Tessy    Tessy    plaque commémorative

En lisant

L'abbé Nolais raconte

Voici quelques années j'avais publié dans ce bulletin le récit fait par l'abbé Morel de la libération de Montbray en 1945.

Cela avait intéressé nos lecteurs.

Il est vrai, hélas qu'il y eut à Montbray de nombreuses victimes. En revanche, à Saint-Vigor, ce fut beaucoup plus calme. Voici cependant ce qu'en a retenu l'Abbé Nolais dans le livre paroissial.

• La commune n'eut pas à souffrir de l'occupation allemande. N'ayant pas d'agglomération autour de l'église et ses fermes s'étirant, espacées, sur un territoire de plusieurs kilomètres carrés, elle ne se prêtait nullement à un stationnement de troupes ennemies. De toutes les paroisses environnantes, elle fut la seule à n'avoir pas d'occupants. Quelques visites seulement de soldats allemands, cantonnés à Pont-Farcy ou à Montbray, et qui venaient se procurer, à prix d'argent, quelques victuailles destinées à améliorer  une nourriture plutôt déficiente.

De cette tranquillité si appréciée, nous ne jouissions pas cependant en égoïstes. Nos 27 prisonniers dans les stalags d'Allemagne furent largement ravitaillés et reçurent chaque mois, grâce aux libéralités des paroissiens et aux bons soins du comité de la croix rouge de Tessy deux colis abondamment garnis. Une kermesse fut organisée à leur intention et produisit 153.00 F de bénéfice net.

   (La kermesse eut lieu dans le champ en face de l'école).

Du reste ils ne furent pas les seuls bénéficiaires de la charité paroissiale. Les bombardements fréquents de Cherbourg et de ses environs, et plus tard l'occupation forcée d'une partie de ses habitants avaient amené une importante exode de la population de cette région. Il était naturel que beaucoup de mes anciens paroissiens d'Équeurdreville s'adressent à moi pour leur trouver un logis. Toutes les maisons, tous les appartements qui étaient libres furent occupés.

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, de forts contingents des armées américaines et anglaise opéraient le fameux débarquement sur les côtes de la Manche (Sainte Marie du Mont) et du Calvados. Dans les jours suivants, l'aviation américaine bombarda et détruisit les villes de Saint-Lô, Coutances, Valognes, Vire, etc. faisant un nombre considérable de victimes....

Les habitants de Saint-Lô, désormais sans domicile, affluèrent dans notre région. Saint Vigor en reçut un fort contingent qui doubla le chiffre de la population. Ces malheureux, véritables épaves humaines, dont la plupart avaient tout perdu, furent logés tant bien que mal, souvent même, faute de place, dans les granges et les étables. Ce m'est une grande satisfaction que de pouvoir noter que tous les réfugiés reçurent partout l'accueil le plus cordial et tous les soins que nécessitait leur pénible situation....

Cependant la bataille s'amplifiait et la ligne de feu se rapprochait chaque jour. L'armée américaine, après avoir coupé de l'est à l'ouest, la presqu'île du Cotentin s'était emparée de Cherbourg. Maîtresse de cette importante base navale qui lui assurait un débarquement plus facile d'hommes et de matériel, elle descendait maintenant vers notre région. Déjà deux combats entre escadrilles ennemies, dans le ciel de Saint Vigor, dont l'un très violent à l'issue de la grand'messe, nous avaient annoncé l'imminence du danger. Il était impossible de circuler, même à pied, sur les grandes routes, contrôlées et sans cesse mitraillées par l'aviation américaine. Sur nos chemins nous devions user de prudence. Nous n'avions donc aucune communication avec l'extérieur, même le plus proche.

Chaque nuit, les unités allemandes opéraient la relève. Quittant la ligne de feu, les soldats arrivaient dans les fermes entre minuit et deux heures, envahissaient les bâtiments, obligeant même parfois les familles à leur céder les lits. Camions, tanks, autos, véhicules de toute sortes et de tous modèles sillonnaient alors nos routes.

Talonnés par l'adversaire qui leur infligeait des pertes sévères, obligés de céder du terrain, les Allemands devenaient arrogants et pillards. Pressentant un nouveau recul, ils engageaient les habitants à fuir, afin de mettre à sac leurs demeures. Trop souvent ils réussirent dans leurs projets. Un grand nombre de paroissiens, malgré le conseil que je leur avais donné le dimanche qui précéda notre libération, de rester chez eux, abandonnèrent leurs foyers, et se joignants aux vagues de réfugiés qui déferlaient sur nos chemins, venant de Moyon, Fervaches, Tessy, Gouvets, Montabot, partirent à l'aventure. Ils devaient bientôt le regretter amèrement, car la plupart gagnèrent des secteurs qui furent durement éprouvés par les bombardements et perdirent ainsi une grande partie du matériel qu'ils avaient emporté avec eux, sans compter les déprédations commises chez eux en leur absence.

Par contre, ceux qui restèrent n'eurent qu'à se féliciter d'avoir suivi le conseil que je leur avais donné. Leurs pertes furent minimes.

Le presbytère ne fut occupé par les allemands que les deux derniers jours. Une section de la croix rouge s'y installa. Je dois à la vérité de déclarer que mes occupants furent corrects, à l'exception d'un tout jeune commandant de S.S. qui se montra arrogant, impoli même, et qui me menaça de prison parce que je refusais de fournir de la nourriture à son détachement. L'affaire s'arrangea cependant : il me vola deux poules, mais, plus tard deux majors vinrent me présenter des excuses.

Nos sommes au mercredi 2 août. Nos libérateurs approchent ; les occupants font leurs préparatifs de départ. À midi et demi un intense bombardement nous avertit de l'imminence du combat. Il durera une heure.

Quelques dégâts matériels. Les batteries allemandes ne répondent que faiblement. Je suis au presbytère. Une paroissienne vient me chercher sous la mitraille pour donner les sacrements à une personne, la mère du maréchal Ferrand, grièvement blessée par des éclats d'obus. Je m'y rend immédiatement. La pauvre femme agonise..  et meurt peu après. Son décès fut le seul à déplorer (il y en eut une dizaine à Montbray !) (2)

Le calme revient et l'après midi se passe sans nouvelle alerte. Vers 18 heures, un soldat vient m'avertir que l'État-major réquisitionne la grande salle du presbytère pour y prendre son repas. Une heure plus tard, contre-ordre est donné. Une luxueuse automobile remisée dans la garage démarre silencieusement, emportant six officiers supérieurs sur la ligne de feu. Bon voyage Messieurs, et surtout n'oubliez pas d'y rester ! ....

Une demi-heure plus tard, une colonne allemande stationne dans la route, attendant un ordre de repli. Les affaires vont mal, sans doute, pour nos occupants. À 20  heures plus personne :

Mais le bombardement recommence. Il durera, particulièrement intense, jusqu'à deux heures du matin. Dès les premiers obus, une quinzaine de réfugiés, chassés par l'incendie de leur maison, me demandent asile pour la nuit. Je les accueille avec empressement et les installe aux endroits les plus sûrs. Grâce à ses murs épais, le presbytère, bien abrité en raison de sa position, peut résister au tir de l'artillerie américaine sans subir de dégâts, les projectiles étant de petit calibre... (1)

Je monte à ma chambre, et j'attends sans trop d'émotion la suite des évènements. Les obus pleuvent dru : plusieurs éclatent tous près. Nous demandons à Dieu de nous protéger. La nuit se passe en prières. Vers  deux heures du matin, la canonnade devient moins intense. J'en profite pour m'étendre sur mon lit. Vaincu par la fatigue, je m'endors immédiatement. Mais à 4 heures je suis brusquement réveillé par le bruit d'une pluie d'obus de gros calibre que l'artillerie américaine envoie sur le bourg de Montbray.

Notre secteur étant redevenu calme, je procède à une toilette sommaire. À peine l'avais je commencée qu'on m'appelle sous ma fenêtre. C'est mon voisin qui, tout joyeux, m'annonce qu'il vient de serrer les mains de soldats américains. Au même moment, un groupe d'une dizaine débouche dans mon jardin : " Welcome !  Hurrah for America ! " m'écriai-je ! Ils me répondent par un bon sourire. Et je descend précipitamment annoncer la joyeuse nouvelle à mes pauvres réfugiés qui, eux aussi, vibrants d'émotion, acclament leurs libérateurs... "

Mercredi 9 août 1944.

(à suivre : l'action de grâces et le souvenir de ceux qui ne sont pas revenus).

(1) maison appartement : peut être à Octave Thomas ou Hus Paul La Philippière.
(2) Une victime Madame Hubert.

bulletin paroissial vers 1985.