" C'est à l'aube du 7 juin, que nous avons quitté le logis familial, au 33 de la rue Porte au Four à Saint-Lô. Après un dernier regard vers la ville en feu, et accompagnés du bruit des bombes qui éclataient encore, ça et la, nous sommes partis vers le Mesnil Rouxelin.
Nous y avons été très aimablement accueillis
par une famille demeurant à proximité du bourg. Mais, très rapidement, la
route en bordure de laquelle se trouvait leur demeure devint une voie de passage
pour les convois allemands montant vers la côte. Nos hôtes jugèrent alors que
nous n'étions plus en sécurité, et ils nous invitèrent à les suivre jusque
dans un appentis jouxtant une ferme, située dans un bas-fond, non loin du
hameau appelé " l'Hôtel au Heup " (ouest de Villiers-Fossard). Mais
même dans ce coin perdu, la guerre n'allait pas tarder à se manifester.
Ce fut d'abord le passage régulier de soldats allemands qui venaient se
restaurer à la ferme. Certains disaient que les " tommies "
n'étaient plus qu'à deux ou trois kilomètres, cependant que pour d'autres,
ils étaient sur le point d'être rejetés à la mer.
Les premiers avaient, bien sûr, raison car le
bruit de la bataille allait s'amplifiant. Les crépitement des armes se faisait
chaque jour plus distinct. Les bruits plus sourds, suivis d'explosions, s'y
ajoutèrent bientôt " des tirs d'artillerie " devait dire mon père.
Et puis, un soir, les allemands envahirent la cour et prirent position derrière
la haie bordant le champ face à la ferme. Ils étaient harnachés de la tête
au pieds, des chapelets de balles autour du cou. Les adultes parlaient aussi de
mitrailleuses et des grenades à manche.
Pourtant, c'est plus tard, dans la nuit, que le bruit de la bataille nous
réveilla. Elle faisait rage dans les champs voisins. On entendait courir autour
de la ferme et de notre appentis, les tirs semblaient venir de tous côtés. Ce
fut là un vacarme dont j'ai, certes, gardé le souvenir : mais seuls sans
doute, mes parents apprécièrent le danger que tout cela représentait pour
nous.
Heureusement, le combat cessa aussi soudainement qu'il avait pu commencer, et le
reste de la nuit fut calme. Au matin, quand mon père entrouvrit la porte avec
l'espoir peut-être de voir, enfin nos libérateurs, il aperçut un allemand
assis dans l'encoignure de la porte, appuyé contre elle, les jambes remontées
devant lui, retenant son fusil : il dormait !
Le soir venu, un officier vint expliquer que nous n'étions pas en sécurité à
cet endroit, et qu'il allait avoir besoin de la cave pour ses blessés. Il nous
fallait partir à nouveau.
Mais, depuis le 7 juin, chaque ferme avait fait son plein de réfugiés !
Condamnés à revenir sur Saint-Lô, ce n'est qu'à la lisière de la ville que
nous avons pu trouver refuge, dans une ferme proche de l'église de
Saint-Georges de Montcoq. Et là, d'autres frayeurs nous attendaient, car aucune
journée ne s'écoulait sans une ou plusieurs salves d'artillerie. C'était, à
chaque fois, le même scénario. Chacun cherchait l'endroit qui pouvait le
mettre à l'abri des éclats, sous une table ou un escalier, ou dans l'angle
d'une pièce. Mais déjà les explosions se succédaient. Bruits d'impacts des
éclats sur les murs ou dans les portes, dans les fagots dressés devant les
fenêtres, dans les branches des pommiers, sectionnées comme à la hache. Puis
la fumée, l'odeur très caractéristique de la poudre... puis le silence
jusqu'à la salve suivante, comme ce jour de fin juin où, au moment du repas de
midi, deux obus fusant éclatèrent au-dessus de la cour. Canards et poules, en
nombre important, y laissèrent des ... plumes. Le chien fut tué devant sa
niche et l'âne, dans l'écurie, très sérieusement blessé aux oreilles.
Heureusement, à l'intérieur de la ferme, personne ne fut touché.
Mais le lendemain soir, deux soldats nous firent savoir que nous avions un quart
d'heure pour quitter les lieux.
Le 8 juillet, presque un mois, jour pour jour, après l'avoir quitté, nous
retrouvions notre logement de Saint-Lô. Mais le 9, au matin - et ce fut, je
crois, le sort de nombreux saint-lois - les allemands nous expulsèrent de la
ville. L'exode commençait ".
Témoignage de Mr Jean Mignon qui avait 14 ans à ce moment.
Page extraite de 44 jours en 1944
(voir bibliographie)