Dans cet acte de foi collectif, au milieu de cette croisade moderne, le maquis du Vercors garde une place particulière. Cela tient non seulement au lieu géographique, non seulement au nombre des maquisards, plus de 5.000 luttant contre deux divisions allemandes acharnées à leur anéantissement avec des chars et des avions, 1 contre 5, contre 8, contre 10, mais surtout à l'esprit de sacrifice de ces hommes extraordinaires commandés par des chefs exceptionnels qui se nommaient Descour, Huet, Geyer, Pagézy, Costa de Beauregard, Chavant, Le Ray, Raoul, Bécoan, Pénin, Maguet, Israël, Zeller, Chabal, Cadillac, Montjamont, Roos, Fischer, Alkovitski, Ullmann, Jullien du Breuil, Dupont, Hardy, Cathala, etc. Des hommes d'élite commandés par des chefs d'élite, oeuvrant ensemble pour atteindre le même but ou le même idéal, on sait ce qu'une telle union peut donner dans l'armée comme dans les organisations civiles en temps de guerre comme en temps de paix.

Nous nous bornerons donc à retracer dans leurs grandes lignes les faits des derniers jours du Vercors, renvoyant le lecteur intéressé aux ouvrages d'ensemble qui ont paru sur ce sujet.

Le Vercors est bien connu des amateurs de sports d'hiver et des touristes auxquels des stations comme Lans, Villard-de-Lans, Antrans, Méaudre, Vassieux, etc., permettent d'agréables séjours. Ce plateau qui s'étend au sud-ouest de Grenoble sur plus de 950 kilomètres carrés, hérissé sur tout son pourtour extérieur de falaises qui le ceinturent d'une muraille infranchissable et au pied desquelles coulent en les entourant l'Isère, la Drôme, le Drac, possède une personnalité très à part. Il forme un réduit naturel, à une altitude moyenne de 1.216 mètres. Seuls des cols étroits et difficiles en permettent l'accès. Des sommets importants, tels le Grand-Veymont, 2.346 mètres, le Moucherotte, 1.895 mètres, le dominent, constituant d'excellents observatoires. Des forêts couvrent les quatre cinquièmes de sa superficie ; elles laissent entre elles des vallées plates, de vastes prairies qui peuvent servir à l'aviation de terrains d'atterrissage - à Vassieux, par exemple. De nombreuses localités s'y livrent à l'élevage du mouton. En outre ce massif préalpin, formé de marne et de calcaire, enferme des grottes profondes qu'ont creusées les eaux et la neige. Un tel plateau n'était-il pas prédestiné pour devenir un centre de résistance important ? La valeur stratégique de cet impératif géographique n'avait pas échappé à des chefs comme le général Delestraint et ses collaborateurs, et, auparavant, dès 1939, au général Olry, commandant de l'Armée des Alpes, ainsi qu'à son chef d'état-major, le général Mer. Ils avaient considéré le Vercors comme un des piliers de la position de résistance de l'Armée autant en vue d'une attaque italienne que lors de l'avance des panzers allemands débouchant de Lyon.

Aussitôt après l'armistice de 1940, un noyau de volontaires francs-tireurs, aidés par une population fidèle, s'était formé sur le plateau. Peu à peu grossi par des hommes que la Gestapo recherchait, il devint en 1942 le refuge de réfractaires du S.T.O. Puis, lorsque l'Armée de l'Armistice fut licenciée, des éléments militaires vinrent renforcer l'effectif qui comptait à l'époque près de cinq cents hommes. Des officiers et des sous-officiers d'active ou de réserve forment l'encadrement et font l'instruction. On y trouvedes éléments du 6e B.C.A., bataillon que le commandant de Reyniès aurait voulu reconstituer, des 12e et 14e B.C.A., des cavaliers du 11e cuirassiers, des anciens du 4e génie, du 2e d'artillerie... À côté de ces formations militaires ou militarisées, il existe un maquis civil, en liaison avec les maquis de la région environnante et que commande M. Y. Clément. Civils et militaires travaillent la main dans la main.

La résistance du plateau est organisée en deux camps : l'un Nord, l'autre Sud. L'instruction est active ; active aussi l'action contre l'ennemi. Destructions de matériel, déraillements de trains, coups de main sur les dépôts d'essence et d'habillement, embuscades... se succèdent. L'ennemi qui n'est pas sans savoir d'où lui viennent tous ces coups réagit. Il monte une attaque sur les Goulets dans le courant de l'hiver de 1943 ; il occupe Malleval, Saint-Julien, Les Baraques. Il pille, il massacre, il incendie puis il retourne vers ses cantonnements. En avril 1944, les miliciens s'installent à La Chapelle-en-Vercors et font régner la terreur dans les hameaux voisins : vol, emprisonnement, torture, exécution, leur zèle diabolique n'a pas de frein. Leurs forfaits perpétrés, ils rejoignirent leurs maîtres.

Ces actions locales commandent la prudence au maquis du Vercors. Les ordres sont sévères : défense absolue de se montrer, de se manifester. L'organisation se poursuivra dans l'ombre.

Quand arrive le 6 juin, jour J tant attendu, la mise sur pied des unités est terminée. Toutes les issues routières sont verrouillées. Le colonel Bayard, qui a un commandement régional, installe son P.C. sur le plateau, aux Brunets ; il confie le commandement militaire de l'ensemble du Vercors au chef d'escadron Hervieux, officier d'élite qui n'admet pas l'indiscipline et exige que le maquis soit aussi honnête qu'une véritable armée. Son P.C. se trouve à Saint-Martin avec le P.C. civil de M. Clément qui aura bientôt les attributions d'un préfet, car le plateau, isolé, devra s'administrer lui-même.

Dès le 9 juin, les unités formées par le Comité de Combat du Vercors (M. Clément) se rassemblent en certains points du plateau. Venant de Grenoble, de Romans, du Royans, du Vercors même, cinq compagnies civiles sont constituées. En quelques jours les effectifs passent de 500 à près de 3.000. Jusqu'au 20 juillet, l'afflux de volontaires se poursuivra sans interruption. L'effectif atteindra près de 5.000 combattants.

Le 13 juin, un bataillon allemand attaquant Saint-Nizier est tenu en respect puis est obligé de se replier. N'acceptant pas cet échec, l'ennemi fait connaître son intention de revenir en force. Dans la nuit, les maquisards reçoivent fort à propos de nombreuses armes que huit avions alliés parachutent. La défense du plateau s'en trouve améliorée. Le 15 juin au matin, les Allemands commencent leur seconde attaque sur Saint-Nizier. Très vite la bataille fait rage. L'ennemi, en force, avance, s'infiltre, tourne nos positions. A 10 heures, les résistants reçoivent l'ordre de repli. L'adjudant Chabal qui commande un groupe de chasseurs du 6e B.C.A. refuse de reculer ; il ne cédera à la pression adverse que dans l'après-midi. Les Allemands entrent dans Saint-Nizier qu'ils incendient presque totalement... Dans leur fureur, les nazis saisissent les cadavres de nos morts, déposés au Foyer municipal et déjà enfermés dans leurs cercueils, et les précipitent dans les flammes. Ces combats de trois jours nous ont coûté vingt-quatre morts. L'ennemi reste à Saint-Nizier et envoie des reconnaissances jusqu'à Villard-de-Lans puis redescend vers la plaine.

Un mois va se passer dans un calme relatif. Les officiers et les cadres en profitent pour pousser activement l'instruction de leurs hommes. Un groupe de volontaires polonais aménage le terrain d'atterrissage de Vassieux. Le commandant Hervieux après avoir organisé son état-major crée divers services : génie, transmissions... principalement le service de santé, installé à Saint-Martin et que dirigera le docteur Rigla puis le docteur Bernard. De son côté, M. Clément met sur pied le ravitaillement de la population du plateau, les transports, les Eaux et Forêts, la police, les P.T.T.... Il est l'animateur de l'organisation civile du plateau au même titre que le commandant Hervieux est celui de l'organisation militaire... Profondément patriote, il se dévoue depuis des mois pour la cause que nous défendons... Il ne recule devant aucun danger, avec un mépris total de la mort... Il rassemble les courages et les énergies... Quelques jeunes femmes courageuses servent d'infirmières, de secrétaires, d'agents de liaison. Telles Germaine Blum, Gaby et Jacqueline Groll, Lea Blain, Mme Jarrand, et d'autres, dont la conduite a été admirable au cours des combats.

Le 24 juin, une colonne ennemie pousse une reconnaissance offensive dans les gorges de Saint-Gervais-Rouvo. Bloquée par les hommes du commandant Philippe, elle se replie avec des pertes sensibles.

Le 25 au matin, trente-six Libérators lâchent plus de huit cents containers sur le terrain de Vassieux. D'autre part les parachutages de nuit continuent, venant d'Angleterre ou d'Afrique du Nord. L'armement en armes légères d'infanterie est assez satisfaisant mais manquent encore des mortiers et de l'artillerie. Du ciel tombent' aussi des parachutistes alliés qui ont des missions diverses et particulières. Un coup de main audacieux sur la caserne de l'Alma, à Grenoble, exécuté par le sous-lieutenant Bigot, permet de récupérer 350 tenues de chasseurs.

Le plateau isolé, morceau de France libre, a donc son organisation et sa vie propres. Le 11 juillet, les défenseurs du Vercors reçoivent du général Koenig un message qui leur montre qu'ils sont soutenus par les grands chefs et que leur rôle est de première importance, ... À vous, combattants F.F.I., dit ce message, aux courageuses populations du Vercors, qui vous assistent, j'adresse mes félicitations et le vœu de voir vos succès s'étendre au territoire tout entier. Toutefois, des avions à croix gammée survolent la région. Les Allemands, sans aucun doute, se préparent à attaquer. Ils viennent de mener une répression sanglante contre les maquis de l'Ain. Ils vont maintenant se tourner contre le Vercors. En effet, le 13 juillet, les premières bombes tombent sur Vassieux et La Chapelle. D'autre part, ils font de nombreuses reconnaissances des contreforts du plateau.

Le 14 juillet, vers 9 heures du matin, dans un ciel étincelant de soleil, quarante-huit forteresses volantes venues d'Angleterre, protégées par

des chasseurs partis d'Italie, lâchent plus de mille containers au-dessus de Vassieux. C'est un feu d'artifice de parachutes bleus, blancs, rouges qui vient souhaiter la Fête nationale au Vercors. Bien entendu, cette manifestation n'a pas échappé à l'occupant qui doit la considérer comme une provocation. Il ne tarde pas à montrer sa colère. Ses avions survolent Vassieux et, se succédant jusqu'à minuit, bombardent et mitraillent. A la nuit, les villages de Vassieux et de La Chapelle brûlent comme des torches, tandis que les équipes de ramassage essaient de retrouver les containers du matin éparpillés.

Ce 14 juillet 1944, les Armées alliées, si elles ont largement gagné la bataille des plages, progressent lentement dans un terrain difficile, et les troupes du Mur de l'Atlantique lancent de nombreuses contre-attaques locales. La base de départ pour la bataille de Normandie n'est pas encore conquise entièrement. La lutte est rude et par endroits indécise. Fort heureusement, l'arrivée des renforts allemands amenés de Belgique, de Hollande, du front de l'Est, du Sud de la France, est considérablement retardée non seulement par l'aviation alliée mais encore par l'action des F.F.I. qui ont saboté routes, ponts et voies ferrées. L'ennemi se sent traqué et, dans l'hypothèse d'un repli obligatoire, ne veut pas laisser derrière son front des éléments aussi fort que le Vercors, susceptibles d'attaquer ses arrières ou ses flancs. Il décide donc de liquider d'urgence ces poches dangereuses de résistants, et crée même des unités spécialisées à cet effet.

Toutefois, entre le 15 et le 20 juillet, le Vercors connaît quelques jours d'accalmie au cours desquels le dispositif défensif est parachevé tandis que de nouveaux volontaires affluent. Le commandant Hervieux a prévu depuis longtemps la menace allemande et s'attend à l'attaque d'un moment à l'autre. Le 20 juillet, les renseignements qui lui parviennent concordent : le Vercors est encerclé. L'ennemi est à Saint-Gervais, à Cognin, à Saint-Nazaire, à Saint-Romans, à Iseron, à Saint-Quentin. Il occupe fortement Saint-Nizier. Au Sud, il marche sur Die par Livron-sur-Crest et Luz-La-Croix-Haute vers les cols de Grimone et de Menée. Sur les routes, on aperçoit de fortes colonnes qui font prévoir l'importance des effectifs qui seront engagés. S'il n'y a aucun doute à avoir sur l'imminence d'une attaque décisive, on ne doit pas non plus nourrir le moindre espoir d'être secouru. De Londres, d'Alger ou d'Italie, le commandement allié ne peut rien faire pour aider ces cinq mille résistants. Ils sont seuls avec leurs effets déchirés et leurs souliers troués, ils seront seuls à se battre avec leur armement incomplet, bien-tôt seuls avec la mort pour jouer le drame ultime. Mais, comme leurs anciens de Valmy, de Fleurus, de Castiglione, de Rivoli... ils auront la foi, et l'ardeur, et le courage de ceux qui savent se sacrifier pour la liberté de leur patrie.

L'affaire commença le 21, vers 8 heures du matin. Sous la pluie. La 1re compagnie du B.C.A., commandée par le capitaine Duffau (Bordenave) qui garde les principaux passages assurant les défenses de la vallée d'Autrans-Méandre, reçoit les premiers coups de feu. En même temps l'ennemi avance vers Jaume ; un moment stoppé par les hommes du sous-lieutenant Noël (Cheynis), il poursuit bientôt sa progression d'une part vers Autrans, d'autre part vers Villard-de-Lans et Corrençon. À l'autre extrémité du plateau de petites colonnes allemandes avancent dans la direction du Grand-Veymont qui permet de pénétrer à l'intérieur du Vercors. Vers 9 h 30, vingt avions à croix gammée, remorquant chacun un planeur, venant du Sud, foncent sur Vassieux. Vingt planeurs atterrissent, et en un clin d'oeil les assaillants, des SS de Strasbourg, occupent les hameaux de La Mure, Jossaulx, Le Château, Les Chaux. Cette attaque est si bien préparée que les défenseurs n'ont pas le temps de réagir, et l'ennemi se livre à un carnage sans nom. Plus de cent maquisards sont massacrés et soixante-seize civils, vieillards, femmes, enfants, assassinés. Sur l'ordre du commandant Hervieux, le capitaine Thivollet rassemble les unités de réserve pour contre-attaquer : quatre cents hommes en tout et pour tout. Pendant ce temps, au Nord du plateau l'infiltration allemande continue méthodiquement, implacablement. Ce sont des bataillons de la 157e division d'infanterie de montagne, aux ordres du général Pflaum, unités d'élite qui connaissent parfaitement le combat en montagne. A 11 heures, ils approchent de la Croix-Perrin et tentent de progresser vers les débouchés des gorges de la Bourne sur Villard-de-Lans. La 3e compagnie du 6e B.C.A., commandée par le capitaine Brisac, essaie de stopper cette avance. Vers midi, l'ennemi occupe Corrençon et se heurte aux chasseurs du capitaine Goderville. L'après-midi, les Allemands occupent La Croix-Perrin et poursuivent jusqu'à Autrans où ils pénètrent vers 17 heures, malgré une défense acharnée. Au Sud-Est le combat fait rage aux Pas des Chattons et de La Selle, depuis 10 heures du matin. Après une escalade difficile dans les rochers abrupts, les assaillants finissent par y prendre pied. Au Sud, dans la vallée de la Drôme, l'étranglement ennemi se poursuit. Die est toujours à nous. Entre-temps, l'attaque du capitaine Thivollet sur Vassieux, qui a absorbé toutes les modestes réserves du plateau, a échoué faute de mortiers et d'artillerie.

Tel est le bilan de cette première journée de combat.

Submergés par le nombre, pris dans une souricière par deux divisions bien aguerries et bien armées, l'une sur le plateau, l'autre sur les contreforts, les maquisards se sont battus avec ardeur mais ils n'ont eu pour se défendre que de, armes légères d'infanterie. La pluie a collé leurs vêtements sur la peau. Dans le soir venu, ils grelottent de froid. Leur moral, certes, demeure très élevé niais les pertes ont été lourdes. La situation est extrêmement grave. Comment en sortir ? Cependant il faut en sortir. Le commandant Hervieux, qui a pris l'avis de plusieurs officiers et de M. Clément, envisage trois solutions . tenter une percée en force à travers les lignes ennemies, mais il faudrait au préalable rassembler les unités qui se trouvent engagées sur deux cents kilomètres de front. Or le temps presse. La seconde solution serait de tenter des percées par petits groupes ; cette dispersion des efforts aboutirait peut-être à un massacre. La troisième consisterait à se battre jusqu'à épuisement des munitions puis à se replier sur ordre à l'intérieur du massif, en dehors de toute localité, créer le vide devant l'ennemi et mener la tactique de la guérilla. Cette dernière solution est adoptée. Malheureusement elle ne sera pas comprise par tous, surtout par les jeunes maquisards qui n'ont encore jamais pris le maquis. Reste la question de l'hôpital où sont soignés une quarantaine de blessés. Il sera évacué sur Die, si c'est possible, ou caché dans l'immense grotte de la Luire, à l'écart de la route de Saint-Angan à Rousset.

Le 22 juillet, dès l'aube, les avions allemands recommencent à bombarder, à mitrailler, à observer. À terre, la pression ennemie reprend, s'accentue. Le dispositif défensif du plateau est modifié en conséquence. On renforce les points les plus importants comme les débouchés ouest et sud de Corrençon qui tiennent l'accès de l'artère principale du Vercors et Valchevrière qui commande la seule route carrossable du plateau. Si la matinée se déroule sans incidents, vers 15 heures les Allemands envoient vers Valchevrière une forte reconnaissance appuyée par un feu nourri. Les nôtres se replient, puis les hommes de la compagnie Chabal contre-attaquent et rétablissent la situation. À Vassieux, l'assaillant a été renforcé ; nos contre-attaques échouent. Au Sud-Est, sur les Pas, l'ennemi a pris pied solidement et partout il a gagné du terrain.

Au deuxième soir de combat, l'étau s'est fortement resserré sur les maquisards qui, l'estomac vide, les effets ruisselants, car la pluie n'a pas cessé depuis la veille, les nerfs tendus, sont exténués. Toute la nuit, les patrouilles allemandes circulent, harcèlent. Au matin du 23 juillet, le combat reprend dès 6 heures. Les mortiers ennemis entrent en action. Des unités que commande le général Pflaum, certaines sont motorisées, d'autres possèdent des mulets pour le transport du matériel. Valchevrière et Herbouilly sont particulièrement pressés. Au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, l'assaillant s'infiltre, progresse malgré la résistance des F.F.I. De Valchevrière au Grand Veymont se livre une violente bataille. Mais bientôt notre front est rompu. Nos pertes sont élevées. Malgré les siennes, très importantes aussi, l'ennemi pousuit l'encerclement. Die est occupé. Dans les bois, nos hommes sont entourés de bruits de pas lourds, de bruits de branches cassées, de glissements. L'assaillant est partout. Nous avons été forcés d'abandonner nos observatoires, nos positions. L'état-major du commandant Hervieux se replie en forêt de Lente après avoir mis le feu à un magasin où se trouvaient encore quelques explosifs et quelques munitions. L'hôpital a été obligé de s'installer dans la grotte de la Luire. De tous côtés la lutte est acharnée mais combien inégale. Comme ils en ont reçu l'ordre, les maquisards, la rage au coeur, se replient par petits groupes dans les coins les plus reculés de la montagne. Les hommes de l'élément encerclés dans la grotte du Pas de l'Aiguille, plus ou moins blessés mais décidés à se battre jusqu'à la mort, brûlent leurs papiers et leurs souvenirs, et chantent à tue-tête la Marseillaise.

Champ clos où deux volontés contraires se sont affrontées sans quartier tout le jour, le Vercors au soir de ce 23 juillet tragique est un champ de bataille sinistre qu'éclairent de lueurs mouvantes les incendies des villages, et nos voitures qui flambent sur les routes. Les unités militarisées sont redevenues des groupes (le résistants qui regagnent comme ils peuvent leur zone de dispersion. Les Allemands se sont emparés de l'axe central de Saint-Julien à Vassieux. Ils sont maîtres du plateau. Ils se livrent à des atrocités sur tout être vivant qu'ils rencontrent. Bientôt, les ruines fumantes des villages recouvrent des charniers, des cadavres pourrissent dans les bois. Dans la grotte de la Luire, une quarantaine de blessés ont pu être groupés avec trois médecins, les docteurs Fischer, Gaminède et Ullmann, l'aumônier, le R.P. de Montcheuil, neuf infirmières. Le 27 au matin, un avion survole la grotte. Des traîtres collaborateurs ont renseigné l'ennemi. À 16 h 30, les Allemands y pénètrent. Et le massacre commence. Quatorze grands blessés sont assassinés sur place, dix autres achevés au hameau du Rousset ; les médecins, sauf le docteur Ganimède, très âgé, sont fusillés à Grenoble, sept infirmières déportées à Ravensbrück. L'ennemi occupe solidement le plateau, le ratisse avec acharnement comme il en a reçu l'ordre. Tandis que plusieurs de nos groupes peuvent échapper miraculeusement aux recherches, d'autres tombent dans ses filets, et sont exécutés sur place. Ainsi meurent l'écrivain Jean Prévost et le poète et auteur dramatique Jullien du Breuil.