Louis Gablin. Souvenirs de la prison de Saint-Lô.

Extraits.

En hommage à la mémoire des camarades de la prison de Saint-Lô, tombés le 7 juin 44, victimes de la férocité allemande. Saint-Lô le 15.1.45

Préface :

  Vous avez vécu, vous et tous vos compagnons, des heures d'épouvante et d'espoir. Certains, les plus nombreux, sont morts dans cette nuit tragique du 6 au 7 juin 44, morts dans d'effroyables conditions physiques et morales. Que leur souvenir demeure impérissable dans nos cœurs ! Mais il faut que vous, les survivants, vous répétiez inlassablement aux générations oublieuses ce que fut l'odieuse occupation, ce que furent les crimes allemands. Car oublier c'est pardonner et pardonner de tels crimes c'est êtres faible. Ed Lebas, préfet de la Manche.

 ... Toutes les classes sociales sont présentes ; des ouvriers, des médecins, un colonel, un notaire, des pharmaciens, un curé, un gendarme, des instituteurs, des commerçants, des fonctionnaires ... un abrégé de la société mais ici nous sommes bien entre français.

... Des avions alliés traversent sans cesse le ciel dans un puissant vrombissement et nous nous ingénions à deviner leur trajectoire. L'alerte a été donnée hier soir à minuit par les sirènes de la ville. Elle dure encore cette alerte, elle durera toujours.

... Vers 10 h 30, Saint-Lô a subi un premier bombardement. À 16 h 30, nouvelles chutes de bombes. Il nous semble bien que ce soit du côté de la gare. Environ vers 8 h du soir, nous entendons vers le nord le ronflement puissant de lourds quadrimoteurs.

... Tout à coup, un bruit formidable emplit l'air, la prison vacille, le plancher de notre cellule se couvre de matériaux entrés par la fenêtre ou tombés du plafond. Les murs sont lézardés.

...  Cette fois, la chose semble sérieuse. Il est temps d'agir. Le docteur et mois, nous appelons les gardiens de toutes nos forces. Nous donnons de nombreux coups de pied dans la porte. peine perdue, les gardiens semblent avoir déserté la prison.

... Vers 9 h, un pas ferré s'approche de la cellule. Le volet s'ouvre et un oeil scrute l'intérieur de notre réduit. Le docteur demande en allemand que la porte soit ouverte pour nous permettre au moins d'évacuer les matériaux qui encombrent le parquet. Refus du gardien. Il demande si nous sommes blessés. Sur la réponse négative du docteur, il s'éloigne. Nous sommes indignés mais impuissants. Dans la soirée, un gardien viendra nous dire de préparer nos paquets pour partir. Puis nous n'entendrons plus rien, sinon le bruit que quelqu'un fait en vérifiant la position des verrous de notre porte.

... Il est peut-être 11 heures du soir. Des bruits de voix  s'élèvent dans le couloir ; ce sont encore des prisonniers qu'on libèrent. Quant à nous, nous sommes fixés maintenant, nous resterons enfermés quoi qu'il arrive. Nos sentiments sont très divers. Évidemment, nous regrettons de n'avoir pas été emmenés avec les otages, mais que sont-ils devenus ? Quel serait notre sort si nous étions avec eux ? ont-ils été fusillés ou transférés dans une autre prison ? Pourquoi nous garde t-on strictement enfermés ? Non seulement, nous avons été privés de la sortie journalière, mais encore nous n'avons pu obtenir que notre porte fut entrebaillée pour rejeter au dehors les matériaux qui couvrent le plancher. C'est étrange. Nous finissons par croire que les boches tiennent absolument à nous avoir sous la main, en cas de besoin.

... Une heure du matin. De lourds bombardiers semblent se diriger vers la ville. Le bruit puissant de leurs moteurs emplit l'espace. Tout à coup, de formidables explosions secouent la ville de toutes parts. Le sol semble, à la même seconde, vouloir s'effondrer dans les abîmes et s'élancer vers le ciel. La prison, cette lourde forteresse, roule et tangue comme un bateau ivre. Soudain, un vacarme épouvantable : le mur du sud, celui du couloir s'est incliné sur nous. Puis plus rien. Des survivants m'ont relaté ce qui suit : plusieurs bombes de fort calibre ont atteint la prison, en plein sur les chambres 10 et 11, face à notre cellule, provoquant l'effondrement du bâtiment et pulvérisant la porte de la chambre 12, d'où les prisonniers au nombre de 14, fortement commotionnés mais non blessés sont sortis immédiatement.

... Les heures ont passé, les bombardements se sont succédés. Je suis seul, dans le vaste bâtiment en ruines et toujours sans connaissances. Vers 4 h 30, le docteur est venu avec un volontaire pour s'inquiéter de moi. Il m'a appelé. Je n'ai pas répondu. J'étais absent. Mais que s'est-il passé ?

Il fait maintenant grand jour ; plus de plafond, plus de toit, le soleil dore la crête dentelée des murs où de grosses pierres se tiennent en équilibre, miraculeusement. Devant moi, un trou béant et la fameuse porte brune, toujours solide dans son encadrement à peu près intact.

Note : Il y eut une trentaine de survivants. Au mois d'Août, en déblayant la prison, seront retrouvés 42 cadavres. Ce livre est daté de Saint-Lô, le 15 janvier 1945.

À noter : 12 résistants eurent la vie sauve par un faux appel issu en réalité de la résistance.