. N.-O. de Limoges). Il put s'enfuir. L'on trouva les lettres d'un Oberzahlmeister. (trésorier) et des traces de mauvais traitements. Toute la population mâle d'Oradour fut fusillée. Les femmes et les enfants se réfugièrent dans l'église. L'église prit feu. Des explosifs étaient entreposés dans l'église. Toutes les femmes et les enfants trépassèrent.

De son côté, le général Gleininger, chef du Verbindungstab de Limoges, élaborait une version quelque peu différente. Voici ce qu'en dit le rapport du Préfet-Régional de Limoges (pièce n° 30) :

12 juin. - ...J'ai pu constater que le général ne semblait avoir qu'une connaissance très imparfaite des événements d'Oradour-sur-Glane, et il marqua d'ailleurs son étonnement et son émotion en ma présence et m'exprima sa réprobation.

13 juin au soir. - Selon la version allemande, qui m'a été exposée par un représentant du S. D. venu recueillir le témoignage de ma visite à Oradour, un attentat aurait été commis aux abords du village. Un officier allemand et son chauffeur auraient été capturés par des éléments du maquis, puis molestés à travers le village, notamment par les femmes, qui leur auraient lié les poignets avec des fils d'acier. Conduits ensuite sur le lieu de l'exécution, l'officier allemand se serait enfui, tandis que le chauffeur aurait été tué.

L'officier serait revenu à Limoges et provoqua une expédition punitive (Strafkommando) à laquelle il aurait pris part.

Aucun témoignage n'a pu établir la véracité de ces faits ; et même s'ils étaient exacts, ils ne pourraient en aucune façon justifier un aussi abominable carnage.

Dans sa note au Commandant allemand, le général Bridoux fait ressortir la diversité des prétextes invoqués (pièce n° 33).

Aucun témoignage français n'a pu confirmer ces faits, qui paraissent d'ailleurs ne pas concorder avec les déclarations des chefs du kommando de S.S. lors de son arrivée dans le village, et selon lesquels une délation aurait signalé des dépôts d'explosifs, dont l'existence n'a d'ailleurs pas été confirmée non plus.

On peut remarquer qu'aucun document français ni allemand ne fait mention d'incidents survenus à Oradour-sur-Vayres ni d'une erreur de répression. La thèse de la méprise, qui a été répandue en France et dont la presse étrangère s'est fait l'écho, apparaît donc sans fondement. Il est cependant aisé d'en déceler l'origine. Il suffit de se reporter aux deux citations que nous avons faites du Journal de marche de von Brodowsky. Toutes deux portent la même erreur : il inscrit Oradour-sur-Glane, mais il donne les coordonnées d'Oradour-sur-Vayres : 31 kilomètres sud-ouest de Limoges ; alors qu'Oradour-sur-Glane est à 22 kilomètres nord-ouest de Limoges. Il y a donc bien eu méprise, mais uniquement dans l'esprit de von Brodowsky, lorsque le renseignement lui a été transmis ; il a commis, après coup, une erreur de localisation.

S'emparer de cette erreur réelle, la transporter aux origines du drame et bâtir là-dessus toute une théorie susceptible de réhabiliter plus ou moins le commandement allemand : l'occasion était inespérée pour une propagande aux abois, qui ne prétendait plus qu'à trouver une position de retraite.

Car les informations étaient de plus en plus précises et irréfutables, rien ne s'était jamais passé à Oradour-sur-Glane qui pût justifier la moindre représaille. Cela ressort de tous les témoignages et de tous les documents : déposition de M. Darthout, compte rendu F.F.I., protestation de l'évêque de Limoges, protestation du Préfet Régional :

Je tiens à souligner que le village d'Oradour était une des communes les plus tranquilles du département et sa population laborieuse et paisible, connue par sa modération (pièce n° 30).

L'unanimité est absolue sur ce point. Et ce qui est particulièrement précieux ce sont les attestations formelles des autorités militaires F.F.I. qui dirigeaient les opérations du maquis en Haute-Vienne. Au terme d'une longue enquête, le Colonel Rousselier, Commandant la 12e Région Militaire, à Limoges, a pu certifier ce qui suit :

...Il n'y a eu ni engagement contre des formations allemandes, ni attentat contre des soldats allemands sur le territoire de la commune d'Oradour-sur-Glane.

D'autre part, nous n'avions ni camp, ni dépôt d'armes ou d'explosifs dans cette commune.

Les excuses présentées par le général Gleiniger à Mgr. Rastouil, la désapprobation exprimée au Préfet Régional, suffiraient d'ailleurs à prouver que le massacre n'avait aucune raison valable.

Et pourtant il semble qu'on en connaisse maintenant la cause, si lointaine et si ahurissante qu'elle puisse paraître car cette cause est tout le contraire d'une justification. Voici donc, si l'on en croît la déposition de l'un des déserteurs, comment les choses se seraient passées (pièce n° 44).

...À environ 15 kilomètres d'Oradour-sur-Glane, nous avons été attaqués par des maquisards. Ils avaient placé des barrages et des mines sur la route, ce qui fit quatre blessés dans les rangs des S.S. Ils nous tirèrent également dessus avec leurs F.M.

Le Commandant D... décida alors que le premier village qui serait traversé subirait les représailles.

Le premier village fut Oradour-sur-Glane.

L'autre déserteur était resté en panne avec son camion à une trentaine de kilomètres de là. Après avoir été réparé, le camion est reparti pour rejoindre la colonne. C'est ainsi que nous sommes passés sur la route nationale en face d'Oradour-sur-Glane qui était en feu. Mes camarades de camion et moi nous ne savions pas ce qui s'était passé...

Ainsi à une quinzaine de kilomètres au sud d'Oradour et sans doute assez près de Saint-Junien, il y a eu un incident : route minée, quelques blessés. Le chef de détachement décide aussitôt des représailles. On aurait pu croire qu'il se lancerait à la poursuite des assaillants ; mais ce n'est pas la méthode allemande : il est trop dangereux de s'en prendre au maquis ; il décide de détruire un village. Rechercher le village le plus proche, celui sur le territoire duquel l'incident avait eu lieu, et l'anéantir, ç'eût été une de ces monstruosités dont seuls les Allemands sont capables : 800 morts pour 4 blessés ; du moins cette monstruosité eût-elle comporté une certaine logique dans le raisonnement ; il y aurait eu lien, sinon proportion, entre la cause et l'effet. Mais non : le détachement poursuit - planmäzig - son itinéraire prévu ; et c'est le premier village qu'il rencontrera, qui sera voué au massacre. Pendant 15 kilomètres, quelques hameaux, mais aucun village qui vaille la peine ; enfin, voici un village, un vrai village : c'est Oradour-sur-Glane ; la 3e compagnie entre en action. Voilà ce qu'on peut appeler de la méthode. !

Les ordres de représailles.

L'anéantissement d'Oradour ne prend son sens que lorsqu'on le replace au sein de la vaste politique de répression que, depuis des mois, poursuivait le Haut Commandement allemand, à travers tout le Centre et le Sud-Ouest de la France. Venant au terme d'une longue série de massacres et d'assassinats de moindre envergure, Oradour apparaît comme le couronnement d'une politique et d'une méthode de domination. La division das Reich était particulièrement entraînée à ce genre d'exploits : depuis trois mois bientôt, spécialisée dans la lutte contre le maquis, elle se préparait peu à peu à l'accomplissement de son chef-d'œuvre.

Sur la période qui précède, nous avons le récit impressionnant d'un déserteur appartenant à une autre compagnie que celle d'Oradour, mais habituée aux mêmes méthodes (pièce n° 40).

En opérations, les officiers ne portent pas les galons, ne voulant pas se faire reconnaître. Ils tirent comme les simples soldats.

Nous faisons le nettoyage autour d'Agen dans un rayon de 70 kilomètres. Les habitants de plusieurs petits villages sont fouillés et massacrés ; les officiers violent les plus jeunes femmes ; les soldats sont fouillés après les opérations par les officiers qui s'emparent des bijoux ; les objets précieux sont volés, le bétail est ramassé par le ravitaillement de la division (les transports venant d'Allemagne étant coupés).

Voici maintenant le genre d'incidents qui se répète chaque jour :

À 150 kilomètres d'Agen, en passant dans un petit village de douze maisons, une femme de 30 à 35 ans, à sa fenêtre, regarde passer les S.S. Voyant un camion arrêté sur le bord de la route, le commandant de la compagnie fait stopper son convoi. On interroge cette femme. Y a-t-il du maquis ? - Non. - À qui est ce camion ? - Je ne sais pas. Sans en demander davantage, les soldats la déshabillent, la frappent avec des matraques et, saignant de tout son corps, la pendent à un arbre.

Après une visite au camion Berliet appartenant au maquis et chargé de ravitaillement, les soldats S.S. reviennent près des maisons. C'est là qu'un vieillard tient un garçon de 5 ans par la main. Le petit garçon, questionné, ne sait quoi répondre. Il reçoit un coup de matraque et dit : Il y a peut-être une arme à la maison. Le grand-père déclare : Je ne possède pas d'arme à la maison. Deux soldats le saisissent, pendant que les deux autres le frappent avec des matraques. Pendant ce temps une cinquantaine de camarades pénètrent dans la maison et découvrent un fusil-mitrailleur anglais et une caisse de munitions (chargeurs demi-lune). Alors, redoublant leurs coups, ils finissent de tuer le vieillard. Après avoir mis le feu au camion et à la maison, le kommandeur donne l'ordre de partir ; un coup de feu part, et le petit garçon a cessé de vivre...

Après avoir roulé, nous arrivons à l'entrée d'une petite ville (6.000 habitants). Un vieil homme et une vieille femme, nous voyant arriver, veulent rejoindre leur domicile. Ils ne peuvent pas : un officier S.S. ouvre le feu et les deux personnes tombent sous les balles.

Arrivé au milieu de la ville, le convoi s'arrête devant une grande maison où flotte un drapeau tricolore. Le commandant de la 2e compagnie fait ouvrir le feu sur la façade de la maison et fait sortir le patron de l'établissement ; sans même le questionner, l'officier décharge son pistolet-mitrailleur dans la poitrine de cette personne. Il fait sortir tout le personnel de l'établissement et embarque dans une voiture cinq jeunes femmes ou jeunes filles. L'opération terminée, le convoi part en chantant et en tirant dans toutes les rues de la ville. Sortis de cette localité nous tirons sur tous les cultivateurs qui travaillent aux champs ; les vaches, les chevaux, les chiens sont tués au fusil-mitrailleur.

Ils arrivent à Limoges. Le lendemain, à 6 heures, nous partons faire le nettoyage en Haute-Vienne... Tout ce que nous rencontrons sur notre route est tué. Des femmes sont violées, déshabillées et pendues aux arbres. Nous arrivons à Saint-Junien le 6 juin... Le soir, profitant de la recherche de nourriture, je m'évade, ne pouvant plus endurer ces visions !...

6 juin. - Le moment n'est pas quelconque : à la veille du débarquement allié, les ordres de représailles deviennent plus impérieux que jamais : deux documents le prouvent : le journal de marche du général von Brodowsky, Commandant du Haupt-verbindungstab (ou Haut État-Major de Liaison) de Clermont-Ferrand, et deux rapports établis par les Autorités allemandes de Limoges. Voici quelques extraits du premier de ces documents (pièce n° 39) :

3-6-44 (page 24)... L'organisation et la conduite des opérations de nettoyage contre les bandes terroristes est confiée au Général Leutenant von Brodowsky, qui en sera responsable.

6-6-44 (page 30). - Je suis chargé de rétablir l'autorité des forces d'occupation dans le département du Cantal et les régions limitrophes. La lutte contre les bandes armées sera poursuivie par tous les moyens. Il reste entendu que le commandement de la Sipo et du S.D. (Hauptsturmführer Gleitzer) me seront subordonnés.

On notera que le débarquement a seulement fait préciser les décisions prises trois jours plus tôt. Les résultats ne tardent pas. Le 11 juin, le journal de I'H.V.S. 588 prend acte du massacre d'Oradour ; et un mois plus tard, nous trouvons cette autre mention, qui n'est pas sans intérêt :

11-7-44 (page 118). - À Tulle, le 8 juin 1944, la caserne, occupée par le 13/85e Sicherungs Régiment, a été attaquée par des terroristes. Le combat se termine grâce au renfort d'éléments de la Pz. Div. Das Reich (120 habitants mâles de Tulle furent fusillés et 1.000 remis entre les mains du S.D. de Limoges pour enquête.

S.D. est l'abréviation courante pour Sicherheits-Dienst (Service de Sécurité).

Ainsi Oradour est exactement contemporain des événements de Tulle. Furieux de leur échec de Normandie, les Allemands se vengent sur la population française. Malheur à qui se trouve, à ce moment, sur le passage de la trop célèbre division S.S. Das Reich.

La meilleure preuve que de nouveaux ordres avaient été récemment reçus est constituée par les rapports émanant du 2e bataillon du 19e Régiment de Police S.S., bataillon qui avait son centre à Limoges. Le premier de ces rapports daté du 13 juin 1944 a été rédigé par l'État-Major du 2e bataillon.

Une action passagère de la S.S. Panzerdivision Das Reich à Limoges et dans les environs a fait une impression visible sur la population.

Le second rapport, du 17 juin 1944, émane du Commandant de la Kraftstaffel de Limoges :

Moral. - Le commencement des mesures de représailles a provoqué un soulagement sensible et a influencé le moral de la troupe favorablement.

Les ordres ont été exécutés et il n'y a qu'à se féliciter des résultats obtenus : telle est la signification de ces deux rapports.

Quels étaient au juste ces ordres, reçus au lendemain de la prise du commandement par le Général von Brodowsky ? Nous n'en avons pas le texte, ce qui est regrettable, mais il semble qu'on en puisse reconstituer la substance : profiter de tout incident pour faire des exemples terrifiants, provoquer des incidents pour avoir l'occasion d'exercer des représailles. Il suffit, en effet, de voir comment les camarades des S.S. d'Oradour se comportaient à Rochechouart ce même 10 juin, au témoignage du maire de Rochechouart, M. Proust (pièce n° 19)

...Au cours de l'après-midi, les S.S. ont posté des sentinelles sur la terrasse de la promenade des Allées, laquelle domine la campagne d'une hauteur impressionnante. De là, ils ont ouvert le feu sur les gens du pays (hommes ou femmes) qui passaient paisiblement sur les routes ou qui travaillaient dans les champs. C'est ainsi que Mme Brousse, de la Chabeaudie, âgée de 67 ans, qui revenait de faire ses emplettes à la ville, a été tuée. Je me rendis alors au P.C. du Capitaine de S.S. et protestai énergiquement contre cette fusillade. L'officier me répondit sèchement : On ne tire plus. Mais, au même moment, d'autres coups de feu éclataient. Ont été blessés successivement : Mme Duchambon, jeune, qui passait à bicyclette sur la route, et une réfugiée espagnole, ma bonne, qui se rendait à Vabaudis...

...Ces troupes ont laissé aux gens du pays l'impression qu'elles cherchaient à susciter des incidents, dans le but de pouvoir exercer des représailles ; mais la population n'ayant pas réagi selon leurs désirs et étant restée calme, elles sont reparties précipitamment après le carnage d'Oradour, au cours de la nuit du 10 au 11 juin, non d'ailleurs sans proférer les pires menaces de mort et d'incendie.

Les ordres, sans nul doute, venaient de haut. On sait, que, lors de sa capture, le Général von Brodowsky s'est toujours refusé à reconnaître comme criminels les massacres dont il portait la responsabilité : les ordres qu'il avait lui-même reçus l'autorisaient, disait-il, à prendre toutes mesures de répression qui lui sembleraient utiles, pour faire cesser la résistance du peuple français. Or, n'oublions pas que, lorsque l'intérêt supérieur du Reich est en jeu, les Allemands ne reconnaissent plus aucun frein à leur action : tout est désormais justifié...

Exercer des représailles sans lien avec leur prétexte ; frapper au petit bonheur, au hasard d'une ligne tracée sur la carte ; tenir en réserve un petit incident banal, pour faire éclater sa fureur sur le plus innocent des villages, à 15 kilomètres de là ; cela nous semble pure méthode de terreur, c'est pour nous le type même de l'acte gratuit, mais sans doute avons-nous tort. Après quatre ans d'occupation, nous devrions avoir acquis une façon de penser plus saine et plus germanique. Pour un Allemand conscient de ses responsabilités envers l'Europe et la civilisation, c'est un procédé normal de justice : c'est le système des otages vu en plus grand et d'un peu plus haut encore ; c'est le système aveugle de masse et du sauvage apparat des grands sacrifices humains. On tue consciencieusement d'abord, puis joyeusement, puis avec une sorte d'ivresse, tous ceux qui ont eu la malchance de se trouver dans telles limites arbitrairement choisies ; où exerce sa Schadenfreude sa joie de faire le mal. Après quoi, on repart en chantant vers les champs de bataille de Normandie ; on se sent exalté, détaché de la vie - de celle des autres en tout cas, assurément - et le moral de la troupe est plus haut que jamais.

Car telle est cette race d'hommes qui, périodiquement, refleurit sur l'Allemagne, au cours de ces irrésistibles remontées de préhistoire, dont le nazisme n'a été que la manifestation la plus récente. Ce redoutable mystère de l'âme germanique ne mérite-t-il pas un instant de méditation ?