J'ai lu avec émotion ce journal écrit avec la plume de la vérité dans le style du combattant qui a vécu le drame du Vercors.

Rien à ajouter, sinon ce poème un peu nostalgique qui traduit bien un état d'âme et résume tous les sentiments qui sont nés de la lecture de ce récit sobre, concis, précis et vrai.

À mon Pays

Ma France

Étoile incrustée de villages

Et qui meurt, d'être sans frontière

Je voudrais pouvoir te réduire

Malgré le monde et les nations

Au département de mon cœur.

Mes sentiments d'affectueuse amitié et avec l'auteur, mon cher Jo, élevons nos pensées vers des horizons d'avenir sous le signe de notre croix désormais sacrée.

Bien fidèlement,

GEYER LA THIVOLLET.


Je n'ai pas la prétention, dans les lignes qui vont suivre, de vous faire le récit de la tragique " Histoire du Vercors " ; d'autres personnes plus qualifiées que moi l'ont sans doute déjà fait.

Par des événements notés au jour le jour, j'ai voulu faire revivre la vie du maquis, telle que nous l'avons vécue simples maquisards.

La camaraderie n'était pas un vain mot, il y avait entre nous une communion d'esprit que je n'ai jamais retrouvée par la suite. Guidés par la Foi qui fut pour nous une certitude permanente, nous nous sommes comportés en hommes d'honneur à qui la défaillance n'était pas permise.

À mes compagnons disparus, authentiques héros de la grandiose épopée du Vercors, il faut que le sacrifice de votre vie ne soit pas resté vain.

Engagé le 10 octobre 1942, à l'âge de 18 ans, dans l'armée de l'Armistice, au 405e R. D. A. T., je suis affecté au fort de Saint-Genis-Laval, près de Lyon, à la 270e batterie, commandée par un jeune officier, le capitaine Fould.

Démobilisé le 4 décembre, je reste en étroit contact avec lui, et au cours de l'une de mes nombreuses visites à l'Hôtel des Archers où il s'est installé, je lui donne ma parole qu'en cas de " coup dur " il peut compter sur moi.

Vous dire pourquoi j'eus confiance en cet officier que jamais je ne vis sans uniforme me serait bien difficile ! Toujours est-il que grâce à lui je fis mon entrée dans la Résistance.

Le 3 janvier 1944 mon frère, âgé de 17 ans, est arrêté par la Gestapo et interné au fort Montluc. Avec trois de ses compagnons, le 25 janvier, il est dirigé sur l'Allemagne. Deux ne reviendront pas, dont un camarade d'enfance nommé Maïa.

Double choc pour ma mère !

Je reçois la visite du capitaine " Dupont ", frère de mon ancien chef, qui me demande de rejoindre le Vercors au plus tôt. Sur 17 camarades contactés et d'accord pour partir, et bien que n'étant ni réfractaire, ni en danger, il n'y a que Lucien Dumont qui, au dernier moment, accepte de m'accompagner.

Ma mère nous ayant rejoints (je ne sais comment) dans le café où nous avions rendez-vous, me prend mon paquet dans lequel j'avais rangé quelques effets et du linge de corps, et menace de me dénoncer si je pars. L'heure du départ étant proche, et sachant fort bien que ma mère n'en fera rien (d'ailleurs elle ignore où je vais), c'est au pas de course que nous gagnons la gare de Perrache, où nous arrivons juste au moment où le train démarre.

Le peu d'argent que nous avons en poche nous sert à régler la chambre de l'hôtel où nous passons la nuit à Romans et qui est occupé par les Allemands.

N'ayant rien mangé depuis la veille, par la route nationale recouverte de neige et à pied, nous gagnons Saint-Martin-en-Vercors distant de 45 kilomètres. À Sainte-Eulalie, le facteur à qui nous demandons notre route, nous lance :

- Aller à Saint-Martin !... Mais vous êtes fous !... Il y a plus d'un mètre de neige sur la route, depuis trois jours le courrier ne descend plus et vous voulez monter ?... C'est de la folie !

Malgré les recommandations de ce brave homme, nous continuons notre route et arrivons dans la soirée à Saint-Martin-en-Vercors. Une courte halte à l'Hôtel Breyton, où après échange du mot de passe, le propriétaire nous indique la piste à suivre. Quelques instants plus tard, à un détour du sentier, nous tombons sur une sentinelle qui, mitraillette dans le dos, nous emmène aux " Combes ", où se trouve installé au milieu d'une clairière et dans une ferme abandonnée le P. C. du capitaine Thivollet.

Nous sommes accueillis par des jeunes gens vêtus de pantalons militaires et de pull-over noirs sur lesquels l'on distingue au milieu de la poitrine, une tête de mort, insigne des Corps Francs. Aux murs, rangés avec ordre et reluisants comme pour la parade, sont accrochés des fusils et des mitraillettes. Se serrant pour nous faire de la place, nous approchons de l'âtre où brûle une grosse bûche de bois et nous sympathisons avec nos nouveaux camarades.

L'homme, Rolly, à qui je m'étais adressé en arrivant, nous prie de le suivre au premier étage et nous introduit dans un bureau. Un jeune officier d'une trentaine d'années, blond, au regard clair comme le bleu de ses yeux, est là tout souriant. Derrière lui, accroché au mur, le fanion de son escadron avec la fière devise du 11e Régiment de Cuirassiers : " Toujours au chemin de l'honneur ". Près de lui se trouvent le sous-lieutenant Moine, et Rose, agent de liaison. Nous nous présentons et donnons le mot de passe. Le capitaine, que l'on a surnommé le Bournazel du Vercors, nous tend la main et, souriant, répond :

- Capitaine Thivollet.

Le capitaine, de son vrai nom Geyer, sorti de l'école de Cavalerie de Saumur, major de sa promotion en équitation, dès 1940, jeune officier, se battit sans espoir de la Somme à la Seine. Six citations dont trois avec palmes vinrent récompenser sa brillante conduite.

Le 27 novembre 1942, la Wehrmacht envahit la zone libre et démobilisa l'armée française. Le capitaine Geyer, de permanence au quartier, frémit d'indignation et s'enfuit. Malgré les gardes, les patrouilles, il s'empara de l'étendard du 11e Cuir et partit en emmenant son cheval, car il était cavalier.

En deux étapes, il abattit 80 kilomètres et atteignit Le Grand-Serre, dans la Drôme, où il se réfugia dans la forêt de Thivollet à laquelle il emprunta son nom. Il connaissait cette région du Vercors, forteresse naturelle, et l'a choisie pour fonder le premier maquis de France. Au cours de plusieurs voyages à Lyon, il racola ses anciens camarades, ses anciens soldats et reconstitua partiellement, sous le nom de Premier Corps Franc, le 11e Cuir.

En janvier 1944, désigné par le colonel Bayard comme chef militaire du Vercors, Thivollet reçut l'ordre de gagner le plateau qu'il transforma en une véritable forteresse.

... Donc, après nous avoir décrit la vie rude des camps, les sacrifices qu'il nous faudra consentir et le rôle que nous aurons à jouer dans la lutte contre l'occupant, le capitaine nous affecte et nous fait conduire au camp Bourgeois où nous sommes très bien accueillis.

Les messages venant de passer, nos camarades partent pour la nuit sur le terrain de parachutage, pendant que Lucien et moi, allons nous coucher après avoir mangé une bonne soupe.

À notre réveil, nous apprenons que, par suite du mauvais temps, le parachutage n'a pas eu lieu.

Mercredi 20 janvier.

Dans une traction pilotée par un Français requis, le directeur du bureau de placement allemand de Valence monte faire une excursion dans le Vercors en compagnie d'un autre Allemand et d'un Hollandais. Une embuscade est aussitôt tendue. La voiture refusant de stopper aux sommations, le groupe des Grands Goulets ouvre le feu, blessant le chauffeur et le directeur du bureau de placement allemand. Les prisonniers, ramenés au camp, sont gardés comme otages.

Le réservoir dans lequel est récupérée l'eau de pluie étant vide, nous sommes contraints, aussi bien pour boire que pour la cuisine, de faire fondre la neige.

Vendredi 22 janvier.

La route étant praticable, une colonne de 300 Allemands, formée de blindés et de camions, se dirige sur le plateau par les Grands Goulets. Le commandant Thivollet, prévenu, envoie, sous les ordres du lieutenant François, quelques hommes armés de mitraillettes. L'accrochage a lieu près d'Echevis et nos hommes, camouflés derrière les rochers, fidèles à la tactique de la guérilla, des Petits aux Grands Goulets, harcèlent l'ennemi, puis à court de munitions, se replient sans perte. L'ennemi, furieux de cet échec, ayant plus de 25 hommes hors de combat, brûle Les Baraques-en-Vercors.

Un jeune Saint-Cyrien, le sous-lieutenant Roure parti en patrouille, est pris entre deux groupes d'Allemands qui le criblent de balles. Le corps ramené aux Combes est enterré près du P. C. avec tous les honneurs militaires.

Mercredi 10 février.

Une expédition part en plein jour effectuer un " coup de main " d'essence préparé et convenu avec le pompiste. Surpris par les gendarmes sans doute prévenus, notre camarade Page, de La Côte-Saint-André, est grièvement blessé d'une balle dans la cuisse. Nous ne pouvons riposter, car ils sont cachés derrière la population qui nous acclame.

Mercredi 8 mars.

Instruction. Camouflage de matériel et tours de garde habituels, c'est-à-dire 2 heures de jour, 2 heures de nuit.

Jeudi 9 mars.

Classe à pied. Maniement d'armes. Instruction. Garde. Le soir, préparation des feux en prévision du parachutage.

Vendredi 10 mars.

Dans la nuit alerte au camp. Préparatifs de départ, mais le calme revient dans la matinée. Exercices en campagne. Manœuvres de guérillas. Garde.

Samedi 11 mars.

Affectation de Marrand à notre peloton. Revue de détail. Théorie sur la grenade et la gammon (plastic). Garde. Le soir, je pars en liaison au P. C. et je passe la nuit sur le terrain de parachutage.

Dimanche 12 mars.

Repos au camp. Afin de me distraire et de me maintenir en bonne condition physique, muni d'une cognée, j'abats des arbres. Garde. Le soir, parachutage à Vassieux.

Lundi 13 mars.

Instruction. Garde. Visite par le médecin-capitaine Ferrier. Revue. Je pars comme tous les soirs en liaison au P. C.

Mardi 14 mars.

Exercice en campagne. Instruction. Classe à pied. Garde. Liaison au P. C. pour écouter les messages.

Mercredi 15 mars.

Instruction. Classe à pied. Garde et corvées habituelles. Liaison au P. C.

Jeudi 16 mars.

Maniement d'armes. Instruction. Garde. Le soir, parachutage d'armes américaines et anglaises.

Docteur Fischer, capturé à la grotte de La Luire et fusillé.

Vendredi 17 mars.

Toute la journée, récupération du matériel parachuté.

Samedi 18 mars.

Sept heures. Le crépitement d'une fusillade nous fait sursauter. Un bruit court.., hélas ! réalité ! Le Q. G. de Saint-Julien a été vendu ! Attaqué par plus de 25 camions et auto-mitrailleuses, le P. C. saute par les mines. En compagnie d'Yves qui dirige la patrouille, je pars avec René, Arnaud, Marc et Picard.

Yves me place seul près de la ferme de Mme Gauthier. À plat ventre dans la neige, le doigt sur la détente, j'ai l'ordre de surveiller, mais de ne pas tirer pour ne pas attirer l'attention de l'ennemi. Soudain, je vois Mme Gauthier chassée de sa maison et poursuivie par les Allemands, se mettre à genoux dans la neige ; elle est à une vingtaine de mètres de mon fusil, tantôt joignant les mains en signe de prière, tantôt se tenant la tête en criant, on dirait que l'on va la fusiller. Ayant l'ordre de ne pas tirer, je fais un signe d'appel à Yves qui aussitôt me rejoint.

- S'ils la mettent en joue, me dit-il, on tire quand même !

Côte à côte dans la neige, l'œil sur le viseur, nous attendons. Mais la fouille terminée, les Allemands partent aussitôt. Ils passent en courant devant nos fusils, ils sont une douzaine seulement et l'on a une envie folle de tirer. Des " Briacs ", nous continuons notre patrouille. Le Q. G., les Combes ainsi que trois fermes sont la proie des flammes.

Au retour, nous passons par notre cantonnement où je détruis l'adresse de ma mère que j'avais laissée sur un papier d'emballage.

Rejoignant nos camarades, nous restons 24 heures dans la neige. Cémoi a les pieds gelés.

On apprend que Leroy, dit " Pompier ", caché dans le fenil, s'est laissé brûler vif afin d'éviter par sa présence des ennuis au fermier, et que Gadon, dit " Fillette ", a été martyrisé. Bébert, un Parisien, réussit à abattre deux Allemands avant de se faire tuer à son tour. Les Allemands, furieux, veulent se venger sur le fils d'un fermier. Celui-ci intervient et se fait fusiller à sa place sous les yeux épouvantés de sa femme. Il meurt héroïquement en criant :

- À bas l'Allemagne et Vive la France !

Pertes chez nous : 3 officiers, 3 hommes. Allemands : 2 morts.

Dimanche 19 mars.

Ma fête : mes camarades m'offrent une bouteille de clairette de Die. Le soir, la radio de Londres passe le message :

" Les cavaliers sont de bons soldats ", annonçant le parachutage. Perception du nouveau matériel parachuté, fusils anglais et américains.

Déménagement et marche très pénible sur le " Revoullat ". Garde.

Lundi 20 mars.

Repos au camp avec le groupe Philippe (futur 6e B. C. A.). Le peloton passe sous le commandement de Cros.

Mardi 21mars.

Repos au camp. Le soir, je vais en liaison au Grioux avec Cémoi.

Mercredi 22 mars.

Reprise du travail. Reconnaissance des nouveaux lieux et des environs. Départ du groupe Philippe. Je descends au P. C. pour renseignements.

Jeudi 23 mars.

Instruction sur les explosifs et pièges. Maniement d'armes.

Vendredi 24 mars.

Corvée de ravitaillement. Visite à l'ancien camp Seguin.

Samedi 25 mars.

Reconnaissance au camp voisin. Etat d'alerte.

Dimanche 26 mars.

Garde. Transport d'armes et camouflage de matériel. Le soir à 20 heures, déménagement, marche très fatigante sur la Maye.

Lundi 27 mars.

Installation du nouveau cantonnement. Affectation d'un prêtre, Gaston, au peloton.

Mardi 28 mars.

Corvée. Instruction. Tir.

Mercredi 29 mars.

Je fais troisième au lancement de la grenade, derrière Cros et Page ; je passe aux cuisines.

Jeudi 30 mars.

Corvée de ravitaillement au P. C.

Vendredi 31 mars.

Corvée d'armement. Antonelli part en permission, je lui prête ma montre et un pantalon civil. Il ne reviendra pas. Arnaud me rejoint aux cuisines.

Samedi 1er avril.

Instruction. Manœuvres. Tir au mortier, petits travaux.

Dimanche 2 avril.

Salut aux couleurs. À 11 heures, messe en l'honneur des derniers tués du maquis. Allocution par le commandant Lemoine (un bénédictin qui a quitté le cloître pour la Résistance).

Lundi 3 avril.

Corvée de lait. Travaux divers. Journée calme.

Mardi 4 avril.

Le soir, après le travail des cuisines, garde et patrouille. Corvée de lait au village, situé à 3 kilomètres.

Mercredi 5 avril.

Instruction. Patrouille à 4 heures du matin

Jeudi 6 avril.

Instruction et manœuvres. Perception de denrées alimentaires.

Vendredi 7 avril.

Instruction. Patrouille au Col de la Machine. Camouflage.

Samedi 8 avril.

Instruction. Très mauvais temps. Dimanche 9 avril.

Repos. Matin, préparation du repas des Corps Francs. 13 heures, repas dans une grande ambiance, nous sommes réunis pour la première fois sous la présidence du commandant Thivollet. Tour de chant de Chirat, d'un prisonnier italien et de moi-même.

Lundi 10 avril. Instruction, manœuvre.

Mardi 11 avril.

Travaux divers. Après-midi, instruction, aménagement position.

Mercredi 12 avril.

Classe à pied et patrouille en Forêt de Lente.

Jeudi 13 avril.

Travail en armes, préparatifs de départ. À 19 heures, départ de La Maye. Marche de nuit et camouflage.

Vendredi 14 avril.

Halte à 2 heures du matin ; nous couchons dans les bois. Nouveau départ à 7 heures du matin, pour la Côte 1224. Arrivée à 11 heures. Après-midi repos.

Samedi 15 avril.

Départ de la Côte 1224 (Bergerie Vignon) pour le Musant.

Dimanche 16 avril.

Installation du nouveau cantonnement. Perception d'une citerne d'alcool destinée aux Allemands. La citerne vide ayant été restituée, l'entreprise de transports Vacher, de Romans,

nous remet la somme de 1.000 francs en récompense.

Lundi 17 avril.

Nouvelle attaque du Vercors par les Allemands et la milice. Barrage des routes par les G. M. R. et les gardes mobiles. Les Allemands et les miliciens encerclent Pont-en-Royans, Saint-Jean et Saint-Nazaire-en-Royans. Notre ravitaillement est coupé.

Mardi 18 avril.

Suite des opérations, l'action se porte sur Omblèze. Pour nous, journée calme ; on commence à cueillir des pissenlits que l'on mange cuits à l'eau. Pas de pain.

Mercredi 19 avril.

Journée calme. Le camp d'Omblèze réussit à se retirer. Très mauvaise eau.

Jeudi 20 avril.

On part ; quatre hommes en patrouille, sur Orioi, Saint-Martin-le-Colonel. On arrête deux gardes mobiles ; bicyclette sur le dos, nous les faisons marcher à travers bois. Nous leur rendons leurs armes, puis nous les relâchons en leur faisant promettre de ne rien dire, mais ils parleront quand même. Au retour, nous croisons plusieurs patrouilles de gardes mobiles que l'on laisse passer.

Vendredi 21 avril.

Journée calme. Toujours des pissenlits, pas d'eau, garde.

Samedi 22 avril.

Apprenant que le camp d'Omblèze est encerclé, une expédition part aussitôt pour Le Chaffal et Moulin-la-Pipe. Il est 4 heures du matin ; après une marche très pénible à travers bois où l'on évite de justesse plusieurs patrouilles, sans halte nous arrivons à 15 h 30. Parti en reconnaissance sans camarade, au retour je manque de me faire descendre par une patrouille de chez nous venue à ma rencontre. Le Chaffal est occupé par des gardes mobiles qui logent dans le vieux Monastère.

Dimanche 23 avril.

À 6 heures, encerclement et attaque du Monastère ! Notre capitaine s'avance pour parlementer ; je le suis à une vingtaine de mètres avec des grenades et deux gammons. Entendant du bruit dans un coin, il s'approche. La sentinelle du Monastère est au W. C. Prenant notre capitaine pour un des leurs, elle lui demande ce qu'il fait dehors à cette heure. Le capitaine répond :

- J'attends que tu aies fini.

L'alarme est quand même donnée. Notre capitaine, parlant au chef de poste, lui dit :

- Rendez-vous, vous êtes cernés, nous sommes plus de 150 (nous étions une trentaine).

- Les gardes hésitent, jettent un coup d'œil sur leur F. M., mais leur chef m'apercevant avec une gammon dans chaque main, rétorque :

- Oh ! si vous y allez avec ça, ça va bien...

Ils se rendent donc sans résistance. On ne les désarme même pas. Ils sont très aimables, ils nous préparent un véritable repas et montent la garde à notre place. Avec Cros, j'accompagne trois gardes et un bûcheron espagnol au ravitaillement. Occupation de 6 heures à 14 heures. Patrouille au Moulin-de-la-Pipe et ses environs. Deux camarades sautent sur un piège (grenade). Il n'y en a qu'un de grièvement blessé. Très difficile retour par une pente abrupte, à cause du blessé que l'on a mis sur un brancard de fortune. Départ d'un groupe pour aller chercher de l'aide. Nous arrivons au camp à la nuit tombée.

Lundi 24 avril.

Récupération de la marche. Cémoi déserte. Maurice rejoint le peloton. Toujours pas de ravitaillement.

Mardi 25 avril.

Solbach, Bonnin et Bonner désertent. Mise à jour des paquetages et armes. Evasion du Hollandais prisonnier (arrêté par la Gestapo, il ne dira rien et sera fusillé peu de temps après, servant ainsi par son silence d'exemple à beaucoup de Français). Vu la diminution des effectifs, fusion en un seul, du premier et du deuxième peloton.

Mercredi 26 avril.

Désertion de Mayol, d'Yvan et d'un troisième. Patrouille à Léoncel. L'on ramène un petit tonneau de vin acheté à des bûcherons.

Jeudi 27 avril.

Deux nouvelles désertions. Repos. Toujours des pissenlits, pas d'eau ni de pain.

Vendredi 28 avril.

15 heures. Alerte. Les Allemands montent vers nous par La Bergerie-Vignon. Ils sont à une demi-heure de marche. Ordre nous est donné de faire le vide, car nous sommes encerclés. Dans la nuit, l'on réussit à passer à travers la ceinture ennemie. Marche sur le nouveau cantonnement.

Dimanche 30 avril.

À 2 heures du matin, halte dans le bois, près de Saint-Martin-le-Colonel. Repos jusqu'au matin. Marche sur le plateau de la Forêt de Lente, par le col de La Rochette. Arrivée en fin d'après-midi sur le nouveau cantonnement.

La nourriture ayant été nettement insuffisante, les hommes sont presque tous malades. Les moins durs calent et nous sommes obligés de les attendre. Aménagement du cantonnement.

Lundi 1er mai.

Matin, repos. Après-midi, salut aux couleurs. Le peloton de sous-officiers étant terminé, présentation des nouveaux promus à Didier par le commandant Thivollet.

Mardi 2 mai.

Ravitaillement au stock camouflé de La Maye, où nous retrouvons nos anciens cantonnements tous brûlés par la milice. Marrand a été déterré par les miliciens. Un paysan, volontaire pour cacher les postes émetteurs avec l'aide de plusieurs maquisards, dès l'arrivée des miliciens leur montra l'emplacement. Peu de temps après, nous apprenons par les journaux qu'un paysan a été trouvé mort chez lui, tué de plusieurs balles de revolver. Retour dans la soirée.

Mercredi 3 mai.

À l'aube, ravitaillement. Théorie d'armement.

Didier, de son vrai nom Chambonnet, père de cinq enfants, arrêté par la Gestapo en compagnie de quatre camarades, fut tué place Bellecour devant le café du Moulin à Vent, à quelques jours de la Libération.

Je fais rentrer mon camarade Picard aux cuisines.

Jeudi 4 mai.

Le ravitaillement commence à s'améliorer. Théorie sur le mortier et les explosifs, manœuvre de guérillas.

Vendredi 5 mai.

Départ pour mission à Romans, avec Yves, Arnaud et Ravassot. Nous installons notre point de chute à Charpey, chez un Russe nommé Paul. Mission : nous devons faire passer de notre côté avec leurs équipements, les Russes qui se trouvent dans la garnison allemande. Ce sont presque tous des Cosaques.

Samedi 6 mai.

Journée calme. On tâte le terrain.

Dimanche 7 mai.

Les premiers rapports sont très amicaux. Rafles par la milice. Bien que n'ayant pour papiers qu'un 6,35, Ravassot et moi restons à Romans et profitons de notre passage dans cette ville pour visiter le Bureau de placement allemand.

Lundi 8 mai.

Les Russes sont prêts. Ravassot et moi remontons au camp, à pied, en rendre compte au Commandant Thivollet.

Mardi 9 mai.

Les Russes occupés à la caserne, il nous est impossible de les joindre. Avec une chemise kaki, un blouson du maquis, des chaussures anglaises parachutées, n'ayant pour tout habit civil qu'un vieux pantalon, le sous-lieutenant Moine m'envoie trouver le chef allemand. Mission : faire sortir le chef d'écurie avec des chevaux, le descendre à la sortie de la ville, puis ramener les chevaux au camp. Un litre de " gnole " dans un sac à provisions, je me présente. M'adressant aux soldats, je demande à voir leur chef. Quelques minutes après, je vois arriver un hercule, un gros Fedwebel ! Je lui demande s'il ne pourrait pas me vendre un peu de fumier ? Je me fais passer pour un domestique de ferme et lui dis que mon patron a une belle fille !... que nous ferons un bon repas et qu'il y aura beaucoup à boire...

Jetant un coup d'œil autour de lui, il m'entraîne dans un coin.

Là, je lui montre le litre de " gnole " et lui dis .

- Tiens, goûte ça !... C'est bon, hein ? Mon patron en a beaucoup !...

Tout heureux, il me dit :

- Vous passerez voir demain...

Jeudi 11 mai.

Les Russes ne veulent pas partir à pied. Ils désirent que l'on vienne les chercher en camion et que nous, nous emmenions les chevaux. Il m'est impossible de retourner voir mon fedwebel, car je dois monter rendre compte au Commandant.

Vendredi 12 mai.

Arrivée dans la nuit. Je fais aussitôt mon rapport. Le Commandant me dit que tout est d'accord. Je repars. Les Russes doivent être prêts pour 17 heures, une camionnette viendra les chercher. La camionnette étant en panne, nous attendons... mais en vain ! jusqu'à 20 heures... Le coup est raté.

Dans l'après-midi, je retourne voir mon Allemand. Des officiers étant venus la veille passer une inspection, le fumier a été débarrassé. L'Allemand est dépité.

Samedi 13 mai.

Nouveau contact avec les Russes. Avec Yves, je vais trouver le sous-lieutenant Moine. Un officier allemand nommé Simon et mon fedwebel passent à cheval en tournée d'inspection. Le lieutenant allemand monte une superbe jument russe, toute noire, nommée Emma. Ordre nous est donné (nous sommes en vélo) de les suivre, les descendre à l'extérieur de la ville, et de ramener les chevaux. Yves est armé d'un barillet 7,92 et moi de mon 6,35. Pour comble de malchance, une escorte les attend vers la gare ; le coup est encore manqué...

Dimanche 14 mai.

Retour à Charpey. Repos.

Lundi 15 mai.

Nouveau rapport avec les Russes. Tout va bien.

Mardi 16 mai.

Les Russes ayant été séparés, ne veulent partir que s'ils sont au complet.

Mercredi 17 mai.

L'on passe la soirée dans une ferme, à Saint-Vincent-de-Charpey, chez la femme d'un prisonnier, dont Arnaud fut le domestique. Avec Ravassot, je pars au camp.

Jeudi 18 mai.

Retour au camp vers 16 heures. Nouvel entretien. Les Russes sont prêts pour le lendemain 17 heures. Grande activité du côté allemand. Bruits de départ pour le Nord.

Vendredi 19 mai.

Mon anniversaire, j'ai 20 ans. À l'heure dite au lieu de rendez-vous, et ne voyant venir personne, nous allons au cantonnement allemand. À 9 heures du matin, en prévision du débarquement, les Russes avec quelques Allemands des garnisons de Romans et de Valence ont subitement embarqué à destination du Pas-de-Calais. Nous filons vers la gare où nous ne voyons qu'un seul Russe. Celui-ci, nous apercevant, fait un signe, descend du wagon, prend son fusil et sa vareuse qui étaient sur un wagon voisin et nous rejoint. Nous filons chez un civil russe qui nous prête un vélo et nous partons pour Charpey. Là, nous posons nos vélos et nous repartons aussitôt. Le Russe, qui se nomme Serge Chatannof, ne veut même pas manger. À 19 heures, à pied et par la route, Ravassot, Serge et moi rejoignons le camp.

Samedi 20 mai.

Ayant traversé Saint-Jean-en-Royans vers 6 heures où les gens nous prennent pour des miliciens, nous arrivons au camp à 9 heures et au P. C. du commandant à 11 heures. Le Russe est très bien accueilli.

Dimanche 21 mai.

Je reprends la cuisine avec mon camarade Picard. Le ravitaillement s'est nettement amélioré pendant notre absence, grâce à Honnard.

Lundi 22 mai.

Promenade à Saint-Jean-en-Royans.

Mardi 23 mai.

Matin : revue de paquetage. Inspection par le Commandant Thivollet.

Mercredi 24 mai.

Travaux habituels, nettoyage des armes, etc...

Jeudi 25 mai.

Journée calme. Théorie.

Vendredi 26 mai.

Corvée de ravitaillement. L'on voit passer les bombardiers qui se dirigent sur Lyon.

Samedi 27 mai.

On apprend que Lyon a été bombardé et qu'il y a de nombreux morts.

Dimanche 28 mai.

Très bon repas. Repos. Lundi 29 mai.

Yves, seul, capture aux Allemands la jument russe Emma du lieutenant Simon.

À l'aube, il se présente à l'écurie gardée par des prisonniers italiens. Revolver au poing, il fait seller le cheval par un soldat pendant qu'il tient les autres en respect. Il assiste alors à un triste spectacle. Les prisonniers se mettent à genoux et le supplient. S'il emmène le cheval, on va les fusiller. Après leur avoir fait promettre de ne rien dire ou du moins de ne pas donner l'alerte de suite, il s'en va. Son cheval tombe sur le pavé glissant, près du pont de Bourg-de-Péage, juste devant deux gendarmes. Ceux-ci ne se doutent de rien, regardent Yves se relever et le laissent partir. Il ramène le cheval au camp sans encombre.

Mardi 30 mai.

Vers 16 heures, alerte ; avec plusieurs camarades, je pars en patrouille. Rien à signaler.

Mercredi 31 mai.

Reconnaissance du nouveau point de chute en cas de départ sur Bouvante-le-Haut.

Jeudi 1er juin.

À 1 heure du matin, les Allemands font sauter la route entre La Vacherie et Chabeuil pour nous interdire l'accès de leur terrain d'aviation.

Vendredi 2 juin.

On attend les Allemands qui n'arrivent pas.

Samedi 3 juin.

Lucien prend le volant d'une camionnette que l'on vient de prendre à l'intendance militaire de Valence. Les messages de débarquement passent.

Dimanche 4 juin.

À 7 h 30, un avion anglais survole la vallée de Saint-Julien, Saint-Martin, La Chapelle-en-Vercors. Vers 15 heures, le lieutenant Michel (il sera fusillé peu de temps après), qui était descendu à Saint-Jean, se fait prendre par la Gestapo. Aussitôt prévenus, nous barrons toutes les routes, mais il est hélas trop tard. Une équipe envoyée à Romans revient bredouille. Il a été dirigé sur le fort Montluc, à Lyon.

Revue de paquetage, armes et munitions. On attend toujours le débarquement annoncé.

Mardi 6 juin.

Débarquement massif, depuis la pointe du jour, en Normandie.

Mercredi 7 juin.

Préparation de départ pour le plateau du Vercors.

Lundi 5 juin.

Jeudi 8 juin.

Départ. À peine arrivés au Grioux, sous une pluie battante l'on part en position aux Goules Noires.

Vendredi 9 juin.

Mauvais temps toute la journée ; les hommes, trempés, couchent dans la nature, sans aucun linge de rechange. Rentrant au camp, travaillant toute la nuit, je prépare près de 400 crêpes pour les copains. Arrivée de deux nouveaux : Grange, dit " Nénesse ", de Romans, et Ferrier, de Valence.

Samedi 10 juin.

Alerte. Renforcement du poste des Grands-Goulets.

Dimanche 11 juin.

Perception d'un milicien de Saint-Marcellin que nous gardons prisonnier et occupons à couper du bois.

Installation aux Baraques-en-Vercors. Arrivée en masse de jeunes recrues depuis le 8 juin.

De la poignée d'hommes que nous étions au début, nous passons à près de 4 000.

Lundi 12 juin.

Instruction aux jeunes recrues. Les Allemands attaquent du côté de Saint-Nizier-de-Moucherotte. Avec de grosses pertes, ils sont vaillamment repoussés par les Chasseurs du 6e B. C. A.

Mardi 13 juin.

Le peloton prend position aux Grands-Goulets. Perception d'un canon de 25 qui a été pris aux Allemands au camp de Chambarand, ainsi que trois autres canons de même calibre et deux chenillettes de ravitaillement d'infanterie.

Mercredi 14 juin.

Parachutage d'armes à La Maye. L'on apprend que Cémoi, qui était milicien, a été fusillé par le camp d'Omblèze, voici dans quelles circonstances :

Des maquisards, habillés en gardes mobiles, patrouillaient sur une route, lorsqu'ils rencontrèrent deux civils à allure bizarre. Ils les

arrêtèrent et leur demandèrent leurs papiers. Mais l'un d'eux se mit à invectiver les pseudo-gardes, il se vanta d'être chef de centaine à la milice et d'avoir vendu, au mois de mars, le Vercors, qu'actuellement il était en mission : il devait essayer d'entrer dans un camp. Il sortit un ordre de mission de ses chaussures. Les gardes leur demandèrent de les suivre jusqu'au poste. Là, les miliciens s'aperçurent de leur erreur, mais il était trop tard. Le chef de centaine se trouva être Cémoi (avec lequel j'étais allé en liaison le 21 mars) et qui avoua tout avec un certain cynisme.

Jeudi 15 juin.

Par l'artillerie lourde, de Saint-Nizier qu'ils occupent, les Allemands nous bombardent.

Vendredi 16 juin.

Patrouille allemande sur Villard-de-Lans. L'après-midi, ils approchent de nos positions des Goules-Noires.

Samedi 17 juin.

Repli des Allemands qui sont violemment pris à parti par des compagnies civiles. Fin de la bataille de Saint-Nizier. De nombreux morts du côté allemand. Chez nous, une quinzaine, causé surtout par des miliciens infiltrés dans nos rangs.

Dimanche 18 juin.

Journée calme, nettoyage des armes.

Lundi 19 juin.

Perception d'armes et munitions.

Mardi 20 juin.

Distribution d'armes. Instruction sur le bazooka et les nouvelles armes par le commando américain parachuté quelques jours avant.

Mercredi 21 juin.

Les Allemands attaquent du côté de Rancurel. Repoussés par nos mitraillettes et attaqués à la grenade, ils s'enfuient en laissant 25 morts et un camion en flammes sur le terrain. Pas de perte chez nous.

Jeudi 22 juin.

La garde des Goulets est toujours assurée. 42

Secteur calme, aucune réaction de la part des Allemands. Restant sur nos positions, on les attend.

Vendredi 23 juin.

Le Corps Franc quitte les positions et rejoint les Baraques. À 1 heure du matin, nous partons, trois camions vides et deux voitures légères, pour escorte, sur Lyon, chercher les Sénégalais prisonniers à La Doua. Le capitaine Georges dirige l'expédition qui est très réussie. À l'heure dite (7 heures), les camions arrivent. Il n'y en a que deux de pleins, car le troisième est tombé en panne. L'un des camions est piloté par le capitaine lui-même. Nous remontons 53 Sénégalais et un sous-officier blanc accompagné de sa femme. Chaleureux accueil par la population de Saint-Agnan et du Vercors. Ainsi que le capitaine, nous étions presque tous de Lyon.

Hommes ayant participé à l'expédition : capitaine Georges ; Gaston Magnet, notre aumônier ; Lenfranchi ; Montanet (Amadéo) ; Grange ; René ; les chauffeurs et moi.

Samedi 24 juin.

Instruction, exercice d'ordre serré, préparation au défilé.

Dimanche 25 juin.

Prise d'armes et défilé à Saint-Martin-en-Vercors. Bénédiction du fanion des Chasseurs (6e B. C. A.), quelques remises de citations pour les combats de Saint-Nizier de Moucherotte. Au Monument aux Morts, allocution par le commandant Huet.

Lundi 26 juin.

Instruction et tir. La camionnette conduite par Raymond capote. Rolland est blessé (transporté à la Grotte de La Luire, il sera achevé par les Allemands).

Mardi 27 juin.

Instruction et tir sur cibles. Mercredi 28 juin.

Instruction et tir au F. M. On apprend la mort de Philippe Henriot.

Jeudi 29 juin.

Instruction, manœuvre de guérilla.

Vendredi 30 juin.

Théorie, armement et manœuvre.

Samedi 1er juillet.

Instruction et tir. Alger accorde l'autorisation de donner le nom de 11e Régiment de Cuirassiers au groupement de neuf escadrons.

Dimanche 2 juillet.

Près de Vassieux, le lieutenant Vigne est blessé par un inconnu. La balle (11,25) s'est logée dans l'épaule.

Lundi 3 juillet.

Prise d'armes à Saint-Martin en l'honneur de l'envoyé spécial du Général De Gaulle et du Commissaire du Vercors : Yves Farge, dit " Grégoire ".

Mardi 4 juillet.

Les Allemands attaquent du côté de Die. Ils se replient, laissant une trentaine de morts sur le terrain. En prévision d'une nouvelle attaque, nous partons cinq Français rejoindre les tirailleurs sénégalais dans leur cantonnement de Saint-Agnan.

Mercredi 5 juillet.

Les Allemands ayant de nouveau attaqué, aussitôt nous partons. Il est 4 heures du matin. Nous allons à Die, Saillans et revenons, rien à signaler. Les Allemands se sont repliés. À Saillans, démonstration d'un bazooka.

Jeudi 6 juillet.

Les Allemands attaquant au col de Crimone sont vaillamment repoussés. Nous partons sur Nyons, Luz et retour au col de Crimone. La population fait un chaleureux accueil à nos Sénégalais.

Vendredi 7 juillet.

Un train de marchandises réservées aux Allemands nous étant signalé, nous filons immédiatement sur Crest. Coup de main sur trente tonnes de sucre, un wagon de tabac et soixante mille litres d'alcool, que nous remettons au ravitaillement général. En récompense, l'on remet un sac de 100 kilos de sucre aux tirailleurs. Grâce aux cheminots, l'opération s'est déroulée sans difficulté. La population féminine, insouciante du danger, vient se ravitailler en sucre.

Samedi 8 juillet.

Le danger semblant écarté, nous regagnons La Chapelle-en-Vercors.

Dimanche 9 juillet.

De Gap, l'on nous signale qu'une division allemande monte en renfort du Midi pour la Normandie. Nous partons quatorze Français avec un commando américain (14 hommes). La colonne emprunte la route de Grenoble.

Lundi 10 juillet.

Après avoir fait une courte halte dans une gare, nous prenons position à l'aube à quelques kilomètres de Lus-la-Croix-Haute.

Seul sur un rocher surplombant la route, après avoir aménagé ma position, je m'étends malgré la fraîcheur du matin, derrière un rem-part de pierres. Quelques minutes se sont à peine écoulées qu'un bruit de moteur me fait sursauter et, par la meurtrière, je vois déboucher le premier camion. Ce véhicule se trouvant dans mon champ de tir, j'ouvre aussitôt le feu. Montanet, s'emparant du bazooka d'un Américain, tire sur le second camion. Dans un rayon de moins de 100 mètres, j'ai trois véhicules dans mon champ de tir. Une mitrailleuse en batterie sur la cabine de leurs camions, les Allemands ripostent aussitôt pendant que ceux installés à l'arrière essaient de sauter rapidement à terre. Repéré un des premiers, une balle passant par la meurtrière, transperce ma chéchia qui voltige derrière moi. Etant le seul à pouvoir tirer sur le premier camion, je guette chaque mouvement, prêt à tirer. Sautant du véhicule, un Allemand me surprend et se réfugie sous un camion. Je tire sur le second qui reste étendu les bras en croix. Quelques minutes après, d'un bond il se met à l'abri et riposte. Sa balle m'atteint à la main gauche. Invité par la Mort et ne désirant pas m'asseoir à sa table, possédant plus de 200 cartouches, je harcèle les suivants de plu-sieurs balles pour être sûr qu'ils ne me jouent pas. Mes camarades aussi ont compris la leçon et font de même.

Un Allemand caché sous un camion essaie de tirer à lui un de ses camarades blessé, protégé par les roues jumelées ; en voulant l'atteindre, je crève les pneus du véhicule, lui interdisant ainsi toute tentative de départ. Essayant de sauter du camion, un autre Allemand, touché, reste quelques secondes pendu par les mains, puis lâche prise, tombe et roule sur la route déjà ruisselante de sang. D'autres font plusieurs tentatives mais à chaque pas la mort les suit et joue à cache-cache avec eux. Dans tout malheur il y a des larmes et ce n'est pas de gaieté de cœur que nous semons la mort.

Le troisième camion s'étant arrêté à quelques mètres de Gardette, Godevin, Gayvallet et Arnaud, celui-ci prend son F. M. sous le bras et se replie en tirant. Afin de détourner l'attention de l'ennemi, je fais plusieurs tentatives pour dégager mes camarades qui se replient difficilement à terrain découvert.

Réussissant à m'approcher à une dizaine de mètres au-dessus du premier camion, j'aperçois les Allemands allongés et lance deux grenades américaines. Mes camarades étant pris sous le feu d'éléments réfugiés sous un camion, n'ayant plus de grenades et en apercevant une à l'emplacement où se trouvait le commando américain, je réussis à l'atteindre après plusieurs tentatives effectuées en rampant. Me faufilant avec une chance inouïe, je lance la grenade sous le camion. Quelques cris, quelques plaintes puis, succédant à ces bruits, un calme plein d'horreur. Je suis seul, mes camarades se sont repliés depuis deux heures environ.

Comme l'étoile qui guide le berger mais le laisse marcher seul, dans ce lourd silence qui soudain s'abat sur moi, je ne sais plus si je dois extérioriser la joie qui m'envahit ou le remords qui déchire mon cœur.

L'homme a besoin d'autrui

S'il ne vit que pour lui

Il ne vit qu'il demi...

Entendant une mitraillette et croyant que c'est un camarade (on dirait une mitraillette américaine), je descends et me trouve face à face avec un Allemand. Je réussis à l'abattre après avoir subi une grande frayeur, la courroie de mon fusil s'étant prise dans les branches et ne la dégageant qu'au dernier moment.

Avant de quitter ce champ de bataille parsemé de morts dont chacun a une mère qui a sans doute horreur de la guerre, je fais plusieurs tentatives, mais en vain, pour retrouver le corps de mon camarade Picard tué d'un petit éclat de mortier en plein cœur, au début de l'attaque.

Fatalité !... Mon camarade avait supplié le capitaine Bourgeois de participer à l'expédition, car pris par le travail des cuisines, il n'avait jamais pu prendre le baptême du feu. Il jouissait de l'estime de tous et sa mort fut pour nous un très gros chagrin. Détail curieux, ma mère tous les jours effectuait ses achats auprès de sa mère coquetière au marché Saint-Antoine.

Dans un profond silence, je me replie en récupérant les munitions et le ravitaillement abandonné par les Américains. Nouvelle frayeur ! Sur le chemin du retour, voyant bouger dans un buis, je m'approche et je trouve mon camarade Thibault portant les munitions d'un F. M. Ensemble nous nous replions lentement, car la pente est rude. Des bruits de voix parvenant jusqu'à nous, je grimpe sur un rocher en pain de sucre et donne un coup d'œil sur la route. Un soldat allemand, l'arme en bandouillère, les mains derrière le dos, monte la garde. J'appelle Thibault et lui dis :

- Regarde celui-là !...

Je tire et l'Allemand tombe. En vidant mon chargeur, nous sommes repérés et l'on nous allume au mortier. L'escalade des rochers étant très difficile, je laisse filer mon camarade et protège le repli. Finalement, je le rejoins et nous continuons notre route ensemble. Nous mangeons un peu et repartons. Vers la fin de l'après-midi, nous rejoignons nos camarades. Les Américains n'étant pas habitués à la montagne, nous les soulageons de leurs bidons, ceintures, colts, etc. Personne n'ayant rien mangé depuis la veille, nous mangeons le ravitaillement que j'ai récupéré. Je reçois les félicitations du capitaine américain. Le soir, nous rentrons.

En arrivant, Cros, qui a suivi à la jumelle la bagarre du haut d'un rocher, me félicite.

Lorsque nous nous couchons, il manque Arnaud, Gardette, Gayvallet, Godevin et Juresco. On sait que Picard est mort.

Mardi 11 juillet.

Apprenant que nous avons un camarade de tué, des civils partent avec une V. L. chercher Picard. Mais à notre grande surprise, ils ramènent le corps de Gayvallet que nous ne savions pas mort. Son frère étant avec nous, nous ne lui disons rien, car il est affreusement mutilé et méconnaissable. Le corps est piqué à la baïonnette, les parties écrasées, l'os frontal marqué d'un coup de crosse de fusil, il a les mains liées, presque tout le corps marqué de clous de chaussures et l'on compte cinq balles dans la tête.

Blessé, s'étant assoupi, attirés par ses gémissements, des Allemands vinrent le chercher, lui firent lever les bras et sous les yeux ironiques des infirmières allemandes, sous le regard horrifié de quelques paysans réquisitionnés pour ramasser les morts, lui cassèrent les clavicules et le torturèrent.

Ces barbares doivent avoir dans le cœur une épine qu'il est difficile de retirer.

Extrait du Pionnier du Vercors

L'embuscade au col de Lus-la-Croix-Haute

Récit de la mort du jeune Gayvallet.

1° Témoignage de Mme Fernande Battier, de Lalley :

Le jeune dissident, que les soldats ennemis avaient découvert, passa près de moi ; il était pâle et marchait avec difficulté, mais les Allemands le faisaient avancer à grands coups de crosse dans le dos. Il fut conduit vers les morts et les blessés ennemis dont on le rendait responsable, puis on le fit descendre vers le ruisseau ; je le perdis de vue, mais des témoins me racontèrent ensuite que là, il fut encore battu et ses membres cassés sans doute, car ils entendaient des craquements.

Nous, en haut, sur la route, nous percevions des cris : " Pitié ! Pitié ! " qui nous bouleversaient. On le remonta sur le talus en le traînant par les bras attachés en arrière ; pour cela, on avait pris son ceinturon, de sorte que son pantalon était tombé. On l'attacha à un arbre, face aux morts. La encore, il était battu par les uns, tiré par les autres. Il resta ainsi un long moment. Enfin, les voitures d'ambulances arrivèrent et se mirent entre nous et lui. Nous entendîmes cinq coups de pistolet. Tout était fini pour lui. Ceci se passa au col de la Croix-Haute, le 10 juillet 1944.

Fait à Lalley, le 10 octobre 1944.

 

2° Témoignage de M. ZOIS Charles, bûcheron à Lalley.

Nous étions tous en bas, au-dessous de la route Nationale passant par le col de la Croix-Haute, pour ramasser les morts ; je vis des Allemands qui braquaient leurs mitraillettes dans notre direction. Je pensais qu'ils allaient tirer sur nous, lorsque j'aperçus un jeune homme qu'ils sortaient d'un trou, et je compris que c'était sur lui que les mitraillettes étaient dirigées.

Je montais avec des camarades un blessé allemand. Le jeune homme qu'on avait sorti du trou montait devant nous en boitant ; il devait donc être blessé. Les soldats allemands le faisaient avancer les mains en l'air, lui assénant des coups de pieds, de poings, de crosse de fusil sur la tête, sur les bras et les jambes. Arrivés sur la droite du pont, ils le firent mettre contre le mur et le fouillèrent. Je vis qu'un soldat allemand prenait un paquet de tabac et le mettait dans sa poche. Nous, nous étions arrivés sur la gauche du pont avec le blessé allemand et on me désigna pour rester près de lui afin de lui tenir les jambes pendant qu'on le soignait. Après l'avoir fouillé, les Allemands firent ensuite descendre le jeune homme sur la gauche, vers le ruisseau, en lui désignant les morts allemands. Puis lui disant de rester en place pour le questionner, ils lui assénaient encore des coups de pieds, de poings, de crosses de fusil. Alors ils l'interrogèrent. Durant l'interrogatoire, ils le laissèrent tranquille. Après l'avoir questionné, ils lui attachèrent les mains derrière le dos en lui tirant les bras à rebours, le pauvre garçon hurlait. Il ne serait pas étonnant qu'ils lui aient cassé les bras et les épaules. Ils le faisaient ensuite rouler à coups de pieds, de crosses, etc., vers le ruisseau. Ensuite, un convoi amenant un mort, je profitais de l'occasion pour m'en aller. Durant tout le temps que dura cette scène, je ne regardais qu'à la dérobée, les officiers allemands m'ayant regardé d'un air menaçant quelques moments auparavant. C'est là tout ce que je puis dire.

Lalley, le 4 octobre 1944.

Nous rendons les honneurs militaires à Gayvallet et rejoignons Saint-Martin.

Dès notre arrivée, Arnaud et moi, légèrement blessés, sommes dirigés sur l'hôpital installé dans une ancienne colonie de vacances. Nous sommes pansés et soignés par un personnel dévoué et je fais la connaissance de " Lulu ", amie du lieutenant Lissandre. C'est une femme exceptionnelle qui, sous une apparence de " dure ", cache un grand cœur. Très sensible aux peines de chacun, elle est l'amie sur qui l'on peut compter, et je ne peux évoquer mon passage à l'hôpital sans y associer le nom de " Lulu ". Femme au cœur admirable pour laquelle je garde une profonde admiration.

Au cours d'une brève cérémonie qui se déroule sur la place de La Chapelle-en-Vercors, où nous sommes rassemblés, le lieutenant-colonel Hervieux, mis au courant par les officiers américains, demande à connaître l'homme à la chéchia et le félicite.

De retour à Saint-Martin, Montanet, Lucien, René et moi demandons à veiller le corps de notre camarade Gayvallet, déposé à l'hôpital.

Par des civils requis pour ramasser les blessés allemands, nous apprenons que ceux-ci ont eu cinquante morts et plus de quarante-cinq blessés, pour la plupart grièvement.

Dans la soirée, les Allemands font sauter la route entre Saint-Nazaire et Saint-Jean-en-Royans.

Mercredi 12 juillet.

Une équipe civile ramène le corps de mon camarade Picard. Bombardement de La Chapelle-en-Vercors ; on compte deux morts et trois blessés.

Couchant côte à côte avec Picard depuis de

nombreux mois, c'est le cœur lourd que le soir je m'étends sur ma couche. Combien de fois, au cours des nuits, me suis-je surpris, cherchant à tâtons, dans l'obscurité, le corps de mon camarade.

Jeudi 13 juillet.

Inhumation avec les derniers honneurs au cimetière de Saint-Martin de Picard et de Gayvallet. Au cours de la cérémonie, j'obtiens de mon capitaine la faveur de porter le cercueil dans lequel repose mon camarade.

Vendredi 14 juillet.

Dans la matinée, à 9 h 30, par un soleil splendide, malgré les avertissements du comandant Thivollet, qui n'est plus le seul maître du Vercors, de nombreux avions déposent sur le terrain près d'un millier de containers. Confirmant ses prévisions, la récupération du matériel vient à peine de commencer qu'apparaissent les appareils ennemis à croix noire. En quelques minutes, le terrain est arrosé de bombes et nous ne pouvons plus faire un mouvement sans être mitraillés par la chasse allemande qui surveille le terrain et les routes.

Nous ripostons au F. M. et le seul canon de 25 que nous avons en état de marche est servi par notre aumônier Gaston.

Sous la violence du bombardement, La Chapelle et Vassieux-en-Vercors sont détruits.

Samedi 15 juillet.

Journée calme. Instruction. Nettoyage des armes. Pansement à l'hôpital de Saint-Martin.

Dimanche 16 juillet.

Rien à signaler. Repos. Le commandant Thivollet me remet un colt 11,25 en récompense de mon combat de Lus-la-Croix-Haute.

Lundi 17 juillet.

Stockage de munitions et armes dans l'usine de tissage de Saint-Martin-en-Vercors.

Mardi 18 juillet.

Instruction, tir. Profitant de mon passage à l'hôpital pour pansement, je rends visite au sous-lieutenant américain opéré de l'appendicite.

Mercredi 19 juillet.

Instruction, tir, manœuvre. Pansement.

Meyers Chester a été achevé quelque jours après par les Allemands à la grotte de La Luire.

Jeudi 20 juillet.

Instruction sur le bazooka. Revue d'armes. Exercice.

Vendredi 21 juillet.

Messe pour nos morts. L'ennemi désirant réduire la Résistance, concentre ses forces et entame son action par des bombardements d'aviation.

Nous sommes attaqués en force par trois divisions, pendant que, simultanément, quarante-sept planeurs transportant des troupes spécialisées composées de S. S. en tenue noire, atterrissent sur le terrain de Vassieux que nous étions en train d'aménager en vue de recevoir nos alliés.

Nos appels à la radio restant vains, de durs engagements sont livrés par les escadrons les plus rapprochés.

Les escadrons Hardy et Philippe, officiers en tête, sont presque entièrement anéantis. Parmi les victimes figurent l'aspirant Jacques Descours, dit la " Flèche ", fils du colonel Descours et Raymond Anne, dit " Filochard ", qui, plus tard, inhumé au Mont Valérien, représentera le combattant du maquis.

Le lieutenant Jury succède au capitaine Hardy au commandement du 2e escadron.

Samedi 22 juillet.

À 14 heures, nous quittons les Grands-Goulets et partons en renfort à Vassieux. Manœuvre conduite avec succès par le capitaine Bourgeois, sous le harcèlement de l'aviation et tout à travers bois et taillis.

Je pars en liaison avec Rousseau porter le signal d'attaque. Trois fois, trois rafales de 25. Traversant à découvert toutes les lignes ennemies, passant à moins de trois cent mètres d'une mitrailleuse lourde allemande, nous sommes obligés de ramper presque tout le long. Les balles sifflent si près que l'on ose lever ni la tête, ni la main.

Repérés, un avion nous lance une bombe qui éclate à quelques centaines de mètres.

Mission accomplie. Nos camarades sont prêts pour l'attaque.

Au retour, il fait presque nuit et nous rejoignons plus facilement notre cantonnement, mais non sans avoir essuyé quelques rafales de

mitrailleuses et être passés au col de Lachaux près du capitaine Rolland.

Dimanche 23 juillet.

Nous attaquons Lamure à 1 heure du matin. Les Allemands ayant ouvert le feu avant nous sur des civils, l'escadron Freyssinat n'entend pas le signal d'attaquer et reste inactif. Massacrant les femmes, les hommes, les enfants, tuant tout ce qui vit, les S.S. se livrent à un véritable carnage. L'ennemi, solidement retranché, riposte au mortier et au lance-flammes. À l'aube, l'aviation vient de nouveau nous harceler et nous sommes contraints de cesser le combat. À 14 heures, la section disciplinaire vient nous relever car les Allemands ont enfoncé le front à Herbouilly et nous devons aller soutenir nos camarades, Chasseurs du 6e B. C. A. Ordre de dispersion est donné au moment où nous arrivons à Saint-Martin bombardée par l'artillerie ennemie. Engagés sur un front de plus de 200 kilomètres, sans moyens, nous ne pouvons résister davantage.

La Mort passe, les héros tombent, les Chasseurs perdent leur chef, celui qui fut leur guide, leur exemple, le lieutenant Chabal. Les Allemands achèvent tous les blessés et si Dieu punit par le remords tous ces barbares, il doit y en avoir beaucoup qui ont perdu leur sommeil.

Rejoignant notre cantonnement des Baraques-en-Vercors, nous faisons sauter la route des Grands-Goulets.

Ordre nous est donné de faire le vide et de rejoindre la Forêt de Lente où nous devons nous regrouper. Le cœur triste, nous abandonnons le combat, avec le ferme espoir de pouvoir très bientôt, en reprenant à nouveau notre vie de maquisard, avancer l'heure de la vengeance. Le flambeau du patriotisme a besoin d'air pur pour briller et comme le dit la chanson des Cuirassiers, le succès des S. S. n'a pas changé notre foi en la victoire.

LE CHANT DES " CUIRASSIERS "

1

Les cuirassiers sont partis pour l'étape

Le cœur gai et le bidon plein

Ils s'en vont comme à la parade

En chantant ce gai refrain.

Refrain

Joyeux enfants ! Joyeux enfants ! Cavalerie ! Cavalerie !

Nous sommes aussi braves qu'autrefois Liberté pour notre Patrie

Et la gloire pour ses soldats.

II

Nous sommes toujours la race ardente et fière. Des Cuirassiers des charges d'autrefois

Si le barbare a souillé notre terre

Il n'a pas détruit notre foi.

III

Nos étendards sont demeurés sans tâche

Devant la force, sans reproche et sans peur

En fiers Gaulois fidèles à notre race

Toujours au chemin de l'honneur.

IV

Entendez-vous la trompette guerrière

Qui vient du Nord, du Nord jusqu'au Midi Accourez tous Cavaliers, mes chers frères

Pour délivrer notre pays.

V

Nous croyons tous en la France immortelle

Nous savons bien qu'elle ne périra pas

Que l'univers ne peut vivre sans elle

Et attend tout de ses soldats.

Lundi 24 juillet.

Départ du domaine de Lente. On reprend les bois. Nous filons vers Le Rimet où l'on cantonne près de la source. Grande activité aérienne. Nous avons des ordres très stricts, l'on doit faire le " mort ".

Mardi 25 juillet.

Nuit et journée calmes. Les Tirailleurs sénégalais sont avec nous. La R. A. F. bombarde le camp d'aviation de Chabeuil.

Mercredi 26 juillet.

Vive activité de l'aviation ennemie. Pour toute nourriture, il ne nous reste que des conserves d'anchois et nous n'avons plus d'eau...

Les hommes de La Chapelle-en-Vercors, arrêtés la veille par les Allemands et gardés comme otage, ont été fusillés.

Jeudi 27 juillet.

Activité de patrouilles. Les Allemands incendient des fermes entre La Chapelle et Vassieux. Je pars en patrouille. Les Allemands ont découvert les vingt-quatre grands blessés transportés à la grotte de La Luire. Lâchement, ils les secouent, les martyrisent et les assassinent ainsi que les médecins, les infirmières et l'aumônier.

Dans l'ombre de la forêt de Lente, de nombreux " bleus " perdent espoir et désertent. Il n'y a que les anciens qui restent et dans notre secteur nous sommes environ 250. Les Allemands ont établi des barrages sur les bords de l'Isère et massacrent tous les jeunes gens. À Saint-Nazaire-en-Royans, il y en a 18 dans la même fosse. Les Mongols pillent et violent les femmes de 13 à 65 ans. Enfreignant les lois de la guerre, ils tirent sur n'importe qui, n'importe quoi ! Femmes, enfants, vieillards, poules, lapins, vaches, etc., tout est massacré.

Tout le plateau n'est plus qu'un vaste champ jonché de cadavres. À Vassieux, dépassant en horreur tout ce que l'on peut concevoir, les Allemands laissent agonir pendant plus de huit jours, sans même daigner la secourir, la petite Arlette Blanc, âgée de douze ans, coincée sous le corps de sa mère, au milieu des cadavres des membres de sa famille comprenant : son petit frère Maurice, 18 mois ; sa sœur Jackie, 7 ans ; ses grands-parents, ses tantes. Son grand-père a été lâchement abattu quelques jours avant.

Même avec le recul du temps, mon âme tremble encore d'horreur en évoquant ces souvenirs.

Que ces monstres restés insensibles devant l'agonie d'une enfant dont ils ont massacré sauvagement toute la famille, portent à jamais dans leurs cœurs le deuil de leurs vies.

Vendredi 28 juillet.

Les Allemands patrouillent dans notre direction. Je pars en reconnaissance. Des fermes brûlent à Loscence.

Samedi 29 juillet.

Mon camarade Yves, désigné par le commandant Thivollet, part à cheval pour une mission périlleuse. À peine est-il parti que des coups de feu claquent. Nous partons aussitôt en patrouille et au col de l'Echarasson, nous découvrons Yves tué d'une balle en plein front. Son cheval, abattu lui aussi, est près de lui. Étant l'un des camarades d'Yves, il m'avait toujours dit que sa plus belle mort serait de mourir à cheval ! Dieu vient parfois en aide aux héros ! Avec cette mort, non seulement nous perdons un ami, mais aussi un chef. C'était un meneur d'hommes ! Il nous aurait emmené n'importe où. Yves était l'image même de la Résistance ! Tous les anciens lui garderont leur indéfectible souvenir.

Patrouille sur le domaine de Lente. De la lisière de la forêt, l'on aperçoit les Allemands, déployés en tirailleurs, mettre le feu au domaine. Dans le lointain, on entend un bruit de fusillade. Le capitaine Rolland et ses hommes sont accrochés. Parti en renfort, chasse à l'homme avec les Allemands en pleine forêt. Le capitaine Rolland est tué, Kaiser est fusillé quelques heures après sans avoir parlé. Minot disparaît. L'ennemi se replie mais nous restons sur nos gardes.

Dimanche 30 juillet.

Décrochage à 6 heures, on se dirige sur le versant de Bouvante-le-Haut. Caché sous une falaise et dans les buis, on a toujours rien à manger. La citerne d'eau est pleine de rats crevés et de tétards. Défense de toucher à cette eau et de parler, car les Allemands sont tout près. Pour se distraire, on joue au poker et je gagne 710 francs à Guisti. À 21 heures, vive fusillade. L'ennemi tombe sur le P. C. Hess, dit " Jockey ", est pris et écartelé, un Sénégalais est blessé. Les Allemands ont deux morts et plusieurs blessés.

Lecture du télégramme du Général Kœnig aux F. F. I. Résistance du Vercors :

Le Général Kœnig à F. F. I. - Vercors.

" Les Forces de la Résistances en Vercors, en fixant d'importants effectifs allemands, ont rendu d'immenses services à la bataille de France en cours.

Signé :

Le Général KŒNIG. "

Lundi 31 juillet.

Disposition de guetteurs. Nouveau contact avec le commandant Thivollet. De patrouille, l'on ramène de la farine de maïs que l'on fait cuire la nuit dans une bergerie ; ayant pour récipient une lessiveuse avec de la mauvaise eau, ce " rata " est immangeable, et nous avons des malades.

Mardi 1 août.

Toujours même position. Mouvement des troupes ennemies en plaine. Lucien, Montané et moi partons en patrouille chercher un peu de lait pour des camarades qui se sont empoisonnés en mangeant des feuilles. Piazza délire et tombe de faiblesse. Après avoir erré pendant des heures, nous ramenons un peu de lait tiré sur une vache abandonnée.

Mercredi 2 août.

Bouvante toujours occupée par les Allemands. Patrouille avec Arnaud, Rabatel, Cros et quelques camarades. À 11 heures, la R. A. F. bombarde le terrain d'aviation de Chabeuil.

Ayant récupéré quelques poules, on les fait cuire à la broche en pleine forêt.

Jeudi 3 août.

Accrochage avec un bataillon ennemi ayant effectué des opérations de nettoyage au Musant et qui se dirige sur le col du Pionnier. Retour sans aucune perte.

Vendredi 4 août.

En patrouille, on tombe sur la ferme Ferlin en flammes. Toujours pas de ravitaillement.

Samedi 5 août.

De part et d'autre, activités de patrouille, mais sans accrochages. Nous sommes au Pas de la Rochette, dans les buis, sans ravitaillement et sans eau.

Dimanche 6 août.

Une patrouille part enterrer Yves. Les Allemands nettoient notre secteur. Ils font un prisonnier qu'ils obligent à marcher devant eux. Arrivé près d'un cantonnement, celui-ci se met à crier :

- Vingt-deux ! Voilà les Allemands !

Court engagement, nous avons eu un mort et deux blessés, dont le frère de Feynerolle qui est blessé à la jambe. Dans la soirée, nous repartons en patrouille pour le récupérer, mais on ne le trouve pas. On apprend que les Américains ont pris Laval (la ville).

Lundi 7 août.

On change d'emplacement. Patrouille. On voit des fermes qui brûlent du côté de Rancurel. Toujours pas de ravitaillement. On apprend que les Américains sont à 100 kilomètres de Paris et qu'ils ont fait plus de 35.000 prisonniers en Bretagne.

Mardi 8 août.

Patrouille. Des camions allemands montent sur Léoncel. Ils sont à Thamet et patrouillent de notre côté. Il nous est défendu de bouger et de parler.

Mercredi 9 août.

En patrouille, on retrouve Feynerolle qui est atteint de la gangrène et nous le ramenons au camp. Il est resté caché trois jours dans un buisson avec la fièvre, c'est la soif qui l'a fait sortir. Lorsque nous sommes allés en patrouille pour le chercher, il nous a entendus, mais il a cru que c'était les Allemands et n'a pas bougé.

Nous le descendons avec les autres blessés dans une voiture qui les ramène à Romans. Activité de camp du côté de Léoncel.

Jeudi 10 août.

Corvée de ravitaillement, c'est la première depuis que nous avons repris les bois. On part en patrouille du côté de Saint-Laurent-en-Royans. On mange des carottes crues que nous avons arrachées dans un champ. Nous remontons quelques pommes que nous avons trouvées.

Vendredi 11 août.

Rassasiées de meurtres, les patrouilles allemandes se font de plus en plus rares. En patrouille à quatre, nous dépouillons un cerisier que nous avons trouvé sur notre passage.

Samedi 12 août.

Récupération du dépôt d'armes que nous avions camouflé près de la source, au Rimet.

Dimanche 13 août.

Activité de patrouilles de part et d'autre. 74

Lundi 14 août.

Patrouilles. Toujours pas de ravitaillement ni d'eau.

Mardi 15 août.

Départ pour La Beaume-d'Hostin à pied et à 20 heures. Je marche en éclaireur. Tristement, nous quittons le plateau. Nos morts abandonnés sauront-ils nous pardonner de ne pas leur avoir donné avant notre départ une sépulture décente ?

Mercredi 16 août.

Arrivée à La Beaume à 1 heure du matin, sans accroc. Placement du dépôt d'armes.

Jeudi 17 août.

Départ pour guérillas vers La Motte-Fanjas. Quelques coups de feu sans importance.

Vendredi 18 août.

Hervochon, René et Rochard, que nous avions perdus lors de l'attaque du Vercors, rejoignent le camp. Le soir, nous partons pour un coup de main sur un convoi allemand.

Samedi 19 août.

Corvée de ravitaillement, nettoyage des armes.

Dimanche 20 août.

À 3 heures du matin, sur un camion conduit par Lucien, nous partons sur la route nationale N° 7. Après avoir quitté le camion et après trois heures de marche, nous arrivons près de Saint-Vallier, sur les bords du Rhône. Le convoi passe vers 13 heures. Plusieurs véhicules allemands sont endommagés et ils ont environ treize morts. Aucune perte chez nous.

Lundi 21 août.

Afin de venger Vassieux-en-Vercors, le commandant Thivollet décide d'attaquer Romans à l'aube et l'on quitte La Baume-d'Hostin pour. Chantemerle-les-Blés. Je pars en liaison auprès du commandant Lenoir qui me confie un pli à remettre de toute urgence au commandant.

Mardi 22 août.

Après avoir couru toute la nuit sans avoir pu joindre le commandant Thivollet qui a changé de secteur, vers 5 heures je remets le pli qui est aussitôt transmis à un motard du P. C. rencontré par hasard sur la route. Je pars à la recherche de mon escadron et ne le trouve pas, car il s'est déplacé pendant mon absence.

Il fait presque jour et ne voulant à aucun prix manquer l'attaque, j'emprunte un vieux vélo à un cultivateur et me dirige sur Romans.

En uniforme, une mitraillette " Sten " en bandouillère, je pénètre dans la ville par la route de Mours. Près du passage à niveau, je m'arrête net, un Allemand est là, à vingt mètres, qui monte la garde.

M'apercevant en uniforme, il s'arrête et me dévisage ! Je ne bouge pas et le regarde en souriant, me disant que tant qu'il me verra de face, il ne verra peut-être pas ma mitraillette.

Après tout, pourquoi ne me prendrait-il pas pour un milicien ?

Un " terroriste " seul, en uniforme et armé en pleine ville, cela ne peut se faire, doit se dire l'Allemand, car il reprend sa faction.

N'étant pas descendu de vélo, je profite d'un moment où il a le dos tourné pour faire demi-tour. Au bout d'une vingtaine de mètres, me retournant, je le vois, le fusil entre les mains et le maniant nerveusement, ne sachant s'il faut tirer ou pas.

Est-ce la peur, est-ce l'incertitude, il ne tire pas !

Un peu plus loin, avisant un employé des P. T. T., je lui demande s'il n'y a pas de passage à niveau non gardé et si la caserne est prise. Celle-ci n'étant, paraît-il, pas très loin, il me prie de l'attendre, il va s'en assurer. Quelques minutes après, ne le voyant pas revenir, je franchis un autre passage non gardé et poursuis mon chemin. J'ai à peine parcouru une centaine de mètres que je tombe sur une frise de barbelés barrant la rue et, derrière, j'aperçois un Allemand accoudé près d'une mitrailleuse placée sur un mur. Repérant un petit chemin sur la droite, je m'y engage. Mais il est court et sans issue, avec de grandes barrières de chaque côté.

Il m'est impossible de continuer, je fais demi-tour et, à l'angle, donne un coup d'œil... L'Allemand n'a pas bougé ! À toute allure, je débouche et je fonce, tout crispé, m'attendant à chaque instant à essuyer des coups de feu qui, par miracle, ne partent pas.

Ma mère peut continuer à faire brûler des cierges ! Notre-Dame de Fourvière ne l'a pas abandonné.

Après maints détours, je joins enfin le P. C. ! Le capitaine Modo, adjoint au commandant Thivollet, ne me laisse pas rejoindre mes camarades et me garde auprès de lui comme agent de liaison.

La marche sur Romans commence à 11 heures et j'ai l'honneur de marcher en tête avec les Tirailleurs sénégalais, afin de les entraîner. Une violente fusillade nous accueille sur la place de la Gare, mettant hors de combat un de nos Tirailleurs. Nous sommes accrochés depuis deux heures environ lorsque l'on vient nous annoncer que le lieutenant Lissandre a été tué, ainsi qu'un tireur au F. M. par une auto-mitrailleuse qu'il est impossible d'approcher, car elle est placée à un carrefour. Le commandant Thivollet me fait appeler et me demande :

- As-tu déjà lancé des gammons ?

- Non, mais je sais m'en servir !

- Alors trouves-en deux et vas-y, je compte sur toi !

Facilement, je me procure les bombes et me dirige en direction de la blindée. En cours de route, je rencontre le sous-lieutenant Vilchese, des Tirailleurs sénégalais, qui me déclare avoir déjà effectué une tentative. Puis le capitaine Fayard et le lieutenant Berthet m'accompagnant m'informent que plusieurs de mes camarades ont essayé en vain...

Avec l'aide des deux officiers, j'escalade un mur et me trouve à l'intérieur d'une cour. Dans le garage adossé au mur d'une usine, je prends un escabeau et avec l'aide de celui-ci, je monte sur le toit en dents de scie de l'usine. Je fais une pose, vérifie mes bombes et m'aperçois que sur l'une le ruban est défait. M'attendant à tout moment à la voir exploser et ne voulant pas la lancer dans la cour où se trouvent mes camarades, j'attends. Prenant du courage, délicatement j'enroule le ruban, revisse le bouchon et continue mon escalade. De toit en toit, tirant mon escabeau et me guidant au bruit de la mitrailleuse allemande, je parviens sur le toit d'un Temple recouvert d'ardoise. Avançant prudemment afin de ne pas glisser, j'arrive au bord et regarde en bas dans la rue. La blindée est juste en-dessous, devant le garage Tabarin et je vois les Allemands s'y démener. Je lance la première bombe en plein dessus... Une forte détonation, une grande flamme, puis plus rien !... Tout le dessus de la blindée a été nettoyé. D'autres Allemands traversent le garage. Je lance ma deuxième bombe puis, dans un grand silence, j'amorce mon retour.

Des coups de feu claquent brusquement, des Allemands m'ont repéré et sont montés sur le toit du garage. Le capitaine Fayard et le lieutenant Berthet me remettent une autre bombe et je remonte. Mais cette fois, repéré, la progression est plus difficile et c'est à grand-peine que j'arrive sur le Temple. À plat ventre, je lance ma bombe, mais celle-ci agissant par souffle, je manque de tomber et c'est le rebord du toit qui m'arrête. Recouvert de poussière, de tuiles, à moitié étourdi, je redescends.

Dans la cour, je remets l'escabeau à sa place et rends compte aux officiers.

- Vous pouvez y aller, il n'y a plus personne !...

On se rend aussitôt au garage où, de la cave, l'on voit surgir douze Allemands transis de peur qui arrivent les mains en l'air.

Je vais rendre compte au commandant Thivollet et lui demande en récompense de bien vouloir me laisser rejoindre mon escadron qui doit attaquer la caserne. Ayant avis favorable, je rejoins aussitôt le capitaine Bourgeois. Vive fusillade pendant trois heures environ. Le capitaine m'envoie me restaurer chez un industriel en chaussures, M. Fenestrier, car il veut que je sois rétabli pour le dernier assaut. Il ne veut même pas que j'aille faire sauter une mitrailleuse qui nous gêne et qui se trouve être celle que j'ai aperçue le matin ; le capitaine trouve que j'en ai assez fait pour aujourd'hui.

À mon retour, je conseille à mes camarades de contourner la mitrailleuse en rampant le long de la voie du chemin de fer. L'opération réussit parfaitement.

Nous sommes sur le boulevard Gambetta lorsque les Allemands tentent en voitures leur dernière sortie. Ils roulent à toute allure et, bien abrités derrière des arbres, nous les arrosons à la mitraillette. Près de mon capitaine, je lui crie :

- On tire à la gangster !... Comme dans les films américains !

Finalement, nous stoppons la colonne, sauf les trois premières voitures qui sont arrêtées par le second barrage. Après maints efforts, nous réussissons à les capturer.

La fusillade est terminée depuis peu que déjà les civils se jettent sur les voitures et récupèrent les objets que les Allemands emportaient à pleines valises.., bas, parfums, costumes, etc...

Prenant un civil pour chauffeur, je prends une traction dans la colonne et vais rendre compte au commandant Thivollet que la caserne est prise. Tout près du P. C., nous tombons en panne sèche car le réservoir a été atteint par les balles pendant l'engagement.

La joie de la victoire nous fait oublier notre haine et je peux dire que respectant les lois de la guerre, aucun prisonnier n'est maltraité.

Nous avons cinq morts, mais la garnison allemande a subi de lourdes pertes.

150 prisonniers, 50 tués, dont 4 officiers.

Je rejoins mon escadron avec qui je prends position pour la nuit, sur la route de Valence. Une anecdote :

Mon camarade Chirat, voulant satisfaire un besoin urgent, s'installe dans un jardin, son fusil sur les genoux. Complètement myope et entendant du bruit, il crie :

- Qui est là ?

Un Allemand lève les bras et se rend.

Mercredi 23 août.

Nous rejoignons Romans puis nous allons au-devant des Américains qui, le soir, défilent dans la ville.

Alerte ?... Les Allemands approchent avec des blindés. Ils sont plus de trente mille.

Jeudi 24 août.

Enterrement de nos morts, parmi lesquels se trouve le lieutenant Lissandre. Toute la journée, passage des troupes et du matériel allié dans Romans et Bourg-de-Péage. Les Américains se retirent et n'étant plus assez nombreux pour tenir Valence, nous nous rendons à La Malladière, à la sortie de Bourg-de-Péage. Vendredi 25 août.

Nous partons en renfort à Alixan ; retour à 18 heures.

Samedi 26 août.

Deux appareils allemands survolent le secteur. Aménagement des positions à La Malladière.

Dimanche 27 août.

À 13 h 30, enfreignant toutes les lois de la guerre, les Allemands attaquent avec des chars maquillés. Une partie des éléments suit la rive droite du canal que l'on abandonne sous l'action des chars ennemis. Plusieurs camarades n'ayant pas vu la supercherie assez tôt sont abattus. Les Allemands nous poursuivent à travers champs avec les chars et nous tirent dessus au canon. Nous nous débarrassons de nos sacs et traversons le canal. Ne possédant pas d'armes antichars, nous réussissons tout de même avec nos armes légères à repousser deux chenillettes. Montanet, parti avec Goeppe et Villate, se fait tuer par un obus pris dans le dos de plein fouet, de même que le capitaine Boiron et le capitaine Paquebot, ce dernier parachuté dans le Vercors. On se replie sur le Goubet.

Avec Bébert et Roger Rabatel, je pars en reconnaissance car nous sommes sans nouvelles du groupe Gaston, notre aumônier, et retournons vers La Mallardière. Au croisement de la route de Besayes, une femme d'une soixantaine d'années est abattue d'une balle dans le ventre. Notre progression est difficile car les Allemands tirent sur tout le monde. À terrain découvert, nous longeons le canal lorsque nous entendons des chars. La route bordant le canal, on se jette dans le fossé. Les chars s'arrêtent au croisement... puis empruntent la route sur laquelle nous nous trouvons. Nous repérons un buisson d'aubépines mais trop touffu, l'on ne peut s'y glisser. Les Allemands ont dû nous apercevoir car ils ralentissent avant d'arriver à notre hauteur ! Une gammon dans une main, un colt 11,25 dans l'autre, je dis à mes camarades :

- Perdu pour perdu, je lance la bombe sous le char !...

- D'accord !

Ils s'arrêtent à une cinquantaine de mètres puis repartent et passent à moins d'un mètre de notre tête, sans nous voir.

On a eu chaud !... Aussi allons-nous vite dans une maison boire un verre de vin pour nous remettre.

Au retour, on tombe encore face à face avec des chars, on se sauve dans des jardins.

Le soir, en patrouille sur Romans, grâce à des civils qui nous préviennent, on évite une embuscade. De retour à l'escadron, le capitaine Bourgeois nous informe que la colonne américaine s'est fait couper en deux du côté de Crest et que demain il faudra tenter une attaque de diversion.

Lundi 28 août.

Dispersés par les chars, nous sommes regroupés environ vingt-cinq. Nous n'avons toujours pas de nouvelles du groupe Gaston. Vers 19 heures, un char lourd vient patrouiller près de nous. Déplacement vers Mainant. Les Allemands incendient la grande rue de Bourg-de-Péage.

Mardi 29 août.

Vive activité aérienne. Pilonnage de Romans par les Américains qui contre attaquent depuis 7 heures du matin. Nous lançons de nouveaux assauts, mais nous n'avons que nos poitrines à offrir à l'activité des chars et, repérés, nous sommes pilonnés par l'artillerie. L'heure de la victoire est proche, nos âmes ont à cœur de venger nos martyrs, un dernier assaut est tenté au Chant du Maquis du Vercors...

Marchons au feu camarades

Marchons au feu hardiment

Hardiment !

Par-delà les fusillades

La Liberté nous attend !...

Les éléments de la 11e Panzer faiblissent et devançant les éléments alliés, nous avons l'honneur de réoccuper définitivement la ville les premiers.

Malgré la fatigue, le soir même, avec quelques camarades, je pars en mission à La Beaume-d'Hostin où nous avons installé notre hôpital.

Mercredi 30 août.

À 6 heures, contre-ordre, nous devons nous rendre au Boril où nous arrivons à 8 h 30. Vers 15 heures, en patrouille dans les rues de Bourg-de-Péage, nous retrouvons les corps de Gaston, Chirat, Gignoux, encore deux Lyonnais qui, prisonniers à La Mallardière, ont été abattus.

Jeudi 31 août.

Enterrement de Gaston, Chirat, Gignoux. Les Américains traversent de nouveau Romans.

Vendredi 1 septembre.

Chasse aux miliciens. Passage de convois alliés. Depuis le mois de juin, nous n'avons pas perçu notre solde... (3 francs par jour).

Samedi 2 septembre.

Garde à la Mairie de Bourg-de-Péage. Départ pour Beaucroissant.

Dimanche 3 septembre.

À 0 h 15, on reçoit l'ordre de partir sur Bourgoin. En cours de route, il y a contre-ordre et nous filons sur Lyon qui, contrairement à ce que l'on nous avait annoncé, n'est pas complètement libéré. Nous arrivons par l'Est, Saint-Priest, avenue Berthelot, avenue de Marseille. Les larmes aux yeux, nous atteignons la place du Pont où la foule très dense nous réserve un accueil triomphal. Il est impossible d'avancer... C'est du délire. Près de la Part-Dieu, des coups de feu partent des étages. Pendant que la foule se disperse, les Tirailleurs sénégalais ripostent aussitôt au F. M. Nous retrouvons les joies du combat de rues et, poursuivant les miliciens sur les toits, nous procédons au nettoyage, maison par maison.

Après une vingtaine de mois d'absence, le commandant Thivollet, à la tête du 11e Cuir, retrouve avec émotion son ancien quartier.

Dans la soirée, au cours d'une entrevue, le commandant à le plaisir de mettre son régiment sous les ordres du Général Commandant la 1re D. F. L., l'une des plus brillantes unités de l'Armée d'Afrique. Nous avons désormais l'honneur de combattre avec les premiers Français Libres, de combattre ensemble sous les ordres du général Brosset, l'une des plus belles figures de l'histoire militaire de cette guerre et qui tombera quelques semaines après, le 23 novembre, à la tête de sa division dans les Vosges.

Le commandant Geyer La Thivollet qui a pour ambition de maintenir toujours plus haut l'honneur de son Etendard, ajoutera aux tragiques et glorieux combats du Vercors, ceux de Ronchamp, Fresse, Côte 701-714, Champigny, Giromagny, Massevaux, Belfort, Huttenheim, Benfeld.

Pour avoir conduit seul pendant deux ans et demi le régiment qu'il reforma, du Vercors au Rhin, le commandant Thivollet mérite du Général De Gaulle la Légion d'Honneur avec la citation suivante :

" Le Général De Gaulle nomme au grade de

Chevalier de la Légion d'Honneur à titre exceptionnel pour faits de guerre le chef d'escadron Geyer La Thivollet, du 11e Régiment de Cuirassiers avec le motif suivant :

" Officier de Cavalerie d'élite au 11e Régiment de Cuirassiers, le 28 novembre 1942, lors de l'occupation de Lyon par les Allemands et de leur irruption dans son quartier, a réussi à s'évader, emportant l'étendard de son régiment. Repris par les Allemands, leur a, de nouveau, échappé, entraînant avec lui la majeure partie de son peloton. Organisant le maquis du Grand-Serre, a constitué une des meilleures unités du maquis, animé d'un très bel esprit cavalier.

" Gagnant ensuite le Vercors, il multiplia les actions les plus audacieuses contre les Allemands et contre la milice, leur infligeant des pertes sérieuses. Lors de l'attaque sur le Vercors, résista pendant trois jours aux attaques des parachutistes et des troupes de montagne, quatre fois supérieures en nombre. Parvint à regrouper son unité malgré l'activité intense des patrouilles allemandes et des combats journaliers.

" Descendant dans la plaine au moment du débarquement en Méditerranée, s'empara de haute lutte de la ville de Romans après des combats acharnés pour pénétrer dans la caserne et dans le collège, faisant 150 prisonniers et tuant 50 Allemands, dont 4 officiers. Attaqué ensuite par des éléments de la lie Panzer et ayant cédé du terrain, n'a cessé de harceler l'ennemi et est parvenu à réoccuper la ville, devançant les éléments de l'armée régulière alliée.

" À participé à la prise de Lyon, est rentré dans son quartier à la Part-Dieu à la tête de ses escadrons après vingt-deux mois de luttes incessantes. "

Dans le discours prononcé à Vassieux-en-Vercors, le 21 juillet 1946, par le Général De Lattre De Tassigny, on peut lire ces lignes par lesquelles il évoque tous ces combattants du Vercors :

" La nature du sol et la fierté des hommes s'associaient pour faire de cette région l'un des môles de notre Résistance. Elle a servi durant des mois de place forte interdite à l'ennemi. Et lorsque celui-ci décida de l'anéantir, il lui fallut réunir de gros moyens et monter une opération combinée de grand style. À ceux qui voudraient minimiser le mérite de nos maquis, le Vercors apporte un démenti. Ici, on n'a pas fait de la petite guerre : on a fait la guerre. "

Hélas ! Chacun de nos villages en porte la marque douloureuse : La Chapelle, Vassieux, Rousset, Les Barraques, Saint-Nizier sont autant de stations tragiques sur le si long chemin de croix qui, par les ruines de Normandie, des Vosges, d'Alsace et de Lorraine, a conduit la France jusqu'à sa Résurrection.

Plus que les pierres, les cœurs gardent la trace des sacrifices irréparables. Sept cents Français, maquisards ou montagnards, jeunes ou vieux, militaires ou civils, tombés en plein combat ou victimes de tortures ignobles, tous confondus. par l'Allemand dans la même haine, et rassemblés par la Mort dans la même Gloire.

Mais ce serait par trop réduire le rôle de nos maquis que d'en retenir seulement le bilan matériel. Ils ont aussi achevé de galvaniser l'âme de la France. Ils ont été le levain qui a permis l'inoubliable insurrection des jours de la Libération.

Au lendemain de ceux-ci, ils ont encore - et l'ancien Chef de la Première Armée Française s'en souviendra toujours - donné naissance à ces bataillons intrépides, tels que le 6e B. C. A. et le 11e Cuirassiers, brûlant de rejoindre nos régiments venus d'Afrique et de partager leurs sacrifices et leurs lauriers.

Et vous les serviteurs qui furent Grégoire, Bayard, Clément, Ilervieux, Joseph, Thivollet, Durieu, Huillier, Jacques, vous tous les pionniers du Vercors qui restez fidèles à vos morts et à vos serments, que vos cœurs trouvent dans le rappel de ces gloires des motifs invincibles de confiance.

Extrait d'une lettre du Général Kœnig

Il est évident que tout acte de Résistance aura été utile et louable en soi. Mais je ne peux oublier que, en juin 1944, c'est-à-dire deux mois après mon arrivée à Londres, les exploits des combattants du Vercors furent d'une telle qualité qu'ils donnèrent aux Chefs alliés confiance non plus seulement dans l'existence d'une Résistance Française, mais encore dans la valeur militaire et dans les possibilités d'exploitation militaire des troupes de cette Résistance.

Les combats du Vercors, en dehors de toute autre considération sur la valeur et l'héroïsme des combattants F. F. I. qui y prirent part, constituent donc à mon avis un tournant décisif dans l'histoire de la Résistance. N'oublions pas qu'à l'époque - c'est-à-dire à la veille des grandes offensives qui, par la Bretagne et la Normandie, allaient porter les Armées Alliées, d'une poussée irrésistible sur le Rhin, de Hollande et sur nos Vosges - bien des chefs alliés hésitaient encore quant à l'importance du crédit qu'il fallait accorder aux Forces Françaises de l'Intérieur. Les événements se précipitèrent par la suite. Les leçons des combats du Vercors n'eurent donc pas le temps matériel de porter tous leurs fruits, en particulier en ce qui concerne l'armement des Forces Françaises de l'Intérieur. Ceci n'enlève aucune valeur à mon argumentation et vous permettra peut-être de mesurer encore mieux les services que sur un plan plus vaste et plus élevé, vous avez rendus à la France en vous battant comme vous l'avez fait, les 13, 15 et 24 juin 1944, puis du 21 au 23 juillet.

Ordre du jour du Général Garbay
Commandant de la 1re D. F. L.

Aujourd'hui, les troupes allemandes sont en pleine retraite. Belfort et Mulhouse sont dépassées. Les deux divisions blindées font leur jonction. La victoire complète est certaine. Ce redressement est entièrement votre œuvre. Il faut que vous le sachiez. Il faut que vous n'ignoriez rien de vos mérites. C'est dans ces conditions invraisemblables : privés de votre chef au moment critique, avec des moyens insuffisants, des cadres épuisés, des recrues

sans instruction qui attaquent et manœuvrent sans répit, vous avez seuls, dans la neige et la boue, enfoncé le front ennemi, ouvert le passage aux blindés et résolu une crise grave. Je vous en parle en toute connaissance de cause.

Le Général De Gaulle, le Ministre de la Guerre, les Généraux De Lattre et Montsabert en témoignent. Le Général Eisenhover est venu vous exprimer sa gratitude et son admiration.

Toutes ces louanges, nous les offrirons en hommage à la mémoire de notre chef et de nos camarades disparus, car c'est dans leur souvenir, par votre douleur, par votre fierté que vous avez trouvé l'énergie et l'abnégation nécessaires à la victoire. C'est par le sacrifice de tous : anciens F. F. I., soldats du maquis, jeunes recrues, que la division plus homogène et plus ardente que jamais a pu remporter avec la 2e Division Blindée qui vient de délivrer Strasbourg, un des plus magnifiques succès de la Libération.

Prédiction du Général Vanson
au lendemain de la guerre de 1870

" Le 11e Cuirassiers, ce corps superbe, qui doit sa naissance au plus majestueux de nos rois, a seul subsisté jusqu'en 1871, sous la même dénomination.

" Sous son modeste numéro de série, le régiment actuel a le droit d'être fier de ses antécédents, ce sont ses titres de noblesse. Vienne un jour la guerre, il se souviendra de son illustre passé. "

Aux noms glorieux de :

Hohenlinden (1800) ; Austerlitz (1805) ; Eckmühl (1809) ; La Moskova (1812) sont venus s'ajouter en 1914-1918 ceux de : Moulin-Laffaux ; Noyon ; de l'Argonne ; Friedberg ; Coucy-le-Château ; Plessis-de-Roye ; et, en 1940-1945 : la Meuse ; la Somme ; les Ardennes ; Saint-Valérie-en-Caux ; le Vercors ; Romans ; Côte 701-714 ; Fresse ; Ronchamp ; Champagny ; Giromagny ; Massevaux ; Bel-fort ; Huttenheim ; Benfeld.

Extrait sur la tragédie de la Grotte de La Luire
Témoignage recueilli auprès de " Lulu "

Tous les maquisards blessés étaient dirigés sur l'hôpital de Saint-Martin-en-Vercors et recevaient les soins des Docteurs Ulmann, Ferrier, Ganimède, assistés du Révérend Père Yves de Montcheuil. Une entente parfaite régnait entre nous tous. Avec un matériel très rudimentaire, les Docteurs obtinrent des résultats merveilleux, et on ne sait par quel miracle ils réussirent à sauver un blessé gravement atteint et surnommé " Jésus ". Peut-être est-ce à cause de son nom !...

À l'étage où je servais, il y avait de nombreux et graves blessés, et je me souviens tout particulièrement d'un petit gars de Romans, nommé " Dédé " qui, blessé à la tête, resta pendant huit jours dans le coma. Tous les matins, j'avais son bonjour et souvent je l'entendais chanter : La Madelon, le Chant du Départ, et parfois Maréchal, nous voilà. C'est à lui que je dois d'avoir versé mes premières larmes sur le plateau du Vercors.

Le 21 juillet au soir, l'ordre d'évacuer l'hôpital venait interrompre le récital de violon donné par un blessé à ses camarades. Le temps des préparatifs et vers 2 heures, nous quittions Saint-Martin en direction de Die, où nous arrivions vers 5 h 30. Prévenus par la Sœur Mère de l'hôpital que les Allemands arrivaient par une autre route, nous fûmes contraints de faire demi-tour. Pendant tout le trajet du retour, empruntant la route du Col du Rousset, un avion nous suivit et nous mitrailla sans arrêt. Au sommet, nous fûmes mis à l'abri et l'un des frères Huillier, de Villars-de-Laps, nous dirigea sur la grotte de La Luire, près de Saint-Agnan, où nous installâmes de notre mieux les blessés français et allemands.

Il ne fut plus question pour nous de faire de la cuisine, et tout en essayant de soulager les blessés à notre charge, nous partagions le peu de ravitaillement qu'il nous restait.

Des jours tristes s'écoulèrent et chacun pensa au sort qui lui serait réservé si les Allemands arrivaient. Pourquoi n'avait-on pas écouté Madame Ganimède qui avait proposé de disperser les blessés dans les bois !...

Succédant à notre angoisse, des coups de feu claquèrent. Les valides furent priés de partir, mais ce ne fut qu'une fausse alerte.

Un soir, ayant vu s'éloigné Busca, d'Autrans, traînant sa jambe prise dans le plâtre, je lui demandais où il allait. Il me répondit :

- J'ai trouvé un coin pour dormir tranquille et j'y vais !

En compagnie d'Arnaud, de Romans, je le suivis. Me voyant partir, Jean Julien, l'un de mes préférés, me cria :

- Tu pars, Lulu ?

- Non, je vais dormir à côté pour récupérer, mais je reviendrai près de toi demain matin.

Nous dûmes faire une vraie gymnastique pour suivre Busca, car nous étions assez éprouvés, et lorsque nous eûmes atteint notre but, ce fut pour voir arriver les Allemands aux " Chaberts ".

Ils furent quatre ou cinq seulement à venir jusqu'à la grotte et ils paraissaient assez surpris en arrivant ; on ne peut donc pas dire si nous avions été dénoncés ou si c'est seulement par curiosité que les Allemands sont venus, la grotte de La Luire étant portée sur les cartes d'état-major.

De notre emplacement, nous n'avons pu voir la scène qui s'est déroulée à la grotte, mais nous avons entendu les coups de feu et... le lendemain, les coups de pioches !...

N'osant bouger, de peur de nous signaler, blottis dans notre trou, la soif devint insupportable. Une nuit, j'entendis le murmure d'une source et le lendemain je le dis à mes amis. Ils crurent que j'étais devenue folle ! Collant mon oreille contre la roche et me guidant au bruit, je découvris la source. Un petit filet d'eau de l'épaisseur d'un fil de laine, mais c'était tout de même de l'eau.

Ramassant, pour servir de récipient, l'os d'une bête qui avait dû venir crever ici, on ne sais comment, nous jetâmes la première eau, mais je vous assure que je n'ai jamais trouvé l'eau aussi bonne que cette fois-là.

Le septième jour, n'entendant plus rien, sur la proposition de Busca, nous décidâmes de nous séparer. Par une nuit merveilleuse, sous un magnifique clair de lune, les adieux furent simples mais touchants. Arnaud me serra la main et Busca me quitta en me baisant la main. Seule, sans le savoir, je couchai près des blessés que les tyrans avaient achevés.

Le lendemain matin, vers 5 heures, guidée par un chat, j'atteignis le village des " Chaberts ". Une brave m'accorda l'hospitalité et me servit un mémorable café-crème. Puis, ne pouvant me garder, elle me conduisit chez des amis, Monsieur et Madame Jarrand, qui me donnèrent les soins que nécessitait mon état (j'avais une adénite à l'aine, due à l'humidité).

Monsieur Jarrand me déclara avoir été le témoin de quelque chose d'épouvantable. Les Allemands l'avaient prié d'aller chercher les blessés à la grotte de La Luire, de les charger sur un char et de les transporter en direction du Rousset. Il était presque arrivé lorsqu'il rencontra un officier allemand qui lui fit faire demi-tour. Il revint donc vers La Luire, redescendit les blessés du char et les installa sur le terre-plein. Puis on le congédia. Il venait à peine de parcourir cinquante mètres que le bruit d'une mitraillette le fit sursauter ; il se retourna et vit que l'on achevait tous les blessés. Frappé par cette vision d'horreur, il resta quelques jours sans pouvoir prononcer un seul mot.

Les infirmières furent déportées et j'eus la douleur d'apprendre que l'une d'elles, Mademoiselle Malossane, était morte en captivité.

L'épargnant sans doute en raison de son âge, les Allemands relâchèrent le Docteur Ganimède, mais fusillèrent au Polygone de Grenoble les Docteurs Ulmann et Ferrier, ainsi que le Révérend Père De Montcheuil.

Nous nous sommes battus uniquement pour servir, et pour le profane qui serait tenté de croire que nous avons tiré profit de la Résistance, je lui dirai simplement que si nous n'avons pas, comme ce fut le cas pour mon vieux camarade l'écrivain Paul Garcin, " terminé la Résistance avec des dettes ", pendant trois mois nous n'avons pas perçu notre solde s'élevant à 3 francs par jour, et que, à ma connaissance, aucun de mes anciens camarades d'escadron n'est titulaire de la Médaille de la Résistance.

France, pays des beaux châteaux, des paysages pittoresques, de tant de belles régions, du Vercors où depuis de longs mois nous avons lutté coude à coude pour te débarrasser de l'envahisseur qui avait foulé Ton Sol glorieux, tu dois à tes morts d'avoir gardé Ton Prestige de Grande Nation.

Souvent, ma pensée s'envole vers ce coin de montagnes où j'ai passé la meilleure partie de ma jeunesse, au milieu d'une si franche camaraderie, et ce n'est pas sans tristesse que j'évoque ceux de mes amis, de mes camarades qui sont tombés si courageusement.

Afin d'éviter le retour de tous ces durs combats, de tous ces sacrifices, que le sang de nos morts ne soit versé inutilement, la France ne doit plus être le jardin de fleurs exposé aux ravages des passants.

C'est ainsi que je terminerai ces lignes, qui ne sont qu'un simple journal, évocation de tant de souvenirs.