Péri Gabriel
Journaliste et homme politique
né à Toulon (1902-1941)

 

Gabriel Péri

Lettre d'adieu de Gabriel Péri

Dimanche 20 heures

Très chère Amie,

L'aumônier du Cherche-Midi vient de m'annoncer que je serai, tout à l'heure, fusillé comme otage. Ce sera le dernier chapitre du grand roman de cette époque.

Grande amie, veuillez recevoir le dépôt de quelques volontés somme toutes sacrées.

C'est vous qui annoncerez à Mathilde que je suis mort la tête haute. Dites-lui que j'ai eu un repentir : celui de ne lui avoir pas toujours fait la vie sérieuse qu'elle méritait. Mais dites-lui de porter fièrement le voile de veuve.

Qu'elle élève ma petite nièce dans l'esprit où son oncle a vécu.

Voyez très rapidement mon amie [Sofia Jancu]. Qu'elle soit la dépositaire intellectuelle de ma mémoire comme elle a été ma grande conseillère. Je la supplie de me continuer.

Je vous supplie de réclamer au Cherche-Midi les affaires que j'ai laissées. Peut-être quelques-uns de mes papiers serviront-ils à ma mémoire. Que mes amis sachent que je suis resté fidèle à l'idéal de toute ma vie ; que mes compatriotes sachent que je vais mourir pour que vive la France. Une dernière fois, j'ai fait mon examen de conscience : il est très positif. C'est cela que je voudrais que vous répétiez autour de vous. J'irais dans la même voie si j'avais à recommencer ma vie.

J'ai souvent pensé, cette nuit, à ce que mon cher Paul Vaillant­ Couturier disait avec tant de raison, que le communisme était la jeunesse du monde et qu'il préparait des lendemains qui chantent.

Je vais préparer tout à l'heure des lendemains qui chantent.

Sans doute est-ce parce que Marcel Cachin a été mon maître que je me sens fort pour affronter la mort.

Adieu et que vive la France !

Gabriel

(Fusillé le 15/12/1941)

Grâce à la diligence de François Faure, cette lettre parvint à Londres car Sofia tenait à la faire diffuser par la France Libre. Elle fut remise au général de Gaulle par le colonel Rémy et a été lue par Maurice Schumann à la radio. Les radios américaines et russes en ont fait état.

Gabriel Péri    Mathilde Gabriel Péri

Extrait

Tout au long de sa courte existence Péri a, en permanence, relié sa pensée et son action au risque de son confort et ensuite de sa vie. Lorsqu'il est postulant à la députation dans la région d'Argenteuil, personne n'imaginait son élection contre le vicomte de Fels en 1932. D'ailleurs, la victoire du Cartel des gauches coïncide avec un recul du PCF qui n'a que 12 députés dans le pays. Désigné par le parti, Péri attrait préféré la région marseillaise. Ainsi le 1er  mars 1932, Gabriel Péri souligne l'ineptie, selon son mot, de sa désignation à Argenteuil, dans une lettre à Maurice Thorez. Il avait été candidat aux législatives de Toulon en 1928, à une élection législative partielle à Marseille en 1930 et candidat aux municipales dans cette ville eu 1931. Péri remplaça à la Chambre, ancien élu de Seine et Oise, André Marty qui s'était marié avec Pauline Taurinya, la soeur de Mathilde le 10 avril 1924 à Toulouse.

Péri est élu grâce à des circonstances locales favorables. En 1935 la direction du parti l'écarte de la candidature à la mairie d'Argenteuil. Encouragé par Sofia il continue son combat pour les idées de son parti.

Il forge sa propre conception des relations internationales. Il est considéré comme un expert. Ses concepts, ses formules prennent place dans la politique du parti. Elles sont reprises par Thorez et par d'autres dirigeants. Il rédige à leur signature des rapports et des articles de presse. Homme de réflexion, Péri donne du lustre à la politique grâce à son talent d'orateur, son élégance, sa brillance. Grâce au truchement de Sofia il a accès au journaux et aux magazines de la presse internationale.

Déjà en 1932 les rapports de police, le concernant, citent son autorité de langage et ses exposés dénués de toute violence. Le journal local de la droite remarque la grande cohérence de la campagne du PC à la différence " de la manière débraillée du citoyen Marty, le bolchevisme est représenté, dit-il, par un homme bien habillé, un délégué des soviets nouvelle manière ". Il sera réélu brillamment en 1936.

Le climat de l'époque et la tradition communiste inclinaient aux diatribes violentes et les pugilats oratoires contre les socialistes, Péri remet les choses à l'endroit et ne désigne plus les socialistes à la vindicte. Péri s'éloigne de la politique ultra gauche qui avait cours surtout avant le Front populaire. Il se distingue par la tempérance et le sens de la mesure qui seront sa vertu et sa noblesse.

Patiemment à L'Humanité et dans les périodiques français et étrangers auxquels il prête son stylo, Péri dès 1924 forge la poli­tique étrangère du PCF. Il avait le don de projeter sur l'avenir sa vision politique. Les faits seront souvent consacrés par cette aptitude. Cette grande culture, il la mettra naturellement au service des idées reçues de son parti et de l'Internationale. C'est le cas de ses écrits sur la Société des Nations où il sera leur fidèle porte parole. Sans cette correspondance Péri n'aurait pu continuer son travail, sa chute aurait été inévitable.

Plus tard Péri, journaliste, sera accrédité auprès de la SDN, il défendra l'organisation de Genève, ancêtre de l'ONU. L'on peut imaginer qu'il est pour quelque chose dans la modification d'attitude du PCF à son égard. Le Front populaire approche, l'URSS a adhéré à la SDN en 1934.

Pendant les années 1935 et 1936 l'attitude de Péri à la Chambre des députés consistera à défendre la paix sans laisser libre cours au fascisme en Éthiopie, en Italie, en Allemagne, en Espagne. Au prétexte d'une paix illusoire, Munich préparera la guerre. Cette conception lui permettra de prévoir les événements qui suivront, sans délivrer ouvertement sa pensée Péri parle " d'étape " à propos du pacte germano-soviétique. On a vu dans ce livre la réaction qu'il eut après l'agression du 22 juin 1941. Quels sont les sentiments qu'éprouvent les communistes et leurs amis ? Certains de la colère, d'autres de l'incompréhension, d'autres enfin expriment leur approbation puisque le parti leur demande...

Péri ne se laissera jamais enfermer. Le pacte visait à préserver, contre tous autres, les intérêts de l'URSS. Au nom du père, on sait que les enfants sont parfois sacrifiés. On appelle ça sous une autre forme, la raison d'État. En l'occurrence, on foulait aux pieds les idéaux antifascistes partagés par des millions de femmes et d'hommes le 23 août 1939. La Pologne est envahie, la guerre est déclarée le 3 septembre.

La plume et la parole de Péri étaient tiraillées entre une fidélité sincère à sa foi, comme on le voit dans : " Il a vingt ans le parti communiste "  et le libre arbitre de sa pensée. Il n'a jamais composé avec sa conscience. C'est ça, la double fidélité.

Cinquante après sa mort tomberont un à un les murs de l'illu­sion. On ne répondra pas à cette question. Pourquoi les États totalitaires exercent-ils une fascination quasi mystique et religieuse sur de nombreux individus. Ainsi de non moins nom­breux intellectuels français avaient tout accepté de l'URSS, les purges, les procès, les critiques de leurs propres amis restés fidèles, les méthodes de la police secrète. Parce que disait Malraux " le but était le plus haut de tous ". En 1937, Malraux déclarait " pas plus que l'inquisition n'a atteint la dignité fonda­mentale du christianisme, les procès de Moscou n'ont diminué la dignité fondamentale du communisme ". Mais après août 1939, Malraux lui-même ne pouvait accepter ce prix pour " la Révolution ". Ils quittèrent le parti ou le cercle des amis sympathisants : Nizan, Malraux, Prévost, Werth... la plupart des surréalistes, avec fracas ou avec discrétion comme toujours. D'autres avaient quitté ce cercle bien avant, comme Gide.

Au nom de " la classe ", du parti, de la patrie, du bonheur de l'humanité certains ont même. accepté la mort là-bas, d'autres ont résisté, c'étaient les dissidents. Les deux formes de l'effroi ont existé.

La quête du bonheur n'est jamais achevée car le bonheur lui­même est indéfinissable. C'est une marche toujours recommencée vers plus d'équité et de sécurité.

Le système auquel tant d'hommes ont sacrifié leur vie, sans la donner ou en la perdant, s'est avéré être une tragédie souvent sanglante. Dans le goulag.

Pourtant le communisme a produit des femmes et des hommes de qualité et de grand talent. Il y a la cohorte de ceux qui ont agi sans gloire ou plus nombreux encore dans la banalité de la vie quotidienne, le service du parti, c'était en même temps le service des humbles, des sans feu, des sans joie, des gens de peu. Il y a ceux qui ont enrichi notre pays par leurs actes de dévouement, leurs découvertes, leurs écrits, leurs réflexions, les arts, la philo­sophie, et les sciences humaines. Ils n'avaient sans doute pas cru dans le déterminisme politique, social, culturel et scientifique qui dirigea pendant des décennies tout ce qui devait changer les choses, le monde et les hommes. On sait que la marche de l'humanité n'est pas un court et droit chemin, elle prend en compte l'aléatoire et les atavismes de chacun d'entre nous. Le " faisons table rase du passé " a ignoré cette réalité ; on ne peut pas non plus faire le bonheur avec des ukases fussent-ils décrétés par des génies de la pensée unique.

On n'a jamais la société de sa pensée politique, il n'y a pas d'aplatissement du temps passé et du temps présent. Comme le dit Edgar Morin, conservation et révolution sont complémentaires.

Gabriel Péri fut couleur du temps : guerre et paix, enfer et paradis, sérénité et désespoir, espérance et angoisse. Dans La Nuit de Moscou, Aragon dit : " Je porte le soleil dans mon obscurité ". L'histoire n'est pas monocausale, l'histoire d'un homme non plus. Le mythe voudrait conclure un homme. Gabriel Péri apporte son démenti.

L'échec du communisme réside dans le fait que " sa " pensée répudiait l'aléatoire, le passé comme patrimoine, le compromis comme forme d'existence et de vie, la confrontation des hommes et des idées comme source intellectuelle du progrès et du pluralisme. La violence comme instrument de la lutte des classes a abouti au résultat que l'on sait.

Il est donc inutile d'aller à la recherche de " valeurs perdues " comme de s'engouffrer dans l'impasse de l'équivalence entre fascisme et communisme, même si un débat s'est engagé. La première idéologie avait pour objectif clairement exprimé de détruire une partie de l'humanité au nom de l'autre partie, le fascisme partage les gens entre dignes et indignes, entre purs et impurs. Il explique au surplus que c'est là le véritable humanisme. Son " socialisme é s'est très bien accommodé du capitalisme.

La seconde avait pour vocation de libérer l'homme sinon l'humanité.

Ainsi la théorie fasciste était négationniste dès son entrée, le communisme avait l'homme dans son affiche. l'un et l'autre se sont violemment opposés après l'éclaircissement nécessaire auquel des hommes comme Péri ont contribué.

La fin est certes tragique, mais la même fin n'a pas les mêmes causes. Nous rie mourrons pas tous de façon identique.

Péri est mort Il y a soixante ans. Son nom figure sur des adresses en forme de carte de visite, des plaques de rues, de groupes scolaires. Dans sa ville, à Argenteuil, j'ai questionné des jeunes gens dans l'avenue qui porte son nom. Les réponses sont décevantes. Le 15 décembre 1941, les nazis allemands ont assassiné un homme et bien plus. Avec Péri, lis ont assassiné ces journées passées dans les Alpes avec Mathilde sa femme, avec Sofica à Luc-sur-mer au bord de la Manche, ces interminables promenades dans les forêts d'Île de France. lis ont assassiné ces soirées au coin du feu où l'amie intime lui faisait partager son bien-être, celui d'être avec lui. Les Deux Magots, les grands boulevards, le boul'Mich étaient leurs lieux de prédilection. Ils ont assassiné un intellectuel authentique. Ils ont assassiné l'affection et la fidélité que lui vouaient ses électeurs d'Argenteuil. Ils ont tué cette indé­pendance aristocratique de l'esprit.

Gœthe fait dire à son héros : " Et pour sauver ce que vous avez de plus cher, tombez joyeusement comme je vous en donne l'exemple ".