Saint-Lô et son histoire

par André Dupont  
Secrétaire général de la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Manche.  

Né à Équeurderville en 1920, Mr Dupont est décédé le mercredi 15 mai 2002. Il fut directeur de la revue " Parlers et traditions populaires de Normandie " de 1968 à 1975. Il écrivit aussi de nombreux articles sous le pseudonyme d'André J. Desnouettes et un livre intitulé "L'épopée cotentine "...

Extrait : Images de Saint-Lô

Constitué essentiellement par un éperon de schiste primaire qui domine  de son extrémité la vallée de la Vire à l'Ouest, séparé des hauteurs  qui l'environnent au Nord et au Midi par de profondes vallées où coulent la Dollée et le Torteron, accessible seulement par l'Est, le site principal de Saint-Lô a présenté longtemps une valeur défensive qui donne à penser qu'il fut peuplé probablement fort tôt,

Toutefois, si la présence proche d'un lieu-dit Pierrefitte (en Sainte-Croix) est l'indice de l'existence d'un mégalithe aujourd'hui disparu, cet indice est bien faible pour conclure à quoi que ce soit sur ce peuplement à l'époque préhistorique. De même que, pour l'époque gauloise, la découverte de monnaies d'électrum à faible titre au gué du Rouloux-Godard en Rampan.

Et pourtant, bien que le nom ancien de la ville, Briovère, ne nous soit connu que par un document beaucoup plus récent, ce toponyme est manifestement d'origine celtique. Formé du mot briva et d'une possible variante du mot vara, il signifierait tout simplement pont sur l'eau et il attesterait la présence, alors que le langage des Gaulois était encore parlé, d'une agglomération et d'un pont unissant les deux rives.

La période gallo-romaine n'a pas laissé de traces très nombreuses : des vestiges d'habitations mis à jour au Bourg buisson, des tuiles à rebord trouvées au Poirier, à La Trapinière, au Haras, quelques ustensiles, notamment un mortier d'argile assez remarquable découvert lui aussi au Rouloux-Godard, c'est peu. Même si l'on ajoute que le nom de Semilly, aujourd'hui porté par deux communes voisines (Saint-Pierre et La Barre), indique la proximité d'un domaine gallo-romain, et qu'il est rapporté par Toustain de Billy (1643-1709) qu'on avait trouvé et trouvait encore de ce côté " des médailles très anciennes, même des premiers Empereurs ", la ville n'avait sûrement pas une grosse importance politique ou militaire, puisque aucune grande voie stratégique ne la desservait et que ni l'itinéraire d'Antonin, ni la Table de Peutiger, ni la Notitia dignitatum n'en font mention.

Dès la fin du IIIe siècle avaient commencé les invasions, violentes ou pacifiques, des Germains, Les Saxons s'enfoncèrent dans le pays, absorbant ou refoulant vers le Sud, et même vers le Nord, les précédents occupants.

Les circonstances de l'introduction du Christianisme, qui paraît relativement tardive, sont très peu connues. On ne cite d'ailleurs que quatre évêques de Coutances avant Lô.

L'épiscopat de celui-ci, qu'on voit assister aux second, troisième et cinquième conciles d'Orléans, en 533, 538 et 549, et qui s'intitule justement, lors de cette dernière assemblée, " évêque de l'Église de Coutances ou de Briovère ", paraît avoir eu, dans l'histoire religieuse du diocèse, une importance qu'on ne fait que soupçonner. Lô joua vraisemblablement un rôle considérable dans l'élimination de l'hérésie arienne. En outre, c'est à lui qu'on fait traditionnellement remonter l'origine du pouvoir temporel des évêques de Coutances sur la baronnie dont notre ville était le chef.

Placé après sa mort au rang des saints, Briovère l'honora particulièrement et posséda certainement son tombeau. De là, un pèlerinage, " ad sanctum Lod ", et le changement de nom de la cité, intervenu dès avant les invasions scandinaves.

Mais, en dehors de la vie du saint pontife, probablement d'ailleurs environnée de légendes à caractère peut-être symbolique, sur l'histoire de cette cité à l'époque mérovingienne on ne sait que fort peu de choses. Une nécropole y a existé aux abords de l'église Sainte-Croix et on devait déjà y battre monnaie, puisque l'on possède un triens rarissime, portant l'inscription BRIVVIRI.

Les Francs n'eurent sans doute sur le pays qu'un pouvoir purement nominal ou presque. Et le vieil historien Claude Fauchet prétend que " le Coutentin, du temps mesme de nos rois Mérovingiens, estoit habité par les Sesnes (autrement dit les Saxons), pirates, et semble avoir esté abandonne par les Charliens (autrement dit les Carolingiens), comme variable et trop esloigné de la correction de nos rois, aux Normands et autres escumeurs de mer, pour estre cette terre, comme une presque isle, séparée de la terre ferme ". Charlemagne, dit-on, avait fortifié Saint-Lô ; en fait, tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'ayant visité les côtes de notre province dans le cours de la dernière année du VIIIe siècle, il prit des mesures pour les mettre à l'abri du péril maritime qu'il prévoyait,

On peut donc penser que, la situation s'étant dégradée sous ses successeurs, ce fut sans beaucoup de regret qu'en août 867, Charles le Chauve donna au duc de Bretagne, Salomon, la Comitatus Constantiensis. Il ne faisait que reconnaître le fait accompli de la présence militaire des Bretons dans cette région. Ceux-ci manifestaient alors un vigoureux expansionnisme et la marche de Bretagne, créée pour les contenir, s'était trouvée démantelée peu à peu de 840 à 856. Mais il était trop tard pour faire de notre pays une colonie bretonne, car les Vikings y avaient déjà largement commencé leurs incursions.

Salomon avait cependant la poigne solide et leurs attaques, qui avaient débuté en 836, s'interrompirent jusqu'à sa mort, en 874. Les dissensions entre les Bretons les favorisèrent de nouveau. " La Bretagne et toute la Neustrie furent désolées d'une manière inénarrable... Au milieu de ces calamités qui ne firent que s'accroître, la sainte Église de Coutances fut complètement détruite ; il n'y eut plus ni clercs, ni fidèles et, pendant une série ininterrompue de soixante quatorze années, elle fut opprimée par les brigands païens, qui firent revivre les abominations de l'idolâtrie... ". Les reliques même des saints furent emportées au loin. Celles de Saint-Lô émigrèrent à Rouen, Angers et Tulle.

Les annalistes contemporains sont pourtant avares de renseignements au sujet des événements qui se déroulèrent alors dans notre région. Un seul est mentionné, mais justement, il a trait à notre ville, Fin 889 début 890, les Vikings, après avoir vainement tenté d'emporter Paris, passèrent en Cotentin et assiégèrent Saint-Lô. Ils s'en rendirent maîtres en coupant l'aqueduc qui l'approvisionnait en eau. Les habitants furent massacrés. En 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte faisait de Rollon un souverain légitime. Toutefois la Normandie n'allait être politiquement constituée que vingt-deux ans plus tard, quand son fils Guillaume Longue-Epée aurait expulsé les Bretons des marches avranchinaises. A partir de 913, les évêques de Coutances " in partibus infidelium. " résidèrent à Rouen. Une lente évolution réintégra peu à peu le Cotentin dans la communauté chrétienne, comme elle l'inséra dans la Normandie ducale, et, en 1025, l'évêque Herbert rétablit le siège épiscopal à Saint-Lô, où son successeur Robert résida également.

À Robert succéda l'illustre Geoffroy de Montbray, qui acheva la cathédrale de Coutances, commencée par son prédécesseur, et continua, à Saint-Lô, l'œuvre de restauration que celui-ci y avait entreprise. " Il augmenta le revenu (de la ville) d'une somme considérable ", nous dit Toustain de Billy, qui ajoute : " On avoit détruit le pont qui étoit sur la rivière de Vire ; il étoit d'une trop grande commodité pour le commerce du Cotentin et l'avantage de la ville de Saint-Lô, pour le laisser en cet état. Geoffroy le fit rebâtir... Ce fut encore par les ordres de cet évêque que les moulins de cette ville furent construits sur cette rivière, et (que) les écluses et perrées qui y conduisent l'eau furent faites... ". Et Gabriel Houel (1783-1863) écrit que " le premier genre d'industrie qui se fit remarquer à Saint-Lô, fut son orfèvrerie ", en effet la duchesse Mathilde, épouse du Conquérant, donna à l'abbaye de la Trinité de Caen des coupes et des chandeliers fabriqués dans notre cité,

Dès cette époque, il y a deux paroisses, mentionnées comme telles dans la charte de fondation de la cathédrale de Coutances : Saint-Lô et Notre-Dame. Car ce n'est qu'à la fin du XIIIe siècle que la première prendra le nom de Sainte Croix. C'était sans aucun doute la paroisse primitive. Il semble d'ailleurs qu'avant saint Lô, elle ait eu pour patron Saint Étienne. Elle était étroitement liée à l'abbaye, dont on attribue la fondation, sous forme d'un collège de chanoines, à Charlemagne, et que l'évêque Auger réforma en y établissant, le 2 avril 1139, des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Ce furent eux qui vraisemblablement rebâtirent ou augmentèrent l'église, qui fut peut-être alors divisée pour les usages respectifs de la paroisse et de la communauté. Le portail et les quatre travées occidentales de la nef de Sainte-Croix, avec leurs curieux chapiteaux, peuvent être datés de cette époque. La dédicace devait avoir lieu le 8 octobre 1202.

A la mort de Henri II, fils du Conquérant, une longue guerre de succession éclata entre son neveu, Étienne, comte de Mortain, qui s'était emparé de la couronne, et son gendre, Geoffroy, comte d'Anjou. Les Normands, hostiles aux Angevins, leurs ennemis héréditaires, soutinrent Etienne, et l'évêque Auger avait fait préparer Saint-Lô à la résistance. Mais elle se rendit au bout de trois jours. C'était en 1142.

La maison des Plantagenêts domina bientôt de l'Écosse aux Pyrénées, avec Henri II, un des plus grands monarques du Moyen âge. Ses démêlés avec l'archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, et leur tragique dénouement, eurent leur répercussion ici. L'opinion publique considérait Thomas comme un martyr et ce fut à lui qu'on dédia la nouvelle église que les Saint-Lois élevaient au sud-ouest du Champ de Mars actuel, et qui fut consacrée le 28 juillet 1174. Une nouvelle paroisse fut alors constituée avec des " maisons, terres et cantons ", qu'on détacha des deux autres. Richard Coeur-de-Lion succéda à Henri II et ne fut roi que dix ans. Puis ce fut Jean sans Terre, qui se montra très insuffisant face à l'offensive française. Les Normands ne furent donc pas plus royalistes que leur roi. Saint-Lô se rendit sans difficulté. Dès la fin de juin 1204, Philippe-Auguste contrôlait toute la Normandie.

À l'actif de la domination des rois de France il faut inscrire la longue période de paix dont bénéficia dès lors notre région, et qui lui apporta la prospérité, Agriculture, commerce et industrie se développèrent. Saint-Lô devint un des principaux centres textiles de France et, en 1234, on y établit une confrérie des tisserands, assortie d'une réglementation de cette corporation.

La ville se dota en outre à cette époque d'un Hôtel-Dieu. Fondé par les bourgeois et favorisé de l'appui de l'évêque Hugues de Morville, il reçut de nombreuses libéralités, dont celle de Philippe d'Agneaux, qui lui donna le bois de la Falaise en 1217, et celle de Garin, fils Raoul, qui lui aumôna une terre située près du pont de Vire, par charte datée de Jaffa, en 1220. On attribue au même Hugues de Morville la fondation de la léproserie de la Madeleine, dont la chapelle subsiste encore comme dépendance d'une exploitation rurale et rappelle par certaines parties le XIIIe siècle. Près d'elle se tint jusqu'au XVIIIe siècle, au lieudit le Férage, la grosse foire du même nom. C'est également au XIIIe siècle qu'appartiennent la nef et probablement les bas-côtés de l'église Notre-Dame.

La ville avait déjà reçu la visite de Jean sans Terre en 1202. Saint Louis y passa en 1256 et 1269. Et Philippe III lui accorda le privilège d'un atelier monétaire.

À l'orée de la Guerre de Cent Ans, Elle est en pleine prospérité. Froissart la dépeindra " durement riche et marchande " et valant " trois (fois) tant que la cité de Coustances ".

Le 12 juillet 1346, le roi d'Angleterre Édouard III débarque à Saint-Vaast-la-Hougue. Le Cotentin s'en souviendra longtemps. Le Pont-Hébert, que les Saint-Lois ont détruit, rétabli par le prince de Galles, l'armée anglaise atteint Saint-Lô qui a alors huit ou neuf mille habitants, et la pille de fond en comble, le jour de la Madeleine. Bientôt, c'est Crécy.

Pendant toute la première partie de I'interminable guerre, notre cité sera solidement tenue par les Français, mais souffrira beaucoup de l'insécurité générale. Fin 1356, un coup de main a lieu sur les faubourgs, des maisons brûlent.

Fin 1365, à la veille de l'expédition de Du Guesclin en Espagne, " plusieurs compagnies tant d'Anglois que Navarrois menées pou aller en la compagnie de Monseigneur Bertran " se logent aux faubourgs et aux environs et mettent les marchands qui vont et viennent à rançon. Mais Saint-Lô sert bientôt de base aux opérations de reconquête et on y fabrique un énorme canon pour le siège de Saint-Sauveur-le-Vicomte.

La guerre anglaise change de caractère lors de la seconde partie du conflit. Il s'agit cette fois, en Normandie, d'une conquête systématique. Le 12 mars 1418, Saint-Lô, défendue par Jehan Tesson et Guillaume Carbonnel, se rend aux officiers du duc de Gloucester.

Le traité de Troyes, en 1420, est à l'origine d'un invraisemblable imbroglio. Le roi d'Angleterre devient le gendre de Charles VI et son successeur légitime. Gendre et beau-père meurent d'ailleurs en 1422. Mais Bedford gouverne au nom de Henri VI et Charles VII, renié par ses parents, n'est plus que roi de Bourges.

La situation est incertaine et incline les populations à l'attentisme. Aussi, chez nous. une majorité de petits seigneurs se soumettent-ils, au moins apparemment. C'est le cas, autour de Saint-Lô, de Jehan de Baudre, d'Étienne de Pierrefitte, à Sainte-Croix, de Robin Clérel, à Saint-Georges. Mais il y a aussi les irréductibles. Me. Guillaume Denisecte, possesseur entre autres biens de deux hôtels, l'un dans l'Enclos, l'autre en Torteron, n'acceptera jamais de venir en l'obéissance du roi d'Angleterre ; tous ses biens seront confisqués. Colin Néel, de Saint-Georges, en 1424, Jehan Alissot, de Sainte-Croix, en 1425, Thomas Pestel, de Saint-Thomas, en 1429, seront exécutés " pour leurs démérites ".

Et puis la fortune de la guerre change de camp. Les forces françaises sont à Saint-Lô le 15 septembre 1449. C'est de là que, l'année suivante, part le connétable de Richemont pour aller donner le coup de grâce aux Anglais à Formigny.

La tristesse des temps n'avait pas empêché les paroissiens de Notre-Dame d'agrandir leur église (tour nord en 1370). En 1464, on édifiait le portail et la tour du midi.

C'était l'aube des temps modernes et le règne de Louis XI. Autoritaire, celui-ci s'aliénait la noblesse, qui se groupait dans la Ligue prétendue du Bien public. Au traité de Saint-Maur, qui terminait la première révolte, les Normands obtinrent que le roi leur donnât un duc en la personne de son frère Charles. Le duc de Bretagne prétendit alors, au nom de celui-ci, mettre des garnisons dans les places normandes, Saint-Lô refusa d'ouvrir ses portes. Au cours d'une nouvelle coalition, en 1467, les troupes bretonnes pénétraient de nouveau en Normandie, et nos bourgeois en anéantissaient un parti en l'enfermant par surprise dans la rue Torteron, Louis XI attacha beaucoup d'importance à ce fait d'armes, puisque, par lettres patentes du mois de septembre 1470, " persuadé que la dévote prière qu'il avait faite à Monseigneur saint Aignan..., avoit été cause que la ville de Saint-Lô attaquée... par ses ennemis n'avoit point été prise ", il donnait au trésor de l'église Notre-Dame " une place et maison..., aux charges de célébrer tous les ans solennellement la feste dud. Monseigneur saint Aignan ". Le roi visita d'ailleurs notre ville ce même mois de septembre 1470. Son confesseur, l'évêque d'Avranches Jean Boucard, était saint-lois et avait fondé, avec Me. Ursin Thiboult, la première bibliothèque publique de la ville.

La paix régnera maintenant pour une longue période. Les guerres étrangères changent de théâtre. Et le grand événement de l'époque, c'est le fastueux voyage du roi François Ier. Le 15 avril 1532, il arrive à Saint-Lô. Le cérémonial de la réception commence dès La Madeleine et, quand le cortège atteint la porte du Neufbourg, sont " laschées toutes les pièces " de canon. Sur la porte même, " dix-huit bouëttes d'artillerie " font " merveilleuses et grandes tempeste ". Le roi entre en ville sous " un poësle de damas rouge, et pendants de soye rouge ", porté par quatre bourgeois, vêtus de " robes de fin lyn noir, doublées de satin et bandes de velours noir, bonnets à deux rabats ", etc.

Déjà l'horizon s'assombrissait. Dès le début du XVème siècle, un Saint-Lois, Jean Le Couvreur, avait été condamné comme hérétique, sans qu'on sache de quelle hérésie il s'agissait. Les abus dont souffrait l'Église ne diminuaient point et le protestantisme eut rapidement de nombreux adeptes en Normandie. Le château d'Agneaux aurait été l'un des lieux primitifs de réunion. Et Saint-Lô, toute voisine, a une église réformée dès 1555. Les premiers livres qu'on imprimera dans la cité seront des ouvrages protestants, et notamment en 1565, les " Pseaumes de David mis en rime Françoise par Clément Marot et Théodore de Bèze ", dont on ne connaît actuellement que trois ou quatre exemplaires.

En 1562, il y eut des troubles très graves. Les Huguenots, maîtres de Saint-Lô, où " le capitaine Groucy " avait fait abattre les images du dedans de l'église et du  portail de Notre-Dame ", allèrent piller Coutances. Ils se saisirent, de l'évêque, Artus de Cossé, le ramenèrent avec eux et le promenèrent garrotté et coiffé d'une mitre de papier sur un âne à travers les rues de la ville. Mais, le 27 septembre, celle-ci était reprise sans coup férir par les troupes bretonnes du duc d'Étampes. Ces soudards, "  qui ne savaient distinguer entre les Protestants et les Catholiques ", furent vite impopulaires et, en mars 1563, sur la seule nouvelle du retour de Montgomery, l'un des chefs du parti, ils évacuèrent la ville, qui fut restituée ensuite par les Protestants en vertu de l'édit de pacification.

En 1574, elle est de nouveau en leurs mains. Colombières, seigneur de Bricqueville, y accueille Montgomery, qui vient de débarquer des îles anglaises. Le maréchal de Matignon les y bloque. Montgomery s'échappe alors de force par la porte Dollée avec 60 cavaliers. Poursuivi, il est pris à Domfront. Après une intense préparation d'artillerie, depuis la rue Pot d'Airain d'une part, les champs d'Agneaux d'autre, Matignon donne l'assaut à Saint-Lô et s'en empare en passant sur cinq cents cadavres. Colombières est tué sur la brèche. Les femmes même, sous la conduite de Julienne Couillard, d'Agneaux, se sont héroïquement battues contre les assiégeants. C'était le 10 juin.

L'église Saint-Thomas n'avait pas résisté à cette période funeste. Montgomery en avait fait ruiner en 1562 la tour et la couverture " par quelques endroits pour empescher qu'il n'y fût posé de canon ". Au commencement de 1574, Colombières avait fait saper par le pied ce qui restait et employer une partie des matériaux à la fortification. Après un essai de reconstruction manqué pour des raisons militaires (L'église était trop proche de la citadelle), on finira par la rebâtir dans la basse veillée du Torteron à partir de 1624.

Ne résista pas non plus le pouvoir temporel des évêques de Coutances. Artus de Cossé cédait, le 22 mai 1576, par échange, la baronnie de Saint-Lô à Matignon. Celui-ci répara les fortifications et en transforma le côté est en citadelle, pour quoi faire on boucha la porte du Neufbourg.

La Ligue, la révolte des Nu-pieds, la Fronde n'affectèrent guère Saint-Lô, qui, sagement, ne s'en mêla point. Lors des tous derniers de ces troubles, l'un de ses magistrats, M. de la Haulle-Duchemin sut, pour éviter tout inconvénient à la ville et même à la région, " naviguer " fort habilement, car M. de Matignon était " dans les intérêts " des Princes.

En 1639, était mort Me Jean Dubois, grand bienfaiteur de la cité. Ce fut lui qui y établit un collège, fonda le couvent des Pénitents, fit voûter le chœur et bâtir la pyramide de la tour du midi de l'église Notre-Dame. Celle de la tour nord sera élevée en 1685 par l'architecte Michel Brodon.

En 1679, grâce à l'initiative de Jacques de Matignon, évêque de Condom, des reliques de saint Lô, obtenues de l'évêque de Tulle, avaient été solennellement transférées en cette église.

La prospérité commerciale et industrielle de notre ville, où Colbert a favorisé le  développement de la draperie et où les sergers élaborent leurs statuts en 1666, est considérable. Ses cuirs sont connus dans tout le royaume sous le nom de " vache de Saint-Lô ". Mais, la révocation de l'Edit de Nantes, en 1685. en provoquant l'exode de nombreux réformés, donne un coup terrible à cette prospérité. D'autre part, le monnayage est supprimé en 1693 au bénéfice de Caen.

Le couvent des Nouvelles-Catholiques avait été fondé en 1681, La communauté du Bon-Sauveur l'était en 1712 par Élisabeth de Surville.

C'est dans la seconde moitié du XVIIIme siècle que furent construites les grands-routes que nous connaissons. Les échevins, voulant se mettre au diapason, firent paver plusieurs rues, entre autres celle du Neufbourg, où, dit Houel, " les échasses les plus hautes auraient garanti difficilement de la boue qui s'y trouvait amoncelée dans l'hiver ".

Louis XVI, se rendant à Cherbourg, passa par Saint-Lô, le 22 juin 1786.

Puis vinrent les événements de 1789 et des années révolutionnaires. Elles furent fertiles en cérémonies (la fête de la Fédération sur le Champ de Mars le 14 juillet 1790, la plantation de l'arbre de la Liberté le 20 mai 1792), en discours " analogues à la circonstance ", en changements, en désordre, Mais l'énergie du maire Vieillard de Boismartin sut éloigner de la ville, devenue Le Rocher de la Liberté, le dangereux Carrier, vomi contre elle par les dictateurs parisiens pour mettre, comme dit encore Houel " les têtes à la hauteur ".

Les établissements religieux avaient été dispersés. Au Bon Sauveur, on organisa une fonderie de canons. La partie de l'église Sainte-Croix qui servait aux chanoines fut démolie.

La Révolution, progressivement assagie, aboutissait à l'avènement de Bonaparte, Il entreprenait une  réorganisation administrative. Saint-Lô devenait chef-lieu de manière définitive et Lerat de Magnytot, nommé préfet le 2 mars 1800, s'y installait le 22. Ses successeurs immédiats furent Montalivet, Costaz, Bossy, qui, reçut l'Empereur, venant de Cherbourg, avec l'impératrice Marie-Louise, en juin 1811, et qui, en 1814, " changea avec une mobilité prodigieuse ,sa manière d'être et le style de ses actes administratifs ". Il fut encore préfet pendant les Cent-Jours, mais, au retour définitif de Louis XVIII, il ne fut pas reconduit dans ses fonctions.

Les murailles de l'est, avec la porte du Neufbourg, avaient été abattues en 1812. Depuis déjà longtemps l'enceinte avait perdu sa valeur militaire et certaines parties des remparts avaient été vendues à des particuliers.

En 1808, on avait établi à Saint-Lô un dépôt d'étalons dans l'ancienne abbaye. En 1824, on y créa un dépôt de, remonte et le bâtiment, construit par les religieux en 1704, fut converti en caserne pour loger les cavaliers.

Tout au long du XIXème siècle et de la première partie du XXe, la ville, bien déchue de son ancienne prospérité industrielle, restera surtout un centre agricole, commercial et administratif. Elle sera reliée au réseau de chemins de fer le 1er mai 1860. Elle construira son tribunal en 1823, sa prison en 1824, son Hôtel de ville vers 1850, le pont de Vire (le précédent ayant été détruit par une crue) en 1853, la caserne Bellevue en 1877, le nouveau haras à partir de 1882. Mais les anciens bâtiments de l'abbaye seront démolis en 1849 et l'église Saint-Thomas (d'abord convertie en halle au blé) sera détruite ultérieurement pour bâtir un théâtre. Par contre l'église Sainte-Croix sera construite en 1860, en préservant quelques éléments anciens.

Passeront par Saint-Lô, Charles X, en route pour l'exil, Louis-Philippe, le Prince-président, Mac-Mahon, le président Carnot et plus récemment Charles de Gaulle.

Lors des opérations de débarquement allié de 1944, la ville, où les troupes d'occupation allemandes construisaient un immense hôpital souterrain en plein roc, reprenait son ancienne importance militaire. Principal nœud de communications le plus proche de la zone attaquée, elle subissait dès le soir du jour J, un sévère bombardement. Puis, ce fut la " nuit de feu " la pluie de bombes, qui la transforma en champ de ruines, l'abandon quasi-total de ses habitants, dispersés dans les environ, pour la plupart et dont certains trouvèrent un abri de quelques jours dans le souterrain allemand, le ravage des incendies ponctué d'explosions, d'autres bombardements. Pendant un mois et demi, à travers le Bocage, les Alliés durent mener la terrible " guerre des haies " pour se rapprocher de la cité, qui ne tomba que le 19 juillet. La Task Force C de la 29e Division U.S. y entrait à 18 heures, mais la ville resta sous le feu de l'artillerie ennemie jusqu'au 24.

Sur les ruines du clocher de l'église Sainte-Croix, les soldats américains avaient déposé, recouvert du drapeau étoilé, le cercueil du major Thomas D. Howie, commandant le 3me bataillon du 116me Régiment d'infanterie U.S. Cet officier, qui avait manifesté avec force sa volonté d'entrer le premier dans Saint-Lô, avait été tué par le feu d'un mortier, au moment où il allait prendre avec son unité, la tête de l'attaque.

La ville présentait un spectacle dantesque qui surprit les vainqueurs eux-mêmes. De nombreux résistants, enfermés dans sa prison, avaient été victimes du bombardement.

Elle a été entièrement reconstruite d'une manière assez heureuse, qui met en valeur ce qui reste de sa ceinture fortifiée. Malheureusement, l'église Notre-Dame, amputée de sa tour nord et de la pyramide de sa tour sud, a subi là une mutilation définitive. Quant à l'église Sainte-Croix, elle a été dotée d'un clocher moderne, qui ne manifeste peut-être pas un souci suffisant d'harmonisation avec le style roman du reste de l'édifice.

C'est en 805, d'après une tradition, que Charlemagne aurait fondé à Saint-Lô un chapitre de chanoines séculiers sous le patronage de Saint-Étienne. Mais en 1139, l'évêque de Coutances établit des chanoines réguliers dans l'église Saint-Lô - remplaçant les séculiers -  et une abbaye est créée. La grande cérémonie de dédicace a lieu le 8 octobre 1202. L'abbatiale restera longtemps le principal centre religieux de la ville tandis que l'église Notre dame n'est alors que la chapelle du château.
Journal La manche libre 11/10/2002


gendarmerie de Saint-Lô    Mémoire

À la mémoire des militaires et des familles de la gendarmerie victimes des bombardements de juin 1944