À Georges Lavalley, maire des ruines et de l'espérance.
Époque contemporaine
automne 1944
Saint-Lô
Les lucernes des
ruines
Auguste Louis
LEFRANÇOIS, Quand Saint-Lô voulait revivre ", imprimerie P. Bellée à Coutances, 1967.
L'auteur, qui a vécu
les heures tragiques du bombardement de SaintLô, puis qui a contribué, en tant qu'administrateur auxiliaire, à la reconnaissance de la cité
martyre, rappelle dans son ouvrage les multiples traits d'ingéniosité des sinistrés pour survivre au milieu du dénuement le plus extrême.
L'extrait cité ici
montre comment fut résolu le problème de l'éclairage familial.
Trois bougies par tête
d'habitant, sur lesquelles on ne comptait pas, avaient été distribuées par la Mairie, le 13 septembre. Alors que les nuits devenaient de plus en
plus longues, nous dûmes attendre la fin de novembre pour recevoir une égale répartition.
Une incursion dans
la région de Rennes avait permis à certains de se procurer quelques lampes électriques de poche, mais cela ne constituait qu'une lueur
intermittente et de courte durée (1). Ces faibles ressources n'auraient pas contribué à l'éclairage de ces longues soirées, si l'ingéniosité de
quelques uns n'avait pas permis d'améliorer la situation, oh ! du reste, bien légèrement, certes !
Ils se souvinrent
que nos arrière grands-parents s'éclairaient avec la lampe à huile. De l'huile on n'en avait pas, mais par contre, en remplacement on avait du
beurre. Et de confectionner ce que l'on appela des " Parmentières ".
On évidait de
grosses pommes de terre, on remplaçait la pulpe par du beurre, denrée facile à se procurer puisque notre région n'arrivait pas à expédier ses
produits laitiers sur Paris ou ailleurs. Au centre du beurre on introduisait un petit chiffon de coton servant de mèche. On allumait l'extrémité et
l'on obtenait une petite flamme qui était malheureusement très fuligineuse (2).
Ces Parmentières
rendirent cependant des services à ceux qui les utilisèrent. Elles eurent d'ailleurs leur consécration officielle (...) lorsque le 25 novembre la
Mairie fut prévenue qu'au début de l'après-midi, Monsieur Dautry, ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme (M.R.U.) rendrait visite à la
ville de Saint-Lô.
La Municipalité se
réunit aussitôt après le déjeuner et nous attendîmes le Ministre, mais les heures passèrent sans l'apparition du cortège officiel. Puis vint la
chute du jour et une mairie sans éclairage.
Nous apprîmes, en
début de soirée, que M. Raoul Dautry, attardé à Coutances, siège de la Préfecture, allait regagner directement Paris, mais qu'il nous déléguerait
son chef de Cabinet, M. Muphang. Il arriva vers cinq heures et demie, et comme nous n'avions qu'une lampe à pétrole pour éclairer l'entrée et le
couloir de la Mairie (3), c'est à la lueur de Parmentières que nous le reçûmes dans la pièce de réception. Monsieur Bataille, secrétaire
adjoint de la Mairie, se souvient qu'il en avait préparé une dizaine au début, qu'il remplaçait au fur et à mesure qu'elles se consumaient ( ...
).
Je ne sais si M. Muphang,
après nous avoir quittés rentra directement sur Paris. Quant à nous, nous fîmes une toilette sérieuse avant de passer à table.
1.
L'auteur dit ailleurs que quelques rares privilégiés disposaient aussi de lampes à pétrole. Le pétrole était alors une denrée contingentée, délivrée
dans des cas exceptionnels.
2.
Du latin fuligo, qui signifie suie. Qui se recouvre de suie.
Époque
contemporaine.
octobre 1944.
Saint-Lô.
Octobre 1944
La capitale des
ruines.
Ouest-France,
samedi 21 et dimanche 22 octobre 1944, n° 66.
Archives départementales,
série T.
Discours de Georges
Lavalley, maire de Saint-Lô, prononcé lors de la visite du commissaire régional de la République.
Bien que complètement rasée par les bombardements de juin à juillet 1944, la ville de Saint-Lô, grâce au courageux entêtement de quelques
habitants, redevient petit à petit une communauté. On est surpris de dénombrer les services qui fonctionnent déjà, trois mois après la Libération.
Monsieur
le Commissaire Régional,
Messieurs les Préfets
de Normandie,
...Vous avez
traversé notre ville au milieu de ses lamentables ruines et vous avez pu voir que le chef-lieu du département de la Manche, entièrement détruit, a
payé un lourd tribut à la bataille de France ; car c'est la prise de Saint-Lô qui a été le point de départ de la grande offensive alliée qui
devait apporter la libération de la presque totalité de notre pays.
Mais
cela est déjà le passé.
Maintenant,
c'est une ville qui veut revivre qui vous accueille, une ville qui renaît et à laquelle vous apporterez sa première lueur d'espoir. Déjà plus de
3.000 personnes habitent dans ses ruines ; beaucoup d'autres sont réfugiées dans les campagnes et n'attendent que la levée de l'interdit
de Saint-Lô pour pouvoir y revenir (1), surtout les commerçants, indispensables à la reprise de la vie économique. Les travaux exécutés
par nos entrepreneurs et ouvriers ont permis la reprise de la vie administrative : chemins de fer, service des Postes fonctionnent. Un centre
d'accueil, un hôpital provisoire sont ouverts, et bientôt des établissements primaires et secondaires accueilleront nos enfants ; une session du
1.
Dons son ouvrage intitulé " Quand Saint-Lô voulait revivre ", M. A. Lefrançois explique cet interdit : " Des centaines de cadavres non
ensevelis, le cimetière dans lequel des combats s'étaient livrés et dont nombre de sépultures étaient éventrées, pas s'eau potable, des rats de
plus en plus nombreux, étaient autant de risques d'épidémies ". A vrai dire la défense formulée par les autorités américaines fut souvent tournée
: " le défendu " américain était plus souple que le " verboten " allemand.
baccalauréat a même
lieu aujourd'hui. L'Église Sainte-Croix et une chapelle provisoire pour remplacer notre cathédrale, voient chaque dimanche un grand nombre de fidèles
suivre les offices. Nos sœurs garde-malades sont là, et la mairie de Saint-Lô a célébré, il y a quelques jours, son premier mariage de notre
nouvelle vie...
Monsieur le
Commissaire Régional,
Messieurs les Préfets de Normandie, vous représentez la solidarité normande, symbole de l'union. Il faut nous aider pour que la ville de Saint-Lô redevienne le plus rapidement possible la préfecture de la Manche, avec son centre administratif, son centre agricole et son centre commercial...
1. Dans son ouvrage " Quand saint-Lô voulait revivre ", Mr Lefrançois explique cet interdit : " des centaines de cadavres non ensevelis, le cimetière dans lequel des combats s'étaient livrés et dont nombre de sépultures étaient éventrées, pas d'eau potable, des rats de plus en plus nombreux, étaient autant de risques d'épidémies ". À vrai dire la défense formulée par les autorités américaines fut souvent tournée : " le défendu " américain était plus souple que le " verboten " allemand.
Saint-Lô
Dimanche 6 juin
1948
Époque
contemporaine
G. Lavalley, maire
de Saint-Lô. présente la " Capitale des Ruines " au président de la République V. Auriol
Journal " Le Réveil
", 31 année, n° 137 (Vendredi 11 Juin 1948), Lemasson, imprimeur à Saint-Lô.
Le président de la
République Vincent Auriol traversa, en juin 1948, les départements du Calvados et de la Manche pour commémorer le débarquement allié de juin
1944. Il était accompagné de MM. Coty, ministre de la Reconstruction, Max Lejeune, Secrétaire d'État à la Guerre et Johannès Dupraz, Secrétaire
d'État à la Marine. Chaque arrêt dans les localités sinistrées fut l'occasion de discours émouvants (1).
Réception devant
les ruines de l'Hôtel de Ville.
"
... Il n'y a plus de maisons, plus de rues, plus de ville (en juin 1944), son église mutilée, seule au milieu des ruines, où flotte le souvenir de
nos morts, monte une garde sacrée...
Seul le vieux
bourdon, miraculeusement sauvé, a pu sonner à votre arrivée pour vous dire que la ville n'est pas morte, et que maintenant partie sur la route de
la renaissance, elle a déjà repris sa place dans la Grande Nation Française et qu'elle peut avec fierté recevoir le premier magistrat de notre
pays... Demain la Préfecture de la Manche, dont l'édification a été votée à l'unanimité par le Conseil Général, un hôpital moderne pour
lequel nous aurons l'aide des États-Unis en mémorial de la rude bataille de Saint-Lô, un groupe scolaire, plusieurs flots d'immeubles d'État (2)
seront le premier grand effort d'une reconstruction que nous espérons rapide ".
Le Maire de Saint-Lô
exprime enfin son profond remerciement pour la promotion de sa Ville, dans l'ordre de la Légion d'Honneur et dans celui de la Croix de Guerre avec
palmes.
(1) C'est au cours
de ce passage à Saint-Lô que le Président Auriol posa la première pierre de la reconstruction, rue Saint-Thomas.
(2) Il s'agit des
immeubles de trois étages qui bordent le Champ de Mars sur le côté Sud.
Parution N, 34
Le président de la
République :
"
En décernant la Croix de la Légion d'Honneur et la Croix de Guerre, je puis promettre que la Ville de Saint-Lô sera plus belle. À travers le
pays, je vais continuer la croisade pour la solidarité entre les villes et pour les hommes qui ont souffert. "
Le Secrétaire d'État
à la Marine lit ensuite la citation
"
Chef-lieu du département de la Manche qui a su garder une entière confiance dans les destinées du pays. A subi dans la nuit du 6 au 7 Juin, avec un
calme héroïque, un bombardement aérien à un tel point massif que ses habitants ont pu se considérer comme citoyens de la capitale des ruines.
Image de l'abnégation
réfléchie, restera par le souvenir de ses nombreux morts et de ses otages tragiquement tués dans leur prison, l'exemple du sacrifice commun pour
le triomphe d'un même idéal.
Ville qui symbolise pour les générations futures le martyre d'une province de France qui a été le théâtre initial des combats de la Libération et de la Victoire.
réf. Parution n°39, n° 24 et n° 34.
Divers : Otages fusillés en France par les allemands : 29.660