Ascq ! Terre de Martyrs..

Ascq !

Ce nom sonne comme un glas dans le cœur des Français depuis que cette douce commune, si accueillante. a été le théâtre d'une sanglante hécatombe.

Le drame n'est pas d'aujourd'hui : il remonte à la nuit du 1er au 2 avril. Les auteurs sont des nazis, des Waffen S. S Adolph Hitler - des chemises brunes comme on les a surnommés.

La propagande allemande aurait bien voulu cacher la vérité au peuple de chez nous. Elle rejeta même la responsabilité du drame sur la population civile d'Ascq et le général Bertram n'hésita pas à affirmer que les S S. n'avaient fait que se défendre !...

C'est une habitude, pour l'assassin, de mentir pour tenter d'atténuer l'ignominie de son crime... quand ce n'est pas pour s'en justifier.

La Croix du Nord qui n'a pas fourni à l'envahisseur le moyen ni l'occasion d'esquisser sa défense et par répercussion d'insulter la mémoire de ses victimes, La Croix du Nord - dis-je - se devait, dès sa reparution, d'exposer le fait d'Ascq.

Écrite en lettres de sang, cette page en révèlera toute l'ignominie.

Lisons-là Elle est le résumé fidèle des multiples témoignages que nous avons recueillis.

Dans le calme de la nuit

La nuit du 1er au 2 avril était calme. Vers 22 h. 30, le cinéma Rex, Place de l'Eglise, venait de fermer ses portes et les spectateurs rentraient paisiblement chez eux quand, peu après, un bruit d'explosion retentit.

Oh, le bruit n'était pas assourdissant. Il ressemblait à ce-lui d'un pétard, tous ceux qui l'entendirent sont formels pour le dire.

Peut-être s'agit-il d'un signal donné sur la voie, en gare à un mécanicien pour l'inviter à arrêter son convoi, pensaient certains ?

La réalité était différente.

Que s'était-il passé

Au point kilométrique 7/530,

sur la ligne Lille-Tournai, une explosion s'était produite au passage d'un train de troupe et deux rails avaient été coupés, provoquant le déraillement de 3 wagons.

L'accident ne présentait aucun caractère de gravité. Il se limitait à quelques dégâts matériels qu'il eût été facile de réparer.

Seule la voie était endommagée. Les wagons étaient intacts.

Sans perdre une minute les cheminots de service en gare étaient accourus pour prendre les mesures de sécurité qui s'imposalent : fermeture de la voie et alerte du poste de secours peur

la remise sur rails des wagons qui en étaient sortis ; organisation ensuite du pilotage sur la voie un:que Pour diriger le convoi vers sa destination. En même temps, ils alertaient les services allemands de Lille Zugleitung. Pendant ces allées et venues, les soldats allemands qui .se trouvaient dans les premiers wagons ayant échappé au déraillement étaient calmes...

Le calme précédait la tempête - et quelle tempête ! Il ne la laissait point présager !

Deux employés de la gare. MM. Derache et Ollivier conversèrent même avec quelques-uns de ces soldats... Et M. 0livier - qui devait bientôt être battu par eux poussa même l'obligeance jusqu'à ramasser la gamelle qu'un homme avait laissé tomber sur le ballast et la lui remit !

Braves cheminots, dont la vie à chaque instant cotoyait le péril. Ils allaient supporter les premiers coups des représailles qui mûrissaient dans l'esprit de quelques fanatiques haineux.

L'holocauste devait commencer vers 23 h 15 pour se prolonger pendant environ deux heures.

Des hommes. des jeunes gens - des adolescents même encore endnrmis, devaient être arrachés à leur sommeil atour être presque aussitôt plongés dans leur éternité.

- Ascq s'engageait sur le chemin du calvaire.

Dans la petite gare. le personnel était affairé autour de son chef, M. Carré : il s'agissait de régler l'incident et de rétablir,au plus têt la libre circulation des trains sur la ligne.

Soudain, des coups de feu claquèrent ; ils semblaient provenir de la place de la Gare.

Leur bruit se rapprochait...

Quelques minutes plus tard, un officier et plusieurs soldats allemands pénétraient dans la salle d'attente de la gare et surgissaient dans le bureau, en vociférant.. après en avoir brisé la porte. Deux cheminots allemand - ils faisaient partie du personnel du train - attendaient dans la place.

Pressentant, sans doute, ce qui allait se passer, ils jugèrent prudent de déguerpir, sur le champ.

Une volée de coups... et la mitraillette

fonctionne

M Carré devait, le premier, être attaqué. C'est l'officier qui donna le branle-bas de combat. Il se jeta sur lui comme une brute et lui administra une volée de coups de poings et de pieds. À défaut de matraque, une chaise en remplit l'office. Assommé. M. Carré s'écroula.

La fureur nazie se tourna immédiatement vers M. Derache.

À son tour, il fut projeté par terre. Pantelants, ils gisaient tous deux au pied de leur table de travail, mais l'agression n'était pas achevée. elle allait prendre en caractère plus tragique. D'une voix gutturale, l'officier intima l'ordre à l'un de ses soldats de tire rune raffale de sa mitraillette sur MM. Carré et Derache.

Le S.S. pressa sur la gachette... M. Derache fut épargné miraculeusement. Par contre, M. Carré fut atteint. Une balle pénétra en séton dans la cuisse gauche... Les autres balles ricochèrent et se perdirent dans le bureau. Pendant plus d'une heure, le chef de gare d'Ascq allait devoir attendre les soins d'un docteur...

Dans le village le carnage curnmençait...

Le concours des S.S. qui venait de se faire la main en gare n'était pas de trop ; ils regagnèrent la place puis s'éwarpillèrent dans les rues...

Courage et oubli de soi

Ne quittons pas la gare. Il nous reste à suivre les actes àmouvants de courage et d'abségation accomplis par les cheminots encore sous l'emprise de l'épouvante.

La réaction sera vive ; aussi vive que l'agression avait été imprévue.

M Derache, qui s'en tirait avec des plaies et bosses, songea aussitôt à secourir son chef. La balle avait provoqué une abondante hérnorragie qu'il importait, avant tout, d'arrêter.

L'espoir d'un secours de l'extérieur n'était pas permis. La fusillade crépitait et le miaulement des balles se confondait avec les cris rageurs d'une soldatesque déchaînée et le bruit des crosses qui brisaient portes et fenêtres dans les parages.

Une ressource subsistait : la boite de secours !

Hélas ! Pour la prendre, il ballait sortir du bureau et se rendre dans un autre local : c'était la mort quasi certaine. M. Derache n'est pas homme à court de décision. Le fil d'une fiche téléphonique lui servira de garot. C'est avec ce moyen de fortune que l'hémorragie, qui pouvait être fatale pour M. Carré, fut arrêtée.

Vers 1 h 30 du matin, le 2 avril, M. le docteur Delezenne pouvait enfin prodiguer des soins au chef de gare et assurer son transport à l'hôpital.

L'alarme est donnée

Suivons M Derache. Son rôle doit être connu.

Alors que le drame commençait, le brave homme se mit en liaison téléphonique avec eues chefs Il les informa de ses appréhensions... C'est que les coups de feu claquaient de partout.

Grâce à lui, en dépit de toutes les difficultés qui surgissaient dans ces communications de nuit, les autorités publiques furent informées que des faits étranges se déroulaient sur le territoire d'Ascq.

Dans un sursaut d'énergie, soulageant comme il le pouvait les souffrances de M. Carré, M. Derache gardait le contact avec ses supérieurs.

À Lille, on se préoccupait avec célérité de provoquer une intervention sur place du commandement allemand : tous les efforts convergeaient vers le même but : mettre un terme à la furie nazie...

Malheureusement, d'affreux ravages étaient exercés par les Waffen S S. dans la population masculine !

A la pointe du jour, on allait en apprécier l'horreur et l'étendue.

L'un des premiers, M. 0livier, l'aiguilleur, tomba sous les balles allemandes.

Après avoir assuré la protection du convoi par la mise en place des signaux, M. 0liivier avait regagné son poste, dans la cabine d'aiguillage.

C'est là que les,S.S. vinrent se saisir de lui pour le traîner jusqu'au lieu de son exécution.

Il semble même que leur fureur se déchaîna avec une particulière violence sur lui. Non seulement il fut fusillé. mais les constatations faites sur son corps ne laissèrent aucun doute sur la férocité avec laquelle il avait été traité

Inclinons-nous devant la mémoire de ce brave et courageux ouvrier, tombé au poste, comme un soldat, comme un martyr.

Son nom ouvre la liste - la longue liste - de tous ceux qui figurent au martyrologe d'Ascq. C'est d'eux, maintenant, que ndus allons parler.

Le crime qui va s'accomplir n'est pas :'œuvre d'ivrognes. La légende a couru. On a prétendu qu'avant d'arriver à Ascq, le convoi allemand s'était arrêté à Baisieux où stationnait un transport d'alcool !

Aux dires de certains, les Waffen S.S. auraient percé des fûts et se seraient abreuvés jusqu'à l'ivresse. C'est faux.

On trouve là une des formes-insidieuses et faisandées de la propagande sortie des officines du docteur Gœbbels

Non, les Waffen S.S. n'étaient point sous l'emprise de is boisson.

Et quand bien même l'auraient ils été, leur crime en aurait-il été plus pardonnable.

Au contraire, l'horreur du massacre et la honte qui rejaillit sur ses exécutants ne pourraient que s'accroître et rendre plus rigoureuse la réprobation.

Le véritable soldat qui a le sens de l'honneur et de la dignité, et dont l'âme est chevaleresque, ne s'abaisserait jamais à pareille infamie.

Passons. La cause est entendue.

Quand ils ont entrepris leur carnage, les Waffen S.S. étaient sains de corps et d'esprit.

S'ils ne l'avaient été, que serait-il advenu de la population d'Ascq ?

Décrivons ses souffrances, nous y trouverons la réponse que nos cœurs endoloris peuvent concevoir.

Par les rues du village

Du Quennelet - c'est là que le train était bloqué - les S.S se répandirent à travers l'agglomération comme des forcenés.

Les rues Marceau, Courbet, du Maréchal Foch, Faidherbe, de la Gare, Mangin, Masséna, Carnot, de l'Abbé Lemire, Pasteur furent bientôt en émoi.

Les bottes ferrées résonnaient sur le pavé. Elles ne s'arrêtaient que devant chaque maison pour laisser place à un autre bruit : celui des fusils et des mitraillettes qui tiraient des salves dans les volets, dans les portes : ou celui des crosses qui défonçaient les panneaux des portes pour livrer passage aux criminels 'qui hurlaient. écumants de rage.

Pendant ce temps, au Quennelet, une trentaine de soldais stationnent. Ils attendent, l'arme prête à tirer, qu'on leur amène les cibles humaines sur lesquelles leurs cartouches marqueront des points d'impacts, signature de la doctrine de haine qui a desséché leur cœur et rendu leur esprit inaccessible au respect de la personne humaine.

Les recruteurs de la mort ne chôment pas. Par un raffinement de cruauté, ils cachent aux faimrlles terrorisées le but véritable qu'ils poursuivent.

C'est l'élément masculin qu'ils recherchent. Ce qui ne les dispense pas, toutefois de se saisir de quelques femmes et d'enfants pour les conduire le long de la voie ferrée !...

Pour eux, pas de considérations d'âge ni de situation de famille !

Jeunes ou vieux sont arrachés de leurs lits et emmenés manu-militari.

Hypocrisie. - Cynisme

Ne pleurez pas, dira un gradé allemand à Mme Roques, l'épouse du receveur des Postes, qui craignait justement oour la vie de son mari et de son fils - il n'avait pas 16 ans - que les S.S. empoignaient.

- Moi Officier, mais j'ai aussi maman ! ajoutait-il dans son jargon et d'une voix doucereuse.

Quelques minutes plus tard, transis de froid ils n'avaient eu le temps que de jeter un pardessus sur leur pyjama, M Risques et son petit Jean, la main dans la main, tombaient foudroyés, unis dans la mort.

Quand on relèvera leurs cadavres, à l'aube, il faudra écarter leurs doigts raidis et entrelacés.

La tête de M Roques etait méconnaissable... Une balle explosive ne l'aurait pas davantage défiguré.

Même scène chez M Leruste. 5, rue de la Gare. Voyant partir son père et son grand-père, M Ronsse la fillette de M. Leruste pleurait. Un soldat la consola en lui disant. Pas pleurer petite. papa de retour.

Ni M Leruste, ni M. Ronsse ne sont revenus !

Dans les maisons où ils pénètrent, comme un leitmotiv, les S. répètent : Arbeit Banhof. Et les hommes et les jeunes gens, sommairement vêtus - certains n'ont pas pu se chausser - sont conduits par petits groupes vers la gare où ils croient être contraints de déblayer une voie...

Les femmes ne sont pas épargnées et un certain nombre d'entre elles doivent également prendre le même chemin sans être traitées avec plus d'égards.

Quel supplice !

Nous devons à Mile Trackœn de connaître ces détails qui fixent l'atroce supplice infligé aux malheureux requis.

Mlle Trackœn demeure 198 rue Marceau à Ascq, avec sa mère. Ses deux frères, Jean et René âgés respectivement de 20 et de 16 ans 1/2, ont été fusillés le 1er avril.

Elle nous a relaté les circonstances de leur arrestation. Nous prendrons garde d'altérer son récit.

- Ma mère, mes deux frères et moi avons été arrachés - à emi vêtus - de notre maison par des S S. qui nous ont emmenés jusqu'à la cabine d'aiguillage, près du passage à niveau d'Ascq - Nous devions marcher les bras levés.

- À la porte de la cabine, un officier se dressait et, au fur et à nesure que nous entrions dans la pièce, il nous battait.

- Dans la cabine, nous fûmes bientôt réunis en un fort groupe dans lequel se trouvaient notamment M. 0livier, l'aiguilleur, Mmes Vancraeynest et Caudoux ; Mme Dewailly et ses deux filles : Mme Guillemot et sa fille.

- Peu après, l'officier nous fit sortir tous et nous fit conduire le long du talus de la voie ferrée où le train était immobilisé.

- Les soldats qui nous encadraient mais assénaient des coups et leur fureur s'exerçait principalement sur les hommes qu'ils obligèrent à monter dans un wagon.

- Et sous nos yeux horrifiés, le massacre commença...

- Un officier se tenait près du wagon - je le reconnaîtrai s'il m'était présenté. Deux soldats, près de lui, chargeaient les armes et les lui avançaient pour commettre le crime.

Le premier, M. 0llivier fut jeté à terre... Je le vois encore se traînant à genoux, suppliant et criant grâce !

- Impassible, l'officier l'abattit non sans que le malheureux cheminot eut été au préalable roué de coups.

Mlle Trackœn continue ! Ses yeux, embués, se fixent... Elle revit des instants d'épouvante : les derniers instants de ses jeunes frères '

- Puis vint lé tour de mon frère René : Ils s'acharnaient sur lui et nos supplications n'y faisaient rien.

C'est alors qu'un soldat, profitant d'un moment d'inattention de l'officier, fit partir les femmes. Avec elles, maman et moi nous nous sommes éloignées pour rentrer chez nous... Mes frères, eux, n'y sont plus reparus. Ils les ont tués.

La cruauté exerçait ses ravages

Après avoir gravi ce calvaire, les pauvres femmes en descendaient, écrasées de douleur et glacées d'effroi...

Comme un glaive, la haine nazie venait de transpercer leur cœur et d'y ouvrir une plaie qui ne se refermera pas. Les étapes qui nous conduisent au champ du sang ne sont pas toutes accomplies.. Il nous reste à en parcourir d'autres...

La fusillade crépite...

Sera-ce l'extermination de la population masculine d'Ascq ?

Les groupes se suivent. Encadrés par des S. S. armés, les hommes sont conduits vers le Quennelet.

Les coups de crosses meurtrissent leurs chairs : tout le long du parcours, ils subissent les outrages et les violences les plus brutales.

Pas de respect pour l'âge

Un vieillard de 75 ans M. Pierre Briet, 4 rue du Maréchal-Foch, est particulièrement malmené. Il peine sur la route et ne supporte pas la cadence imposée !

Pas de pitié pour lui.

Des brutes s'acharnent !

Ont-elles un père ? une mère ?

M. Briet s'affaisse sur ia chaussée... Il est frappé à tel point qu'il ne peut plus se relever - il a les pieds brisés.

Qu'importe ! Il n'échappera pas au massacre. Ses compagnons d'infortune sont obligés de le porter jusqu'au lieu de l'exécution.

M Arthur Pottié à 71 ans. Il n'est pas mieux traité. De son domicile, 69, rue Marceau au Quennelet, il est roué de coups les reins et le dos sont labourés de coups de bottes et de crosses

Pas de pitié non plus pour la famille

Sept enfants chez M. Courmont où une naissance est attendue ; cinq chez M. Gaston Desmettre où un bébé de deux mois repose dans le berceau ; six chez M. Guermonprez - l'aîné à 10 ans et le plus jeune 7 mois ; six également chez M. Lautem ; cinq chez M. Barat.

Les cœurs des forcenés ne s attendrissent pas au spectacle de ces petits êtres, innocents comme le papa.

C'est la haine qui passe comme un cyclone. Elle fauche, elle tue, sous les yeux même des parents impuissants à la repousser.

Quand cessera le carnage, il y aura cent vingt-cinq orphelins à Ascq.

Au presbytère

Le crime était raisonné.

On cherche le Pastour. C'est la ruée vers le Presbytère où le curé. M l'abbé Gilleron a accueilli la famille Averlon, sinistrée d'Helemmes.

La maison est fouillée. Aucune pièce ne reste inexplorée.

M. Gustave Averlon est empoigné, emmené à l'entrée du jardin et abattu.

Son fils Claude, 21 ans, est maintenu en respect par quelques S S tandis que d'autres insistent auprès de M. l'abbé Giileron pour savoir s'il est bien le Pastour.

Quelques secondes plus tard, Claude Averlon tombe, foudroyé, sous les yeux de sa mère dans le couloir du presbytère et au pied de l'escalier qui conduit à sa chambre !

M. l'abbé Gilleron a eu juste le temps de lui donner l'absolution…

Le ministère sacerdotal du bon curé d'Ascq s'achevait par le pardon du Christ..

Un coup de revolver abat M. l'abbé Gilleron ; un coup de fusil l'achèvera.

Le pasteur a rendu son âme à Dieu ; sa dépouille git, inerte la face contre terre.

La mort de M. l'abbé Cousin.

De la maison vicariale, 63 rue Courbet, M. l'abbé Maurice Cousin entend le vacarme et la fusillade. Il se précipite dans la rue pour porter le secours ee son ministère aux blessés qui en auraient besoin.

Des soldats s'emparent de lui quelques secondes plus tard...

On retrouvera son cadavre, affreusement mutilé. méconnaissable, à proximité de son domicile. Ses membres sont brisés disloqués : les balles, les crosses et les bottes ont accompli leur œuvre destructive.

Partout la mort

C'est au Quennelet que les tueurs exercent le plus de ravages. Mais la mort ne limite pas à ce lieu sa zone d'action

Des postes de mitrailleurs sont en embuscade un peu partout..., La machination a tout prévu. Le réflexe de cette troupe et de ceux qui la commandent n'est pas celui d'hommes ivres d'alcool, mais bien plutôt froidement assoiffés de sang français.

Il ne faut pas que des malheureux otages puissent échapper !

Quand le jour poindra et que la relève des morts commencera on en dénombrera : 10 rue Mangin ; 1 rue Courbet ; 1 Place de la Gare ; 2 rue Marceau, devant le portail de l'église ; 3 au Presbytère : 7 carrière Dewailly et 62 au Quennelet en bordure de la voie ferrée.

Un monument sera élevé un jour, sans doute, qui perpétrera à Ascq le souvenir des martyrs des S. S.

Avant qu'en lettres d'or leurs noms soient gravés dans la pierre, citons-les ; précisons aussi l'âge des victimes.

Unis dans la mort, ils le sont dans notre sympathie :

MM. Albert Lucien, 38 ans, prisonnier en congé de maladie ; Averlon Claude, 21 ans ; Averlon Gustave, 49 ans ; Balois René, 29 ans ; Baratte Gaston 46 ans ; Béghin Louis, 32 ans ; Billiaux Robert, 44 ans ; Briet Pierre, 75 ans ; Carpentier Maurice, 44 ans; Castain Edgard, 60 ans ; Catoire René, 61 ans ; Chrétien Gaston, 39 ans ; Comyn Henri, 24 ans Couque Clovis, 31 ans ; Couque Arthur. 35 ans ; Courmont Pierre, 38 ans ; M. l'abbé Cousin Maurice, 35 ans ; Crucq René, 36 ans ; Debachy Henri, 34 ans ; Décattoires Marcel, 43 ans ; Deciercq Julien 42 ans ; Decourselle Émile 58 ans ; Defontaine Louis 32 ans ; Dekleermaver Henri, 20 ans ; Delannoy Eugène, 45 ans ; Delattre René 52 ans ; Delbecque Henri 54 ans : Decroix Fernand, 23 ans ; Delemotte Paul 40 ans ; Demersseman Albert, 25 ans ; Depoorter Michel 50 ans ; Descamps Charles, 40 ans ; Desmettre Gaston, 45 ans ; Desrunraux Louis 18 ans ; Dète Émile 47 ans : Dewailly Léon, 41 ans ; Dillies Henri, 47 ans ; Dubrulle Charlemagne 64 ans ; Duretz Roger, 23 ans ; Duti!loy Charles, 45 ans ; Peson Georges, 40 ans ; Follet Maurice, 40 ans ; Francke Jules, 36 ans ; M. l'abbé Gilleron 60 ans ; Grimopont André, 35 ans ; Guermonprez André, 39 ans ; Hébert Raoul 45 ans ; Hennebique Jules, 55 ans ; Hénin Appolinaire 71 ans ; Herbes Jules. 52 ans ; Lallart Pierre, 43 ans ; Langlard Maurice 46 ans ; Lautem Constant, 38 ans ; Leruste Paul Gaston, 33 ans ; Lhernould Gustave 48 ans ; Lhernould Paul Alphonse 57 ans ; Lhernould Paul Henri, 17 ans ; Macaigne Paul, 53 ans ; Marge Georges 24 ans ; Menez Maurice, 41 ans ;

Méplomb Paul, 72 ans ; Noblecourt François 45 ans ; Nuyttens Jean-Baptiste, 40 ans ; Olivier André 31 ans ; Otlet Paul, 36 ans ; Oudart Georges, 35 ans ; Pottié Arthur 71 ans ; Poulain Raphaël 31 ans ; Rigaut Arthur, 49 ans ; Roquas Jean, 16 ans ; Roques Maurice, 48 ans ; Rœsse Auguste, 63 ans ; Rousseau Robert 45 ans ; Sabin Lucien, 42 ans ; Six Henri, 29 ans ; Thieffry Gustave, 66 ans ; Thieffry Maurice, 47 ans ; Thieffry Mehel, 19 ans ; Trackœn Jean 20 ails ; Trackœn René, 16 ans ; Tréhoust Robert, 38 ans ; Vancraeynest Roger 16 ans ; Vandermessche René 24 ans ; Vandenbussche Maurice 22 ans ; Vanpeene Albert, 22 ans ; Vermus Paul 59 ans.

Les blessés

Outre les morts, les blessés furent relevés, tant au Ouennelet que dans les parages. Ce sont : MM Jean Cardon, 45 ans ; Arthur Bettremieux, 17 ans, qui dut subir l'opération du trépan ; Léon Chuffart, 31 ans ; Richard Dejonghe, 54 ans ; Gustave Mérie, 59 ans ; Clovis Pelloquin 45 ans ; Assène Sion. 63 ans ; Gustave Vancraeyenest 51 ans ; Oscar Vanmœrbeke, 68 ans et Édouard Carton, 20 ans.

Plusieurs, parmi eux avaient été gravement atteints et certains resteront mutilés, impotents. C'est le cas d'Édouard Carton qui en plus d'une freeture du bras gauche, a eu les os des pieds broyés par les balles !

Les rescapés parlent

Par quelles transes ces blessés ont-ils passé ?

Nuls mieux que les rescapés ne peuvent le dire.

Atteint de deux balles, l'une à la cuisse et l'autre au côté gauche. M. Pelloquin était tombé avec ses compagnons. Le premier émoi passé et dominant ses souffrances, il rampe dans le champ, entre la voie ferrée et la rue Mangin et tente de se diriger vers les premières maisons...

Il doit s'arrêter. Le poste de guet de la rue Mangin a vu glisser cette ombre... La mitrailleuse est pointée ; elle crashe le feu. Les balles sifflent de nouveau aux oreilles de M. Pelloquin qui n'insiste pas et fait le mort.

Bien lui en prit. Des soldats se détachent du poste et s'avancent vers lui.

Vont-ils l'achever ?

Ils le soulèvent, lui tâtent le pouls et le laissent retomber, Dieu merci, le subterfuge a réussi. Ils le croient mort et n'insistent plus.

MM. Édouard Lelong, Alexandre Bouchart et Robert Castelin, directeur du Cinéma Rex figurent aussi parmi les rescapés. Ils ont exprimé la terreur qui s'empara d'eux pendant cette nuit d'épouvante. Étendu au milieu des victimes, M. Bouchart fut soulevé, tourné et retourné par les tueurs qui achevaient les blessés. Ils le crûrent mort, lui aussi... et se retirèrent non sans lui avoir, au préalable, volé son alliance.

À l'ignominie du crime, Ils éprouvaient encore la nécessité d'ajouter celle de détrousser les cadavres.

La fin du cauchemar

M. Castelin, qui échappa miraculeusement à la mort, nous a dit l'angoisse qui l'étreignait quand, allongé non loin de la voie ferrée, il apercevait dans le clair de lune les S. S. qui se penchaient sur chaque homme pour vérifier s'il donnait encore signe de vie.

Ils braquaient le faisceau lumineux de leurs lampes électriques sur les yeux pour observer la réaction. Quelques-uns qui râlaient furent achevés près de moi. Personnellement, j'ai reçu des coups de pied à leur passage mais, me dominant, j'ai simulé la mort !! Enfin, sur un ordre, les soldats se regroupèrent et le train fut refoulé vers Baisieux. Je me croyais le seul survivant de cette hécatombe.. quand une forme humaine bondit près de moi. Je restai figé sur place... La crainte, la terreur étaient si vives. C'était un Français !

Un autre survivant parmi les morts se souleva... Les femmes, les enfants commençaient d'accourir et leurs appels déchirants se répercutaient dans la nuit. Oh ces appels ! Un père, un mari, un frère ! Ils résonnent encore dans mes oreilles !

Au nombre de 86, les hommes d'Ascq ne répondirent pas aux supplications de leurs parents en détresse...

Planant sur la terre ensanglantée, leurs âmes murmuraient : Nous vous avons quittés. Nous avons été assassinés par l'ennemi.
Vers 1 h. 30, le 2 avril, des coups de sifflet retentirent. Des Allemands arrivaient de Lille en auto et s'annonçaient à leurs compatriotes occupés à leur sinistre besogne.

Que s'était-il passé ?

Grâce à M. Derache qui, de la gare d'Ascq avait gardé le contact téléphonique avec le poste de commandement du 2e arrondissement de la S. N C. F. à Lille, M. Edmond Moity, contrôleur technique adjoint au chemin de fer avait pu alerter d'abord les services allemands de la Zugleitung et ensuite le cabinet de M. Fernand Caries préfet régional.

Avec insistance, dès 23 h. 30. M. Moity avait réclamé à la Zugleintung l'intervention de la gendarmerie allemande et celle des agents, de la Reichsbahn pour mettre fin aux incidents dont il lui était encore impossible d'apprécier la gravité.

Un peu avant 1 h, il apprenait, par la Zugleintung, que des secours étaient dirigés vers Ascq.

Aussitôt M. Moity en informa M. Derache, en proie, dans son bureau bouleversé, à la plus vive anxiété.

C'est que, dans l'intervalle, des gendarmes français avaient bien tenté de s'interposer, ils avaient essuyés - eux aussi - des coups de feu.

Il leur fallait du renfort ; c'est par l'intermédiaire de la S.N.C.F. qu'ils le demandaient.

Les efforts conjugués aboutirent à l'intervention des forces de police allemande, les seules qui, pratiquement, en raison de l'ampleur oue prenait le carnage et des moyens précaires et limités -

dont les Français disposaient, pouvaient juguler la fureur des SS.

Cette fureur atteignait au paroxisme.

Dans le village, la soldatesque ne se contentait pas de tuer : elle pillait. Tout ce qu'elle trouvait. elle l'enlevait : du linge, chez Mme Oudart, 130. rue Marceau et dans la même rue des vivres et des œufs chez Verdière ; de la confiserie chez Houtte : le contenu du tiroir-caisse chez Vanbœrbecke ; des bicyclettes et de l'argent chez Messplont ; du tabac et des cigarettes chez Hétuin ; de l'argent et des bijoux chez Mme Trackœn : de l'argent, des tissus, de la laine, un poste de T. S F., des costumes, des bijoux, des vivres, chez Dewailly.

Rue de la Gare, chez M. Cateire, l'horloger, la vitrine volait en éclat et les bijoux de valeur exposés disparaissaient.

Tuer, piller, s'enivrer. L'un n'allait pas sans l'autre. C'est à Ascq même que des brutes s'enivrèrent.

Des cafés furent mis à sac. Vins et liqueurs emportés, les glaces et les étagères étaient aussitôt brisées.

LA RELÈVE DES CORPS

Laissons repartir le train des S S vers Baisieux où il se reformera pour repasser à Ascq dans l'après-midi.

Le village allait recueillir ses morts, panser ses blessés, joindre sa douleur à celle des veuves et des orphelins et, dans un magnifique élan de générosité se dresser pour l'atténuer.

Il ne s'estompera pas des mémoires le douloureux et sanglant cortège qui, dès le petit matin du 3 avril conduisit les corps inertes vers l'école où les salies de classe servirent de dépôt mortuaire !

Des hommes, les survivants avec les moyens les Plus divers - échelles, brancards, petite charrettes - assurent le lugubre transport.

Les corps sont pieusement déposés sur le lit de paille que l'on vient d'épandre sur le carrelage.

En quel état sont-ils, les malheureux !

LES MEURTRISSURES

Le Cher Frère Florimond-Marie, du Pensionnat Saint-Jean Baptiste de la Salle à Annappe s'est mis spontanément à la dit position de M. le Maire d'Ascq avec l'équipe des secouristes de la Défense Passive et quelques assistantes sociales pour ensevelir les cadavres.

Il nous dira les constatations qu'il a pu faire et qui révèlent la bestialité des tueurs.

- C'est très net, tous les fusillés ont reçu des balles dans la tête, à bout portant. J'ai constaté que, pour beaucoup d'entre eux la boite crânienne était éclatée et la cervelle disparue.

Les balles avaient touché les épaules, le thorax et presque tous avaient eu la poitrine défoncée par des coups. Mes constatations, quand nous avons déplacé les corps pour les mettre dans les cercueils, sont formelles sur ce point.

Le jeune René Traekœn est l'un de ceux qui avaient été plus martyrisés. Son corps était violacé, meurtri ; nous avons dû le couvrir...

Parmi les victimes, beaucoup avaient les pieds, les bras, la colonne vertébrale brisés.

Et remarque déconcertante, les assassins s'étaient ravalés jusqu'à les dépouiller de leurs alliance ou de leurs montres.

N'ont-ils pas volé le bridge en or de M. Sabin ! Et M Sabin ne fut pas le seul à qui des dents aurifiées furent arrachées !

C'est au début de l'après- midi du dimanche des Rameaux que les familles furent admises à reconnaître les corps ! Que de scènes déchirantes se déroulèrent alors ; elles vous bouleversaient l'âme et le cœur !

Sur les visages atterrés par la nuit d'épouvante, les larmes coulaient et creusaient des sillons…

Autour du malheur les cœurs se resserraient et les énergies se galvanisaient.

Succédant à la haine, la pitié et la bonté allaient rayonner...

La fourberie et le mensonge ne s'avouaient cependant pas vaincus...

Un crime comme celui d'Ascq ne pouvait pas passer sous silence. Son écho devait se répercuter.

Révélons comment la propagande allemande s'empara de l'affaire, comment elle la présenta et la régla.

À l'Oberfeld Kommandantur

Dans la matinée du 3 avril, !es maires de 25 communes de la banlieue de Lille furent convoqués à une réunion qui eut lieu à l'Oberfeld Kommandantur.

Quelques mots de regrets pour la fin tragique des innocentes victimes des S S servirent de préambule ; puis les autorités allemandes prétendirent que la réaction de la troupe avait été provoquée par l'attitude de la population.

À les en croire, des coups de feu auraient été tirés sur le train par des civils !

Après le crime, le mensonge !

M Fernand Carles prefet régional protesta aussitôt contre cette version qui était contraire à la réalité et qui ne pouvait s'appuxer sur aucun fait précis.

Sentant glisser sous sec pieds le terrain sur lequel il s'était engagé, l'Officier Supérieur allemand insista auprès des Maires pour qu'ils consentissent à atténuer, dans l'esprit de la population les effets que le drame n'avait pas manqué de produire !

Aucun ne donna son accord.

La mesure du grotesque n'était pas complète !

L'Allemand les informa de la décision du Q G d'appliquer des restrictions à la circulation sur toute une partie du territoire de la Région! Ces mesures s'étendirent jusque dans l'arrondissement de Douai !

Crime et mensonge n'étaient pas suffisant. Il fallait ajouter les brimades !

Le 3 avril 1944, Le Réveil du Nord publia, sous la rubrique : Ascq, État-Civil, la liste des décès des 1er et 2 avril. Dès qu'elle eut vent de la ruse, la Gestapo fit saisir, dans les kiosques, les cafés et même aux mains des passants, le numéro de cette édition.

L'avis officiel allemand

Engagé sur cette voie, le commandement allemand s'y maintint. Dans un communiqué transmis à L'Écho du Nord, au Réveil du Nord et au Journal de Roubaix, le Général Bertram prétendait que des coups de feu avaient été tirés des maisons sur un train militaire.

Dans les trois journaux, les Rédacteurs politiques - pourtant favorables à la propagande allemande - eurent un sursaut de dégoût. Ils s'opposèrent à la parution d'un texte qui ne pouvait que blesser gravement leurs lecteurs en même temps qu'il outrageait la vérité.

Le texte dut être retouché. Le général Bertram encaissa le coup. Il employa une formule plus vague et écrivit : ... Sur le territoire de la commune d'Ascq, des coups de feu ont été tirés sur un train militaire.

Catégorique, il exigea la publication de son Avis sous cette forme.

Le Rédacteur politique du Réveil du Nord céda.

Les ouvriers résistaient dans les trois journaux. Composer une telle contre-vérité leur répugnait.

La force armée et la Gestapo entrèrent en lice C'est ainsi que des presses françaises, une fois de plus, diffusèrent le mensonge nazi.

En catimini le journaliste Charles Tardieu confessa que l'attitude du Général Bertram transgressant la vérité, détruisait ses efforts pour la collahoration franco-allemande.

Au Journal de Roubaix, le rédacteur Tulliez écrivit, pour ces Messieurs et à leur demande, ses réflexions sur le drame d'Ascq et sur leur incidence dans le domaine général.

Réaction dans le peuple

L'horreur du crime et l'attitude officielle du commandement allemand exercèrent une fàcheuse impression sur l'opinion publique qui, sur un fait précis. constatait la mauvaise foi évidente de l'occupant.

En voulant se disculper, il s'était découvert... Son masque tombait. Le Peuple Français ne se nourrit pas de mensonges. Il le fit bien voir au Général Bertram.

Un peu partout, dans les usines et dans les entreprises, des mouvements se produisirent. À la face des allemands, le travail cesse même momentanément dans un certain nombre d'établissements industriels de Lille, Roubaix et Tourcoing.

Ces interruptions de travail, pour symboliques qu'elles fussent prouvaient à l'occupant qu'il avait perdu la partie.

La France n'est pas dupe

Au dépôt de Fives eurent lieu des perquisitions. La Gestapo était émue des papiers qui circulaient... Les cheminots avaient perdu 22 de leurs camarades de travail au cours de la nuit tragique.

Ils savaient dans quelles circonstances !

On comprend l'inquiétude de la police hitlérienne !

D'ailleurs, ces protestations ne se limitaient pas aux milieux ouvriers. Elles émanaient aussi des organismes officiels et des corps constitués.

Dans sa séance du 11 avril, le Conseil Municipal de Lille adressait une motion de sympathie au Conseil Municipal et à la population d'Ascq et s'élevait contre la répression sanglante immédiate qui provoque tant de morts innocentes.

L'émotion dans les milieux familiaux

Les groupements familiaux qui comptaient plusieurs militants dévoués parmi les victimes d'Ascq, étaient indignés, eux aussi, du meurtre nazi.

Le 6 avril, le Centre Départemental de coordination et d'action des mouvements familiaux du Nord se réunit à Lille sous la présidence de M Charles Lesay et en présence de M. Jean Tirloy, délégué régional à la Famille.

À l'unanimité, il votait la courageuse protestation suivante que La Croix du Nord se fait un devoir et ur honneur de publier.

La presse asservie a propagé le mensonge. Réparons l'outrage fait aux victimes et à leurs familles en soulignant la courageuse attitude des Français qui n'hésitèrent point, en présence de l'occupant à protester publiquement contre ses crimes.

Voici le document :

Le Centre Départemental de coordination et d'Action des Mouvements Familiaux du Nord ;

Profondément indigné par les crimes commis à Ascq dans la rait du 1er au 2 avril sur la personne de nombreux pères de famille, par des soldats allemands ;

Déplore la perte de 86 hommes plongeant dans la douleur et parfois la misère de nombreuses veuves et 125 orphelins ;

Proteste énergiquement contre cette violation du Droit et de la Morale internationale ;

Adresse à m. le Maire d'Ascq, au Conseil Municipal, au Conseil paroissial et à toutes les familles si durement éprouvées, l'expression de ses condoléances et l'assurance de son indéfectible attachement ;

Décide à l'unanimité, de donner son adhésion au Comité de Secours créé par la Commune i'Ascq au profit de ses foyers menacés dans leur vie matérielle et morale.

Réclame des Pouvoirs Publics la réparation des dommages causés aux foyers éprouvés :

Invite les Associations Familiales à lui faire parvenir pour le 1er mai, le produit d'une souscription dont le montant sera remis au Comité de Secours qui le répartira en vue de soulager, s'il se peut, les misères nées de cette tragédie sanglante ;

Affirme sa volonté de resserrer, en cette période troublée, les liens de la communauté familiale.

La générosité

Un grand courant de générosité se manifesta pour porter secours aux détresses morales et matérielles provoquées par les criminels. Tant de familles étaient subitement privées de leur soutien...

M. Fernand Carles, préfet régional fit distribuer entre les familles une somme de 400.000 fr.

à titre de secours d'extrême urgence.

Sur l'intervention personnelle de M Jean Tirloy, délégué régional à la Famille. M Philippe Renaudin, Commissaire Général à la Famille, reçut, par l'intermédiaire d'une personne sûre un rapport circonstancié de l'assassinat, à la suite de quoi retenant la démarche de M Tirloy il accorda immédiatement une subvention de 100.000 fr. en faveur des orphelins.

Dans tous les milieux, les actes généreux furent non moins spontanés.

De très nombreux ouvriers abandonnèrent même une partie de leurs salaires pour soulager les infortunés.

Et le jour des funérailles, à la dislocation du cortège, près du cimetière, des quêteurs improvisés tendirent le chapeau. La collecte rapporta environ 75.000 fr.

Au total une somme de près de 1.400.000 fr., provenant des dons les plus divers fut versée au Comité Communal de Secours d'Ascq et confiée par lui au receveur municipal

Grâce à la générosité française. une aide financière put être apportée à toutes ces détresses.

Mais le misère n'était pas uniquement matérielle : elle était aussi morale.

Le Droit et la Justice avaient été violés. Il nous reste à révéler comment ils ont été défendus.

Comme ses concitoyens, M Delebart, maire d'Ascq avait été arraché de chez lui par les S S., les mêmes très certainement qui venaient de tuer au presbytère MM Gustave et Claude Averlon et Mr l'abbé Gilleron...

L'intention des criminels en quittant le presbytère ne laissait aucun doute. Avec insistance ils criaient " Bourgmestre... Bourgmestre ".

M Delebart avait bien entendu les coups de feu et le bruit des crosses défonçant les portes, le tout mêlé des hurlements de la soldatesque. Il ne pouvait se douter de la catastrophe qui s'abattait sur sa commune.

- Quand les S S se présentèrent chez lui, il crut qu'ils venaient le chercher pour le conduire vers Loos comme otage.

Quand M Delebart arriva à la gare l'officier allemand rassembla ses hommes et leur fit un discours.

L'écume lut sortait de la bouche nous dit M le Maire d'Ascq qui poursuit :

- Ne comprenant rien à ses propos j'ai répliqué à l'officier : Ce n'est pas la peine de continuer. Je ne connais pas l'allemand, faites venir un interprète.

Un S S s'avança, il connaissait un peu le français ; par bribe et syllabes il m'expliqua : Acte de sabotage commis ici à Ascq par les habitants, cinquante déjà kapout. D'autres encore kapout...

C'est ainsi que, soudainement, me fut révélé le malheur qui s'abattait sur ma commune.

La sueur me perla au front et immédiatement je protestai et proclama, mon indignation devant un tel massacre d'êtres innocents.

Une quarantaine d'habitants étaient encore alignés sur le trottoir. Pour réponse. l'officier S S. me fit savoir qu'ils seraient fusillés, eux aussi.

Et l'interprète se rapprochant davantage de moi me frappa sur l'épaule et ajouta :

Et vous avec eux, Monsieur le Maire.

Aussitôt je reçus un violent coup de crosse et des coups de pied En avant, clama l'interprète qui, séance tenante, comme un troupeau qu'on mène à l'abattoir, nous fit diriger vers le terre-plein près du sémaphore.

Les S S nous alignèrent sur deux rangs les bras levés face à eux. Quelques seconde plus tard il nous obligèrent à faire demi-tour, toujours les bras levés.

Ils vont nous tirer dans le dos, me suis-je dit... Mais, tout aussitôt, nous perçûmes le bruit des autos, des coups de sifflet et des ordres impératifs jetés par la police allemande qui surgissait !...

- Rentrez chez vous au plus vite, nous fit dire l'officier !

- Nous ne pouvions le croire et je pensai que, près du champ, nous allions être tirés comme des lapins !...

La réaction fut prompte toutefois... Nous partîmes sans plus être inquiétés.

Sur le chemin du retour, j'ai entrevu le corps affreusement mutilé de M le Vicaire.

Il me fut impossible de m'arrêter et de me pencher vers lui ; les soldats étaient là, ils nous contraignirent à circuler.

Ainsi prit fin l'affreux massacre qui plongeait dans le deuil toutes les familles d'Ascq...

Sur le lieu du crime, M le Maire d'Ascq avait fait entendre au commandant des Waffen S. S la protestation indignée du magistrat municipal et celle de la conscience qui respecte le Droit, la Justice et la vie humaine.

Quittez les lieux, êtres sanguinaires, hommes indignes. La malédiction vous poursuit... Le sang des innocents rejaillira sur vous.

Dès le matin du dimanche des Rameaux, Son Eminence le Cardinal Liénart apprit le drame survenu à Ascq.

L'évêque de Lille devait présider à la Cathédrale la bénédiction solennelle des Rameaux et la Grand'Messe qui suivait. Il limita sa présence à la première cérémonie, renonce à assister à la seconde et se rend à Ascq en compagnie de M le Vicaire Général Bouchendomme.

En traversant Hellemmes le Cardinal recueille dans son auto une pauvre mère qui vient de conduire son fils grièvement blessé à l'Hôpital Saint-Sauveur ; complètement épuisée, elle regagnait Ascq à pied.

Grandeur dans l'adversité

Par cette femme, le Cardinal connaîtra des détails sur la nuit d'épouvante que vient de vivre la population d'Ascq. Laissons-lui relater cette conversation ;

- Elle me raconte comment les soldats allemands conduits par des alficiers et sous-officiers, ont fait irruption dans les maisons en enfonçant portes et fenêtres, se sont emparés des hommes et jeunes gens qu'ils ont pu trouver et les ont abattus sauvagement.

Son fils âgé de 16 ans environ, a reçu deux balles dans l'épaule et une dans la tête.

Elle demeure courageuse et je ne recueille sur ses lèvres ni plaintes ni paroles de haine - Notre peuple est grand dans l'adversité.

L'ignominie

Le Cardinal se remémore les douloureuses étapes de sa visite à Ascq.

- Dès mon arrivée, je me rends à la Mairie d'où l'on me conduit à l'École où M Delebart, Maire, qui n'a échappé à la mort que par miracle est en train de réunir les victimes.

Les corps sont étendus par terre dans les salles de classe. Tous sont criblés de balles. On a tué partout, dans les rues, dans les maisons, près du talus du chemin de fer. Et, détail significatif, tous ont reçu à bout portant une balle dans la tête ; on ne s'est pas contenté d'abattre, on a voulu tuer - M l'abbé Gilleron curé d'Ascq a été mis à mort dans son nresbvtère. ainsi que deux réfugiés d'Hellemmes qu'il avait recueillis. Les soldats allemands l'ont personnellement recherché. Ils sont entrés en criant : Pastor ! Pastor ! et se sont assurés que c'était bien lui avant de l'assassiner froidement. Son vicaire, M l'abbé Cousin, a été massacré dans la rue, où il était sorti pour tenter de s'interposer ou de secourir les mourants.

- Il est évident qu'il ne s'agit pas d'un combat qui aurait fait des victimes. mais d'un assassinat organisé. Ce meurtre d'hommes inoffensifs par des soldats armés, qui se vengent sur des innocents d'un sabotage commis par d'autres, dépasse en ignominie tout ce que nous avions vu jusqu'ici - L'indignation publique est à son comble. De telles violences ne s'oublient jamais.

Le Cardinal à l'Oberfeldkommandantur

Au sujet de la version allemande du massacre telle qu'elle ressort du texte paru dans la presse régionale du 4 avril, le Cardinal s'exprime ainsi :

- Ce communiqué est odieux, car il rejette la responsabilité sur les victimes. D'après lui des habitants d'Ascq auraient tiré sur le train militaire, les soldats auraient riposté et c'est ainsi qu'au cours du combat tant de civils auraient été tués.

- Le mensonge est si flagrant que !es Allemands ont dû contraindre les journaux à insérer le communiqué sous la menace des armes.

Mais le Cardinal ne s'attarde pas à commenter le ressentiment qu'il a éprouvé à la lecture de l'avis du général Bertram ; il poursuit.

- Pour ma part, j ai pris en main la cause de cette malheureuse population. J'ai adressé aux autorités allemandes dont nous dépendons une lettre de protestation coutre les crimes commis à Ascq par des soldats allemands.

Cela m'a valu d'être aussitôt convoqué à l'Oberfeldkommandantur de Lille. Tout en maintenant la version allemande des événements, le général est visiblement inquiet, car il se rend compte, me dit-il' qu'un abîme a été creusé.

Il voudrait que je m'emploie à calmer les esprits. Je lui réponds qu'il m'est impossible de jouer ce rôle ; qu'une injustice grave a été commise par l'armée allemande, que rien ne révolte davantage le peuple français que l'injustice, et que par conséquent le seul moyen d'apaiser les esprits serait de châtier les soldats allemands coupables du massacre.

L'apaisement des esprits ne dépend donc nullement de moi mais seulement de l'attitude que prendront les autorités allemandes Si elles couvrent les coupables au lieu de les punir, le coup qui a frappé la France retombera de tout son poids sur l'Allemagne.

La dignité dans la douleur

Dans leur ordre chronologique, le Cardinal Liénart expose la suite de ses interventions et les circonstances qui les ont entourées.

D'abord les funérailles des victimes.

Disons ici qu'une maison de Lille avait été chargée de la fabrication des cercueils. Ils devaient tous être de même style. Étrange coïncidence, une partie de ces cercueils furent réquisitionnés par les Allemands et entreposés à l'Hôpital Calmette à Lille. Aucune nécessité ne se présentait pourtant. Ainsi est expliquée la différence dans la forme des cercueils des pauvres victimes. Pris de court, le fabricant dut se résigner à en livrer un certain nombre d'une présentation moins esthétique...

La malice allemande ne recule devant aucune aberration. L'odieux rejoint le grotesque. Inutile d'insister. Élevons nos cœurs et suivons la pensée du Cardinal :

- Le 5 avril, une feule immense est venue de tous les environs pour assister aux funérailles, Elle s'entasse dans les rues d'Ascq, derrière ie cordon de police qui entoure la place de l'église où sont rangées les voitures qui portent les cercueils. Cette fouie est grave et silencieuse ; elle ne manifeste sa protestation que par sa présence même mais cette protestation est plus éloquente et plus digne que si elle s'exprimait par des clameurs de haine.

La mission à accomplir

À l'intérieur de l'église ont pris place les deux Préfets, M. le Maire et les Conseillers Municipaux, un grand nombre de personnalités de la Région, beaucoup de prêtres et cinq représentants de chacune des familles des victimes. Cela suffit à la remplir. Je préside la Messe de Requiem puis avant de laisser sortir l'assistance et d'aller donner l'absoute sur la place, je prononce une courte allocution.

- Tous les discours, au dehors ou au cimetière ont été interdits, mais ici, dans l'église je suis chez moi et n'ai d'ordre à recevoir de personne. Ce n'est d'ailleurs ni le lieu, ni le moment d'exciter les ressentiments. Je n'ai pas à me faire applaudir ce qui serait facile mais risquerait d'attirer non pas sur moi mais sur mon peuple de nouvelles représailles. J'ai mieux à faire. Je veux dire à cette foule douloureuse combien ie suis avec elle et avec les pauvres victimes dans cette tragique circonstance. Je veux m'incliner avec respect devant les morts et les familles en deuil, confondre dans un même hommage les paroissiens et les deux pasteurs qui ont partagé leur sort, apporter aux survivants le réconfort des espérances chrétiennes et aux défunts le secours de nos plus ardentes prières.

- Puis j'ai donné l'absoute aux cercueils disposés sur les chars funèbres, en plein air, en présence de l'immense foule. En ce Mercredi Saint tout un peuple chrétien, unissant son sacrifice à celui du Christ-Jésus, a remis sa cause entre les mains de Dieu le Souverain Juge et mis son espoir dans la Résurrection.

L'intervention du Cardinal Liénart auprès du Pape

Après avoir protesté auprès des autorités allemandes contre le crime et apporté aux familles en deuil le réconfort de la Foi, Son éminence le Cardinal Lienart informa le Vatican du fait d'Ascq. Le 20 avril il adressa un rapport détaillé à S Exc. le Nonce Apostolique en le priant de le transmettre au Souverain Pontife.

Le 30 mai, le Cardinal Maglione, Secrétaire d'état de Sa Sainteté le Pape Pie XII lui répondit en ces termes :

- Le Saint-Père a été profondément affligé en apprenant les détails douloureux contenus dans la lettre de Votre Éminence, il fait sienne !a tristesse de votre cœur de pasteur et celle ressentie par tant de pauvres familles si terriblement éprouvées et appelle sur elles dans sa prière l'abondance des divins réconforts, seul recours en ces tragiques circonstances. En confiant tout le diocèse à la divine miséricorde à la veille d'épreuves plus grandes encore Sa Sainteté renouvelle à tous, clergé, fidèles et surtout aux plus durement touchés par la guerre et à Votre Eminence elle-même la faveur d'une particulière Bénédiction Apostolique.

Réponse allemande

Mise au point du Cardinal

À la lettre de protestation adressée par le Cardinal Liénart aux autorités allemandes, celles-ci lui répondirent par écrit le 8 juillet.

Quelle fut cette réponse !

Le Cardinal nous l'indique :

- Le 8 juillet 1944, le général commandant l'Oberfeldkommandantur m'a communiqué le jugement porté par le conseil de guerre allemand contre huit habitants d'Ascq accusés d'être les auteurs des sabotages à la suite desquels se produisit le massacre. J ai l'impression qu'il considère cette condamnation comme la Juste conclusion de toute l'affaire.

- Or s'il y a eu des saboteurs français il y a eu aussi des massacreurs allemands et ceux-ci demeurent impunis.

- Ainsi pour ne laisser subsister aucune équivoque, ai-je eu soin d'écrire au général que je ne pouvais considérer cette sentence comme de nature à mettre un terme à ma protestation précédente et que celle-ci demeurait entière.

- Aucune réponse à cette lettre ne n'est jamais parvenue.

Aux protestations, les Allemands préférèrent opposer le silence : c'est l'aveu. Leurs exactions, leurs pillages, leurs assassinats pesèrent lourdement sur le plateau de la justice immanente.

Cinq mois - date pour date - après la monstrueuse hécatombe d'Ascq, ils traversaient le village, fuyant vers la Belgique…

Du tond de leurs tombeaux les fusillés devaient tressaillir...

Les pas qui foulaient le sol d'Ascq n'étaient plus ceux d'une soldatesque conquérante pourchassant de pauvres innocents sans défense pour les martyriser...

C'était ceux d'une armée en déroute qu'un peuple grand dans sa douleur, digne dans l'épreuve, traitait avec dédain !

Un tertre fleuri, façonné par les mains des cheminots, rappelle aux voyageurs se rendant vers Baisieux ou en revenant, le lieu de l'exécution du Quennelet pendant la nuit du 1er au 2 avril 1944.

Un immense drapeau français, fixé à un poteau télégraphique en bordure de la voie le four de la libération y frisonne dans la brise de cette fin d'été.

C'est au Parvis du Souvenir que s'achève le pèlerinage que nous venons d'accomplir sur la terre d'Ascq, arrosée du sang de ses martyrs...

C'est là que s'éveillent en notre âme les réflexions finales.

Les souffrances qui rongent le cœur de tant de mères de tant d'épouses. de tant d'enfants qui ne connaîtront plus - où ne connaîtront jamais - la joie de l'affection paternelle et son soutien, toutes ces souffrances nous les partageons.

Doivent-elles nous inciter à la haine ?

Ce serait nous dégrader.

La haine n'a jamais été constructive...

Elle n'a jamais engendre le bonheur ni adouci la douleur.

L'exemple d'Ascq, lui-même, nous l'enseigne.

Ils sont tombés, et nous, leurs frères,

À genoux tombons en ce lieu

C'est ainsi que les enfants de France rendaient hommage aux grands morts de Verdun le 6 août 1932, dans une cantate qui rappelait avec tant d'émotion le sacrifice de nos héros.

À notre tour à genoux, tombons et méditons sur la mort des 86 fusillés d'Ascq.

Oh! certes, nous ne pourrons pas oublier leur martyr et la Justice - la saine et véritable Justice - exige qu'un tel crime ne reste pas impuni.

Les autorités alliées s'emploieront peut-être à retrouver les responsables et à les châtier comme ils le méritent. Déjà, le 10 septembre un officier supérieur anglais s'est rendu à Ascq où il a recueilli de la bouche de M. Delebart maire et de MM. Vandenbusche et Vancraeynest des éléments d'information...

Laissons la Justice suivre son cours.

Songeons à nos morts, rapprochons-nous de leurs parents, regardons vers l'Avenir, vers la Paix et réglons nos actes sur les principes de vie qui dans le passé ont amené les héros.

La leçon des morts.

Dans la dernière lettre à sa mère, le 7 novembre 1915 sachant que les balles allemandes allaient le transpercer le lendemain matin, Léon Trulin écrivait :

Je pardonne à tout le monde amis et ennemis, je fais grâce parce que l'on ne me la fait pas.

Courage, chère mère courage, mes frères et vivez tous en paix et sans haine. Je meurs en bon chrétien.

À 28 ans d'intervalle le 30 mars 1943, quelques instants avant d'être fusillé lui aussi par les Allemands à Lille, l'abbé René Sonpain l'héroïque vicaire de Rosendaël traçait ses dernières pensées dans une ultime lettre à ses parents :

Je demande notamment aucune pensée de vengeance contre qui que ce soit ne s'élève, même pas dans vos cœurs : l'homme se démène mais c'est Dieu qui le mène.

Elle est sublime la leçon que nous laissent ces morts, nimbés de gloire, aux noms immortels !

Au seuil de la tombe, leur eneignement est celui du salut. Suivons-le.

Le cœur frémissant d'horreur et de pitié au spectacle des ruines et des misères physiques et morales engendrées par la guerre, travaillons à en éviter le retour. Soyons prudents pour l'Avenir sans jamais nous départir de l'esprit chrétien. Restons fermes et vigilants.

Les paroles d'une mère

Et comme conclusion à notre récit d'un Massacre des Innocents nous ne pouvons mieux faire que de citer les paroles d'une épouse, d'une mère, à Ascq. Nous les avons recueillies près du mari, du papa défunt, elles restent gravées dans notre mémoire.

- Un ami très cher était tombé le 1er avril. Cinq enfants peuplaient son foyer dont un bébé de quelques mois... Le petit ange est maintenant parti rejoindre son père...

Près de la couche funèbre du papa, le 3 avril nous venions de prier pour son âme.

Son corps inerte reposait. La figure meurtrie par une balle, était calme cependant... Dans la mort, le visage reflétait la Paix du juste.

Quels étaient donc les sentiments de sa veuve, de cette mère ouvrière foncièrement chrétienne privée subitement de son soutien et qui devait supporter seule, dorénavant, tout le poids des soucis et des responsabilités familiales !

Lorsqu'on mes l'a ramené, ses yeux étaient encore ouverts : ils regardaient le ciel.

Comme il a dû prier quand il s'est rendu compte du malheur !

Le Bon Dieu m'éprouve. Je suis seule à présent pour assurer l'existence de mes enfants J'en fais le sacrifice. Il ne m'abandonnera pas !

Mon sacrifice, je le lui offre,pour la France. Si sa mort pouvait seulement épargner la vie d'autres Français !...

Aucune haine.

Langage d'une mère.

Paroles d'une Française.

Sacrifice et souhaits d'une chrétienne.

Méditons-les.

Rejoignant la pensée de Trulin et de l'abbé Bonpain, ils nous tracent la voie du salut,

Ils nous dictent notre devoir.