Après trois journées tragiques, Saint-Lô est pris.

L'ordre de bataille n° 1 de la 1ère armée qui prévoyait une attaque coordonnée des 2e, 35e et 29e divisions, en direction de Saint-Lô, réservait à cette dernière les tâches essentielles. L'offensive prévue d'abord pour le 9 juillet, retardée au 11 pour permettre à la 35e division de se familiariser avec le champ de bataille où elle doit évoluer, coïncide avec la tentative ennemie sur le flanc du XIXe corps. Le 11 juillet est ainsi une date critique pour la 7e armée qui va, d'ailleurs, se montrer la moins forte dans l'offensive et dans la défensive.

Dans le secteur de la 29e division, comme dans celui de la 2e, aux premières heures du 11 juillet, ce sont les allemands qui semblent décidés à conduire les opérations. Le 1er bataillon du 115e est ébranlé par une violente attaque. Celle-ci parait un moment susceptible d'amener une rupture locale. Deux compagnies reculent en désordre mais le colonel Goodwin Ordway rassemble quelques réserves et les allemands, qui ne cherchent qu'une rectification de leur front, se retirent vers 7 h 30.

L'offensive américaine se trouve donc retardée de quelques heures : à gauche le 116e doit se diriger d'abord vers le sud, puis se tourner vers l'ouest de manière à s'emparer de deux lignes de hauteurs importante orientées E.-O. Pendant ce temps, le 115e à droite, a pour objectif le terrain élevé où, au nord-est de Saint-Lô, se trouve la Luzerne.

Le 175e se tient en arrière prêt à exploiter le premier succès. Le Général Gerhardt veut éviter le combat de rues et croit que les allemands évacueront la ville lorsque les américains l'ayant encerclée tiendront toutes les communes environnantes. Ses hommes ont quelques expériences de la guerre des haies. La tactique qu'elle impose a même été étudiée au sud de Couvains par un groupe d'officiers, sous la direction du brigadier général Norman D. Cota. La coordination des diverses armes, les difficultés particulières au bocage ont été examinées. On a expérimenté notamment les tanks à fourches et constaté leur faible efficacité : les blindés valent surtout par la puissance de leur feu.

L'attaque se développe lentement. Le 2e bataillon du 116e qui, avec le major Sydney V. Bingham, mène l'action le long de la route de Couvains au Calvaire, se heurte à une vive résistance auprès de Saint André de l'épine. Les haies gênent l'observation ; la concentration d'artillerie qui a précédé le départ de l'infanterie, n'a pas été efficace. Néanmoins les mortiers parviennent à neutraliser les batterie de la crête de Martinville et le génie  enlève les mines qui parsèment le terrain. À 11 heures, les Américains n'ont encore gagné que six cent mètres et six haies mais il profitent à ce moment d'un brusque fléchissement de l'adversaire qui, épuisé, reculer sans même enlever, contrairement à son habitude, ses morts et ses blessés.

Le croisement des routes de Couvains et de Martinville atteint, le 2e bataillon du 116e, bien appuyé, marche vers l'ouest. Gerhardt espère, un moment, atteindre Saint-Lô le soir même. Excès de confiance : l'après midi est décevant !

Le 115e régiment du colonel Ordway, réorganisé après l'attaque allemande, a été moins heureux encore. Son objectif principal est La Luzerne mais il  lui a été attribué un secteur trop large et la résistance ennemie énergique. Quelques progrès fort limités en direction de Belle-Fontaine sont seuls enregistrés lorsque la nuit met fin au combat.

Le 12 juillet verra t-il la poussée irrésistible vers Saint-Lô ? Le général Gerhardt est optimiste : le 2e bataillon du 116e est sur la hauteur de Martinville, le 3e a atteint le dos de terrain sur lequel court la route de     Bayeux, le 1er, placé au centre, doit essayer, le long du fossé qui sépare les deux lignes de hauteurs, de pousser jusqu'à La Boulaye et La Madeleine. Le 175e est prêt à une attaque hardie et la situation évolue favorablement. Mais les allemands ont organisé, près de La Boulaye, une forte ligne de résistance qui se prolonge, au nord, vers Martinville. Trois bataillons ennemis garnissent cette ligne avec de nombreux 88 qui, constamment déplacés, démoralisent les américains, incapable à la fois de localiser les batteries ennemies et de préciser la position de leurs propres unités. La Wehrmacht  enregistre aussi un heureux résultat à l'aide d'un faux ordre qui, lancé en excellent anglais, provoque le repli du 743e bataillon de tanks. Enfin, au sud de la route de Bayeux, les allemands occupent la crête 101 et de là, neutralisent toutes les contre-attaques. La journée du 12 juillet s'écoule ainsi  sans que le 175e puisse jouer un rôle actif. Le Général Gerhardt le charge pourtant de pousser le lendemain le long de la route de Bayeux vers La Madeleine. Les efforts du colonel Reed, poursuivis toute la journée du 13 juillet sont vains. Le manque d'essence le prive d'ailleurs de l'appui des blindés et le mauvais temps du concours de l'aviation. Des mouvements, qui semblent avoir pour but de donner plus de liberté d'action au 175e régiment, sont exécutés au cours de la nuit du 13 au 14. Mais l'ennemi demeure si puissant que les changements ne peuvent s'effectuer que par petites groupes de 4 ou 5 hommes.

Devant l'échec des tentatives faites par le 175e, le long de la route de Bayeux-Saint-Lô, le général Gerhardt décide de réclamer au 116e un nouvel effort le long de la hauteur de Martinville. L'attaque conduite le 15 juillet par le 3e bataillon, échoue tout d'abord. Dans la soirée, des bombes de 500 livres sont jetées sur les positions de 88 et à 19 h. 30, les 1er et 2e bataillon pénètrent profondément les positions ennemies. Ordre leur est alors donné de s'arrêter et de consolider le terrain conquis. Le major Dallas peut prévenir à temps de 1er bataillon. Mais un partie du 2e bataillon a déjà atteint la route de Bayeux lorsque l'avis parvient au major Bingham. Celui-ci rejoint néanmoins les éléments avancés en se guidant sur un fil téléphonique, mais l'heure tardive ne permet pas d'organiser un repli. Les allemands se glissant derrière cette étroite pénétration isolent le groupe Bingham que, seul, un poste de radio relie au reste des forces américaines.

Heureusement pour les Yanks, les allemands jugeant leurs forces trop limitées, ou plutôt ignorant la situation exacte du " bataillon perdu ", ne dirigent contre lui aucune attaque et se bornent à exercer sur les autres unités de la 29e division une forte pression. Ils reviennent sur la hauteur de Martinville, se glissent entre le 175e et le 116e régiments. Le long de la route de Bayeux, le 175e ne réalisent aucun progrès et, au nord-est de Saint-Lô, le 115e ne se montre pas plus heureux. Ce sont les deux autres bataillons du 116e régiment qui, sous la direction du colonel Dwyer, vont accomplir en faveur de leurs camarades isolés les meilleurs  efforts.

Aucune amélioration au cours de la journée du 16 juillet. Le 1er bataillon doit résister à deux fortes contre attaques allemandes. La première est précédée d'un barrage d'artillerie si intense que les américains se terrent pendant deux heures. La seconde accable la compagnie A déjà fort éprouvée par les combats précédents. Mais le premier sergent Harold E. Paterson, qui a la confiance de ses camarades, réorganisent l'unité avec l'aide du sergent chef Thomas H.Fried et d'un indien nommé " le chef ". Remontant vers l'ennemi à l'abri d'une haie, il lance des grenade avec tant de succès que les blindés reculent et que la compagnie A peut réoccuper sa ligne de départ ayant perdu 37 hommes mais sauvé tous ses blessés.

Le lendemain, 17 juillet, les américains reprennent l'initiative des opérations. Le colonel Dwyer lance en avant le 3e bataillon mais avertit ses hommes qu'il ne dispose d'aucune réserve et qu'en cas de contre attaque, tous devront saisir un fusil et se battre comme des " diables ". À 4 h 30, le 3e bataillon se glisse silencieux, le long des pentes au sud de Martinville. Il est commandé par le major Thomas D. Howie, originaire de Stanton, en Virginie. Il a reçu l'ordre, non d'atteindre et de relever le 2e bataillon, mais de le renforcer de telle sorte que les deux unités puissent pousser ensemble vers Saint-Lô. Howie a donné à ses soldats des consignes précises : deux hommes par patrouille sont seuls autorisés, en cas de besoin, à se servir de leur fusil, les autres ne doivent compter que sur leurs baïonnettes et leurs grenades à main. Les mitrailleuses et les mortiers allemand sont actifs, mais les Américains ne ripostent pas car seule une action rapide dans le brouillard matinal possèdent quelque chance de succès. À 6 heures, Howie atteint le carrefour de La Madeleine. On devine la joie de Bingham et de ses hommes dont la situation devenait d'heure en heure plus difficile. Et pourtant le drame n'est point terminé.

Il avait été prévu que le 2e bataillon prendrait la tête de l'attaque contre Saint-Lô ; épuisé, il ne peut assumer une telle tâche. À 7 h 30, le colonel Dwyer demande par téléphone au 3e bataillon s'il peut se charger de cette audacieuse tentative " Will do " (nous le ferons), réplique aussitôt le major Howie. Mais ce dernier est tué par le feu d'un mortier tandis qu'il distribue les rôles : le capitaine qui le remplace, William H. Puntenney, doit vite renoncer au projet et se borner à lier son sort au 2e bataillon. Le résultat obtenu est donc assez médiocre. Les allemands, devinant peut-être les difficultés de leurs adversaire, préparent une contre attaque. Du sud de la route de Bayeux monte le roulement inquiétant des blindés. Il faut, à tout prix, briser cette tentative. L'intervention de l'aviation est décidée. Les hommes du 116e régiment délimitent leurs positions avec des panneaux et des vêtements rouges. La violence est telle que des allemands affolés préfèrent, pour y échapper, se réfugier dans les lignes américaines.

Les bataillons isolés reprennent courage. C'est vers eux, en cette soirée du 17 juillet, que se concentre tout l'effort de la division. Le 175e, appuyé par la 29e troupe de reconnaissance, essaie de combler la brèche qui le séparer du 2e bataillon du 116e, efforts vains malgré des pertes sévères. Le 115e, jusque là incapable de jouer un rôle efficace, parvient à pousser les 1er et 3e bataillon vers Le Cauchais et le 2e jusqu'à Martinville. Ce dernier, retardé par l'artillerie ennemie, reçoit l'ordre de poursuivre, en dépit de la nuit, au-delà d'un petit ruisseau vers La Planche.

Ces actions secondaires facilitent la tâche du colonel Dwyer décidé à tout faire pour regrouper ses hommes. Dans la nuit du 17 au 18 juillet, il envoie quarante volontaires, sous le commandement des lieutenants Hallie F. Williams et Lewis B.White. Ils réussissent à opérer leur jonction avec les " bataillons perdus ". Malheureusement Williams est tué par un avant poste du 2e bataillon qui ne l'a pas reconnu. Puis, dans la matinée du 18 juillet, la compagnie A du 1er bataillon, réduite à 23 hommes mais renforcée par l'arrivée de 85 remplaçants, est chargée, avec le capitaine James J.Rabbitt, d'ouvrir un couloir de la hauteur de Martinville à La Madeleine.

Divisée en deux colonnes qui gardent un étroit contact, la compagnie dépasse Martinville, traversent la petite vallée qui sépare ce hameau de la route de Bayeux, et, sans trop de peine, rejoint les 2 et 3e bataillons. Dans chaque champ, deux hommes sont laissés pour rendre définitive la liaison rétablie et permettre le passage du ravitaillement et des blessés.  L'ennemi donne des signes d'une grandissante désorganisation et ne réagit pas.

Les trois journées tragiques laissent aux hommes du 116e régiment, à ceux des 2e et 2e bataillons surtout, un terrible souvenir. Ils ont manqué de vivres, n'ayant avec eux, que des rations K pour deux repas. Ils ont dû, pour pouvoir accéder à un puits, éliminer un nid de mitrailleuses dissimulé derrière une haie. Ils ont vu des blessés mourir faute de soins, malgré le plasma sanguin lancé d'un avion, malgré le dévouement de trois infirmiers et celui d'un médecin autrichien fait prisonnier le 17. Il leur a fallu ruser avec l'ennemi pour lui dissimuler leur faiblesse. Ils ont, se souvenant des " snipers " nazis, trompé leur ennemi en tirant sur les allemands isolés, s'aventurant trop près de leur secteur. Ils ont dû économiser leurs munitions mais ils ont pu mettre à profit un dépôt de mines allemandes heureusement découvert. Ils n'ont jamais désespéré. Le major Bingham se défendra même d'avoir été encerclé et affirmera qu'il aurait pu rétrograder à tout moment, mais qu'il avait acheté trop cher la position pour la rétrocéder à vil prix.

Au moment, en tout cas, où l'isolement des 2 bataillons cesse, la 29e division est au seuil de la victoire. Les allemands s'en rendent compte et leur pessimisme est grand. À l'est de la Vire, la 352e division d'infanterie et la 3e division de parachutistes sont autorisés à se replier sur la ligne Rampan-Montcoq-La Boulaye. Elles se demandent avec inquiétude s'il leur sera possible de tenir cette nouvelle position malgré leur courage et les ordres impératifs de Rommel.

Dans un verger, au sud du bourg de Couvains, trois cent hommes environ ont été réunis. C'est à eux que le général Gerhardt, le cigare d'une main, une badine taillée dans un arbre de l'autre, s'adresse en ce 18 juillet : " Voici un évènement historique : je désire que chaque homme y apporte tout son courage. Nous devons être prêts à toute rencontre. Nous sommes les représentants de la division et de l'armée américaines et je désire qu'aucun d'entre vous ne l'oublie une seule minute. Vous devez être prêts à vaincre toute résistance que l'ennemi vous opposera. Soyez en alerte. Soyez sur vos gardes. Nous allons accomplir notre mission ". Le colonel qui l'accompagne précise les consignes : aller constamment de l'avant. Ne sont autorisés à revenir en arrière que ceux qui seront blessés ou auront un message à transmettre. Maintenir un espace de cent mètres entre les véhicules.

Sous la direction du brigadier général Cota, qui a apporté tous ses soins à l'organisation de cette " Task Force Charlie " (il y a mêlé éléments de reconnaissance, tanks, tanks-destroyers, génie), la colonne se met en marche à 15 h 30, avec un demi-heure de retard sur l'horaire  : les tanks d'abord, l'infanterie dans des trucks, puis le génie. Les américains empruntent tout d'abord un petit chemin qui passe au sud du bois de Bretel et rejoint la route d'Isigny à Saint-Lô auprès du château de Muneville. La campagne paraît tout d'abord aussi calme qu'un coin quelconque de Nouvelle-Angleterre. La marche pourtant est lente : à 16 h 30, le groupe est encore à trois kilomètres de Saint-Lô et les soldats ont tout le loisir de contempler les squelettes des voitures blindées incendiées, les cadavres grotesques des bêtes tuées au cours des engagements précédents.

À un kilomètre environ de la ville, la route décrit une grande courbe. Au moment où la colonne du Général Cota l'atteint, le 1er bataillon du 115e régiment arrive sous les ordres du major Johns. Selon les ordres reçus, les fantassins encadrent les véhicules formant une simple file de chaque côté. En franchissant la vallée de la Dollée, les Américains subissent le feu sévère des batteries allemandes et le tir déprimant des snippers.

À 18 h, la " Task Force C " pénètre dans la ville. L'objectif initial, choisi par le major Lloyd M. Marr après une reconnaissance aérienne, est la grande place rectangulaire située auprès de l'église Sainte-Croix. Elle doit d'abord être nettoyée. Elle constituera ensuite une excellente base d'opérations contre les îlots de résistance qui tenteront de se maintenir dans la ville. Le 29e groupe de reconnaissance, commandé par le lieutenant Édouard G. Jones, entre le premier dans Saint-Lô et s'infiltre à travers les rues encombrées de débris, utilisant tous les passages possibles. Quand les véhicules sont obligés de s'arrêter, les hommes se déploient en tirailleurs. Trois points essentiels, déterminés au préalable, sont rapidement saisis et solidement tenus. Le plus important est le carrefour où se croisent les routes de Torigny, Bayeux et Isigny. Les habitants l'appellent le carrefour de la bascule, à cause du poids public que fréquentaient chaque samedi les paysans et leurs bestiaux. C'est là que le général Gerhardt installe son poste de commandement, malgré les tirs nombreux qui s'y croisent. C'est de là que sont envoyés les tanks chargés de donner la chasse aux deux cent allemand qui, dit-on, se dissimulent encore dans les ruines et d'organiser les 17 postes fortifiés qui ont été prévus. Rien ne manque à ce carrefour tragique, ni les blessés réclamant à boire, ni les lettres émouvantes dispersées autour d'un casque sanglant, ni le symbole pieux d'un foyer chrétien, demeuré accroché le long d'un pan de mur, comme pour contempler, effaré, ce stupéfiant mélange de misère et de gloire.

À 19 h, le colonel sort le fanion de la division. Le sergent chef Gerald F. Davis aide le soldat Francis L. Beins à le planter dans le trou qu'un obus allemand vient de creuser au pignon d'un café-restaurant à l'entrée de la route d'Isigny et ce petit symbole d'une prise de possession, si précaire qu'elle soit encore, amène un sourire sur les lèvres des soldats harassés. Le général Gerhardt se hâte d'avertir le général Corlett de sa victoire. "J'ai l'honneur d'annoncer que la " Task Force C " de la 29e division a occupé la cité de Saint-Lô après 43 jours d'un combat incessant des plages à Saint-Lô  ".

La ville de Saint-Lô : Il faut lire le récit d'André Rabache, correspondant de guerre de " La France combattante ", entré dans la cité avec les troupes américaines, ou celui que l'hebdomadaire " Life " a inséré dans son numéro du 21 août 1944. Des hommes, habitués portant à la sauvagerie de la guerre, frémissent d'horreur devant une telle accumulation de ruines. " ce n'est plus que le tombeau de la ville primitive ", s'écrie l'historien anonyme de " Saint-Lô " qui ajoute aussitôt : " C'est comme si toute l'amère campagne de Normandie se trouvait résumée en un seul point ". Et pourtant ____ quelle ironie ! des panneaux signalent encore le long des routes qui conduisent à la cité martyre : " Saint-Lô, sa cathédrale, son panorama ".

Toute la campagne environnante témoigne elle aussi de la violence des combats. Bill Davidson a été frappé par le village de Saint André de l'épine écrasé par l'artillerie américaine. Il a noté, au milieu des décombres, une commode d'acajou intacte, un chat jouant indifférent ! Quel singulier contraste avec l'âpreté triste d'un bourg où les maisons sont réduites à des pans de murs hideux, où l'église ne se reconnaît plus qu'à l'encadrement d'une baie, où le cimetière bouleversé est parsemé de débris arrachés aux tombeaux ou aux cercueils. Et au milieu de tout cela, des pancartes affirment que la ville est "interdite " (off limits) aux soldats ! Quel plaisir pourrait trouver un GI dans ce site hallucinant ! Les pancartes prétendent seulement avertir les troupes que pièges et mines se dissimulent encore sous les décombres.

À Saint-Lô, les américains sont en butte au tir incessant des mortiers et des obus allemands. L'aviation n'arrive  pas à découvrir les batteries dont la plus importante se trouve à l'ouest de la ville, près de saint Gilles. Un obus de mortier tue plusieurs hommes au poste de commandement du colonel Ednie, du 115e régiment, qui, par un hasard providentiel, est épargné. Le capitaine Sydney A. Vincent du 803e bataillon de tanks destroyers est tué au moment où il quitte sa voiture pour coordonner l'action de ses blindés. À 19 h 30, le général Cota blessé d'un éclat d'obus au carrefour de la Bascule doit être évacué.

Saül Levitt a raison d'affirmer que la prise d'une ville est rarement cette poussée irrésistible et glorieuse que suggèrent les titres sensationnels des journaux plus soucieux de propagande que de vérité historiques. Quelle ironie que le mot " d'occupation " appliqué à Saint-Lô ! Occupent-ils vraiment la ville ceux qui doivent ramper le long des murs, fouiller avec une prudence inquiète des ruines suspectes sous une pluie de mitraille qui, à tout instant, ricoche sur les décombres ? L'artillerie allemande paralyse le trafic le long des routes jalonnées par les épaves atroces de cette lutte sauvage, tel ce cadavre auquel un coup direct a enlevé tout caractère de sexe, de nationalité, de race et qui sert, nous dit un correspondant de " Yank  ", de repère sur la route d'Isigny.

Pendant près d'une semaine se poursuit une lutte sournoise, cette lutte de tous les instants, où les silences sont plus terribles, plus angoissants que le déclenchement des moteurs et des canons, où les nerfs tendus à l'extrême vibrent au moindre indice trahissant un " sniper " aussi acharné que fourbe...

Si en effet les allemands, surpris par la violence et la hardiesse de l'opération, ont abandonné la ville, ils ne se sont pas retirés au nord de Torigni, comme les américains l'avaient espéré. Ils se contentent d'établir une ligne défensive à un kilomètre au sud de la ville. Lorsque le 19 juillet, à 4 h 15 du matin, le 113e sonde les lignes adverses, il trouve tout de suite une résistance imprévue. Bien mieux, les allemands contre-attaquent et le 1er bataillon du 115e doit lutter pour conserver la ville conquise. Mais la 35e division, qui a avancé rapidement les 18 et 19 juillet, relève la 29e et assure la défense du secteur.

À l'est de la ville, les allemands continuent de tenir la route de Saint Jean des Baisants et interdisent l'utilisation de la route de Bayeux. Le 22 juillet, à 23 h, une dizaine de " Stukas " viennent bombarder les positions américaines. Le 24 juillet, c'est au tour des alliés de lancer une violente attaque qui amène enfin un repli général.

Le calme, peu à peu, renaît dans la ville. Sur les pierres éboulées du clocher de l'église Sainte-Croix, un drapeau étoilé recouvre le corps du major Howie. Il avait manifesté avec tant de force son désir d'entrer le premier à Saint-Lô, il avait apporté à la préparation de la victoire une contribution si courageuse que ses hommes ont pieusement recueilli son corps mutilé et l'ont, aux premières heures de l'occupation, amené dans une voiture et déposé au coeur de la ville, symbole émouvant de l'héroïsme yankee.

D'après Études normandes, R Patry, Docteur ès lettres

Officiellement, on déclare que la première patrouille qui ait pénétré en ville comprenait sous le direction du premier lieutenant John Tracy : le caporal Joseph Stefansky, le spécialiste Charles Piercy, les soldats de première classe Eutimio Espinoza, Arthur Peck, Robert Lee, Elgin Wilkinson, le pvt Edgard Hale et le major Dale Godwin.
Ce mérite lui est contesté par une autre patrouille commandée par les lieutenants Heyr et Colgan, patrouille dont faisait partie un français, Edouard Bras, engagé dans les rangs américains sous le nom d'Edward Geamss.

autrefois

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1944-2004

De Gaulle

images de la libération

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L'Hôtel de Ville de Saint-Lô avant

L'Hôtel de Ville de Saint-Lô après

Raymonde Pouchin, 84 ans, et sa fille Jacqueline, 64 ans, sont redescendues avec émotion dans le souterrain, accompagnées de Jean Mignon, membre de l'association Saint-Lô 44-Roanoke.

Raymonde Pouchin, 84 ans, et sa fille Jacqueline, 64 ans, sont redescendues avec émotion dans le souterrain, accompagnées de Jean Mignon, membre de l'association Saint-Lô 44-Roanoke. OF du 22.05.04

Soldats américains à Saint-Lô


Saint-Lô
du 6 juin à septembre 1944.
Des dates qui ont bouleversé passé, présent et avenir de la ville.


Les GI's américains dans les ruines de Saint-Lô au pied des remparts au carrefour de la route de Villedieu avec l'actuel rond point du 6 juin. 

Du jour J à la prise de Saint-Lô, il s'est écoulé six semaines. Durant sept jours, les GI's ont progressé, les cinq autres semaines, ils ont piétiné. Après le bombardement, l'exode des habitants, Saint-Lô et sa périphérie ont été le 
théâtre de combats acharnés entre Alliés et Allemands. Les évacués de retour le 19 juillet commenceront à reconstruire " la capitale des ruines " dès le mois d'août.
• 6 juin 1944. A 2 h 40, un quadrimoteur abattu par les Allemands s'écrase à Baudre. A 10 h 05, deux chasseurs s'attaquent à la centrale électrique d'Agneaux. A 16 h 30, la gare est mitraillée et bombardée. Le bombardement massif, à haute altitude par des escadrilles américaines, commence à 20 h. Il sera suivi à minuit et demi d'un nouveau raid. Cette nuit-là, on totalise déjà 
22 morts à la gendarmerie et la plupart des 70 détenus à la prison.
• Les 7, 9, 10, 12, 13 et 22 juin 1944, Saint-Lô subit de nouveaux bombardements. Leur bilan a été longtemps contesté. Sur les 12 000 habitants de Saint-Lô avant guerre, il a été dit qu'entre 800 et 1 200 avaient été tués. L'étude des historiens M. Boivin et B. Garnier " Les victimes civiles de la Manche " fait état, elle, de 352 Manchois tués à Saint-Lô pendant les bombardements des 6 et 7 juin.
• Les exodes. Le premier commence à l'issue du 1er bombardement du 6 juin au soir, augmente le lendemain et se prolonge le 8 avec l'évacuation de 
l'hôpital du Bon Sauveur. Et le 9 juin avec l'évacuation des 600 réfugiés du tunnel sous l'Enclos des remparts : ils vont se réfugier au haras. En une semaine, Saint-Lô se vide de ses habitants : certains vont en campagne du côté de Saint-Georges-Montcocq, du Mesnil-Rouxelin ; au sud, vers le Bouloir, le Bois Jugan, le Hutrel, Baudre. Le second débute le 8 juillet : le front s'approchant, les Allemands ordonnent l'évacuation complète de la ville. Le 10 juillet, seuls quelques dizaines de Saint-Lois restent cachés 
dans les ruines pour guetter l'arrivée des Américains.
• Où se réfugient les Saint-Lois. Selon les travaux de l'historien Maurice Lantier dans " Saint-Lô au bûcher ", 50 % vers Avranches et Mortain ; 30 % entre Cerisy et Villedieu ; 20 % sur la côte ouest entre Coutances et le Sud de Granville.
• La bataille pour Saint-Lô. Elle dure cinq semaines. Car si pour les Allemands, la ville ne constituait pas a priori une position clé pour les 
Américains, ils se sont aperçus assez vite qu'au contraire l'effort allié se portait sur la ville et qu'ils pouvaient, en la tenant, retarder leur avance. D'où le déploiement des paras allemands de Meindl et des fantassins de la 352e division d'infanterie. Les Allemands occupent les hauteurs au nord à Martinville et, à l'est, les côtes 192 et 203. Bien retranchés, aidés par une météo qui cloue au sol l'aviation alliée, favorisés par les haies du bocage, terrain peu propice à l'avance des blindés, les Allemands retarderont l'avance de quatre divisions américaines vers la plaque tournante des communications que constitue Saint-Lô.
Le quotidien reprend le dessus.
• Prendre Saint-Lô coûte que coûte. Le général américain Bradley voulait un front homogène avant de lancer l'opération Cobra. Il a fini par l'obtenir et une semaine après la prise de Saint-Lô, il lancera ses bombardiers sur le 
quadrilatère Marigny, Saint-Gilles, Hébécrevon, La Chapelle-Enjuger.
• 16 juillet. La crête de Martinville, qui domine la route de Bayeux, est le théâtre de furieux combats. Contenue à l'Ouest de la ville, l'offensive connaît plus de réussite au Nord. La 35e division a progressé du côté de 
Saint-Georges-Montcocq ; la 137e a dépassé le pont de Pont-Hébert et atteint la courbe de la Vire près de Rampan.
• Le 18 juillet. Au matin, le général américain Gerhardt reçoit l'ordre de s'emparer de Saint-Lô. 
Une task force, mise en route par le général Cota près de Couvains dans l'après-midi, doit s'en charger. Sur la route d'Isigny, cette formation 
blindée prend contact avec le bataillon du major Glover Johns : la colonne progresse sous le feu d'artillerie. À 18 h, les premiers soldats entrent 
dans un décor de désolation précédée par la dépouille du major Howie, tué par un obus juste avant de lancer l'assaut final.
• 21 juillet. Georges Lavalley, co-directeur des Nouvelles Galeries, devient administrateur de la ville. Il installe son QG dans l'immeuble du 
docteur Bourdon, place Sainte-Croix.
• 25 juillet. Les Américains interdisent l'accès à la ville : trop de munitions non explosées, de ruines menaçant de s'effondrer, de risques 
d'épidémies.
• 2 août. La mairie prend ses quartiers dans la maison Claivières, 34 rue du Neufbourg. La municipalité de Cherbourg donne un coup de main en 
fournissant du matériel administratif.
• 18 août. Une cantine municipale prend place bâtiment Sainte-Geneviève au Bon Sauveur : 50 repas son servis dès le 1er jour pour les premiers 
travailleurs de la reconstruction déjà à pied d'oeuvre. Ils sont logés à deux pas du BS dans un baraquement allemand. Le nombre d'habitants déjà 
rentrés ? Entre 180 et 200.
• 13 septembre. Distribution de bougies : trois par habitants pour pallier l'absence d'électricité. Mi-octobre, elle est rétablie dans les quartiers de Falourdel et de la route de Villedieu. Ce n'est qu'en mars 1945 que 
l'électricité dessert tous les quartiers de la nouvelle Saint-Lô.
• 16 septembre. L'épicerie Hémery ouvre à Agneaux à l'intersection des routes de Coutances et Périers. Un magasin de textile, ensuite, en bas de 
la route de Coutances et une banque, la Société générale, route de Villedieu.
• Fin septembre. Louis Endelin est nommé sous-préfet de Coutances " en résidence " à Saint-Lô. Il habite dans le quartier de Béchevel : 
deux pièces de la caserne lui servent de bureaux.

Ouest-France 1/06/04


Le récepteur biscuit

Radio Londres diffusait des messages per­sonnels à destination de la Résistance. Ces messages étaient de la plus haute importance pour les groupes de résistants et pour le maquis car ils annonçaient les consignes d'action en provenance des Alliés.

Chez eux, les particuliers étaient à l'écoute sur les récepteurs radios de l'époque, MANUFRANCE, LEMOUZY, DUCRETET, et les messages lancés par le Général de Gaulle restaient lisibles en dépit du brouillage allemand. Par contre, le maquis isolé et sans courant recevait lors des parachutages des postes dit " biscuit " qui étaient un peu l'ancêtre des portatifs actuels et qui comportaient des lampes miniatures extraordinaires pour l'époque.

Cet appareil permettait de recevoir toutes les gammes d'ondes par changement de bobines et était livré avec une pile offrant à la fois la basse et la haute tension dans le même élément avec une autonomie de 30 heures. Le 5 juin 1944, le maquis de Corcieux fut destinataire d'un message demandant le passage à l'action : " Croissez roseaux, bruissez feuillages " suivi de " Je porterai l'églantine ", ce qui correspondait au démarrage de la phase de guérilla et de destruction contre la kriegsmarine de Taintrux.

MCR 1 dit biscuit

Georgette Le Duc.

" mon mari, fusillé le 5 juillet "

La mère de Jeanne Lauté Le Duc, Georgette Le Duc, est décédée le 1 avril 1992. Avant de disparaître, Georgette Le Duc avait livré un témoignage émouvant sur les événements de 1944 tels qu'ils ont été vécus par sa famille. Transmis par Jeanne, les mots utilisés par Georgette Le Duc sont touchants... Celle-ci explique :

" le 7 juin, mon mari me dit : " j'ai vu des parachutistes dans un champ, au village de l'Abbaye. Ils m'ont demandé s'il y avait des Allemands à Rémilly " et comme il y en avait peu à ce moment-là, il a dit non. Entendant cela, les parachutistes ont lancé un pigeon voyageur, disant qu'il ne fallait pas bombarder Rémilly et c'est ainsi que notre commune a été préservée du bombardement aérien. Mon mari se rendait fréquemment chez M. de Gouville à Agneaux, membre de l'OCM (Organisation Civile et Militaire) pour prendre des directives. Après avoir trouvé 5 paras anglais, il les cache près du château de Montfort. Ensuite, ce sont 6 parachutistes américains qui se trouvent réunis aux 5 paras anglais. C'est donc 11 ou 12 soldats alliés que mon mari a pris la charge de ravitailler et de protéger. Bientôt, les Allemands eurent vent de leur présence. Mon mari décida de faire évacuer ses soldats et leur avait trouvé une retraite plus sûre au Mesnil-Eury, à 4 km. Au cours de la nuit, il vint les chercher, prit le blessé sur ses épaules ; il était accompagné de Marcel Robert, Roger Besnard, Daniel Culleron, Camille Lebatteur et Robert Lajoye. Entre temps, le 2 juillet, il avait tenté de faire sauter le pont du Bâteau entre Marchésieux et Rémilly-sur-Lozon. Des propos indiscrets ou des dénonciations avaient attiré l'attention des Allemands sur lui. Un soldat, depuis plusieurs jours, était toujours assis sur une grosse pierre, à l'angle de la demeure de M. Albert Lehodey dans le centre du bourg de Rémilly, surveillant les allées et venues de mon mari, qui ne sortait presque plus. Nous couchions chez Mme Lemanessier, ma grand'mère et comme un obus était tombé près de la maison, brisant les vitres, nous avions décidé de recoucher chez nous. C'est en allant chercher notre literie que les Allemands l'ont suivi et sont entrés dans son garage situé en face de la maison de notre grand-mère. Mon mari est allé voir ce qu'ils faisaient. Ils prenaient du bois (c'était un prétexte). Après une brève discussion, le soldat qui n'attendait que cette occcasion pour provoquer une querelle, a haussé le ton, menacé, puis sous les yeux horrifiés de mes deux frères aînés Jean-Gabriel et Yves, a sorti un revolver et d'une balle en plein front a abattu mon mari. Mes pauvres enfants sont revenus en hurlant, embrassant toutes les personnes qu'ils rencontraient, leur disant : " ils ont tué papa ". C'est eux qui m'ont appris ce crime odieux que je ne pouvais croire...

Jeanne Lauté-Le Duc précise : " La Spécial Air Service Regimental Association of London a souhaité prendre contact en février 2003 avec les descendants d'André Le Duc. Le maire de Rémilly-sur-Lozon, Philippe Gosselin, mon frère Antoine Le Duc et moi-même, avons pris date pour à la fois commémorer le 60e anniversaire du débarquement et accueillir une délégation de cette association anglaise. La journée retenue est le dimanche 4 juillet 2004 ".