Petite histoire d'Oradour sur Glane
À la mémoire des 642 martyrs, victimes innocentes de l'hitlérisme, de la guerre, et de la cruauté de l'homme.
1
LA RÉGION D'ORADOUR DANS L'ANTIQUITÉ
Oradour dans la Préhistoire.
Les traces les plus anciennes de l'occupation par l'Homme préhistorique de la région d'Oradour, territoire aux limites alors imprécises situe à une vingtaine de kilomètres à l'Ouest de Limoges, entre les Monts de Blond (515 m) et la vallée de la Vienne, consistent en deux haches polies ramassées dans les champs de Masférat et en un beau fragment de poignard trouvé à Chez-Lanie. Ces objets, vieux de cinq à six mille ans, dataient du Néolithique, période dite aussi de la pierre polie, où l'Homme, après avoir été longtemps nomade, vivant de chasse et de pêche, s'est fixé sur le sol.
À la fin du Néolithique, moins de mille ans avant Jésus-Christ, des navigateurs-marchands venus des côtes orientales de la Méditerranée, introduisirent en Europe les techniques de la métallurgie du Cuivre et du Bronze. En 1911, à Mas/crut, qui semble avoir été le site. le plus anciennement habité de la région, un tailleur de pierre découvrit, dans une chataigneraie, cinq ou six haches en bronze.
Mais ces navigateurs-marchands étaient aussi des missionnaires qui apportèrent à nos ancêtres une religion nouvelle, celle des mégalithes, dolmens et menhirs, particulièrement nombreux aux abords des Monts de Blond.
On ne trouve à Oradour ni dolmens, ces monuments funéraires en forme de caveaux, ni menhirs, ces pierres levées dont la destination reste mystérieuse ; mais il en existe tout près, dans les communes limitrophes de Javerdat et de Cieux.
À Javerdat, on connaît le dolmen de Rouffignac, qui se trouve dans une châtaigneraie. Il fut fouillé en 1967 et on y recueillit quelques débris humains (fragments d'os et de dents), des pointes de flèches en silex, quelques écailles de haches polies, des tessons de poterie grossière et une petite perle en stéatite.
À 1.000 m de ce dolmen, on peut voir le menhir le plus remarquable du département de la Haute-Vienne : celui de Cinturat. Sa hauteur au-dessus du sol dépasse 5 m.
À 1.700 m à vol d'oiseau, à l'Est de ce menhir, et à 1 km du dolmen de Rouffignac, on trouve aussi, couché dans l'herbe du communal d'Arnac, un autre menhir dont les trois faces visibles portent un grand nombre de cupules indiquant certainement un usage rituel, mais dont on ignore l'époque. Au début du siècle, la pierre à cupules d'Arnac passait encore pour avoir le don de faire pleuvoir. Il suffisait pour cela, en temps de sécheresse, de la retourner sens dessus dessous.
Il existe enfin, plus près d'Oradour, dans la commune de Javerdat, le menhir de Peyresourde, proche du village du Pic qui tirerait son nom de ce monument, pointu comme un pic à l'époque où il était encore debout, mais qui gît aujourd'hui dans un taillis, brisé en trois morceaux d'une longueur totale de 5,30 m.
Oradour à l'époque gallo-romaine.
À la fin du siècle dernier (1882), l'abbé Joyeux, curé d'Oradour-sur-Glane, découvrit, au Repaire, les vestiges d'un camp dont il n'a pas, malheureusement laissé de description, mais qu'il considérait comme gallo-romain (castrum). Il y a tout lieu de croire qu'il s'agissait plutôt d'une de ces enceintes fortifiées dans lesquelles, vers le IIIe ou IIe millénaire avant J.-C., nos ancêtres, en cas de danger, se réfugiaient avec leurs familles et leurs troupeaux. Ces enceintes sont souvent indiquées sur les cartes d'état-major comme camps de César, probablement parce que les Romains les utilisèrent, beaucoup plus tard, lors de leur passage dans la région.
Les villas gallo-romaines.
En 1889-1890, l'abbé Joyeux, effectuant des fouilles à Orbagnac, sur l'emplacement d'une villa gallo-romaine, mit au jour des briques octogonales, des fragments de poteries, des morceaux de verre, un buste de femme (ou de déesse) brisé, qui faisait peut-être partie de l'autel familial, une pointe de javelot (?) et des figurines en terre cuite blanchâtre, creuses, représentant des oiseaux, des poissons, des animaux, - jouets d'enfant de type classique -, des débris de peintures murales, etc. Il dégagea aussi, près du village du Theil, des pans de murs d'une autre villa et découvrit de nombreux débris de matériaux, notamment des briques à emboîtage (tegulae).
À 1 km plus au Nord, dans un terrain appartenant au Champ-du-Bus, il mit au jour d'autres murailles, une petite lampe en bronze et une hache en silex mêlée à des débris gallo-romains.
Au début du siècle, dans une terre voisine du Moulin du Repaire, adossée à un petit castrant bordant la Glane, deux blocs de granit ressemblant à des bornes furent découverts par le meunier labourant son champ. Il s'agissait cle deux cippes : l'un complet, court, massif mais assez élégant, à peine érodé, fidèle reproduction de l'organe mâle : l'autre, malheureusement brisé, masse arrondie, légèrement aplatie au sommet, représentant peut-être l'organe femelle. On ignore ce qu'ils sont devenus.
Ils sont à rapprocher de celui qui se trouve au pied du clocher de Javerdat, de 1,25 m de haut, en forme de phallus, qui avait peut-être été érigé au-dessus d'un coffre funéraire, soit pour signaler au passant le lieu d'une sépulture, soit pour protéger la tombe contre les puissances mauvaises ou d'éventuels profanateurs, soit encore comme le symbole de la Résurrection, de la Vie ou de la Fécondité.
Enfin, en 1965, à Masférat, on mit au jour une sépulture, datant du IIe siècle. Elle consistait en un coffre cubique en granit, d'environ 0,65 m d'arête, qui contenait une urne en verre ronde, à deux anses, renfermant deux dents et des ossements d'un enfant incinéré.
Souterrain-refuge.
À Laplaud, entre 1920 et 1925, on découvrit dans un champ, à la suite d'un effondrement du sol sous le poids d'un bœuf, au moment des labours, un souterrain-refuge. Un essai d'exploration fut arrêté par des éboulements.
Ces refuges, hérités des Néolithiques et des Lemovices, furent utilisés par intermittences, notamment pendant la Guerre de Cent Ans et jusqu'aux guerres de religion.
II
ORADOUR AU MOYEN ÂGE
La féodalité.
C'est, semble-t-il, au IIIe siècle que, lentement, le christianisme pénétra dans le pays. et plus lentement encore dans les campagnes que clans les villes. Puis, à partir du Ve siècle, ce furent les invasions barbares...
L'autorité de Charlemagne procura au Limousin un demi-siècle de paix. Malheureusement, 'profitant des guerres entre ses successeurs et de l'anarchie générale, les Normands, remontant le cours de la Vienne, incendièrent Limoges en 846 et. vingt ans plus tard, détruisirent l'église et le monastère de Comodoliac qui, relevés de leurs ruines vers l'an 880, donnèrent naissance à la ville de Saint-Junien, à une douzaine de kilomètres d'Oradour.
La monarchie étant impuissante à défendre le royaume contre ces invasions, il se constitua une forme d'organisation politique et sociale que l'on a appelée la féodalité, ou régime seigneurial.
Hérissée de châteaux-forts, semée d'églises, de chapelles, de prieurés, la campagne évolue lentement. Les terres, abandonnées au temps des invasions et surtout des ravages normands, sont de nouveau cultivées. Les défrichements reprennent ; le servage disparaît peu à peu. Dès 1031, le concile de Limoges invite les princes limousins à affranchir leurs serfs et le mouvement s'accélère aux XIIe et XIIIe siècles. Presque tous les paysans deviennent tenanciers libres qui ne sont plus tenus à l'égard des anciens possesseurs qu'au paiement de rentes en nature et en argent, et à l'exécution de corvées destinées à l'entretien de la maison du seigneur et à l'exploitation de la réserve qu'il a conservée. Les villages vont se multiplier. On les reconnaît aujourd'hui à l'article, le, la, les, à la préposition chez qui précèdent leur nom : Le Repaire, La Valade, Les Bordes, Chez Lanie...
Sur la condition des paysans au début du Moyen Âge, les documents sont extrêmement rares. L'on n'en trouve aucun concernant Oradour-sur-Glane, à l'exception de la Chronique de Maleu, prêtre et chanoine de l'église de Saint-Junien qui fut chargé par le Chapitre d'en écrire l'histoire. Dans cet ouvrage terminé en 1316, il est fait état, tout à fait incidemment, d'une villa appelée, en 1181, Deus-y-Do, aujourd'hui Dieulidou, et on y apprend aussi qu'en 1264 la paroisse d'Oradour-sur-Glane - Oratorio supra Glanant - avait pour seigneur le chapitre de chanoines de Saint-Junien.
L'église.
En Limousin, nombre de localités portent le nom d'Oradour. L'Ouradou, en langue limousine, c'est l'endroit où l'on prie. Pour certains auteurs, les oradours - oratoires - auraient pris la place des monuments païens qui se trouvaient presque toujours au point de jonction des voies romaines et auraient joué un rôle funéraire.
Puis, un jour, une église fut bâtie. Celle qui fut incendiée par les nazis en 1944 fut-elle la première ? On n'en sait rien. Quand fut-elle construite exactement ? On n'en sait rien non plus ; mais la partie la plus ancienne de l'église, le choeur, est manifestement du XIIe siècle. Ce n'est que beaucoup plus tard, vers la fin du XVe siècle, après la Guerre de Cent Ans, que la nef et les chapelles latérales seront construites, donnant à l'église la forme qu'elle garde encore.
La principale entrée consiste en une porte très simple donnant accès dans la base du clocher.
De l'église du XIIe siècle, construite en pleine époque romane, subsiste le choeur rectangulaire qui, voûté en berceau, a sur ses murs latéraux, des arcades aveugles en plein cintre (sauf l'ouverture percée dans le mur nord pour accéder à la sacristie). Le mur du fond est droit et percé de trois baies dont celle du milieu est plus large que les autres.
La nef comprend deux travées voûtées d'ogives qui communiquent avec des chapelles latérales par une arcade en plein cintre. Les clés de voûte sont sculptées d'armoiries. On a là un gothique très simple, très sobre.
Deux chapelles se trouvent du côté nord de la nef ; deux autres du côté sud. Inégales et séparées par un mur de refend, elles sont voûtées en berceau. Celles du Nord, les plus remarquables, communiquant largement entre elles, font comme une petite nef latérale. Elles sont voûtées d'ogives semblables à celles de la nef. Les consoles supportant les retombées des nervures sont ornées de quatre figures qui comptent parmi les meilleures sculptures du Limousin. C'est d'abord le chabretaire (joueur de cornemuse) ; puis, trois autres personnages, en costume du XVe siècle. La tête d'un de ces trois personnages est encadrée d'ornements ressemblant aux tuyaux d'un instrument de musique.
Les clés de voûte de ces cieux chapelles sont également très bien sculptées.
À l'extérieur, on remarque qu'à l'inverse des chapelles du Sud, celles du Nord sont soutenues par trois contreforts reposant sur des soubassements établis en gradins. Les deux angles de la façade occidentale du clocher carré sont étayés de contreforts massifs qui se rencontrent d'équerre et supportent des tourelles en encorbellement, véritables échauguettes dont la souche est formée d'assises circulaires en retrait les unes des autres. Il fut vraisemblablement fortifié au XVIe siècle, pendant les guerres de religion, tout comme ceux des paroisses voisines de Peyrilhac, Saint-Victurnien, Blond, etc.
Le mur méridional est percé d'une porte en accolade du style flamboyant ornée d'un écusson.
Par suite d'une forte différence de niveau, le chevet est surélevé sur des caves qui servaient autrefois de resserres. De gros contreforts d'angle qui reposent sur des soubassements en gradins consolident l'ensemble.
À l'intérieur de l'église, on remarquait des autels et des statues que l'incendie tragique du 10 juin 1944 a plus ou moins détériorés, notamment un tabernacle du XVIIe siècle, en bois doré, et plusieurs statues dont celle d'une Vierge, colorée en tons criards, portant sur le bras gauche l'enfant Jésus naïvement modelé, qui paraissait plus ancienne que les autres. Mais la pièce la plus ancienne est, en réalité, une Sainte Anne figurée à mi-corps et de grandeur naturelle, dont le ventre bombé fait prévoir une maternité prochaine.
Le terrible incendie a eu raison de la voûte de la nef et de la toiture du clocher et des tourelles, mais il n'a pu faire disparaître ce témoin des siècles de foi, que les siècles eux-mêmes avaient à peine effrité.
La Lanterne des morts.
La Lanterne des morts d'Oradour-sur-Glane, érigée au centre du cimetière, date, comme le choeur de l'église, du XIIe siècle. C'est une tour à base carrée de 1,20 m de côté. Chacun des quatre angles est orné d'une colonnette qui, tout en adoucissant la dureté de ceux-ci, guide en quelque sorte l'œil vers le sommet. La corniche, à 5,50 m du sol, est ornée sur chaque face de douze crochets sculptés en forme de feuilles stylisées portant l'empreinte du XIIe siècle. La dalle, qui a longtemps servi d'autel au moment des funérailles, est engagée dans la maçonnerie de la face sud. Sur la face est s'ouvre une petite porte, haute de 0,80 m et large de 0,50 m, donnant accès à l'intérieur où, en s'aidant de cavités aménagées pour placer les mains et les pieds, on parvenait au sommet afin d'allumer la lampe à huile qui brûlait toute la nuit pour honorer les morts et les rappeler aux prières des vivants.
C'est qu'en effet, clans la forme primitive, le sommet formait lanterne grâce à quatre petites baies, et ce lanternon était recouvert par une calotte en pierre, En 1773, le vieux cimetière, situé sur la rive gauche de la Glane, fut désaffecté et un nouveau champ des morts fut établi sur l'emplacement actuel. L'on y transporta la lanterne, démontée pierre à pierre. Mais les maçons, ne pouvant ou ne sachant reconstruire le lanternon avec ses quatre baies, le remplacèrent par une pyramide un peu écrasée surmontée d'une croix qui en relève heureusement l'aspect massif. La hauteur du monument qui devait largement dépasser 7 m se trouva réduite à 6,50 m.
La Lanterne des morts d'Oradour-sur-Glane n'en reste pas moins un monument précieux qui fut classé, par décision ministérielle, le 2 février 1926.
L'enclave poitevine.
Vers la fin du Xe siècle, fut créée, avec une partie de la vicomté de Limoges, la vicomté de Rochechouart dont dépendit alors Oradour-sur-Glane.
Dans le courant du XIIIe siècle, Alphonse, frère de Louis IX, reçut du roi en apanage, avec le titre de comte de Poitiers, un grand domaine auquel fut incorporée cette vicomte qui constitua en Limousin une enclave poitevine.
Devenues possessions des comtes du Poitou, les paroisses de cette enclave suivent le sort de la province. Ainsi, par le traité de Brétigny (1361), elles font partie du duché anglais de Guyenne. Elles sont alors à la fois poitevines et anglaises. Elles redeviendront définitivement au royaume de France en 1421 avec le comté du Poitou.
Le représentant du comte de Poitou auprès du roi, le sénéchal, réside à Montmorillon. Oradour-sur-Glane dépend donc de la sénéchaussée de Montmorillon. Plus tard, cette sénéchaussée sera divisée en deux subdélégations ayant pour chefs-lieux Rochechouart et Confolens. C'est cette dernière qui régira Oradour.
Une faible partie de la paroisse restait en Limousin, et l'on pouvait parler d'une enclave limousine en Poitou. C'était le village de Dieulidou. Haut et Bas, le manoir et les domaines du Mas-du-Puv-La Plaud. Entre les deux, Le Repaire et Puygaillard étaient en Poitou.
Cette situation était compliquée et les difficultés qui en résultaient pour les particuliers étaient nombreuses.
Au point de vue judiciaire, les habitants d'Oradour en Poitou étaient régis par le droit coutumier, codification plus ou moins rationnelle des coutumes, ou usages locaux. Ils devaient aller plaider à Montmorillon ou à Confolens, et relevaient du Parlement de Paris ; ceux qui dépendaient du Limousin étaient régis par le droit écrit, système juridique inspiré du droit romain dont l'influence s'était perpétuée dans le Midi, le Sud-Ouest et la majeure partie du Massif Central ; ils devaient aller plaider à Limoges ou à Saint-Junien et relevaient du Parlement de Bordeaux.
De même, pour les impôts, leur assiette et leur perception ressortissaient à des fonctionnaires différents, et, en cas de litige, à des tribunaux également différents.
Aux tribunaux de l'administration vicomtale, comtale ou royale, s'ajoutaient des juridictions d'origine féodale. La châtellenie d'Oradour (seigneurs de Lescours, branche aînée) avait son siège et son juge ; celle de Puygaillard (branche cadette de la même famille) avait aussi ses droits de justice. Le Repaire avait sa petite juridiction dont dépendait le village de Mazenty. En cas d'appel, les justices d'Oradour, Puygaillard et Le Repaire ressortissaient de la justice de la baronnie de Saint-Victurnien.
Le village de La Fauvette constituait une petite commanderie qui avait, elle aussi, sa justice seigneuriale s'exerçant sur quelques hameaux. Le Haut Dieulidou dépendait pour une partie de la justice d'Oradour, pour une autre, de celle de Châteaumorand, fief qui appartint aux princes de Chabanais jusqu'en 1562, date à laquelle il releva de la baronnie de Saint-Junien.
La lèpre.
On ne possède aucun renseignement sur ce qui s'est passé à Oradour pendant la Guerre de Cent Ans, ni sur les épidémies de peste qui se répandirent dans tout le pays à partir de 1348 ; mais on sait que la lèpre, rapportée d'Orient par les Croisés, fut une des plaies les plus cruelles du Moyen Âge et qu'elle n'épargna pas Oradour.
Il existait une léproserie à La Fauvette.
III
Les protestants d'Oradour.
Le grand fait historique du XVIe siècle est la Réforme, cette réaction contre les mœurs du clergé.
Parmi les gentilshommes ayant adhéré à la nouvelle religion, figurent en bonne place les seigneurs d'Oradour, les de Lescours. Leur présence parmi les huguenots eut sans cloute pour heureux effet d'éviter à Oradour les exactions et les pillages que les bandes rivales multipliaient sur leur passage, car aucun document se rapportant aux guerres de religion en Limousin ne fait mention d'Oradour.
L'église réformée d'Oradour était desservie par les pasteurs de Rochechouart. L'exercice du culte avait lieu dans un local appartenant au seigneur. A l'issue du culte public, le consistoire se réunissait pour s'occuper des questions administratives.
À l'approche de la révocation de l'Édit de Nantes, des vexations répétées commencent à désagréger les communautés réformées. Aussi, le consistoire qui se réunissait tous les dimanches, connaît-il une périodicité de plus en plus espacée.
Demeurés saris ministres, sans assemblées régulières, les protestants d'Oradour n'ont pas tous attendu la révocation de l'Édit de Nantes (18 octobre 1685) pour revenir au catholicisme. C'est ainsi que, le 25 mai 1685, Jacques de Lescours, seigneur de La Fauvette, âgé de soixante-douze ans, reçoit, dans l'église, l'absolution du prieur-curé d'Oradour, en présence de nombreux témoins qui ont, eux aussi, renoncé à la religion réformée.
Il ne semble pas toutefois qu'à Oradour la violence se soit exercée ouvertement contre les protestants pour les amener à abjurer. La crainte des garnisaires ajoutée à des amendes répétées, suffisait en général pour faire changer, du moins en apparence, de vieilles croyances religieuses.
Les protestants d'Oradour avaient leur cimetière particulier, dont un plan manuscrit est déposé aux Archives départementales. Un acte de vente passé à Oradour le 2 juin 1839 mentionne également une terre dite du vieux cimetière des huguenots.
Les premières foires d'Oradour (1563).
À la demande du seigneur François de Gaing, quatre foires par an et un marché tous les lundis furent institués par lettres-patentes du roi Charles IX datées du 5 octobre 1563.
Les foires devaient être tenues les 22 janvier, sous le patronage de saint Vincent, 30 avril (saint Eutrope), 26 juillet (sainte Anne) et 4 octobre (saint François). Les foires et marchés ne devaient pas porter tort à ceux des localités situées à moins de 4 lieues de distance, et les ponts, chemins et passages devaient être entretenus afin de faciliter la fréquentation des foires.
À la condition de fournir la halle ouverte, les étaux et les poids et mesures, et de protéger les marchands et autres personnes appelées à fréquenter les foires et marchés d'Oradour, Messire de Gaing fut autorisé, par l'ensemble des délégués des marchands et des représentants choisis dans la masse du peuple réunis en grande pompe le jour de l'inauguration, à percevoir certaines tares sur les commerçants et les marchandises mises en vente.
La Révolution de 1789 enlèvera le privilège des foires et marchés aux seigneurs leur laissant seulement la propriété des bâtiments qu'ils avaient construits. Et encore, seront-ils tenus de les vendre ou de les louer aux municipalités qui en feront la demande.
Oradour au XVIIe siècle.
Comment vivait-on à Oradour au XVIIe siècle, sous les règnes d'Henri IV, Louis XIII et Louis XIV ? En l'absence de documents locaux, on peut seulement supposer que, comme dans tout le reste du Limousin, l'outillage étant rudimentaire, les procédés de culture routiniers, les chemins et les débouchés insuffisants, la vie devait y être très simple, toujours laborieuse, troublée seulement par les disettes fréquentes et la levée des impôts, très lourds.
Il s'est trouvé que les charges écrasantes imposées par les guerres qui se sont succédé de 1688 à 1714, l'accroissement des impôts, la diminution de la population valide, ont coïncidé avec une série de calamités météorologiques. À partir de 1690, on peut dire que la disette sévit en permanence dans le Limousin. En 1713, par exemple, toutes les récoltes - fait unique - manquent à la fois et l'on voit, dans certaines paroisses, des paysans manger de l'herbe, de la racine de Fougère et des glands. Le registre paroissial de Cieux, commune voisine, mentionne, en 1707 la sépulture d'une fillette morte de faim.
Vers la fin du XVIIe siècle, Oradour devait être une localité importante avec ses foires et ses marchés, puisque un bref extrait du registre paroissial, embrassant seulement une période de deux années (1681-1682) et se rapportant à une seule famille, révèle l'existence d'un maître-chirurgien et de cieux notaires, au bourg et à la Fauvette.
En 1688-1689, la paroisse comptait 286 feux.
IV
LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE
Rapport sur l'état de la paroisse en 1785.
Un rapport établi en 1785 par le curé d'Oradour, à la demande de l'Intendant de Poitiers, fait connaître l'état de la paroisse à la veille de la Révolution de 1789.
Le nombre de feux de la paroisse, y est-il dit, monte à 194 pour ce qui est du Poitou ; mais en y comprenant trois villages qui sont de la province du Limousin, il monte à 246. Le nombre des habitants est de 1.747.
Les exploitations et voiturages se font avec des bœufs et vaches. Les bras nécessaires à la culture des terres et autres travaux de la campagne sont rares.
Le pays est un sable maigre, marécageux, traversé par une petite rivière et plusieurs ruisseaux qui attirent une infinité de fraîcheurs ou, pour mieux dire, de gelées dont la première souvent suffit pour ravir l'espoir des cultivateurs.
Les terres ont naturellement peu de substance ; l'évaporation de leurs sels s'y fait trop vite. On y sème ordinairement beaucoup de blés pour en recueillir peu. Il y a beaucoup de prairies et de pâturages, mais de mauvaise nature ; point de vigne, quelques bois, et quelques landes absolument mauvaises.
On y connaît la méthode des prairies artificielles, mais ceux qui ont voulu en tenter le sort ont été dupés de leur expérience.
On n'y cultive que le seigle et le blé noir ou sarrazin.
Le produit des récoltes ne se consomme lias ordinairement dans la paroisse. Le seul débouché est la ville de Limoges dont la communication n'est pas des plus faciles.
On n'y cultive point de lin ; on y recueille du chanvre en petite quantité; il y a des troupeaux de brebis d'assez mauvaise nature et d'un mince produit. Il est inutile de parler de la quantité de cire qui s'y ramasse. On n'y fabrique d'autres étoffes et toiles que pour l'usage des habitants. Point d'aune commerce.
Il y a, pour toute usine et manufacture, une petite papeterie, un moulin à foulon, trois petits particuliers qui fabriquent de mauvais pots de terre, cinq moulins à grains dans la partie du Poitou et deux clans l'enclave du Limousin.
Les ouvriers y sont en petit nombre ; on y compte deux familles de charpentiers, six tisserands, trois taillandiers, dont deux maréchaux-ferrants, et quelques tailleurs de village.
On y tient, dans le cours de l'année, treize foires dont deux grasses. On ne trouve dans les autres pour l'ordinaire que de vieilles vaches, des veaux de lait, des cochons de toute espèce, et quelques merceries. Elles seraient très fréquentées si les communications étaient plus commodes, attendu que le bourg est situé entre quatre villes : Limoges, Saint-Junien, Bellac et Brigueil-l'Aîné, dont la plus loin est distante de 4 lieues.
On n'y tient point de vinage : le boisseau de froment pèse 35 livres, celui de seigle 31 livres, celui d'avoine 25 livres.
Pas de maisons religieuses, ni d'hôpitaux, ni d'écoles de charité.
Le bureau de poste le plus proche est celui de La Barre, sur la grande route de Limoges à Angoulême, à la distance de trois quarts de lieue.
Pas de messagers ou voituriers habituels pour les villes voisines.
Les chemins de bourg à bourg, de village à village, sont en très mauvais état et presque impraticables pendant l'hiver. Il y a un pont sur la rivière de la Glane qui flotte au bas du bourg ; il serait très utile, pour ne pas dire nécessaire, d'en édifier un autre sur un petit ruisseau...
Répartition de la propriété dans la paroisse. Les impôts.
Les rôles des impôts fournissent d'utiles renseignements sur la répartition de la propriété et les impôts payés dans la paroisse d'Oradour.
Dans le rôle de 1779, on constate que, dans la répartition par tête, les plus imposés sont les métayers, qui sont cotisables pour les biens de leurs maîtres. Taux moyen de l'imposition (taille et capitation réunies) : 100 livres 10 sols par métairie.
À côté de trente-et-une métairies appartenant aux privilégiés, il en existe dix-sept autres en possession de la petite bourgeoisie campagnarde.
Souvent, les propriétaires exploitent directement, au moyen de domestiques, des terres qui constituent des réserves.
On relève aussi sur le rôle le nom de vingt-sept laboureurs exploitant directement leur propre bien. Leur taux moyen d'imposition est de 21 livres. C'est parmi eux que sont choisis, par voie d'élection, les collecteurs des tailles responsables sur leurs propres deniers de la rentrée de l'impôt, charge à laquelle ils cherchent souvent à échapper.
On trouve encore sur le rôle vingt-six journaliers et vingt autres noms figurant sans mention de qualité ou de profession. La moyenne de la cote pour les uns et les autres est la même : 4 livres environ par personne. Elle est un peu plus élevée (6 livres environ) pour chacun des six fermiers indiqués sur le document.
Voilà pour la partie poitevine de la paroisse.
Le rôle de la partie limousine concerne l'année 1789. Il intéresse Dieulidou et le Mas-du-Puy-Laplaud.
À Dieulidou, les imposables sont au nombre de quarante-trois, dont trois sont exempts, sans indication de motif. Ils sont presque tous propriétaires-exploitants.
Dix-sept articles sont inscrits au rôle du Mas-du-Puv-Laplaud.
Les personnes qui bénéficient d'exemptions d'impôts dans la partie poitevine sont : M. le Curé, M. le Vicaire, M. le Comte de Lescours, M. de Cressac, M. de Prenaud et M. de Vaux, garde du corps. Mais il faut y ajouter les privilégiés qui, ne résidant pas dans la paroisse, y possèdent parfois des terres et, le plus souvent, des rentes et des dîmes. Ce sont : les Augustins de Montmorillon, les Bernardins de l'Abbaye de Beuil, le marquis de Carbonnières, seigneur de Saint-Brice, le duc de Mortemart, le marquis du Cros, le seigneur du Queyroix, le curé de Cieux, le prévôt de Saint-Martial, les chanoines de Saint-Junien, les Carmes, et le chapelain de Saint-Victurnien.
Dans l'enclave limousine pour Dieulidou : M. le Marquis de Saint-Brice, M. le Comte de Lescours, MM. les Augustins de Montmorillon, et l'hôpital de Saint-Junien ; pour le Mas-du-Puy : M. le Comte de Lescours et MM. les Religieux de l'Abbaye de Beuil.
La première municipalité (1787).
Les assemblées de paroisse se réunissaient à l'issue de la messe, souvent sur injonction du subdélégué ou des officiers de l'Élection ; mais toujours sur convocation du syndic. Elles étaient consultées sur les ventes, achats, réparations, actions à soutenir en justice, nomination du syndic et des collecteurs, etc. Leurs délibérations se terminaient par un procès-verbal établi par devant notaire. La présence de dix habitants au moins était requise pour que la délibération fût valable.
Il y avait parfois du désordre dans ces réunions où tout le monde était admis ; d'autres fois, de l'indifférence ou de la confusion, comme ce fut le cas à Oradour le 31 mars 1772, quand fut autorisé le transfert du cimetière, transfert qui donna lieu à de nombreux incidents. Enfin, des abus répétés finirent par émouvoir les autorités administratives. Aussi, un règlement du 23 juin 1787 dota les communautés rurales d'une Assemblée municipale composée des seigneurs, du curé et de trois, six ou neuf membres, suivant le chiffre de la population, élus par les habitants payant au moins dix livres d'impositions foncières et pris parmi ceux qui en pavaient au moins trente.
La première Assemblée municipale d'Oradour fut élue le dimanche 12 août 1787. Messire Jean-Baptiste de Thamain de Prenaud, écuyer, fut désigné comme syndic.
Les Cahiers de doléances apportés par les députés aux États Généraux de 1789 étaient unanimes à réclamer une meilleure répartition des impôts. À Oradour, sans attendre le vote de l'Assemblée nationale, la Municipalité inscrivit tous les privilégiés de la paroisse sur le rôle de la taille pour 1789.
Le duc de Mortemart, le marquis de Carbonnières, le comte du Cros et le comte de Lescours intentèrent immédiatement une action contre la municipalité devant l'Élection de Confolens pour faire annuler cette décision arbitraire. L'Élection condamna la municipalité.
Mais la Constituante ne tardera pas à établir l'égalité de tous les citoyens devant l'impôt.
Oradour dans la nouvelle organisation territoriale.
Afin de détruire le particularisme des provinces, l'Assemblée Nationale Constituante divisa le Royaume en départements, districts, cantons et communes, par décret du 22 décembre 1789.
L'enclave poitevine, vieille de cinq siècles, disparut enfin et fut incorporée au département de la Halite-Vienne. Oradour-sur-Glane fut inclus dans le district de Saint-Junien (qui sera remplacé plus tard par Rochechouart comme chef-lieu d'arrondissement} et dans le canton de Saint-Victurnien. Ce canton, assez mal composé et qui ne vécut pas longtemps, comprenait cinq communes dont Oradour était la principale.
Les 17 et 28 février 1790, Oradour procéda à l'élection d'une nouvelle municipalité qui, d'après la loi, devait comprendre un maire, un corps municipal de trois membres, plus un agent d'exécution des affaires de la commune portant le titre de procureur-syndic. Des notables désignés de la même façon en nombre double de celui des membres de la municipalité, et pris parmi les citoyens les plus imposés, formaient le Conseil général de la commune qui devait collaborer avec le corps municipal.
Il y avait 75 électeurs inscrits. Le comte Michel de Lescours présidait. Jean de Lavérine fut élu maire.
En 1791, la population d'Oradour se composait de 1.303 habitants. En 1800, elle ne sera plus que de 1.191.
Pour l'élection des députés à la Constituante, la commune d'Oradour fut représentée en 1790 par deux électeurs qui appartenaient à l'ancienne classe des privilégiés : le curé de la paroisse, François Guilhau du Cluzeau, et le gentilhomme du Rateau du Vaux, chevalier de Saint-Louis.
La vie municipale sous la Convention.
Le 2 novembre 1792, on procède à Oradour à l'élection d'une nouvelle municipalité. Le nombre des votants est seulement de 46, soit 40 % d'abstentionnistes, ce qui montre que l'esprit civique ne s'est guère développe. Le citoyen Jean de Lavérine, dit Nadaud, est réélu maire avec 26 voix, et le curé Lavergne, procureur-syndic.
À partir du 29 juin 1793, les actes de l'autorité municipale, transcrits sur le registre des délibérations, cessent d'être signés par Lavérine qui, signalé comme suspect par des dénonciations calomnieuses et malicieuses avait été enfermé dans la Visitation de Limoges transformée en prison et suspendu de ses fonctions. Reconnu innocent de tout crime contre la République, il est mis en liberté, mais donne aussitôt sa démission, le 15 septembre.
Ses compatriotes lui sont restés favorables puisque, le 1er décembre suivant, les officiers municipaux lui accordent, à la demande du Représentant du Peuple en mission en Haute-Vienne, un certificat de bon et vrai républicain. Mais sa carrière politique est terminée.
Un certain nombre d'électeurs et de membres de la municipalité sont mécontents de la politique du gouvernement, et l'administration des affaires municipales en souffre visiblement, ce qui amène, le 19 septembre 1793, les sept membres de la municipalité présents à décider :
1° de donner aux absents un " avis fraternel " d'être exact aux séances ;
2° de dénoncer aux autorités les membres qui laisseraient, par leur absence, la municipalité incomplète.
De plus, l'exercice de la liberté et la gestion des affaires publiques exigeaient des capacités et un souci du bien commun que l'on ne rencontrait pas toujours chez les intéressés. Aussi, à Oradour, le 6 nivôse an II (26 décembre 1793), on voit arriver de Saint-Junien l'agent national du District, pour requérir la Municipalité de lui exhiber le registre de ses délibérations aux fins de s'assurer si elle avait été exacte à enregistrer et à promulguer les lois.
Malgré cette surveillance, la municipalité d'Oradour paraît, quelques mois plus tard, singulièrement désemparée. Le 27 germinal an II (17 février 1794), le citoyen Desourteaux, officier municipal, adresse, en effet. au Comité de Sûreté générale, une lettre où l'on peut lire :
Depuis quelques temps, la municipalité n'a ni maire ni agent national. Nous en aurions le plus grand besoin, attendu que les membres qui la composent sont de bons villageois, sincères républicains, aimant la loi et la faisant exécuter, mais ayant peu de lumières, n'avant que deux membres sachant un peu lire et écrire...
À la suite de cette lettre, les membres du Directoire du District nomment te citoyen Périgord-Lavalade, maire, et le citoyen Lavérine fils, dit Besoin, agent national (16 juin 1794).
Le 19 ventôse an III (7 mai 1795), arrive à Oradour un instituteur public nommé par le jury d'instruction publique du District.
La crise des subsistances et les réquisitions.
Pendant vingt-trois ans, de 1792 à 1815, quelles qu'aient été les conjonctures politiques, la vie quotidienne des paysans d'Oradour resta dominée, comme autrefois, par la question des impôts, la pénurie des vivres, la hausse effrayante des prix, difficultés aggravées par les réquisitions et la conscription qu'exigeait la poursuite incessante de la guerre.
Le 17 février 1793, on compte 81 indigents dans la commune, et il est à craindre que ce nombre se soit accru par la suite.
L'appât du gain étant plus fore que le sentiment civique, la spéculation apparaît avec la raréfaction des produits. Et même la fraude comme le révèle, le 1er mai ce réquisitoire du procureur-syndic de la commune qui signale que plusieurs citoyens se sont plaints que les marchands de blé de cette commune utilisent des boisseaux fort au-dessous de la mesure fixée par la police du lieu, et que cette injustice est d'autant plus atroce que le prix des grains est excessif. À la suite de quoi, le procureur de la commune requiert que les boisseaux frauduleux soient brûlés et les marchands condamnés à une amende en blé applicable au profit des pauvres de la commune.
Les réquisitions de toutes sortes se multiplient pour le ravitaillement des villes, l'approvisionnement et l'équipement des armées en campagne, avec poursuites, amendes, confiscations pour les récalcitrants. Aussi, les esprits s'échauffent... Le registre municipal signale que des habitants, pour échapper aux réquisitions, se prétendent titulaires de détaxes et qu'il s'est produit des rixes, le 20 septembre 1793 notamment.
Les prix montent en même temps que le cours des assignats s'effondre. La Convention espère remédier à la crise en établissant dans toute L'étendue de la République la loi du maximum. Le 1er novembre 1793, le procureur de la commune taxe les denrées.
La loi du maximum ayant complètement échoué, la Convention se résigne à t'abroger le 24 décembre 1794. Le résultat de ce retour à la liberté du commerce, c'est qu'à Oradour, en janvier 1795, le blé se vend 32 livres le setier alors que, taxé, il valait 12 livres 10 sols en novembre 1793.
Les ateliers de salpêtre.
En vertu d'une loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), toutes les communes, tous les citoyens de France furent en réquisition pour la production de salpêtre pour fabriquer de la poudre. À Oradour, le 11 messidor an II (29 juin 1794), on procéda au lessivage des murs et à la calcination des plantes contenant du salpêtre, et l'on put envoyer à Saint-Junien trois barriques d'eau salpêtrée à 5 degrés.
La garde nationale.
Le 14 juillet 1790, des députations de toutes les gardes nationales de France furent convoquées à Paris, au Champ de Mars, pour la fête de la Fédération. Les fédérés jurèrent fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi. Mais, ce jour-là, à Oradour, la garde nationale refusa de prêter serment. On ne connaît pas le motif de ce refus qui fut notifié par le maire à l'Assemblée Nationale.
On ne devait guère sentir la nécessité d'une telle police à Oradour, puisque le 2 fructidor an II (18 août 1794), l'agent national de la commune requiert que la Municipalité ait à faire organiser la Garde nationale le plus promptement que pourra se faire. Vers la fin de l'année 1794, la garde d'Oradour comprend : un capitaine commandant, un lieutenant, un sous-lieutenant, un sergent, deux caporaux et X... simples soldats. (L'état-major seul a intéressé le secrétaire qui donne cette composition). Rien ne dit qu'elle ait jamais eu à intervenir pour le maintien de l'ordre.
La conscription.
Dès que la Législative eut déclaré la guerre à l'Autriche et à la Prusse, le 20 avril 1792, on organisa des bataillons de volontaires. Quatre bataillons de la Haute-Vienne allèrent rejoindre l'armée du Nord et prirent part à la conquête de la Belgique. Les deux premiers furent composés uniquement de gardes nationaux parmi lesquels figuraient plusieurs volontaires d'Oradour.
Mais bientôt, la Convention décide la réquisition de 300.000 hommes et, enfin, la levée en masse. À Oradour, le 15 mars 1793, cent célibataires et veufs sans enfants, âgés de dix-huit à quarante ans, susceptibles d'être enrôlés, étant présents, on procède au tirage au sort de vingt noms. Le 7 avril, nouveau tirage au sorts de trois volontaires parmi 70 hommes présents.
Le 16 mai, une nouvelle liste de célibataires et veufs sans enfants est dressée ; on y trouve seulement quatorze noms. Le 25 septembre, le sort désigne cieux cavaliers. Le 29, un volontaire s'enrôle, pour voler à la défense de la République française. Le 2 novembre, dix-neuf recrues sont dirigées sur le 5e bataillon de la Haute-Vienne envoyé à Toulouse d'où il partit pour la frontière de Catalogne. À la date du 14 juillet 1794, soixante-deux familles d'Oradour ont des fils sous les drapeaux. En l'an VII, de nombreux conscrits sont appelés, et, ainsi, d'année en année, non seulement pendant la Révolution mais autant, sinon plus, sous l'Empire, les levées d'hommes se feront de plus en plus nombreuses et, il faut le reconnaître, de plus en plus impopulaires.
Le clergé pendant la Révolution.
Concédés au cours des siècles à l'Église par des particuliers ou des souverains pour qu'elle s'acquittât, en plus du culte, d'un certain nombre de services publics : assistance, enseignement, etc., les biens du clergé furent repris par la Nation à charge par elle de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres.
Le 1er avril 1791, eut lieu, dans la salle du District de Saint-Junien, l'adjudication définitive de la réserve des domaines de La Fauvette avec ses dépendances, provenant des ci-devant Augustins de Montmorillon, évaluée à 1 320 livres, et du domaine évalué à 4 950 livres. On ignore le nom de l'acquéreur de ces biens nationaux ; ce fut peut-être la commune elle-même.
En application de la Constitution civile du clergé, les ecclésiastiques étant des citoyens comme les autres devaient être recrutés comme les autres fonctionnaires, c'est-à-dire par voie d'élection, et devaient jurer fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi.
Le curé d'Oradour, Guillot de Cluzeau, et son vicaire, acceptèrent de prêter serment. La cérémonie eut lieu le 30 janvier 1791 ; le curé prononça une allocution dans laquelle il déclara vouloir maintenir de tout son pouvoir, en tout ce qui est de l'ordre politique, la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi, en exceptant formellement tous les objets qui dépendent de l'autorité spirituelle.
Cette restriction concernait l'autorité du pape que, précisément, les Constituants voulaient éliminer. L'attitude du curé d'Oradour remplit d'indignation les membres de ['Assemblée électorale du District qui déclarèrent sa cure immédiatement vacante et procédérent à l'élection d'un nouveau pasteur. Ce fut l'abbé Simon Lavergne, vicaire de la paroisse de Notre-Dame, à Saint-Junien. qui venait de se signale: en prononçant un discours où il parlait de l'heureux accord de la nouvelle constitution du clergé avec la religion de nos pères.
La Municipalité reçut l'ordre de faire déguerpir le curé non-jureur qui, bien qu'expulse du presbytère et de l'église, mais soutenu par la population ne quitta pas immédiatement Oradour, et emporta du presbytère tout ce qui pouvait avoir quelque valeur.
Le curé Lavergne parait avoir réussi avec la population et les pouvoirs publics puisque, le 2 novembre 1792, il est nommé procureur de la commune. Mais, quelques mois plus tard, il est invité à cesser sa double fonction et arrêté. Il n'est plus question de religion jusqu'au 6 messidor an III (24 juin 1795) où un prêtre ci-devant bénédictin, demeurant chez son frère. à Lapleau, vient déclarer conformément à la loi exercer le culte catholique dans l'église de la commune d'Oradour-sur-Glane.
Le mémo jour, la municipalité se rend à l'église pour constater les réparations à faire. Il ne reste guère que les murs. Les autels, dit le procès-verbal, sont sans autre garniture que leur pierre de marbre. Cependant, les livres liturgiques, qui n'ont pas intéressé les pillards, sont la. La plupart des fenêtres sont dépourvues de vitres. Le clocher est tout découvert... Au corps de l'église, il manque beaucoup de matériaux.
Émigrés et suspects.
À partir de 1789, des milliers de gentilshommes quittent volontairement la France et le mouvement s'accélère en 1791 après l'arrestation de la famille royale à Varenne.
Parmi les émigrés, les uns obéissent à leur passion anti-révolutionnaire, à leur loyalisme envers le roi ; les autres, au souci de leur sécurité personnelle. Dans cette dernière catégorie, doivent être rangés un grand nombre de gentilshommes de la campagne, car c'est presque la guerre aux châteaux. Quand on ne les brûle pas, comme en Dordogne, on arrache les girouettes, symbole de la noblesse. Le 14 janvier 1793, à la vente du mobilier de Charles de Lescours, marquis de Puvgaillard, il en sera adjugé six qu'on s'était hâté d'enlever des demeures seigneuriales...
Dans un relevé général des émigrés du District de Saint-Junien, on trouve, pour la commune d'Oradour, les noms de Lescours du Puygaillard, ancien chevau-léger du roy ; Lescours fils aîné, dit d'Oradour, privilégié et Lescours fils cadet, dit d'Oradour, officier des carabiniers ; Thamain Prenaud, privilégié, et Thamain Cressac, ci-devant garde du roy.
Joseph de Lescours de Puvgaillard, seigneur d'Orbagnac, frère du premier, n'ayant point le désir d'émigrer, renonce à la particule. Le 23 juillet 1794, il n'hésitera pas à faire partie d'une commission chargée d'estimer des objets de literie confisqués au préjudice de Jean-Antoine Thamain de Cressac et destinés au magasin militaire de Saint-Junien. Le 20 avril 1793, on lèvera les scellés apposés sur ses armoires, coffres, secrétaires et cabinets. Thamain Prenaud, le père de l'émigré, bénéficiera de la même mesure.
Quelques mois plus tôt, s'est produit un fait passé à peu près inaperçu mais qui aurait pu avoir de graves conséquences s'il avait eu lieu sous là Terreur : le registre des délibérations du Corps municipal de Limoges relate, à la date du 18 juillet 1792, l'interrogatoire d'un habitant du village du Queyroix, sur lequel on a trouvé dix lettres adressées à des émigrés qui lui avaient été confiées par Mme Baillez du Quevroix chargée sans doute de les centraliser. Parmi les correspondants figuraient les dames De Cressac et Thamain Prenaud, du bourg d'Oradour-sur-Glane, et quelques-unes des lettres avaient pour destinataires les deux cousins, Jean-Antoine Thamain de Cressac et Jean-Jérôme Thamain de Prenaud. Trois de ces lettres furent retenues et remises au Directoire du District, les sept autres furent recachetées et admises au transport du service des Postes...
Mais la situation se tend vis-à-vis des personnes considérées comme suspectes. Le 3 mai 1793, la Municipalité qui, pourtant, voudrait se montrer conciliante, est obligée de refuser un certificat de civisme à la nominée Luchapt, la femme d'Antoine Thamain de Cressac, émigré, qui doit, dès lors, se rendre avec sa famille à Saint-Junien pour y être placée en surveillance. Le 30 septembre, en dépit de ses preuves d'attachement au nouveau régime, Joseph Lescours se voit refuser lui aussi un certificat de civisme ; huit jours auparavant, la citoyenne Marie-Anne Lescours, tante des deux frères émigrés, n'avait pas été mieux traitée.
Le 3 octobre, on procède à une récapitulation générale des émigrés et des suspects. Parmi ces derniers, on compte Joseph Lescours, sa femme et Marie-Anne Lescours, qui doivent se rendre à la maison de détention à Saint-Junien où les trois soeurs de l'émigré Thamain Prenaud sont déjà enfermées. Leur père, sorti de la maison d'arrêt de Limoges, n'a pas reparu dans la commune.
Le 9 thermidor et la chute de Robespierre, en juillet 1794, amènent la libération d'une grande partie des détenus. Sept jours après, Joseph Lescours obtient un certificat de civisme. Le 24 janvier 1796, c'est au tour de Marianne (Marie-Anne) Lescours d'obtenir ce certificat ; le 20 août, Jean-Baptiste Thamain de Prenaud, père de l'émigré, revient dans la commune ; le 24 décembre, Du Rateau de Vaux et sa femme suivent son exemple.
Séquestre et vente des biens des émigrés.
La documentation relative aux biens des émigrés d'Oradour est fragmentaire. On contrait cependant les inventaires-séquestres concernant le domaine de réserve de Charles Lescours de Puygaillard (28 avril 1792), les biens de Thamain de Prenaud (30 mars au 3 avril), ceux de Thamain de Cressac (12 avril 1792).
Ces mises sous séquestres provoquent quelques réclamations auprès du District du Directoire de Saint-Junien. Thamain Cressac, père de l'émigré, produit le testament de Jeanne Mascureau, sa défunte femme, et le contrat de mariage de son fils. Le 27 avril 1792, la main-levée lui est accordée jusqu'à concurrence de la somme de
5.000 livres.
Agathe de Vaux, femme de Charles de Lescours de Puvgaillard, voit, au contraire, le 11 septembre 1792, sa requête rejetée. Marie-Anne de Lescours, âgée de soixante-quinze ans, atteinte d'infirmités, a des droits indivis sur la succession de son frère feu Michel Landru de Lescours, dont les biens aussi ont été séquestrés à la suite de l'émigration de ses deux fils. Comme elle n'assume aucune responsabilité clans la conduite de ses deux neveux, elle demande une pension pour la dédommager d'une confiscation dont elle subit injustement les conséquences. Pour tenir compte de ses droits et par esprit d'humanité il lui est alloué 50 livres par mois.
Entre les opérations de séquestre et celles de vente qui auront lieu plus tard, il s'est écoulé un laps de temps souvent fort préjudiciable aux biens nationalisés. Le château des de Lescours, situé au Sud de l'église et du presbytère, est démoli en décembre 1793. Le 1er mars 1796, l'agent de la commune surprend des gens qui enlèvent les derniers vestiges du manoir. Tout disparaît, pierre après pierre. Les biens séquestrés ne gagnent pas à rester longtemps dans une situation d'attente. Les pillages et les détournements sont fréquents ; aussi, les autorités responsables vont-elles faire diligence pour en réaliser la liquidation. Le 14 janvier 1793, le mobilier de Charles de Lescours de Puvgaillard est vendu par l'administrateur du district de Saint-Junien. Les articles adjugés comprennent surtout des ustensiles de cuisine, de la vaisselle, du linge, des meubles, auxquels il faudra ajouter deux baromètres, les six girouettes déjà signalées, etc.
Les 19 et 20 juillet 1794, a lieu la vente des objets mobiliers de la famille Thamain de Cressac. Les articles adjugés forment une très longue liste où figurent pêle-mêle des ustensiles de cuisine, des meubles, des outils, etc., et même huit boîtes d'allumettes!
Il a bien été adjugé de petites balances pour l'argenterie, mais celle-ci n'a pas vu le feu des enchères, emportée probablement avec les bijoux par son propriétaire fuyant à l'étranger. Du linge, et surtout de la literie, ont été distraits de la vente et conduits trois jours plus tard au magasin militaire de Saint-Junien avec un lot de livres.
Les adjudications d'immeubles se décident plus tard ; elles s'échelonnent sur juillet, octobre et décembre 1794. Tous les biens disparaissent successivement au feu des enchères.
La vente des biens des émigrés permit à quelques petits propriétaires d'arrondir leur domaine ; mais elle profita bien davantage aux nouveaux notables déjà aisés et surtout aux riches bourgeois.
V
DU PREMIER AU SECOND EMPIRE
Fin de la période révolutionnaire. L'Empire.
On ignore ce qui s'est passé à Oradour-sur-Glane sous le Directoire, le Consulat et l'Empire, les archives municipales des années 1795 à 1815 ayant disparu bien avant la tragédie du 10 juin 1944.
À la fin de la période révolutionnaire, les habitants d'Oradour, blasés sans doute comme la plupart des Français sur les nombreux changements politiques survenus depuis 1789 et inquiets devant une situation économique et financière désastreuse, devaient se soucier fort peu que ce fut un roi, une république ou un empereur qui les tirât du gâchis, puisque, au plébiscite de 1804 sur l'établissement de l'hérédité impériale, il n'y eut aucun Non dans la Haute-Vienne.
Le recensement de l'année 1806 donne, pour la population d'Oradour, les chiffres suivants :
Nombre de feux : 246. Total de la population :
1.202 habitants auxquels il faut ajouter 20 militaires sous les drapeaux. En 1785, la paroisse comptant 1 747 âmes, il y aurait eu une forte diminution de la population dans l'espace de vingt ans, si ces chiffres sont exacts.
La Restauration.
Après le désastre de Waterloo (18 juin 1815) et la chute définitive de Napoléon Ier, une nouvelle administration s'installe à Oradour. Malgré la prospérité qui revient peu à peu, on compte encore à Oradour trente familles nécessiteuses auxquelles on s'efforce de donner du travail et du pain.
Les réquisitions de denrées, si impopulaires dans les campagnes pendant la Révolution et l'Empire, réapparaissent de temps en temps.
En janvier 1823, le bourg d'Oradour compte 300 habitants, soit environ le quart de la population totale de la commune.
A la suite vraisemblablement d'une ordonnance de Charles X en date du 14 février 1830, pressant les communes de se pourvoir de moyens suffisants d'instruction, le Conseil municipal d'Oradour, clans sa session de mai voit avec une vive satisfaction l'intention du Gouvernement de développer l'instruction primaire, regrette d'être clans l'impossibilité de subvenir à tous les frais d'une école, mais croit pouvoir assurer 100 F par an à l'instituteur et à l'institutrice ; les enfants paieraient 2 à 3 F par mois .
La Révolution de 1830.
Au moment où éclate la Révolution des 26, 27 et 28 juillet 1830, - les Trois Glorieuses -, Oradour compte 1.591 habitants. La Révolution n'y provoque aucun incident. Sur la place de l'église, le maire donne lecture de la Charte constitutionnelle qui, si elle ramène de 300 à 200 F le cens électoral, ne change guère le statut municipal car, si les conseillers sont élus, les maires et les adjoints sont choisis par le Préfet, comme auparavant.
Après cela, on organise, comme dans toutes les communes, des réjouissances publiques : mât de cocagne, bal, etc. On célèbre une cérémonie religieuse en l'honneur des généreuses et illustres victimes de la trahison et de la tyrannie, cérémonie à laquelle la Garde nationale assiste en tenue de deuil.
La Garde Nationale.
La Monarchie de Juillet va reconstituer cette Garde nationale sur laquelle elle compte pour assurer le maintien de l'ordre. Le 3 septembre 1830, l'opération est terminée, au moins sur le papier. Le 25 mars 1831, un rapport du maire annonce un effectif de 80 hommes : 4 officiers, 15 sous-officiers. 57 soldats. Le rapport précise qu'un officier est armé, et qu'un sous-officier est doté d'un fusil de munition.
Une revue cantonale a lieu en 1833 à Saint-Junien : Oradour ne peut envoyer que six gardes, anciens militaires, seuls aptes à figurer dans un exercice à feu. Des exercices étaient prescrits et les vingt fusils prêtés par l'armée à la compagnie devaient passer de. main en main, à tour de rôle. En réalité, les exercices se faisaient peu ou pas du tout ; d'ailleurs, plusieurs fusils étaient hors d'usage !
Les paysans n'ont aucun goût à jouer au petit soldat et, en 1837, la municipalité va mettre un point final à cette situation en demandant que les vingt fusils soient réintégrés clans les arsenaux de l'État. Après cela, aucun document ne mentionne plus la garde nationale d'Oradour.
La vie municipale sous la Monarchie de Juillet.
Un document de 1842 indique que, pour une population de 1 740 âmes. les électeurs chargés d'élire 16 conseillers municipaux sont au nombre de 140.
L'amélioration des voies de communication a été une des principales préoccupations de la municipalité. Les relations de Limoges avec Confolens, Ruffec, Niort, etc., étaient difficiles. Un rapport du Conseil signale que les grains ne parvenaient qu'à dos de mulet jusqu'à La Barre, sur la route n° 141, où existait un dépôt et point de départ du roulage. On assurait que la route Limoges-Confolens vivifierait plusieurs communes. Or, Oradour était sur le tracé de cette route (G.C. n° 9) qui a été d'une importance extrême pour la localité.
Divers chemins ruraux ou vicinaux reçurent des améliorations.
Les ponts enfin causaient fréquemment des soucis à la municipalité. Une violente tempête abîme, le 7 mai 1838, les ponts de Dieulidou, d'Oradour, et détruit celui du Glanet. Le maire est alors autorisé à faire procéder aux réparations urgentes.
Le 24 mai 1833, par 24 voix contre 6, le Conseil municipal refuse d'acheter une maison pour y installer l'école et préfère continuer à en louer une pour 80 F par an. Le premier maître reçoit un traitement annuel de 200 F. La rétribution scolaire est fixée par le Conseil municipal, à 1,50 F par mois pour les élèves débutants, à 2 F pour les autres. Quelques enfants indigents doivent être instruits gratuitement. L'école est toujours dans la maison louée dont le propriétaire renouvelle le bail de cinq en cinq ans, les finances de la commune ne permettant pas, parait-il, de faire mieux.
1846 est une année de recensement. La commune est peuplée par 390 familles formant un total de 1 989 habitants, alors que le recensement de 1806 n'en dénombrait que 1 202. L'écart est si fort qu'on peut penser que le chiffre de 1806 était inférieur à la réalité ; d'autant plus que le chiffre de la population était brusquement remonté à 1.605 en 1820, à 1.722 en 1831, 1.824 en 1841.
La Seconde République.
L'avènement de la République de 1848 parait avoir été accueilli avec joie par la population puisque c'est à cette occasion qu'aurait été planté l'arbre qui se dresse encore aux abords de l'église et appelé Chêne de la Liberté.
Le Second Empire.
Louis-Napoléon Bonaparte était Président de la République depuis quatre ans lorsqu'il fit un coup d'État le 2 décembre 1851. Effrayés par la crise économique et le spectre rouge, les paysans, à chaque plébiscite, les 20 décembre 1851 et 21 novembre 1852, votèrent en masse avec la bourgeoisie, pour le neveu du Grand Empereur, restaurateur de l'ordre et de la paix sociale.
Le 25 avril 1852, le maire et l'adjoint d'Oradour jurent obéissance à la Constitution et fidélité au Président. Ils prêtèrent de nouveau serment le 30 octobre, et le Conseil municipal envoya à Louis-Napoléon une adresse demandant que le pouvoir lui soit confié à vie. Bientôt, ce sera l'Empire. Louis-Napoléon Bonaparte avait bien dit à Bordeaux : L'Empire, c'est la paix ; mais son règne ne fut qu'une succession de guerres. Malheureusement, le petit nombre des enfants du pays qui sont aux armées n'effarouche pas l'opinion publique. À Oradour, un seul soldat originaire de la commune prit part à la campagne d'Italie (1859).
En 1860, la population d'Oradour était de 1 952 habitants. En mai 1862, la municipalité se décida enfin à acheter une maison pour installer l'école - à une seule classe - et la mairie.
Le 18 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Le 2 septembre, Napoléon III capitule à Sedan ; le 4, les Parisiens révoltés prononcent sa déchéance et proclament la République.
Neuf des hommes d'Oradour qui partirent au feu en 1870 ne devaient pas revenir.
VI
LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE
Oradour de 1870 à la guerre de 1914-1918.
Nous passerons rapidement sur la période qui va de 1870 à 1944, période au cours de laquelle le pays, malgré de nombreux remous politiques, consolide son régime républicain et voit s'accomplir de nombreux changements clans les moeurs et le domaine économique, surtout après la guerre de 1914-1918.
La municipalité d'Oradour, comme celles de toutes les petites communes rurales, se consacre à la création et à l'entretien des voies de communication et des bâtiments publics, à l'application des lois scolaires, à l'électrification des villages, etc.
En 1879, grâce à un emprunt, on construit une école de filles. En 1894 l'école de hameau de Dieulidou a été transférée de la rive gauche de la Glane à la rive droite. La nouvelle construction permettra de recevoir, outre les garçons et filles de la commune d'Oradour, ceux de villages des communes limitrophes.
En 1903, on refait la halle. En 1927, on construit un bureau de poste plus approprié aux besoins du trafic postal et téléphonique que la maison louée.
Le 17 août 1911, fut inaugurée la ligne de tramways électriques de la Haute-Vienne qui, traversant Oradour par la rue principale, reliera Limoges à Saint-Junien et Bussière-Poitevine. Désormais, cinq trains électriques circuleront quotidiennement dans chaque sens, et il suffira d'une heure et quart pour se rendre à Limoges. Jusque-là, si l'on voulait utiliser le chemin de fer pour un déplacement, il fallait se rendre à la gare de Saint-Victurnien, à 7 km, en empruntant le courrier, voiture à cheval qui effectuait deux services par jour. Ce tramway transformera profondément la vie d'Oradour en multipliant les échanges avec la grande ville et en permettant l'électrification du bourg, puis de la campagne.
En 1913, M. Raymond Poincaré, récemment élu Président de la République, vint visiter le Limousin. Son voyage avait surtout pour but de révéler aux nombreux Parisiens les charmes de la région et l'abondance de ses ressources touristiques. Le 3 septembre, M. Raymond Poincaré se rendit de Limoges à Saint-Junien par Aixc-sur-Vienne et revint à Limoges par Oradour où il fut accueilli par le maire et le conseil municipal, et acclamé par la population, qui n'avait jamais eu l'honneur d'être visitée par un chef d'État.
En fait de tourisme, ce fut la guerre de 1914-1918. Oradour, comme toutes les communes rurales, paya un lourd tribut : 97 noms figurent sur la plaque de marbre apposée à l'intérieur de l'église à la mémoire de ses enfants morts pendant les quatre années de guerre.
La population de la commune qui était, en 1846, de 1.989 habitants, était tombée à 1.848, en 1861. Elle était remontée à 1.903 habitants en 1872 pour continuer sa progression jusqu'en 1891 où, pour la première fois, elle dépasse les 2.000 (2.045). Après la saignée de 1914-1918, c'est de nouveau la chute... En 1921, Oradour se retrouve cent ans en arrière avec 1 789 habitants et, cette fois, il n'y aura pas de remontée : 1926 : 1.790 habitants ; 1931 : 1.601 ; 1936 : 1.574.
La guerre de 1939-1940. - Réfugiés alsaciens et expulsés lorrains.
La mobilisation générale de 1939 enlève à la commune de nombreux soldats. Dans la courte campagne de 1939-1940, 4 fils d'Oradour ont péri. Les prisonniers sont nombreux : 82. D'autre part, la commune comptera 14 déportés au Service du Travail Obligatoire (S.T.O.). Prisonniers et déportés reviendront sains et saufs, mais hélas ! quel vide affreux ils retrouveront là où ils avaient jadis vécu heureux !
En septembre 1939, plusieurs secteurs du Bas-Rhin ont été évacués d'office. Oradour est désigné pour héberger 400 habitants de Schiltigheim, petite ville proche de Strasbourg ; mais, après l'armistice de juin 1940, presque tous les évacués regagnent leur domicile. Ils ne tarderont pas à être remplacés par 63 expulsés lorrains, presque tous originaires de Charly et de Montois-Flauville, localités voisines de Metz. Il y avait, en outre, plusieurs réfugiés non recensés car ils ne percevaient pas d'allocations.
Lentement, les mois, les années passent... Pour tous, Limousins et Lorrains, l'attente s'éternise ; mais, aux succès foudroyants de la Wehrmacht succèdent les revers. La résistance s'organise dans la France occupée. Le débarquement allié semble proche...
Dans ce mélange de chagrin et d'espoir, la population d'Oradour a le droit de penser que la guerre va s'achever sans lui porter de coups cruels. Pas de déportés politiques ; pas de maquisards, donc pas d'escarmouche...
Et voici que malgré sa tranquillité, son innocence, Oradour va subir le martyre le plus imprévu, le plus injustifié, le plus abominable... Le 10 juin 1944, à midi, il vit dans la quiétude ; dix heures plus tard, il n'est plus que ruines fumantes remplies de cadavres carbonisés...
1944
LA TRAGÉDIE DU 10 JUIN 1944
Le 10 juin 1944.
Le 6 juin 1944, les Alliés avaient débarqué en Normandie ; les Français qui avaient repris espoir, se soulevaient contre leurs oppresseurs ; à l'Est, les Russes avançaient ; la guerre, qui en était à son cinquantième mois, venait de prendre un tournant décisif... C'est alors que, quelques jours plus tard, par la radio de Londres, les journaux français étant plus que jamais soumis à la censure, le monde entier connut les premiers détails de l'incendie d'Oradour et de l'extermination de ses habitants par les troupes nazies...
Le samedi 10 juin, il y avait beaucoup de monde dans le bourg ; c'était jour de distribution de viande et de tabac et de plus, de nombreuses personnes de Limoges étaient venues passer le week-end en famille, pêcher sur les bords de la Glane, ou, tout simplement, se ravitailler.
D'autres personnes auraient pu se trouver là qu'un miraculeux hasard retint chez elles au dernier moment, comme ce groupe de normaliens et de normaliennes qui devaient venir déjeuner et en furent empêchés l... Certains malheureux, par contre, attirés par quelque affreuse fatalité, vinrent littéralement se faire massacrer. M. Sage, industriel à Limoges
par exemple, venait d'installer, le 7 juin, toute sa famille dans sa maison de campagne de la Croix-des-Bordes ; la veille, M. Levignac, agent d'assurances à Avignon, avait emmené à Oradour ses deux fils Serge et Charles, l'un installé au Masset, l'autre dans le bourg, et il ne devait plus les revoir. Mlle Lompain avait reçu, le 1er juin, de Paris, une petite cousine de onze ans, qui va périr également.
Le fils Roumy fêtait ses fiançailles ; sa permission de quinze jours expirait le lendemain.
M. Milord, officier d'intendance à Lyon, était venu lui aussi en permission avec ses beaux-parents pour le baptême de son enfant qui devait avoir lieu le dimanche matin.
Mme Barataud fêtait ses soixante-huit ans chez sa fille, Mlle Boisson. Le jeune Lavergne, quatorze ans, était venu des Tuilières prendre sa leçon de musique chez M. Fournier. Le fils Robe aussi était là, attendant la ration de tabac de son père ; également le vieux Devovant, qui avait fait le déplacement depuis le hameau du Repaire à cause de cette fameuse ration de tabac. Jean Broussaudier, vingt-cinq ans, qui vient se faire coiffer, et le jeune Darthout aussi, attendent patiemment l'ouverture du salon de coiffure.
M. Barthélémy qui a échoué là avec sa famille lors de la débâcle de 1940 a préparé fébrilement son retour dans l'Indre-et-Loire où sa femme vient de le devancer. Il vient de lui écrire, le 4 juin, qu'il espère pouvoir devancer le voyage de trois ou quatre jours, et partir dès qu'il aura reçu la pièce mécanique dont il a besoin pour sa voiture. Son fils vient de terminer ses études au Collège de Saint-Junien et a rejoint son père
Oradour. Rien ne les retient plus à Oradour.
Victimes aussi de la fatalité ce professeur de musique débarqué le matin même de Limoges, pour donner une leçon et chercher un peu de ravitaillement, cette jeune institutrice, Mlle Couty, remplaçant la directrice de l'école de filles, malade, dont la suppléance se termine ce samedi soir, et le docteur Jacques Desourteaux, fils du maire, qui rentre de faire un accouchement dans un village voisin.
On pourrait citer bien d'autres exemples tout aussi navrants...
L'Arrivée des S.S.
Il est un peu plus de 14 heures. Bien des gens sont encore à table, en famille ou dans les restaurants, lorsque, soudain, dans le bas du village, on voit arriver trois camions allemands et deux blindés à chenilles roulant en tête qui, montant par la rue principale, la rue Émile-Desourteaux, vont s'arrêter à 800 m environ de la sortie ouest, aux dernières maisons, de la route de Confolens'', à hauteur du domaine de Bel-Air. Les camions stationnent là tandis que les deux blindés font demi-tour, franchissent le pont sur la Glane et vont s'installer à la sortie est, sur la route de Limoges, à Puygaillard et les Brégères 4. Une fusée blanche est lancée pour informer les autres groupes que le poste est atteint.
Cinq autres camions sont restés sur la route de Saint-Junien, à l'Auzc, à 1,500 km environ de l'entrée du village.
Les trois groupes barrent donc les trois principales voies d'accès de la localité. Ils comprennent environ 120 hommes, l'effectif d'une compagnie. Les gradés installent un cordon de sentinelles qui reçoivent l'ordre d'empêcher quiconque de sortir du village, et, le cas échéant de tirer ; puis, dès la mise en place terminée, les hommes restant dans chaque groupe se déploient en arc de cercle et commencent à refouler brutalement vers le centre du bourg tous les habitants qui se trouvent dans les champs et dans les fermes, sans distinction d'âge ni d'état. Un grand mutilé de la guerre 1914-1918, dont la jambe raide ne lui permettait pas de courir, fut frappé sans pitié ; une vieille femme, courbée sur ses bâtons et qui n'avançait pas assez vite non plus, fut abattue à coups de mitraillette. Abattus aussi. MM. Michel Avril, Foussat, Lachaud, Villoutreix, et bien d'autres...
Pendant ce temps, les habitants du bourg, qui n'avaient pratiquement jamais vu d'Allemands, regardaient arriver les S.S., sans plaisir, certes, mais avec plus de curiosité que de crainte. Ceux-ci, pour la plupart des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, avec leurs uniformes mouchetés de marron et de vert, et leurs armes braquées vers la rue ou les fenêtres des maisons, avaient bien un aspect peu rassurant, mais les habitants, sachant que leur village ne recélait aucun maquis, n'avaient aucune conscience du danger qui les menaçait. C'est ce qui ressort des récits des rares rescapés parmi lesquels on trouve évidemment ceux qui, tout de suite alarmés, inquiets, pour des raisons différentes d'ailleurs, - anciens prisonniers de guerre évadés, comme M. Hubert Desourteaux, réfractaires du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.), comme M. Paul boutre, etc. - cherchèrent à se dissimuler au plus vite alors que leurs voisins trouvaient ces craintes vaines...
Mais, enfin, dans les rues, on entend le tambour municipal, M. Depierrefiche, aviser tous les habitants d'avoir, sans aucune exception, à se rassembler sans délai sur le champ de foire, munis de leur papiers, pour vérification d'identité.
Cet avis à la population et surtout des coups de feu qui éclatent soudain dans les environs, tirés sur les fuyards, ont enfin donné l'alarme. Déjà les S.S. fouillent les maisons, en chassent tous les habitants vers le champ de foire, chacun dans la tenue où la rafle l'a surpris : paysans en costume de travail, boulanger torse nu, malades à peine habillés, comme Mme Binet, la directrice de l'école de filles, qui, poussée à coups de crosse, arrive en pyjama et revêtue de son manteau... Tous ces braves gens ne comprenant absolument rien à ce qui leur arrivait, ni à ce que l'on attendait d'eux.
Pendant ce temps, les camions faisaient la navette, ramenant à chaque fois de nouveaux chargements de malheureux ramassés dans les villages environnants...
Les écoles.
Il y a trois écoles à Oradour : l'école de garçons, en face de la gare du tram, avec 64 élèves, dirigée par M. Rousseau, avec Mme Rousseau comme adjointe ; l'école de filles, comptant 106 élèves inscrites, dont deux classes sont dans le centre du bourg, près du champ de foire, et une sur la route des Bordes où se trouve aussi l'école spéciale des petits Lorrains réfugiés, avec 21 élèves. Au total : 191 enfants, 2 instituteurs et 5 institutrices: M. et Mme Rousseau ; M. Goujon, de l'école spéciale ; Mme Binet, ses deux adjointes : Mlle Bardet et Mme Vincent, et sa remplaçante, Mlle Couty.
Ce jour-là les écoles ont fait leur plein car, l'après-midi, les élèves doivent passer une visite médicale. Elles sont envahies presque simultanément par les S.S. qui réunissent les élèves et leur demandent de les suivre au champ de foire. Heureux d'avoir une récréation supplémentaire, tous partent, candides et confiants, avec leurs maîtres, sous la conduite de leurs bourreaux. De cette tragique promenade, un seul est revenu, un jeune Lorrain, Roger Godfin, âgé de huit ans, qui, connaissant les Allemands, s'échappa par le jardin de l'école, se dissimula parmi les massifs de verdure et disparut dans les bois. On le retrouva le lendemain, seul survivant de sa famille, son père, sa mère, et ses quatre frères et sœurs avant été massacrés.
Le rassemblement sur le champ de foire.
À 15 heures, quand toute la population eut été rassemblée sur le champ de foire, les Allemands la divisèrent en deux groupes : à gauche, les hommes, qui turent alignés sur trois rangs, le long des immeubles, la lace tournée vers le mur ; ; à droite, les femmes et les enfants qui, encadrés par une dizaine de S.S., furent ensuite conduits à l'église.
À un moment donné - est-ce avant ou après leur départ, les témoignages sur ce point sont imprécis -, arrive le vieux docteur Paul Desourteaux, président de la délégation spéciale, exerçant les fonctions de maire. Avant appris son identité et sa qualité, le chef du détachement, assisté d'un interprète en civil, lui dit brutalement : Vous allez me désigner des otages. Le maire, très digne, répliqua qu'il lui était impossible d'accéder à cette demande Il fut alors conduit par l'officier à la mairie, mais revint seul au bout d'une dizaine de minutes et reprit sa place sans un mot. L'interprète revient à la charge : Avez-vous choisi des otages ? Oui, répond-il, moi-même, et si cela ne suffit pas, les membres de ma famille . Il avait six enfants, dont une fille qui habitait Clermont-Ferrand. Seul des garçons, Hubert, trente-six ans, célibataire, garagiste, prisonnier de guerre évadé, donc peu soucieux de faire vérifier son identité, s'échappa au moment de la rafle, en se cachant au fond de son ,jardin.
Quelques instants plus tard, l'officier revenait à son tour et annonçait que, des dépôts d'armes ayant été signalés dans le village, on allait procéder à des perquisitions. Tous les habitants qui connaissaient ces dépôts ou détenaient des armes devaient sortir des rangs. Un homme, M. Lamaud, déclara qu'il avait une carabine de 6 mm, calibre autorisé par la Préfecture, ajouta-t-il. L'Allemand répliqua qu'elle ne l'intéressait pas. Ce fut tout. Aucun dépôt ne fut signalé, et pour cause.
Alors, sur un signe, et comme si l'opération avait été minutieusement réglée - et, au procès, on saura que des instructions précises avaient été données aux gradés -, les hommes furent rapidement divisés en six groupes comptant de 30 à 60 ou 70 personnes, et chaque groupe fut dirigé vers l'un des locaux les plus vastes que comptait le village : le hangar Laudy, la remise et la forge Beaulieu, le chai Denis, le garage Desourteaux, le garage Milord et la grange Bouchoule.
Le Massacre des hommes.
Dans le hangar Laudy, les hommes durent enlever deux charrettes qui l'encombraient, puis furent alignés face à cinq ou six S.S. et à une mitrailleuse placée à quelques mètres plus loin.
Malgré cette situation inquiétante, chacun reprenait confiance, certain qu'il n'existait aucun dépôt d'armes clans le village. La fouille terminée, le malentendu serait dissipé et tout le monde serait relâché. Ce n'était après tout, qu'une question de patience.
Dans ce local, le plus vaste des six, soixante-deux hommes attendent donc que les S.S. leur rendent la liberté, pendant que l'un de ces derniers rit et, de temps en temps, croque un morceau de sucre ! La cloche de l'église sonne : il est 15 h 30. Presque aussitôt un long coup de feu retentit : c'est l'adjoint du chef du détachement, le capitaine Kahn qui, dans la rue principale, vient de tirer une rafale de son pistolet-mitrailleur. Alors, obéissant à ce signal, la mitrailleuse en batterie devant le groupe se met aussitôt à cracher, fauchant les hommes, beaucoup atteints aux jambes, et, en un instant, il n'y a plus que des corps en tas, enchevêtrés, sanglants, gémissants, sur lesquels la mitrailleuse continue à tirer. Puis, elle se tait... Les S.S. s'approchent et, à coups de pistolet, achèvent la besogne, tirant sur tout ce qui semble avoir encore un souffle de vie. Quand tout paraît immobile, et silencieux, avec des fourches dont ils enfoncent parfois les dents clans les corps étendus, ils jettent sur ceux-ci du foin, de la paille, des fagots. Puis, ils s'éloignent...
Les rescapés du hangar Laudy.
Quelques minutes s'écoulent... Sous la paille et les fagots une voix contenue appelle, demande avec crainte s'il y a d'autres survivants. Une voix répond, une autre, puis d'autres encore... Mais les S.S. reviennent un quart d'heure plus tard et mettent le feu à la paille, pensant sans doute effacer ainsi la trace de leur crime. La flamme monte et court rapidement ; les fagots s'enflamment en crépitant. Saris attendre, les S.S. s'éloignent en direction de l'église, leur lieu de ralliement.
Sous le bûcher, les vivants s'agitent. Ils craignent d'être brûlés vifs. Un terrible dialogue s'engage, les plus grièvement blessés, comme Aliotti et le garde champêtre Duquerroy qui, les jambes brisées, ne pouvait pas bouger, invitent les autres à fuir... Et pendant qu'ils brûleront vivants, cinq miraculés, MM. Broussaudier, Darthout, Hébras, le facteur Roby, le cimentier Borie, se glissent hors du hangar par un trou situé dans un mur, se réfugient dans un grenier, se cachent sous un tas de paille. Mais les S.S. sont tout proches. L'un d'eux monte au grenier, frotte une allumette et met le feu à la paille. En un instant, tout flambe. Il faut fuir de nouveau... Se glissant de grenier en clapier, rampant, traversant les buissons, sans cesse rejoints par l'incendie qui gagne et ronfle partout, à demi-asphyxiés, le cuir chevelu brûlé par les braises qui tombent des toitures, manquant vingt fois d'être découverts, les cinq survivants, dont l'un, M. Darthout, qui a reçu deux balles dans les mollets, souffre horriblement de ses blessures, atteignent enfin, vers 19 heures, un taillis près du cimetière et profiteront de la nuit pour gagner les hameaux voisins.
Un sixième, Poutaraud, avait été abattu, alors qu'il s'enfuyait, sur la route du cimetière.
Tel est, reconstitué d'après les déclarations des rescapés, le récit très succint de l'épouvantable scène de carnage qui eut pour théâtre le hangar Laudy.
On ne possède aucun témoignage sur ce qui s'est passé dans les autres lieux de supplice dont nul n'a pu s'enfuir ; mais il est à présumer, d'après les constatations faites dans les jours qui suivirent et les rares aveux des accusés au cours de leur procès, que le sinistre scénario fut le même partout.
Le massacre des femmes et des enfants dans l'église.
Plus sauvage et plus épouvantable encore fut le massacre des femmes et des enfants. Il dépasse les limites de l'imaginable et de l'horreur.
Dès leur arrivée à l'église, les enfants et les femmes, certaines portant leurs bébés dans les bras, d'autres les poussant dans leurs petites voitures, furent enfermés à clé.
Une heure et demie se passa dans l'attente. On peut imaginer quels sentiments agitaient ces femmes séquestrées dans cette église avec leurs enfants et qui avaient laissé leur mari, leurs fils, leur père ou leur frère aux mains des S.S. sur le champ de foire. Elles entendirent avec terreur crépiter les mitrailleuses, mais ne comprirent pas ce qui se passait, pas plus qu'elles ne se doutèrent que le sinistre Kahn envisagea d'abord de faire sauter l'église pour les tuer d'un seul coup. Mais la tentative fit plus de bruit que de dégâts et, seul, un adjudant S.S. fut grièvement blessé en prêtant la main à cet acte sacrilège, comme on l'apprendra plus tard, au cours du procès.
Enfin, vers 16 heures, deux S.S. entrèrent dans l'église, portant une lourde caisse d'où sortaient de longues mèches blanches, la déposèrent clans le haut de la nef, mirent le feu aux mèches et ressortirent... Quelques minutes plus tard, une forte explosion retentit et une fumée noire, épaisse, suffocante, envahit l'église. L'explosion avait fait éclater les vitraux, sinon tout le monde aurait été asphyxié. Ce fut alors une panique effroyable. Hurlant de frayeur, femmes et enfants affluèrent vers les parties de l'église où l'air était encore respirable. La porte de la sacristie fut enfoncée sous une poussée irrésistible. Soudain, par les fenêtres et les vitraux, les S.S. ouvrirent le feu, tirant dans la fumée, au hasard, prouvant ainsi qu'il n'est point d'animal féroce plus cruel que l'homme.
Dans cette cohue affreuse, une femme de quarante-sept ans, Mme Rouffanche, est parvenue à garder près d'elle ses deux filles. Elles sont toutes les trois dans la sacristie quand une rafale de mitraillette tue la plus jeune âgée de dix-huit ans, sous les yeux de sa mère. Celle-ci se jette sur le sol et fait la morte. Quelques instants plus tard, les S.S. pénètrent dans l'église, mitraillent au hasard, jettent quelques grenades... De nouveaux hurlements se font entendre, puis le silence se fait. Dans cette église, traditionnellement symbole de paix et de pardon, transformée en abattoir humain et en four crématoire, sur les corps qu'ils repoussent en tas, les S.S. jettent de la paille, des fagots, les bancs et les chaises de l'église, y mettent le feu et ressortent en refermant la porte.
Dans la sacristie, Mme Rouffanche est toujours immobile, étendue sur le sol. Elle voit les flammes grandir ; elle se lève et va se réfugier derrière le maître-autel. Là, elle aperçoit un escabeau, elle le dresse contre le mur, parvient à atteindre le vitrail central brisé par les balles et, d'un effort surhumain, se précipite par l'ouverture, faisant un plongeon de plus de 3 m.
Mais quelqu'un d'autre vit encore dans l'église : une jeune femme de vingt-trois ans, Mme Joyeux, née Hyvernaud, qui s'est précipitée sur les pas de Mme Rouffanche, a grimpé derrière elle et, du haut de la fenêtre, lui tend son bébé de sept mois. Mais de nouvelles rafales crépitent, tuant le bébé et sa jeune maman. Mme Rouffanche elle-même, en gagnant le jardin du presbytère, reçoit cinq balles dans le corps. Elle a été durement touchée aux jambes, son omoplate a éclaté... Elle se tapit entre les rames de petits pois, attendant qu'on vienne à son secours ou qu'on l'achève. Elle ne fut délivrée que le lendemain, vers 17 heures, presque agonisante, épuisée de souffrance. Transportée en secret à l'hôpital de Limoges, elle y demeura cachée jusqu'à la Libération, échappant à la Gestapo qui recherchait, pour les faire disparaître, tous les témoins gênants.
Ce fut l'unique rescapée de ce carnage sans nom où périrent 245 femmes et 207 enfants dont six bébés qui n'avaient pas encore six mois, et un douze jours seulement.
Dans cette affreuse journée, Mme Rouffanche perdit son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils âgé de sept mois.
Crimes isolés.
D'autres crimes furent commis au cours d'actions isolées. C'est ainsi qu'en fouillant les maisons, les tortionnaires abattirent ceux qui y étaient demeurés, n'ayant pu s'enfuir ou se cacher : vieillards impotents pour la plupart, comme le père Giroux, paralysé depuis vingt ans, ou malades incapables de se lever. Des corps furent retrouvés dans les endroits les plus inattendus : sous l'escalier d'une cave, dans l'appentis du presbytère, dans " l'étouffoir " de la boulangerie Bouchoule, dans le puits de la ferme Picat, à l'Auze. Des retardataires furent exécutés au milieu de l'après-midi dans la forge Beaulieu. De nombreux cadavres furent ramassés sur les roules, dans les jardins et dans les champs, comme celui de l'infortuné M. Poutaraud. C'était parfois des travailleurs, souvent des mères de famille des hameaux voisins qui, dès les premiers coups de feu, appréhendant le drame, étaient accourues pour reprendre leurs enfants à l'école...
Incendie et pillage.
Mais les S.S. ne s'en tinrent pas à ces multiples crimes de sang. Ils incendièrent méthodiquement le village, maison par maison, boutique par boutique, grange par grange, en mettant le feu aux rideaux des fenêtres comme on le leur avait enseigné - cela fut dit au procès -, et en déposant de place en place des produits incendiaires et des combustibles divers (bois, paille, charbon des gazogènes, etc.). Mais auparavant, les maisons avaient été vidées de toutes les marchandises et objets précieux qu'elles contenaient. Des rescapés, tapis clans leurs cachettes, virent les S.S. emporter les pièces de tissu et les vêtements du magasin Dupic, dont le coffre-fort fut éventré. Partout, ce fut le pillage organisé, les S.S. faisant main basse sur les vivres frais et les conserves qu'ils chargeaient clans les camions. Ils emportèrent aussi des volailles, des porcs, des moutons, des veaux, emmenèrent trois autos, des bicyclettes et une moto. On le sut par les habitants de Nieul où les S.S. rentrèrent le soir vers 22 heures, dans un état d'excitation extraordinaire, certains chantant et jouant de l'accordéon ou de l'harmonica, Kahn ayant distribué à ses hommes, dira un accusé au procès de Bordeaux, du vin et des liqueurs.
À 19 h 30, le village flambait. Il avait fallu trois heures à peine pour explorer de fond en comble, sur plusieurs kilomètres, le bourg et ses alentours, rassembler ses habitants, les égorger, piller, tout incendier, tout détruire. C'est à ce moment que le tramway départemental venant de Limoges arriva à l'arrêt de Puygaillard. Les S.S vérifièrent les papiers de tous les voyageurs, au nombre d'une vingtaine, firent descendre tous ceux qui avaient un billet pour Oradour et les amenèrent vers la ferme Masset. Qu'allait-il se passer ? Après une discussion animée entre deux gradés allemands, les malheureux furent, en définitive, remis en liberté et s'empressèrent de se disperser dans la campagne. On vous laisse partir ! leur dit l'interprète. Vous pouvez dire que vous avez de la chance ! Une bicyclette, d'ailleurs volée, fut remise à une jeune voyageuse pour qu'elle puisse regagner plus vite son domicile. On peut être assassin et galant homme ! Pendant ce temps, l'ordre avait été donné au tramway de repartir sur Limoges avec les autres voyageurs.
Un autre tramway faisant des essais était arrivé dans l'après-midi avec trois employés. Un de ceux-ci, M. Chalard, étant descendu, avait été abattu alors qu'il passait sur le pont et son corps jeté dans la Glane. Le tramway avait été, ensuite, refoulé sur Limoges.
L'incendie dura toute la nuit. Des hameaux voisins, on voyait les maisons s'effondrer dans d'immenses gerbes de flammes et d'étincelles et, de Saint-Junien, de Bellac, de Limoges, on apercevait des lueurs pourpres illuminant les ténèbres en direction d'Oradour.
Quelques S.S. étaient demeurés sur place, installés dans la maison Dupic qu'ils n'incendièrent que le lendemain matin, vers 11 heures, au moment de leur départ. Durant toute la nuit, ils firent ripaille et se livrèrent à d'horribles orgies, suivant le témoignage d'un rescapé, M. Senon Armand, caché dans un buisson près de la gare, témoignage confirmé par la découverte de certains indices dont celle de nombreuses bouteilles de champagne vides.
Bilan.
Le lundi, à la première heure, les Allemands revinrent à Oradour. Ils procédèrent à un nettoyage de l'église, creusèrent deux fosses où ils enfouirent les restes trop visibles de leurs victimes et enterrèrent sommairement un certain nombre de cadavres. Pendant longtemps, ils interdirent l'approche d'Oradour, n'autorisant que l'entrée des équipes de la Croix-Rouge, ouvriers et séminaristes qui, sous la direction du Dr Bapt, médecin inspecteur de la Santé, étaient chargées des inhumations. Cinquante-deux corps seulement purent être identifiés, le plus souvent à l'aide d'objets dont ils étaient porteurs. Le chiffre exact des morts n'a jamais pu être établi en raison de l'état des corps. Le puits Picat, à l'Auze, par exemple, était rempli de cadavres que l'on ne put extraire. Il fallut le remplir de chlorure de chaux, Et comment identifier les victimes dans les deux mètres cubes de restes calcinés qui furent retirés de l'église et de la sacristie ?
Le bilan officiel, définitif, s'élève à 642 victimes, dont 190 hommes. Des familles entières furent exterminées. Exemples : famille Dupic :
6 personnes ; Poutaraud : 8 (père, mère, 1 fils, 5 filles ; il en resta une sauvée par son absence) ; Hyvernaud : 9 (père, mère, 7 fils et filles ; 1 fils échappé et 1 autre en Allemagne), etc. ... Et, dans ce bourg où tout le monde était plus ou moins apparenté car, dans les campagnes, on se marie beaucoup sur place, des survivants perdirent 10, 20, 30 parents.
D'après une première liste administrative qui comprenait 636 noms, les victimes se répartissaient ainsi :
1° Personnes domiciliées ou réfugiées à Oradour : 393 ;
2° Personnes habitant les villages et hameaux de la commune : 167. Lieux les plus touchés : La Brande : 17 ; Les Bordes : 16 ; Le Repaire : 16 ; Le Mas-du-Puy : 13 ; Les Brégères : 11 ; Puygaillard : 11, etc.;
3° De Limoges : 33 ;
D'autres localités de la Haute-Vienne : 25 ;
5° D'autres départements (Seine, Seine-et-Oise, Hérault, Rhône, Pas-de-Calais, Nord, Vaucluse, Marrie, etc.) : 18.
Parmi ces centaines de martyrs, on notait 40 Lorrains, 7 ou 8 Alsaciens, 19 Espagnols, 3 Polonais, et une famille de cultivateurs italiens totalisant 7 morts.
Avec beaucoup de peine, tant la peur de la Gestapo était grande, on put retrouver 36 survivants, dons les uns, 16 ou 17 hommes ou femmes, avaient réussi à tromper la surveillance des sentinelles et des patrouilles ; parmi eux, trois enfants, Roger Godfrin, André Pinède, que des sentinelles laissèrent sortir de la zone cernée et Robert Besson qui se cacha entre des murs couverts de lierre. Les autres durent leur salut au hasard qui les avait fait s'absenter ce jour-là pour aller au travail ou en voyage, tels M. Desvignes, boucher, qui était à la foire de Saint-Victurnien ; Gabriel Senon, facteur, qui était en tournée ; M. Pister, électricien, qui assurait son service au dépôt de l'Aurence ; MM. Deglane, Hébras père, Bardet, qui travaillaient également hors d'Oradour ; MM. Desroches, Garraud, Descubes, Hyvernaud...
Mme Montazeau, femme du notaire, et sa fille ; Mu' Compain, fille du pâtissier ; M. Leblanc Eugène, M. Redon Émile, M. Darthout Aimé, étaient allés passer la journée à Limoges. Quelques-uns d'entre eux revinrent par le tramway du soir.
Hélas ! en rentrant, ils ne retrouvèrent plus les leurs demeurés dans le bourg.
L'incendie avait détruit 328 constructions diverses, dont 123 maisons d'habitation, 40 granges, 58 hangars, 35 remises, 22 magasins, 4 écoles, 1 gare.
Les protestations officielles.
À peine connu, le drame provoqua des réactions presque unanimes d'indignation et d'horreur. Des protestations s'élevèrent à Limoges de la part du préfet régional, M. Freund-Vallade, de l'évêque, Monseigneur Rastouil, du pasteur Chaudier, au cours de cérémonies officielles ou religieuses que les occupants s'efforcèrent d'empêcher en faisant, par exemple, courir le bruit que la cathédrale avait été minée et sauterait pendant la cérémonie fixée au 21 juin. Ce jour-là, la ville de Limoges toute entière prit le deuil : les magasins, les cafés, les salles de spectacles fermèrent, les usines s'arrêtèrent...
Le Maréchal Pétain adressa à Hitler une lettre de protestation dans laquelle il déplorait ces procédés de représailles dont la répétition risque, disait-il, de compromettre gravement l'espoir que nous avons mis dans la réconciliation de nos deux peuples. En juin 1944, il était bien le seul Français à parler de réconciliation ! Et son porte-parole officiel à la radio d'État, Xavier Vallat, dans un éditorial du 27 juillet, n'hésita pas, lui, à expliquer que si des Français n'avaient pas désobéi au Maréchal en Afrique du Nord, provoquant l'occupation de la zone sud, puis causé, au nom d'un faux patriotisme, des troubles graves, des soldats allemands n'auraient pas été amenés à faire supporter à une population innocente la cruelle conséquence des méfaits de quelques bandits (sic).
Les responsables. - La division « Das Reich ".
Quels furent les causes et les véritables responsables de ce massacre que rien ne pouvait justifier ?
Aujourd'hui encore, malgré les efforts des enquêteurs et des historiens, tout ce qu'on connaît d'une façon certaine, c'est l'identité de la troupe qui opéra.
Dès le forfait accompli, pourrait-on dire; il fut établi d'une façon certaine que les crimes d'Oradour étaient l'œuvre d'une unité S.S., la 3° compagnie du régiment Der Führer de la division Das Reich. L'identification rapide de l'unité résulta notamment de la découverte par M. Villoutreix, le 16 juin 1944, dans un champ de blé, aux Brégères, à la sortie d'Oradour, d'une sacoche militaire en toile forte contenant divers objets, en particulier une carte routière Michelin. On retrouva aussi une enveloppe portant l'indication : secteur postal 15 807-D, qui était précisément le secteur postal de la 3e compagnie. Des inscriptions portées à la craie sur les locaux occupés par l'unité à Nieul le soir même du crime faisaient allusion à la 3e compagnie. (Deux témoins, M. Bouty, directeur d'école et M. Rivet, pharmacien, en attesteront la réalité devant le tribunal de Bordeaux.) Cette identification fut facilitée encore par le timbre des laisser-passer délivrés le dimanche matin 11 juin à Nieul sous la signature du lieutenant Lange, de l'état-major du 1er bataillon à deux camionneurs, MM. Démery et Nadaud qui avaient été requis la veille à Saint-Junien pour transporter à Nieul les vivres et les bagages de l'unité qui opérait à Oradour et à qui un S.S. alsacien avait dit quelques heures à peine après le drame : Nous venons de faire un joli coup ; on vient de tuer tous les gens d'Oradour et de les brûler dans l'église.
La division Das Reich fut formée au début de 1941 dans la région de Wissembourg, avec des éléments venus de Hollande et de Pologne. En mars, elle quitte la France pour la Yougoslavie, puis l'Autriche d'où elle est envoyée en Pologne, à la frontière soviétique. C'est là qu'elle se trouve en juin lorsque l'Allemagne déclenche une nouvelle guerre d'agression, contre la Russie.
Elle combat pendant plusieurs mois sur le front russe, puis elle est ramenée au repos en France, dans la région de Rennes et du Mans. Au début de 1943, elle repart sur le front russe, dans le secteur de Karkov où elle demeure jusqu'en décembre. À cette date, le gros de la division est regroupé en Prusse Orientale, tandis qu'un groupement de combat restreint reste en ligne sur le front russe pendant quelques mois, jusqu'en avril 1944. Entre-temps, le gros de la division est venu s'implanter, dès février, dans la région de Bordeaux et des Landes.
Au début d'avril, nouveau mouvement : le quartier général s'installe à Montauban, tandis que les unités sont dispersées dans diverses localités de la Haute-Garonne, du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Quand les troupes alliées débarquèrent en Normandie, la division Das Reich fut expédiée vers ce nouveau front. Elle y fut durement éprouvée, certaines de ses unités furent même pratiquement anéanties, et ce fut le cas, par exemple, de la compagnie qui se trouva réduite, après les quelques premiers jours de combat, à une trentaine d'hommes. Après avoir battu en retraite à travers la France et la Belgique, la division fut reformée à l'Eifel, participa encore, en décembre 1944, à l'offensive de Von Rundstedt dans les Ardennes, puis fut envoyée dans l'Est pour tenter d'enrayer l'avance des armées soviétiques.
Au moment où le nazisme capitula, le 8 mai 1945, les diverses unités de la division Das Reich se trouvaient en Autriche, en Hongrie et en Tchécoslovaquie.
Mais revenons aux premiers mois de l'année 1944. La division, commandée par le général Lammerding, qu'on pouvait croire au repos, participe en réalité à une série d'opérations de police, en liaison avec la Gestapo et la milice. Le régiment Der Führer et, en particulier, le 1er bataillon, sont mêlés à ces opérations dans des conditions que le commissaire du Gouvernement rappellera devant le Tribunal de Bordeaux.
Du 11 au 13 mai 1944, par exemple, eut lieu dans le Lot une opération de grande envergure contre le maquis. Organisée avec la Gestapo de Toulouse, elle devait consister essentiellement en une vaste rafle de la population masculine. L'exécution en fut confiée au régiment Der Führer. Le 1er bataillon y participa sous les ordres du commandant Dickmann. Professant là comme ailleurs, comme en toutes circonstances, le plus parfait mépris pour les personnes et pour les biens, il jalonna son itinéraire d'une traînée de cendre et de sang. Dans une vingtaine de malheureuses localités, ce ne fut qu'incendies, pillages systématiques, tir à volonté sur les populations affolées qui tentaient de fuir, nombreuses exécutions sommaires de civils, hommes et femmes...
Le 21 mai 1944, nouvelle opération. Le 1er bataillon, coopérant cette fois avec la Gestapo d'Agen, s'acharnait sur les infortunées populations des confins du Lot-et-Garonne, de la Dordogne et du Lot. Pillages, tortures, incendies, tels avaient été les exploits les plus communs de la journée quand, aux environs de 19 heures, au moment où la colonne traversait Fraissinet le Gélat, un coup de feu aurait été tiré d'une maison, tuant un Allemand. La réaction sauvage, aveugle, fut instantanée. Trois malheureuses femmes habitant la maison d'où le coup serait parti furent pendues séance tenante ; deux d'entre elles, l'une aveugle et l'autre infirme, étaient âgées de soixante-deux et de soixante-quatorze ans. Mais ce n'était pas suffisant : dix hommes pris au hasard furent aussitôt fusillés. Le curé du village, se traînant à genoux, s'offrant pour ses concitoyens, put enfin calmer ces gestes de démence. Or, il n'y avait eu aucun attentat, simplement une mise en scène pour permettre aux S.S. de se livrer à ces actes de terrorisme dans le village.
Pour ces faits, le capitaine Kahn, commandant la 3e compagnie, et un lieutenant de l'état-major du bataillon furent condamnés à mort par contumace le 15 février 1949, par le Tribunal militaire permanent de Bordeaux.
Le débarquement allié allait enfin débarrasser la région du Sud-Ouest de cette troupe criminelle.
Dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, la division Das Reich fit mouvement vers la Normandie, le régiment Der Führer empruntant l'itinéraire Cahors-Souillac - Brive – Uzerche - Limoges, par la route nationale 20, puis Bellac-Poitiers par la RN 147, Poitiers-Tours par la RN 10. Le groupe de reconnaissance se détacha de la colonne à Brive, dévia vers Tulle où, sur l'ordre du général Lammerding, la section de pionniers de sa 4e compagnie procéda à la pendaison de 99 civils clans les rues de la ville, et à l'arrestation de plusieurs centaines d'habitants qui furent envoyés en déportation ; 111 devaient succomber. Entre Cahors et Souillac, le 1er bataillon du régiment quitta lui aussi la route principale pour faire vers l'Ouest une sorte de crochet au long duquel furent commis - comme à l'ordinaire, pourrait-on dire - un certain nombre de crimes de guerre. Tandis que le convoi principal se rendait de Cahors à Souillac sans quitter la Nationale 20, le 1er bataillon s'en séparait, faisant un crochet par les Nationales 701 et 703, jalonnant lui aussi sa route par une série de crimes.
Le 8 juin, à Gourdon, deux habitants sont abattus, deux femmes sont grièvement blessées. À Payrignac, deux habitants tombent sous une rafale d'arme automatique. À Grolejac, vers 18 h 30, un vieillard de soixante-dix-sept ans est abattu ; de nombreux pillages sont commis ; un hôtel est incendié. L'arrivée dans cette localité avait provoqué un engagement avec le maquis. Furieux, les Allemands poursuivirent leur route, en tirant de tous les côtés, sans motif. Des vieillards, un médecin qui venait de soigner des blessés, furent parmi les victimes. Quatre résistants furent arrêtés et exécutés sur-le-champ. Une fillette de sept ans fut grièvement blessée. Au total : treize morts, quatre blessés graves.
Poursuivant sa route, la colonne atteint Calviac. C'est toujours le 8 juin. Au lieu dit Rouffillac, quelques coups de feu sont tirés par le maquis. Réaction immédiate : neuf personnes sont massacrées ou brûlées vives clans le restaurant Marty qui est incendié. Parmi les victimes : deux enfants de Il ans, un enfant de 9 ans, cieux vieillards, dont une femme de 64 ans. Deux habitants de Carlux sont aussi passés par les armes. Deux femmes - l'une a 70 ans - sont grièvement blessées ; et, cela va de soi, quelques incendies et pillages viennent s'ajouter à cette liste de méfaits...
Enfin, avant de rejoindre à Souillac la RN. 20, la colonne marqua son passage à Peyrillac par des pillages et un nouveau meurtre, celui du chauffeur d'un camion qui fut abattu sans aucune explication.
À Souillac donc, le bataillon rejoint le gros du convoi. Entre Souillac et Limoges, d'autres crimes sont commis: meurtres, incendies, pillages à Noailles, Sadroc, Perpezat-le-Noir, Salon-la-Tour, mais sans qu'il ait été possible de déterminer à quelle unité ils étaient imputables.
Tous ces faits font ressortir de façon claire le comportement habituel de cette troupe à l'égard des populations des territoires occupés, et permettent de mieux comprendre son comportement à Oradour.
Les S.S agissaient-ils de leur propre initiative, comme l'a prétendu Lammerding, ou en vertu d'ordres supérieurs ? Le nombre, la répétition et la similitude de leurs actions criminelles montrent clairement qu'il ne s'agissait pas d'accidents de parcours ou d'initiatives individuelles, mais d'une méthode bien établie.
Mais établie par qui ?
Il ne fait aucun cloute que des ordres avaient été donnés par le Haut Commandement. En 1946, au procès des grands criminels de guerre, à Nuremberg, le procureur français fit état, dans son réquisitoire, de documents trouvés dans les archives allemandes où il est dit que, si des attaques sont dirigées contre les militaires ou les services allemands, la population peut être considérée comme responsable et des mesures de représailles ordonnées pour l'effrayer et l'empêcher à l'avenir de commettre des actes semblables...
Des ordres prescrivant l'exécution d'otages furent signés par Keitel, commandant en chef de la Wehrmacht, puis transmis aux commandants militaires des pays occupés qui, à leur tour, les adressaient, avec des instructions complémentaires, aux commandants de région sous l'autorité desquels se trouvaient placées les grandes unités faisant mouvement. Et telle semble bien être la procédure suivant laquelle des ordres très sévères furent donnés le 8 juin, le jour même des pendaisons de Tulle, au général Lammerding par le général Von Brodowski commandant la région de Clermont-Ferrand.
Dans un de ces ordres (N° 3638-44), il est dit que « le climat d'insécurité qui règne dans les régions du Massif Central doit être radicalement supprimé... qu' " il faut, par des exemples, frapper durablement l'esprit des populations... leur faire passer l'envie d'aider les maquis... ". Il est indispensable d'agir avec dureté et sans aucun ménagement.
C'est terriblement clair, mais n'explique pas le choix d'Oradour ni son martyre.
Lorsque le convoi de la division Das Reich atteignit la région de Limoges où il allait stationner du 9 au 11 juin, l'état-major du régiment Der Führer commandé par le colonel Stadler, s'installa à Limoges même, le 1er bataillon à l'Est, le 3e à l'Ouest, d'où il entreprit, dès le 9 juin, une action sur Guéret, au retour de laquelle son chef Kempfe, roulant isolé en avant de sa troupe, fut capturé par des maquisards sur le territoire de la commune de Saint-Léonard. Le gros de l'état-major et la 3e compagnie du 1er bataillon stationnèrent le 9 juin à Saint-Junien. À peine les S.S. sont-ils là, déclarera le gendarme Lagorce, témoin au procès de Bordeaux, qu'ils pillent les garages, se jettent sur les pompes à essence, brutalisent la population. En haut du champ de foire, ils se livrent même à un bruyant exercice de lancement de grenades. Des voitures S.S. font une navette incessante entre Rochechouart et Saint-Junien. Toute la nuit la fusillade retentit... Il faut dire que, depuis la veille, il régnait dans la ville une certaine effervescence car des maquisards avaient fait sauter le viaduc de la voie ferrée et tué deux soldats. Prévenue de l'incident, la garnison allemande de Limoges avait envoyé aussitôt sur les lieux, par train spécial, un détachement de la Wehrmacht, qu'accompagnaient des fonctionnaires de la Gestapo. Et c'est dans une atmosphère lourde de menaces que le lendemain les éléments du 1er bataillon les avaient relevés.
A Rochechouart, se succédèrent, les 9 et 10 juin, deux compagnies de ce bataillon qui se signalèrent par leurs violences à l'égard des habitants. Enfonçant les portes des garages et frappant brutalement les propriétaires qui n'obéissaient pas assez vite à leurs injonctions, les S.S. firent main basse sur les plus belles voitures de la ville. Au cours de la nuit, ils opérèrent de multiples et odieuses perquisitions. Le matin du 10 juin, un ouvrier occupé à faucher est grièvement blessé par un coup de fusil. Son beau-père et un jeune homme de la famille sont arrêtés et bâtonnés dans le but de leur faire avouer l'existence de terroristes à Rochechouart. Au cours de l'après-midi, les S.S., postés sur la terrasse d'une promenade qui domine la campagne, tirent des coups de fusil au hasard, tuant une pauvre femme et en blessant deux autres, et cherchant manifestement à créer des incidents dans le but de pouvoir exercer des représailles.
Il paraîtrait aussi, d'après le colonel Weidinger 11, qu'à l'aube du 10 juin, un lieutenant S.S., Gerlach, parti la veille pour Nieul afin d'y préparer des cantonnements, était revenu à Limoges sans voiture et à demi-nu. Son chauffeur et lui auraient été également enlevés, frappés et dépouillés de leurs vêtements, chargés dans un camion qui se serait arrêté à l'entrée d'Oradour-sur-Glane, identifié grâce à un panneau indicateur, et conduits clans un chemin forestier, à une vingtaine de kilomètres au Nord d'Oradour, à 6,5 km de Bellac, pour y être fusillés. Une violente altercation ayant éclaté entre les maquisards et le chauffeur qui se débattait et refusait de marcher, le lieutenant en aurait profité pour s'enfuir. C'est du moins ce qu'on peut lire dans sa déposition devant un juge de Hambourg en 1951, sur commission rogatoire du Tribunal de Bordeaux 12, déposition qui dut être classée comme ne contenant aucune trace de vérité puisqu'il n'en fut pas question au procès.
Dans le même temps, on aurait découvert dans une avenue de Limoges, les papiers personnels de Kempfe éparpillés sur la chaussée, ce qui pouvait signifier qu'il était encore vivant et avait été conduit à la ville 13. Le chef du 1er bataillon, Dickmann, qui venait d'arriver de Saint-Junien, mis au courant de tous ces faits et persuadé que Kempfe se trouvait dans la région d'Oradour aurait alors proposé à son colonel de s'y rendre avec une compagnie pour essayer d'entrer en relation avec la Résistance et faire relâcher son camarade. Le colonel lui aurait accordé l'autorisation en lui recommandant de faire de nombreux prisonniers pour servir de monnaie d'échange 14.
Dickmann repartit aussitôt accompagné du lieutenant Kleist, de la Gestapo de Limoges, et de quatre miliciens ; et c'est au siège de l'état-major du 1er bataillon installé à l'Hôtel de la Gare, à Saint-Junien, que fut décidée et réglée la destruction d'Oradour. Lorsque, après une heure de discussion, Kleist regagna sa voiture, il confia à son interprète, un milicien, qu'il allait être procédé, dans le courant de l'après-midi, à Oradour-sur-Glane à l'exécution de quarante otages. Il ajouta même que, ne désirant pas assister à un tel massacre, il accompagnerait l'unité qui devait opérer à Saillat à la même heure 15. Cette préméditation sera confirmée devant le Tribunal de Bordeaux par certains accusés déclarant qu'au départ de Saint-Junien, on leur avait dit : Ça va barder ! ; qu'en cours de route, un lieutenant annonça à la cantonade : Aujourd'hui, vous verrez le sang couler ; et qu'on allait bien voir maintenant ce dont les Alsaciens étaient capables.
Vers 13 heures, aussitôt le repas terminé, c'est donc le branle-bas général. Certains hommes s'étonnent qu'on n'embarque pas les bagages, mais seulement les munitions et les armes. Immédiatement, le convoi s'ébranle. En tête, une auto-mitrailleuse dans laquelle Dickmann a pris place ; un homme, l'arme à la main, est assis sur le capot. Une dizaine de camions suivent, un par groupe, clans l'ordre normal des sections. Un motocycliste ou deux assurent la liaison. Sur les plates-formes des camions, les soldats casqués porteurs de leur veste de camouflage, l'air menaçant, attentifs, l'arme prête à tirer...
On connaît la suite...
En apprenant ce qui s'était passé, le colonel Stadler serait entré dans une violente colère et aurait demandé au général Lammerding que Dickmann fût traduit en cour martiale. Mais on n'a retrouvé aucune trace de son rapport. La division Das Reich partit pour la Normandie où elle fut durement éprouvée, et Dickmann y fut tué dans les premiers engagements, emportant son terrible secret.
Quelles instructions précises avait-il reçues en partant pour Oradour ? Quelles véritables raisons dictèrent le choix de ce village et la cruauté des représailles ? On ne le saura probablement jamais, car ce n'est pas ce bref compte rendu que Dickmann envoya le lendemain à ses chefs qui nous l'apprendra :
P.C. 11 juin 1944.
Le 10/6 à 13 h 30, le 1er bataillon S.S. " D.P." a cerné Oradour. Après la fouille, le village a été incendié. Des munitions se trouvaient dans presque chaque maison.
Le 11/6, deux compagnies ont marché sur Nieul-le-Château. Les terroristes avaient évacué la localité pendant la nuit.
Résultat : 548 morts ennemis. 1 blessé chez nous.
Même si l'on admet la thèse officielle de l'enlèvement de Kempfe, pourquoi aurait-on exercé des représailles sur un village situé à une cinquantaine de kilomètres du lieu de l'enlèvement ? Village où il n'y avait aucune formation armée de résistants, ce que les Allemands ne pouvaient ignorer puisque Oradour rie figurait pas sur les cartes murales des maquis retrouvées à la Gestapo de Limoges, les plus proches étant dans les Monts de Blond, à une douzaine de kilomètres au Nord d'Oradour.
Mais peut-être est-ce justement parce qu'Oradour était un village calme et paisible où les S.S. ne risquaient pas de se heurter à la Résistance qu'il fut choisi comme lieu de représailles ? De préférence à Saint-Junien, ville de IO 000 habitants où, d'après le maire, interrogé après les événements du 8 juin, il y avait 1 800 maquisards, chiffre manifestement exagéré, mais qui donna à réfléchir aux Allemands.
Car il s'agissait bien de représailles. On en trouve la preuve dans deux documents, établis tous les deux après la tragédie, par le 10e régiment S.S., et découverts à Limoges même, dans lesquels le mot représailles est employé.
On peut lire dans le premier, à la date du 14 juin : Une action passagère de la division Das Reich à Limoges et dans les environs a fait une impression visible sur la population. Et, dans le second, daté du 17 juin : Le commencement des mesures de représailles a provoqué un soulagement sensible et a influencé le moral de la troupe favorablement.
Ces deux documents montrent bien qu'en dépit de la prétendue colère du colonel Stadler, la tuerie d'Oradour avait été voulue, ordonnée.
LE PROCÈS DE BORDEAUX
(12 janvier - 13 février 1953)
Recherche des criminels.
Le monde entier demandait que les coupables, et surtout les responsables, fussent recherchés, jugés et condamnés. Sans cloute, plus encore que le châtiment, importait-il que le mécanisme de ces crimes fût connu, que l'on pût donner un visage et un nom à ceux qui, presque toujours perclus clans l'anonymat des sphères supérieures de la hiérarchie S.S., avaient ordonné ces crimes. N'étaient-ils pas cent fois plus coupables que les bourreaux, leurs subordonnés ? Certes, la brute S.S. qui avait fusillé, torturé, pendu, devait être châtiée, mais ceux qui l'avaient commandée, ceux qui, au sommet de la hiérarchie, au commandement du régiment, et plus encore de la division, avaient ordonné qu'il en fût ainsi, rie portaient-ils pas le poids de tous les crimes commis par ces milliers de tueurs, leurs exécutants ?...'.
Les recherches furent donc tout spécialement dirigées vers la division Das Reich ; mais, dès le départ, elles empruntèrent une fausse piste.
Le 26 octobre 1944, la presse annonçait la capture en Haute-Savoie du général Von Brodowski, porteur d'un journal de marche clans lequel on lisait : 3 juin 1944. L'organisation et la conduite des opérations de nettoyage contre les bandes terroristes sont confiées au général lieutenant Von Broclowski qui en sera responsable.
11 juin 1944. Au cours d'une action de la troupe en claie du 10, la localité d'Oradour (31 km S.-O. de Limoges) a été réduite en décombres et en cendres. L'erreur d'orientation : S.-O. au lieu de N.-O. fit dire que les Allemands s'étaient trompés de localité et visaient Oradour-sur-Vayres, qui est bien au S.-O. et à cette distance de Limoges. On sait cependant aujourd'hui, d'une façon certaine, qu'il n'y avait pas eu confusion.
Ce journal fut complété ainsi le 14 juin : Une communication téléphonique en provenance d'Oradour (30 km au Sud-Ouest de Limoges), signale ce qui suit : 600 personnes auraient péri 2. Un Untersturmführer de la division blindée S.S. Das Reich avait été fait prisonnier à Nieul (8 km au Nord-Ouest de Limoges) et il a été amené à Oradour. Il a pu s'échapper. On a trouvé le cadavre d'un trésorier de 1re classe qui portait les traces de sévices. Toute la population mâle d'Oradour a été fusillée. Les femmes et les enfants s'étaient réfugiés dans l'église. L'église a pris feu. Dans l'église étaient entreposés des explosifs. Toutes les femmes et tous les enfants trépassèrent.
Ces trois documents, dont le plus explicite, attribué à une source française, est criblé d'erreurs et de mensonges, firent croire que Von Brodowski était directement responsable du massacre d'Oradour. Inculpé de crimes de guerre et détenu à la citadelle de Besançon, Von Brodowski tenta de s'évader le 28 octobre et fut tué par une sentinelle avant d'avoir pu parler. Mais des procès ultérieurs remirent les choses au point.
L'enquête se porta alors vers le général Lammerding, sur Dickmann et son adjoint, le capitaine Kahn, dont la compagnie n'avait pas été choisie par hasard, mais parce qu'elle comprenait des pionniers, spécialistes des engins explosifs et incendiaires.
Quelques S.S. appartenant à cette unité purent être identifiés et arrêtés, les autres ayant reçu leur châtiment sur les champs de bataille de Normandie ou demeurant introuvables. Dickmann était mort ; Kahn, blessé et dirigé vers le Reich, avait disparu. Et, fait troublant, sa famille avait disparu aussi, ce qui donnait à penser qu'il était encore vivant.
L'instruction.
L'instruction fut lente. Aucune enquête sérieuse ne put être menée pendant la présence des troupes allemandes sur le sol français. Il fallut attendre la Libération. Mais, par suite des mouvements de troupes, des mutations, des disparitions de S.S. pendant ou après les combats, l'identification des coupables fut très laborieuse. L'état-civil et le domicile des criminels recherchés étaient souvent imprécis ; certains se trouvaient prisonniers en Allemagne, au Canada ou aux États-Unis. Les commissions rogatoires envoyées en Allemagne se heurtèrent à de nombreuses difficultés : le partage de l'ancien Reich en zones d'occupation mettait les enquêteurs à la merci du bon vouloir des autorités militaires alliées qui firent souvent la sourde oreille ; enfin, la complicité des populations permit à des inculpés d'échapper aux recherches, etc. Si bien que certains, pourtant parfaitement connus, ne furent jamais livrés à la justice française.
De plus, l'instruction fut cahotante, marquée par les multiples incidents d'une procédure fantasmagorique, à laquelle aucune vicissitude ne fut épargnée, selon les expressions mêmes employées au procès par le Président du Tribunal et le Commissaire du Gouvernement. Des inculpés étaient recherchés pour des affaires différentes par plusieurs tribunaux ; l'éloignement géographique rendait difficile la confrontation des témoins, et, au fur et à mesure que le temps passait, l'imprécision de leurs souvenirs entraînait des variations et des contradictions qui nécessitaient de nouvelles et longues prolongations d'instruction. Les inculpés eux-mêmes avaient reçu l'ordre secret de " tout faire pour dégager les chefs ", et les enquêteurs se heurtaient à un mur de silence, à une amnésie générale d'autant plus forte qu'elle était délibérée. Comme était délibérée aussi la multiplication des recours destinés à retarder la comparution devant les tribunaux. Il y avait eu onze jugements, renvois, suppléments, cassations et mises en accusation successifs pour un S.S. alsacien jugé une première fois en 1946 par la Cour de Justice de Limoges lorsque, enfin, le 12 janvier 1953, huit ans et sept mois après le massacre, s'ouvrit devant le Tribunal ,militaire de Bordeaux le procès de l'affaire Kahn et autres que les journaux du monde entier appelèrent d'une façon moins juridique le procès d'Oradour.
Ouverture des débats.
Le Tribunal, composé de six officiers de la Résistance, était présidé par un magistrat, M. Nussy Saint-Saens, Conseiller à la Cour d'Appel de Bordeaux. Une délégation de l'Association Nationale des Familles des Martyrs d'Oradour, conduite par son président, M. Brouillaud, assistait au procès, réclamant pour les criminels un châtiment à la mesure de leur barbarie, sans pour autant faire appel à la haine, mais seulement à la justice.
Le juge d'instruction militaire, qui n'avait pu poursuivre que des vivants, avait établi une liste de 65 noms. Mais sur les 65 accusés, 44 d'entre eux, dont le capitaine Kahn et ses 3 officiers, étaient en fuite. 21 seulement comparurent : 14 Français, tous incorporés de force, dont 9 atteignaient l'âge de dix-huit ans en 1944 et étaient donc mineurs au moment des faits. Un sergent S.S., engagé volontaire, poursuivi d'autre part pour haute trahison, et un soldat déjà condamné clans une autre affaire, avaient été retenus en prison ; les 12 autres, dont 6 avaient déserté l'armée allemande, après avoir été interrogés, avaient été laissés en liberté et, la guerre finie, avaient repris leur métier en Alsace comme maçon, facteur, cultivateur, employé de bureau, etc. Plusieurs s'étaient mariés et étaient pères de famille. Certains avaient même combattu dans l'armée française en Europe et en Indo-Chine. Sept Allemands seulement. Un seul sous-officier - un adjudant - sur le banc des accusés ; pas un officier. Le colonel Stadler n'était pas là - les avocats de la défense affirmèrent pourtant que les autorités françaises auraient pu mettre la main sur lui -, ni Lammerding qui, entre temps, en juillet 1951, avait été jugé par le même Tribunal pour les pendaisons de Tulle et condamné à mort, mais par contumace.
Il ne se cachait pourtant pas. Il vivait paisiblement dans la zone d'occupation britannique, à Dusseldorf, où il avait repris son ancien métier d'ingénieur en construction. Il n'éprouvait même pas le besoin de se faire oublier. Pendant le procès, ne poussa-t-il pas l'inconscience ou le cynisme jusqu'à expliquer dans une lettre que les accusés devaient être excusés car ils n'avaient fait qu'obéir à Dickmann qui, lui, avait dépassé les ordres ? Et, pour donner plus de sérieux à sa lettre, il avait fait authentifier sa signature par un notaire. Mais il n'eut pas le courage de venir revendiquer la responsabilité de ses ordres devant un tribunal où seuls comparaissaient, doublures des sinistres vedettes défaillantes, les subordonnés qui lui avaient obéi.
Le gouvernement français qui ne demanda son extradition qu'au cours de ce second procès, et pour l'affaire de Tulle seulement, fut incapable de l'obtenir car, depuis le 1 septembre 1948, les autorités anglaises n'acceptaient plus de demandes d'extradition, sauf cas de meurtres établis sans contestation possible, demandes qui devaient être appuyées de plusieurs témoignages à charge et du texte intégral de l'acte d'accusation, ce qui n'était pas possible.
Que pouvait-on espérer de ce procès dont le dossier fut qualifié par le Commissaire du Gouvernement de monument d'incohérence et de complications, procès où il y avait plus de Français que d'Allemands, les uns et les autres exécutants de bas étage, alors que les principaux acteurs du drame étaient morts ou disparus, et que les vrais responsables pour l'opinion publique, les véritables assassins, parfaitement connus et bien vivants, eux, étaient absents et qu'il fut à peine question d'eux ?
Le malaise qui régnait à l'ouverture des débats fut encore aggravé par le fait que les accusés, qui n'avaient pu être poursuivis jusque-là, puisque d'après le Code militaire français, un subordonné ne pouvait être puni pour l'exécution d'un ordre émanant de ses chefs, cet ordre fût-il criminel, et que certains avaient déjà bénéficié d'un non-lieu, allaient être jugés en vertu de la loi du 15 septembre 1948 qui avait créé la notion de responsabilité collective pour les criminels de guerre. Or, cette notion était doublement contraire à notre droit classique par son effet rétroactif et parce que, renversant les règles fondamentales de la preuve, elle obligeait t'accusé présumé coupable à prouver son innocence. Elle était contraire aussi à la Déclaration des Droits de l'Homme et au préambule de la Constitution. Enfin, elle s'appliquait en l'espèce, à une majorité d'accusés qui n'avaient appartenu à une organisation criminelle, la S.S., que sous la contrainte, et on apprit, par la voix de l'un des avocats de la défense, que, si Lammerding avait été condamné à mort par contumace pour les pendaisons de Tulle par ce même tribunal, il avait été paradoxalement acquitté de l'accusation d'association de malfaiteurs.
La situation, pour le moins choquante, des Alsaciens accusés et cette loi odieuse de représailles qui s'imposait d'autant moins que le Code Pénal aurait suffi, créèrent autour de ce procès une atmosphère des plus pénibles.
Aussitôt après l'interrogatoire d'identité des accusés, le bâtonnier de Strasbourg, M` Schrekenberger, un des défenseurs des Alsaciens qui, naguère, avait été condamné aux travaux forcés par un tribunal allemand pour faits de résistance, rappela - très justement d'ailleurs - que le recrutement illégal et l'incorporation forcée auxquels s'étaient livrés les nazis avaient été précisément déclarés crimes de guerre et que le gauleiter Wagner avait été condamné à mort et fusillé pour cela.
Nous n'admettrons pas, dit-il encore, que ces douze Alsaciens soient, en vertu de cette présomption de culpabilité, assimilés aux Allemands, et, pour qu'ils ne soient pas jugés comme des ressortissants ennemis, je vous demande la disjonction, parce que c'est là une simple mesure de justice.
Après lui, Me Schmidt brossa un tableau saisissant de la situation de l'Alsace sous l'occupation allemande : création de barrières entre cette province et la France, défrancisation -- néologisme malheureux, mais qui dit bien ce qu'il veut dire - de l'Administration, des organisations et des élus ; introduction en Alsace de la législation allemande ; interdiction de parler français, embrigadement des enfants dans les Jeunesses hitlériennes ; enfin, incorporation de force dans l'armée allemande...
Il réclame lui aussi la disjonction. Ce n'est pas l'impunité, conclut-il, que nous demandons, mais la justice, la justice française, pour des Français. Il y va de l'unité nationale. La passion s'en mêla. Bien que le président Nussy Saint-Saens ait déclaré dès l'ouverture des débats : le véritable procès que nous faisons ici est et demeure celui de l'hitlérisme, l'Alsace, Résistance-Est en tête, fut littéralement mobilisée. C'est en vain que des voix plus sages tentèrent d'expliquer que les Alsaciens avaient tort de se sentir soudain solidaires d'hommes qui n'avaient pu se désolidariser du crime, que les accusés n'étaient pas toute l'Alsace et qu'en tout état de cause ils seraient jugés selon leurs actes, ce procès, si important, mais où il aurait fallu concilier l'inconciliable, sombra, hors du prétoire, dans la querelle politique. Aussi, en plein procès, le 29 janvier, l'Assemblée Nationale, pour éviter que ne se creuse un véritable fossé entre l'Alsace et le reste du pays, votait, par 372 voix contre 179, une modification de la loi de 1948, qui équivalait à son abrogation, décidant que les Alsaciens n'étaient plus poursuivis avec les Allemands comme criminels de guerre, mais comme criminels de droit commun. Dans la nuit. du 29 au 30, malgré l'avis de sa commission de la justice, par 212 voix contre 93, le Conseil de la République confirmait le vote de l'Assemblée. Les juges étaient ainsi placés dans une situation qu'aucun tribunal n'avait encore connue. M. Brouillaud, au nom des Familles des Martyrs, vint protester contre ce vote devant le Tribunal ; mais il faillit se faire expulser par le Président qui déclara que rien n'était changé, qu'il n'avait jamais eu l'intention d'appliquer la loi de responsabilité collective, car le bon vieux Code Pénal d'hier suffisait.
Le procès dura exactement un mois - du 12 janvier au 13 février -. L'interrogatoire des accusés, passifs, dépourvus de toute éloquence, fut décevant. Frappés d'amnésie, ils revinrent presque tous sur leurs premières déclarations — en sept ans, ils avaient eu le temps de mettre au point leur défense ! -, ne sachant plus pourquoi ils étaient allés à Oradour, n'ayant que très vaguement entendu parler de l'enlèvement de Kempfe et niant leur participation active au crime car, à les en croire, ils n'avaient fait que monter la garde ou tirer en l'air.
Audition des témoins.
L'audition des témoins de l'accusation, au nombre d'une soixantaine, nous ne pouvons les citer tous, demanda une semaine. Les trop rares survivants, tous appelés à la barre, firent revivre, d'une façon pathétique, en des témoignages terribles et hallucinants, leur après-midi d'épouvante.
Il y eut en premier lieu les cinq rescapés de la grange Laudy : Broussaudier, Roby, Borie, Hébras, Darthout, miraculeusement épargnés par les balles meurtrières ; il y eut l'unique survivante des scènes de carnage de l'église, Mme Rouffanche. Il y eut M. Senon Armand qui, immobilisé par une fracture de la jambe qu'il s'était faite au cours d'une partie de football, put, de sa fenêtre, assister au rassemblement sur le champ de foire et voir arriver les sept retardataires qui furent fusillés devant la forge Beaulieu.
Autres témoins oculaires, Mme Coudert, M. Lévêque qui virent la colonne allemande approcher d'Oradour ; MM. Desourteaux Hubert et Renaud qui, ayant tenté de s'enfuir, furent immédiatement mitraillés et durent rebrousser chemin. Cachés dans un jardin, ils entendirent tirer dans la porte de Mme Hyvernaud des rafales de mitraillette auxquelles répondirent des cris d'épouvante de femmes et d'enfants. Dissimulé à son domicile, M. Desourteaux put observer les premiers déferlements des nazis dans le village, entendit une dernière fois les petits pas des enfants descendant la rue et vit passer plusieurs femmes se dirigeant vers l'église. Les frères Martial et Maurice Beaubreuil, réfugiés dans un jardin d'abord, dans un égout ensuite, virent des patrouilles circuler dans la rue. Le forgeron Redon se trouvait dans la rue principale, à hauteur du champ de foire, quand les premiers camions le dépassèrent ; il eut juste le temps de fuir à bicyclette en direction des Bordes, non sans essuyer quelques rafales d'armes automatiques qui, heureusement, ne l'atteignirent pas. Robert Besson et Jacques Garraud tentèrent eux aussi de s'échapper ; mais, au moment où ils escaladaient un mur, ils furent salués par des balles qui les contraignirent à chercher refuge dans un buisson de ronces. C'est près de là, d'ailleurs, qu'une patrouille tua un homme et deux femmes cachés dans un pré.
M. Lamige vit les patrouilles allemandes amener vers Oradour des voisins des villages des alentours, soit au total vingt-trois personnes. C'est lui aussi qui vit frapper sauvagement le grand mutilé de la guerre de 1914-1918.
Du hameau du Theil, position dominante au N.-O. du village, M. Tarnaud vit des Allemands partout ; il constata que le bourg était bien cerné et que des patrouilles très actives exploraient méthodiquement le terrain. M. Boissou en sait quelque chose, lui, qui, en fuyant des Bordes vers le Theil, fut poursuivi dans les blés à coups de pistolet et de mitraillette.
M. Guyonnet, quittant son champ près des Tuilières pour regagner son domicile à la Croix-des-Bordes, essuya également de nombreux coups de feu qui l'obligèrent à se cacher jusqu'à la tombée de la nuit. Mme Claverie, née Pinède, cachée sous un escalier avec ses jeunes frère et soeur, entendit dès le début tirer de partout, particulièrement à gauche du cimetière.
M. Bellivier Marcel, demeurant aux Brégères, et qui perdit toute sa famille clans cette journée tragique, vit incendier sa ferme et entendit abattre Mme Milord à quelques pas de lui.
À la nuit tombante, le témoin Hyvernaud René vit passer la colonne de camions grossie de quelques voitures volées, près de la gare de Veyrac. Sur les camions, les Allemands jouaient de l'accordéon, d'autres de l'harmonica, d'autres chantaient, etc.
Vous avez été frappés comme moi, j'en suis sûr, dira dans son réquisitoire le Commissaire du Gouvernement, le lieutenant-colonel Gardon, par la modération, la sincérité de tous ces témoins, qui est le signe, n'en doutons pas, de leur respect pour la justice et la confiance qu'ils placent en elle.
Témoignages oculaires, mais se rapportant cette fois à l'aspect de désolation que représentait le village d'Oradour aussitôt après l'intervention allemande : celui du commissaire Massiéras, attaché, à l'époque, au service des Renseignements généraux de Limoges, qui, le lundi 12 juin 1944, à la demande du Préfet régional, vint sur les lieux. A l'église, sur les murs extérieurs en particulier, autour de la fenêtre de la sacristie, il constata de nombreux points d'impact ; sur le sol, sur les escaliers, devant la porte, à l'intérieur, de nombreuses douilles vides ; à l'intérieur, encore de nombreux points d'impact sur les murs, même sur la plaque des morts. À l'intérieur toujours, un tas de cendres humaines et, dans la sacristie, une trentaine de corps plus ou moins calcinés.
Dans le bourg, le commissaire Massiéras constata la présence des cinq charniers et, dans tous, de points d'impact sur le mur du fond, à une hauteur de 1,80 m environ ou, un peu plus bas, à la hauteur présumée des têtes et des poitrines.
Le docteur Bapt et son adjoint, le docteur Benech, s'étaient rendus eux aussi sur les lieux le mercredi 14 juin et les jours suivants : Ces bras tordus, ces mains crispées, ces positions de repli, dirent-ils, témoignent bien des souffrances éprouvées avant la mort ; ces nombreuses fractures des membres inférieurs, ces jambes fauchées, les nombreux points d'impact très bas, nous amènent à conclure que la plupart des victimes furent brûlées vives.
Et le Dr Bapt, à qui la Kommandantur de Limoges avait formellement interdit de prendre des notes ou des photos, remit au Président des documents que celui-ci fit circuler parmi les accusés afin qu'ils puissent contempler l'oeuvre de la glorieuse 3e compagnie.
Un jeune prêtre lorrain, l'abbé Touch, qui, avec ses secouristes, procéda à l'inhumation des victimes de l'église, avait découvert un monceau de cadavres d'enfants derrière le maître-autel, « dernier et fragile refuge, dit-il, qu'un sublime amour maternel avait cru pouvoir leur donner ». Il avait trouvé aussi deux enfants morts d'une balle dans la nuque, et pris lui aussi des photos qui attestaient la réalité du crime et furent mises à la disposition du tribunal...
Le Dr Masfranc, conservateur des ruines d'Oradour, montra divers objets recueillis sur les lieux mêmes : une baïonnette allemande et son fourreau, retrouvés dans une maison, sur la place du champ de foire, une bouteille déformée par l'action intense de la chaleur, un étui à lunettes et un porte-cigarettes perforés par des balles qui, celles-là, précisa-t-il, n'avaient pas été tirées en l'air, comme l'avaient prétendu quelques accusés.
Enfin, le Commissaire du Gouvernement donna lecture d'un rapport manuscrit du juge de paix de Saint-Junien qui déclarait : Je me suis rendu dans cette nécropole trois ou quatre jours après le crime. J'ai vu le village en ruines dont pas une maison n'a été épargnée. Tout a été détruit. Il ne reste plus que des murs noircis et, çà et là, quelques objets, des cadres de vélos tordus par les flammes ; sur la place, la carcasse d'une auto calcinée, la petite gare de la station du tramway, le transformateur électrique eux-mêmes ont été incendiés. J'ai trouvé errant dans ces ruines, une semaine après, les yeux encore pleins d'épouvante de cette vision infernale, quelques habitants échappés au massacre par miracle.
Pour les Allemands, quels témoins à décharge pouvait-il y avoir ? Il n'y en eut pas. Leurs défenseurs n'eurent qu'une lettre à produire, cette lettre du général Lammerding adressée au Tribunal où il affirmait que les assassins étaient des soldats innocents qui n'avaient fait que leur devoir, et qu'il fallait relâcher.
Nombreux, par contre, furent les témoins des accusés alsaciens qui s'efforcèrent d'instruire le Tribunal de ce qu'avait été la mobilisation forcée de leurs compatriotes, l'affectation de certaines classes aux S.S., dont en particulier, la classe 46 à laquelle appartenaient la majorité des inculpés, la brutalité de la discipline employée pour briser leur résistance, les sanctions prononcées contre les familles des réfractaires ou des déserteurs...
Un témoignage unique en son genre frappa beaucoup le Tribunal: celui d'une institutrice alsacienne, sœur de deux victimes du massacre : Odile et Émile Neumeyer, qui déclara qu'elle ne pouvait tenir pour responsables ses jeunes compatriotes incorporés de force et soumis à une terrible contrainte, et qu'elle leur pardonnait.
Ce furent, dans leur simplicité, les plus nobles paroles entendues au cours des débats.
Le réquisitoire.
Au début de son réquisitoire, le lieutenant-colonel Gardon tint à préciser qu'on ne faisait le procès ni d'une province, ni d'une nation, mais d'individus, pour des faits qu'ils avaient commis étant soldats et peut-être même parce qu'étant soldats. Il rappela les faits de l'accusation, qu'il situa dans le cadre où ils devaient être placés, celui de l'entreprise de terrorisme systématique que constituait la division Das Reich dont il décrivit minutieusement le sanglant itinéraire. Il examina ces faits dans leurs rapports avec le droit en exposant les bases juridiques des poursuites ; il fit ensuite connaître son point de vue concernant certains moyens de défense que les accusés étaient susceptibles de faire valoir car, dit-il, ces moyens ne manquent pas.
Le premier est l'argument tiré de l'exécution des ordres reçus. Toutes les recrues de l'armée française apprennent, aussitôt franchi le seuil de la caserne, que la discipline faisant la force principale des armées, il importe que les ordres soient exécutés sans hésitation ni murmure, l'autorité qui les donne en étant responsable. Discipline rigoureuse, certes, soumission de tous les instants, oui, mais dans le cadre de l'observation des lois. Aussi, quelles que soient les nécessités de la discipline, si le commandement est manifestement illégal, s'il constitue un crime ou un délit grave, comme à Oradour, il faut admettre que l'inférieur doit refuser d'obéir, sinon il est coupable.
Cette conception de l'obéissance, le Tribunal militaire international de Nuremberg, s'y est référé quand il a déclaré : le fait que l'accusé a agi conformément aux ordres d'un supérieur hiérarchique ne le dégage pas de sa responsabilité ; l'ordre reçu par un soldat de tuer ou de torturer en violation du droit international de la guerre n'a jamais été regardé comme justifiant ses actes de violence.
Un deuxième argument que la défense ne manquera pas de plaider, poursuit le lieutenant-colonel Gardon, concerne la contrainte irrésistible.
Étant donné la rigueur de la discipline dans les unités S.S. et les circonstances particulières du temps de guerre, comment auraient-ils pu désobéir, nous demandera-t-on, sans risquer d'être fusillés ? Ils ont donc agi, commis des crimes, niais sous l'effet d'une contrainte qui les rend aussi irresponsables que le fusil ou la grenade qu'ils maniaient. Ils ont tué pour ne pas être tués. On ne peut exiger de modestes exécutants qu'ils aient tous l'âme de héros... Contrainte irrésistible ? Allons donc ! Auriez-vous oublié le témoignage de M. Bellivier qui les voit se précipiter comme des bêtes furieuses sur une innocente femme en train de laver son linge dans un pré ? Et celui de Lamige qui en voit d'autres brutalisant un grand mutilé de la guerre 1914-1918 ? Et ceux des rescapés de la grange Laudy qui ont vu les Allemands emmener des femmes et des enfants, tels des brutes, nous ont-ils dit, en gueulant, et qui ont été victimes eux-mêmes de la part de leur escorte, de mauvais traitements ? Et celui de Mme Démery qui les voit descendant des camions, se répandant à droite et à gauche de la route en courant, riant, criant ?
Auriez-vous oublié la musique en marche pendant les fusillades, les bonnes bouteilles que l'on débouche ? les visites dans les épiceries ? le soldat qui, en attendant l'ordre de tuer, croque du sucre en riant ? Ces militaires qui, le soir, à la ferme Masset, s'amusent sur des vélos en faisant des tours de piste clans les prés ? Auriez-vous oublié, enfin, lors du trajet du retour, ces soldats chantant ou jouant de l'accordéon ? Un témoin, M. Forest, s'approchant le dimanche matin du groupe en position au pont de la Glane ne fut-il pas frappé par leur comportement ? Ils ne cessaient de plaisanter, dit-il, et même de manifester une gaieté comparable à celle que l'on éprouve après une bonne partie de plaisir. La cause, j'en suis convaincu, est entendue.
Le lieutenant-colonel Gourdon formula ensuite minutieusement son appréciation sur les responsabilités personnelles encourues par chacun des accusés allemands, dont il retraça la carrière.
Certains avaient reconnu avoir fait partie des pelotons d'exécution, mais avaient déclaré avoir tiré en l'air ; d'autres d'avoir fait partie d'une chaîne qui transmettait des bottes de paille destinées à l'incendie de l'église. Mais, la plupart déclaraient avoir été postés comme sentinelles autour du bourg et n'avaient pu être convaincus d'une participation personnelle quelconque, faute de témoignages. Leurs dires ne pouvaient être contrôlés que par des confrontations entre eux dont la valeur probante était faible, et même les rescapés n'étaient pas en mesure de reconnaître l'un quelconque des inculpés.
En conclusion de son long réquisitoire, le Commissaire du Gouvernement réclama une peine de travaux forcés pour les soldats allemands présents qui ayant pris part sciemment à des crimes monstrueux, inexcusables, étaient indéniablement coupables, mais qui, n'ayant pas pris l'initiative de ces crimes, ayant seulement agi, chacun à la place qui lui avait été assignée, pouvaient peut-être bénéficier de circonstances atténuantes dont il appartenait aux juges militaires, dans le silence de leur conscience, d'apprécier toute l'étendue. Contre les sous-officiers qui tous sans exception avaient pris une part honteuse au massacre de l'église, qui, par les ordres transmis et l'exemple donné, avaient été les animateurs de la tuerie, il réclama la peine capitale.
Faute de la disjonction qu'ils avaient réclamée sans succès à l'ouverture des débats pour les accusés français enrôlés de force, les avocats de ceux-ci avaient obtenu, le 4 février, la division des poursuites. Il y eut donc en fait deux réquisitoires et deux verdicts.
À l'égard des accusés français, il existe, certes, en leur faveur, dira le Commissaire du Gouvernement, de nombreuses circonstances atténuantes, notamment l'enrôlement de force, et pour la plupart, leur jeune âge surtout. Mais j'ai le devoir d'ajouter que, par certains aspects, leur cas se trouve aggravé. Les Allemands, à Oradour, étaient nos ennemis. Mais, eux, Messieurs, c'était des Français ; ils ont tiré sur leurs frères... Pouvons-nous oublier que, sur les lieux mêmes de leurs crimes, ils furent les témoins du plus bel exemple de courage qu'un homme puisse donner ? M. Desourteaux, président de la commission municipale, s'offrit en otage, lui et les siens, pour sauver ses administrés. L'Assemblée Nationale lui a rendu hommage publiquement il y a quelques jours, et tous les Français, avec l'Assemblée Nationale, crient leur admiration vers ce maire héroïque qui a montré que ni la contrainte ni la peur n'empêchent un homme d'honneur d'offrir sa vie pour le salut des autres. Et ces accusés que j'ai vus pleurer enfin, mais seulement quand furent évoqués devant eux les malheurs de l'Alsace, malheurs auxquels tous les Français compatissent, sont demeurés singulièrement indifférents, impassibles, absents, devant les malheurs d'un petit village français qu'ils ont cependant contribué à exterminer. Vous aurez, Messieurs, à tenir compte aussi de ce comportement. Et il requit à leur encontre une peine de travaux forcés ou de réclusion, sauf pour le sergent, Français volontaire, S.S. nazi fanatique, Croix de fer, qui, lui, méritait la mort.
Messieurs les Juges, conclut-il, si vous deviez déclarer ces accusés non coupables, cela reviendrait à juger que le 10 juin 1944, à Oradour, en dépit des cendres humaines et des ruines que le inonde entier peut toujours contempler, il n'y eut ni population, ni village anéanti.
Les plaidoiries.
Prenant la parole aussitôt après le réquisitoire prononcé contre les Allemands, Me de Guardia, un de leurs défenseurs, s'efforça de faire admettre qu'ils étaient eux aussi des incorporés de force, car il n'est pour un soldat, dit-il en substance, que deux situations juridiques : ou il est volontaire ou on lui a demandé d'aller à l'armée, en l'y obligeant au besoin par la force.
Mais la question est surtout de savoir si un combattant qui a reçu un ordre qui lui apparaît violer d'une façon flagrante les lois de la guerre, pourra refuser de l'exécuter... S'il obéit, il viole ces lois et il est punissable de ce chef ; s'il désobéit, il est également punissable... Vraisemblablement, et parce que c'est humain, il choisira le moindre mal : il obéira, car la sanction de sa désobéissance serait certaine, immédiate et souvent fort grave, le Code Pénal militaire de chaque nation punissant de mort le refus d'obéissance devant l'ennemi, tandis que s'il viole les lois de la guerre, la sanction ne sera qu'éventuelle et incertaine, puisqu'il ne sera reconnu coupable que si son pays perd la guerre. N'oublions pas, en effet, que ce sont seulement les vainqueurs qui jugent !
Et Me de Guardia conclura : Devant le Monde et devant l'Histoire, la répression des crimes de guerre n'aura véritablement un sens que lorsque, devant un tribunal international composé des vainqueurs, des vaincus et des neutres, comparaîtront les généraux en chef des armées vaincues et des armées victorieuses.
Ce jour-là, la Croix-Rouge internationale
ouvrira ses effrayants dossiers, ce jour-là, des noms tragiques seront
prononcés, symboles de la
souffrance et de la barbarie des hommes : Oradour, Katyn, Hiroshima,
Hambourg... Les masques tomberont et le monde entier sera horrifié de voir
qu'il y a, entre certains hommes d'étranges ressemblances. Combien,
combien de ces grands chefs de guerre sortiront libres de la salle d'audience ?
C'est une question que je n'ose même pas vous poser !
La seule question qui se posait, pour le bâtonnier Moliérac, principal
défenseurs des accusés alsaciens, était celle-ci : Est-ce que les jeunes
qui sont ici et qui avaient perdu toute personnalité, étaient capables
intellectuellement - car c'est la doctrine du droit français - de refuser des
ordres barbares et de faire ce refus d'obéissance devant le front des troupes ?
Il trouvait la réponse dans la déclaration de Jackson, l'accusateur des
États-Unis au Tribunal de Nuremberg : On ne peut pas demander aux gradés
inférieurs de se soucier de la légalité d'un ordre d'exécution, de faire une
enquête sur la validité de l'exécution. Et de citer un journaliste qui
écrivait : Il ne faut pas s'étonner de l'attitude passive de la plupart des
accusés. Passifs, ils demeurent ce qu'il furent. Ils ont fait la guerre qu'on
leur a fait faire et ce n'était généralement pas pour leur plaisir.
Oublie-t-on que l'homme, non plus au sens humain, mais au sens militaire, n'a
qu'une fonction : exécuter ?... Le mot a son éloquence ! Exécuter avec plus
ou moins d'entrain, d'indifférence ou d'écoeurement. Pour tarir l'exécution,
c'est l'ordre qu'il faut détruire ; pour que le membre n'obéisse pas, c'est la
tête qu'il faut frapper. Pour beaucoup d'hommes, pour des peuples entiers, la
servitude est une facilité dont ils ne souffrent pas nécessairement, où même
ils peuvent trouver un soulagement ; mais dont ils ne comprennent pas qu'on leur
demande compte. On ne lit pas autre chose sur le visage pétrifié de certains
des accusés de Bordeaux. Encore une fois, ils n'étaient pas à Oradour pour
avoir une conscience, mais pour exécuter. Exécutants, exécuteurs, la nuance
ne dépendait pas d'eux. Non, les mots ne jouent pas, ils parlent... Toute
troupe armée enfermée sans issue dans la discipline, implacablement soumise
aux ordres et à un certain ordre intellectuel, n'est jamais autre chose qu'un
peloton d'exécution.
Je lisais encore, poursuivit-il, que les accusés de Bordeaux, en toute conscience, ne se reconnaissent pas coupables, parce que, dans leurs propres cerveaux de bêtes traquées qu'ils étaient alors et qu'ils sont maintenant, ils n'ont pas trouvé comment ils auraient pu échapper aux faits qu'on leur reproche. Il leur aurait fallu une énergie surhumaine. Le procès de Bordeaux est, au fond, le procès des régimes totalitaires. Faute de pouvoir atteindre les chefs, les promoteurs de ce régime, le nazisme, toujours bien vivants, on demande des comptes à ses premières victimes. Le bâtonnier Moliérac avait déjà dit quelques minutes auparavant : Il y avait un autre procès à faire, celui d'un régime, le plus abominable de tous, et qui permet de poser la question que vous avez à résoudre : les coupables sont-ils devant vous ? Est-ce qu'il ne faut pas remonter plus haut dans l'échelle des responsabilités ? Est-ce que ce ne sont pas les ordonnateurs du massacre - je n'ai plus besoin de les nommer -, est-ce que ce n'était pas celui qui était leur chef suprême et qui portera la plus lourde des responsabilités dans l'histoire des hommes et dont les crimes portent à la fois sur les victimes et sur les bourreaux ? C'est lui qui a revêtu ces hommes d'un uniforme, lui qui les a placés dans l'étau de la discipline et qui, après avoir fait la nuit clans leur intelligence, les a menés par degrés successifs à la plus odieuse des bestialités.
En toutes ces audiences, l'auteur principal a toujours été absent, c'est-à-dire l'État hitlérien lui-même...
Le verdict.
Le jeudi 12 février, à 17 heures, le Tribunal se retira pour délibérer. Il avait à répondre à 690 questions. Le double verdict fut prêt à 2 heures du matin, et le Tribunal revint dans la salle d'audience.
Le verdict des Allemands fut lu le premier par le Président, entouré des six officiers en grande tenue, au garde-à-vous, en présence des avocats et de la presse. Sur les sept Allemands présents, un seul - le sous-officier - était condamné à mort ; quatre l'étaient à des peines de dix à douze ans de travaux forcés ; un à dix ans de prison ; le dernier, dont la présence à Oradour le jour du crime ne fut pas établie, était acquitté. Quarante-deux autres Allemands, dont le capitaine Kahn, jugés en même temps par contumace, étaient condamnés à mort, à l'exception d'un seul, acquitté. Peines toutes platoniques dont aucune ne fut jamais purgée.
Le seul Alsacien volontaire, le sergent, sur qui pesait des charges très lourdes, était condamné à la peine de mort ; neuf autres à des peines de travaux forcés, les quatre derniers à la prison, aucune des peines n'excédant huit ans.
Les réactions.
Ce jugement souleva une tempête de protestations de tous les côtés. Les Limousins, indignés, et avec eux une bonne partie du pays, estimèrent le châtiment insuffisant en regard du crime. En Alsace, où l'on était convaincu du bien-fondé de la cause des malgré nous et où on croyait l'avoir fait admettre, la réaction fut immédiate. L'Association des Maires du Haut-Rhin fit apposer une affiche : Nous n'acceptons pas ! Toute l'Alsace se déclare solidaire de ses 13 enfants condamnés à Bordeaux et des 130.000 incorporés de force. L'Association des Déserteurs, Évadés et Incorporés de Force (A.D.E.I.F.) fit reproduire le modèle des Avis à la Population par lesquels les Allemands annonçaient naguère les condamnations des résistants alsaciens et afficha partout, sur ce placard honni, le verdict de Bordeaux avec ce commentaire : Ils sont nos frères, nous ne les abandonnerons pas.
Des drapeaux cravatés de crêpe ou mis en berne apparurent aux fenêtres des mairies ; les parlementaires défilèrent devant les monuments aux morts de Strasbourg. Dans la cathédrale, l'évêque dénonça l'injustice du jugement et poussa les Alsaciens à ne pas l'accepter...
Aussi, dès la rentrée parlementaire, le 17 février, le Gouvernement, saisi d'une demande d'amnistie déposée par des résistants, en accepta l'urgence, pensant que c'était la seule issue au drame que vivait le pays. On fit remarquer dans la presse que l'amnistie est un droit du pouvoir politique qui, pour un motif extra-judiciaire, décide, non d'absoudre la faute, ce qui n'est pas de son ressort, mais d'en abolir les conséquences pénales.
La discussion fut menée avec une célérité exceptionnelle, Le jeudi 19 février, à 2 heures du matin, l'Assemblée votait l'amnistie par 324 voix contre 216 et une cinquantaine d'abstentions. Le Conseil de la République, revenant sur la décision de sa commission de justice qui s'était prononcée contre le projet, la votait à son tour par 114 voix contre 79 (socialistes et communistes), et, le 21 février, à l'heure où le Journal Officiel publiant la loi d'amnistie 5 arrivait à Bordeaux, 13 malgré nous - le 14e étant encore poursuivi pour trahison - quittaient discrètement la prison en voiture en direction de l'Alsace.
Là-bas, un mot d'ordre de silence fut strictement suivi. L'opinion alsacienne, comprenant qu'elle avait reçu toute la satisfaction possible, renonça à demander la réhabilitation qu'elle avait exigée sous le premier choc du verdict. La vie française de l'Alsace reprit son cours.
Cinq des sept Allemands abandonnaient également les locaux pénitentiaires, leur peine étant inférieure aux huit années de détention préventive qu'ils avaient subies et, quelques mois plus tard, en septembre 1954, les deux condamnés à mort verront leur peine commuée en travaux forcés.
Mais, alors que les souvenirs du massacre étaient encore tout frais dans leur mémoire, les Limousins constataient que le châtiment de ce crime monstrueux ne s'abattait que sur des absents, autant dire sur personne. Exprimant exactement ce qu'ils ressentaient, un journal de Limoges put écrire : Il manquait aux malheureuses victimes d'Oradour d'être sacrifiées pour des raisons d'État.
Le 19 février, M. Brouillaud, président de l'Association des Familles des Martyrs d'Oradour, avait adressé au Préfet de la Haute-Vienne, pour transmission au Ministère de l'Intérieur, une motion où le Conseil d'Administration de l'Association, réuni la veille, complètement écœuré par la conduite du Gouvernement et la majorité des parlementaires, considérait que, si la loi d'amnistie était votée, ce serait une nouvelle insulte aux martyrs. Il estimait, en conséquence, que la Croix de la Légion d'Honneur n'avait plus sa place sur leur tombe, et que, d'autre part, il s'opposerait formellement au transfert des cendres des martyrs dans l'ossuaire. Il n'acceptait plus d'être représenté auprès du Gouvernement dans aucune cérémonie, et envisageait l'apposition, aux entrées de l'ancien bourg, de panneaux portant les noms des parlementaires avant voté l'amnistie.
Dans l'après-midi du 27 février, en présence des maires et des Conseils municipaux de neuf communes voisines, M. Fougeras, maire d'Oradour, retira de l'écrin qui tenait la place d'honneur dans la salle du Conseil, la croix de guerre remise le 10 juin 1948 par le Secrétaire aux Forces Armées. Au cours d'une brève réunion, les maires du canton décidèrent une grève administrative, à compter du samedi 28 février jusqu'au lundi 9 mars ; ils invitèrent tous les maires du département à se joindre à eux dans cette action et à mettre les drapeaux en berne sur les édifices publics.
La ville de Limoges tout entière observa une journée de deuil. Une délégation de la municipalité d'Oradour et des maires du canton qu'accompagnaient les représentants de l'Association des Familles des Martyrs, vint rapporter au Préfet la Croix de guerre ainsi que la Légion d'Honneur qui avait été remise à la cité martyre le 10 juin 1949 par M. Ramadier, Ministre de la Guerre. De plus, l'Association télégraphia à Me Charlet, sénateur, pour qu'il refuse en son nom la citation à l'Ordre de la Nation. Elle refusa également le transfert des dépouilles des Martyrs dans l'ossuaire érigé par l'État et fit construire dans le cimetière communal son propre monument où les restes des 642 victimes furent transférés l'année suivante (10 juin 1954). Aux entrées du village en ruines, on plaça deux pancartes. L'une portant les noms des 319 parlementaires qui avaient voté l'amnistie ; l'autre, les noms des S.S. français condamnés.
Ainsi, le procès d'Oradour, réduit au jugement difficile de quelques subalternes, n'avait eu d'autre résultat que de raviver partout des souffrances qui commençaient à s'estomper, sans parvenir à donner la moindre satisfaction au besoin d'une véritable équité.
Lammerding.
Quant à Lammerding, il poursuivit sa carrière d'entrepreneur à Dusseldorf. De temps à autre, on entendait parler de lui. N'eût-il pas l'inconscience, en 1965, de poursuivre en diffamation un journaliste allemand qui avait osé rappeler dans le journal d'une association des victimes du nazisme qu'il avait été condamné à mort par contumace en France ? Il fut, heureusement, débouté.
Son système de défense pouvait se résumer ainsi : l'action de sa division avait toujours été conforme aux instructions du Haut Commandement ; il n'était pas présent à Tulle - ce qui est fortement contesté -, ni à Oradour, et il ne pouvait être tenu pour responsable de la conduite de ses troupes qui avaient agi de leur propre initiative. D'ailleurs, précisait-il, les ordres étant ce qu'ils étaient, les choses se seraient passées de la même façon s'il avait été là. Bien que figurant sur trois listes de criminels de guerre, il ne put jamais être extradé malgré les nombreuses manifestations des habitants de Tulle et d'Oradour, à cause d'une singulière rencontre de lacunes juridiques, de dispositions constitutionnelles et d'erreurs diplomatiques.
La loi fondamentale de la République fédérale portant, dans son article 16, qu'aucun Allemand ne doit être extradé à l'étranger, les criminels de guerre allemands ne pouvaient être livrés aux pays qui les réclamaient. Mais ils pouvaient être poursuivis en Allemagne même ; Bonn le fit pour des milliers d'entre eux, et le renvoi de la prescription à 1979 a prouvé les bonnes dispositions du gouvernement allemand.
L'impunité de Lammerding n'en était donc que plus choquante. Elle tenait pour une bonne part aux Alliés, et notamment au gouvernement français qui, clans les accords de Paris restituant à l'Allemagne sa souveraineté, avaient fait inscrire une clause dessaisissant les tribunaux de la République Fédérale dans toutes les affaires où les Alliés n'avaient pas complètement terminé les enquêtes. Il s'agissait, en l'occurrence, d'interdire aux Allemands de s'immiscer dans les procédures engagées par les tribunaux alliés. Mais, du même coup, on les empêchait de juger des citoyens que leur Constitution ne leur permettait pas d'extrader, car on ne prit pas garde au cas particulier des condamnations par contumace, la Grande-Bretagne et les États-Unis ignorant cette pratique, condamnations qui ne peuvent être considérées comme terminant une procédure.
Après plusieurs années de négociations difficiles, une convention signée le 2 février 1971 devait mettre fin à ce scandale. Mais l'ancien général Lammerding, au moment où les négociations allaient aboutir, s'était réfugié dans un petit village bavarois, providentiellement proche de la frontière autrichienne et d'une piste d'aéro-club et il était mort quinze jours plus tôt, le 13 janvier 1971, impuni, au grand soulagement peut-être de certains. Le 30 janvier 1975, le Bundestag, peu pressé, ratifiait enfin la convention concernant encore plusieurs centaines de criminels de guerre, que les tribunaux allemands, à leur tour, ne mirent aucun empressement à juger.
Conclusion.
Depuis, la guerre d'Algérie et du Vietnam ont hélas ! apporté au monde la preuve que la division Das Reich a fait école et qu'il est vain de vouloir introduire des règles de droit et de justice dans ce débordement de la bête humaine qu'est la guerre.
À Oradour, le temps a fait son œuvre. Peu à peu, les colères se sont apaisées. Les pancartes d'infamie ont disparu en 1966. La crypte Martyrium en forme de dolmen, élevé par l'État et destiné primitivement à recevoir les dépouilles des martyrs, a été ouverte et transformée en Maison du Souvenir, en remplacement de celle qui existait près de l'église. Mais il ne faut pas parler d'oubli, ce second linceul des morts, aux habitants du nouveau bourg bâti en dehors des ruines. Celles-ci, classées monument historique et entourées d'une grande muraille, sont devenues un lieu de pèlerinage où l'on peut circuler et se recueillir librement, sans contrainte d'aucune sorte, et accueillent 2 à 300.000 visiteurs par an avec une pancarte portant ces simples mots : Souviens-toi !
LE PROCÈS DE BERLIN-EST
(25 mai - 7 juin 1983)
Le 25 mai 1983, s'ouvrit à Berlin-Est le procès du sous-lieutenant Heinz Barth arrêté le 14 juillet 1981 par la police de la R. D.A. C'est le seul officier responsable du massacre d'Oradour arrêté et jugé. En 1953, à Bordeaux, il avait été condamné à mort par contumace. En vertu d'une loi votée par le Parlement en 1964, son crime était prescrit en France depuis 1973.
C'est Barth qui, le 10 juin 1944, au départ de Saint-Junien, avait dit à ses hommes qu'ils allaient voir le sang couler ; c'est lui qui, au moment de l'encerclement du village, se chargea d'empêcher les habitants de fuir ; c'est lui qui fit mettre le feu à l'église. Ce ne fut donc pas un simple comparse, mais un des principaux exécutants.
Devant le tribunal, Barth reconnut que l'on n'avait pas trouvé d'armes ou de munitions à Oradour, ni pendant ni après la perquisition, que sa section accompagna les enfants des écoles au champ de foire, qu'en entendant le signal du massacre, il avait crié : Feu ! à ses soldats et tiré lui-même sur les hommes d'une grange. Tout cela pour faire un exemple. Il fallait tuer tout le monde, même les enfants... Oradour nous avait été présenté comme un fief du maquis. Les ordres concernant la destruction sont venus de très haut et la seule raison que je connaisse à cette action est l'enlèvement par les résistants d'un gradé S. S... J'ai obéi aux ordres.
Cinq témoins assistaient aux débats : MM. Hébras, Roby et Darthout, rescapés de la grange Laudy, MM. Machefer et Beaubreuil. M. Borie et Mme Rouffanche, ne pouvant se déplacer pour des raisons de santé, avaient envoyé leur témoignage écrit. Comme à Bordeaux, ils racontèrent le terrible après-midi qu'ils avaient vécu ; mais aucun d'eux ne reconnut Barth : Quarante ans après, ce n'est pas possible.
M. Roby demanda à la Cour la permission de lire une déclaration qui se terminait par cet appel : Quarante ans après ce drame, et alors que certains pays voient renaître ce système politique et idéologique - le nazisme -, je demande à tous les jeunes d'être vigilants.
Reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et bien que la peine de mort soit toujours en vigueur en R.D.A., Heinz Barth fut condamné à la prison à vie.