CHRONOLOGIE
SIMPLIFIÉE
6
juin
Parachutages sur le canton de
Sainte-Mère-Église
Prise de Sainte-Mère-Église Débarquement
à Utah Beach
6-7
juin
Bombardement de Saint-Lô, Valognes,
Coutances
9-12
juin
Libération de Carentan
11
juin
Drame de Graignes
12-19
juin
Bataille de Montebourg
17-18
juin
Prise de Portbail et coupure de la
presqu'île
19-21
juin
Libération de Valognes
22-26
juin
Libération de Cherbourg
9
juillet
Prise de La Haye-du-Puits
16
juillet
Premiers navires à Cherbourg
17
Juillet
Libération de Pont-Hébert
18-21
juillet
Libération de Saint-Lô
24-25
juillet
Opération Cobra à La Chapelle Enjuger
26-27
juillet
Libération de Marigny, Canisy, Villebaudon,
Lessay, Périers
28
juillet
Libération de Coutances
30-31
juillet
Libération d'Avranches, Brécey, Granville, Villedieu
3-13
août
Bataille de Mortain
SAINT-LÔ
Saint-Lô
au bûcher ou la capitale des ruines
Les
expressions ne manquent pas pour évoquer le drame de la ville-préfecture de la
Manche. " Une ville à la casse ", " La semaine rouge ",
" Saint-Lô au bûcher ", " La capitale des ruines ". Les
trois premières sont de Maurice Lantier, historien scrupuleux qui, en 1969, a
recueilli nombre de témoignages de première main sur les événements qui déchirèrent
cette ville de six mille habitants. Selon les estimations les plus sérieuses il
y eut plus de huit cents morts civils.
Le 6
juin de bonne heure les habitants de Saint-Lô apprirent que le Débarquement
avait eu lieu lorsqu'ils entendirent les sourdes explosions des obus de marine
qui tombaient à une bonne vingtaine de kilomètres, vers ce qui était devenu
Utah Beach. L'Histoire n'était pas loin bien que certains, mal renseignés,
aient pu s'abuser sur l'origine de la canonnade : " Dès 8 heures, selon
Madame Flattet, on se passait de l'un à l'autre que le débarquement avait lieu
du côté du Mont-Saint-Michel ", que Pontorson était détruit ainsi
qu'Avranches. Beaucoup le crurent. La suite ne fut pas seulement dramatique,
elle fut longue. Chacun se demandait dans combien de temps la ville serait délivrée.
" Nous le sûmes dès le soir même et la nuit suivante avec une ampleur
jamais atteinte, précisait Auguste Lefrançois en 1969, dans une atmosphère
d'horreur dépassant toute imagination, alors qu'une semaine durant, les avions
qui revenaient toutes les trois ou quatre heures s'acharnaient sur les ruines.
Ce furent ensuite les quarante jours de la bataille qui avait pour objet la
prise de ce qui avait été Saint-Lô, bataille qui consacra la rupture du front
allemand. " Des premières
bombes sur le quartier de la Gare, le 6 juin à 16 heures 30, jusqu'à la libération
complète des ruines le 20 juillet, les événements durèrent donc plus de six
semaines. En voici quelques épisodes révélateurs.
Marcel
Menant qui fait partie du Mouvement Libération se rend au poste de commandement
pour récupérer les brassards de son groupe auxiliaire de défense passive
qu'il y a déposés la veille : on doit les lui tamponner du " cachet de la
722 ". Aimable, Le Colonel Von Bulow lui demande pourquoi il est si pressé
de porter ces brassards et lui dit ; " Ayez confiance, nous sommes seuls.
" Et il prie le Français de l'accompagner par la rue de la Poterne. Alors
Menant réalise et n'en revient pas : " plusieurs camions sont rangés en
cercle ; ils sont remplis de parachutistes néo-zélandais noirs comme des
charbonniers et bien fatigués. " Les curieux sont contenus par des S.S.
(...) " Je me rends compte que je dois avoir " bonne mine " derrière
le Colonel. Je passe donc la " revue " mais il m'est impossible
d'adresser la parole à mes amis qui, d'ailleurs me prennent sûrement pour un
kollabo. Je remonte, dira-t-il plus tard à M. Lantier, avec Von Bulow dans son
bureau. Il appose enfin son cachet sur les précieux brassards. Il a l'air très
soucieux et ses derniers mots me laissent entrevoir qu'il pense évacuer les
lieux. S'il savait que mon brassard va se trouver doublé, à l'intérieur, du
carré tricolore imprimé de la croix de Lorraine et de mon insigne de chef de
groupe ! "
Le
premier bombardement allié sur le centre surprend tout le monde. La soirée était
belle, on s'attardait un peu dehors, certains se mettaient à table quand "
le bruit de torrent déchaîné, le bruit terrifiant, sifflant, aigu, qui devint
hurlement meurtrier " frappa la ville ; en effet la mort hurla trois fois
en quelques minutes. Rue Dagobert, Berthe Vérité bavardait avec ses locataires
quand " tout à coup, témoigne-t-elle à son tour, je me sens fouaillée
sur tout le corps comme par du gravier jeté avec force (...) Je prends
conscience de la situation, j'étais dans un endroit obscur, incapable de bouger
autre chose que les bras et de remuer un peu le buste. La partie inférieure de
mon corps était emprisonnée sous une charge énorme. Coincée sous les décombres
elle a en outre perdu ses lunettes de myope que par chance elle retrouve près
d'elle, encore utilisables ; cette découverte est son premier réconfort. Son récit
laisse imaginer ce que fut ce soir là l'angoisse de nombre de Saint-Lois.
"
De l'extérieur m'arrivaient feutrés des bruits de pas précipités, des
appels, des cris, tous les échos d'une agitation collective dont j'étais isolée.
J'essayai bien d'appeler à l'aide mais ma voix ne portait pas (...) Je réalisai
que j'avais sur le dos le toit de béton armé d'un petit édifice qui servait
autrefois de bureau, une surface d'environ deux mètres sur trois et de bonne épaisseur.
Cette énorme plaque ne s'était pas entièrement brisée, à cause de son
armature. Comme pliée en deux par son milieu, elle formait miraculeusement
juste au-dessus de ma tête et de la partie supérieure de mon corps, une petite
voûte de 20 à 25 centimètres du sol. Grâce à cela j'avais de l'air de la
lumière et le seul moyen de communiquer avec l'extérieur (...) Je ne sentais
absolument rien. Je devinais un va-et-vient incessant dans mon secteur, aux
environs de ma pierre tombale. À plusieurs reprises j'essayai bien d'appeler au
secours, de signaler ma présence de façon quelconque. Par quelques petits
cailloux lancés par mon trou d'air mais jetés de la main gauche et sans recul,
ils n'atteignaient pas la sortie.
De son
côté Jean de Saint-Jorre note : " Des Allemands s'enfuient à travers les
décombres et une voiture militaire attelée de deux chevaux remonte au grand
galop vers le haras, sans conducteur. "
Sous
les ruines, mardi 6 juin, 21 heures
Berthe
Vérité est repérée peut-être grâce à une quinte de toux. " Il y a
quelqu'un par là ? " fit une voix. "
Oui, oui, ici, là-dessous, " répondit la prisonnière dont les paroles
restaient comme incertaines aux sauveteurs. On marchait sur ses ruines et c'était
bon signe. On lui parla, lui demanda si elle était blessée, lui dit qu'il
fallait attendre. Le Docteur Letrésor vint alors et fit la consultation la plus
professionnelle qui soit en lui prenant le poul et la rassurant : " On va
vous sortir de là. " Elle lui confie ses verres de lunettes qu'elle ne
retrouvera que trois semaines plus tard. Des gars de la Défense Passive et des
volontaires discutent sur la manière de s'y prendre. Berthe les entend parler
et même marcher sur sa chappe de béton. Elle a le temps de penser que le pire
serait qu'une fois relevée cette dernière retombe brusquement. " Avec un
calme méritoire dans l'excitation générale, ils essayèrent des mouvements
d'ensemble et j'entendis : " Oh ! hisse ! " Mais rien ne bougea. Le
salut vint d'un mécanicien qui eut l'idée d'aller chercher son cric dans son
atelier heureusement épargné, puis celui-là étant insuffisant de s'en
procurer un autre. "En quelques instants bien périlleux, rappelle la
miraculée, je fus rendue à l'air libre, à peine meurtrie et incapable de me
tenir debout. " Berthe n'avait rien de cassé mais ses lunettes lui
manquaient énormément !
Alors
elle découvre l'immensité des malheurs qui l'entourent et à la vue de la
panique des uns et de la détresse des autres le cœur lui manque, elle perd son
sang-froid et se met à courir. "Ne rentrez pas dans votre maison, se dit
la Saint-Loise qui se souvient de Matthieu 24, " Fuyez ! fuyez !. Jour
de malheur ! Jour de colère ! "
A
la prison, Mardi 6 juin, vers 23 heures 30
Louis
Gablin a perdu un bras à la Grande Guerre. En juin, incarcéré pour faits de Résistance,
il est dans une cellule de deux mètres sur trois avec le Docteur Lesaffre quand
le bombardement de 20 heures a lieu. La prison vacille, le sol se couvre de débris,
les murs se lézardent, " dehors des femmes et des enfants ont poussé des
cris inhumains ". Ils aperçoivent aux travers des barreaux l'horloge de la
mairie arrêtée à 20 heures 05 et se précipitent sur leur lourde porte de chêne
pour appeler les gardiens qui semblent pour la plupart avoir déserté. L'un
d'eux passe dans le couloir mais refuse d'ouvrir. Des bruits encore signalent
qu'on libère des prisonniers, sauf Gablin et son compagnon qui comprennent
qu'il faut s'attendre à tout.
C'est
donc vers 23 heures que le fracas recommence de plus belle et, bien qu'elle soit
faite de murs épais, la prison " roule et tangue comme un bateau ivre.
Soudain un vacarme épouvantable. Le mur du sud, celui du couloir s'est incliné
sur nous ; le Docteur et moi crions : " Mais ils vont nous tuer ! " Et
Gablin perd connaissance. Des bombes de gros calibre sont tombées sur les
cellules 11 et 12, pulvérisant le bâtiment, faisant un trou dans le plancher
des deux compagnons ; mais la porte de chêne est toujours là, intacte ou
presque ! On dégage comme on peut le malheureux enseveli sous les pierres du
mur, mais largement couvert de sang et toujours groggy ce dernier ne réagit
pas. " Mes sauveteurs ont l'impression que je suis gravement touché et que
je n'ai sans doute plus que quelques heures à vivre. " Assis et bien calé
contre son tas de pierres, protégé d'autres effondrements par quelques
planches, il est laissé là en attendant on ne sait quoi.
Gablin
demeure seul inconscient dans une prison en ruines, avec la compagnie des morts
sous les décombres. On revient pour lui parler à 4 heures 30 mais il n'entend
rien. Ce n'est que le jour venu qu'il émerge de son K.O. alors que volent des
flammèches que le vent disperse jusque dans le col de sa chemise. " En
appuyant mon cou sur le bord d'une planche, j'éteins ce petit foyer. Le sang
coagulé sur ma tête forme avec mes cheveux comme une calotte, je respire
difficilement, mon coude est douloureux et ma clavicule gauche me fait mal (...)
Il pleut toujours des flammèches et j'éprouve le sentiment que bientôt je ne
serai plus maître de la situation. Soudain une liasse de papiers s'abat sur ce
qui reste de la paillasse, dans un endroit inaccessible pour moi. Une flamme s'élève.
Vais-je être brûlé vif ? Non ! Je ne veux pas mourir ici. Je rassemble toute
mon énergie. J'essaie de me hisser sur les planches qui protègent ma tête
pour atteindre le sommet du mur. "
Plusieurs
dizaines de détenus politiques ne purent échapper à une mort inacceptable
parce que causée, à la fois, par la trahison de certains Français,
l'oppression allemande et les bombes aveugles des Américains. Parmi eux, le
socialiste Raymond Le Corre, adjoint au maire d'Équeurdreville, le curé de
Carteret, Audigier sous-préfet de Cherbourg, Lescot, épicier à Torigny-sur-Vire
et Aussant herboriste à Cherbourg.
Mercredi
7 juin, 2 heures
"
Les avions sont revenus, écrira plus tard Henri-Bernard, je me suis levé de
mon lit et me suis assis dans ma cuisine pour ne plus voir cela. J'avais des
amis qui devaient se débattre dans cet enfer. Je ne pouvais rien pour eux. Si
l'enfer m'atteignait je ne pouvais même rien pour moi-même.
La séance
dura encore cinq à six minutes avec la différence que, cette fois-ci, cela se
passa plus près de moi : ce qui restait encore debout fut soigneusement réduit
en poussière. Vers deux heures et demie, hébété, surpris d'être encore en
vie, je suis allé m'asseoir devant la fenêtre donnant sur la catastrophe : une
mer de feu surmontée de nuages tourbillonnants de fumée, rouges en-dessous,
noirs en-dessus. La ville entière se consumait dans un rugissement de volcan prêt
à érupter. De temps en temps un mur, une maison s'effondraient avec un
grondement roulant et des étincelles s'en allaient se perdre dans la fumée.
"
Henri-Bernard
est hébété et s'entend se dire plusieurs fois : " Qu'ont-ils fait ?
Qu'ont-ils fait ? " La tête dans les mains, il s'endort dans un cauchemar.
"
Mercredi
7 juin, 2 heures 30
Grimpé
sur ce qui reste du chemin de ronde, Froger note : " Vue dantesque sur
Saint-Lô en fumée, en flammes. Notre-Dame effroyablement touchée, son horloge
restée presqu'entièrement effondrée et éclairée comme en plein jour,
continue à sonner les heures. Le grand Christ du transept sud aussi est resté
suspendu. "
Jeudi
7 juin, au petit matin
C'est
maintenant Jean de Saint-Jorre qui observe le désastre, le feu qui gagne,
" rampant d'une maison à l'autre dans un immense crépitement. Et sur ce
tragique réveil se tordait vers l'est un gigantesque panache de fumée, aux
volutes infinies, desquelles s'échappaient des feuilles de papier à demi-brûlées
sur lesquelles on lisait encore des textes administratifs dérisoires ".
Il
descend vers " le cœur pantelant de Saint-Lô ". Aux maisons effondrées,
succèdent des maisons effondrées, de la fumée et des tourbillons de fumée.
La place du Champ de Mars se recouvre de débris atterris dont ne sait où et
rue du Mouton " d'une maison éventrée, surgit une très vieille femme
chargée d'un immense cadre représentant un cheval de course ". Un vicaire
sort égaré du presbytère. Le directeur de la Banque de France erre, tête
nue, plein de poussière et la figure comme si on lui avait donné des coups. Le
tragique le dispute au surréaliste. La gendarmerie est un tas de ruines où
l'on aperçoit le commandant, une pioche à la main, cherchant à tirer des décombres
un jeune homme de seize ans.
Jeudi
8 juin, au matin
Malgré
l'attachement que l'on a pour les siens, disparus ou tués sous les décombres,
une idée s'impose, irrépressible, comme contagieuse : partir, fuir, retrouver
la sécurité. C'est l'exode. On part avec quelques affaires entassées dans un
baluchon ou poussant quelque remorque, une bicyclette ou une brouette ;
spectacle lamentable de files de gens de toutes conditions. Malgré
l'interdiction d'encombrer les routes, ils marchent vers le sud, se cachant dans
les fossés lorsqu'arrivent des camions allemands. Après une nuit dans une
ferme, la famille Crépin reprend sa marche. " Les routes étaient presque
désertes : de bonne heure nous continuons vers Hambye ". Arrive un convoi
allemand repéré par l'aviation alliée. " Vite, dans un champ, à plat
ventre nous attendons que le combat soit terminé ... Les camions se calcinent
et nous poursuivons notre route, dissimulés dans les fossés. "
Jeudi
8 juin, 23 heures 30
"
Des fusées rouges partent d'une formation observe J. de Saint-Jorre, puis
d'autres, puis d'autres encore. Des hauteurs du faubourg de la Roquette on aperçoit
toute la ville dans une lumière cruelle. "
Vendredi
9 juin, dans la matinée
Des
centaines de personnes se sont réfugiées dans " le tunnel ", long
boyau creusé sous le rocher. Les premiers soins s'y sont organisés dès le 7
juin. Or le vendredi matin le groupe électrogène donne des signes de faiblesse
puis arrête carrément de fournir la lumière. À 17 heures, une décision est
prise de crainte que l'issue ne s'obstrue : il faut évacuer le tunnel où, en
outre, les conditions d'hygiène deviennent déplorables. Les personnes valides
retrouvent la lumière dans l'accalmie provisoire et se dirigent vers le haras
encore debout, puis devant la menace d'un bombardement s'installent dans une
ferme du vallon de la Petite Suisse jusqu'au moment où ils doivent décamper
pour laisser la place à un État-major allemand. On les retrouve à la ferme de
la Roque, route de Bayeux. Quant aux invalides on les transporte comme on peut
dans une errance incertaine qui aboutit au village du Hutrel.
Février
1945
La
plupart des morts dégagés des décombres calcinés et inhumés, l'hiver arriva
; " maintenant il y a la boue, rien que la boue, écrit sobrement
Bernard Jacqueline dans La Manche Libre du 4 mars 1945. Cinq mille personnes
logent dans les maisons des faubourgs sans carreaux et aux toits défoncés. Égouts
et caniveaux obstrués par l'amoncellement des ruines empêchent l'écoulement
des eaux : certains quartiers sont noyés par l'inondation (...) Pas de vêtements,
pas de couvertures, pas d'imperméables, pas de chaussures, la plupart des gens
portent les effets d'été qu'ils avaient le 6 juin ; le vent d'hiver fait
crouler les pans de murs où nichent des corbeaux. Les écoliers traversent les
ruines pour aller en classe. Un drapeau tricolore continue de flotter sur le
beffroi, en ruine lui aussi. "
(Sources
et témoignages : Froger, Gablin, Jacqueline, Lantier, Menant, de Saint-Jorre).
LE
MAJOR HOWIE " LE MORT QUI LIBERA SAINT-LÔ "
Les
ruines de Saint-Lô présentent-elles encore un enjeu stratégique ? Les Américains
le croient puisqu'ils vont livrer pour s'en emparer, en juillet 1944, la plus
dure et meurtrière des batailles. Le major Howie y perdra la vie et deviendra
le symbole de la libération de cette ville.
Entre
deux salves des 75 et 155, le brave Folliot s'en allait traire les deux dernières
vaches d'une voisine et le voilà déchiqueté par les obus. "Le caporal
des transmissions est un Strasbourgeois, témoigne Menant, il me fait signe le
soir, vers 21 heures 15, à l'heure de la B.BC. Je me souviendrai longtemps de
cette information entendue avec une vive émotion : " Des combats acharnés
se livrent sur les hauteurs de Saint-Lô, le petit village de Martinville a été
pris et perdu plusieurs fois. " Mon Fritz a du mal à croire que
Martinville se trouve devant nous à 1500 mètres à vol d'oiseau ! "
La
cote 192 au Bois de Soulaire
L'heure
du Major Howie n'a pas encore sonné. Depuis la mi-juin Saint-Lô semble défier
toutes les attaques. Il est vrai que les ruines et ses hauteurs se prêtent bien
à la défense de ce noeud de communications stratégiques, verrou qui empêche
les troupes américaines de progresser après leur échec à l'ouest de la
ville. Le front s'est stabilisé entre Airel et Caumont-l'Eventé. Rommel a donné
des ordres très stricts : il faut résister avec opiniâtreté et tenir Saint-Lô,
en particulier cette cote 192, située à 6 kilomètres à l'est de la ville, au
petit bois de Soulaire, tout près de la route Saint-Lô Bayeux. Meindl
est bien décidé à tenir jusqu'au bout cette colline d'où se découvre un
immense panorama en direction de Carentan et de Bayeux. La position bénéficie
du morcellement des parcelles, des haies doubles souvent, de la pente et de nids
de résistance bien enterrés.
L'attaque
du 11 juillet va être terrible et décisive. La visibilité est réduite, il y
a de la brume. La position est pilonnée par l'artillerie. C'est l'enfer que
rencontre le soldat allemand Helmut Kaslacka qui, probablement terré dans son
trou écrit : " Le secteur de notre compagnie a été pris sous un déluge
d'artillerie lourde et d'obus de mortier, on aurait cru la fin du monde. On
entendait résonner les bruits de moteurs des chars dans les lignes ennemies. C'était
terrifiant ! L'attaque n'allait pas tarder. Nous avions pensé que le barrage
d'artillerie avait atteint son maximum. A 5 heures 30, un bombardement plus épouvantable
encore a commencé. Il a duré jusqu'à 6 heures 15. "
"
Puis les tanks sont arrivés. Ils ont du mal à se déplacer ici en Normandie à
cause des haies. Mais ils faisaient feu de partout au travers (des branches).
Vers 10 heures, l'ordre de battre en retraite a été donné. On ne pouvait plus
tenir nos positions. Il y avait un blessé dans ma section. Quand j'ai voulu le
ramener avec un camarade un obus a explosé à deux mètres de nous" Cela
fait deux blessés de plus mais Kaslacka, lui, est indemne. " Un éclat
s'est fiché dans la bandoulière en cuir de ma mitrailleuse que je portais sur
la poitrine, poursuit-il dans sa lettre qui restera sans réponse. En fait j'ai
échappé à la mort cent fois ce jour-là ! " Bientôt il est de nouveau
sous un tir d'artillerie. " Alors mes nerfs ont lâché, comme ceux des
autres. Quand on est soumis pendant des heures au bruit des obus qui sifflent,
qui éclatent, aux blessés qui gémissent et qui geignent, on finit par perdre
pied. En somme c'était l'enfer. Notre compagnie ne compte plus que trente
hommes, alors que nous étions 170 en arrivant en Normandie. " Quelques
heures plus tard, pense Quellien, un G.I. trouvait cette lettre témoignage sur
le corps sans vie de Kaslacka.
Côté
américain les pertes sont aussi importantes. Vers 13 heures 30 une compagnie
atteint le bois de Soulaire. Les parties boisées sur la colline étaient assez
denses mais elles avaient été pilonnées si efficacement 44qu'on n'aurait pu y
trouver un seul arbre intact. A la fin de la journée, le 1er
Bataillon du 23ème d'Infanterie avait avancé de 1500 mètres et s'était
retranché pour la nuit à 500 mètres de son objectif : la route Saint-Lô
Bayeux. "
Le 15
juillet, le Général Gerhard décide de frapper fort après l'avance, haie après
haie, du 116ème Régiment d'Infanterie jusqu'à La Luzerne et
Martinville.
Secourir le 2ème Bataillon
Avec
l'appui de l'aviation, dans des conditions très dures, les G.I. progressent mètre
par mètre. Dans le feu de l'action, le bataillon du Major Bingham, s'avance
jusqu'au coeur des lignes ennemies et s'y trouve isolé, puis encerclé
quasiment au carrefour de La Madeleine, tout près de la route Saint-Lô
Bayeux, à moins de deux kilomètres de la ville. Soutenus par des Panzers,
les parachutistes allemands arrosent ce qui reste de la 2ème
compagnie. La situation est confuse. Il faut à la fois secourir ces soldats et audacieusement
exploiter la situation pour s'emparer de Saint-Lô.
"
La lampe à pétrole chuintait paisiblement " imagine Cornelius Ryan. Appuyé
au mur de terre de son P.C. du 3ème bataillon, Howie essaya de
trouver une position plus confortable pour sa stature trapue.
Dehors
c'est la nuit mais la guerre ne connaît pas de vraies ténèbres. Tout au long
des soixante-dix kilomètres de la tête de pont américaine flamboyaient, par
intermittence, les coups de départ des canons lourds ; des rivières de balles
traceuses s'épandaient dans les nuages; des fusées éclairantes se pendaient
ça et là dans le ciel. "
Au
coeur de la campagne normande, n'ayant pas beaucoup dormi ces temps-ci, le Major
Thomas D. Howie, trente-six ans, a quelque peu oublié ses fonctions de
professeur de littérature anglaise et de directeur des sports de l'Académie
militaire de Staunton (Virginie). Depuis le 6 juin, jour de son débarquement à
Omaha Beach, cela fait quarante-et-un jours qu'il se bat. Il avait commencé par
la prise, à lui tout seul, d'un poste de mitrailleuse. Pour le moment, son
adjoint opérationnel, le capitaine William Puntenney, un gars de Phoenix
(Arizona), expose sur la carte la situation du bataillon. " Howie pouvait
le voir d'un coup d'oeil - ici un champ avait été gagné ou perdu; là un fossé
ou un chemin encaissé pris ou repris. " Presque face à face, Américains
et Allemands se défiaient pour la défense d'un minuscule hameau, celui de
Martinville ; on se balançait des grenades par dessus les haies et les corps à
corps n'auraient pas été rares si les armes n'avaient la rapidité du feu.
Ce qui
tentait notre Major, et d'autres avec lui, c'était d'être le premier à
rentrer dans Saint-Lô. Après tout, les pertes subies par son bataillon et le
courage de ses soldats ne justifiaient-ils pas que cette faveur lui fût
accordée
?
L'ordre
reçu était simple à comprendre et délicat à exécuter : il faudrait bientôt
attaquer droit devant, à Martinville, percer le front ennemi et secourir le
bataillon encerclé à La Madeleine. " Bien que tous les autres officiers
présents sussent à quel point la prise de Saint-Lô démangeait Howie, aucun
ne s'aperçut de l'amer désappointement que lui apportait l'ordre d'attaque.
" En effet, après avoir relevé le bataillon encerclé, celui d'Howie
devait demeurer sur place et tenir la position de la Madeleine. Ce serait à
Bingham de prendre Saint-Lô !
Compte tenu
des circonstances - pénétrer les lignes ennemies - il faudra donc attaquer très
tôt et en souplesse. Chacun fut rendu à soi. Howie lut sa Bible comme
d'habitude et écrivit deux lettres, l'une à sa femme Elizabeth et à sa petite
fille de six ans : " j'ai toujours senti que vos prières auraient une réponse
et que nous serons tous réunis un jour. " Et à un autre correspondant il
demandait qu'on ne s'en fasse pas pour lui. Naturellement il ne fit pas allusion
à l'attaque imminente.
"
A tout à l'heure dans Saint-Lô ! "
À 4
heures 30, le 3ème bataillon se mit en route silencieusement et ne répondit
pas aux tirs de mortier qui arrosaient son secteur. Les hommes avaient leurs baïonnettes
en avant et des grenades prêtes dans une main. Le brouillard ouattait le
paysage et servait le dessein des Américains qui bénéficiaient de l'effet de
surprise pour s'emparer, un à un, des avant-postes allemands. Se glissant entre
deux compagnies , Howie et ses hommes, atteignent les environs de La Madeleine
et établissent le contact avec leurs camarades de la 3ème
compagnie. Ils n'ont pu apporter du ravitaillement et partagent leurs rations
avec les encerclés mais, trop comptées, les munitions ne sont pas redistribuées.
D'ailleurs les hommes de Bingham sont épuisés et Howie se demande s'ils
seraient encore capable de se battre pour Saint-Lô. " Il attendait avec
impatience que ses transmissions fussent établies. La vitesse comptait
maintenant avant tout. Si le 3ème poursuivait sa marche avant que
les Allemands ne fussent remis de l'attaque, le chef de bataillon était sûr,
pense Ryan, que ses hommes atteindraient Saint-Lô.
Mais
les Allemands ne se tiendraient sûrement pas tranquilles longtemps, Howie et
Bingham se gardaient bien de penser le contraire. Il en était de même de
Gerhardt à son quartier général de la division ". Ce dernier espérait
que les événements tourneraient en sa faveur tant les renseignements qu'il
recevait permettaient de penser que l'ennemi " était durement éprouvé ;
Il appela son adjoint, poursuit C. Ryan, le Général Norman (Dutch) Cota et lui
enjoignit de rassembler des forces blindées et de se tenir prêt à attaquer
Saint-Lô par le nord ", à la faveur du vallon qu'empreinte la route de
Saint-Clair-sur-Elle.
"
Avant vingt-quatre heures d'ici, vous serez en route. Nous approchons de la fin
mais tout n'est pas terminé encore. Le Boche va passer à la contre-attaque
aussi durement qu'il le pourra, (il tapota la carte de l'index). En particulier
ici il va employer tout ce qu'il peut à La Madeleine. "
Il ne
croyait pas si bien dire : l'oreille exercée de ces soldats expérimentés
percevait déjà le premier barrage de mortiers annonçant un arrosage plus
proche. Ils eurent l'impression d'entendre arriver très près le roulement d'un
train express lancé à toute allure. Les obus pleuvaient et Howie se demandait
si ses hommes tiendraient longtemps ; les coudes agi les, il rampait d'un trou
à l'autre, réconfortait les gars et leur promettait d'être les premiers à
Saint-Lô. Le Major courbé en deux rejoignait son P.C. où ses capitaines
l'attendaient. Il fit appeler son régiment, eut le Colonel Dwyer, lui cria que
le 3ème bataillon n'en pouvait plus et que lui, Howie, était en
mesure de conduire le sien dans la ville. A la condition d'y bondir sans perdre
de temps.
"
Accordé, dit Dwyer " - " O.K. fit le Major. A tout à l'heure dans
Saint-Lô ! "
Il
laissa brutalement retomber l'appareil et se tourna vers ses commandants de
compagnie.
-
Et bien ! Vous avez entendu ? dit-il. On y va. Où est la carte ? "
Assourdis
par l'incessant harcèlement des mortiers, les officiers se rassemblèrent
autour du Major comme celui-ci commençait à exposer dans le détail l'attaque
sur Saint-Lô. Personne n'entendit le gémissement d'arrivée de l'obus qui mit
fin à la conférence.
"
Il explosa tout près. La plupart des officiers furent projetés au sol par le
souffle, à peine contusionnés. Le capitaine Puntenney qui se tenait sur le
seuil de l'abri fut catapulté carrément dans la haie. Lorsque tout étourdi,
il se fut extirpé des buissons, il vit à quelques pas de lui Howie qui se
relevait. Le major se serrait les bras autour du corps.
- Mon
Dieu, Bill, je suis touché, dit Howie.
Puntenney
le transporta au fond de l'abri et le tint quelques minutes dans ses bras. Il
allongea le corps de son chef sur le sol. "
Les
ruines reçoivent le corps d'un brave
Apprenant
cette nouvelle, Gerhardt eut un grand coup de blues. Howie était mort et avec
lui des milliers de soldats dans une épouvantable bataille qui n'en finissait
pas. Cette mort " avait en quelque sorte cristallisé à la fois tout le
courage et tout le crève-coeur répandus à profusion pendant la bataille de
Saint-Lô ".
Cependant
la victoire était à la portée de la 29ème division qui
progressivement avait investi les collines au nord de la ville et le constat de
l'incapacité de l'ennemi à réduire les deux bataillons affaiblis et isolés
prouvait la faiblesse et peut-être le désarroi des Allemands. Cota s'apprêtait
à rouler en empruntant la route de Saint-Clair. Il commandait le Groupement
d'Opérations C, composé d'unités et de chars de reconnaissance, de chars de
combat et des unités d'infanterie et de génie. Après quelques escarmouches il
faut relativiser, après des journées de durs combats c'est ce groupement qui pénétra
dans Saint-Lô à 18 heures. Le Major Lloyd M. Marr choisit d'atteindre la place
Sainte-Croix, près du cimetière, que le lieutenant Edward G. Johns Jr. occupa
d'abord. Très rapidement les chars furent incapables de progresser dans la
ville martyre. Les fantassins eurent tôt fait, en escaladant les ruines de
s'emparer des carrefours principaux, ceux de la Bascule, le pont sur la Dollée
et la place du Champ de Mars. D'autres points-clés de la ville furent maîtrisés
cependant que l'ennemi installé sur les hauteurs au sud continuait de tirer sur
les vainqueurs des décombres. Une poignée de Saint-Lois était demeurée,
selon M. Lantier, au haras, au Flaguais, rue Saint-Georges. Mais combien au
centre-ville ? Probablement extrêmement peu. Y eut-il un témoin civil de ce
qui sera relaté par les historiens militaires, l'arrivée du corps du major au
haut de la ville ? Ce n'est pas sûr.
Avant
ces événements, Gerhardt avait appelé encore une fois Cota pour lui dire :
"
Écoutez, Dutch, une des dernières paroles de Tom Howie a été : " À
tout à l'heure dans Saint-Lô. " Il faut que nous tenions cette promesse.
Prenez Tom Howie avec vos blindés, il conduira la 29ème Division au
coeur de la ville. " Le Major entre dans la légende. Cornélius Ryan en témoigne
: " Très lentement, une ambulance peinte en vert descendait la grande rue,
(!), encadrée par la garde d'honneur que lui faisaient des blindés. La colonne
s'avançait parcourant le front des hommes et des chars qui avaient pris la
ville, passant sous le drapeau bleu et gris de la 29ème division qui
était maintenant arboré en signe de victoire. " Le convoi fit le tour de
la Place Sainte-Croix, les portes de l'ambulance s'ouvrirent pour en extraire un
brancard que des soldats ' qui escaladaient les ruines avec précaution, déposèrent
au pied de ce qui avait été le mur sud de l'église. Certains dirent que le
corps fut transporté, à la fin du trajet,sur une jeep, drapé dans la bannière
étoilée.
Photographié
parmi les grosses pierres entassées n'importe comment, le corps de notre major
resta exposé quelque temps. Comme le symbole du sacrifice de beaucoup d'Américains
parmi les destructions d'une ville normande.
Le
Major Tom Howie est maintenant le héros favori des Saint-Lois. Il a gagné ce
titre pour son rôle dans la bataille. Le professeur de littérature anglaise
connaissait la langue et la culture françaises ainsi que l'attestait sa soeur
en 1979 : " Quand nous avons commencé à étudier le français, nous avons
en même temps aimé la France, son histoire et la nature des Français.
Quelquefois, très souvent même, nous essayions de nous parler français et
nous riions ensemble de nos façons de prononcer ces expressions curieuses et étranges.
Vous pouvez comprendre que la mort de mon frère fut pour moi une douleur
terrible.
Pendant
les années suivantes, les pensées de tout ce que vous, peuple de Saint-Lô,
avez fait pour le souvenir de mon frère, par vos actions et vos coeurs, m'ont
donné beaucoup de réconfort et de paix.
Je
peux vous dire que mon frère aimait la France et comme vous le savez bien, dans
un sens très réel, il est même mort pour la France.
Le
buste du Major a été placé au " Carrefour du 6 juin ", dit
auparavant " de la Bascule ", carrefour par où il devait pénétrer
dans la ville le 17 ou le 18 juin 1944.
(Sources
: Boussel-Florentin, Jacqueline, Lantier, Pipet, Quellien, Ryan, Saint-Lô
Info).
E
Horst Wessel : L'hymne écrit par Wessel (sur un ancien air de cabaret) devint l'hymne du nazisme. 1907 - 1930. (le Horst-Wessel-Lied / Le drapeau haut)
Maximilien Kolbe : franciscain polonais, donna sa vie pour sauver un codétenu, Francis Gajownicezek, suite à représailles nazies, Auschwitz, 30 juillet 1941.