" La guerre est un acte de violence qui ne connaît pas de bornes... Le droit international est un frein qui mérite à peine d'être mentionné ".
Clausewitz
" Je ferai observer que je ne regarde pas comme une ruse glorieuse, celle qui nous porte à rompre la foi donnée et les traités conclus car bien qu'elle ait fait quelquefois acquérir des Étais et une couronne, elle n'a jamais procuré la gloire ".
Machiavel
CHAPITRE PREMIER
DANS LE CAMP JAPONAIS AVANT LA BATAILLE
Psychologie du commandement japonais.
Au cours des cinquante dernières années, le Japon a entrepris trois grandes guerres maritimes contre la Chine, contre la Russie et contre les Etats-Unis. Il est intéressant de rapprocher les événements qui ont marqué les débuts de ces guerres parce que ces événements offrent entre eux une remarquable analogie.
Le 25 juillet 1894, au début du jour, le contre-amiral Tsuboï, commandant une division de croiseurs japonais, rencontrait, au large du port coréen d'Asan, trois navires chinois, le croiseur Tsi-Yuen, le petit croiseur Kuang-Si et un vapeur à roues. Sans aucun avertissement, les Japonais ouvrent le feu. Les Chinois sont complètement surpris ; ils ne sont pas aux postes de combat et le Tsi-Yuen a même ses tentes en place. Un croiseur chinois est coulé, les deux autres battent en retraite, avariés.
Les relations entre la Chine et le Japon étaient, avant le 25 juillet, extrêmement tendues mais aucune déclaration de guerre n'avait précédé le combat.
Le 8 février 1304, deux bâtiments russes isolés dans la baie de Tchemulpo sont assaillis à l'improviste et désemparés par les japonais. Le 9 février, les torpilleurs japonais de l'amiral Togo attaquent sans avertissement l'escadre russe qui, mouillée dans la rade extérieure de Port-Athur, ne connaît pas les événements de Tchemulpo et ne se croit pas en guerre.
Deux cuirassés et un croiseur sont avariés.
Deux jours auparavant le ministre japonais à Saint-Pétersbourg avait remis au gouvernement russe une note alambiquée au sujet des relations diplomatiques existant entre les deux pays. Cette note ne constituait nullement une déclaration de guerre; l'ambassadeur n'avait pas compris lui-même que sa note entraînait l'ouverture des hostilités et quand il apprit l'attaque, il fut consterné. Bien que la note ait été utilisée ultérieurement par les Japonais comme alibi, l'attaque par surprise de Port-Arthur devait' provoquer une indignation générale.
Enfin, le 7 décembre 1941, une force aéronavale nippone qui avait quitté douze jours auparavant les côtes japonaises attaquait à Pearl Harbor la flotte américaine. Cette fois encore le Japon n'avait pas notifié au préalable l'état de guerre.
Jusqu'en 1907, l'habitude de faire précéder les hostilités par une déclaration formelle de guerre était une simple coutume internationale, coutume respectée de façon presque absolue par les peuples civilisés.
Mais l'article premier de la Convention de la Haye, du 18 octobre 1907, stipulait que les puissances contractantes reconnaissaient que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque qui aura soit la forme d'une déclaration de guerre motivée, soit celle d'un ultimatum avec déclaration de guerre conventionnelle.
Or le Japon après avoir participé aux discussions de la Haye avait ratifié la convention.
En un demi-siècle, la marine japonaise a donc commencé trois guerres par des agressions commises en violation des coutumes ou des lois internationales. Et la dernière de ces agressions, la plus difficile par la haute valeur militaire de l'adversaire, fut la mieux conçue, la mieux préparée et la mieux conduite. Depuis 1894, les japonais avaient grandement perfectionné la technique de l'attentat.
Il est banal de dire que les cerveaux européens ont la plus grande peine à comprendre l'esprit oriental dont les manifestations nous déroutent souvent. On cite aux États-Unis, à l'appui de cette assertion, l'anecdote suivante :
Un Américain qui avait représenté pendant plusieurs décades à Tokio une importante maison des États-Unis fut appelé en Amérique par ses employeurs, peu de temps avant la guerre.
- Que va faire le Japon ? lui demandèrent-ils.
- Je n'en sais rien.
- Comment, nous vous avons payé pendant quarante ans là-bas et vous ne pouvez rien prévoir ?
- Non, mais demandez à un touriste.
Plus caractéristique encore est la conversation que rapporte le journaliste et auteur Hugh Bias.
- Le Japon n'a pas besoin d'Hitler, ni de Mussolini, me dit un jour le général Araki.
- Pourquoi ? lui demandai-je indiscrètement.
Il me donna une explication mystique qui me cloua le bec.
- Quel besoin une nation a-t-elle de dictateurs quand elle a les trois trésors sacrés ?
" Ceux-ci sont le miroir de la déesse du soleil, symbole de la vérité; le chapelet de pierreries, signe de la miséricorde ; et l'épée, emblème de la justice. "
Ces manières sibyllines de s'exprimer ne doivent pas faire illusion. Si le Japon n'avait pas de dictateurs, il subissait la dictature d'une hiérarchie militaire composée d'hommes intègres, profondément patriotes et capables de la plus grande abnégation mais qui n'hésitaient pas à imposer par la menace leurs vues aux ministres civils.
Ils agissaient sur l'opinion publique par tous les moyens, surtout par l'intermédiaire de nombreuses sociétés, et notamment par l'association des réservistes qui avait une influence considérable tant par le nombre de ses adhérents que par son dynamisme.
Les officiers japonais étaient en même temps pleins de souplesse. Farouchement opposés en principe au capitalisme nippon, ils savaient à l'occasion s'allier à ce même capitalisme quand ils jugeaient cette alliance favorable à leurs projets, en particulier pour favoriser l'armement du pays.
Cette hiérarchie militaire est, clans une large mesure, responsable du conflit qui allait opposer le Japon aux États-Unis :
- Nous avons, disait un officier japonais, redouté pendant longtemps l'éventualité de la guerre avec l'Amérique, puis nous nous y sommes résignés, aujourd'hui nous la désirons.
Les chefs japonais connaissaient les immenses ressources des États-Unis, l'énergie des Américains, là fertilité de leur esprit inventif et la légendaire ténacité anglo saxonne. Mais ils avaient confiance dans leur propre courage et leur science militaire. Sur terre, une guerre entre les Allemands et les Japonais d'une part, et les Anglo-Saxons de l'autre, c'était, pensaient-ils, un match entre des professionnels et des amateurs; sur mer, depuis 1598, année où un amiral coréen avait détruit la flotte japonaise, jamais la marine nippone n'avait subi d'échec.
Ils savaient aussi que la préparation américaine était loin d'être achevée. L'Amérique avait voté un grand programme de construction, dit programme des deux Océans, et elle poursuivait la réalisation de ce programme avec énergie. Tout délai diminuerait les chances de victoire ou rendrait la victoire plus coûteuse. Les chefs militaires japonais estimèrent qu'il était opportun de frapper sans attendre et perdirent ainsi les chances qui pouvaient encore exister d'assurer la paix par négociation.
Ainsi la possession des trois trésors sacrés ne les empêchait pas d'attirer sur les peuples du Pacifique la plus grande catastrophe de l'histoire ni de conduire leur pays dans une aventure où celui-ci devait trouver sa perte.
Les marins étaient imbus des doctrines stratégiques de l'amiral américain Mahan : Ils savaient qu'une saine stratégie comporte avant tout la destruction des forces organisées de l'ennemi et ils décidèrent d'attaquer là où se trouvait la force principale de l'adversaire, à Pearl Harbor. L'opération était risquée, mais elle pouvait être décisive ; tout au moins elle donnerait au départ une avance considérable. Les Japonais pourraient, sans craindre les attaques de flanc venues de l'est, envahir la Malaisie, les Philippines, les Indes Néerlandaises où se trouvaient les matières premières nécessaires à la continuation de la guerre. Ils s'installeraient ensuite fortement dans les territoires conquis de manière à rendre leur position inexpugnable. Les victoires initiales auraient un grand retentissement en Orient ; le moral des cinquièmes colonnes que les Japonais avaient organisées dans torts les pays sous contrôle européen serait renforcé et tous les hésitants se rallieraient à la cause de la Grande Asie orientale dirigée par le Japon.
Les directives de ce plan grandiose qui devait être exécuté ont été trouvées depuis clans les archives du croiseur lourd japonais Nachi, coulé le 5 novembre 1944 à Manille. Ce document, comme presque tous les documents semblables, est composé de phrases très simples que tout profane petit prononcer, mais de phrases longuement pesées et écrites après une étude approfondie des possibilités et des moyens. Le voici dans sa redoutable simplicité :
1° Dans l'est, la flotte américaine doit être détruite et les communications de l'Amérique avec l'Orient coupées.
2° Dans l'ouest, la Malaisie britannique sera occupée ; les lignes de communications britanniques avec l'Orient seront coupées, ainsi que la route de Birmanie.
3° Les forces ennemies en Extrême-Orient seront détruites; les bases occupées et toutes les zones contenant des ressources naturelles, prises.
4° Les points stratégiques et les zones saisies seront mises aussitôt en état de défense.
On ne pouvait réussir que par surprise la première partie du plan : il fallait attaquer avant que l'ennemi fût en garde, c'est-à-dire dès le temps de paix ; du moins fallait-il que l'attaque suivît immédiatement la déclaration de guerre sans laisser à Washington le temps de prévenir ses flottes et ses armées.
Espionnage.
Pour choisir judicieusement le moment de l'attaque il fallait être parfaitement renseigné sur la situation de l'adversaire. Les îles Hawaï, très montagneuses, se prêtent admirablement à l'observation des bâtiments qui naviguent dans leurs parages et en particulier la topographie de l'île d'Oahu, où se trouve Pearl Harbor est telle que la situation des navires dans la rade peut être facilement connue.
Le commandement japonais avait organisé dans les îles un réseau d'espionnage complet.
Il y avait aux Hawaï 160.000 Japonais, le tiers de la population totale. Sobres, travailleurs, disciplinés, ils étaient très appréciés comme ouvriers agricoles dans les plantations de sucre et d'ananas et fournissaient aussi d'excellents marins pour le cabotage entre les îles. Beaucoup d'entre eux, nés aux Hawaï, étaient citoyens des États-Unis ; quelques-uns avaient acquis des situations importantes et étaient même membres du Parlement Hawaïen.
Ils n'avaient pas perdu leur nationalité japonaise. Pour l'abandonner, il leur eût fallu, selon la loi japonaise, adresser au Japon une demande régulière et aucun d'entre eux n'accomplissait les formalités nécessaires. Ils jouissaient donc d'une double nationalité. Environ 50.000 de ces Japonais, les plus attachés au Japon, appartenaient à la religion shintoïste et de nombreux prêtres groupés dans 55 temples les entretenaient dans le culte des ancêtres, de la famille et de la patrie. Les prêtres étaient aidés dans cette tâche par les maîtres de nombreuses écoles de langue japonaise et beaucoup de sociétés secrètes, en particulier celle du Dragon noir, recrutaient dans les îles des adeptes fanatiques.
Le F. B. I. (Federal Board of Investigation), l'équivalent de notre Sûreté Générale, et le Deuxième Bureau de l'armée américaine n'ignoraient pas cette situation. Il aurait suffi de fermer les temples, d'arrêter les prêtres, les maîtres d'école et les animateurs des sociétés secrètes pour supprimer tout risque d'espionnage. Par esprit de tolérance, pour respecter la liberté de pensée, de croyance et aussi pour éviter tout incident avec le Japon, les Américains n'avaient pas inquiété cette population dont le loyalisme à leur égard était plus que suspect. Il était même interdit aux Services de contre-espionnage de surveiller la correspondance du consulat du Japon.
Aussi les Japonais s'en donnèrent-ils à coeur joie. Leur consul général à Honolulu avait sous ses ordres jusqu'à deux cents agents disséminés dans toutes les îles. Jouissant de l'immunité diplomatique, il utilisait le télégraphe commercial pour renseigner son gouvernement sur les mouvements de la flotte et l'état des défenses terrestres, ce qui fut clairement révélé par l'examen de papiers qu'il n'avait pas pu brûler complètement quand il fut arrêté après l'attaque. Le jour de l'attaque, les Américains constatèrent le fonctionnement clans l'île de nombreux postes clandestins. Plus tard le procès de l'agent allemand Otto Kuehn, qui exerça ses activités aux Hawaï, en coopération avec les Japonais, longtemps après le décembre, révéla. en partie les dessous de l'organisation. Kuehn et ses complices japonais pouvaient communiquer par un code simple avec les sous-marins japonais en surveillance dans les eaux de Pearl Harbor ; les signaux pouvaient être transmis soit par pavillons sur un yacht que possédait Kuehn, soit par des moyens lumineux depuis une villa de la côte, appartenant aux espions, soit enfin par un poste de T. S. F. de portée réduite. Les sous marins japonais devaient ensuite retransmettre les renseignements à grande distance.
Kuehn fut jugé par un tribunal militaire après avoir signé sa confession. Il fut condamné à mort mais la sentence fut commuée eu une peine d'emprisonnement de cinquante ans. Il est probable que ses aveux lui valurent cette grâce.
L'efficacité de l'organisation japonaise était grande ; on trouva sur les aviateurs descendus pendant l'attaque des documents qui donnaient la situation à Pearl Harbor avec précision. Par exemple les hangars d'aviation étaient signalés avec exactitude en distinguant les hangars achevés et ceux qui étaient en construction.
On peut dire que le Deuxième Bureau japonais s'était installé au coeur d'une des positions stratégiques les plus importantes de l'adversaire et qu'il a grandement facilité le succès d'une entreprise qui ne pouvait réussir sans une connaissance approfondie du dispositif ennemi.
A la même époque, les Américains résidant au Japon étaient l'objet d'une surveillance constante. Par exemple, l'attaché naval des États-Unis à Tokio était obligé d'informer le Ministre de la Marine, toutes les fois qu'il voulait aller en excursion en dehors des limites de la ville. Il fut mis dans l'impossibilité d'obtenir aucune information sur le type et le nombre des bâtiments japonais en construction, sur les défenses des ports, les possibilités des arsenaux, l'emplacement et les mouvements des bâtiments de la flotte nippone.
Malgré les traités qui leur en donnaient le droit, jamais les Américains ne purent pénétrer dans les îles Carolines, les Mariannes et les Marshall, îles sous mandat que les Japonais fortifiaient puissamment.
Aussi n'est-il pas étonnant que les membres de la commission d'enquête militaire sur les événements de Pearl Harbor aient pu faire les constatations suivantes :
Les Japonais vinrent à l'attaque avec une cbnnaissance complète de nos dispositions et de nos défenses ; nous reçûmes l'attaque dans l'ignorance totale de l'offensive ennemie.
Peut-être y a-t-il quelque exagération dans un tel jugement. Les renseignements trouvés sur le sous-marin de poche japonais qui fut capturé n'étaient pas tous exacts. Mais on peut néanmoins affirmer que la victoire japonaise fut d'abord et en grande partie une victoire de l'espionnage japonais.
La tension diplomatique.
Au cours de l'année 1941, les relations entre les États-Unis et le Japon n'avaient cessé d'empirer. L'aide à la Chine qui permettait la prolongation indéfinie de la résistance chinoise, le gel des crédits, l'embargo sur les combustibles exaspéraient les Japonais. De leur côté les Américains s'inquiétaient toujours davantage de la politique d'expansion japonaise. Commencée en 1931 par l'occupation de la Mandchourie, continuée par l'invasion de la Chine, elle ne cessait de s'affirmer par une mainmise de plus en plus grande sur l'Indochine.
Le 9 août, à la conférence de l'Atlantique, le Président Roosevelt et M. Churchill envisagèrent l'envoi d'une note au Japon l'informant que tout nouvel acte d'agression entraînerait des contre-mesures même si celles-ci devaient conduire à la guerre et une note d'avertissement secrète rédigée d'ailleurs en termes modérés fut remise, le 17 août, par Washington à Tokio.
À ce moment, au Japon, certains hommes d'Etat parurent vouloir arrêter le pays sur la pente conduisant à la guerre. Le prince Konoyé fit proposer au Président Roosevelt une entrevue personnelle pour rechercher un terrain d'entente. En ce qui concerne la Chine, les Japonais proposaient une paix sur les bases suivantes : reconnaissance du Manchoukouo, évacuation de la Chine, alliance défensive entre la Chine et le Japon et coopération économique. De telles propositions demandaient une étude approfondie. Sans refuser de rencontrer le prince Konoyé, le Président Roosevelt estimait que l'heure d'une entrevue n'était pas encore venue et qu'il fallait au préalable se mettre d'accord sur certains points par la voie diplomatique ordinaire.
Comme les pacifistes nippons, le Mikado paraissait effrayé par les perspectives d'un conflit. Bien qu'il eût été élevé dans sa prime jeunesse par le général Nogi, le farouche samouraï, vainqueur de Port-Arthur, il était d'un naturel pacifique. Il s'adonnait aux études biologiques, à la photographie et à la pêche. Les magazines nous l'ont montré pêchant à la ligne avec ses invités, revêtu d'une tenue impeccable, pantalon rayé, jaquette noire, chapeau haut de forme. Il taquinait aussi les muses et avant de monter sur le trône avait pris part à des concours de poésie. Un de ses poèmes commence ainsi : Le matin est rayonnant de paix dans le jardin splendide... Lorsqu'il avait visité l'Europe, en 1921, étant encore prince héritier, il avait été horrifié par la désolation des champs de bataille de la grande guerre.
Devenu Empereur, il appelait son règne Showa c'est-à-dire le règne de la paix radieuse. La guerre contre la Chine, à laquelle il s'était résigné, l'avait consterné. Plus tard il avait informé ses ministres que leur politique ne devait en aucun cas conduire à la guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis.
Le 25 octobre, c'est-à-dire un mois et demi avant le début de la guerre, il réunit en conférence les membres de son Conseil Privé et les grands chefs militaires, et leur demanda s'ils étaient prêts à appliquer une politique de. nature à préserver la paix. Les représentants de l'armée et de la marine gardèrent le silence. Alors l'Empereur après avoir rappelé la politique de progrès constamment suivie par son grand-père, ordonna aux armées, par un acte extraordinaire, d'obéir à ses désirs.
La position nette et ferme, adoptée à ce moment par le Mikado impliquait le choix d'un premier ministre fiable d'imposer aux militaires les volontés impériales, Le général Tojo, général de l'armée active, fut désigné, et au début de novembre ou envoyait à Washington pour aider l'ambassadeur en fonction Nomura à rechercher un terrain d'entente, un ambassadeur extraordinaire M. Kurusu.
Bien qu'il eût été ministre du Japon à Rome et à Berlin et qu'il eût signé le pacte anti-Komintern, Kurusu ne passait pas pour un partisan de l'axe. Sa femme était Américaine, et on lui attribuait des sympathies pour les États-Unis. On était donc en droit d'escompter une amélioration dans les relations des deux pays. Mais au japon le calme ne revenait pas dans les esprits. La presse se déchaînait de nouveau et réclamait de l'Amérique l'arrêt de toute aide matérielle et morale à la Chine. Bien qu'il soit très difficile de rétablir ce qui se passa. à ce moment, il semble bien que l'Empereur ait été débordé par les extrémistes militaires. Quoiqu'il eût certaines apparences extérieures d'un autocrate, la Sublime Majesté (Heïka Denka.) n'avait guère plus d'autorité qu'un souverain constitutionnel ordinaire et l'attitude énergique qu'il avait manifestée en octobre dut faire place, comme tant de fois au cours de son règne, à une abstention résignée.
Le 17 novembre, l'ambassadeur Grew télégraphiait à Washington que les relations étaient de nouveau extrêmement tendues et qu'il fallait s'attendre d'un moment à l'autre à une attaque brusquée.
Le 20 novembre, les ambassadeurs Kurusu et Nomura remirent à M. Cordell Hull une note en cinq points demandant la possibilité pour leur pays d'obtenir des États-Unis toutes les matières premières notamment les combustibles liquides dont il avait besoin, la suppression du gel des crédits, l'arrêt de toute aide morale et matérielle à la Chine. En échange, ils offraient le retrait des troupes japonaises du sud de l'Indochine. Par des interceptions de messages les Américains surent que cette note constituait les dernières concessions que le Japon était décidé à consentir. Elle ne pouvait les satisfaire. En l'acceptant, ils abandonnaient la Chine et laissaient aussi les Japonais en mesure d'attaquer la Russie. Les propositions japonaises ne leur paraissaient pas de nature à assurer la paix sur les rives du Pacifique.
Des discussions curent encore lieu à Washington, entre les partisans de la temporisation et les partisans de l'action. Puis une politique de fermeté prévalut, et le 26 novembre M. Cordell Hull remettait aux Japonais, en réponse à leur mémorandum cru 20 novembre, une note qui fixait en dix points les conditions que les États-Unis jugeaient de nature à assurer la paix.
Il est utile de rappeler ces conditions car le Japon n'a cessé de dire qu'elles rendaient la guerre inévitable. Les voici brièvement résumées :
1° Conclusion d'un pacte de non-agression, entre l'Empire Britannique, la Chine, le Japon, la Hollande, l'Union Soviétique, la Thaïlande, les États-Unis.
2° Respect de l'intégralité territoriale de l'Indochine.
3° Retrait des forces japonaises de la Chine et de l'Indochine.
4° Abandon de tout gouvernement chinois autre que le gouvernement de Tchoung-King.
5° Abandon par le Japon et les États-Unis de tous leurs droits sur les concessions internationales en Chine.
6° Négociation d'un nouveau traité de commerce entre le Japon et les États Unis.
7° Suppression réciproque du gel et des crédits
8° Stabilisation du cours dollar-yen.
9° Interdiction pour les deux États de conclure avec des tiers des traités contraires à l'esprit des propositions précédentes.
10° Enfin le Japon et les États-Unis devaient s'engager à inviter les autres États à adhérer aux principes économiques et politiques dont s'inspiraient les conditions précédentes.
Pour un pays comme le Japon, qui avait prétendu sans cesse être victime d'un encerclement économique, les propositions du Président Roosevelt contenaient des avantages substantiels. Le traité de commerce notamment que le Président voulait favorable au Japon était de nature à sortir ce pays du marasme dans lequel les affaires de Chine l'avaient plongé.
Mais l'évacuation totale de la Chine et de l'Indochine, c'était pour les impérialistes japonais l'obligation de renoncer à leur rêve d'hégémonie sur l'Extrême-Orient. De plus, ils estimaient qu'aucune puissance ne devait trancher leurs débats avec la Chine ; ils avaient forgé une doctrine de Monroe pour l'Extrême-Orient, doctrine qui faisait complètement abstraction des traités antérieurs avec les États-Unis, mais selon laquelle les Jaunes devaient régler leurs affaires eux-mêmes et les concessions qu'ils avaient faites en offrant de retirer les troupes nippones du sud de l'Indochine étaient pour eux des concessions maxima ; enfin ils pensaient qu'en se retirant purement et simplement de la Chine ils allaient perdre la face.
En fait les positions étaient inconciliables et la note en dix points, appelée par la suite note Hull , mit pratiquement fin aux négociations. Quand le 27 novembre M. Hull revit les ambassadeurs japonais, ils n'apportèrent aucune modification à leur manière d'envisager les choses.
La note Hull que les Japonais prirent, ou affectèrent de prendre pour un ultimatum provoqua au Japon une violente colère, et le premier ministre Tojo accusa violemment, dans un discours public, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de vouloir, pour assurer leur hégémonie, diviser les peuples asiatiques ; il ajouta que pour l'honneur et la fierté de l'humanité, de telles pratiques devaient être interdites et qu'il fallait en tirer vengeance.
Les envois de troupes japonaises en Indochine se précipitèrent et on apprit à Washington que l'armée nippone comptait déjà 128.000 hommes dans le sud de l'Indochine et 66.000 dans le nord. Le 2 décembre, le Président Roosevelt fit demander à l'amiral Nomura quel était le but de ces envois incessants de renforts. L'amiral répondit que la présence des troupes chinoises aux frontières de l'Indochine justifiait ces mouvements.
Décidé encore à éviter la guerre ou tout au moins à en retarder l'échéance, le Président Roosevelt adressait le 6 décembre au Mikado un appel personnel en faveur de la paix. Mais l'heure des négociations était passée. Le 26 novembre, l'escadre japonaise qui devait attaquer Pearl Harbor avait appareillé. Les ordres prévoyaient l'éventualité d'un repli en cas d'une amélioration des rapports avec l'Amérique ; cependant le 5 décembre, l'amiral Yamamoto qui la commandait recevait en mer le message suivant : Gravissez le mont Niitaka. Cette phrase singulière avait un sens convenu très clair pour lui. C'était l'ordre formel de passer à l'attaque.
Et comme il ne faut jamais perdre une occasion, si petite soit-elle, d'endormir l'adversaire, le même jour le délégué du gouvernement japonais annonçait à Tokio aux représentants de la presse que tout était en voie d'arrangement.
Vers Pearl Harbor.
C'était une magnifique escadre, que l'amiral japonais conduisait à l'assaut : deux cuirassés rapides, six porte-avions, deux croiseurs lourds, un croiseur léger, six bâtiments auxiliaires constituant le train d'escadre, tous des navires choisis parmi les meilleurs de la flotte.
La flotte japonaise comprenait à cette époque environ deux cents bâtiments de combat de surface :
Dix cuirassés, dix porte-avions, dix-huit croiseurs lourds, dix-sept croiseurs légers, cent cinquante torpilleurs environ.
Il s'y ajoutait une soixantaine de sous-marins de diverses classes et quelques sous-marins de poche.
Les croiseurs lourds méritent une mention spéciale. Limités par les conventions internationales au déplacement de 10.000 tonnes, ils avaient des caractéristiques et en particulier un armement qui surprenaient les experts. ("est ainsi que les croiseurs de la classe Altago portaient dix pièces de 203 millimètres et six pièces de 120 millimètres, ceux de la classe Tone portaient dix pièces de 203 millimètres et huit pièces de 127 millimètres alors que le Dupleix français du déplacement standard de 10.000 tonnes portait huit pièces de 203 millimètres et huit pièces de 90 millimètres.
On eut par la suite l'explication dont on se doutait d'ailleurs. Les Japonais avaient déclaré des tonnages inférieurs aux tonnages réels et on estime aujourd'hui que les croiseurs du type Atago atteignaient 12.500 tonnes et ceux de la classe Tone 14.500 tonnes. Certains bâtiments japonais avaient donc tin déplacement supérieur de près de 50 %, au tonnage autorisé.
Les japonais avaient judicieusement porté leur effort sur les porte-avions. Leur marine en possédait dix portant 530 appareils. À la même époque la marine américaine en avait sept avec 450 appareils.
Les japonais avaient aussi un nombre élevé de transports d'aviation qui joueront un rôle important au cours de la conquête des Philippines et de l'Insulinde.
L'escadre de choc japonaise (Striking force) comprenait les porte-avions suivants :
Au total, 400 avions dont 113 chasseurs, 132 torpilleurs et 156 bombardiers ; c'était, on le voit, la plus grande partie de leur aviation maritime embarquée que les Japonais avaient affectée à l'escadre de l'amiral Yamamoto, et cette escadre elle-même était dans son ensemble constituée par une notable fraction de toute la flotte japonaise.
Par ailleurs, les japonais avaient envoyé à l'avance dans les parages des îles Hawaï une vingtaine de sous marins de première classe. Cinq de ces bâtiments portaient chacun sur leur pont un sous-marin de poche. Ces sous-marins de poche avaient été construits dans le plus grand secret et leur emploi à Pearl Harbor fut une révélation.
Ils avaient un déplacement de quarante-cinq tonnes, une longueur de 15 mètres et une largeur de 2 mètres environ ; ils portaient deux torpilles de 450 millimètres de diamètre. Propulsés électriquement, ils avalent un rayon d'action de 150 milles à faible vitesse.
Un système ingénieux d'amarres, facilement largables, les maintenait sur la plage avant des sous-marins mères qui les portèrent à proximité de Pearl Harbor.
Enfin le plan d'opération prévoyait le soutien éventuel du gros des forces japonaises qui devait se porter au-devant de l'escadre de choc si elle était obligée de se replier, poursuivie par l'ennemi.
Tous les hommes étaient animés par un esprit de sacrifice élevé. Le personnel avait été choisi avec un soin extrême - surtout le personnel de l'aviation - et spécialement entraîné ; l'entraînement avait été conduit de manière à ne pas laisser soupçonner à l'avance par les équipages le but précis de l'entreprise.
Le chef de l'expédition, l'amiral Isoroku Yamamoto, dont le nom signifie en japonais base de montagne était le commandant en chef de la flotte japonaise. Il était né en 1884 dans le port de Niigata, port qui fournit au Japon beaucoup de bons marins. Blessé à bord du bâtiment amiral Mikasa, à la bataille de Tsoushima, il avait fait une brillante carrière. Avant la guerre, il avait été sous-secrétaire d'État, puis secrétaire d'État à la Marine et avait ensuite pris le commandement de toutes les forces navales à la mer.
Au physique, un homme petit, plutôt trapu ; un front élevé, des yeux très vifs, un menton volontaire. Ses cheveux courts et rêches, ses sourcils broussailleux, son visage sillonné de rides,'ses lèvres épaisses, lui donnaient l'air d'un paysan japonais.
Il jouissait d'une mémoire prodigieuse ; d'esprit vif, il était champion dans la marine japonaise du jô sorte de jeu d'échecs ; il était aussi excellent joueur de bridge.
Au moral on le représentait comme un homme réfléchi, décidé et combattit. Il menait à terre une vie spartiate dans une modeste maison d'un faubourg de Tokio. Elevé par son père, major de l'armée japonaise, dans le culte exclusif de la patrie, il était farouchement xénophobe. On a publié une partie de sa correspondance. Je ne serai pas content, aurait-il écrit, si je prends simplement Guam et les Philippines, je veux aussi les Hawaï et San Francisco. Et encore je me propose de dicter la paix à Washington, à la Maison Blanche.
Dès sa prise de commandement de la flotte japonaise, en 1939, il avait poussé à l'extrême l'entraînement aéronaval ; on se rendra compte de la manière dont était conduit l'entraînement quand on saura que, en temps de paix, son escadre avait perdu dix-sept avions dans la même journée, au cours d'exercices d'envol par gros temps.
Il avait prévu depuis longtemps le rôle des porte-avions dans le Pacifique. Dès 1930 il disait : l'avenir n'est ni au sous-marin, ni au cuirassé, mais au porte-avions.
Il considérait la torpille comme l'arme essentielle et le canon comme un simple auxiliaire. À la Conférence de Londres, il avait demandé que la torpille fût considérée comme une arme défensive et qu'elle échappât par suite, à tout règlement international de limitation. La torpille est offensive ou défensive, lui répondit avec humour un officier américain, mais cela dépend de quel côté de la torpille on se trouve.
Commandée par l'amiral Yamamoto, l'escadre de choc japonaise était placée en de bonnes mains. C'est d'ailleurs l'amiral qui avait conçu et proposé dès 1941 lé projet d'opération, projet dont les détails furent étudiés en septembre, au cours de nombreuses conférences et de minutieux exercices sur table, par quelques officiers de l'État-Major Général à l'Académie de Guerre Navale de Tokio.
On écarta l'éventualité d'un débarquement ; il eût fallu emmener un long convoi de transports de troupes et de matériel qui eût alourdi l'escadre et qui eût nui à sa discrétion.
Le 5 novembre, l'ordre secret d'opération n° 1 fut envoyé par l'amiral Osami Nagano, Chef d'État-Major Général, à tous les commandants des bâtiments qui devaient participer à l'attaque, et à la mi-novembre l'escadre se concentra dans la baie d'Hito-Kappu, appelée aussi baie de Tankan, baie située dans le sud-est de l'île d'Etorofu, la plus grande des îles Kouriles. Le groupe des îles Kouriles (les Tsi-Sima ou mille îles des Japonais) qui s'étend du nord du Japon proprement dit jusqu'au sud (le la presqu'île du Kamtchaka est très peu peuplé. L'île d'Etorofu ne contient que deux à trois mille habitants, des pêcheurs pour la plupart,' et les rivages de la baie d'Hito-Kappu sont déserts. La baie est bien protégée par la côte et deux promontoires contre les vents d'ouest et du nord qui sont les vents dominants en hiver. En décembre, les journées sont courtes dans ces parages, le temps gris, la visibilité faible. Le lieu choisi pour la concentration réunissait toutes les conditions de discrétion désirables.
Par ailleurs toutes les communications avec l'extérieur et la terre furent coupées ; l'escadre n'émit aucun signal de T. S. F. depuis son arrivée à Hito-Kappu jusqu'au moment de l'attaque. Les Américains ne purent donc avoir aucune interception, et leurs cryptographes qui, au cours de la guerre, obtinrent les plus remarquables succès, ne purent révéler les mouvements des bâtiments japonais. Les conditions de discrétion nécessaires au succès de l'entreprise furent parfaitement remplies. Le Mikado et le ministre de la Marine eux-mêmes, s'ils connaissaient le but de l'opération, en ignoraient les modalités. Les ambassadeurs japonais aux États-Unis, l'amiral Nomura et M. Kurusu n'avaient pas été informés.
L'escadre appareilla le 26 novembre, fit route générale à l'est au sud des îles Aléoutiennes, puis inclina au sud vers Pearl Harbor. -
Cette route par le nord avait été choisie, après un long examen, parce qu'elle offrait peu de risques de rencontre de bâtiments de commerce et de guerre. Le jour J jour de l'attaque était fixé au 7 décembre. Les ordres d'opération prévoyaient que si la force était découverte avant le jour J moins 2, elle devait se replier sans exécuter l'attaque ; si elle était découverte le jour J moins 1, la décision d'entreprendre ou d'abandonner l'attaque était laissée à la discrétion de son chef.
Parvenue à moins de 600 milles du point où elle devait lancer ses avions (environ 200 milles au nord de Pearl Harbor), l'escadre avait l'ordre de couler tout bâtiment de commerce rencontré, à quelque nationalité qu'il appartînt. Si un bâtiment émettait des signaux, il devait être immédiatement détruit sans égard pour le sauvetage du personnel. Ces ordres s'appliquaient aussi bien aux bâtiments de commerce japonais qu'aux bâtiments neutres et ennemis.
Ces dispositions habiles furent accompagnées par la chance et quand, au matin du 7 décembre, l'amiral Yamamoto arriva à destination, aucun indice n'avait permis au commandement américain de déceler son approche.
Le 4 décembre, par mer belle, les pétroliers avaient complété les approvisionnements en combustible de l'escadre. Tout était prêt pour l'attaque.
CHAPITRE II
DANS LE CAMP AMÉRICAIN AVANT LA BATAILLE
Le commandement et les forces américaines.
En 1941, le chef des opérations navales qui commandait sous l'autorité du ministre de la Marine l'ensemble des forces navales américaines était l'amiral Harold R. Stark dont le poste de commandement était à Washington. Les fonctions qu'il assumait correspondent à celles dont est chargé en France le chef d'État-Major-Général de la Marine. Le commandant du XIVe département maritime, dont font partie les îles Hawaï, était le contre-amiral Claude C. Bloch dont les fonctions étaient celles que remplit en France un préfet maritime avec toutefois une différence sérieuse. Chez nous, le préfet maritime, dans un port comme Brest ou Bizerte, commande l'ensemble des éléments terrestres, aériens et navals affectés à la défense du port et de la place, défense dont il est entièrement responsable. Aux Hawaï le commandement des défenses des îles y compris celles de Pearl Harbor appartenait au général Short, commandant du Département militaire des îles Hawaï. Les batteries de côte, les batteries antiaériennes, les avions de la défense, les moyens de détection relevaient du général Short, sans interférence de la marine. Il était donc responsable de la sécurité du mouillage. Si une attaque semblable à celle qui se produisit à Pearl Harbor était arrivée à Toulon ou à Cherbourg les marins seuls eussent été responsables : le préfet maritime pour la sécurité du mouillage et des installations à terre; le commandant de l'escadre pour les dispositions prises à bord des bâtiments eux-mêmes.
L'amiral Bloch n'était chargé que des questions de défense purement maritimes du port : surveillance des eaux adjacentes et des chenaux de sécurité, ouverture et fermeture des pannes des filets, arraisonnement des bâtiments, dragage des mines, police de la rade. Il ne relevait pas du général Short ; les relations entre les autorités militaires et navales étaient continues et tris confiantes mais il y avait Pearl Harbor dualité de commandement pour une seule mission, la défense du port.
Le commandant en chef de la flotte du Pacifique était l'amiral Husband E. Kimmel. Comme commandant de cette flotte, il avait autorité éventuelle sur les chefs de la flotte de l'Atlantique et de la flotte de l'Est-Asiatique ; en cas de jonction avec tout ou partie de ces flottes, il prenait le commandement de l'ensemble des bâtiments réunis. Il avait été désigné pour ce poste d'une extrême importance par M. Knox, secrétaire d'État à la Marine, bien qu'il fût très loin sur la liste d'ancienneté et était ainsi passé devant quarante-six officiers généraux plus anciens que lui.
Les officiers qui avaient servi avec lui et qui l'appelaient familièrement a Hubby, trouvaient un tel avancement pleinement justifié. L'amiral jouissait dans la marine américaine d'une haute réputation ; il avait brillamment commandé une division de croiseurs et s'était particulièrement attaché aux questions de défense contre avions. Depuis une vingtaine d'années, il avait demandé que la protection horizontale des bâtiments de ligne fût notablement renforcée ainsi que l'armement antiaérien.
L'avenir devait prouver la justesse de ces vues.
L'amiral, qui avait un esprit hardi et imaginatif,- pas sait en somme pour un des meilleurs stratèges américains et si le sort lui fut contraire par la suite, il semble bien que le choix extrêmement brillant dont il avait été l'objet, correspondait à ses mérites.
Il allait être placé devant une tâche redoutable. La flotte américaine était à cette époque, dans l'ensemble, sensiblement plus forte que la flotte japonaise. Elle comprenait : 17 cuirassés dont deux achevaient leurs essais, 7 porte-avions, 18 croiseurs lourds, 19 croiseurs légers, 170 torpilleurs. Les cuirassés étaient plus grands, mieux armés et mieux protégés que les bâtiments similaires japonais.
La flotte était en voie d'accroissement rapide. À la suite des victoires allemandes en Europe, le Congrès américain avait voté le programme dit de la Marine des Deux Océans, programme d'extension le plus important qui eût jamais été voté aux États-Unis et qui devait permettre de poursuivre la guerre dans l'Atlantique et le Pacifique avec des forces suffisantes.
Ce programme était loin d'être réalisé ; il avait fallu néanmoins répartir la flotte en deux fractions d'importances comparables.
En mai 1941, deux cuirassés, un porte-avions, quatre croiseurs et quelques torpilleurs prélevés sur la flotte du Pacifique, avaient été envoyés dans l'Atlantique et au début de décembre 41, la situation était la suivante :
Dans l'Atlantique se trouvaient huit cuirassés, quatre porte-avions, cinq croiseurs lourds, huit croiseurs légers et environ quatre-vingts torpilleurs. Les torpilleurs étaient déjà pratiquement engagés dans la guerre pour la protection des convois. Le 15 octobre 1941, le destroyer Kearney était torpillé au cours d'une escorte entre l'Islande et l'Amérique du Nord et le 31 octobre, c'était le tour du Reuben James.
Dans le Pacifique se trouvaient neuf cuirassés, trois porte-avions, treize croiseurs lourds, onze croiseurs légers et environ quatre-vingt-dix torpilleurs.
Tous les cuirassés, trois porte-avions, les deux tiers des croiseurs et des torpilleurs constituaient la flotte du Pacifique proprement dite ; les autres bâtiments étaient détachés dans les eaux des Philippines et constituaient l'Asiatic Fleet que nous appellerons flotte de l'Est-Asiatique.
Une grande partie des sous-marins américains se trouvaient dans le Pacifique : une trentaine de ces bâtiments étaient aux Philippines, sous les ordres du commandant de la flotte de l'Est-Asiatique ; un groupe était en surveillance devant l'île de Wake, un autre groupe devant Midway ; cinq sous-marins restait à Pearl Harbor.
Les sous-marins américains, qui devaient par la suite de la guerre avoir un rôle des plus efficaces et des plus glorieux, ne joueront aucun rôle dans l'affaire de Pearl Harbor.
La marine britannique et la marine néerlandaise avaient envoyé en Extrême-Orient, en plus de nombreux sous-marins, une cinquantaine de bâtiments de surface dont les deux navires de ligne anglais, le Prince of Wales et le Repulse qui arrivèrent à Singapour le 2 décembre.
Les forces navales japonaises étant beaucoup plus fortes que les forces italiennes et allemandes réunies et la marine anglaise faisant face à celles-ci, la répartition adoptée par les Américains pouvait paraître risquée et l'était en effet. Elle relevait d'une stratégie générale qui consistait à abattre d'abord l'Allemagne. Il fallait gagner la bataille de l'Atlantique et soutenir les Russes en leur envoyant par mer le matériel dont ils avaient besoin. C'est cette stratégie qui a permis les victoires russes, les débarquements en Afrique du Nord et en Europe, la défaite allemande suivie de l'effondrement ' japonais. Le succès a donc justifié la hardiesse montrée par les Américains, mais cette stratégie rendait, au départ, très précaire la situation de l'amiral Kimmel.
S'opposer aux attaques des Japonais sur les Philippines avec des forces inférieures était une entreprise dont le simple examen de la carte montre la difficulté. Si la flotte américaine avait voulu attaquer les convois allant du Japon aux Philippines, il lui aurait fallu défiler devant les bases japonaises des îles sous mandat où les Japonais pouvaient placer des forces supérieures. C'était pour les Américains courir de grands risques.
En fait si l'opinion publique, mal informée, comptait que la flotte du Pacifique battrait la flotte japonaise, les chefs, eux, ne se faisaient pas d'illusion. Le Japon ne pouvait être vaincu qu'après un renversement de la balance des forces, surtout des forces aériennes, le petit nombre de porte-avions dont disposait l'amiral Kimmel constituant la principale infériorité de sa flotte.
Cependant, telle qu'elle était, la flotte du Pacifique obligeait les Japonais à immobiliser pour sa surveillance des forces importantes ; elle constituait une menace sur leur flanc et ils ne pouvaient avoir une complète liberté d'action qu'après l'avoir neutralisée.
Risques courus par la flotte à Pearl Harbor.
Scepticisme du commandement.
Pearl Harbor est situé dans l'île d'Oahu, île qui n'est pas la plus grande mais la plus importante du groupe des îles Hawaï tant par sa population que par ses cultures. Les Instructions Nautiques américaines ne donnent, pour des raisons faciles à comprendre, aucun renseignement sur le port, mais selon les Instructions françaises, c'est l'un des ports les meilleurs et les plus spacieux de tout le Pacifique nord ; il pouvait contenir toute la flotte américaine de 1941. Il est constitué par une profonde anfractuosité de la côte se ramifiant en plusieurs bras de mer (lochs). Cette région abritée communique avec le large par un étroit goulet qui a deux milles de longueur et dont l'entrée est une brèche d'environ un demi-mille creusée dans le récif corallien.
À deux milles environ dans l'est le récif de bordure présente une autre brèche, connue sous le nom d'entrée de Kalihi, qui ne peut être pratiquée que par des embarcations ; un sous-marin ne pourrait pas l'utiliser.
Placé dans le sud de la baie, l'arsenal de la marine est bien outillé ; il possède plusieurs bassins de carénage et des docks flottants dont l'un peut recevoir un cuirassé de fort tonnage. A ces ressources s'ajoutent celles d'Honolulu (dont le nom signifie en hawaïen beau port) ville de 130.000 habitants environ et grand port pétrolier installé de façon très moderne.
L'île d'Oahu, longue de 60 kilomètres et large de 40 environ, offre des emplacements nombreux et excellents pour des terrains d'aviation ; sur la côte est se trouve la baie de Kanehoë, que seuls de petits bâtiments peuvent pratiquer, mais où les hydravions trouvent un beau plan d'eau bien abrité.
Oahu a de l'eau en abondance et des plantations importantes ; toutefois, la nécessité de ravitailler une ville de l'importance d'Honolulu, qui ne trouve pas entièrement sa subsistance dans l'île, crée, au point de vue militaire, une certaine sujétion.
L'île est facile à défendre ; elle est montagneuse et les plages sont protégées par les brisants. De plus, aucune des îles de l'archipel n'offre les possibilités d'Oahu pour le stationnement d'une force aéronavale et on ne peut pas attaquer Pearl Harbor en saisissant une île voisine pour en faire une base d'offensive. Situé au milieu du Pacifique central nord, Pearl Harbor est admirablement placé. Si l'on estime qu'une force navale moderne peut faire sentir son action à une distance de 2.000 à 2.500 milles de ses bases, la flotte américaine partant des ports de la côte ouest a un rayon d'action englobant les îles Hawaï. La possession des îles reporte ce rayon d'action très à l'ouest. Situé à environ 2.000 milles des côtes américaines, à 3.400 milles du Japon, et à 3.300 milles de Guam, Pearl Harbor est une excellente base de départ pour l'attaque et là défense et un précieux relais sur les routes du Japon, des Philippines et d'Australie. Les Américains considéraient Pearl Harbor comme leur position stratégique la plus importante avec Panama.
Une telle position devait être défendue de manière à assurer complètement la sécurité de la flotte du Pacifique. Quel était l'avis des chefs américains au sujet des risques d'un raid japonais et des possibilités de succès de ce raid ?
L'opinion n'était pas unanime et, au surplus, elle varia, allant alternativement de l'inquiétude à la confiance, mais d'une manière générale, plus on se rapprocha de l'époque du raid japonais et plus s'affirma la quiétude des Américains.
Au cours de l'année 1940, le prédécesseur de l'amiral Kimmel, l'amiral Richardson, avait demandé instamment que la flotte se repliât sur la côte ouest des États-Unis. Il estimait que les avions affectés à la défense de l'île d'Oahu étaient trop peu nombreux et d'un modèle trop ancien ; il jugeait les moyens de détection et les défenses antiaériennes insuffisants; la flotte, elle-même, lui paraissait trop faible pour les tâches qui pouvaient lui être assignées ; enfin il pensait que l'entraînement et le maintien en état de la flotte seraient mieux assurés sur le continent et que le séjour aux Etats-Unis était favorable au moral des équipages.
Non seulement il avait adressé des protestations à son chef direct, le chef des Opérations Navales, mais il avait porté de débat devant le président Roosevelt lui-même, sans obtenir gain de cause.
D'impérieuses raisons de politique étrangère imposaient le maintien de la flotte aux îles Hawaï. Un repli sur la côte du Pacifique pouvait être interprété comme un signe de faiblesse et encourager le Japon à poursuivre une politique de conquête. De plus, ce repli eût découragé la Chine et d'une manière générale tous les adversaires présumés du Japon.
À cette époque cependant (1940) les États-Unis ne considéraient pas la guerre comme inéluctable. Les partisans de la non-intervention étaient nombreux et, dans l'ensemble, la nation espérait rester en paix. Sur une question de l'amiral Richardson, le président Roosevelt avait répondu que même une agression des Japonais contre la Malaisie ou les Indes Néerlandaises n'entraînerait pas forcément une entrée en guerre de l'Amérique. Il fallait néanmoins maintenir la flotte à Pearl Harbor et les demandes de l'amiral Richardson ne reçurent pas satisfaction.
Le 27 mai 1940, le chef des Opérations Navales lui écrivait :
Pourquoi êtes-vous aux îles Hawaï ? Réponse : Vous êtes là parce qu'on pense que votre présence peut retenir les Japonais s'ils veulent aller aux Indes Orientales. Supposons que les Japonais y aillent. Que ferons-nous ? Ma réponse est que je n'en sais rien et je pense que personne sur la terre verte ne peut vous le dire.
Cependant, l'amiral Stark ne se dissimulait pas les risques que courait la flotte à Pearl Harbor. Le 22 novembre 1940, il écrivait : Depuis l'affaire de Tarente, mon inquiétude pour la sécurité de la flotte, déjà grande, est devenue plus grande encore. Une attaque soudaine de Pearl Harbor serait surtout justifiée par la présence de la flotte. On avait pensé pendant, longtemps que les eaux peu profondes de la rade (14 mètres au mouillage des cuirassés) garantissaient les bâtiments d'une attaque par avion torpilleur. Les torpilles lancées par avion font après leur chute dans l'eau une plongée profonde et peuvent se détériorer sur le fond si celui-ci est trop haut. On estimait au début de 1940 que ces torpilles ne pouvaient être efficaces que par une profondeur supérieure à 25 mètres. Mais les Anglais avaient lancé à Tarente dans des eaux d'une profondeur inférieure. De plus on apprenait qu'ils utilisaient pour leurs avions de nouvelles torpilles qui ne faisaient pas, en tombant à l'eau, des plongées plus profondes que celles lancées par les navires eux-mêmes. Les Japonais, ainsi qu'il fut démontré par la suite, avaient construit des torpilles parfaite-ment adaptées aux conditions de la rade de Pearl Harbor. Des fragments de ces torpilles retrouvés sur la côte et au fond de la rade montrèrent qu'elles étaient munies d'ailerons judicieusement conçus pour éviter les plongées profondes.
Elles avaient aussi des pointes percutantes spéciales. On sait que les pointes percutantes des torpilles, pour assurer la sécurité du lanceur, ne deviennent offensives qu'après un certain parcours, parcours qui était réduit au minimum sur les torpilles japonaises.
Ainsi le mouillage de Pearl Harbor n'assurait pas à la flotte une sécurité suffisante contre les attaques par avion torpilleur.
Les appréhensions des chefs américains auraient pu être renforcées par le message que l'ambassadeur des Etats-Unis au Japon adressait le 27 janvier 1941 au secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères des États-Unis : Un membre de l'Ambassade a été informé par un de mes collègues que, de plusieurs sources, dont une japonaise, il avait appris qu'une attaque par surprise était projetée par les Japonais contre Pearl Harbor en cas de troubles entre le Japon et les États-Unis, que dans cette attaque ils mettraient en oeuvre tous les moyens possibles. Mon collègue me fait prévenir sans délai, bien qu'un tel plan lui paraisse fantastique, parce qu'il a eu ce renseignement de différentes personnes. Ce message, d'ailleurs peu affirmatif, ne parut pas inquiéter outre mesure le ministère de la Marine. En informant le commandant en chef de la flotte, on lui écrivit que le département n'ajoutait pas foi à de telles rumeurs. Au contraire, en se basant sur des renseignements au sujet de l'emploi des forces japonaises, on pensait qu'aucune attaque contre Pearl Harbor n'apparaissait ni imminente ni vraisemblable dans un futur prévisible.
On le voit, les vues des Américains sur la question étaient loin d'être fixées. Cependant, l'amiral Kimmel, dès sa nomination, sans aller jusqu'à demander l'abandon de Pearl Harbor, reprit à son compte les doléances de son prédécesseur sur l'insuffisance des défenses. De son côté, le général Short alertait fréquemment l'État-Major général de l'Armée.
Aussi les défenses d'Oahu furent-elles sérieusement revues et améliorées au cours de l'année 1941. Après étude, on élimina l'emploi des barrages de ballons protecteurs dont la présence pouvait gêner l'envol des avions basés à Ford Island et à Hicicam Field, centres placés très près de la rade. On ne s'arrêta pas non plus à l'utilisation des nuages de fumée, les conditions météorologiques locales ne se prêtant pas à cette utilisation, mais les forces ariennes de l'île furent renforcées et, au début de décembre, le général Short avait à sa disposition 123 avions de chasse et de bombardement tous modernes; il disposait en outre d'une centaine d'avions de modèle ancien.
L'artillerie antiaérienne fut accrue et comprenait 52 pièces de r5 millimètres. Un ensemble d'appareils a radars comprenant cinq stations mobiles et un poste de centralisation avait été mis en place. L'installation devait être complétée par un poste très puissant placé sur le mont Kuala qui eût donné aux Américains de grandes possibilités pour la découverte de l'ennemi. Quoique inachevée l'installation pouvait rendre de grands services.
Enfin, l'escadre disposait d'environ deux cents avions basés à terre, qui, en principe, n'étaient pas affectés à la défense de l'île mais devaient évidemment participer, en liaison avec l'escadre, à l'attaque et à la destruction d'une force assaillante.
À la commission d'enquête militaire qui suivit la défaite, le chef d'État-Major Général put déclarer que la mise en état de Pearl Harbor avait été l'objet de tous les soins de l'État-Major : Si l'on fixe à 100, dit-il, le degré de préparation en hommes et en matériel des Îles Hawaï, celui de Panama pourrait être représenté par le chiffre 25, celui des Philippines par 10 et la préparation des îles Aléoutiennes était pratiquement négligeable.
Avec le renforcement des moyens de protection de l'île, les appréhensions des chefs américains semblèrent disparaître. La tentative d'attaque leur apparut de plus en plus risquée. Les Japonais, s'ils étaient découverts près de Pearl Harbor, seraient conduits à livrer bataille loin de leurs bases ; en cas d'échec, une retraite sur plusieurs milliers de milles avec des bâtiments avariés pouvait tourner au désastre. Non seulement l'ennemi subirait les attaques de toutes les forces aéronavales basées à Pearl Harbor mais on pourrait concentrer sur lui des forces aériennes venues du continent, qui après ravitaillement à Oahu le harcèleraient sans trêve alors qu'il ne pourrait espérer aucun secours immédiat des bases japonaises éloignées.
Par ailleurs les porte-avions japonais avaient un rayon d'action trop faible pour effectuer l'attaque sans ravitaillement à la mer et ce ravitaillement pouvait être gêné par le mauvais temps ou encore être rendu impossible si l'escadre japonaise était accrochée, en cours d'opération, par les forces aéronavales de Pearl Harbor.
L'entreprise comportait plus de risques que de chances de succès. Si elle se concevait quand Pearl Harbor était mal défendu, elle devenait chaque jour plus invraisemblable. Sans en écarter absolument la possibilité, ou finit par croire qu'elle ne se produirait pas.
Nous n'envisagions pas, déclara le général Marshall à la commission d'enquête militaire, une attaque des îles Hawaï ; nous pensions qu'avec l'envoi d'avions modernes de plus en plus nombreux, les défenses étaient suffisantes pour rendre l'entreprise ennemie extrêmement hasardeuse.
Il confirma cet avis de manière encore plus nette en 1945 devant une commission d'enquête du Congrès américain. Une défaite grave des Japonais devant Pearl Harbor, dit-il en substance, les aurait obligés à renoncer à toutes leurs conquêtes en Extrême-Orient. Il n'était donc pas logique de leur part d'entreprendre l'attaque.
Telle était l'opinion de l'homme qui a commandé toutes les armées américaines et a été un des principaux artisans de la victoire des Alliés.
Certes les chefs américains connaissaient trop bien l'histoire du Japon pour ne pas envisager la possibilité d'une attaque brusquée dès le temps de paix. Mais ils n'avaient aucun renseignement sur les préparatifs de l'escadre d'attaque qui, nous l'avons vu, étaient conduits avec le souci extrême d'éviter toute indiscrétion. Au contraire, tous les renseignements qu'ils possédaient sur les mouvements de l'ennemi leur indiquaient que l'assaut allait se déclencher dans l'Est-Asiatique.
Le 27 novembre, après l'envoi au Japon de la note Hull, le général Marshall et l'amiral Stark demandèrent au Président Roosevelt de tout faire pour essayer de retarder le début de la guerre. Dans cette note, ils déclaraient : Si les négociations en cours échouent, les Japonais peuvent attaquer les routes de Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie, les Indes Néerlandaises, les Philippines ou la Province maritime russe ». Mais ils ne faisaient aucune allusion à l'éventualité d'une attaque sur Pearl Harbor.
Ce même jour, le 27 novembre, l'amiral Stark adressait au commandant en chef de la flotte du Pacifique le télégramme suivant :
La présente dépêche doit être considérée comme un avertissement de guerre (war warning). Les négociations avec le Japon dans le but de stabiliser la situation dans le Pacifique ont cessé et une agression japonaise est escomptée ces jours-ci. Le nombre et l'équipement des troupes japonaises ainsi que l'organisation de leurs forces navales d'opération indiquent une expédition amphibie contre les Philippines, la Thaïlande, la Malaisie et peut-être Bornéo.
Exécutez un déploiement défensif préalable aux opérations prévues. Informez le district naval et les autorités militaires. Le ministre de la Guerre envoie le même avertissement.
Les districts navals du continent, Guam et Samoa reçoivent l'ordre de prendre les mesures voulues contre des tentatives de sabotage.
Ce message fut aussi adressé au commandant en chef de la flotte de l'Est-Asiatique.
Les grands chefs à Washington n'envisageaient donc une attaque imminente qu'en Extrême-Orient.
Short et Kimmel ne pensaient pas différemment. Ils possédaient du reste beaucoup moins de renseignements sur la situation que n'en possédait Washington et se plaindront plus tard de n'avoir pas reçu tous les éléments d'appréciation.
Le 28 novembre, l'amiral Kimmel réunissait à son quartier général, avec le général Short, les officiers généraux de l'escadre et les officiers de son état-major.
Le message du 27 novembre fut examiné par tous avec une extrême attention. La conclusion de la conférence fut que la guerre était imminente mais qu'il n'y avait pas lieu de prendre à Pearl Harbor des mesures extraordinaires, les Îles Hawaï n'étant pas immédiatement menacées.
Un fait parut cependant inquiéter un moment l'amiral Kimmel. À son état-major on était, depuis la fin du mois de novembre, sans aucune nouvelle de deux divisions de porte-avions japonais.
L'amiral eut à ce sujet une conversation avec le Fleet Intelligence officier (chef du 2e Bureau de la flotte).
- Quoi, dit l'amiral, vous ignorez où sont passés les porte-avions des divisions N° 1 et N° 2.
- Je pense qu'ils sont au Japon, mais je n'en sais rien.
- Voudriez-vous insinuer qu'ils sont en train de doubler Diamond Head (cap près d'Honolulu).
- Je n'en sais rien, J'espère qu'on les verrait à l'avance.
L'amiral regarda fixement l'officier et se tut.
Ces porte-avions faisaient partie de l'escadre Yamamoto. Le chef de la flotte venait d'avoir une intuition des événements futurs qui ne persista malheureusement pas, et il retomba dans la quiétude générale.
En définitive on peut résumer l'état d'esprit du commandement américain ainsi qu'il suit :
À Washington, comme à Pearl Harbor, on croit que les Japonais commenceront la guerre en Extrême-Orient.
On estime qu'une attaque contre Pearl Harbor est, en décembre 1941, une entreprise risquée et improbable. Ce en quoi, on méconnaît la psychologie japonaise.
Nous nous sommes placés, écriront les membres de la commission d'enquête militaire, à un point de vue d'Occidentaux.
Nous avons ignoré complètement la mentalité orientale, le mépris des japonais pour la vie humaine, leur détermination de conduire une attaque-suicide, en dehors des conceptions occidentales, dans le but d'obtenir un avantage extraordinaire.
Hull et Grew nous avaient cependant avertis de cette psychologie et du goût des japonais pour les actes de suicide inattendus et téméraires.
Les dispositions prises à Pearl Harbor avant l'attaque.
Les dispositions qui avaient été prises à Pearl Harbor reflétaient le scepticisme des Américains au sujet des possibilités d'une attaque.
Le général Short était hanté par les craintes de sabotage et étant donné l'importance de la population japonaise dans l'île, population dont une grande partie était fanatiquement hostile, de telles craintes n'étaient pas chimériques à priori. Mais une tentative de sabotage eût conduit à l'arrestation en masse des suspects; elle eût désorganisé le réseau d'espionnage dont les japonais se promettaient; à juste titre, le meilleur rendement. Il est vraisemblable que le mot d'ordre d'éviter tout sabotage fut passé et aucune tentative du genre ne se produisit. Tout était judicieusement combiné dans le plan japonais.
Le général Short avait cependant pris le 27 novembre un dispositif appelé couramment dispositif antisabotage, qui, dans son esprit, préservait l'île contre le risque qu'il jugeait le plus probable et avait en outre l'avantage de permettre un entraînement beaucoup plus intense, car il laissait disponible la plus grande partie du personnel. Le général Short avait, comme d'ailleurs l'amiral Kimmel, la hantise de l'entraînement et au ministère de la Guerre à Washington on admettait que les forces des Hawaï étaient parfaitement entraînées.
Le général Short avait d'ailleurs informé l'État-Major Général du genre d'alerte qu'il avait adopté. Washington n'avait fait nulle objection.
Avec le dispositif anti-sabotage, les avions à terre, ceux de l'armée comme ceux de la marine étaient groupés pour permettre une surveillance facile, les uns à côté des autres sur les terrains, séparés par une distance inférieure à 3 mètres, ce qui, on le verra, facilitera grandement la tâche des aviateurs japonais.
Non seulement ce groupement des avions les rendait très vulnérables mais ils ne pouvaient pas prendre l'air rapidement car leur envol devait être précédé de manoeuvres longues et nombreuses sur les terrains. Leur situation le jour de l'attaque sera catastrophique.
Par ailleurs les batteries mobiles antiaériennes n'avaient pas pris leur position de combat non seulement parce que le général Short jugeait le mouvement prématuré mais aussi pour éviter les protestations de certains propriétaires qui ne voulaient pas laisser abîmer leurs plantations à l'avance et peut-être sans nécessité.
Au japon, on n'aurait pas tenu compte de telles considérations. Mais le territoire de Hawaï appartient à la République des États-Unis et l'opinion publique y est puissante. Cette opinion était représentée à Honolulu par cinq gros propriétaires, les Big rive, qui avaient derrière eux toute l'Association des Producteurs de sucre hawaïens ; le général Short était obligé de ménager tout ce monde.
Ces batteries mobiles antiaériennes n'avaient même pas reçu leurs munitions qui, pour des raisons de conservation et aussi pour faciliter la surveillance contre le sabotage, étaient encore gardées dans les magasins d'artillerie à Marnant Crater (le vieux cratère) ; la distribution de ces munitions exigeait plus d'une heure.
L'artillerie de campagne n'avait pas non plus pris ses positions; ses munitions. se trouvaient à Schofield Barracks et à Aliamanu Crater, Là encore la distribution exigeait plus d'une heure.
Alarmés par la tournure des événements, le général Burgin, commandant l'artillerie antiaérienne et le général Murray, commandant l'artillerie de campagne étaient venus, au début .de décembre réclamer la délivrance des munitions à l'état-major. Mais là on ne désirait nullement leur donner satisfaction : Sortir les munitions puis, éventuellement, les rentrer c'était du travail inutile sans compter qu'il faudrait procéder à un nettoyage des projectiles et des douilles. On aurait bien le temps de procéder au mouvement quand on verrait plus clair dans la situation.
Les deux généraux s'étaient alors adressés au général Short lui-même, sans plus de succès. Il appuyait entièrement son état-major sur ce point.
Seules les batteries antiaériennes fixes étaient approvisionnées ; on avait installé à côté des pièces des parcs à munitions en bois, mais ces batteries fixes étaient moins nombreuses que les batteries mobiles et le 7 décembre plus de la moitié des pièces antiaériennes seront inutilisables.
Les troupes d'infanterie étaient dans leurs baraquements ; quand on rappellera aux postes de combat le 7 décembre à 8 heures du matin, elles ne pourront être à leurs postes qu'après 16 heures. Une partie des munitions d'infanterie étaient aussi en magasin et ne seront distribuées qu'après l'alerte.
Les stations radars n'étaient en service que de quatre heures à sept heures du matin, surtout dans un but d'entraînement. Toutefois l'heure choisie pour les exercices, aux environs de l'aube, était la plus intéressante au point de vue détection de l'ennemi.
Pendant la nuit les casernements et aussi l'escadre n'utilisaient qu'un éclairage réduit mais le black out général à Honolulu et dans l'île ne sera ordonné que le 7 décembre au soir.
Aucun avion de l'armée n'avait pris l'air dans la matinée avant l'attaque.
Une partie du personnel, faible il est vrai, est en week-end.
En somme, ces mesures reflètent l'état d'esprit du commandement à terre qui peut se résumer ainsi : crainte de sabotage, souci de conservation et d'entretien du matériel, préoccupation de l'entraînement et surtout conviction qu'une attaque n'est pas imminente.
Quelle était la situation de la flotte à l'aube du 7 décembre ?
Deux Task forces sont à la mer : la première sous les ordres du vice-amiral Halsey comprend le porte-avions Enterprise, trois croiseurs lourds, neuf torpilleurs et se trouve à environ 200 milles dans l'ouest d'Oahu, au retour d'une mission de transport d'avions à Wake ; la deuxième, sous les ordres du contre-amiral Newton, comprend le porte-avions Lexington, trois croiseurs, cinq torpilleurs et est en exercice à environ 450 milles dans le sud de l'île Midway.
Quatre croiseurs lourds escortent un convoi vers les Philippines. Le cuirassé Colorado et le porte-avions Saratoga sont en réparation sur le continent.
Il reste à Pearl Harbor huit cuirassés, neuf croiseurs, vingt-huit torpilleurs et cinq sous-marins; en outre tous les bâtiments auxiliaires de la flotte et le vieux cuirassé cible Utah, en tout quatre-vingt-six navires.
Le cuirassé Pensylvania, bâtiment portant le pavillon de l'amiral Kinnnel, est au bassin de carénage ; dans ce même bassin, sur l'avant du Pensylvania, se trouvent à côté l'un de l'autre les deux torpilleurs Downes et Cassin.
Le destroyer Shaw est avec un remorqueur dans le dock flottant mouillé près de l'arsenal.
Le croiseur Helena est accosté au dock 10-10 (Ten-ten dock) ayant à couple le poseur de mines Oglala. Le croiseur léger Honolulu est amarré dans un des bassins au nord-est de l'Helena. Le cuirassé Californa est mouillé devant Ford Island.
Les six autres cuirassés sont placés sur deux lignes, amarrés par l'avant et l'arrière sur des coffres, presque à se toucher les uns les autres. Avec le bâtiment atelier Vestal ils forment un groupe compact contenu dans une aire de huit à neuf cents mètres de long et de deux cents mètres de large et constituent une cible magnifique pour les bombardiers et les avions torpilleurs nippons. Toutefois les deux cuirassés Tennessee et Maryland se trouvent protégés des attaques à la torpille par les bâtiments voisins dans l'ouest, et dans l'est par la proximité de la côte de Ford Island. À l'est de Ford Island sont mouillés le Raleigh, le Curtiss et le cuirassé cible Utah.
Les autres bâtiments, croiseurs, torpilleurs, navires auxiliaires sont amarrés ou mouillés dans la baie d'Aiea et au nord de l'East Loch. Les quelques sous-marins de la flotte sont amarrés à leur base au fond du Southeast Loch.
Quelques petits bâtiments de la défense mobile patrouillent devant le port. En rade la plupart des bâtiments sont à douze heures d'appareillage, c'est-à-dire qu'ils doivent se tenir prêts à partir douze heures après en avoir reçu l'ordre. Certains bâtiments sont à une heure d'appareillage.
Environ 80 des équipages sont à bord, des officiers et des maîtres sont autorisés à descendre à terre. Quelques commandants ont passé la nuit chez eux et n'auront pas encore rallié le bord au moment de l'attaque.
Au point de vue du service de veille à bord l'amiral Kimmel avait prévu trois positions :
N° 1. Tout le personnel est aux postes de combat. Action imminente.
N° 2. La moitié des pièces secondaires et des pièces antiaériennes sont armées.
N° 3. Quelques pièces secondaires et antiaériennes armées.
C'est la position N° 3 qui avait été adoptée au début de décembre. Elle correspondait à peu près à ce que nous appelons en France le poste de veille par tiers au mouillage.
Chaque bâtiment a reçu son secteur de surveillance ; le plan de battage antiaérien a été bien préparé par l'État-Major et la répartition des unités par secteur est précise, mais avec le service N° 3 les moyens dont on dispose immédiatement sont faibles.
La flotte du Pacifique avait dans les centres de l'île environ deux cents appareils appartenant à l'aviation maritime de coopération basée à terre ou appartenant aux porte-avions ; aucun de ces avions n'avait pris l'air le 7 décembre au matin, mais 18 avions de l'Enterprise rallieront la base au moment de la bataille et se trouveront par hasard mêlés à l'action.
Parmi les avions basés à.. terre, se trouvaient une soixantaine d'appareils de grande exploration. L'amiral Kimmel les utilisait normalement pour l'éclairage de l'escadre à la mer et estimait, qu'en principe, ils ne devaient pas participer couramment à la protection de l'île d'Oahu. La conception, écrivait-il, suivant laquelle des éléments de la flotte peuvent être détournés de leurs missions normales pour coopérer à la défense de la base est si fausse qu'elle mérite à peine d'être réfutée.
Cependant l'armée de terre ne possédant dans l'île que six avions de grande patrouille, l'amiral Kimmel avait admis que les explorations à grande distance, si elles étaient nécessaires, seraient effectuées par la marine. Mais il n°avait pas ordonné de telles explorations pour tenir compte des considérations suivantes :
On estimait que des porte-avions japonais, s'ils venaient attaquer Oahu, se présenteraient la veille de l'attaque à sept cents milles de l'île, qu'ils parcourraient pendant la nuit une distance aussi grande que possible et lanceraient leurs appareils le matin à l'aube.
Pour obtenir une sécurité suffisante permettant à l'escadre américaine d'appareiller et de combattre l'ennemi à la mer il fallait explorer la veille de l'attaque avant la nuit une circonférence de 4.400 milles. Si l'on admet qu'un avion voit un cercle de 25 milles de diamètre, chiffre que l'on estimait être un maximum, il fallait employer chaque jour près de deux cents grands appareils, que l'amiral Kimmel était bien loin de posséder. Encore un service quotidien eût-il exigé des relèves.
Si même on se contentait d'une exploration de 3 à 400 milles au jour, il fallait une centaine d'appareils, nombre déjà très élevé, et cette exploration n'eût donné qu'un préavis d'une heure à une heure et demie.
Certes, on pouvait présumer un secteur d'arrivée de l'ennemi, ce qui eût restreint les exigences de l'exploration. Les japonais arrivèrent par le nord, la voie la plus discrète. Mais ils possédaient dans les îles Marshall des bases avancées, beaucoup plus rapprochées de Pearl Harbor que les ports du japon et partant de ces îles ils pouvaient se présenter dans un secteur sud ou un secteur ouest.
Le prédécesseur de l'amiral Kimmel avait, en vue de s'éclairer pendant les périodes de crise, lancé fréquemment des explorations dans des secteurs étendus, à cheval sur une direction générale ouest. On conçoit que, tenant compte de la fatigue imposée aux appareils par ces explorations, le commandant de la flotte y ait renoncé. D'autant plus qu'il était sceptique sur l'éventualité d'une attaque.
Les discussions qui eurent lieu aux Etats-Unis, avant et après l'attaque, montrent qu'il était difficile de deviner à l'avance, même de façon approximative, la route d'arrivée de l'ennemi, et la commission d'enquête de la marine estima qu'aucun reproche ne pouvait être adressé à l'amiral sur ce point.
Toutefois les supérieurs de l'amiral Kimmel, le chef des Opérations Navales et le ministre de la Marine, qui était au moment de l'enquête M. Forrestal, n'admirent pas le point de vue de la commission. Ils estimèrent qu'un axe d'attaque probable pouvait être discerné et jugèrent que les conceptions de l'amiral en ce qui concernait la participation de l'escadre à la protection permanente de l'île étaient trop absolues, si elles étaient justes en principe.
Enfin une dernière considération avait guidé l'amiral Kummel. En cas d'ouverture des hostilités, il devait appliquer le plan d'opération dit War plan N° 46 qui comportait une attaque aéronavale sur les bases japonaises des îles Marshall et il tenait à conserver ses avions prêts pour déclencher immédiatement cette attaque.
On peut estimer que les dispositions prises dans l'ensemble étaient celles d'une flotte qui se garde normalement au mouillage en période de tension, mais certainement pas les dispositions qui eussent été prises si l'amiral Kimmel avait envisagé une action massive de l'ennemi dès le début de la guerre contre la flotte au mouillage de Pearl Harbor.
CHAPITRE III
DERNIERS AVERTISSEMENTS
Histoire d'un message.
Cependant le sort allait encore réserver aux Américains plusieurs avertissements qui, heureusement interprétés, eussent pu leur permettre une mise en garde tardive niais efficace. Une incroyable série de malchances allait les empêcher d'utiliser ces avertissements.
Dans la nuit du 6 au 7 décembre, l'Intelligence Service Américain (2e Bureau de l'Armée) eut en sa possession le texte chiffré d'un ultimatum que les ambassadeurs japonais avaient l'ordre de présenter à M. Cordell Hull le 7 décembre, à treize heures.
La note japonaise, très longue, était presque entièrement remplie par une énumération des griefs japonais. Seule la dernière phrase paraissait annoncer l'ouverture des hostilités. Les Américains, qui possédaient les clefs
japonaises, purent déchiffrer la note mais n'eurent le texte complet en clair que vers huit heures du matin. L'Intelligence Service ne put donc alerter le commandement qu'assez tard.
L'amiral Stark, prévenu vers dix heures et demie, laissa à l'armée le soin d'informer les Hawaï mais demanda que le message destiné au général Short fût communiqué à l'amiral Kimmel.
Le chef d'État-Major Général, le général Marshall était absent. Chaque jour il faisait une promenade à cheval, exercice nécessaire pour un homme sur qui reposaient les plus lourdes responsabilités et qui avait besoin de conserver des nerfs calmes. D'habitude cette promenade avait lieu dans la soirée, mais le dimanche 7 décembre il sortit clans la matinée et à l'État-Major Général personne ne prit, en son absence, la décision d'avertir les grands chefs militaires outre-mer.
Le général ne put être joint à son bureau qu'à 11 h. 30. En lui apportant la note japonaise, le chef de l'Intelligence Service émit l'avis que l'heure fixée par Tokio pour la remise de l'ultimatum serait vraisemblablement l'heure de l'ouverture des hostilités. Déjà le commandant Kramer, du 2e Bureau de la marine, avait fait remarquer que treize heures à Washington, c'était minuit en Extrême-Orient et l'aube à Pearl Harbor.
Minuit à terre, c'est l'heure des crimes, niais à la mer l'aube est aussi le montent propice. Il fallait prévenir Mac-Arthur aux Philippines, Short aux Hawaï et les Anglais.
Le général Marshall rédigea aussitôt pour le général Short et le général Mac Arthur le message suivant : Les Japonais vont présenter à 13 heures, heure de Washington, une note qui est un ultimatum. Ils ont aussi l'ordre de détruire leurs codes. Nous ignorons l'exacte signification de l'heure choisie. Prenez immédiatement l'alerte et informez les autorités navales.
Le message fut signé à 11 h. 50. Le Service Transmission qui avait eu dans la matinée de grosses difficultés en utilisant la radio militaire, décida d'acheminer le message par radio commerciale. La Western Union Company put le faire partir à 12 h. 17 Washington - 6 h. 47 à Honolulu. Il fut reçu à 7 h. 33 à Honolulu par la Radio Corporation of Americo. Il ne portait pas la mention priorité et quand il parvint au général Short, il avait depuis longtemps perdu tout intérêt.
À Washington, on aurait pu utiliser le téléphone, ce qui eût pris de 15 à 20 minutes, mais ce moyen ne parut pas suffisamment discret; le commandement américain ne voulait à aucun prix laisser soupçonner aux Japonais que leurs codes étaient compromis. Or on savait déjà que l'Axe avait connu en partie certaines conversations téléphoniques échangées entre le Président Roosevelt et M. Churchill ; de même, des communications téléphoniques émanées du commandement américain à Panama n'étaient pas restées secrètes. C'est pourquoi le général Marshall n'eut pas recours au téléphone. D'ailleurs il déclara plus tard que s'il avait utilisé ce moyen, il eût communiqué avec le général Mac-Arthur aux Philippines avant d'informer les Hawaï.
On ne sait pas pourquoi le Service Transmission de l'Armée n'utilisa pas la radio navale très puissante et qu'il pouvait doubler par la radio commerciale. Il est permis de penser qu'à tous les échelons, si l'on agissait avec activité par entraînement professionnel, on ne croyait pas à l'attaque de Pearl Harbor et qu'on ne réalisait pas nettement la nécessité de ne pas perdre une seconde.
Telle paraît être l'histoire de l'envoi de ce fameux message qui a fait couler aux États-Unis des flots d'encre, mais comme il arrive souvent lorsqu'il faut établir l'historique d'incidents minimes en. eux-mêmes et dont les conséquences se révèlent par la suite extrêmement importantes, il semble difficile dc retrouver clairement toutes les raisons qui retardèrent l'envoi et l'arrivée du message. Envoyée et transmise sans délai, la nouvelle de l'ultimatum eût peut-être permis aux autorités de Pearl Harbor de prendre les dispositions qui eussent changé le cours des événements.
L'heure choisie par les Japonais est remarquable. Treize heures à Washington, c'était 7 h. 30 à Honolulu. Si l'ultimatum avait été remis à l'heure fixée par Tokio, les Japonais pouvaient affirmer qu'ils avaient respecté les conventions internationales, ce qui eût été exact à la lettre mais non dans l'esprit de ces conventions.
La note japonaise était un texte de deux mille cinq cents mots. M. Cordell Hull devait le lire attentivement, répondre aux ambassadeurs nippons, puis prévenir le Président, l'Armée et la Marine. Pearl Harbor qui fut attaqué à 7 h. 50 ne pouvait être alerté à temps.
En fait, il semble qu'on fut moins rapide pour le déchiffrement à l'ambassade japonaise qu'à l'Intelligence Service. Par suite des lenteurs du déchiffrement et du temps qu'il fallut pour obtenir un rendez-vous avec le ministre des Affaires étrangères, la note ne fut remise qu'à 14 h. 20. À ce moment M. Cordell Hull connaissait déjà l'attaque de Pearl Harbor. Sur ce point la précision pleine de duplicité des Japonais se trouva en défaut et ils porteront devant l'histoire sans pouvoir prétexter un faux-fuyant quelconque la responsabilité d'avoir attaqué sans avertissement leurs adversaires.
Dans l'ultimatum, le gouvernement japonais reprochait au Président Roosevelt de s'être refusé à une entrevue avec le prince Konoyé ; il accusait la Grande-Bretagne et les États-Unis d'empêcher l'établissement d'un ordre nouveau en Extrême-Orient, d'entretenir la guerre de Chine et de poursuivre l'encerclement du Japon.
Les propositions qui nous ont été faites, disait-il, ignorent les sacrifices du Japon pendant les quatre années de la guerre de Chine, menacent l'existence même de l'Empire et détruisent son honneur et son prestige.
Le gouvernement japonais concluait en déclarant que les négociations étaient désormais sans objet.
M. Cordell Hull lut attentivement la note japonaise, en prit acte, puis contesta violemment la valeur des arguments invoqués pour légitimer la déclaration de guerre : En cinquante années de vie publique, dit-il, je n'ai jamais vu un document aussi rempli de mensonges et d'altérations (distorsions).
Il ne fit aucune mention de l'attaque de Pearl Harbor. Les ambassadeurs japonais n'avaient pas été informés par Tokio, mais peut-être soupçonnaient-ils les événements. L'un d'eux, Nomura, était amiral et avait rempli les plus hautes fonctions dans la marine japonaise. II avait fait partie, avant d'être nommé ambassadeur, du Suprême Conseil de guerre. Il avait dû s'entretenir souvent, avec ses pairs, des moyens de vaincre les États-Unis. Il connaissait l'esprit décidé et aventureux des chefs de la flotte, Nagano et Yamamoto. Sans doute pouvait-il imaginer ce qui se passait aux îles Hawaï.
Entre ce ministre américain qui savait et ces ambassadeurs qui, vraisemblablement, soupçonnaient le drame, l'entrevue déjà émouvante par son objet, la déclaration de guerre, dut être lourde de pensées cachées.
M. Cordela Hull congédia les Japonais. L'entrevue avait duré treize minutes. Kurusu et Nomura quittèrent le ministère pâles mais calmes en apparence.
À ce moment la bataille de Pearl Harbor durait déjà depuis une heure et demie et approchait de sa fin.
Première manifestation de l'offensive japonaise.
Le deuxième avertissement que reçurent les Américains fut donné par la présence d'un sous-marin ennemi dans les eaux de l'île d'Oahu.
A 4 heures du matin, le 7 décembre, le dragueur de mines Condor aperçut, de façon fugitive, un petit bâtiment qui avait l'apparence d'un sous-marin. Ce bâtiment suspect se trouvait à 1.000 mètres de la porte du filet et faisait route lentement cap au nord vers l'entrée.
Le Condor alerta immédiatement par fanal discret le torpilleur Ward qui patrouillait à proximité. (Le Ward qui allait tirer les premiers coups de canon de la guerre entre le Japon et les États-Unis, portait le nom du premier officier de marine tué pendant la guerre de Sécession.)
Les deux bâtiments américains recherchèrent en vain pendant deux heures l'objet suspect, brusquement disparu dans la nuit ou sous l'eau.
À 6 h. 40 le remorqueur de but Antarès qui rentrait au port signala au Ward : Je crois être suivi. Entre le remorqueur et le but qu'il traînait les hommes du Ward remarquèrent un kiosque surmontant la coque sombre d'un sous-marin. La silhouette du sous-marin n'était pas familière au commandant du Ward. Aucun doute n'était possible. Un sous-marin ennemi se glissait dans la rade derrière le remorqueur.
Le Ward fonça sur le sous-marin, le canonna ; ce navire était étrange, singulièrement petit et son kiosque minuscule constituait une cible très réduite. À cent mètres, un coup du Ward éclata sur le but qui s'enfonça dans l'eau. Le torpilleur américain grenada alors consciencieusement l'emplacement du bâtiment disparu. Il fut aidé dans cette tâche par un avion américain qui rentrait à Pearl Harbor et qui avait été attiré par le bruit et les lueurs de la canonnade. L'équipage de l'avion informa sa base de l'événement, mais là on crut à une méprise jusqu'au moment de l'attaque aérienne japonaise.
Le sous-marin coulé était-il celui que le Condor avait aperçu à 4 heures? Peut-être ! Mais nous verrons plus loin que plusieurs sous-marins japonais devaient pénétrer en rade ce matin-là.
Les instructions de Washington prescrivaient aux forces américaines d'éviter tout acte et toute manoeuvre qui eussent pu être interprétés comme une ouverture d'hostilités. L'amiral Kimmel avait cependant donné l'ordre de détruire tout sous-marin ennemi rencontré dans les eaux de Pearl Harbor, ordre normal que tous les marins du monde jugeront parfaitement justifié et qui est comparable à l'ordre de tirer sur un avion étranger venant, en période de tension, se présenter au-dessus d'un point fortifié avec des intentions suspectes. D'ailleurs l'amiral Kimmel n'avait fait que renouveler les instructions de son prédécesseur, l'amiral Richardson.
Le commandant du Ward pouvait donc avoir la conscience tranquille. Il lui restait à alerter ses chefs, ce qu'il fit immédiatement en envoyant à l'amiral Bloch, à Pearl Harbor, à deux reprises le signal suivant : Nous avons canonné et grenadé un sous-marin opérant dans la zone défensive.
Ces signaux furent bien reçus par l'Amirauté à Pearl Harbor. Au cours de conversations antérieures les chefs militaires et navals avaient décidé qu'une attaque par sous-marin pouvant être conjuguée avec une attaque aérienne, devait déclencher l'alerte générale immédiate et le rappel aux postes de combat dans l'île.
Cependant ce jour-là les marins jugèrent que la présence du sous-marin japonais était une manifestation isolée. En fait, la bataille de Pearl Harbor était commencée mais on ne le comprit que plus tard.
Le général Short de qui dépendaient les batteries côtières et antiaériennes ne connut l'incident qu'après l'attaque. Il ne put donc prendre aucune mesure d'alerte; des éléments de la défense mobile aux ordres de l'amiral Bloch furent simplement envoyés en renfort contre les sous-marins devant le port.
Malgré la grande cordialité des rapports qui existaient à Pearl Harbor entre les chefs militaires et marins, la dualité de commandement jouait contre les Américains.
Les avions japonais découverts.
Un troisième avertissement le plus précis de tous allait encore parvenir aux Américains. Il leur fut fourni par leurs appareils de détection radar. L'installation n'étant pas encore complète et le personnel ne lui paraissant pas suffisamment entraîné, le général Short la faisait fonctionner, comme nous l'avons vu, simplement à titre d'exercice, chaque jour, de quatre heures à sept heures du matin.
Le dimanche 7 décembre, l'exercice eut lieu normalement aux heures prescrites, et à sept heures les officiers du poste central s'éloignèrent à l'exception d'un lieutenant qui s'attarda quelque temps.
Cependant à une des stations de radar éloignée se trouvaient deux simples soldats : private Locard et private Elliott. Ces deux hommes aimaient leur métier ; ils avaient ce goût et cette hantise de l'entraînement qui rend les Américains si redoutables dans les compétitions. Private Elliott était nouveau venu et voulait se perfectionner. Les deux hommes décidèrent de continuer l'exercice.
Quelques instants après sept heures, Locard observa au radar la présence d'une formation d'une importance telle qu'il n'en avait jamais repéré d'aussi forte dans l'appareil. Elle se trouvait à 132 milles dans le Nord-Est. Il était q heures 2 minutes. Locard et Elliott savaient qu'aucun groupe d'avions américains n'était en l'air dans ces parages. Il se passait quelque chose d'extraordinaire et de louche. Pendant un instant, les deux hommes doutèrent de leur appareil, mais celui-ci confirmait obstinément ses indications. Après s'être concertés, Locard et Elliott alertèrent le centre. Au centre, le téléphoniste appela immédiatement l'officier qui était encore là. C'était un sceptique... Des histoires, on ne me la fait pas... d'abord on attend des avions américains qui arrivent de Californie. Evidemment ce n'est pas dans la direction voulue, mais ils ont pu être dépalés. Et puis si on mettait tout en branle pour les imaginations des uns et des autres. Il envoya promener les deux hommes au bout du fil...
Les deux privates continuèrent à suivre les avions japonais jusqu'à moins de 20 milles d'Oahu, niais, rabroués et déconcertés, gardèrent pour eux leurs impressions.
La décision désastreuse du lieutenant privait le commandement américain d'un préavis de trente à quarante minutes, qui eût permis de rappeler aux postes de combat, de disperser les avions assemblés et de recevoir l'ennemi avec toutes les pièces antiaériennes des bâtiments prêtes à faire feu.
Ainsi les Américains avaient négligé des avertissements précieux et au moment où les avions de l'amiral Yamamoto allaient fondre sur Pearl Harbor, les Japonais n'auraient pu souhaiter rencontrer des adversaires moins prévenus que ne l'étaient les Américains. Comme les individus forts, les peuples exubérants de vie pèchent souvent par insouciance ou mépris du danger et sont ainsi victimes d'ennemis plus faibles niais déterminés et audacieux car à la guerre les actions téméraires réussissent souvent à cause de leur témérité même parce qu'elles ne rencontrent que scepticisme et incrédulité.
CHAPITRE IV
PEARL HARBOR (7 décembre 1941)
L'exploration d'un sous-marin de poche.
Le 7 décembre, vers quatre heures du matin, un sous-marin de poche japonais se présenta devant le filet de protection de Pearl Harbor et franchit la passe en plongée au moment où la panne fut ouverte pour laisser sortir du port des bâtiments de servitude. Le commandant suivit le goulet et à quatre heures trente, il se trouvait devant Hospital Point ; il vint alors au nord soixante est et défila devant l'arsenal en repérant les bâtiments qui s'y trouvaient. Bien que la nuit ne fût pas sombre, il lui fut difficile de les identifier exactement. Il vit à Ten-Ten Dock le croiseur Helena et le mouilleur de mines Oglala et confondit leurs masses avec celles du cuirassé Pensylvania dont il nota la présence à quai sur sa carte. Le cuirassé était en réalité au bassin.
Poursuivant sa route pour contourner Ford Island en laissant l'île sur sa gauche, il repéra la présence à Battleship Row des trois cuirassés West Virginia, Tennessee et California. Il doubla Ford Island et au retour nota la présence dans l'ouest et à proximité de l'île des croiseurs Trenton, Omaha, San Francisco et du porte-avions a Saratoga. Au-dessous de ce dernier, il écrivit : Je l'ai vu, de mes yeux vu. En réalité aucun des quatre derniers bâtiments n'était sur rade et il prenait pour le Saratoga, le cuirassé cible Utah. L'Utah avait subi des modifications qui lui donnaient l'apparence d'un long parallélogramme et son pont supérieur pouvait être confondu avec un pont d'envol.
Ce sous-marin de poche avait reçu une mission de renseignement et non une mission d'attaque. Vers 6 heures, il sortait du port sans difficulté, la panne étant restée ouverte et il est vraisemblable que le commandant put communiquer en temps voulu les renseignements recueillis au chef de l'escadre japonaise, car nous verrons les avions nippons s'acharner sur l'Utah, et aussi un groupe venir à l'attaque de l'Helena à l'emplacement supposé du Pensylvania.
Cette exploration hardie et qui présentait des difficultés incroyables passa inaperçue des Américains. Aucun des hommes de service de nuit sur le pont des bâtiments ne soupçonna la marche du petit navire nippon. Il y avait bien sur plusieurs bâtiments américains des appareils de détection sous-marine, mais ces appareils ne sont armés qu'à la mer et l'idée qu'un sous-marin ennemi passait en temps de paix dans ce port peu profond à quelques dizaines de mètres des étraves aurait paru sur le moment invraisemblable à tout le personnel.
Après la sortie, le sous-marin de poche naviguant dans les eaux d'Oahu fut bombardé par un avion et, avarié, vint s'échouer près de Bellows Field, au sud de Kanehoë. Son commandant, l'enseigne Sakamaki se constitua prisonnier. On put relever par la suite le sous-marin, dont l'examen fournit aux officiers américains des renseignements précieux ; ils retrouvèrent à bord la carte où Sakamaki avait noté ses observations. Cette carte portait des indications imprimées nombreuses et précises sur les installations de Pearl Harbor, d'Hickam Field et des alentours. En marge de la carte était inscrit un code très simple, qui fut décrypté par les services du Federal Board of Investigations. Ce code permettait de communiquer rapidement à l'escadre japonaise quelques signaux importants, tels La flotte ennemie est sur le point d'appareiller ou La flotte ennemie est sortie. Il permettait aussi d'indiquer de façon concise les points du mouillage occupés par des bâtiments de ligne ou des porte-avions.
Les renseignements que le commandant du sous-marin avait obtenus étaient €n grande partie erronés. Du moins l'amiral Yamamoto obtenait-il la précision la plus importante pour lui : la flotte du Pacifique était toujours au mouillage.
C'est pour obtenir ce renseignement avec certitude qu'il avait donné l'ordre au sous-marin de ne pas attaquer et d'éviter ainsi les risques d'une riposte. De plus l'attaque pouvait mettre en garde les Américains et compromettre le succès des avions qui allaient décoller ; enfin le sous-marin ne portait que deux torpilles de faible calibre et il ne pouvait guère qu'avarier un seul cuirassé. L'amiral japonais voulait les détruire tous.
L'attaque des terrains d'aviation.
À l'aube du 7 décembre, la visibilité était bonne à Pearl Harbor, à Honolulu et dans la plaine d'Ewa qui étend ses plantations entre la chaîne des monts Koolau à l'Est et celle des monts Waianae à l'Ouest, mais à douze cents mètres d'altitude environ des nuages, clairsemés au-dessus de la plaine, s'accrochaient en masses denses sur les montagnes et s'étendaient très loin sur la mer.
La situation atmosphérique était donc favorable aux assaillants qui pouvaient s'approcher dissimulés dans les nuages et avoir en sortant une claire vue de leurs objectifs : les terrains d'aviation et l'escadre. Le temps nuageux ne gênait pas beaucoup les appareils nippons pour leur atterrissage sur l'île parce qu'ils partaient d'un point rapproché et n'avaient pas à craindre de grosses erreurs d'estime.
L'armée américaine disposait à Oahu de deux grands centres d'aviation : le centre de Hickam Field, au sud-est et à côté de la rade de Pearl Harbor et le centre de Wheeler Field dans le nord du port. Il y avait, en outre, à Bellows Field, sur la côte est d'Oahu, un terrain moins important que les deux premiers, utilisé surtout pour l'entraînement des appareils et dont les installations n'étaient pas complètement achevées.
Enfin, tout à fait dans le nord de l'île, à Haléiwa, un terrain auxiliaire de dimensions réduites pouvait servir aux avions n'exigeant pas un très long parcours pour l'envol et l'atterrissage. Après le 7 décembre, de nombreux terrains supplémentaires seront créés dans Vile.
La Marine disposait d'un grand centre d'aviation à Ford Island au milieu de la rade, du centre d'Ewa, qui n'était pas terminé, mais était déjà utilisé et enfin d'une base mixte, pour avions et hydravions, à Kanehoë sur la côte est de l'île, où les replis de la côte et les récifs de corail assurent un vaste plan d'eau généralement calme.
À sept heures cinquante, les vagues d'avions couleur moutarde portant sur les ailes les disques et les rayons rouges du soleil levant, sortirent des nuages et aussitôt les premières bombes tombèrent sur Kanehoe ; presque au même moment Hickam Field était attaqué et, en quelques minutes, la bataille s'étendit avec une extrême violence à l'escadre et à tous les terrains d'aviation, sauf Haleiwa, terrain qui n'était utilisé qu'accidentellement et où quelques avions de chasse passèrent inaperçus des Japonais. La bataille devait durer deux heures.
Pendant longtemps on estima aux États-Unis que les Japonais avaient mené l'attaque avec deux cent dix appareils, dont cent cinq s'étaient portés sur les terrains de l'île et cent cinq sur l'escadre et Ford Island. Mais des renseignements récents, fournis par les Japonais eux-mêmes, indiquent que plus de trois cent cinquante avions participèrent à la bataille, pour la plupart des avions de bombardement en piqué et en haute altitude, auxquels s'ajoutèrent de nombreux avions torpilleurs et de nombreux avions de chasse.
Les appareils nippons se présentèrent en trois colonnes : l'une vint par le nord, suivant la route Shofield Barracks, Wrheeler Field, Ewa et Pearl Harbor ; la deuxième, par l'est, sur Bellows Field, Kanehoe et Pearl ; la troisième par le sud-est sur Hickam Field et le port. Chaque colonne se fractionna à temps voulu pour l'attaque des divers objectifs. L'arrivée des -avions de différents points de l'horizon sur l'escadre devait rendre difficile la tâche des défenseurs.
Sur les terrains les appareils américains en rangs serrés sur de grandes étendues constituaient des cibles magnifiques où presque tous les coups portaient et contre lesquelles s'acharnèrent les aviateurs japonais, à la bombe et à la mitrailleuse. Ils volaient très bas, surtout pendant les premières minutes du combat alors que la réaction américaine n'était pas encore vive. Les Japonais pilonnèrent aussi les hangars d'aviation. À Ford Island, centre maritime, un magasin de munitions atteint par une bombe explosa, incendiant la station. À Wheeler Field et à Hickam Field presque tous les hangars furent détruits.
À Ford Island, Ewa, Hickam Field et Wheeler Field, la plus grande partie des appareils furent détruits ou rendus inutilisables. À Kanehoe, le désastre fut total ; les hydravions mouillés dans la baie subirent le sort des avions terrestres et les embarcations elles-mêmes furent coulées. À Bellows Field, où le matériel antiaérien était très insuffisant, la destruction fut aussi complète.
L'attaque contre les terrains d'aviation était secondaire, l'objectif principal étant l'escadre cuirassée. Mais les Japonais comptaient mettre les avions américains hors d'état de participer à la défense de la flotte. Leur but fut pleinement atteint et au large, l'amiral Yamamoto qui avait conservé avec lui une cinquantaine d'appareils en réserve pour repousser une contre-attaque aéronavale éventuelle, aurait pu se rassurer complètement s'il avait connu immédiatement les événements.
Cependant la réaction américaine s'organisait. Dès l'apparition des Japonais le poste de T. S. F. de Ford Island lançait le message : Raid d'avions sur Pearl Habor ; ceci n'est pas un exercice, message qui fut immédiatement répété par le Pensylvania, bâtiment amiral.
Ainsi le Pacifique et les États-Unis apprirent que la guerre était commencée et que les Japonais ouvraient les hostilités en frappant au coeur de la position adverse.
Les batteries fixes antiaériennes ouvrirent rapidement un feu intense et partout dans les centres d'aviation et en escadre les Américains bondirent au combat. Ils le firent, sous les bombes et les balles, avec rapidité et méthode, sans qu'aucune panique se produisît. Sur les terrains, avec un courage admirable, les équipages armaient les mitrailleuses encore intactes des appareils, entourés par les flammes des avions atteints, au milieu des coques et des ailes tordues et brisées. Ils sortaient des hangars les mitrailleuses Lewis de campagne et les mettaient en action ; ils en hissèrent sur les toits. Ils tiraient avec les fusils et même avec les revolvers dont ils disposaient. Aidés du personnel ouvrier, ils s'efforçaient d'écarter les appareils indemnes de ceux qui étaient déjà en flammes et de sortir des hangars où le feu commençait les appareils qui s'y trouvaient. Les équipes de sécurité amenaient sous les balles les engins mobiles d'extinction sur les terrains pour éteindre les avions en feu. À Hickain Field, des hommes détachèrent les moteurs de certains avions dont la queue était déjà atteinte par les flammes et les firent tomber sur le terrain pour les préserver. À Ford Island, l'antenne du poste de T. S. F., avariée, fut réparée au plus fort de l'action par le personnel du Service des Transmissions.
Les Américains disposaient de quelques avions de chasse, des Curtiss Hawkes d'ancien modèle qui se trouvaient sur le terrain d'aviation auxiliaire d'Haleiwa qui n'était pas attaqué. Quelques officiers de heeler Field allèrent en auto armer ces appareils avec lesquels ils se lancèrent au milieu des formations ennemies. Les lieutenants Welch et Taylor descendirent à eux seuls cinq avions ennemis au cours de combats brillants. Quoique blessé, le lieutenant Taylor atterrit, refit le plein d'essence et repartit à l'attaque. Les avions américains n'avaient pu s'envoler que 50 minutes après la chute de la première bombe japonaise et ces prouesses individuelles ne pouvaient avoir grand effet sur le résultat de la bataille, étant donné le petit nombre d'avions qui y participèrent, mais elles montrèrent que les pilotes américains valaient leurs adversaires en cran et en habileté... Si l'on avait pu mettre en l'air une centaine d'avions de chasse avant l'arrivée des Japonais, l'affaire eût changé de face.
Au cours de la bataille, un groupe de forteresses volantes arriva à Pearl Harbor, de Hamilton Field (Californie). Ces avions n'avaient pas emporté de munitions; à Hamilton Field on ne croyait pas plus qu'aux Hawaï à l'imminence d'une attaque. Les forteresses volantes, prises dans la tourmente, s'égaillèrent rapidement et atterrirent avec dextérité où elles purent, quelques-unes sur des terrains tellement exigus que l'atterrissage fut considéré comme une acrobatie, mais un certain nombre de ces forteresses volantes furent abattues par les avions japonais.
Dix-huit avions bombardiers de l'Enterprise arrivèrent aussi en pleine bataille. Ils s'étaient envolés à l'aube, du porte-avions, à environ 200 milles d'Oahu, avec mission d'explorer la route de l'Enterprise et l'ordre de rallier Pearl Harbor en fin de mission. Ils tombèrent sur les flottilles d'avions japonais à qui ils durent livrer une lutte inégale : treize d'entre eux réussirent à atterrir à Ford Island après avoir descendu plusieurs avions japonais, mais cinq des appareils de l'Enterprise avaient été abattus soit par l'ennemi, soit par le tir antiaérien.
L'attaque de l'escadre.
Contre l'escadre l'attaque fut déclenchée quelques instants après l'apparition des appareils japonais dans le ciel d'Oahu. D'une manière un peu arbitraire, elle peut être divisée en trois phases.
1° phase. - De sept heures cinquante à huit heures vingt-cinq eut lieu une action intense menée par des avions torpilleurs, des bombardiers en piqué et des bombardiers en haute altitude.
2° phase. - De huit-heures vingt-cinq à huit heures quarante-cinq se produisit une accalmie relative, avec seulement quelques attaques sporadiques par des avions isolés ou par de petits groupes de deux ou trois appareils.
3° phase. - De huit heures quarante-cinq à neuf heures quarante-cinq réapparurent des groupes nombreux de bombardiers en haute altitude, suivis par des bombardiers en piqué manoeuvrant dans une atmosphère obscurcie par les fumées des incendies.
PREMIERE PHASE
Au cours de la première phase, les attaques furent parfaitement coordonnées. Les objectifs avaient été méthodiquement répartis par le commandement selon les renseignements obtenus, et les aviateurs japonais prenaient les buts qui leur avaient été fixés, sans hésitation apparente.
L'attaque des avions torpilleurs, la plus efficace, fut exécutée avec une audace et une adresse extraordinaires. Elle se produisit en trois vagues; la plus importante comprenait une trentaine d'avions qui vinrent du sud-est et prirent pour objectif le groupe des cuirassés.
Il suffit de regarder le plan de Pearl Harbor pour se rendre compte de la difficulté de l'opération et de la précision qu'elle exigeait. Le loch entre Ford Island et la presqu'île de Kuahua ne mesure guère plus de 70o mètres de largeur ; l'espace disponible pour l'attaque était encore réduit par les cuirassés et par les petits fonds auprès de la presqu'île. De plus les assaillants pouvaient être en butte non seulement aux feux des cuirassés et des batteries de terre mais encore au tir des torpilleurs, mouillés dans la baie d'Aiea, qui prenaient le loch en enfilade.
Malgré les difficultés de l'attaque, les coeurs des aviateurs japonais durent bondir de joie en apercevant la ligne ennemie. On leur avait indiqué la vulnérabilité du dispositif adverse, mais les renseignements pouvaient être faux ou encore des changements pouvaient s'être produits au dernier moment.
Et ils avaient devant eux une véritable digue de cuirassés ennemis.
Quatre puissantes masses, dira plus tard le commandant japonais Hiraidé, formaient une ligne continue de plus d'un kilomètre, poupes et proues se touchant. Il n'y a pas quinze mètres entre elles. Une plus admirable cible pour nos avions torpilleurs, nul ne l'avait imaginée. A cinq cents mètres de là toute la flottille de destroyers est ancrée comme des navires de pêche dans un port de province. J'aperçois clairement les passerelles qui permettent de passer d'une unité à l'autre.
Les appareils nippons rasèrent les constructions de la côte sud-est de la rade, franchirent le loch à une quinzaine de mètres de hauteur, lancèrent leurs torpilles à petite distance des cuirassés, puis passèrent en trombe au-dessus des navires rasant les superstructures et mitraillant les équipages ; ils reprirent ensuite de l'altitude au-dessus de Ford Isand.
Nous avons vu que les Japonais avaient construit pour cette attaque des torpilles spéciales, qui ne faisaient pas de plongée profonde en tombant à l'eau et étaient rendues offensives après un faible parcours. Les fonds du loch varient au mouillage des cuirassés et dans la partie avoisinante de la rade de 11 à 15 mètres ; certaines torpilles furent lancées à moins de 150 mètres du but.
Les Japonais ne lancèrent pas au jugé sur l'ensemble de la ligne, mais au contraire chaque pilote choisissait son but avec précision et conformément au plan prévu ; s'il y eut des erreurs de visée, la continuité de la ligne américaine en diminua l'importance. Tous les cuirassés de Battleship Row qui n'étaient pas placés à l'intérieur des lignes du côté de Ford Island furent atteints, chacun par une ou plusieurs torpilles.
Une deuxième vague d'avions torpilleurs vint du nord-ouest, sur l'Utah et le Raleigh qui furent torpillés. Enfin quelques avions venant de l'ouest lancèrent sur l'Oglala et l'Helena.
Il semble bien que ces deux dernières vagues étaient dirigées d'après les indications fournies par le sous-marin de poche japonais et qu'elles visaient le Saratoga et le Pensylvania. Si les aviateurs japonais reconnurent l'erreur au dernier moment, ils n'eurent plus la possibilité de modifier les dispositions prises.
La ruée 'des avions torpilleurs japonais constitua réellement ce jour-là ce que certains tacticiens appellent l'événement d'une bataille, c'est-à-dire une manoeuvre inattendue par l'adversaire et décisive.
Ainsi l'avion torpilleur, arme dont l'utilité avait donné lieu avant guerre à des discussions passionnées, confirmait de façon éclatante les preuves d'efficacité déjà fournies à Tarente par les avions britanniques contre les cuirassés italiens.
Conjuguant leurs attaques avec celles des avions torpilleurs, les bombardiers en piqué apparurent en huit vagues se suivant à courts intervalles. Leurs attaques furent aussi conduites avec la plus grande détermination et pourraient être qualifiées de semi-suicides, c'est-à-dire que, sans rechercher délibérément l'écrasement sur le pont des bâtiments de ligne, les pilotes japonais manoeuvrèrent comme à l'exercice, sans préoccupation apparente des réactions américaines.
Une bombe frappa une des cheminées de l'Arizona et explosa dans les chaudières. Les bombardiers touchèrent le cuirassé Utah qui fut atteint par deux bombes ; les équipages japonais, comme ceux des avions torpilleurs, pensaient attaquer le porte-avions a Saratoga a, ce qui explique leur acharnement.
Les cuirassés California, West Virginia, Tennessee, Pensylvania, le croiseur Raleigh, le destroyer Shaw, le bâtiment atelier Curtiss furent aussi durement frappés.
En même temps, trois vagues de bombardiers en haute altitude prenaient comme objectifs les bâtiments amarrés dans l'arsenal puis le groupe des bâtiments de ligne. Les cuirassés California, Arizona et le torpilleur Shaw furent touchés par des bombes ou des obus de gros calibre que les japonais utilisaient comme bombes après leur avoir ajouté un dispositif d'ailettes.
Comme sur les terrains d'aviation, la réaction des Américains fut en escadre aussi vive et aussi efficace que pouvait le permettre la dramatique situation dans laquelle la surprise les avait placés.
Les premiers coups des bâtiments furent tirés quelques secondes après l'apparition de l'ennemi avec les pièces déjà armées; les équipages rallièrent leurs postes de combat avec une grande rapidité ; toutes les batteries antiaériennes des cuirassés étaient en action en cinq minutes, celles des croiseurs en quatre minutes et celles des torpilleurs en sept.
Partout les hommes continuèrent à servir les pièces tant qu'ils ne furent pas atteints par les incendies et sur les bâtiments qui chaviraient ils s'accrochèrent aux canons et ils tirèrent jusqu'à la dernière extrémité. Quand l'évacuation des navires fut nécessaire, les marins évacués à Ford Island et dans l'arsenal reprirent le combat auprès de leurs camarades en action.
Les embarcations du bâtiment-hôpital Solace vinrent accoster l'Arizona, l'Oklahoma et les autres cuirassés pour prendre au milieu des pires difficultés les blessés et les conduire sur le navire-hôpital. Sous le feu ennemi ces embarcations sillonnèrent la rade pendant toute la bataille. À bord du Solace beaucoup de blessés demandèrent à reprendre la lutte, et les blessés légers, après un pansement sommaire, furent ramenés sur des bâtiments en action.
De nombreux avions japonais torpilleurs et bombardiers furent descendus par le tir de la flotte. Ils s'abattaient en rade ou sur les terrains avoisinants. Certains appareils allèrent tomber en mer devant Peari Harbor, quelques-uns à proximité des bâtiments de surveillance américains qui auraient pu sauver des aviateurs japonais, mais ceux-ci ne voulaient pas être faits prisonniers et préférèrent couler avec leurs appareils.
Dès l'alerte quelques bâtiments américains qui étaient sous le feu ou dont le type de machines permettait un appareillage rapide, avaient pris les dispositions d'appareillage. Le pétrolier Neosho fut le premier à réussir et sortit vers 8 heures 15. Il se trouvait à Ford Island au dock de mazoutage pour débarquer de l'essence d'avion. Sa présence en un des points les plus exposés présentait un danger terrible, non seulement pour lui, mais aussi pour tous les bâtiments sur rade à cause de l'énorme quantité de combustible inflammable qu'il portait dans ses soutes. Le commandant du Neosho fit couper les amarres et fut assez heureux pour sortir du port en esquivant les bombes japonaises.
La première phase de la bataille a duré une demi-heure environ et quand elle prend fin, le sort de la journée est fixé.
L'Oklahoma et l'Utah ont chaviré, le California, le West Virginia, l'Arizona coulent ; à Battleship Row le tir des cuirassés faiblit ou s'éteint. Sur de nombreux bâtiments l'incendie fait rage ; d'immenses colonnes de fumée s'élèvent des navires en feu et s'étendent sur la rade ; des nappes de mazout en flammes se répandent sur la mer où, au milieu de débris flottants, des hommes surnagent et s'efforcent de gagner la terre.. huit heures quinze, la flotte du Pacifique présente déjà le spectacle d'une flotte vaincue, écrasée au mouillage.
DE UXIEME PHASE
Au cours de la deuxième phase, l'attaque fut exécutée par une vingtaine de bombardiers agissant isolément ou par petits groupes de deux ou trois appareils. L'atmosphère obscurcie ne permettait plus, et ne permettra plus jusqu'à la fin de l'action aux équipages japonais d'avoir une vue nette du champ de bataille et la belle ordonnance des premières attaques japonaises ne pouvait plus se reproduire.
Les Japonais bombardèrent et mitraillèrent de nouveau le Nevada, le Maryland, l'Oklahoma et l'ensemble des navires qui se trouvaient en cale sèche, dans les docks flottants et aux quais de l'arsenal. Le Downes, le Cassin et le Shaw furent atteints par des bombes.
Vers huit heures trente-cinq, un sous-marin de poche japonais fit surface dans le loch devant le Curtissn. Sans doute fit-il une fausse manoeuvre au cours d'une présentation d'attaque. Si ingénieuse que fût la construction de ces petits bâtiments, il était difficile de les manoeuvrer avec un équipage réduit à deux hommes. De plus, malgré les dimensions réduites du sous-marin, l'étroitesse relative d'une rade encombrée ne facilitait pas les manoeuvres. Enfin dans ces eaux où tombaient des bombes soulevant des gerbes de trente mètres, et peut-être à cause des remous produits par le naufrage des bâtiments les conditions de tenue d'une plongée correcte étaient difficiles.
Quoi qu'il en soit, nous ne saurons jamais comment ce sous-marin avait pénétré dans la rade, ni pour quelle raison il fut obligé de faire surface. Immédiatement repéré il subit le feu violent de plusieurs bâtiments dont le Curtiss qui déclara plus tard l'avoir atteint et il replongea de suite. Mais le torpilleur Monaghan qui avait appareillé fonça sur lui, l'éperonna et le coula.
Ce sous-marin fut relevé par la suite. Très abîmé et inutilisable il fut remorqué et coulé sur les enrochements d'une digue, ayant toujours à bord les corps des deux hommes qui composaient son équipage. Sépulture magnifique qui, par son emplacement, à Pearl Harbor, témoignait de l'intrépidité des deux marins japonais.
C'est aussi au cours de la deuxième phase que. le croiseur Saint-Louis, amarré à couple de l' Honolulu, put appareiller et sortir de la rade.
Nous avons vu que le dispositif de l'amiral Yamamoto comportait l'emploi d'une vingtaine de sous-marins placés en surveillance dans les eaux des îles Hawaï. Avant l'attaque, ces sous-marins avaient serré sur Pearl Harbor, de manière à guetter les bâtiments américains qui réussiraient à s'échapper du port. Peu après avoir franchi le filet de barrage, le Saint-Louis fut attaqué par un de ces sous-marins dont il réussit à éviter les torpilles de justesse par une manoeuvre que les hauts fonds avoisinant la route rendaient très difficile.
TROISIEME PHASE.
À huit heures quarante, la bataille reprit et connut une nouvelle intensité avec l'apparition de nombreux bombardiers en haute altitude, en groupes compacts. Les Japonais revenaient achever l'oeuvre de destruction.
Il est impossible de rétablir leurs mouvements au cours de cette phase. La fumée des incendies dissimulait de plus en plus les bâtiments aux vues des pilotes. Les Japonais tournèrent et retournèrent au-dessus de la rade de manière à pouvoir viser correctement malgré les projectiles qui éclataient partout. Si le tir des cuirassés avait faibli, celui des torpilleurs et des croiseurs intacts était extrêmement dense. Néanmoins, les Japonais s'acharnèrent encore sur le groupe des cuirassés et sur les bâtiments de l'arsenal.
Le cuirassé Nevada avait réussi à appareiller et faisait route vers la passe afin de gagner le large où il pouvait espérer déjouer les attaques par la manoeuvre. Les Japonais comprirent alors qu'une belle occasion s'offrait à eux de tenter l'embouteillage de la flotte américaine, et plusieurs avions attaquèrent le a Nevada ». Durement touché, le bâtiment commença à s'enfoncer et le commandant, craignant de couler dans le goulet, renonça à sa tentative de sortie et habilement réussit à s'échouer auprès de l'arsenal en laissant le chenal libre.
Un ordre du commandant en chef parvenait d'ailleurs au Nevada, lui enjoignant de ne pas sortir. L'Oglala avait signalé à l'amiral la présence de mines.
Les bombes de gros calibre quand elles tombent à l'eau produisent des gerbes très élevées. Par contre les torpilles et les mines font une gerbe très faible. En effet elles ne doivent pas être lancées de trop haut , à cause de leur mécanisme compliqué, qu'une chute d'un point élevé pourrait dérégler. Quand on vit sur l'Oglala tomber les torpilles, on ne put discerner s'il s'agissait de mines ou de torpilles.
En fait, les Japonais ne mouillèrent aucune mine au cours de la bataille.
Vers neuf heures quarante-cinq, le dernier avion japonais disparaissait dans les nuages. La bataille - on pourrait presque dire le massacre - était terminé.
LE SORT DES BÂTIMENTS.
La plupart des avions américains gisaient désemparés. Quelques torpilleurs, croiseurs et bâtiments auxiliaires étaient coulés ou avariés mais surtout les cuirassés étaient tous hors de combat.
La flotte, en effet, avait terriblement souffert. Nous allons examiner le sort des bâtiments touchés.
Dès les premières minutes de l'action, le cuirassé California battant pavillon du vice-amiral Pye était atteint par deux torpilles. Le récit d'un témoin donne une idée de la soudaineté et de la rapidité des événements.
J'étais assis dans ma cabine, déclare le capitaine de vaisseau Train, chef d'état-major de l'amiral Pye, un peu avant huit heures, quand on sonna l'alerte ; ma première pensée fut que l'alerte était donnée par erreur. Je mis ma veste, ma casquette, me précipitai sur le pont et me dirigeai vers la passerelle.
À peine avais-je fait quelques pas que je sentis le choc de quelque chose frappant le navire et je vis un avion volant bas, passant comme un éclair au-dessus du navire de bâbord à tribord,Le cuirassé torpillé prit aussitôt une bande de 10 degrés et commença à s'enfoncer. Le mazout se répandit dans le bâtiment, envahi par les flammes et la fumée. Les dynamos stoppèrent, ce qui provoqua l'arrêt des monte-charges d'artillerie. On dut approvisionner à bras les pièces antiaériennes qui avaient très rapidement ouvert le feu et continuaient à tirer. Mais la situation devenait critique. Selon les témoins, le navire ressemblait à un pétrolier en flammes.
Il fallut ordonner l'évacuation du bâtiment qui s'effectua au travers de nappes de mazout brûlant. Des hommes atteints par les flammes et la fumée se jetèrent à la mer de la hune et gagnèrent Ford Island en faisant sous l'eau une grande partie du parcours.
Une accalmie dans l'incendie se produisit. L'équipage revint à bord, ramenant du matériel de secours obtenu à Ford Island, et peu à peu on put maîtriser l'incendie. Mais malgré la mise en action de tous les moyens d'épuisement disponibles, l'eau s'infiltrait dans les compartiments encore vides et le bâtiment coulait. Il s'enfonça doucement et vint se poser sur le fond, la coque disparue et les superstructures émergeant seules au-dessus de l'eau.
Le sort de l' Oklahoma fut encore plus dramatique que celui du California. Touché par quatre torpilles, arrivant à intervalles rapprochés, le bâtiment, éventré, prit rapidement une forte bande sur bâbord. Dès son arrivée sur le pont, le commandant se rendit compte que le cuirassé allait chavirer et qu'il n'y avait aucun espoir de le redresser en noyant les compartiments de tribord. Déjà la bande atteignait 45 degrés et continuait de s'accroître. L'évacuation fut ordonnée.
On vit l'équipage grimper le long du pont pour se réfugier sur la coque à tribord ; continuant à s'incliner, l' Oklahoma vint, après une rotation de 140 degrés, reposer sur le fond, les mâts piqués dans la vase, la quille partiellement émergée et l'hélice tribord complètement sortie de l'eau.
Dans ce bâtiment sans lumière, où l'eau s'engouffrait à torrents et où tout se renversait, le sauvetage donna lieu à d'admirables actes de dévouement. Citons-en deux, entre autres :
Le salon de l'aumônier possédait un hublot par lequel on pouvait sortir du cuirassé. L'aumônier, prêt à sortir, entend des hommes qui, dans un corridor voisin, cherchent leur chemin. Il les appelle, les guide, les aide à sortir. Le bâtiment penche rapidement, le hublot se rapproche de l'eau. Le dernier homme parti, l'aumônier pense le suivre, mais il est trop tard ; repoussé par le flot, il disparaît avec le navire.
Voici le deuxième :
L'armement d'une tourelle de l'Oklahoma n'a pu partir à temps. L'eau envahit la tourelle; les hommes se réfugient au point le plus élevé dans un espace étroit où la pression de l'air qui ne peut s'échapper empêche l'eau de parvenir.
Ils sont là dans l'obscurité, agrippés aux
tuyautages, aux manomètres, aux appareils de la tourelle, la tête et le buste
dans l'air que la pression d'eau montante comprime de plus en plus, réduisant
l'espace libre.
Alors l'enseigne Flaherty, chef de tourelle, aidé du matelot Seaman, allume une
lampe à accumulateurs que l'eau n'a pas encore atteinte. Ensemble ils dirigent
le faisceau lumineux au ras de l'eau sur le point de la coque placé au-dessus
de la porte. Le chemin de salut est ainsi tracé sur l'eau noire que perce à
peine la faible lueur du pinceau de lumière; les hommes plongent, trouvent la
porte, sortent un par un... tous sauf Flaherty et Seaman qui, restés les
derniers, sont ensevelis dans la tourelle.
Il fallut, les jours suivants, découper les tôles de la partie émergée du navire, pour essayer de faire sortir quelques survivants. On put ainsi sauver une quarantaine d'hommes, mais quatre cents autres restèrent enfermés dans cette coque chavirée. Plus tard on apprit par des inscriptions tracées à la craie sur les cloisons, que certains hommes avaient pu survivre jusqu'à Noël, à l'intérieur du bâtiment.
Le Maryland, voisin de l'Oklahoma, était protégé par ce dernier contre les attaques à la torpille, mais il fut atteint par deux bombes sur l'avant; le cuirassé piqua du nez et vint reposer doucement par l'étrave sur la vase du port, continuant à combattre avec toutes les pièces du milieu et de l'arrière.
Le West-Virginia – appelé familièrement Weevie par son équipage - fut le cuirassé qui reçut le poids le plus élevé d'explosifs ennemis. Il était placé au centre du groupe des cuirassés, c'est-à-dire au point le plus exposé de tout le champ de bataille. Il fut touché par six torpilles et plusieurs bombes. Comme sur le California, le feu et la fumée envahirent les compartiments, et il fallut évacuer le cuirassé qui, faisant eau de toutes parts, coula et vint reposer sur fond, le pont supérieur au ras de l'eau. Plus tard l'équipage put revenir à bord et maîtriser l'incendie des superstructures. Parmi les nombreuses victimes se trouvait le commandant, frappé sur le pont par un shrapnell provenant d'une bombe lancée sur le Tennessee.
Le Tennessee, protégé des torpilles par le West Virginia, fut atteint par deux bombes qui tombèrent sur les tourelles avant ; les avaries du navire étaient relativement faibles, mais pendant que le West Virginia coulait, le Tennessee fut drossé sur la terre et l'étrave vint s'appuyer contre un quai. Cette circonstance eut un effet inattendu et heureux. En faisant en avant contre le quai, le commandant put écarter par l'eau que renvoyaient les hélices le mazout en feu provenant de l'Arizona et préserva ainsi le Tennessee des flammes. Pendant 24 heures le Tennessee dut ainsi faire tourner ses hélices.
Le sort de l'Arizona n devait être le plus tragique de toute la flotte. Atteint par une torpille qui passa sous le Vestal, navire à faible tirant d'eau, il reçut presque aussitôt une première bombe sur la plage avant et une deuxième sur une tourelle. Déjà le cuirassé commençait à piquer du nez quand se produisit la catastrophe, moins de cinq minutes après le début de l'attaque japonaise. Une troisième bombe, lancée par un avion attaquant en piqué, pénétra par la cheminée et explosa dans la chaufferie avant. Le feu s'étendit aux soutes à munitions voisines. De formidables explosions retentirent ; les chaudières et les tourelles étaient projetées en l'air et des flammes élevées enveloppaient le bâtiment.
Une quarantaine d'officiers et plus d'un millier d'hommes périrent dans la catastrophe. L'amiral Kidd, commandant la 1re Division cuirassée et le commandant de l'Arizona, étaient parmi les victimes. On se rappela avoir vu l'amiral, déjà entouré par la fumée et les flammes, servant une mitrailleuse sur la passerelle à la place d'un matelot tombé.
Nous avons constaté que le Nevada avait réussi à appareiller au cours de la bataille mais que, durement touché, il avait dû s'échouer auprès de l'arsenal. Quand il défila à Battleship Row, l'équipage de l'Oklahoma grimpé. sur la coque émergée, poussa des hourrahs en l'honneur du camarade plus heureux qui paraissait sauvé.
Comme dans toute la flotte, les actes d'héroïsme furent nombreux sur le Nevada. En voici un exemple :
Le maître Etcell reçoit l'ordre d'aller vérifier qu'une soute à munitions, située auprès d'un foyer d'incendie, a bien été noyée. Ce n'est pas une affaire simple que parvenir dans les fonds de ce navire presque détruit pour atteindre une soute qui menace à chaque instant d'exploser.
Le maître part, descend les échelles enfumées où l'asphyxie le guette, traverse des compartiments où l'eau mazouteuse arrive à la poitrine. Il parvient à la soute, vérifie que l'eau de noyage atteint les munitions qui commençaient à s'échauffer et au retour, quand il apparaît sur le pont, Etcell ramène sur ses épaules un blessé évanoui trouvé dans les fonds.
Le Pensylvania, le bâtiment-amiral, fut atteint sur l'avant par une bombe qui lui fit des avaries sérieuses ; cependant il était relativement épargné et il continua à tirer avec fureur, de toutes ses pièces, jusqu'à disparition du dernier avion japonais.
L'amiral Kimmel n'était pas à bord. Quand il ne prenait pas la mer, il se tenait dans son quartier général de Pearl Harbor beaucoup mieux aménagé qu'un navire pour conduire les opérations de la flotte. De là il assista, impuissant et désespéré, à la destruction de son escadre de ligne. Tout lui échappait ; il n'avait presque aucun moyen d'action sur cette flotte qui n'était pas en mesure d'appareiller et il ne pouvait que regarder ses cuirassés combattre et succomber.
Il fut atteint et légèrement blessé à la poitrine par une balle à bout de parcours.
Les bâtiments mouillés dans la baie d'Aiea et au nord-est de l'East Loch n'avaient pas souffert de l'attaque japonaise, mais beaucoup de navires amarrés dans l'arsenal et à l'ouest de Ford Island eurent un sort aussi désastreux que celui des cuirassés.
Nous allons passer rapidement ces navires en revue.
Le torpilleur Shaw, en carénage sur un dock flottant, reçut trois bombes. Les soutes à munitions avant prirent feu. Un énorme globe de flammes s'éleva à plus de cent mètres de hauteur et éclata en une explosion dont le souffle s'étendit à plusieurs centaines de mètres. Le dock flottant avarié coula en s'inclinant; bientôt l'on ne vit plus au-dessus de l'eau que l'ensemble fumant formé par les superstructures du torpilleur et une muraille du dock.
Sur l'avant du Pensylvania les torpilleurs Downes et Cassin, écrasés par les bombes, n'étaient plus qu'un amas de ferraille que les équipages réfugiés sur les quais s'efforçaient d'éteindre.
À couple de l'Helena avarié par une torpille, le mouilleur de mines Oglala, défoncé par l'explosion de la torpille, dut être remorqué sur l'arrière de l'Helena et chavira contre un quai.
Le croiseur Honolulu, avarié par une bombe, put continuer le combat. Le Raleigh torpillé prit rapidement une bande dangereuse. On put cependant empêcher le chavirement en jetant à la mer les embarcations, les torpilles, les tubes lance-torpilles et tout le matériel amovible du pont.
Le bâtiment atelier Vestal était pour les Japonais un objectif secondaire, mais il avait la mauvaise fortune d'être amarré à côté de l'Arizona. Si les torpilles destinées au cuirassé passèrent sous le Vestal, les bombes atteignirent le navire ; faisant eau, menacé par l'incendie de l'Arizona, le Vestal put être remorqué et on l'échoua délibérément près de Ford Island.
Le Curtiss, bâtiment atelier d'aviation, reçut aussi plusieurs bombes, et un avion japonais vint s'écraser sur son pont. Cependant le Curtiss put rester à flot.
L'Utah, bâtiment cible, atteint par deux torpilles, chavira en un temps record, vers huit heures; les moyens de sécurité à bord étaient réduits. Un bâtiment but, n'étant destiné à recevoir que des projectiles inertes, et les Japonais qui le prenaient pour le Saratoga durent être stupéfaits de la rapidité du chavirement.
En résumé, les pertes américaines étaient les suivantes : tous les cuirassés se trouvaient hors de combat : l'Arizona détruit, l' Oklahoma chaviré la quille en l'air, le California, le Nevada et le West Virginia reposaient sur le fond. Les trois autres, moins abîmés, demeuraient indisponibles.
Trois croiseurs avariés : Helena, Honolulu, Raleigh. Trois torpilleurs gravement atteints : Cassin, Downes, Shaw. Le mouilleur de mines Oglala et le cuirassé cible Utah chavirés.
Deux navires ateliers avariés Curtiss et Vestal.
Sur les 202 avions de la marine qui se trouvaient à Oahu (en comprenant les 18 avions arrivés de l'Enterprise), cinquante-deux seulement étaient indemnes.
La Marine avait 2.117 officiers et hommes tués, 960 manquants et 876 blessés qui survécurent.
L'Armée avait perdu les trois quarts des 273 avions basés dans l'île d'Oahu, 226 tués et 396 blessés.
Les installations à terre des centres d'aviation étaient gravement endommagées.
Un petit nombre de maisons avaient été atteintes, mais beaucoup de civils avaient été tués par des bombes et des projectiles perclus.
Du côté japonais, une soixantaine d'avions avaient été descendus et les cinq sous-marins de poche qui prirent part aux opérations furent' coulés : trois par les Américains et deux perdus sans qu'on puisse connaître les circonstances de leur fin.
Tels étaient les résultats d'une bataille qui fut un des plus violents et des plus rapides engagements de l'histoire maritime, et le plus grand désastre militaire que les États-Unis aient subi.
L'escadre cuirassée américaine fut presque entièrement mise hors de combat au cours de la première phase de l'engagement en une vingtaine .de minutes ; il n'y a pas d'autre exemple d'une force aussi puissante aussi rapidement annihilée.
La victoire des Japonais était surtout due à la surprise, surprise qui non seulement empêcha les Américains d'employer efficacement leurs moyens de combat, aviation et artillerie antiaérienne, mais aussi leurs moyens de défense passive. À bord des bâtiments les services de sécurité n'eurent pas le temps de prendre à l'avance les dispositions qui permettent de limiter les dommages. On vit, par la suite, et on avait vu antérieurement, des bâtiments de ligne aussi sévèrement' touchés que le furent l'Oklahoma et le California rester à flot parce que les moyens de combattre les voies d'eau et l'incendie purent entrer en action sans délai. Quelle qu'ait été la rapidité des Américains pour rallier leurs postes de combat, ils avaient perdu les premières minutes souvent décisives dans les batailles aéronavales.
Si du côté japonais la surprise fut le facteur essentiel du succès, il faut reconnaître que l'entreprise bien conçue et minutieusement préparée fut conduite avec une décision et une audace admirables.
Les Américains rendirent sportivement hommage au sang-froid, à l'adresse et aussi à l'esprit d'initiative des aviateurs japonais, esprit d'initiative qui se manifesta notamment de façon remarquable lorsque plusieurs avions se détachèrent de leurs groupes pour attaquer le « Nevada n en manoeuvre. Aujourd'hui encore, les Américains admettent qu'ils n'ont jamais rencontré, au cours de la guerre, d'aviateurs japonais supérieurs à ceux qui combattirent à Pearl Harbor.
Les Japonais furent servis aussi par la chance. Il eût suffi d'un grain de sable pour que le mécanisme si bien monté de cette opération difficile fût détraqué ; par exemple la rencontre par l'escadre Yamamoto d'un avion ou d'un bâtiment américain en patrouille. Nous avons vu plus haut quel concours de circonstances extraordinaires empêcha les Américains d'être alertés à l'avance.
Au cours de la bataille, des deux côtés, l'acharnement et le courage furent égaux.
Dans l'adversité, l'Amérique put du moins admirer l'héroïsme et l'énergie de ses équipages. C'était là non seulement une atténuation à l'amertume de la défaite mais aussi la promesse et la certitude des victoires futures.
CHAPITRE V
SUITES ET CONSÉQUENCES DE LA BATAILLE
L'escadre japonaise victorieuse s'évanouit comme elle était venue, sans que les Américains aient réussi à repérer ses mouvements.
Leur commandement naval fut induit en erreur par des renseignements inexacts ou incomplets. Il savait que la présence de forces japonaises importantes avait été signalée fin novembre dans les îles Marshall. Par ailleurs nous avons vu que des avions de l'Enterprise étaient arrivés à Pearl Harbor au cours de la bataille. Un des pilotes suivit un groupe japonais qui se retirait sur Barbers Point et qui de là fit route au large vers l'ouest. Les Japonais avaient sans doute des instructions pour ne pas rallier directement leur escadre.
Le pilote américain rentra à sa base pour préciser verbalement les indications qu'il avait obtenues. Un autre renseignement parvint au quartier général du Pacifique signalant la présence d'un porte-avion japonais dans le sud-ouest d'Oahu. Cette nouvelle était complètement fausse.
Les radars avaient bien suivi des avions japonais en repli vers le nord, mais le fait ne fut porté à la connaissance de l'amiral Kimmel que le 9 décembre. Ce retard n'est pas surprenant : les services étaient désorganisés, on était un peu groggy dans l'île.
L'ensemble des renseignements que possédait le commandant en chef lui donna l'impression que les Japonais se retiraient vers les Marshall. De Pearl, une quarantaine de bombardiers américains, échappés au désastre ou rapidement réparés, entreprirent une exploration vers l'ouest.
Par ailleurs, l'amiral Kimmel adressa au Lexington le signal suivant : Interceptez et détruisez l'ennemi ; nous croyons qu'il se retire sur la ligne Pearl-Jaluit ; Interceptez et détruisez. L'amiral Newton qui commandait le groupe Lexington déploya donc ses navires et ses avions sur un axe orienté sud-ouest.
En outre, dès réception du signal Raid d'avions sur Pearl Harbor l'amiral Halsey, à bord de l'Enterprise avait envoyé en exploration un groupe d'avions dans l'ouest de Pearl Harbor.
Au retour de ce groupe, qui n'avait rien découvert, il détacha dans l'après-midi une force composée d'avions torpilleurs et d'avions de chasse qui poursuivirent très tard leurs recherches et revinrent, sans avoir rien trouvé, atterrir de nuit sur le porte-avions; le surlendemain, les équipages de l'amiral Halsey rentraient au mouillage de Pearl où les attendait le plus désolant spectacle qui pût s'offrir à eux, celui de l'escadre cuirassée qu'ils avaient laissée quelques jours auparavant dans tout l'éclat de sa force et' qu'ils retrouvaient presque réduite à l'état d'épave. Certains témoins nous ont laissé leurs impressions : L'escadre du Pacifique était sur les genoux... à terre des hommes exténués nous regardaient d'un air morne, certains nous criaient avec dérision où étiez-vous pendant la bataille ? ... à Ford Island, l'odeur était violente ; mélangée à l'odeur des lambeaux de matériel fumant, on sentait celle des chairs grillées et du mazout en feu... toute la rade était recouverte d'un manteau de fumée.
Le groupe Lexington arrêta à son tour ses recherches infructueuses. Peut-être est-il préférable pour les Américains que l'escadre de l'amiral Yamamoto n'ait pas été découverte. La balance des forces était telle à ce moment qu'une nouvelle rencontre eût vraisemblablement entraîné un nouvel échec pour les forces américaines démunies de cuirassés et qui n'auraient pu se concentrer avant d'aller au combat.
Alors que les sous-marins japonais surveillaient étroitement les îles Hawaï, aucun sous-marin américain ne se trouvait dans les eaux japonaises. Pour éviter tout incident avant guerre qui eût pu être interprété comme un acte d'hostilité, l'amiral Kimmel, conformément aux instructions de Washington, les avait gardés à proximité des îles américaines. Les sous-marins placés en surveillance devant Wake et Midway étaient. en position d'intercepter les forces japonaises, mais il eût fallu connaître exactement la. route de retour de l'escadre japonaise dont les Américains avaient perdu toute trace.
En réalité, l'amiral Yanamoto s'était immédiatement retiré par le nord. Il ne s'attarda pas à la mer pour attendre et repêcher éventuellement ses avions avariés, et rentra au Japon en faisant un large détour. Il ne jugea pas nécessaire d'observer le silence de T. S. F. qu'il avait maintenu en allant vers Pearl Harbor et il répandit la nouvelle du triomphe ; il lui fallait d'ailleurs prévenir les autres forces japonaises de sa victoire qui leur assurait une grande sécurité.
Les signaux de T. S. F. de l'amiral japonais ne furent pas radiogoniométrés par les Américains (on sait qu'on peut repérer la position d'un navire parles relèvements de ses émissions de T. S. F. lorsque ces relèvements sont pris à terre par deux ou trois postes).
C'est beaucoup plus tard, par des prisonniers, que les Américains connurent les routes suivies à l'aller et au retour par les japonais.
L'amiral Yamamoto détacha une partie de ses forces : deux porte-avions, deux croiseurs et deux torpilleurs pour renforcer les éléments japonais qui devaient entreprendre l'attaque de l'île de Wake et le 22 décembre l'escadre mouillait au Japon, dans le port de Kuré, où, au milieu de la joie générale des populations nippones, elle reçut les chaudes félicitations des autorités et notamment du Mikado que le succès rendait enthousiaste et belliqueux.
L'amiral Yamamoto reçut des honneurs particuliers et si l'on fait abstraction de la part de traîtrise qui avait joué dans sa victoire, il faut bien reconnaître qu'il avait mérité ces honneurs par sa magistrale conduite de l'opération.
Il ne devait pas assister à la défaite finale de son pays. Au cours de l'année 1943, les Japonais annoncèrent que Yamamoto avait été tué au cours d'un combat aérien mais beaucoup de personnes, bien au courant des affaires japonaises, croient que l'amiral na pas été tué mais que, à la suite des défaites de Midway et de Guadalcanal, il se serait suicidé, désespéré devant l'effondrement de ses rêves.
Au retour de l'escadre les Japonais claironnèrent la victoire dans le monde entier et en particulier en Extrême-Orient où elle eut un énorme retentissement.
Chose curieuse, ils sous-estimèrent les dommages causés à l'escadre cuirassée américaine mais surévaluèrent largement les pertes des avions ennemis. Ils déclarèrent en avoir détruit 450.
La bataille de Pearl Harbor fut suivie presque immédiatement, le 10 décembre, par le coup de foudre de Kuantan. Les deux bâtiments de ligne britannique, le Prince of Wales et le Repulse, en opération sous la protection d'éléments aériens, furent coulés par les avions nippons au cours d'une action, loyale cette fois, et parfaitement menée.
Aux deux extrémités de l'immense champ de bataille du Pacifique, le Japon ouvrait la guerre par des victoires foudroyantes. L'anéantissement des forces cuirassées alliées allait lui permettre de poursuivre ses conquêtes territoriales.
Le 12 décembre, Guam était occupé.
Le 24, l'île de Wake était prise après avoir opposé aux nippons une héroïque résistance.
Gardé sur son flanc gauche par la possession de ces points de première importance stratégique, le Japon allait s'emparer d'un empire.
Ce furent alors la conquête de la Malaisie, des Indes Néerlandaises, des Philippines, l'invasion de la Nouvelle Guinée, la menace sur l'Australie. Quelques poignées de marins, de soldats et d'aviateurs américains et alliés, presque sans aide, essayèrent vainement de s'opposer aux avances japonaises effectuées avec une supériorité numérique écrasante. Les Etats-Unis connurent alors les jours les plus sombres de leur histoire depuis la guerre de Sécession.
Certes, avant de subir le désastre de Pearl Harbor, la flotte américaine du Pacifique n'était pas en état de battre la flotte japonaise aux Philippines, mais elle aurait pu ralentir l'avance des Japonais et en limiter les effets en menaçant leur flanc, alors qu'après Pearl Harbor les Japonais disposèrent pour leurs convois de troupes d'une maîtrise à peu près incontestée.
À cette époque les peuples d'Extrême-Orient purent croire que l'on assistait à une réédition de la guerre russo-japonaise.
La nouvelle du désastre provoqua aux États-Unis une explosion de fureur. Les pertes en hommes et en matériel affectaient le pays ; mais surtout ce qui soulevait la colère, c'étaient les circonstances d'une attaque effectuée sans déclaration de guerre alors qu'un ambassadeur spécial japonais était venu à Washington poursuivre des négociations en vue de rechercher un terrain d'entente. L'Amérique n'acceptait pas cette duplicité. Le cri Remember Pearl Harbor, Souvenez-vous de Pearl Harbor fut le cri de ralliement de toutes les énergies.
La vue des hommes brûlés de manière à les rendre méconnaissables, dit M. Knox après sa visite à Pearl Harbor me mit dans une colère telle que je n'en avais jamais éprouvée de semblable. Je réalisais que nous avions une lourde tâche devant nous et que nous devions l'accomplir jusqu'au bout.
Toute l'Amérique pensait comme le secrétaire d'Etat à la Marine. Si avant le désastre il y avait encore des hésitants, des isolationnistes; si une partie du pays ne discernait pas bien les ennemis éventuels, le lendemain du drame tout parut clair.
Le Japon et ses alliés de l'Axe furent enveloppés dans la même haine méprisante. Les Etats-Unis résolurent de conduire la guerre jusqu'à la victoire complète. Il fallait aller jusqu'au bout du « job ». La volonté d'exiger la reddition sans condition était née des événements de Pearl Harbor.
La réparation de la flotte avariée fut conduite avec la plus grande énergie et une habileté qui fait le plus grand honneur aux ingénieurs américains. En moins d'un mois, trois cuirassés restés à flot purent reprendre la mer.
Les trois croiseurs avariés purent avant la fin de janvier 1942 appareiller pour les États-Unis où s'achevèrent les réparations.
Le torpilleur Shaw reçut un faux avant qui lui permit de rallier un arsenal du continent où la partie détruite fut complètement reconstruite.
Tout ce qui put être récupéré sur les torpilleurs Cassin et Downes, pièces de machines, canons, tôles, tuyautages, le fut et servit à la construction de deux torpilleurs semblables.
A l'exception de l'Arizona, tous les cuirassés échoués furent renfloués. Un travail particulièrement réussi fut le relèvement de l'Oklahoma qui avait chaviré de 140 degrés. Des batardeaux furent construits pour aveugler les brèches et les compartiments rendus étanches furent épuisés. Des treuils puissants installés sur Ford Island permirent au moyen d'aussières de faire virer peu à peu l'immense masse de 29.000 tonnes. On fit le retournement degré par degré, au cours d'opérations qui durèrent des mois et furent couronnées d'un plein succès.
L'Arizona ne pouvait être renfloué mais on put récupérer les tourelles, les pièces d'artillerie secondaire de l'arrière et une partie des munitions.
L'Oglala et l'Utah, furent aussi redressés au cours d'opérations aussi heureuses que celles de l'Oklahoma.
Au cours des réparations, tous les bâtiments reçurent les améliorations dont la guerre montrait la nécessité. Par exemple pour les cuirassés, renforcement des ponts horizontaux et accroissement de l'artillerie anti-aérienne. La valeur militaire de tous les bâtiments réparés fut fortement accrue.
On assista donc à une résurrection de cette flotte, résurrection qui est une des plus belles réussites de l'art des constructions navales.
En même temps, le réarmement américain prit des proportions gigantesques. En juin 1940, la flotte américaine recevait 25 avions; en juin 1943, elle en recevait 2.000. En août 1945, la flotte américaine comprenait les bâti lents suivants :
23 cuirassés; 20 grands porte-avions; 8 petits porte-avions; 70 porte-avions d'escorte; 2 grands croiseurs de bataille; 23 croiseurs lourds; 48 croiseurs légers ; 2i3 torpilleurs ; 365 torpilleurs d'escorte ; 240 sous-marins.
Malgré les pertes subies, elle était devenue gigantesque. A la même époque, en dépit des constructions neuves, la flotte nippone était très inférieure à ce qu'elle était au début de la guerre. Les Japonais avaient sous-estimé les possibilités de l'industrie américaine de façon grossière. La bombe atomique a précipité la défaite du Japon, ruais même sans elle, il eût été écrasé sous la masse américaine. Ainsi se vérifiait ]a parole de M. Knox en 1941 : Nous avons toujours commencé les guerres sans être prêts et nous les avons toujours gagnées; il en sera de même cette fois-ci.
Le coup de Pearl Harbor fut en définitive un coup raté. La réserve de puissance des États-Unis était trop grande pour que leur sort ait été réglé par une seule bataille. Et aujourd'hui les procédés employés par les Japonais peuvent légitimer toutes les sévérités et toutes les représailles.
De nombreuses enquêtes eurent lieu aux États-Unis pour établir les causes du désastre. Naturellement des limogeages s'ensuivirent. À la guerre tout le monde commet des fautes; le succès les dissimule souvent mais la défaite les révèle et il sera toujours possible d'accuser d'impéritie un chef vaincu surtout quand l'ampleur du désastre conduit l'opinion publique à réclamer des sanctions.
Après l'événement, il a paru facile de discerner les raisons qui devaient révéler à l'avance les intentions des Japonais : il leur fallait rechercher des résultats décisifs ; ces résultats, ils ne pouvaient les obtenir qu'en attaquant la flotte dès le début; leur axe d'arrivée sur Pearl Harbor par la route Nord, la plus discrète, était évident.... Et il ne fallait pas s'offrir à leurs coups en gardant les cuirassés groupés; il ne fallait pas rester à Pearl Harbor, etc.
Cependant beaucoup d'officiers généraux américains sincères avec eux-mêmes, durent se féliciter de n'avoir pas été à la place du général Short et de l'amiral Kimmel le 7 décembre 1941.
Il ne nous appartient pas de distribuer l'éloge et le blâme personnels mais plutôt de rechercher les causes générales.
Nous avons vu à Pearl Harbor un amiral de très haute valeur, commandant une flotte puissante et parfaitement entraînée, s'endormir dans une quiétude trompeuse, confiant dans les moyens de défense du port, dans l'éloignement de l'adversaire et dans les renseignements qui indiquaient une marche de cet adversaire vers le sud. Cette quiétude excessive, l'amiral Kimmel n'était pas seul à la connaître et, comme l'ont montré les témoignages et les documents, beaucoup de grands chefs américains la partageaient. C'est certainement par un excès de confiance généralisé qu'ont péché les Américains.
Du côté japonais, nous avons vu des hommes hardis décider une entreprise qu'on pouvait juger téméraire, la préparer avec une extrême minutie et l'envelopper du plus grand secret. Nous les avons vus aussi s'exposer pour réussir à violer les conventions internationales et, en fait, les violer.
Les Japonais diront certainement qu'ils n'ont pas voulu violer ces conventions, que l'horaire des événements était prévu de manière à faire précéder leur attaque par une déclaration de guerre régulière. Mais cet horaire était tellement juste qu'un contretemps quelconque pouvait inverser l'ordre des événements, ce qui se produisit. Il est vraisemblable que cette éventualité fut envisagée mais qu'elle ne dut pas beaucoup troubler à l'avance les chefs militaires japonais.
Cependant ces hommes sont, au Japon, les dépositaires du Bushido, le code de l'honneur légué par les nobles ancêtres samouraïs. Et il est dit dans un rescrit impérial du Mikado MutsuHito, un des plus grands empereurs japonais, que après le patriotisme, le principal devoir est la loyauté, le guerrier doit attribuer une haute valeur à la bonne foi et à la droiture, La bonne foi est le respect de la parole donnée, la droiture est l'accomplissement du devoir.
Ce rescrit est le credo du soldat japonais. Comment des officiers japonais ont-ils pu manquer à la parole donnée ?
C'est que, en guerre, la convention internationale sera toujours discutée comme elle l'a toujours été. Pour des hommes qui ont en main le sort de leur pays, réussir sera souvent la loi suprême et exclusive. Au Japon, le rescrit impérial place la loyauté après le patriotisme.
De nombreux théoriciens ont, au cours des siècles, soutenu que le salut du pays doit passer avant toute autre considération. Une nation qui observerait un traité international contraire à son intérêt commettrait contre elle-même le crime de haute trahison. (Dr. Von Camp).
Nous ne faisons certainement pas nôtre une pareille thèse, mais il ne sert à rien de fermer les yeux à l'évidence. Les Japonais, s'ils sont coutumiers du fait, n'ont pas le monopole de la violation des conventions internationales et il est facile de leur trouver des prédécesseurs en Europe.
On peut se demander si l'accroissement de puissance que l'homme acquiert chaque jour, dans une mesure qui confond l'imagination, facilitera les desseins d'un agresseur ou au contraire permettra de les déjouer. Au point où nous en sommes aujourd'hui, il est à craindre que les moyens nouveaux dont l'homme dispose ne favorisent l'agresseur, en augmentant la force des premiers coups portés.
Il est aussi probable qu'ils permettront d'agir avec une dissimulation plus grande. Une bombe atomique portée par un avion, c'est infiniment plus sûr et plus discret que ne l'étaient les navires et les nombreux avions de l'amiral Yamamoto.
L'escadre de l'amiral Yamamoto comprenait une trentaine de navires et plusieurs milliers d'hommes ; il avait fallu une préparation minutieuse ; l'escadre resta une douzaine de jours à la mer entre ]e moment où elle quitta le Japon et son arrivée au large de Pearl Harbor.
Cependant, si l'on excepte l'avertissement donné par l'ambassadeur Grew en janvier 1941, personne aux États-Unis n'eut de soupçon sur la préparation de l'entreprise. Combien eût été facilitée la tâche des chefs japonais si, animés du même esprit, ils eussent disposés des moyens actuels ?
Tout pouvait être préparé dans le plus grand secret et exécuté par un petit nombre d'hommes résolus échappant même au contrôle de l'État. Nous verrons peut-être à l'avenir une nation mortellement frappée non seulement sans être prévenue mais même en ignorant quel est l'agresseur, si celui-ci a su dissimuler l'attentat par une diplomatie d'apparence amicale.
En présence de telles perspectives, souhaitons que l'humanité recherche sa sécurité dans la voie de la conciliation, mais l'expérience du vingtième siècle ne nous rend pas optimiste.