La prise de Saint-Lô
18 juillet 1944
Tout le travail de préparation n'était pas achevé, tant que Saint-Lô restait aux
mains de l'ennemi. Ce croisement vital était indispensable à la première armée pour relier ses différents corps et lui donner toute liberté de manœuvre.
Aussi, après une journée de pause, le 14 juillet, la lutte reprit, dès l'aube du lendemain, à l'est de la Vire, pour la possession de la ville.
Le général Corlett, commandant le XIXe corps, fit attaquer Saint-Lô, dans deux directions, du nord et de l'est ;
la 35e division s'avançant dans la boucle de la Vire, entre cette rivière et la route d'Isigny ; la 29e au-delà de cette
route, jusqu'à celle de Bayeux-Saint-Lô.
Dans ce secteur à l'Est, le 116e d'Infanterie avançait le long de la crête qui se termine par le village de
Martinville, un hameau d'une dizaine de feux à quelque trois kilomètres de Saint-Lô, et à 800 mètres au nord de la grande route. Copieusement
arrosés par l'artillerie adverse, les bataillons du 116e n'avancèrent que faiblement. En fin de soirée, l'ordre vint de se fixer sur les positions
conquises. Mais le 2e bataillon, n'ayant pas été touché par l'ordre, continuait d'avancer et se trouvait bientôt à cheval sur la route
de Bayeux, un peu en arrière du carrefour de La Madeleine, environné de tous côtés par l'ennemi, et deux jours durant, il devait rester dans cette
situation critique
Le 16, les parachutistes allemands, qui tenaient toujours le village, lancèrent deux sérieuses contre-attaques, soutenues par
des tanks, le 116e ne put que se tenir sur la défensive, tandis qu'à sa droite, le 115e essayait inutilement de pousser de
l'avant.
Le 17, à 4 h 30, le 3e bataillon du major Howie, attaquait en direction de la route de Bayeux, pour rejoindre celui du major
Bingham, toujours isolé. Ils devaient ensuite tous les deux s'orienter vers Saint-Lô. Silencieusement, sans aucunement riposter à l'artillerie
adverse, favorisé d'ailleurs par le brouillard matinal et par la chance, le Major Howie se faufila entre les lignes allemandes et atteignit la
Madeleine, à 6 heures, en avant du 2e bataillon. C'est ce dernier qui devait marcher en pointe vers la ville Mais les forces du major
Bingham n'étaient plus de taille à mener l'affaire. Le major Howie se préparait donc à faire front, quand il fut tué par un obusier. Les deux
bataillons isolés durent repousser des contre-attaques. Le soir, en face d'eux, une grosse concentration ennemie, décelée à temps, fut écrasée
par l'aviation de bombardement, ce qui raffermit grandement le moral des hommes.
Toute la journée du 17 se passa en tentatives pour débloquer les deux bataillons. Heureusement, dans une situation aussi
confuse, les allemands n'eurent pas, semble t-il, une nette conscience de la périlleuse aventure des troupes qu'ils encerclaient. Le 175e
attaqua, sans succès, en arrière, par la route de Bayeux, pour essayer de les rejoindre Le 115e, à l'est de la route d'Isigny, fut plus
heureux. Mais le mouvement tournant qui permit à son second bataillon d'atteindre, en pleine nuit, le village de la planche, au sud du
Cauchais, se produisit trop tard Il seconda néanmoins l'effort du 116e, le lendemain, pour secourir les deux bataillons encerclés.
Un corps de 40 volontaires réussit, en effet, à la faveur de la nuit, à rejoindre les deux bataillons Un corridor put être
établi, le matin du 18, entre la colline de Martinville et la grande route, qui facilita le ravitaillement et l'évacuation des blessés du groupe
isolé.
En somme, à la soirée du 17, la 29e division était au seuil de la victoire Elle tenait toutes les collines qui
menaient directement à la ville ruinée. Le 137e, à l'aile droite, dépassait Rampan, dans la nuit du 17 au 18. Le 16 et le 17, les
allemands avaient été chassés de leur forte position du Carillon, y abandonnant une grosse quantité de matériel.
Très tôt, le matin du 18, le général Corlett demanda au Général Gerhardt de s'emparer de saint-Lô et d'en assurer la
défense. L'attaque devait être confiée à un corps spécial (Task Force C) équipé pour manœuvrer rapidement et commandé par le Général Cota.
Il comprenait un groupe de reconnaissance, des tanks, des canons antichars, et du génie Il rallierait l'unité d'infanterie qui se serait, la
première, la plus rapprochée de la ville.
Ce fut le 115e régiment qui gagna cette course au clocher, trouvant là sa récompense pour les journées de durs
combats payés de maigres gains. Tandis que son 3e bataillon était à Martinville, le 2ème attaquait au sud de la planche, et
le 1er, longeant la route d'Isigny, et faisant de rapides progrès, surmontait la résistance de groupes isolés, et s'assurait la hauteur
à l'ouest de la route, près de Saint-Georges-de-Montcocq. De là, il dominait la ville ; déjà même ses patrouilles se battaient dans les faubourg
Nord-est et faisaient des sondages vers la ville
À 15 heures donc, le corps spécial, alerté, partait de son point de concentration près de Couvains et rejoignait la route
d'Isigny, où le major Johns commandant le 1er bataillon du 115e, ayant reçu l'ordre d'obliquer carrément sur sa gauche, le rencontrait
au premier tournant de la route Les fantassins, rangés à la file indienne, de chaque côté de la route, escortaient les tanks. La colonne fut prise
en cible par un canon antichar, qui tirait depuis les premières maisons, mais que les canons de 37 réduisirent vite au silence. Dès lors les
rafales d'Artillerie ne cessèrent de pleuvoir à intervalles réguliers, particulièrement au pont du moulin Bérot. Il était 18 heures, quand la
colonne, débouchant de la route d'Isigny, pénétrait au carrefour de la bascule.
La place Sainte-Croix, relativement peu touchée par le bombardement, avait été choisie comme base des opérations à
l'intérieur de la ville. Immédiatement, trois points furent fortifiés : un, au carrefour de la bascule où s'établit la poste de commandement, un
second au pont sur la Dollée ; un troisième sur le champ de mars, au débouché de la rue des Noyers. En Outre, 17 autres points de résistance
furent constitués, avec des blindés au endroits cruciaux. À 19 heures, Saint-Lô était fermement occupé.
Les allemands furent surpris par la rapidité et l'audace de la manœuvre du corps spécial. La vitesse avec laquelle il
atteignit la jonction des grandes routes à l'est de la ville, et avec laquelle il se répandit dans les différents quartiers, avant que l'artillerie
ait pu concentrer ses feux sur lui, fut un gros facteur de succès.
Sans doute, les américains n'occupaient qu'une carcasse, un squelette de ville, encombrée par surcroît de mille débris.
Mais ils étaient maîtres d'un croisement de routes, absolument indispensable pour la percée qu'ils méditaient déjà. C'est alors qu'ils purent
contempler, avec un effroi qu'ils n'ont pas dissimulé, l'étendue du désastre du 6 juin : c'était, dit le chroniqueur officiel du ministère de la
guerre américain, comme si la dure bataille de normandie s'était résumée là.
L'État-Major de la 1ère armée avait espéré que l'ennemi se replierait assez loin au sud, sur les hauteurs qui
précèdent Torigni. En fait, ils établirent leur ligne de résistance à un kilomètre seulement au sud de Saint-Lô, d'où, durant huit jours ils
continuèrent de déverser sur la ville le feu de leur artillerie.
Il faudra, pour les en déloger, l'éclatement de leur front, à l'Ouest de la Vire. Ce dernier secteur fut toujours
considéré par le général Hauser et son État-Major comme le nœud crucial de la bataille de Saint-Lô. C'est là qu'ils ont engagé la
meilleure de leurs divisions blindées : la panzer lehr Leurs communiqués ont trahi leurs craintes devant la pression des 9e et 30e
divisions américaines. Un des plus sombres est celui qui relate la poussée du général Hobbs au sud du Mesnil-Durand. La 7e armée
allemande a, du reste, avoué franchement que la bataille à l'Ouest de la Vire avait joué sa grosse part dans la chute de Saint-Lô.
Ce secteur leur ménageait encore une autre surprise.
Extrait " la percée américaine à l'ouest de Saint-Lô ".