Août 1948
Pour paraître
prochainement : R. Patry : La guerre des haies, récit complet des opérations américaines de Normandie du 6 juin au 15 août 1944
la ville - la bataille
par Robert Patry
Professeur au Collège Municipal de Saint-Lô
Traduction de Eugène Turboult
Principal du Collège municipal de Saint-Lô
Éditions au Syndicat d'Initiative de Saint-Lô
Leclerc, imprimeur, Saint-Lô.
Le touriste qui aborde brusquement le site tragique de
Saint-Lô est saisi d'une sorte de découragement devant le vide sinistre de cette ville effacée.
Trop souvent, le
lieu qu'une grande bataille illustra
sont terne et muets. Waterloo laisse le visiteur déçu par un cadre qui ne lui paraît pas à la meure de l'Empire qui s'y écroula. Mais ici le
drame et encore tout proche et l'écho de la grande bataille vibre toujours à l'ombre de cette " cathédrale " atrocement mutilée, près
de ce remblai trop frais, au détour de ces haies éventrées.
Ici, s'est déroulé l'un de actes essentiels de la dernière
guerre ; c'est ici que les divisions de Bradley ont porté à Hitler le coup décisif, c'et ici que les alliés ont gagné la bataille de France, prélude
à la libération de l'Europe.
Les Saint-Lois
qui, fiers de leur souffrances, ont entrepris de rebâtir leurs foyer dévastés, accueillent avec joie tous ceux qui viennent, un moment, se pencher
sur le sacrifice glorieux des morts et sur l'effort patient des survivants, soucieux de renouer la chaîne des temps et de poursuivre le labeur séculaire
des hommes.
Saint-Lô...
Jadis
___
St-Lô s'appela d'abord Briovère.
Ce rocher de phyllades, dominant une vallée harmonieuse,
à quelque kilomètres de la mer, a dû attirer les hommes de bonne heure. Mais rien ne peut être affirmé avec exactitude, car l'origine celtique du
nom Briovère, dont le sens serait : " pont sur la rivière ", ne paraît pas incontestable et le armes, les monnaies et les tuiles retrouvées,
ça et là, appartiennent seulement à l'époque gallo-romaine.
Briovère ne devait être d'ailleurs qu'un bourg de médiocre
importance car aucun texte romain n'en mentionne l'existence et son nom n'apparaît d'une manière certaine qu'au VIe siècle après Jésus-Christ. Au
concile d'Orléans de 549 assiste Lauto ou Lô, évêque de Coutances et " de briovère ". Il aurait, avec l'évêque de Bayeux, échangé
cette dernière localité contre Ste mère église.
Protégée par ses maîtres ecclésiastiques, la petite
cité grandit peu à peu autour de l'Abbaye de Ste-Croix et du château dont Charlemagne complète les fortifications en 805.
Mais l'heure des invasions normandes est venue. Briovère,
qui a pris le nom de " Ville de Saint-lô " est victime en 890 de scènes de violences qui coûtent la vie à Lista, son évêque. En 935,
les Scandinaves, déjà maîtres de la Haute-normandie (depuis 911), obtiennent la cession de la Normandie occidentale. Un sang jeune et vif insuffle
une ardeur nouvelle à la province.
Au
XIe siècle, la stabilité revenue, St-Lô accède au
rang de capitale régionale qu'elle détient depuis. En 1025, l'évêque Herbert ,mettant fin à un exil qui durait depuis plus d'un siècle abandonne
Rouen, s'installe à St-Lô et y commence la construction d'un palais épiscopal. Son successeur, Geoffroi de Montbray, regagne Coutances mais ne néglige
pas pour cela les intérêts de la seconde ville de son diocèse : un nouveau pont jeté par ses soins sur la Vire facilite l'essor commercial.
St-Lô, fortifié en 1090 par Henri Beauclerc, enlevé en
1139 par Geoffroi Plantagenêt à Etienne de Blois, grandit en même temps que la puissance des ducs de Normandie, devenus en 1066. rois d'Angleterre.
La ville comprend alors deux paroisses : Ste-Croix de St-Lô, paroisse principale, rattachée à l'abbaye de Ste-Croix, et Notre-Dame du Château qui
s'est développée à l'intérieur des remparts autour de la chapelle du Château. Une troisième paroisse est érigée en 1174 et son église dédiée
à St-Thomas Becket.
En 1203, le Château de St-Lô se rend sans résistance à
Philippe Auguste qui enlève - première reconquête - la Normandie à jean sans Terre.
Alors St-Lô connaît pendant un siècle et demi, comme
toute la province, l'une de ses plus heureuses périodes. Les fortifications sont réparées, la Maison-Dieu bien dotée par Philippe d'Agneaux.
L'industrie enrichit artisans et marchands. Celle des frocs, serges et droguets est patronnée et réglementée par Hugues de Morville en 1239. Le
droit de battre monnaie avec la lettre " C " est confirmé par Philippe III le Hardi en 1275.
Mais en 1346 Édouard III, qui veut enlever à Philippe VI
la couronne de France, débarque à St-Vaast-la-Hougue. La longue chevauchée qui va le conduire à Crécy et à Calais, ensanglante la Normandie.
Installé au Manoir de la
Pendant toute la durée de la guerre de Cent ans, St-Lô
va mener une existence laborieuse et discrète, que la menace d'un coup de main rend trop souvent inquiète et précaire. Certes, les habitants
peuvent consacrer une partie de leur temps et de leurs ressources à la construction de l'Église Notre-Dame qui s'élève lentement aux XlVe et XVe
siècles à la place de l'ancien édifice, achevé en 1202, mais bien des faits montrent que. la grande querelle n'épargne point la ville.
En 1397, Bureau de la Rivière, chambellan de Charles V,
fait de St-Lô le centre des opérations menées contre les Navarrais de Charles le Mauvais, comte d'Évreux, qui joue entre les deux adversaires un
jeu dangereux et néfaste pour la province.
Le 28 mars 1417, le Château se rend sans combat, au duc
de Glocester, débarqué avec le roi Henri V et toute l'armée anglaise le 1er août 1415 à l'embouchure de la Touques. Sans trop
murmurer, la ville obéit aux occupants qui introduisent dans sa monnaie le léopard anglais. On signale pourtant dans la campagne voisine quelques
brigands » qu'enflamment peut-être les patriotiques " vaux-de-vire " d'Olivier Basselier. L'un de ces poèmes n'évoque-t-il pas le
pèlerinage de St-Gilles (à 6 kilomètres à l'ouest de St-Lô) célèbre dans toute la région ?
En tout cas, les Saint-Lois ouvrent toutes grandes, le 15
septembre 1449, leurs portes aux soldats libérateurs de Charles VII et c'est à l'ombre de leurs remparts que le connétable de Richemont rassemble
les troupes qui assureront la victoire de Formigny.
A la fin du siècle, Louis XI s'arrête à St-Lô lors de
son pèlerinage au Mont St-Michel et le vitrail qui va désormais orner la " Cathédrale " témoigne de sa sympathie pour une ville dont il
a apprécié la fidélité lors de sa lutte contre la ligue du " Bien public ". Les Saint-Lois en 1465 n'ont-ils pas fermé la Porte du Bas
de Torteron derrière une partie de l'armée bretonne qui, imprudemment engagée dans la ville, fut ensuite entièrement massacrée ?
Au XVIe siècle, le calvinisme fait de rapides progrès à
St-Lô où une église réformée est organisée dès 1555. Les seigneurs de Ste-Marie-du-Mont, de Cerisy, d'Agneaux et de Colombières
soutiennent la cause protestante. Bricqueville, sire de Colombières, est même le gendre de Montgommery, auteur involontaire de la mort d'Henri II et
chef du parti protestant en Normandie. L'imprimerie qui se développe à St-Lô propage les. ouvrages protestants, notamment le Psautier de Marot.
Pendant vingt ans, St-Lô est l'enjeu d'une lutte sourde
ou violente entre les deux partis. En septembre 1562, les bretons catholiques du duc d'Étampes pénètrent dans la ville mais se rendent odieux à
tous les habitants qui les chassent en mai 1563. Peu après, l'édit d'Amboise oblige cependant les Huguenots à rendre la ville qui, la même année,
accueille Charles IX. Le roi charge le maréchal de Matignon de la surveillance de toute la région, la proximité de l'Angleterre, championne du
protestantisme, facilitant les coups de main.
En effet, en 1574, après la St-Barthélémy, Montgommery
et Colombières débarquent avec l'appui des anglais à Linverville près de Coutances, se saisissent de l'évêque Arthur de Cossé, l'emmènent à
St-Lô et l'y promènent en grotesque équipage. Matignon bloque la cité coupable et l'enlève malgré une résistance énergique poursuivie pendant
deux mois (18 avril-10 juin 1574) Ce siège rend célèbre le courage d'une jeune fille, Julienne Couillard, mais coûte la vie à Colombières qui a
refusé de rendre la ville, même pour sauver son beau-père, Montgommery, fait prisonnier à Domfront et exécuté à Paris.
Arthur de Cossé recouvre sa ville et baronnie de St-Lô.
Mais elle lui rappelle de trop mauvais souvenirs et il la cède à Jacques de Matignon le 22 mai 1576. La famille de Matignon, l'une des plus considérables
de la région - elle possède déjà le comté de Torigni - fournira à la France de nombreux administrateurs, soldats ou évêques avant de
recueillir au XVIIIe siècle, par héritage, la principauté de Monaco.
Jacques de Matignon répare les fortifications mais
accorde à certains bourgeois le droit d'étendre leurs propriétés sur une partie des tours et des remparts ; pendant quatre siècles
St-Lô n'a plus aucun rôle militaire à jouer.
Après la Ligue, après la Fronde (les Saint-Lois se méfient
d'ailleurs de l'une et l'autre agitation) le renforcement du pouvoir monarchique rend plus terne la vie politique locale.
St-Lô, déjà chef-lieu d'élection (1360) et de
bailliage (1453), possède quelque temps un présidial que lui enlève Coutances, devient siège d'un vicomté, mais perd en 1693 son atelier monétaire
transféré à Caen. Autour de ces diverses administrations ou juridictions se développe tout un monde de délégués, d'élus, de procureurs et
d'avocats. Les Normands partagent leur admiration entre ces gens de robe et les bourgeois enrichis par une industrie et un commerce (laines et
cuirs) qui demeurent actifs.
Certains Saint-Lois s'efforcent d'embellir leur ville ; le
plus généreux de tous est jean Dubois qui, au début du XVIIe siècle multiplie les libéralités. Écoles, hôpital, église,
agriculture, industrie : partout on trouve la trace de ce bourgeois intelligent et charitable qui, notamment, acclimate le sarrasin dans le pays.
Les transformations économiques des XVIIIe et
XIXe siècles, la centralisation industrielle, le développement des voies de communication font de St-Lô, avant tout, un marché
agricole, caractère que la fondation d'un dépôt d'étalons en 1806 souligne et accentue.
St-Lô, cité républicaine, devient en 1792, pour
quelques mois, le " Rocher de la liberté "tout en gardant vis-à-vis des régimes politiques qui se succèdent rapidement une attitude
prudente. Cependant la loi du 19 vendémiaire an IV (11 Oct. 1795) qui fait d'elle le chef-lieu du département de la Manche lui donne le pas sur
toutes ses voisines. Le premier préfet de la Manche, de Magnitôt, s'y installe le 22 mars 1800. Pendant 148 ans les services départementaux s'y
multiplient et la ville, dont la population s'accroît sensiblement grâce à l'afflux de tous ces nouveaux fonctionnaires, y gagne en prestige et en
animation.
Mais, dans l'ensemble, les Saint-Lois poursuivent la même
existence laborieuse et effacée. Peu sensibles aux exaltations politiques, ils se bornent à saluer au passage, après Louis XVI en 1786 et Napoléon
en 18 11, Charles X en 1830, Louis-Philippe en 1832, le Prince président en 1850 et, sous la 3e, République, Mac Mahon et Sadi Carnot. De
temps à autre, la ville se trouve associée à la gloire de quelques uns de ses enfants, le général Dagobert, le publiciste Léonor Havin,
l'astronome Le Verrier, le romancier Octave Feuillet.
La ville se transformant rapidement à partir milieu du
XVIIIe siècle fait craquer la vieille robe vétuste et étriquée : lotissement du château en 1751, de la citadelle en 1812, aménagement
de large-places devant la préfecture et l'Église Notre-dame, démolition de l'ancienne abbaye et transformation du champ de Mars. Tandis que la
ville haute, tout en conservant le pittoresque marché du samedi, groupe de plus en plus les administrations, le commerce sédentaire et les quartiers
de résidence e développent tout autour : au sud la rue Torteron et le quartier Saint-Thomas - à l'est le neufbourg qui progressivement s'étend
vers la route de Bayeux - au nord le faubourg qui escalade la route de Carentan au delà de la vallée un peu délaissée de la dollée - à l'ouest
l'ancien " Bourgbisson "devenu avec la construction de la gare, près du passage de la Vire, un quartier plein d'activité. tel est Saint-Lô
en 1939.
Saint-Lô hier
Un vent mauvais s'est levé qui a ravagé le vieux Saint-Lô.
Juin 1940, bien des saint-Lois, imitant belges, picards et
normands qui depuis un mois ont traversé leur cité, s'enfuient vers la Bretagne à la nouvelle de l'arrivée des allemands. Ceux-ci entrent sans
combat dans la ville le 17 juin. L'armistice signé par Pétain, chacun revient le cœur lourd d'angoisse.
De nombreux soldats, normands pour la plupart, demeurés
dans la région, sont rassemblés par les allemands dans la caserne et au collège. Tous les habitants s'ingénient à adoucir leur sort, espérant
une libération prochaine. Bientôt hélas, tous ces otages, auxquels se mêlent quelques anglais sont envoyés outre Rhin, condamnés pour 5 ans aux
stalags et aux oflags. À Saint-Lô, la vie reprend, monotone, rétrécie. Le "black-out " est sévère, mais la radio entretient l'espérance
et déjà quelques saint-Lois ont repris le bon combat. Il faut reconnaître que l'occupant ne se montre ni très agressif, ni très exigeant et que
bien des gens s'accommodent, en apparence du moins, d'une vie relativement facile. La Gestapo est pourtant active. La prison rassemble des centaines
de patriotes venus de tous les coins du département et sur la route de Tessy, trop souvent, à l'aube, tombent des martyrs.
Les mois passent, l'espoir grandit avec de temps en temps
quelques heures découragées lorsqu'une victoire allemande en Afrique ou en Russie fait éclater une joie trop bruyante et provoque de sordides
ripailles. Les Normands appellent de tous leurs vœux un débarquement allié mais espèrent que l'orage éclatera loin d'eux !
Printemps 1944 : la vie devient de plus en plus difficile,
les postes de T.S.F. sont confisqués, les distributions de gaz et. d'électricité compromises. Sans que beaucoup s'en rendent compte, l'heure est
venue où va s'ouvrir le second front.
Eisenhower a divisé ses forces en deux groupes : à
gauche les anglo-canadiens de Montgomery ont pour tâche de se saisir de Bayeux et de Caen. Mais cette seconde ville ne sera libérée que le 9
Juillet et l'espoir, un moment caressé, d'une progression rapide vers la Basse Seine doit bientôt être abandonné. Le front de Caen devient un
front de fixation qui retient les troupes allemandes les plus nombreuses et les meilleures. Les opérations du secteur américain s'en trouvent
facilitées.
La 1re Armée d'Omar Bradley a choisi pour débarquer
deux séries de plages de part et d'autre de la baie des Veys : Utah beach à l'ouest, Omaha beach
à l'est.
Omaha beach, c'est " la plage sanglante ". La 29e
et la 1re division sont accueillies, avant même de quitter les " landing crafts ", par une défense allemande renforcée et
terriblement efficace. Le brigadier général Cota entraîne les survivants terrés dans le sable jusqu'à la crête dominant le rivage et, à travers
les blockhaus, et les champs de mines, jusqu'aux villages de St-Laurent, Colleville et Vierville. Ces terribles heures passées, la vallée de l'Aure
franchie, la 29e nettoie toute la rive droite de la Vire jusqu'à la ligne La Meauffe Villiers-Fossard atteinte le 16 juin, tandis qu'à
l'extrémité orientale du front la ire division s'avance en pointe jusqu'à Caumont-l'Eventé. La 2e division, à terre le 7 juin, se
glisse entre les deux précédentes et à travers Trévières et la forêt de Cerisy va prendre position à Bérigny et St-Georges-d'Elle devant la
colline 192. En face de ces troupes, à quelques kilomètres, c'est St-Lô ou plutôt un monceau de ruines fumantes, tombeau d'une ville jadis
paisible et avenante.
Le 6 juin, après deux bombardements sans gravité de la
centrale électrique et de la gare, l'aviation alliée, des maraudeurs, semble-t-il, s'acharne sur la ville avec l'évident dessein de la détruire. Le
premier bombardement surprend les Saint-Lois au milieu du repas du soir à 20 h. La ville est si durement touchée que beaucoup ne croient pas un
retour des bombardiers possible. Pourtant, vers 1 h. du matin, le 7 juin, l'écrasement de la ville reprend, se prolonge, s'intensifie. L'incendie se
déclare partout, les murs s'écroulent, les Saint-Lois imprudemment restés dans la cité, s'enfuient à travers un déluge de fer et de feu, dans la
campagne voisine. Mais sept à huit cents morts gisent sous les décombres. Des dizaines de voix s'éteignent lentement qu'un prompt secours aurait
peut-être sauvées mais que la violence, la répétition des bombardements condamnent définitivement. Les plus dramatiques épisodes ont pour cadre
la gendarmerie à 20 h, et la prison, dans la nuit. Au matin du 7 juin tout le centre de la ville offre une vision dantesque et pendant une semaine,
trois ou quatre fois par jour, les avions reviennent, étendant toujours un peu plus la zone des dévastations.
Réfugiés dans les fermes et les chemins creux, mêlés
aux combattants nazis, les habitants s'attendent à voir surgir d'un instant à l'autre les tanks libérateurs qui apporteront un apaisement à leur
cauchemar. Attente vaine. L'occupation de St-Lô prévue par Eisenhower pour le 18 juin n'aura lieu que le 18 juillet. Les Américains se heurtent à
une résistance obstinée de la Wehrmacht. Pour percer la ligne de résistance que cette dernière a établie sur les hauteurs qui enveloppent St-Lô,
il faudrait amener des renforts, or le mauvais temps ralentit le travail du S. 0. S. (Service of Supply) et Bradley veut consacrer la majeure partie
de ses forces à la prise d'un grand port.
C'est vers Cherbourg que les 4e, 9e
et 79e divisions débarquées à Utah Beach se sont dirigées. Leur action a été préparée par un double fait. D'abord deux divisions aéroportées
(82e et 101e) lâchées dans la nuit du 5 au 6 juin au dessus de Ste-Mère-Église et de Ste-Marie-du-Mont, ont libéré les
chemins de la mer et, a travers les marais, occupé l'important passage de Carentan qui leur donne la maîtrise de la route Bayeux-Cherbourg.
Ensuite, la 90e et la 9e divisions,
poussant largement vers l'Ouest, ont réussi à couper la péninsule au nord de la zone marécageuse qui constitue sur le flanc gauche de l'armée américaine
une précieuse défense naturelle. Barneville et St-Lô d'Ourville occupés le 18 juin, les Américains foncent vers Cherbourg sûrs d'amener à une
rapide capitulation les forces prises au piège.
La ceinture des défenses extérieures atteinte, l'attaque
de la Forteresse s'ouvre le 22 juin. La colline du Route, nœud essentiel de la résistance, tombe aux mains de la 79e division le 26 juin
tandis que, de tous les côtés à la fois, les Américains pénètrent dans la ville où sont demeurés dix mille Français. Les Allemands débordés
résistent mal, le général von Schlieben et l'amiral von Hennecke se rendent avec le secret espoir que continuera une guerilla épuisante, mais, le
27, l'Arsenal capitule et le 1er juillet le combat cesse dans la Hague.
L'état du port de Cherbourg est, il est vrai, une déception
pour les Alliés. Les Allemands ont procédé méthodiquement à la destruction de toutes les installations : gare maritime, bassins, quais, grues. Un
mois d'efforts sera nécessaire pour permettre le débarquement des approvisionnements dans le grand port normand. Pendant toute cette période, alors
que se livre une bataille décisive, Bradley ne peut compter que sur les plages " Utah " et " Omaha " où ont été aménagées de
précaires installations les Groseilliers " (gooseberries). D'où des transbordements épuisants, à portée du feu de l'ennemi, et d'inquiétants
retards.
Bataille des plages, bombardement des villes, prise de
Cherbourg, ne sont en effet que des opérations préliminaires. La phase essentielle de cette guerre de Normandie c'est la rupture du front allemand
qu'Eisenhower est décidé à obtenir coûte que coûte. Elle aboutira à l'opération spectaculaire du 25 juillet, au bombardement et à la percée
de la Chapelle-Enjuger, à 8 kilomètres à l'ouest de St-Lô suivi de l'envol irrésistible des blindés de Patton. Mais, en fait, tous les combats
du 3 au 25 juillet sont étroitement solidaires les uns des autres. Ils ne constituent qu'une seule et même bataille à laquelle l'histoire donne déjà
le nom de bataille de St-Lô en raison de l'importance que joue alors la région dont St-Lô est le centre.
Le 3 juillet, le front américain dessine de Portbail à
Caumont une ligne sinueuse qui passe un peu au sud de St-Sauveur-le-Vicomte et de Carentan, un peu au nord de St-Lô. En face des " Yanks "
s'étend une région variée, de pénétration difficile - à l'ouest, le long de la côte, des collines boisées (la plus importante est le Mont
castre) - au centre, des prairies marécageuses de la Sèves au fossé profond de la Vire, une région amphibie avec seulement deux bandes de terrain
sec suivies par les routes Carentan-Périers et Carentan Saint-Lô, enfin de l'autre côté de la Vire des lignes de hauteurs ouest-est barrant la
route des Alliés.
Quelle tâche s'imposé à eux ? D'abord faire pivoter
l'ensemble du front autour de la charnière de Saint-Lô de manière à atteindre au delà des marécages une zone où les tanks pourront évoluer
plus aisément : le gain à réaliser étant d'environ trente kilomètres en bordure de la mer.
Ensuite, se saisir de la cité-clef de Saint-Lô pour
interdire aux Allemands l'utilisation des routes longitudinales St-Lô Périers et Saint-Lô Coutances (précieuses pour le déplacement des troupes),
les empêcher de transformer les ruines en un hérisson compromettant toute progression vers le sud, leur faire redouter enfin une action offensive
sur l'une ou l'autre des rives de la Vire. Aussi, les combats vont-ils se déplacer lentement du 3 au 18 juillet, de l'Ouest vers l'Est.
Le 3 juillet, c'est l'offensive en direction de Coutances,
conduite par les 79e, 8e et 90e divisions. La Haye-du-Puits est occupée, la forêt de Montcastre débarrassée des
nazis qui s'y étaient retranchés, les abords de Lessay atteints. Mais les Allemands ont massé là d'excellentes troupes. Épuisés, les Américains
s'arrêtent au bord de l'Ay.
Toute l'attention se porte alors vers le centre du front.
L'offensive déclenchée le 7 juillet est marquée tout de suite par un succès important la 30e division, appuyée par la 3e
division blindée parvient à franchir à la fois la Vire au pont de Saint-Fromond et le canal de la Vire à la Taute au pont de la Tringale. Le 11
juillet, après avoir repoussé une attaque lancée par la division Panzer Lehr, ces deux divisions atteignent l'objectif qui leur a été assigné :
les Hauts-Vents à l'Est de Pont-Hébert. Une semaine plus tard, la 30e division, soutenue à sa droite par la 9e, lance des
patrouilles au delà de la route Saint-Lô - Périers.
Au même moment, Saint-Lô change de mains. Succès décisif
pour Bradley ; mais, pour l'obtenir, il a dû demander à trois divisions un coûteux effort. À l'extrémité orientale du front, la 2e
division est arrêtée depuis la mi-juin par la colline 192, l'un des plus solides points d'appui de la défense allemande en face de la 1re
armée américaine, l'un des secteurs où l'ingéniosité nazie a su le mieux tirer parti des avantages naturels, de ces haies et de ces chemins creux
au tracé capricieux et déconcertant. Le 11 juillet, les hommes du général Robertson occupent le sommet de la colline et se glissent jusqu'à la
route de Bayeux, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu de la Manche.
Ce n'est pas la 2e division cependant qui va
prendre Saint-Lô. Ce n'est pas non plus la 35e division qui tente de progresser le long de la Vire. Le 12 juillet, moins d'une semaine après
son arrivée en Normandie, le général Badee enlève Saint-Gilles,. près de La Meauffe ; le lendemain, il vient à bout de la résistance allemande
près du Carillon ; le 15 juillet, il écrase les défenses de la colline 122, au nord de Saint-Lô ; mais l'artillerie allemande lui interdit l'accès
du " Cassino du Nord ".
C'est à la 29e division du général Gerhardt
qu'est réservé l'honneur d'entrer la première dans la ville. Elle éprouve de sérieux déboires autour de la hauteur de Martinville. Deux de ses
bataillons sont encerclés au carrefour de la Madeleine, mais une " task force " commandée par le général Cota pénètre résolument dans
Saint-Lô le 18 juillet, à 18 heures. Les Américains y demeurent soumis pendant plusieurs jours au tir de l'artillerie ennemie, en position à
quelques kilomètres au sud et à l'est, mais aucune contre-attaque sérieuse n'est tentée contre eux.
Tout est prêt pour le formidable pilonnage du 25 juillet.
De 10 heures à midi, 1783 appareils alliés jettent 4 790 tonnes de bombes sur une étroite bande de terre de 7 à 8 kilomètres de long sur 1 à 2
de large entre le Lozon et la Terrette, au sud de la route de Saint-Lô à Périers, en face de La Chapelle-Enjuger et de Marigny. Sur le terrain
crevassé, les 4e, 9e et 30e divisions s'avancent ensuite et refoulent sans peine les Allemands hébétés. Puis,
tout le front américain se met en mouvement. Des centaines de tanks, des milliers de fantassins guidés et protégés par des centaines d'avions libèrent
en quelques jours tout le sud du Cotentin. Coutances est dépassé le 28, Avranches le 31. Une tentative pour établir une ligne défensive de Caumont
à Villedieu par Torigni et Tessy échoue et Mortain est occupé le 3 août. La tentative désespérée de von Kluge pour barrer l'issue de la péninsule,
de Mortain à Avranches, imposée par Hitler, menée par des troupes héroïques mais épuisées, est un échec qui scelle définitivement la victoire
des Alliés Déjà, Patton a lancé ses blindés, non seulement vers la Bretagne, mais aussi vers la Loire et vers la Seine. La libération de la
France est proche.
Sans les durs combats du Bocage qui ont épuisé la Wermacht,
jamais cette romantique chevauchée n'aurait été possible. Nul ne songe maintenant à nier que les opérations dont Saint-Lô et ses abords, de Bérigny
à Marigny, ont été le théâtre, constituent la phase essentielle de cette bataille de Normandie, gage de la victoire finale.
Saint-Lô a bien été, selon le mot d'un officier de la
35e division : " la porte de la France intérieure " par où la liberté a repris possession de l'Europe opprimée.
Saint-Lô... aujourd'hui
Lorsqu'en août 1944, les premiers civils regagnent leur
ville, ils découvrent un apocalyptique amoncellement de ruines sous lesquelles demeurent des centaines de cadavres. Soulevant des tourbillons
d'aveuglante et âcre poussière, la " Red Ball ", à travers des rues hâtivement déblayées, dirige vers un front plus lointain un trafic
assourdissant et des milliers de véhicules étranges.
Courageusement, les saint-lois se mettent au travail,
abattent les pans de murs calcinés, transportent les décombres, comblent les trous des bombes et dressent un peu partout des baraques venues d'Amérique,
de la Forêt Noire, de Suède ou de Finlande.
Le visiteur peut, au hasard d'une rapide promenade, découvrir
les vestiges d'un passé lointain, les souvenirs tragiques ou glorieux de la libération, les difficultés présentes, les promesses de demain.
LA PRISON
Le carrefour, dit du Soleil-Levant, où se dresse, au
centre de la ville, la baraque de l'Automobile-Club de l'Ouest et du Syndicat d'initiative de St-Lô Torigni deviendra la plaque tournante de la
cité de demain. Les bâtiments provisoires édifiés à cet endroit seront abattus et, sur une large place, se tiendront, le samedi et les jours de fête
traditionnels, les célèbres marchés et foires de St-Lô.
A quelques mètres, vers l'ouest, se dressait la Prison. Construite en 1824 sur un terrain vague précédant la citadelle, elle n'avait rien de très remarquable. On a conservé l'entrée en forme de
niche. Au fond, s'ouvrait une porte garnie du guichet réglementaire. La clef de voûte, en granit qui la surmonte pèse, dit-on, plus de mille
kilogrammes.
Ce lourd portail est devenu un symbole. Dans la nuit du 6
au 7 juin tandis que la ville s'écroulait, emportée par un effroyable ouragan, les Allemands gardèrent enfermés derrière cette porte prés de
deux cents patriotes arrêtés au cours des mois précédents dans le département. Plusieurs bombes tombèrent à 1 h 15 du matin sur le bâtiment où
des dizaines de martyrs demeurèrent ensevelis.
La piété des survivants a fait de cette ruine qui sera
peut-être déplacée, mais sûrement conservée, le symbole de la résistance patriotique et douloureuse des habitants de la Manche à l'occupation
nazie.
* Les chiffres et les lettres entre parenthèses renvoient
au plan.
DE LA PRISON À L'ÉGLISE NOTRE-DAME
À peu de distance de la prison, vers l'ouest, se dressait
encore aux premières années du XIXe siècle une porte fortifiée dite du Neufbourg ou du Soleil-Levant. Au-delà, à l'intérieur de la
citadelle toute enveloppée de remparts, s'étendait vers l'est le quartier appelé le Belle ou Baelle. C'est aujourd'hui un vaste quadrilatère nu et
triste.
Les bourgeois y avaient au XVe siècle leurs hôtels
et leurs jardins. Le XIXe y installa les édifices publics essentiels de la ville. Tout près de la prison et recouvrant une partie des
anciennes douves, le Palais de justice construit en 1823. A droite, la Préfecture installée en l'an VI (1798) dans un ancien hôtel particulier édifié
quelques années plus tôt par Nicolas Lemonnier. Les bâtiments qui, malgré divers agrandissements (notamment la construction en 1876 de la salle du
Conseil Général et des Archives départementales) ne suffisaient plus à une administration sans cesse envahissante, ouvraient sur de très beaux
jardins. Au milieu de ceux-ci se dressait une vieille tour, celle qui jadis gardait l'angle nord-est de la forteresse. On l'appelait au XVIIIe
siècle la Poudrière : le bombardement, par un étonnant hasard, l'a respectée.
Le Palais de Justice et la Préfecture servaient de cadre
à la place Alfred Dusseaux qui, ouverte au sud, était fermée à l'est par l'Hôtel de Ville installée juste au chevet de l'église Notre-Dame.
L'édifice construit au milieu du XIXe siècle
présentait le classique et discret étagement des ordres antiques et n'offrait aucun intérêt architectural. On pouvait admirer, dans le vestibule,
le plus important monument épigraphique de l'époque gallo-romaine : le marbre, dit de Torigni, élevé en 238 à Vieux (près de Caen) en l'honneur
du prêtre gaulois Titus Semnius Sollemnis.
En contournant, à gauche, l'église Notre-Dame on passe
devant un portail Louis XIII. Il faisait partie d'un vieil et riche hôtel appelé du nom de l'un de ses propriétaires, Le Jollis de Villiers. Il
appartenait à jean Leroy, sieur de la Barrière, lorsqu'en septembre 1649 s'y arrêta le jeune roi d'Angleterre exilé, Charles II, revenant de Paris
avec son frère le duc d'York.
En face de cette aristocratique demeure, le presbytère de
Notre-Dame . occupait en 1944 l'emplacement de l'ancien hôtel du Maître de la monnaie. La forge et l' " ouvreur " (atelier) se trouvaient
plus loin dans le " châtel ".
Près de la porte qui donne accès dans l'église se
dressait l'hôtel du Roy ou auditoire royal. Là se tenaient dans deux salles ou cohues, les juridictions séculières de St-Lô, celle du conseil du
roi ou bailliage et celle des " Élus " de la ville.
La rue qui longe l'église après s'être appelée rue
Notre-Dame porta longtemps le nom de rue de la Peufre à cause des loges de peufriers (fripiers) qui s'appuyaient à l'église. Elle était fermée au
niveau de l'abside par une porte au curieux nom de Barrière Cauffestrain. Au Moyen-âge dans les églises on étendait sur le sol, en hiver, pour réchauffer
les pieds, de l' " estrain " (jonc) et lorsque l'abbé de Ste Croix venait rendre visite à l'église Notre-Dame, le curé, par déférence,
étendait cette couche d'estrain jusqu'à la porte qui formait sans doute la limite de sa paroisse.
L'ÉGLISE NOTRE-DAME
La construction de Notre-Dame de Saint-Lô à la place de
la Chapelle primitive, Ste Marie du Château, avait duré trois siècles et demi, de 1330 à 1684. L'église n'ayant jamais bénéficié d'importantes
libéralités s'était accrue lentement, un peu au hasard ; d'où les irrégularités du plan (le
chœur n'était pas dans l'axe de la nef) et le caractère
composite de l'édifice. Toutefois, la majeure partie de la construction était du XVe siècle et la " Cathédrale de St-Lô qui a été
comparée à celle de Durham était du style flamboyant.
De l'édifice, qui se développait sur 74 m. de longueur,
40 m. de largeur et 10 m. de hauteur, il ne subsiste plus depuis juin 1944 que les piliers de la nef et les murs de soutènement des bas-côtés
(milieu du XIVe) - le chœur et l'abside (face sud : début du XVe, face nord : fin du XVe et début du XVIe) - la
base de la tour nord-et une partie de la tour sud (XVe siècle). La construction ,est en schiste recouvert de calcaire (la base d'un pilier écroulé,
à l'entrée de la nef, met en évidence cet artifice ; les voûtes sont le plus souvent en pierre de Sainteny.
Avant de franchir la seule porte qui maintenant donne accès
à l'édifice on notera la simplicité un peu triste des murs extérieurs, côté sud. Tournés vers une rue étroite, face à de vieux hôtels sévères,
ils n'ont pas la décoration surabondante qui alourdit la façade et le côté nord, dressés, d'ailleurs à une époque plus récente.
Une reprise très visible montre que le mur a été surélevé
au XVIIe lorsque les voûtes ont été refaites.
On remarquera à l'intérieur :
1° les colonnes. Celles qui partagent la nef en 5 travées
sont flanquées de colonnettes sur lesquelles s'appuyaient les voûtes. Les bases molles et les chapiteaux à bague décorés de choux frisés (style
dit " anglais ") sont du XVe siècle.
Celles qui entourent le chœur sont dépourvues de
chapiteaux. Les colonnettes qui reçoivent la poussée des arcs doubleaux et ogifs reposent dans les écoinçons sur . un à cul de lampe coudé.
Font exception les grosses masses qui, au narthex, avaient
la mission redoutable d'épauler les tours et qui constituaient sans doute la partie la plus ancienne de l'édifice.
2° Les voûtes. La couverture primitive avait, bien
entendu, depuis longtemps disparu. Celle qui était en place en 1944, et dont la destruction permet de bien saisir la technique, remontait au XVe
siècle pour les parties les plus anciennes, (près de la Tour Sud) et au XVIIe pour les plus récentes, celles du chœur. La date est
fournie par l'aspect des culots et la forme des fenestrages.
Il y avait eu nettement deux campagnes. Les premières voûtes,
plus basses, partaient d'un bandeau très décoré où parmi des guirlandes de feuillage gîte un monde étrange de chats et de chouettes, de belettes
et de colombes !
3° Les Chapelles. Des 24 chapelles qui se pressaient le
long des bas-côtés et du déambulatoire il ne reste bien souvent que de frêles souvenirs. Au nord-ouest, à l'entrée de la nef, se trouvait la
Chapelle de Notre-Dame du Pilier à laquelle, s'attachait un vieux culte local. La statue, où l'enfant d'un geste gracieux caressait le menton de sa
mère a été brisée. Ce n'était d'ailleurs pas l'image primitive élevée peut-être par l'Espagnol Sr Vincent Ferrier mais deux fois déjà mutilée,
au XVIe et au XVIIIe siècle.- Une nouvelle statue (seule la partie inférieure est ancienne) été érigée à l'entrée du chœur, côté
sud.
Contre le, mur nord, la Chapelle du Calvaire a gardé sa
haute croix de pierre. Elle est entourée d'un rouleau en gorge orné de choux qui témoignent d'un grand souci de réalisme. La base, très décorative,.
avec des pénétrations multiples, est dé la fin du XVe ou du XVIe siècle.
À l'est, la Chapelle du Rosaire au de Notre-Dame de Grâce
est établie au chevet depuis 1497.
Deux membres de la Confrérie du Rosaire, fondée au XVIIe
siècle, accompagnaient le prêtre portant la communion aux malades.
Viennent ensuite la Chapelle de la Trinité, jadis "
fieffée " aux Bouchers, dont le tabernacle renferme les reliques de St-Lô et la Chapelle dédiée à St Crespin et St Crespinien, patrons des
tanneurs et des cordonniers. Contre ces deux autels, près d'un pilier soutenant le déambulatoire, le vieux puits de l' " oeuvre " après
avoir servi aux premiers bâtisseurs est de nouveau utilisé pour les plus urgentes mesures de préservation.
Au sud-est, la Chapelle St Georges, possède un autel dédié
à St-Thomas de Cantorbéry. Elle résulte d'un agrandissement réalisé en 1431 mais les remplages des fenêtres témoignent de remaniements ultérieurs.
Sur une colonne à l'entrée du déambulatoire on devine un reste de peinture (peut-être une danse macabre ?)
Au sud-ouest enfin, la Chapelle St-Julien offrait à la
curiosité des touristes et à l'admiration des fidèles le précieux " vitrail royal " donné en 1472 par Louis XI à la prière de Jehan
Boucard, évêque d'Avranches. Né à St-Lô, au château de la Vaucelle, ce prélat, devenu confesseur du roi, enrichit par ses initiatives et ses
dons sa ville natale. C'est à lui que Notre-Dame où il fut ensuite inhumé dut de posséder l'une des
premières et des plus riches bibliothèques paroissiales. Le vitrail où avec Louis XI et ses deux fils étaient représentés St Louis, St Remi et
Ste Geneviève de Nanterre a été heureusement déposé avant la catastrophe. Un jour il reprendra sa place avec toutes les enluminures sur verre
offertes souvent par les Corporations et portant leurs " armoiries ".
Après avoir jeté un regard sur les boiseries anciennes
(porte du tabernacle - crédences Louis XV - stalles du chœur) on quitte l'église pour gagner la façade. La tour nord ou tour de la ville ne dresse
plus qu'une base déchiquetée par mine que les Allemands firent exploser au moment où les Américains pénétraient dans la cité : ils avaient trop
l'habitude de placer leurs guetteurs et leurs pointeurs dans les clochers pour en laisser l'usage à leurs adversaires. Flanquée d'une tourelle, elle
se reliait à la tour sud par trois portails. Seul, le troisième, celui de St jean subsiste, très mutilé. On peut deviner cependant que, renonçant
à la simplicité qui caractérisait l'intérieur de l'édifice, les artistes avaient multiplié sur la façade les motifs et les scènes.
Un obus allemand, peu après la libération, a fait sauter
toute la partie supérieure de la tour sud, dite tour de la Paroisse, élevée en 1464, ainsi qu'en témoigne une inscription que l'on déchiffre
encore, mais avec peine :
En l'honneur de Dieu et de la Vierge et de St-Jean cette
tour et ce portail ont été faits des deniers du trésor par jean de Baubigny, jean le Rossignol et jean de Caumont, trésoriers, l'an 1464.
Quelques restes de sculptures anciennes s'accrochent ça
et là lourds de toute l'exubérance du XVe siècle. Baldaquins, gables, arcs fleuris, chimères, feuillages déchiquetés courent le long de la tour
sud, tandis qu'au tympan de la porte St jean devinent des scènes de la vie de l'évangéliste inspirées, comme à la cathédrale de Rouen, par la légende
dorée.
Contre le soubassement de la tour nord sont plaqués deux
grands fenestrages aveugles avec gable où des croix imitent le bois brut. On devine, sur l'un des volets, de ce diptyque le paradis terrestre et sur
l'autre la Vierge au pied de la Croix - on pense à quelque mystère pétrifié à la face de l'église devant laquelle il a peut-être été joué !
Ailleurs se mêlaient le réalisme et la fantaisie ; mais
on retrouve mal ces trésoriers, ces nains allongés aux chaussures à la poulaine, ces hommes et ces femmes priant, dansant, luttant contre un lion
ou un ours que nous décrivent les ,guides d'autrefois.
La 2e guerre mondiale n'est pas seule
responsable de l'effacement de ces fantaisies où se complaisait le Moyen-âge finissant. Déjà avant 1944 on accusait les troubles religieux du XVe
siècle. Civiles ou non, les guerres ont toujours de semblables conséquences...
Contournant la tour écroulée, on longe maintenant le mur
qui ferme le bas-côté nord. Le socle de schiste, où l'édifice a été scellé, est ici très visible. Une porte aménagée au XIXe siècle
a remplacé une ancienne ouverture dont le linteau demeure avec les armoiries de l'évêque Geoffroi Herbert (fin XVe).
Au-dessus des grandes fenêtres, les gargouilles abritent
une fresque humoristique où se coudoient toutes les classes sociales : le chevalier avec son épée, le moine avec son chapelet, le vilain avec son
" pichet " d'étain ou avec son " biniou ". Un enfant reçoit la fessée : un auteur accuse la mère, un autre le pédagogue, Il
faut évidemment pour apprécier ces reliefs effacés presque autant d'imagination que le sculpteur en a employé pour les créer !
Il est plus aisé d'examiner la " chaire extérieure
". Elle s'apparente à celles de la Meuse et de Bretagne (notamment à la chaire de Vitré qui est de la même époque : fin du XVe).
Les panneaux flamboyants du garde-corps sont supportés par une courte colonne. L'abat-voix est surmonté d'un clocheton un peu lourd qui s'élève le
,long du contrefort. Cette chaire ouvrait sur la cour de l'évêché et servait à la lecture des sentences ecclésiastiques et des actes de la sénéchaussée
mais aussi à la prédication : Mgr Loménie de Brienne y prêcha à plusieurs reprises.
La demeure épiscopale installée dans le vieux château
comprenait en 1446 le grand et le petit palais, la chapelle privée, deux étables, des greniers, un jardin, une vigne et un puits ; mais en 1750, au
moment de la vente aux enchères il ne subsistait plus qu'un grand corps de logis perpendiculaire à la chapelle du Rosaire. On voit nettement encore
un reste de tourelle et quelques traces d'une de ces maçonneries en " arête de poisson qui toujours soulevèrent l'intérêt, voire les
passions !
Revenons sur nos pas. Dépassons la façade et, en nous éloignant,
jetons un dernier regard à " Notre-Dame ". Les corbeaux ne gîtent plus dans les hautes tours qui dressaient leur pointe pacifique à 81 m.
du sol depuis la fin du XVIIe siècle (la flèche nord était de 1684 - la flèche sud avait été dressée par les frères Brodon, architectes de St
Pierre de Caen en 1630). Le Christ qui a pris la place de l'ancien jubé domine, douloureux, le parvis que les bombes ont singulièrement élargi et
que le Bourdon, ou Horloge, n'emplit plus de cette harmonieuse sonorité qu'admirait Napoléon 1er.
Malgré les efforts de M. Barbier, architecte en chef des
Beaux-Arts, qui donna ses soins à tant d'édifices religieux normands, malgré la Société des Amis de Notre-Dame que préside Mr. Lefèvre, les
appels désespérés, s'ils ont assuré la sauvegarde des ruines n'ont pas permis d'entre prendre une nécessaire reconstruction. " Sévère
comme le gros clocher de Chartres, légère comme l'aiguille de St Denis quand l'une de ses flèches taillées à jour et d'une charmante couleur
blonde surgit tout à coup de derrière les collines,
c'est une merveilleuse aventure dans le paysage " écrivait Victor Hugo le 30 juin 1836. Cette silhouette avait retenu Corot. Aujourd'hui, le cœur
serré, le passant l'abandonne sans regret...
LE CHATEL
OU L'ENCLOS
De l'église Notre-Dame à l'extrémité occidentale de la
ville haute s'étendait au Moyen-âge le " Châtel " enveloppé d'une ceinture continue de défenses. Là se pressait la plus grande partie
de la. population. Depuis un siècle ce quartier dénommé l'Enclos, plus aéré, plus paisible était l'un des centres vitaux de St-Lô : chaque
samedi s'y tenait un pittoresque marché où les énormes mottes de beurre voisinaient avec les amoncellements de choux de Créances.
C'était aussi la partie de la cité la plus riche en
vestiges du passé grâce à la survivance de nombreux hôtels particuliers, demeures des principaux officiers de la ville ou des plus riches
bourgeois. C'étaient l'hôtel du gouverneur Luc Duchemin, la Maison-Dieu, l'hôtel jean Dubois, le manoir Boulenc, la maison Saint...
Il y avait aussi des hostelleries pittoresques, telle
l'auberge de la Croix d'Or, montrant encore leurs caves des XIVe et XVe siècles, basses et mal éclairées, mais toujours
soutenues par ces sobres colonnes auxquelles les marchands de passage attachaient entre deux voyages les fameux " bidets du Cotentin ".
Et dans ces rues étroites et tortueuses aux vieux noms
pittoresques : de la Poterie, des Images, de la Paille, de la Chancellerie... le passé demeurait accroché aux encorbellements harmonieux, aux
corbeaux robustes, aux pignons et aux lucarnes décorés de sujets allégoriques, aux arcs en accolade des portes, aux échauguettes ou poivrières
qui n'effrayaient plus personne.
Aujourd'hui, la curiosité du touriste n'est plus attirée
par ces manoirs construits pour la plupart aux XVe et XVIe siècles en schiste vert de la Roquette (faubourg nord-ouest de St-Lô)
et en bois, ce dernier élément n'apparaissant souvent qu'aux derniers étages de la construction.
Remarquons néanmoins à gauche les vestiges de la rue
Porte-Torteron. Étroite et montueuse, elle franchissait l'une des vieilles portes fortifiées de la ville. Le passage était difficile mais très fréquenté
par les Saint-Lois gagnant la Cathédrale ou le marché. Pour beaucoup d'entre eux, elle était encore la rue Porte-au-Lait en souvenir des femmes qui
jadis y venaient chaque matin vendre le lait de leurs vaches.
À droite, se dresse la chapelle ruinée de la Petite
Abbaye, aumônée à l'Abbaye de St-Lô au XVe siècle par Jean de Lozon. C'est là qu'en temps de guerre ou de troubles se réfugiaient
les chanoines de l'Abbaye dont les armes se devinaient encore au début de 1944 à la clef de voûte de là petite chapelle.
La disposition du terrain entre l'église Notre-Dame et
l'extrémité du plateau a beaucoup varié au cours des siècles. jusqu'au milieu du XIXe tout cet espace était couvert de constructions.
De grands changements intervinrent alors et firent disparaître notamment, devant l'Église, les derniers vestiges des halles aux bouchers, aux
changeurs et aux merciers. En juin 1944, deux larges places se succédaient : la place Gambetta, la place des Beaux Regards. On médite aujourd'hui de
revenir au dispositif médiéval, au profit de sévères bâtiments administratifs.
Le futur Hôtel de la Préfecture dominera la vallée de
la Vire et de ses salons on pourra admirer la courbe gracieuse que la rivière dessine entre les coteaux boisés d'Agneaux à l'ouest, de
St-Georges-de-Montcocq au nord, depuis le château de la Vaucelle à gauche jusqu'au " Vauvire " que les moulins n'animent plus de leur
murmure discret et monotone.
Le visiteur peut pousser jusqu'à la tour à machicoulis
dite du Beauregard ou encore de la Moullerie mais il ne s'arrêtera pas devant la vieille laitière normande œuvre du sculpteur Arthur Le Duc :
une femme en caraco, jupon court et bonnet portait maintenue par une lanière de cuir passant sur sa tête, la " canne " pleine de lait...
Pendant l'occupation, les Allemands l'ont emportée...
Ils ont du moins respecté le monument de la guerre
1914-18, inauguré en 1921, où la victoire élève un drapeau que juin 1944, parachevant l'œuvre du sculpteur, a singulièrement déchiqueté.
L'ASSAUT DE LA 35e DIVISION
Traversant l'angle nord-est du plateau, le touriste
descend l'ancienne rue Porte-Dolée et passe, sans bien s'en rendre compte, à travers l'entrée de la ville la mieux défendue aux temps anciens.
Elle comprenait deux ouvrages distants de 60 mètres environ. Chacun d'eux possédait sa porte, son pont-levis, ses tours, ses barbacanes.
Descendus dans la vallée taillée par la Dolée au flanc
du Rocher, nous atteignons le carrefour de Carentan. En face la route monte rapidement se dirigeant vers le Pont Hébert, vieux passage sur la
Vire qu'Édouard III emprunta en 1346. En suivant à rebours sa chevauchée dévastatrice on gagnerait Carentan, Montebourg et la région
cherbourgeoise.
A droite, des chemins s'enfoncent vers les villages de
St-Georges de Montcocq et Villiers-Fossard. A l'entrée de l'un d'eux on aperçoit une des bornes de la voie de la liberté. Ce sont les routes que
suivit au début de juillet 1944 la 35e division d'infanterie américaine.
Cette unité, débarquée du 5 au 7 juillet à Omaha Beach,
était venue prendre position dans la nuit du 9 entre la Meauffe et Villiers-Fossard, tandis que la 29e, division qui tenait primitivement
ce secteur se concentrait entre Villiers-Fossard et Couvains. En suivant d'ouest en est le front tenu par les 137e, 320e et 134e
régiments on rencontrerait toute une série de villages et de collines riches d'héroïques exploits. Tout le pays est parsemé de talus qui, surmontés
de buissons et d'arbres, bordés de fossés, délimitent les prés et les champs. Les Yanks découvrirent avec effroi un type de clôture dont ils ne
soupçonnaient même pas l'existence et connurent en suivant les chemins creux ou en bondissant au sommet des haies de terribles, émotions. La "
guerre des haies " transforma la tactique et la lente conquête du sol, champ après champ, marqua celui-ci d'une terrible brûlure.
A gauche, c'est Saint-Gilles, où le 137e se
heurta les 11 et 12 juillet à une dure résistance qui avait l'église pour pivot. C'est Pont-Hébert où la 30e division, qui opérait à
l'ouest de la rivière, et la 35e réalisèrent le 14 juillet une difficile jonction. C'est le Carillon où les allemands avaient installé,
à la limite des 137e et 320e régiments, un système défensif original appuyé sur une petite colline dominant les vallées
voisines de 15 à 30 mètres, et étendu sur 1 km. de profondeur. Tout autour étaient disposés des avant-postes qui, en cas de danger, se repliaient
sur la ligne principale de résistance. Ce dispositif, les mines perfides et le tir accablant des 88 arrêtèrent les Yanks du 13 au 16 juillet.
A droite, c'est Villiers-Fossard, bourg type de la zone de
bataille, commune partagée pendant un mois entre les deux adversaires et soumise à un double et cruel pilonnage. C'est la colline 122, près de la
ferme des Ifs, objectif imposé le 13 juillet au 134e régiment, mais qui ne fut enlevée qu'après de dures opérations, où infanterie,
artillerie,.aviation durent conjuguer leurs efforts. C'est, plus près de nous, le village de Saint-Georges-de-Montcocq qui vient de retrouver son
clocher à " bâtière " si caractéristique de la région. Les premières patrouilles de la 35e l'atteignirent le 18 juillet puis se glissèrent
par la rue Saint-Georges et la rue Belle Croix. Traversant la rue des Grands Noyers que nous apercevons à droite et qui jadis, était dénommée le
Ravelin, elles escaladèrent, le 19, les jardins de la Préfecture et trouvèrent dans l'église Notre-Dame des soldats de la 29e division,
entrés dans la ville, la veille, par la route d'Isigny (F).
LE ROCHER ET LE SOUTERRAIN
Tournant, à gauche, on contourne le Rocher dominé à cet
angle nord*ouest par la Tour Planchon ou Tour la Rose du nom d'un certain tanneur qui posséda le moulin à tan voisin. C'est au près de cette
tour que Matignon lança, en 1754, l'assaut qui lui permit d'enlever la ville.
Plus loin, on atteint le quai à Tangue, dont le nom garde
le souvenir d'un commerce actif qui empruntait autrefois la rivière. La Tangue est un engrais naturel arraché aux grèves de la côte occidentale du
Cotentin qui, du XIIe au XIXe siècles, a été fort recherché des agriculteurs.
Autrefois, le quai était au niveau de la rivière. Il a
été depuis 1944 très sensiblement relevé. Les inondations seront moins à redouter, mais le Rocher y a quelque peu perdu en puissance.
Au delà de l'emplacement réservé, le mardi, au marché
aux veaux, le souffle des bombes a légèrement déplacé une passerelle moderne, édifiée à l'emplacement où, croit-on, les Romains avaient déjà
jeté un pont.
Cette passerelle conduit à la gare. Saint-Lô écarté,
pour des raisons d'économie, du tracé de la ligne Paris-Cherbourg, a été relié en 1860 à Lison (à 17 km au nord). La ligne, prolongée en 1878
jusqu'à Folligny et Dol, constitue la plus importante liaison entre la Normandie et la Bretagne. Au nord de la gare, la zone industrielle de Saint-Lô
s'étendra à gauche de la Vire jusqu'au pont de la Buissonnière, sur le territoire de la commune limitrophe d'Agneaux, ce qui risque de rouvrir une
vieille querelle...
Sous la Tour du Beauregard que nous atteignons
maintenant, s'ouvre un curieux " souterrain ", ouvrage défensif aménage par les Allemands en 1943-44. Les travaux, inachevés au moment du
débarquement, semblent avoir eu pour but la création d'un vaste hôpital. Au soir du 6 juin, les Allemands se groupant dans quelques galeries
ouvrirent cet abri à plus de mille Saint-Lois dont beaucoup durent leur salut à ce geste d'humanité trop exceptionnel pour ne pas devoir être
signalé. Pendant trois jours se déroula, sous les voûtes froides que les bombes faisaient trembler, une vie étrange. Le Dr Benoît procéda aux
plus urgentes opérations. M. Lefrançois, pharmacien, organisa le ravitaillement facilité par le voisinage du " Secours National " et
d'entrepôts commerciaux, le courage d'un boulanger, le sang-froid d'un laitier, les générosités individuelles. Mais le danger grandissant, l'arrêt
de la génératrice fournissant la lumière et assurant la ventilation, imposèrent une évacuation que conseillèrent et organisèrent M. Périer,
maire de Saint-Lô, et M. Husson, secrétaire général, remplacant M. Feugère, préfet, arrêté depuis peu.
Aujourd'hui, ce souterrain, qui mériterait d'être aménagé,
est utilisé par les Ponts et Chaussées et par la Société d'Archéologie qui y a déposé quelques reliques arrachées aux ruines de Saint-Lô :
vieilles plaques de cheminées, balcons aux volutes capricieuses, lourdes pierres armoiriées... tristes épaves des jours heureux !
Parmi les réfugiés du Souterrain se trouvaient les sœurs
Saint-Paul de Chartres avec les vieillards et les enfants de l'hospice qui se dressait alors de l'autre côté de la rue, dite de la Poterne. Cet Hôtel-Dieu
avait été construit, grâce à de nombreuses libéralités, par Hugues de Morville vers 1225. La chapelle n'était pas sans charme ; le souvenir de
Saint Louis-Marie de Montfort y était demeuré attaché depuis ses prédications de 1714.
CE QUI FUT LE CENTRE DE LA VILLE
Au carrefour de l'Hôpital, actif centre commercial, se
croisent trois routes importantes.
A droite, la route de Coutances franchit le pont de pierre
que les bombes de 1944 ne sont pas parvenues à détruire entièrement. Il ne reste rien cependant du vieux pont de Geoffroi de Montbray plusieurs
fois remanié et élargi (notamment en 1784 et après l'inondation d'oCtobre 1852). A 1500 mètres environ, au-dessus de la " Falaise " se
trouve le village d'Agneaux. C'est là que, le jour de la Saint-Jean, se rendaient les membres de la curieuse " confrairie Monseigneur Saint
Jehan aux chapiaux " avec un " luminaire " à la main et, sur la tête, un curieux " chapel de trois fleurs ". Plus loin, on
atteindrait le théâtre de la célèbre " percée " du 25 juillet 1944.
En face, la route de Villedieu, de Granville et
d'Avranches fut la grande voie de l'exode. C'est par là que la 29e division, après la prise de Saint-Lô, poursuivit son effort vers
Vire. C'est par là que la Voie de la liberté gagne le sud (la route nationale 172 n'est suivie que, par un " éclatement " de cette Voie
dont le tracé donna lieu à maintes controverses). On peut en l'empruntant atteindre, à quelques centaines de mètres, le grandiose hôpital en
cours de construction grâce à la générosité des U. S. A. et les vieux manoirs de la Seigneurie, du Boscdelle et de la Vaucelle. Ce dernier a
conservé un très beau pigeonnier, une chapelle, la Pernelle, dédiée à Sainte Pétronille et le souvenir d'hôtes royaux.
A gauche, la route conduit vers Bayeux et Caen ; avant
1944, on suivait une rue fort animée où peu à peu, délaissant la haute ville, tout le commerce s'était concentré ; aujourd'hui, on marche plus
vite sur des trottoirs dont on regrette l'exiguïté primitive. ! La bataille, qui n'a laissé debout qu'une seule maison, a fait jaillir, pour un
temps, le ruisseau du Torteron qui avait donné son nom à la rue et serpentait, maussade, au fond des cours, derrière les maisons qu'il enveloppait
d'une ceinture nauséabonde...
A droite, les " Pérelles " conduisent vers le
Bon Sauveur, centre psychiatrique féminin du département. Des baraques remplacent les bâtiments scolaires qui y étaient rattachés. A peu de
distance, on peut apercevoir le " Don Suisse ", création de l'œuvre Suisse d'Entraide Ouvrière (O.S.E.O.) qui, depuis avril 1946, sous la
direction de Madame Kaegi et de Mlle Lévy, a réalisé un important travail charitable. Son action immédiate a constitué en distributions de
chaussures, vaisselle, vêtements, meubles, son action durable dans l'organisation d'une pouponnière, d'une école maternelle, d'un ouvroir qui,
inaugurés le 4 Mai 1947, ont été généreusement donnés à la ville de Saint-Lô.
A gauche, la chute des maisons qui ne seront point
reconstruites (ainsi en ont décidé les Saint-Lois par referendum) a dégagé les vieux remparts de la Cité. Certes, ces fortifications n'ont jamais
eu une grande valeur militaire ; les empiètements des bourgeois, les transformations maladroites ont défiguré la vieille ceinture défensive, mais
le Rocher, épaulé par ces Remparts vétustes, dominé par le symbole tragique de l'église éventrée, ne manque pas de grandeur.
On passe devant un promontoire en forte déclivité, le
Grouay ou Groix, où un pont permettait d'accéder à la Porte Torteron, puis on atteint la tour Dame Jeanne elle doit son nom à sa forme de
bouteille) qui servit de prison de femmes à l'époque révolutionnaire.
En face de cette tour se trouvait le buste dû au ciseau
de Le Duc et représentant Léonor Havin (1799-1868) d'une famille de Torigni, directeur du Siècle, l'un des chefs du Parti Républicain sous
l'Empire, l'ardent défenseur de l'unité italienne. Inauguré en 1888, le monument Havin était encadré par le Musée de Saint-Lô et un important
groupe scolaire.
Au sommet de la voie qui porte le nom de l'illustre
publiciste, on traverse la rue Octave Feuillet. Cet écrivain, né à Saint-Lô en 1821, mort en 1890, fut au contraire l'un des familiers de la cour
impériale. Spectateur chagrin des transformations sociales de la fin du XIXe siècle, il cache sous la distinction de son style une
philosophie un peu superficielle. Des situations trop conventionnelles déparent ses ouvrages dont le plus connu est le Roman d'un jeune homme pauvre.
A droite, la route conduit vers la caserne Bellevue (10) où
se sont réinstallés divers services administratifs, notamment la sous-préfecture de Coutances repliée à Saint-Lô pendant l'exil provisoire de la
préfecture de la Manche. Par là, on peut atteindre aussi deux importantes cités de baraques américaines et, route de Tessy, le champ de tir où
furent fusillés des dizaines de patriotes condamnés par le tribunal militaire allemand de Saint-Lô. Plus loin, le petit village du Hutrel qui, en
juin et juillet 1944, rassembla plus de quatre mille Saint-Lois, trop faibles ou trop attachés à des ruines fumantes et que, seule, la bataille pour
la prise de la ville chassa vers le sud.
Dans le prolongement de la rue Havin, un peu à droite
toutefois, se trouve la rue Dagobert. Elle conserve la mémoire du plus vieux des généraux révolutionnaires né à La Chapelle-Enjuger en
1736. Après avoir lentement conquis les grades inférieurs, notamment contre la Prusse, au cours de la guerre de Sept ans, il se rallia aux idées
nouvelles, devint général, sauva la France de l'invasion espagnole, débloqua la forteresse de Montlouis, occupa la Cerdagne et mourut en 1794 au
moment où il projetait la conquête de la Catalogne.
A l'entrée de la rue, à droite, l'Hôtel de Ville
provisoire de Saint-Lô (11) abrite, outre les services municipaux, une assez riche collection de tableaux où figurent notamment un Corot (Homère
chantant l'Iliade devant les bergers de l'île de Pathmos) et une série de portraits des Matignon-Grimaldi (dont les descendants sont devenus princes
de Monaco) provenant soit du château de Torigni, soit des libéralités des marquises de la Tour du Pin et de Louvois.
Mais les touristes seront certainement plus intéressés
par sept panneaux de tapisserie, hauts de 3 m, 40, larges de 2 m, 55 à 3 m., retraçant les Amours de Gombaut, et de Macée (la chasse aux papillons,
le jeu de boules, la danse, le repas, les fiançailles, la noce, le loup). Une seule a conservé sa bordure de guirlandes et d'instruments agricoles.
La qualité de la laine, la finesse du point et la beauté des couleurs rattachent ces tentures à un atelier parisien de la fin du XVIe siècle.
Seule la dernière est d'une manufacture de la Manche et d'une époque plus tardive. Cette série - la plus complète qui soit connue - provient du château
de Laulne, près de Périers, propriété successive des Bricqueville Colombières, de Turgot et de Lebrun consul et due de Plaisance. En 1840, le
comte jules de Plaisance en fit don au musée de Saint-Lô.
Toutes les autres collections municipales, qui n'avaient
pas été mises à l'abri, ont été détruites.
A l'extrémité de la rue Dagobert se trouve le collège qui, pendant la guerre, servit tour à tour d'hôpital, de camp de prisonniers, voire de caserne provisoire.
A gauche, la rue Le Verrier rappelle que l'illustre
astronome qui, par le calcul, découvrit la planète Neptune en 1846, est né à Saint-Lô en 1811. Directeur de l'Observatoire de Paris, président
du Conseil Général de la Manche sous l'Empire, il mourut en 1877. Son buste, endommagé mais réparé, reprendra bientôt sa place dans l'Hôtel de
Ville. Place Sainte-Croix (14), on tourne à gauche. Après avoir suivi quelque cent mètres la route de Bayeux on atteint le carrefour de la Bascule
(13).
LA PRISE DE SAINT-LÔ ET LES EXPLOITS DES 29e
ET 2e DIVISIONS
Au carrefour de la Bascule (il tire son nom du poids
public, fort fréquenté, avant 1944, les jours de foire) se croisent a droite la route de Torigni et de Vire (E), à gauche celle d'Isigny (G), en
face celle de Bayeux (F) où s'étirent les dernières maisons de la ville. Nous sommes au lieu historique où, le 18 juillet 1944, a été planté le
fanion de la 29e division américaine, au soir de la prise de Saint-Lô. La division du Général Gerhardt (115e, 116e
et 175e régiments) débarquée, coude à coude avec la 1re division, le 6 juin à Omaha Beach, à 32 kms au nord-est de Saint-Lô
avait tout d'abord subi une terrible épreuve. La résisiance de la 352e division allemande brisée, l'avance se poursuivit rapide et régulière.
Tandis que le 175e régiment s'emparait d'Isigny le 9 juin et aidait la 101e division aéroportée à briser définitivement la
résistance de Carentan le 12, tandis que la 1re division du Général Huebner se saisissait de Caumont le 13, la majeure partie de la 291
et la 2e division (général Robertson) atteignaient la ligne : La Meauffe-Villiers-Fossard-Saint-Georges-d'Elle. Pendant quatre semaines,
les adversaires restèrent face à face.
L'attaque décisive eut lieu entre les 11 et 18 juillet.
En suivant la route de Bayeux on apercevrait à
gauche, à 7 kms, la coline iga, coiffée du bois du Soulaire. Il fallut, pour l'arracher le 12 juillet à la 3e division de parachutistes
allemands, que la 2e division s'employât à fond. Le" Kraut corner ", où un tank dozer ensevelit trois Allemands trop tenaces
sous cinq pieds de terre, le village de Saint-Georgesd'Elle, et la vallée voisine (" Purple Heart
Draw ") ont laissé à beaucoup de ses hommes de tenaces et douloureux souvenirs.
Entre la colline 192 et Saint-Lô, court, parallèlement a
la route nationale, un peu au nord, la crête de Martinville où la 29e division éprouva tant de peine à s'accrocher. La traversée de la
vallée qui sépare cette crête de la route de Bayeux fut de même riche d'angoisses et de déceptions. A 2 kms de Saint-Lô, se trouve le carrefour
de la Madeleine. Il porte le nom d'une ancienne " léproserie " dont la chapelle subsiste, fort délabrée. Près de là, le 2e
bataillon du 116e régiment (Major Bingham) demeura encerclé du 15 au 17 juillet et, en dépit du manque de munitions et de vivres, résista
héroïquement jusqu'à l'arrivée du 3e bataillon du major Howie.
Si nous nous tournons vers la route d'Isigny c'est
autour de Saint-André de l'Épine et de la Luzerne que nous pourrions évoquer d'autres faits d'armes. Contentons-nous de rappeler que par cette
route, dans l'après-midi du 18 juillet, surgit la " Task Force C " du général Cota. Voitures blindées et fantassins parvinrent à 18 h.
à s'emparer du carrefour où nous nous trouvons. De là, des groupes furent envoyés pour organiser 17 postes fortifiés, prévus à la suite d'une
reconnaissance aérienne. Mais les Allemands avaient laissé dans les ruines de nombreux " snipers " "( chenapans " : tireurs
isolés) et leurs batteries, que les Américains ne parvenaient pas à repérer et à déloger, continuèrent à couvrir la ville d'éclats
meurtriers. Le général Cota fut lui-même blessé au carrefour de la Bascule le 18 juillet et, pendant plusieurs jours, les Américains rampant au
milieu des décombres sentirent toute l'ironie du cri de victoire que la radio alliée répandait à travers le monde : nos troupes ont occupé
Saint-Lô. A cent mètres du carrefour, à droite de la route d'Isigny, le cimetière bouleversé par la bataille (les combattants se servirent des
caveaux éventrés comme d'abris) a retrouvé le calme habituel des nécropoles, mais a dû être agrandi pour accueillir une partie des civils écrasés
sous les pierres ou mitraillés sur les routes de l'exode.
La guerre est un étrange mélange d'héroïsme et
d'horreur et le journaliste qui a évoqué l'émotion des soldats au moment où l' un d'eux (Francis L. Beins) planta le fanion de la 29e
division. (dans le trou qu'un obus avait ouvert au mur ouest d'une maison - un café restaurant - à l'angle nord-est du carrefour) a noté aussi l'émouvant
symbole du crucifix demeuré accroché à un pan de mur calciné et la poignante détresse de lettres familiales, dispersées et déjà souillées, près
d'un casque ensanglanté...
LE FAUBOURG EST.
L'HOPITAL IRLANDAIS ET LE HARAS
Le visiteur que ne tourmente pas à l'excès l'heure du départ,
peut remonter quelques instants la route de Bayeux. Il découvrira d'abord à droite l'hôpital irlandais (à 50 m du carrefour de la Bascule). C'est
une cité toute blanche, un frais ensemble de pavillons en damier entourés de vertes pelouses. Derrière les doubles parois, où s'intercale le lin
isolateur, ont été installés tous les services nécessaires : médecine générale, chambres d'isolement, voies respiratoires, salles de
tuberculeux, bloc opératoire aux parois entièrement recouvertes d'aluminium, radio, maternité, pharmacie, laboratoire, médecine des yeux... ; des
couloirs " climatisés " les relient entre eux. Tous ces blocs, édifiés par les services français de la Reconstruction, ont été entièrement
équipés par la Croix-Rouge Irlandaise. Les Saint-Lois, réduits tout d'abord à se soigner dans de misérables abris, ou à tenter un hasardeux
transport vers Bayeux ou Coutainville, ont pu connaître l'apaisante atmosphère d'un accueillant hôpital.
Le corps médical irlandais dirigé par le colonel Mac
Kinney, assisté des docteurs Gaffney, Leahy, Darley, Mac Kee Bolland et Mac Nicholas, a bénéficié d'ailleurs jusqu'à son départ, fin 1946, d'une
extraordinaire réputation, et a vu accourir de fort loin des malades pleins de confiance.
Cent mètres au delà, on aperçoit deux vastes cités de
baraques moins pimpantes : la " Forêt Noire " et la " Cité Verte " abritent une partie des sinistrés Saint-Lois, mal défendus
de la pluie et du froid, mais soutenus par une tenace confiance en une reconstruction rapide...
Un peu plus loin, à gauche, se développent les vastes bâtiments
du haras de Saint-Lô, le plus important des 22 dépôts d'étalons relevant du ministère de l'Agriculture.
Il groupe près de 400 reproducteurs qui, de mars à
juillet, sont mis à la disposition des éleveurs dans les 48 stations de monte de la circonscription (Manche et moitié ouest du Calvados, jusqu'à
l'Orne).
Celles-ci constituent les principaux centres de production
du cheval de selle en France. Après avoir fourni à l'Europe la majorité de ses chevaux d'attelage, après avoir remonté la plus grande partie de
notre cavalerie et de notre artillerie, elles procurent actuellement aux amateurs d'équitation du monde entier bon nombre de leurs chevaux de
promenade, de chasse, de manège et de concours hippique. L'universelle renommée du " Normand ", confortable et puissant connaît
aujourd'hui un très net renouveau à la suite des succès remportés par les représentants de la race dans les compétitions internationales.
Avec les étalons du type selle, quelques étalons de
pur-sang d'un grand mérite concourent à l'amélioration de l'espèce et lui apportent cet influx nerveux sans lequel il n'est pas de très bon
cheval de sport.
Une autre branche de la même famille normande, sélectionnée
pour son aptitude à la traction rapide, constitue la catégorie des " cobs ", lourds mais actifs, utilisés par les cultivateurs du pays et
spécialement recherchés comme géniteurs, non seulement par les éleveurs du centre et du midi de la France, mais aussi par les haras de. l'Europe
Centrale et Orientale.
Des étalons de trait percheron permettent la production
de chevaux de culture plus pesants pour les besoins régionaux.
Un élevage connaît un succès tout particulier, celui du
" trotteur ". Grâce à l'excellente jumenterie de vieille souche répartie chez de nombreux propriétaires, grâce aux étalons
exceptionnels que détient le haras, beaucoup des grands champions actuels des courses au trot ont vu le jour dans la circonscription de Saint-Lô.
Fondé en 1806, installé tout d'abord dans les anciennes
dépendances de l'abbaye de Sainte-Croix, puis, définitivement, en 1897, route de Bayeux, le haras de Saint-Lô a subi en 1944 des dégâts
importants. Il a perdu notamment de précieuses collections de harnais et de voitures qui devront être reconstruites si les haras veulent réaliser
de nouveau les splendides présentations d'attelage, l'une des plus luxueuses traditions de l'élégance et du goût français.
L'ÉGLISE SAINTE-CROIX
Revenons sur nos pas jusqu'à la place Ste-Croix. L'église,
qui occupe le coté nord de cette place, doit son origine à une abbaye qui, même si elle n'a pas été fondée, comme certains le prétendent, par
Sainte Hélène, mère de l'empereur, Constantin, n'en constitue pas moins la plus ancienne institution religieuse de la Manche. Son nom lui viendrait
d'un morceau de la Vraie Croix, don de Charlemagne en 805. Desservie tour à tour par les Augustins et les Génovéfains de Sainte-Barbe en Auge, elle
subsista jusqu'à la Révolution, mais n'abritait plus, il est vrai, à cette date, que trois religieux.
L'église dépourvue de transept (à cause sans doute de
l'existence d'un cloître) avait été presque entièrement reconstruite en 1860. Seuls le portail central et quatre travées de la nef avaient pu être
conservés.
La reconstruction en cours relève la nef principale et le
bas côté sud et respecte l'ancien style, mais la tour ne retrouvera pas la place qu'elle occupait en 1944 au-dessus du portail sud et, indépendante
cette fois de l'église, elle se dressera à quelque distance de la façade.
Avant de gagner le grand portail, évoquons devant
l'emplacement effacé de cette tour écroulée, le souvenir du major Howie, il avait quitté ses cadets de l'école militaire de Staunton, en
Virginie, pour prendre le commandement du 3e bataillon du 116e régiment (29e division). C'est lui qui, nous l'avons
vu, au cours des combats de Martinville, réussit à rejoindre le 17 juillet le bataillon encerclé du major Bingham. L'épuisement de ce dernier ne
lui permettant pas de prendre la tête de l'attaque contre Saint-Lô, le général Gerhardt demanda à Howie de se charger de cette mission. "
Nous l'accomplirons ", répondit-il simplement. Quelques minutes plus tard il était tué au carrefour de la Madeleine tandis qu'il prenait ses
dispositions d'attaque. Le général Cota ayant, le lendemain, pris Saint-Lô, les soldats d'Howie recherchèrent le corps de leur commandant, le hissèrent
dans une jeep et le déposèrent, enveloppé dans un drapeau américain et couvert de roses, sur les ruines du clocher de Sainte-Croix encore frémissant
du bruit de la bataille.
Le poète américain joseph Auslander a évoqué ce
tragique épisode :
Ils l'ont conduit, Porté, droit et fier et grave
A travers les portes de St-Lô. A ses hommes il avait dit
Qu'ils seraient les premiers à la chute de St-Lô.
Mais c'était hier.. et il est mort.
Quelque tireur caché lui a envoyé une balle à travers
la tête Et il s'est écroulé dans une prairie, derrière un mur
Et il n'y avait rien de plus à dire
Rien à dire... rien à dire du tout
Entre, soldat, dans ta jeep poussiéreuse et zigzagante
Plus; magnifique que le char de César. Entre
Dans la ville qu'ils prirent pour que tu la gardes
Mort, capitaine de leur gloire et de leur fierté,
Entre dans nos cœurs pour toujours, à travers nos
larmes,
Plus splendide qu'un héros entouré de lances.
Et maintenant, pour tous les Américains, Howie est le
major de Saint-Lô. Une réplique du buste en bronze, oeuvre de William Wescott, érigé dans l'école de Staunton, a été placée le 18 Juillet 1948
près de l'endroit où se dressa son homérique catafalque.
La façade de l'église Sainte-Croix, où s'affirme toute
la sobriété du XIIe siècle, nous replonge dans des souvenirs moins héroïques. On remarque, heureusement conservés, un cintre roman, une voussure
avec frette crénelée. L'archivolte est garnie de zigzags dont le vide extérieur renferme une feuille trilobée.
Au centre, un bas relief tardif représente l'évêque
Saint Lô rendant la vue a une femme aveugle. Au dessus, destiné à arrêter le ruissellement, se développe un galbe très curieux : un monstre sans
tête, un ours, dit-on, retenu avec deux chaînes fort raides par des gardiens en longue tunique. Deux chiens aboient après la bête et, au-dessous
du groupe, des serpents entrelacent leurs queues, nouent leurs corps et abaissent, presque au niveau de l'entablement, une tête qui engloutit un
animal, peut-être un agneau.
A l'intérieur, des chapiteaux à personnages retracent
encore, au troisième pilier nord, la pesée des âmes, plus loin l'Enfer, Saint Eloi, le Christ en Croix et la chasse de Saint Hubert. D'autres
chapiteaux plus simples présentent les bandelettes et ornements courants du roman primitif. Avec eux s'achève notre pèlerinage parmi les trop rares
vestiges de l'ancien Saint-lô.
LE CHAMP DE MARS
La disparition des derniers bâtiments de l'abbaye, occupés
en 1944 par le dépôt de remonte, a notablement élargi le Champ de Mars qui, maintenant, commence dès l'église Sainte-Croix.
Au-dessus des baraques commerciales accroupies sur la
moitié est de la place ou des tentes de forains installées le samedi dans la partie ouest, se dresse l'alignement régulier des sobres immeubles d'état
(I.S.A.I.). Cette place n'était encore, il y a 150 ans, qu'un espace vide, accidenté, couvert de buissons : les champs St-Thomas. Le nom venait de
l'église, consacrée à Thomas Becket, le célèbre archevêque de Cantorbery, qui, du XIIe au XVIe siècle, occupa l'angle
sud-ouest de la place. Elle était presque achevée, en 1171, lorsque Thomas Becket revenant d'exil traversa Saint-Lô. Consulté sur le nom à donner
à la nouvelle église, il conseilla de la dédier (au premier martyr) qui verserait son sang pour sa foi. Or, c'est lui-même qui devait peu après
être assassiné par des chevaliers d'Henri II.
Au cours des guerres de religion, le maréchal de
Matignon, maÎtre de la ville reçut l'ordre de détruire l'église Saint-Thomas qui, trop proche du château, pouvait constituer une précieuse
position pour un éventuel assaillant. Réédifiée au sud de la ville en 1624, elle dura peu, et c'était le théâtre municipal qui, en 1944, en
occupait l'emplacement.
A droite de l'hôtel des postes que souille encore
cette triste peinture verte dont les nazis avaient couvert tous nos bâtiments, se dresse un blockhaus que les bombes n'ont pu entamer.
Les Allemands y avaient installé un très important
relais téléphonique qui fut rendu inutilisable en raison du sabotage exécuté dans la nuit du 5 au 6 juin, par l'équipe Crouzeau (Résistance
P.T.T.), cernée ensuite à Beaucoudray et presque toute entière fusillée par l'ennemi.
Le visiteur ayant contourné la poste, reconnaîtra le
carrefour du Soleil Levant où débuta ce périple historique et archéologique.
Quel souvenir en gardera-t-il ? Il ne semble plus possible
d'évoquer le jugement d'Anatole France : petite ville noire, boiteuse, bâtie de travers, mais entourée d'herbe tendre et d'eau pure, baignée d'un
ciel doux. Le passe est effacé, l'avenir demeure plein de promesses incertaines...
Le major Dresden, au lendemain de la victoire, bouleversé
par la vision du désastre irrémédiable et total de cette cité " balayée comme par un blizzard ", vraie " vallée de la mort
", avait conseillé dans son livre " Le chemin de Paris " de ne point rebâtir Saint-Lô au même emplacement et de conserver les
" profondes cavités sépulcrales comme un suprême avertissement à la postérité, souvenir des maux qu'entraîne la guerre. "
Les Saint-Lois n'ont pas entendu cet appel mais ils n'ont
point oublié le drame de l'été 44. L'horreur de la guerre demeure dans leur cœur comme elle s'inscrira dans celui du passant.
R. PATRY
Autour de Saint-Lô
Voici quelques itinéraires permettant de visiter tous les
champs de bataille du secteur de Saint-Lô.
1. LES 2e ET 29e DIVISIONS.
Quitter Saint-Lô par la route d'Isigny (sortie C) prendre
à droite la D 195 qui suit la crête de Martinville. Rejoindre la route de Bayeux par D 59 ou D 90. On passe au pied de la colline 192 et on revient
à Saint-lô par " le Calvaire ", " La Boulaye " et " La Madeleine ".
A 19 kms de Saint-lô, Cerisy-la-Forêt possède
d'importants vestiges d'une abbaye bénédictine du XIe siècle.
2. LA 35e DIVISION.
Prendre
la route de Carentan (A) jusqu'à Pont-Hébert puis D 92 par le Coquet, jusqu'au hameau de Saint-Gilles. Gagner Villiers-Fossard par D 54 et D 92 en
remarquant au passage " la Petite Ferme ", " la Mare " et " le Carillon ".
De Villiers-Fossard la D 191 ramène à Saint-Lô
par " Emélie ", " les Ifs " et la colline 122, Saint-Georges-de-Montcocq.
3. LA 30e DIVISION.
La
route d'Isigny (G) permet de gagner Airel (D 6) Franchir le pont de St-Fromond et suivre la D 8, traverser la N 174 (à droite . St-jean-de-Daye et le
pont de la Tringale), pour suivre jusqu'au Dézert. Suivre la D 257 (contre-attaque de -la Panzer Lehr). Au carrefour des Hauts-Vents (colline 91)
emprunter la D 77 pour rejoindre par la Foutelaie, le Mesnil-Durand et le Haut Denier, la route Saint-Lô-Périers N 800.
4.LA PERCÉE. - Sortie B et route N 80. Peu après Hébécrevon
commence la bande de terrain pilonnée le 25 juillet. Elle s'étend à gauche de la route jusqu'au Mesnil-Eury. Tourner à gauche et par D 29, gagner
le cimetière provisoire de Marigny : cette route est l'axe de l'attaque d'infanterie qui suivit le bombardement. Revenir par la N 172 en traversant
Saint-Gilles (église gothique avec cloître et clocher roman couvert en " bâtière ") et Agneaux.
" Je cherche à rendre le frémissement de la nature. Je fais des efforts constants pour en saisir les nuances et donner par cela même l'illusion de la vie ... " Camille Corot
5.. SOUVENIRS D'HIER ET DE JADIS.
Par la sortie D gagner la route de Tessy. On passe devant
le manoir du Bois-Marcel (époque Henri IV, style Renaissance) et le " mur des fusillés ". Un chemin à droite conduit au Hutrel. En
poursuivant, on atteint la N 799 qui permet de revenir à Saint-Lô par les manoirs de la Seigneurie, du Boscdelle et de la Vaucelle.
R. P.