Saint-Lô et son histoire
par André Dupont
Secrétaire général de la Société d'Archéologie et d'Histoire de la Manche.
Né à Équeurderville en 1920, Mr Dupont est décédé le mercredi 15 mai 2002. Il fut directeur de la revue " Parlers et traditions populaires de Normandie " de 1968 à 1975. Il écrivit aussi de nombreux articles sous le pseudonyme d'André J. Desnouettes et un livre intitulé "L'épopée cotentine "...
Extrait : Images de Saint-Lô
Constitué essentiellement par un éperon de schiste primaire qui domine de son extrémité la
vallée de la Vire à l'Ouest, séparé des hauteurs qui l'environnent au Nord et au Midi par de profondes vallées où coulent la Dollée et le Torteron, accessible seulement par
l'Est, le site principal de Saint-Lô a présenté longtemps une valeur défensive qui donne à penser qu'il fut peuplé probablement fort tôt,
Toutefois, si la présence proche d'un lieu-dit Pierrefitte (en Sainte-Croix) est l'indice de l'existence d'un mégalithe
aujourd'hui disparu, cet indice est bien faible pour conclure à quoi que ce soit sur ce peuplement à l'époque préhistorique. De même que, pour l'époque
gauloise, la découverte de monnaies d'électrum à faible titre au gué du Rouloux-Godard en Rampan.
Et pourtant, bien que le nom ancien de la ville, Briovère, ne nous soit connu que par un document beaucoup plus récent,
ce toponyme est manifestement d'origine celtique. Formé du mot briva et d'une possible variante du mot vara, il signifierait tout simplement pont sur
l'eau et il attesterait la présence, alors que le langage des Gaulois était encore parlé, d'une agglomération et d'un pont unissant les deux
rives.
La période gallo-romaine n'a pas laissé de traces très nombreuses : des vestiges d'habitations mis à jour au Bourg
buisson, des tuiles à rebord trouvées au Poirier, à La Trapinière, au Haras, quelques ustensiles, notamment un mortier d'argile assez remarquable
découvert lui aussi au Rouloux-Godard, c'est peu. Même si l'on ajoute que le nom de Semilly, aujourd'hui porté par deux communes voisines (Saint-Pierre
et La Barre), indique la proximité d'un domaine gallo-romain, et qu'il est rapporté par Toustain de Billy (1643-1709) qu'on avait trouvé et
trouvait encore de ce côté " des médailles très anciennes, même des premiers Empereurs ", la ville n'avait sûrement pas une grosse
importance politique ou militaire, puisque aucune grande voie stratégique ne la desservait et que ni l'itinéraire d'Antonin, ni la Table de Peutiger,
ni la Notitia dignitatum n'en font mention.
Dès la fin du IIIe siècle avaient commencé les invasions, violentes ou pacifiques, des Germains, Les Saxons
s'enfoncèrent dans le pays, absorbant ou refoulant vers le Sud, et même vers le Nord, les précédents occupants.
Les circonstances de l'introduction du Christianisme, qui paraît relativement tardive, sont très peu connues. On ne cite
d'ailleurs que quatre évêques de Coutances avant Lô.
L'épiscopat de celui-ci, qu'on voit assister aux second, troisième et cinquième conciles d'Orléans, en 533, 538 et
549, et qui s'intitule justement, lors de cette dernière assemblée, " évêque de l'Église de Coutances ou de Briovère ", paraît avoir
eu, dans l'histoire religieuse du diocèse, une importance qu'on ne fait que soupçonner. Lô joua vraisemblablement un rôle considérable dans l'élimination de l'hérésie arienne. En
outre, c'est à lui qu'on fait traditionnellement remonter l'origine du pouvoir temporel des évêques de Coutances sur la baronnie dont notre ville
était le chef.
Placé après sa mort au rang des saints, Briovère l'honora particulièrement
et posséda certainement son tombeau. De là, un pèlerinage, " ad sanctum Lod ", et le changement de nom de la cité, intervenu dès avant
les invasions scandinaves.
Mais, en dehors de la vie du saint pontife, probablement d'ailleurs
environnée de légendes à caractère peut-être symbolique, sur l'histoire de cette cité à l'époque mérovingienne on ne sait que fort peu de
choses. Une nécropole y a existé aux abords de l'église Sainte-Croix et on devait déjà y battre monnaie, puisque l'on possède un triens
rarissime, portant l'inscription BRIVVIRI.
Les Francs n'eurent sans doute sur le pays qu'un pouvoir purement
nominal ou presque. Et le vieil historien Claude Fauchet prétend que " le Coutentin, du temps mesme de nos rois Mérovingiens, estoit habité
par les Sesnes (autrement dit les Saxons), pirates, et semble avoir esté abandonne par les Charliens (autrement dit les Carolingiens), comme variable
et trop esloigné de la correction de nos rois, aux Normands et autres escumeurs de mer, pour estre cette terre, comme une presque isle, séparée de
la terre ferme ". Charlemagne, dit-on, avait fortifié Saint-Lô ; en fait, tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'ayant visité les côtes de
notre province dans le cours de la dernière année du VIIIe siècle, il prit des mesures pour les mettre à l'abri du péril maritime
qu'il prévoyait,
On peut donc penser que, la situation s'étant dégradée sous ses
successeurs, ce fut sans beaucoup de regret qu'en août 867, Charles le Chauve donna au duc de Bretagne, Salomon, la Comitatus Constantiensis. Il ne
faisait que reconnaître le fait accompli de la présence militaire des Bretons dans cette région. Ceux-ci manifestaient alors un vigoureux
expansionnisme et la marche de Bretagne, créée pour les contenir, s'était trouvée démantelée peu à peu de 840 à 856. Mais il était trop tard
pour faire de notre pays une colonie bretonne, car les Vikings y avaient déjà largement commencé leurs incursions.
Salomon avait cependant la poigne solide et leurs attaques, qui avaient
débuté en 836, s'interrompirent jusqu'à sa mort, en 874. Les dissensions entre les Bretons les favorisèrent de nouveau. " La Bretagne et
toute la Neustrie furent désolées d'une manière inénarrable... Au milieu de ces calamités qui ne firent que s'accroître, la sainte Église de
Coutances fut complètement détruite ; il n'y eut plus ni clercs, ni fidèles et, pendant une série ininterrompue de soixante quatorze années, elle
fut opprimée par les brigands païens, qui firent revivre les abominations de l'idolâtrie... ". Les reliques même des saints furent emportées
au loin. Celles de Saint-Lô émigrèrent à Rouen, Angers et Tulle.
Les annalistes contemporains sont pourtant avares de renseignements au
sujet des événements qui se déroulèrent alors dans notre région. Un seul est mentionné, mais justement, il a trait à notre ville, Fin 889 début
890, les Vikings, après avoir vainement tenté d'emporter Paris, passèrent en Cotentin et assiégèrent Saint-Lô. Ils s'en rendirent maîtres en
coupant l'aqueduc qui l'approvisionnait en eau. Les habitants furent massacrés. En 911, le traité de Saint-Clair-sur-Epte faisait de Rollon un
souverain légitime. Toutefois la Normandie n'allait être politiquement constituée que vingt-deux ans plus tard, quand son fils Guillaume Longue-Epée
aurait expulsé les Bretons des marches avranchinaises. A partir de 913, les évêques de Coutances " in partibus infidelium. " résidèrent
à Rouen. Une lente évolution réintégra peu à peu le Cotentin dans la communauté chrétienne, comme elle l'inséra dans la Normandie ducale, et,
en 1025, l'évêque Herbert rétablit le siège épiscopal à Saint-Lô, où son successeur Robert résida également.
À Robert succéda l'illustre Geoffroy de Montbray, qui acheva la cathédrale
de Coutances, commencée par son prédécesseur, et continua, à Saint-Lô, l'œuvre de restauration que celui-ci y avait entreprise. " Il
augmenta le revenu (de la ville) d'une somme considérable ", nous dit Toustain de Billy, qui ajoute : " On avoit détruit le pont qui étoit
sur la rivière de Vire ; il étoit d'une trop grande commodité pour le commerce du Cotentin et l'avantage de la ville de Saint-Lô, pour le laisser
en cet état. Geoffroy le fit rebâtir... Ce fut encore par les ordres de cet évêque que les moulins de cette ville furent construits sur cette rivière,
et (que) les écluses et perrées qui y conduisent l'eau furent faites... ". Et Gabriel Houel (1783-1863) écrit que " le premier genre
d'industrie qui se fit remarquer à Saint-Lô, fut son orfèvrerie ", en effet la duchesse Mathilde, épouse du Conquérant, donna à l'abbaye de
la Trinité de Caen des coupes et des chandeliers fabriqués dans notre cité,
Dès cette époque, il y a deux paroisses, mentionnées comme telles
dans la charte de fondation de la cathédrale de Coutances : Saint-Lô et Notre-Dame. Car ce n'est qu'à la fin du XIIIe siècle que la
première prendra le nom de Sainte Croix. C'était sans aucun doute la paroisse primitive. Il semble d'ailleurs qu'avant saint Lô, elle ait eu pour
patron Saint Étienne. Elle était étroitement liée à l'abbaye, dont on attribue la fondation, sous forme d'un collège de chanoines, à
Charlemagne, et que l'évêque Auger réforma en y établissant, le 2 avril 1139, des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Ce furent eux qui
vraisemblablement rebâtirent ou augmentèrent l'église, qui fut peut-être alors divisée pour les usages respectifs de la paroisse et de la
communauté. Le portail et les quatre travées occidentales de la nef de Sainte-Croix, avec leurs curieux chapiteaux, peuvent être datés de cette époque.
La dédicace devait avoir lieu le 8 octobre 1202.
A la mort de Henri II, fils du Conquérant, une longue guerre de
succession éclata entre son neveu, Étienne, comte de Mortain, qui s'était emparé de la couronne, et son gendre, Geoffroy, comte d'Anjou. Les
Normands, hostiles aux Angevins, leurs ennemis héréditaires, soutinrent Etienne, et l'évêque Auger avait fait préparer Saint-Lô à la résistance.
Mais elle se rendit au bout de trois jours. C'était en 1142.
La maison des Plantagenêts domina bientôt de l'Écosse aux Pyrénées,
avec Henri II, un des plus grands monarques du Moyen âge. Ses démêlés avec l'archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket, et leur tragique dénouement,
eurent leur répercussion ici. L'opinion publique considérait Thomas comme un martyr et ce fut à lui qu'on dédia la nouvelle église que les Saint-Lois
élevaient au sud-ouest du Champ de Mars actuel, et qui fut consacrée le 28 juillet 1174. Une nouvelle paroisse fut alors constituée avec des "
maisons, terres et cantons ", qu'on détacha des deux autres. Richard Coeur-de-Lion succéda à Henri II et ne fut roi que dix ans. Puis ce fut Jean sans Terre, qui se
montra
très insuffisant face à l'offensive française. Les Normands ne furent donc pas plus royalistes que
leur roi. Saint-Lô se rendit sans difficulté. Dès la fin de juin 1204, Philippe-Auguste contrôlait toute la Normandie.
À l'actif de la domination des
rois de France il faut inscrire la longue période de paix dont bénéficia dès lors notre région, et qui lui apporta la prospérité, Agriculture, commerce et industrie se développèrent. Saint-Lô devint un des
principaux centres textiles de France et, en 1234, on y établit une confrérie des tisserands, assortie d'une réglementation de cette corporation.
La ville se dota en outre à cette époque d'un Hôtel-Dieu. Fondé par les bourgeois et favorisé de l'appui de l'évêque
Hugues de Morville, il reçut de nombreuses libéralités, dont celle de Philippe d'Agneaux, qui lui donna le bois de la Falaise en 1217, et celle de
Garin, fils Raoul, qui lui aumôna une terre située près du pont de Vire, par charte datée de Jaffa, en 1220. On attribue au même Hugues de Morville la fondation de la léproserie de la Madeleine, dont la chapelle subsiste encore comme dépendance
d'une exploitation rurale et rappelle par certaines parties le XIIIe siècle. Près d'elle se tint jusqu'au
XVIIIe siècle, au lieudit le Férage, la grosse foire du même nom. C'est également au XIIIe
siècle qu'appartiennent la nef et probablement les bas-côtés
de l'église Notre-Dame.
La ville avait déjà reçu la visite de Jean sans Terre en 1202. Saint Louis y passa en
1256 et 1269. Et Philippe III lui accorda le privilège d'un atelier monétaire.
À l'orée de la Guerre de Cent Ans, Elle est en pleine prospérité. Froissart la dépeindra " durement riche et marchande " et valant " trois (fois) tant que la
cité de Coustances ".
Le 12 juillet 1346, le roi d'Angleterre Édouard III débarque à Saint-Vaast-la-Hougue. Le Cotentin
s'en
souviendra longtemps. Le Pont-Hébert, que les Saint-Lois ont détruit, rétabli par
le prince de Galles, l'armée anglaise atteint Saint-Lô qui a alors huit ou neuf mille habitants, et la pille de fond en comble, le jour de la Madeleine. Bientôt, c'est Crécy.
Pendant toute la première partie de I'interminable guerre, notre cité sera solidement
tenue par les Français, mais souffrira beaucoup de l'insécurité générale. Fin 1356, un coup de main a lieu sur les faubourgs, des maisons brûlent.
Fin 1365, à la veille de l'expédition de Du Guesclin en Espagne, " plusieurs compagnies tant d'Anglois que
Navarrois menées pou aller en la compagnie de Monseigneur Bertran " se logent aux faubourgs et aux environs et mettent les marchands qui vont et
viennent à rançon. Mais Saint-Lô sert bientôt de base aux opérations de reconquête et on y fabrique un énorme canon pour le siège de Saint-Sauveur-le-Vicomte.
La guerre anglaise change de caractère lors de la seconde partie du conflit. Il s'agit cette fois, en Normandie, d'une conquête systématique. Le 12 mars 1418, Saint-Lô, défendue par Jehan Tesson et Guillaume Carbonnel, se rend aux officiers du duc de Gloucester.
Le traité de Troyes, en 1420, est à l'origine d'un invraisemblable imbroglio. Le roi
d'Angleterre devient le gendre de Charles VI et son successeur légitime. Gendre et beau-père meurent d'ailleurs en 1422. Mais Bedford gouverne au
nom de Henri VI et Charles VII, renié par ses parents, n'est plus que roi de Bourges.
La situation est incertaine et incline les populations à l'attentisme. Aussi, chez nous. une majorité de petits
seigneurs se soumettent-ils, au moins apparemment. C'est le cas, autour de Saint-Lô, de Jehan de Baudre, d'Étienne de Pierrefitte, à Sainte-Croix,
de Robin Clérel, à Saint-Georges. Mais il y a aussi les irréductibles. Me. Guillaume Denisecte,
possesseur entre autres biens de deux hôtels, l'un dans l'Enclos, l'autre en Torteron, n'acceptera jamais de venir en l'obéissance du roi
d'Angleterre ; tous ses biens seront confisqués. Colin Néel, de Saint-Georges, en 1424,
Jehan Alissot, de Sainte-Croix, en 1425, Thomas Pestel, de Saint-Thomas, en 1429, seront exécutés " pour leurs démérites ".
Et puis la fortune de la guerre change de camp. Les forces
françaises sont à Saint-Lô le 15 septembre 1449. C'est de là que, l'année suivante, part le connétable de Richemont pour aller donner
le coup de grâce aux Anglais à Formigny.
La tristesse des temps n'avait pas empêché les paroissiens de Notre-Dame d'agrandir
leur église (tour nord en 1370). En 1464, on édifiait le portail et la tour du midi.
C'était l'aube des temps modernes et le règne de Louis XI. Autoritaire, celui-ci s'aliénait la noblesse, qui se
groupait dans la Ligue prétendue du Bien public. Au traité de Saint-Maur, qui terminait la première révolte, les Normands obtinrent que le
roi leur donnât un duc en la personne de son frère Charles. Le duc de Bretagne prétendit alors, au nom de celui-ci, mettre des garnisons dans les
places normandes, Saint-Lô refusa d'ouvrir ses portes. Au cours d'une nouvelle coalition, en 1467, les troupes bretonnes pénétraient de nouveau en
Normandie, et nos bourgeois en anéantissaient un parti en l'enfermant par surprise dans la rue Torteron, Louis XI attacha beaucoup d'importance à ce
fait d'armes, puisque, par lettres patentes du mois de septembre 1470, " persuadé que
la dévote prière qu'il avait faite à Monseigneur saint Aignan..., avoit été cause que la ville de Saint-Lô attaquée...
par ses ennemis n'avoit point été prise ", il donnait au trésor de l'église Notre-Dame " une place et maison..., aux
charges de célébrer tous les ans solennellement la feste dud. Monseigneur saint Aignan ". Le roi visita d'ailleurs notre ville ce même mois de
septembre 1470. Son confesseur, l'évêque d'Avranches Jean Boucard, était saint-lois et avait
fondé, avec Me. Ursin Thiboult, la première bibliothèque publique de la ville.
La paix régnera maintenant pour une longue période. Les
guerres étrangères changent de théâtre. Et le grand événement de l'époque, c'est le fastueux voyage du
roi François Ier.
Le 15 avril 1532, il arrive à Saint-Lô. Le cérémonial de la réception commence dès La Madeleine et, quand le cortège
atteint la porte du Neufbourg, sont " laschées toutes les pièces " de canon. Sur la porte même, " dix-huit bouëttes
d'artillerie " font " merveilleuses et grandes tempeste ". Le roi entre en ville sous " un poësle de damas rouge, et pendants de
soye rouge ", porté par quatre bourgeois, vêtus de " robes de fin lyn noir, doublées de satin et bandes de velours noir, bonnets à deux
rabats ", etc.
Déjà l'horizon s'assombrissait. Dès le début du
XVème siècle, un Saint-Lois, Jean Le Couvreur,
avait été condamné comme hérétique, sans qu'on sache de quelle hérésie il s'agissait. Les abus dont souffrait l'Église ne diminuaient point et
le protestantisme eut rapidement de nombreux adeptes en Normandie. Le château d'Agneaux aurait été l'un des lieux primitifs de réunion. Et Saint-Lô,
toute voisine, a une église réformée dès 1555. Les premiers livres qu'on imprimera dans la cité seront des ouvrages protestants, et notamment en
1565, les " Pseaumes de David mis en rime Françoise par Clément Marot et Théodore de Bèze ", dont
on ne connaît actuellement que trois ou quatre
exemplaires.
En 1562, il y eut des troubles très graves. Les Huguenots, maîtres de Saint-Lô, où " le capitaine Groucy
" avait fait abattre les images du dedans de l'église et du portail de Notre-Dame ", allèrent piller Coutances. Ils se saisirent, de l'évêque, Artus de Cossé, le ramenèrent avec eux
et le promenèrent garrotté et coiffé d'une mitre de papier sur un âne à travers les rues de la ville. Mais,
le 27 septembre, celle-ci était reprise sans coup férir par les troupes bretonnes
du duc d'Étampes. Ces soudards, " qui ne savaient distinguer entre les Protestants et les Catholiques ", furent vite impopulaires et, en mars 1563, sur la seule nouvelle du retour
de Montgomery, l'un des chefs du parti, ils évacuèrent la ville, qui fut restituée
ensuite par les Protestants en vertu de l'édit de pacification.
En 1574, elle est de nouveau en leurs mains. Colombières, seigneur de
Bricqueville, y accueille Montgomery, qui vient de débarquer des îles anglaises. Le maréchal de Matignon les y bloque. Montgomery s'échappe alors de force par la porte Dollée avec 60 cavaliers.
Poursuivi, il est pris à Domfront. Après une intense préparation d'artillerie, depuis la rue Pot d'Airain
d'une
part, les champs d'Agneaux d'autre, Matignon donne l'assaut à Saint-Lô et s'en empare en passant sur cinq cents cadavres.
Colombières est tué sur la brèche. Les femmes même, sous la conduite de Julienne Couillard, d'Agneaux, se sont héroïquement battues contre les
assiégeants. C'était le 10 juin.
L'église Saint-Thomas n'avait pas résisté à cette période funeste. Montgomery
en avait fait ruiner
en 1562 la tour et la couverture " par quelques endroits pour empescher qu'il n'y fût posé de canon ". Au commencement de 1574, Colombières
avait fait saper par le pied ce qui restait et employer une partie des matériaux à la fortification. Après un essai de reconstruction manqué pour
des raisons militaires (L'église était trop proche de la citadelle), on finira par la rebâtir dans la basse veillée du Torteron à partir de 1624.
Ne résista pas non plus le pouvoir temporel des évêques de Coutances. Artus de Cossé cédait, le 22 mai 1576,
par échange, la baronnie de Saint-Lô à Matignon. Celui-ci répara les fortifications et en transforma le côté est en citadelle, pour quoi faire on boucha la
porte du Neufbourg.
La Ligue, la révolte des Nu-pieds, la Fronde n'affectèrent guère Saint-Lô, qui, sagement, ne s'en mêla point.
Lors des tous derniers de ces troubles, l'un de ses magistrats, M. de la Haulle-Duchemin sut, pour éviter tout inconvénient à la ville et même à
la région, " naviguer " fort habilement, car M. de Matignon était " dans les intérêts " des Princes.
En 1639, était mort Me Jean Dubois, grand bienfaiteur de la cité. Ce fut lui qui y établit un collège,
fonda le couvent des Pénitents, fit voûter le chœur et bâtir la pyramide de la tour du midi de l'église Notre-Dame. Celle de la tour nord sera élevée
en 1685 par l'architecte Michel Brodon.
En 1679, grâce à l'initiative de Jacques de Matignon, évêque de Condom, des reliques de saint Lô, obtenues de
l'évêque de Tulle, avaient été solennellement transférées en cette église.
La prospérité commerciale et industrielle de notre ville, où Colbert a favorisé le
développement de la draperie et où les sergers élaborent leurs statuts en 1666, est considérable. Ses cuirs sont connus dans tout le
royaume sous le nom de " vache de Saint-Lô ". Mais, la révocation de
l'Edit de Nantes, en 1685. en provoquant l'exode de
nombreux réformés, donne un coup terrible à cette prospérité. D'autre part, le monnayage est supprimé en 1693 au bénéfice de Caen.
Le couvent des Nouvelles-Catholiques avait été fondé en 1681, La communauté du Bon-Sauveur l'était en 1712 par Élisabeth
de Surville.
C'est dans la seconde moitié du
XVIIIme siècle que furent construites les grands-routes que nous
connaissons. Les échevins, voulant se mettre au diapason, firent paver plusieurs rues, entre autres celle du Neufbourg, où, dit Houel, " les échasses
les plus hautes auraient garanti difficilement de la boue qui s'y trouvait amoncelée dans l'hiver ".
Louis XVI, se rendant à Cherbourg, passa par Saint-Lô, le 22 juin 1786.
Puis vinrent les événements de 1789 et des années révolutionnaires. Elles furent fertiles en cérémonies (la fête
de la Fédération sur le Champ de Mars le 14 juillet 1790, la plantation de l'arbre de la Liberté le 20 mai 1792), en discours " analogues à
la circonstance ", en changements, en désordre, Mais l'énergie du maire Vieillard de Boismartin sut éloigner de la ville, devenue Le Rocher de
la Liberté, le dangereux Carrier, vomi contre elle par les dictateurs parisiens pour mettre, comme dit encore Houel " les têtes à la hauteur
".
Les établissements religieux avaient été dispersés. Au Bon Sauveur, on organisa une fonderie de canons. La
partie de l'église Sainte-Croix qui
servait aux chanoines fut démolie.
La Révolution, progressivement assagie, aboutissait à l'avènement de Bonaparte, Il entreprenait une
réorganisation
administrative. Saint-Lô devenait chef-lieu de manière définitive et Lerat de Magnytot, nommé préfet le 2 mars 1800,
s'y installait le 22. Ses successeurs immédiats furent Montalivet, Costaz, Bossy,
qui, reçut l'Empereur, venant de Cherbourg, avec l'impératrice Marie-Louise, en juin 1811, et qui, en 1814, " changea avec une mobilité prodigieuse ,sa manière d'être et le style de ses actes
administratifs ". Il fut encore préfet pendant les Cent-Jours, mais, au retour définitif de Louis XVIII, il ne fut pas reconduit dans ses fonctions.
Les murailles de l'est, avec la porte du Neufbourg, avaient été abattues en
1812. Depuis déjà longtemps l'enceinte avait perdu sa valeur militaire et certaines parties des remparts avaient été
vendues à des particuliers.
En 1808, on avait établi à Saint-Lô un dépôt
d'étalons
dans l'ancienne abbaye. En 1824, on y créa un dépôt de, remonte et le bâtiment, construit par les religieux en 1704, fut converti en caserne pour
loger les cavaliers.
Tout au long du XIXème siècle et de la première partie du
XXe, la ville, bien déchue de
son ancienne prospérité industrielle, restera surtout un centre agricole, commercial
et administratif. Elle sera reliée au réseau de chemins de fer le 1er mai 1860. Elle construira son tribunal en 1823, sa prison en 1824, son Hôtel de ville vers 1850, le pont de Vire (le précédent ayant
été détruit par une crue) en 1853, la caserne Bellevue en 1877, le nouveau haras à partir de 1882. Mais les anciens bâtiments de l'abbaye seront
démolis en 1849 et l'église Saint-Thomas (d'abord convertie en halle au blé)
sera détruite ultérieurement pour bâtir un théâtre. Par contre l'église Sainte-Croix sera construite en 1860, en préservant quelques éléments anciens.
Passeront par Saint-Lô, Charles X, en route pour
l'exil,
Louis-Philippe, le Prince-président, Mac-Mahon, le président Carnot et plus récemment Charles de Gaulle.
Lors des opérations de débarquement allié de 1944, la ville, où les troupes d'occupation allemandes
construisaient un immense hôpital souterrain en plein roc, reprenait son ancienne importance militaire. Principal nœud de communications le plus
proche de la zone attaquée, elle subissait dès le soir du jour J, un sévère bombardement. Puis, ce fut la " nuit de feu " la pluie de
bombes, qui la transforma en champ de ruines, l'abandon quasi-total de ses habitants, dispersés dans les environ, pour la plupart et dont certains trouvèrent
un abri de quelques jours dans le souterrain allemand, le ravage des incendies ponctué d'explosions, d'autres bombardements.
Pendant un mois et demi, à travers le Bocage, les Alliés durent mener la terrible " guerre des haies " pour se rapprocher de la cité, qui ne tomba que le 19 juillet. La Task Force C de la
29e
Division U.S. y entrait à 18 heures, mais la ville resta sous le feu de l'artillerie ennemie jusqu'au 24.
Sur les ruines du clocher de l'église Sainte-Croix, les soldats américains avaient déposé, recouvert du drapeau
étoilé, le cercueil du major Thomas D. Howie, commandant le 3me bataillon du 116me Régiment d'infanterie U.S. Cet officier,
qui avait manifesté avec force sa volonté d'entrer le premier dans Saint-Lô, avait été tué par le feu d'un
mortier, au moment où il allait prendre avec son unité, la tête de l'attaque.
La ville présentait un
spectacle dantesque qui surprit les vainqueurs eux-mêmes. De nombreux résistants, enfermés
dans sa prison, avaient été victimes du bombardement.
Elle a été entièrement reconstruite d'une manière
assez heureuse, qui met en valeur ce qui reste de sa ceinture fortifiée. Malheureusement, l'église Notre-Dame, amputée de sa tour nord
et de la pyramide de sa tour sud, a subi là une mutilation définitive. Quant à l'église Sainte-Croix, elle a été dotée d'un clocher moderne,
qui ne manifeste peut-être pas un souci suffisant d'harmonisation avec le style roman
du reste de l'édifice.
C'est
en 805, d'après une tradition, que Charlemagne aurait fondé à Saint-Lô un
chapitre de chanoines séculiers sous le patronage de Saint-Étienne. Mais en
1139, l'évêque de Coutances établit des chanoines réguliers dans l'église
Saint-Lô - remplaçant les séculiers - et une abbaye est créée. La
grande cérémonie de dédicace a lieu le 8 octobre 1202.
Journal La manche libre 11/10/2002
À la mémoire des militaires et des familles de la gendarmerie victimes des bombardements de juin 1944