Le 25 juillet 1944 sur le front de Normandie, après un bombardement massif de 1 500 forteresses pulvérisant le front de Von Choltitz, Bradley se jette dans la brèche, lançant ses chars à travers 60 km de bocage pour se dégager de la tête de pont normande.
Après une contre-attaque ordonnée par Von Kluge pour tenter de colmater la brèche, les meilleures troupes allemandes seront écrasées dans la poche de Roncey, tandis que Von Choltitz, ayant fait évacuer Coutances sans combat, se verra destitué de son commandement. 
Pendant ce temps, gagnant Bradley de vitesse sur le flanc de la trouée, Patton, cravachant ses chars, foncera vers Avranches et la Bretagne. La porte de la France intérieure est grande ouverte !

LA PRISE DE SAINT-LÔ

Visite du maréchal Rommel au 2e corps parachutiste.

- Et maintenant, Général Meindl, je puis absolument compter sur vous pour la défense de Saint-Lô ? demanda Rommel en se levant.

- Herr Feldmarschall ! Comptez sur moi, j'en réponds personnellement ! lança le sec et bouillant Meindl.

Le maréchal se pencha sur la carte, saisit son bâton et salua. La conférence était terminée. Il descendit lentement du vaste car de commandement à demi enterré sous les pommiers de la ferme de M. Morel, salua une nouvelle fois tous les officiers figés au garde-à-vous qui lui faisaient la haie, puis se dirigea vers le chemin où l'attendait sa voiture.

Immobiles, les yeux agrandis pour ne pas perdre une seule image de cette visite, une dizaine de parachutistes à la combinaison bariolée se tenaient près de l'auto pour effacer dans la poussière les traces du véhicule. L'un d'eux était là aux aguets avec son appareil photographique.

En l'apercevant, Rommel s'arrêta, tourna légèrement la tête et esquissa un léger sourire, serrant son bâton de maré­chal sur sa poitrine dans une pose qui lui était familière...

Et pourtant, en ce 14 juillet à Saint-Vigor-des-Monts, personne ne riait plus et encore moins le maréchal Rommel. Le navire faisait eau de toutes parts, le front chancelait, tous les chefs de corps étaient unanimes à exprimer leur mécontentement au sujet du commandement suprême.

À son retour à La Roche-Guyon, Rommel expédia à Hitler un mémoire de trois pages, un véritable ultimatum. Après avoir dressé le bilan des pertes allemandes et montré la force écrasante de l'adversaire, il ajouta : " Dans ces conditions, on peut prévoir que d'ici quinze jours à trois semaines, l'ennemi réussira à percer notre front si mince, surtout sur la VIIe armée, et à pénétrer dans les profondeurs du territoire français. Les conséquences seront incalculables.

Partout la troupe combat héroïquement, mais cette lutte inégale approche de sa fin. "

" Mes parachutistes tiendront jusqu'au bout ! " 

De quoi demain sera-t-il fait ? Tout optimisme a complètement disparu des états-majors pour faire place à une légitime anxiété. L'échec de la contre-attaque de Bayerlein a permis aux Américains de conserver l'initiative des opéra­tions et l'on s'attend à la reprise de combats d'une extrême violence devant Saint-Lô, point névralgique entre tous.

Par-delà ce promontoire aux mains des Allemands où plus de 800 victimes françaises sont toujours ensevelies sous les décombres depuis les 6 et 7 juin, Bradley sait que les plaines vont succéder au bocage et que Saint-Lô, qu'il voulait prendre le 15 juin, est le dernier calvaire de sa tête de pont: calvaire à gravir pour la réussite de la grande offensive qu'il prépare.

Mais de son côté, Rommel devine l'importance qu'a Saint-Lô pour les Américains. Il sait que ce carrefour stratégique est le plus convoité de tout le front de la Ière armée U.S., et que ceux d'en face sont prêts à y mettre le prix pour s'en emparer. Aussi a-t-il demandé à Hausser de tout mettre en oeuvre pour résister avec énergie et opiniâtreté.

Protégé par sa ceinture de collines fortifiées, notamment le bouclier de la hauteur 122 au nord, et l'écran massif de la colline 192 à l'est, Saint-Lô depuis un mois semble délier toutes les attaques. Au reste, Meindl estime que le secteur se prête admirablement à la défense. Du sommet de la colline 192, " oeil " de la défense allemande, le regard embrasse les 25 kilomètres de la ligne de feu. De la Vire à Caumont-l'Eventé, le front du 2e corps dessine un immense éventail dont la pointe est tournée vers Saint-Lô et les branches extrêmes ouvertes de Pont-Hébert à Caumont.

Pour barrer la route aux Américains, Meindl dispose des trois Kampfgruppen, 352e, 353e et 266e D.I. aux ordres de la 352e D.I., et de l'excellente 31e division parachutiste du général Schimpf. Ces unités sont épaulées par la 12e brigade de canons d'assaut dotée de 75 automoteurs et de 105 longs. Plus que partout ailleurs, les Américains vont se heurter ici à l'élite de l'armée allemande, au fanatisme de jeunes qu'en­cadrent des vétérans éprouvés, à cette détermination farouche de soldats qui lutteront jusqu'à la mort.

Chaque hauteur est devenue un solide point d'appui ren­forcé par des batteries de 88, et la moindre ferme, aux murs percés de meurtrières, est transformée cri redoute. Quant aux haies du bocage, truffées de positions de tir et Lie nids de mitrailleuses, elles sont devenues un labyrinthe inextricable de tranchées et de tunnels camouflés afin (le rendre inexpugnables les positions allemandes.

- Monsieur le maréchal ! Mes parachutistes tiendront jusqu'au bout ! Je vous en donne l'assurance ! avait affirmé Meindl à Rommel le 14 juillet.

Il ne se trompa pas.

Le jour où le premier Américain va pénétrer dans Saint-Lô, des milliers de morts américains et allemands seront tombés au pied des haies normandes. On dénombrera plus de 5 000 morts pour les 35e et 290e D.I. U.S. et presque autant pour la seule 3e division parachutiste.

Dix mille morts !

Dix mille morts pour un pont, un carrefour et un tas de décombres ! Mais ce tas de décombres s'appelait Saint-Lô.

Le flegmatique général Corlett, commandant le 19e corps U.S. auquel incombait la lourde tâche de prendre Saint-Lô avait déjà préparé son plan. Son premier objectif : lancer la 2e D.I. à la conquête de la hauteur 192. Il était capital d'aveugler la défense ennemie en occupant cet observatoire de premier ordre. Ensuite, faisant pression sur les deux ailes, la 350 et la 29e D.I. devaient se hisser jusqu'à la colline 122 et la crête de Martinville pour chasser la 352e D.I. de la boucle de la Vire. Finalement, l'occupation du noeud routier serait effectuée par surprise sans trop de difficulté.

Allons Becker Bürschen ! Rendez-vous !

Depuis la mi-juin, le front allemand du 2e corps de La Meauffe, à Caumont, était appelé " le front tranquille ". Les trois quarts de ce front étaient tenus par la 31e division parachutiste. À l'aile gauche, le 96e  régiment du major Stephani prenait appui sur la 352e D.I., à l'aile droite, le 8e régiment de Liesbach s'ancrait sur les positions du groupe blindé Ouest. Au centre, le 50e régiment du major Becker veillait sur le secteur de Bérigny.

Or, quelques jours avant la grande attaque, les Américains lancèrent contre les parachutistes une offensive psycho­logique pour les inciter à la désertion. Sitôt la nuit venue, des émissions spéciales étaient diffusées en allemand. De puissants haut-parleurs installés dans les premières lignes U.S. remplissaient la vallée de railleries amères et d'appels insidieux à l'adresse des " damned paratroopers ! "

- Nous étions tous tapis dans les haies, accoudés aux banquettes de tir ou terrés dans les abris des avant-postes pour écouter ces voix étranges de la nuit, rapporte Walter Stegman.

On nous parlait de tout. Du courrier, des raids aériens, des mouvements de troupes, de l'arrivée prochaine de la Panzer Lehr et même du menu de notre repas de la veille. Tout était connu, même le nom des officiers. Tant de précisions données par l'ennemi sur nos propres forces ne faisaient qu'augmenter notre rage. Puis, pour clore son émission, le speaker nous lançait un dernier appel:

" Also Becker Bürschen ! clamaient les haut-parleurs, allons les gars de Becker, qu'est-ce que vous f... ici ? Dites voir un peu ? Que vous a rapporté votre contre-attaque d'aujourd'hui ? Rien ! Eh bien, alors pourquoi vous battez-vous ? Qu'avez-vous donc gagné depuis un mois ? Rien, bien au contraire. Vous avez tout perdu et cela continuera ici et sur tous les fronts.

En outre, nous savons que vous êtes mal nourris, mal vêtus, mal armés et que les munitions vous font défaut. Vous courez à la catastrophe !

Becker Bürschen ! Ralliez nos lignes tant qu'il en est encore temps. Au lieu de crever de faim, vous aurez ici du pain blanc, du corned-beef, des cigarettes à profusion, de la musique, de la danse, et on vous le promet vous serez bien traités !

Allons Becker Bürschen, cessez de vous battre et rendez-vous !

Dans leurs trous, les " nazis paratroopers "grignotaient des pommes vertes dures comme de la pierre. Beaucoup les crachaient de dégoût.

Plus rien n'arrivait au front sauf les mauvaises nouvelles.

" Ce n'est pas sans appréhension qu'à la mi-juin, j'ai quitté notre école d'artillerie d'Autun pour gagner le front de Saint-Lô afin de renforcer la 352e D.I., raconte le sergent-chef Heinrich Wertenbruch, l'un des rares rescapés de cette bataille. J'étais le chef de pièce au bataillon d'artillerie motorisé " Autun " (calibre 105 mm). J'étais déjà venu en Normandie deux années consécutives pour surveiller la construction des énormes casemates du Mont Canisy à proximité de Deauville.

C'est par une nuit sombre, tassés à l'intérieur de nos camions Renault couverts de branches, que nous avons traversé les ruines lugubres de Saint-Lô. Nous avancions en cabotant comme sur des montagnes russes. Autour de moi, les soldats apercevant les décombres disaient: « Mais qui donc a pu raser cette ville d'une telle façon ? ". Et personne ne répondait.

Le front était situé à une quinzaine de kilomètres plus au nord, nous arrivions pour relever un groupe de combat de la 17e Panzer-grenadiers SS qui avait été engagé dans ce secteur. Dès le début, le manque de munitions se fit sentir. Ce que nous apportait chaque nuit était insuffisant. A vrai dire, plus rien n'arrivait au front sauf les mauvaises nouvelles.

Puis les combats se firent plus acharnés. Les attaques aériennes plus fréquentes. Au-dessus de nos batteries que l'on ne pouvait bouger, il y avait toujours un Américain dans l'air. Nous passions le plus clair de notre temps à creuser des abris, à parfaire notre camouflage et à faire de nos canons des massifs de verdure. Tous nos mouvements s'effectuaient de nuit, sitôt la dernière salve tirée ".

Telles étaient les conditions de vie sur le front

À 16 ans, j'étais parachutiste à la 3e D.P.

" Venant de Vienne, en Autriche, rapporte le caporal Walter Stegman, je fis mes trois sauts d'homologation dans une base aérienne voisine de Berlin où je rencontrai le célèbre boxeur Max Schmelling. Aussitôt après, mon contingent gagna la Bretagne où je fus incorporé à la 3, division para­chutiste et dirigé sur Landerneau où stationnait le 50 régiment 'du major Becker.

Un vol ayant été commis par l'un des nôtres dans une bijouterie, ce fut un véritable drame. Tout le monde fut consi­gné jusqu'au moment où les officiers découvrirent le voleur, l'obligèrent à rendre la montre et le jetèrent en prison.

Pendant tout mon stage au 5e régiment, j'appris à poser des mines sans penser que je me préparais là à l'une des plus grandes épreuves de toute ma vie! Brusquement, le 8 juin, nous quittions Landerneau pour le front de Saint-Lô.

Une semaine plus tard, le major Becker installait son P.C. dans un château près de Saint-Lô, tandis que le général R. Schimpf se fixait à Saint-Amand, près de Torigny.

Ce transfert Bretagne-Normandie de 300 kilomètres s'effectua de nuit, par étapes à marche forcée. Le jour, par crainte des avions, nous dormions dans les bois.

Notre nouveau secteur, à l'est de Saint-Lô, au nord de Bérigny, était assez vallonné et très boisé. Cette région avec ces noms étranges était aussi inconnue pour nous qu'un secteur du front russe. Tout notre horizon se résumait à quelques fermes abandonnées, entourées d'innombrables trous creusés au pied des haies et que l'on recouvrait de branchages. La pluie qui tomba les derniers jours qui précédèrent la grande offensive américaine transforma nos retranchements en cloaques de boue. Notre consolation était de savoir qu'il en était de même chez les " Indiens " de Robertson, nos ennemis d'en face, et que, sous ce ciel bas où les nuages touchent le sol, les Jabos nous accorderaient un peu de répit.

" Minez la route de Saint-Georges-d'Elle. Minez la ligne de nos avant-postes ! " m'ordonnait-on au bureau du major Becker.

Et chaque nuit, de Bérigny, nous partions en expédition. Chacun de nous traversait les lignes allemandes, transportant quatre mines antichars. Nous devions les envelopper de chiffons pour éviter le moindre bruit. Deux étaient tenues à la main, deux suspendues au ceinturon. Les poches étaient bourrées de mines individuelles et de cordons. S'ajoutaient à cela scie, pelle ou pioche, l'inséparable gourde de café chaud, et une poignée de biscuits ou de pommes vertes. La mitraillette suspendue au cou avec les chargeurs complétait le chargement. Un baudet avec son bât en portait moins lourd que nous !

Tandis que l'un des nôtres nous couvrait, il fallait sans bruit s'enfoncer dans la nuit pour se rapprocher des Américains. Avancer en rampant ou courbé en deux. Les barrières, les brèches, les sentiers à travers champs, tout était miné. Rien n'était oublié qui puisse renforcer notre défense. "

11 juillet 44. Capture de la hauteur 192.

Dans son P.C. au nord de Saint-Georges-d'Elle, à l'arrière du front américain, le général Robertson commandant la 21e D.I. (étoile blanche à tête d'Indien) examine les photos aériennes. Devant lui se dresse la  hauteur 192, couronnée par le bois de Soulaire, d'où les Allemands surveillent toute la région. Elle a été tellement pilonnée par l'artillerie " qu'elle ressemble à s'y méprendre à une couverture de laine blanche mangée par les mites ".

- Attaque demain à l'aube. Nous allons déloger ces bougres de là-haut ! grommelle Robertson. Le sommet seul nous intéresse !

Brusquement, le lendemain 11 juillet, à 6 heures du matin, dans un fracas assourdissant, toutes les batteries américaines ouvrent le feu. De part et d'autre de Saint-Georges-d'Elle, les 38e et 23e R.I. se jettent à l'attaque. En l'espace de 20 minutes, 20 000 obus transforment en un chaos toutes les lignes allemandes. A l'abri de ce feu roulant, les Sherman ébranlent les haies. Attaquent au canon ou à la mitrailleuse les derniers retranchements. Plusieurs chars explosent frappés à bout portant par des Panzerfaust.

Plusieurs haies sont ainsi dépassées. Près du village de Cloville, entièrement miné, les G.I. réussissent à détruire au bazooka des canons d'assaut. Malgré cet échec, l'ennemi tient bon. Les Américains se heurtent à une position fortifiée tenue par les parachutistes du major Stephani qui se battent avec un acharnement terrible. Sur les 60 Allemands que comptait la position, il n'en reste plus que quinze.

Nouvel assaut. Nouveau recul. Une dernière fois, les G.I. menacent et sont sur le point d'emporter la position. Onze parachutistes se rendent et jettent leurs armes. Quatre refusent. Immédiatement la haie est culbutée par les chenilles d'un char. Toute lutte a cessé autour du " Kraut Corner ". L'avance se poursuit, la lutte est confuse et extrêmement violente. Les Allemands résistent.

Finalement, au soir du 11 juillet, du Calvaire à la route de Bérigny, les hommes de Robertson occupent la hauteur et consolident leurs positions. Le redoutable bastion à l'est de Saint-Lô est passé aux mains des Américains dès le premier jour de l'offensive ! C'est un coup sérieux porté au prestige de Meindl, mais ce 11 juillet, Meindl prenait sa revanche dans le secteur de la 352e D.I.

Les Américains se glissent jusqu'à Saint-Georges-de-Montcocq !

" Ce jour-là, raconte le sergent-chef Wertenbruch, je reçus une note impérative qui me prescrivait de veiller à l'évacuation totale de la population française. Devant les pertes extrêmement lourdes de l'infanterie et la violence de l'artillerie américaine, cette mesure devait être prise sur-le-champ. Beaucoup de civils avaient été évacués mais il en restait encore. Dans le village, je fis rassembler une centaine de Français, hommes, femmes et enfants en leur expliquant qu'ils risquaient la mort s'ils restaient. Je choisis deux hommes pour les accompagner jusqu'à environ 12 kilomètres au sud de Saint-Lô. où nous estimions qu'ils étaient en sécurité. Tout se passa sans incident et le soir mes hommes étaient de retour. "

Pendant ce temps, près de La Meauffe, la 35e D.I. du général Baade lançait sa première attaque. Le 137e R.I. fut tenu en échec devant l'église fortifiée du petit village de Saint-Gilles ; ce n'est que le lendemain après un bombardement de 45 minutes que l'on viendra à bout des Allemands. D'ailleurs, on ne découvrira aucun survivant. Mais nouvelle surprise pour la 35e D.I. L'avance est stoppée par un feu très nourri d'armes automatiques et de mortiers. Retranchés au Carillon, malgré l'artillerie et les chasseurs-bombardiers, les Allemands balaient tous les glacis de leur tir. Le lieutenant Heinz Deutsch, de la 3e batterie, qui sera grièvement blessé par la suite, détruit à lui seul plusieurs Sherman. Finalement, ce n'est que dans la nuit du 14 au 15 que cette position sera évacuée.

La 352 D.I. fort malmenée (elle vient de perdre 840 hommes en deux jours) se retire des hauteurs à l'est de Pont­Hébert, décroche en bordure de la Vire, découvrant ainsi tout le flanc droit de la Panzer Lehr où combat le régiment parachutiste envoyé en renfort à Bayerlein. Mais pour elle, la situation est devenue dramatique car ses arrières sont coupés par la grande boucle de la Vire. La seule issue possi­ble débouche dans les ruines de Saint-Lô ! Pour sauver cette division, Meindl dépêche aussitôt une unité du génie chargée de construire un pont immergé à Rampan, et jette dans la bataille tout ce qui lui reste : des éléments de la 266e D.I. et la 30e brigade mobile (cycliste) du baron von Aufsess (ce dernier sera tué lors de la prise de Saint-Lô), pour renforcer les défenses de la hauteur 122.

Le 15 juillet, sous un barrage roulant, la 35e poursuit son avance. Les pertes sont lourdes. Au prix de 117 morts, le 134e R.I. arrache aux Allemands, à l'est du Mesnil-Rouxelin, les villages d'Émilie et des Romains. Le Kampfgruppe qui lui fait face ne compte plus que 180 combattants sur un millier d'hommes. Pendant ce temps, les chasseurs-bombardiers s'attaquent à la colline 122, mitraillent les haies d'enfilade, criblant de bombes les positions ennemies.

L'artillerie s'en mêle. La hauteur disparaît sous un déluge de feu. Peu avant minuit, à la tête d'une petite Task Force, le général U.S. Sebree se rue dans la nuit vers les lignes adverses. Ses chars s'emparent du versant nord de la colline mais les Allemands sont toujours sur la crête. La victoire est si proche, que pour masquer son repli et éviter l'encercle­ment, la 352e D.I. au seuil de l'agonie, lance douze contre-attaques désespérées sur la ferme des Ifs, près du Mesnil­Rouxelin.

" Les pertes de notre infanterie étant catastrophiques, ajoute le sergent-chef Wertenbruch, ma batterie se vit adossée à la Vire où mes 105, alignés dans une avenue proche de Saint-Lô se cachaient près de la voie ferrée. Pour aller porter les vivres à notre poste d'observation de l'autre côté de la rivière, nous utilisions une barque abandonnée de l'écluse de Saint-Georges-de-Montcocq. Parfois le feu de l'artillerie américaine sur Saint-Lô était d'une telle violence que nous ne pouvions même pas approcher de nos canons ! "

Pendant ce temps, la 352e se repliait avec ses maigres forces. A leur arrivée à Rampan, les Américains découvriront un pont de bois immergé sous 20 cm d'eau. La résistance se poursuivra jusqu'au 17, pour finalement s'affaiblir puis disparaître. Les premières patrouilles du 134e R.I. traversant Saint-Georges-de-Montcocq se glisseront jusqu'aux lisières nord de la ville de Saint-Lô, découvrant à leurs pieds, dans la vallée déserte, en butte aux coups de l'artillerie, l'effrayant chaos de ruines de la cité martyre. La victoire de Corlett est proche mais c'est à la 29e D.I. que revient l'honneur de libérer la ville.

Les combats de la crête de Martinville.

Au milieu du front d'attaque de Corlett entre la 35e et la 2e D.I, la 29e  D.I. du général Gerhardt près de Villiers­Fossard ne connaît que des déboires !

Le 11 juillet tout a fort mal commencé.

À 5 heures du matin, deux compagnies de parachutistes du 90e R.P. ont fait irruption dans. les lignes U.S., mettant à mal une compagnie de mortiers et un demi-bataillon d'infanterie, puis le raid terminé, après avoir causé une centaine de pertes, ces enragés se sont retirés avec la même soudaineté. À vrai dire, cette action n'était qu'une diversion symbolique pour soutenir la contre-attaque de Bayerlein de l'autre côté de la Vire.

Revenu de sa surprise et réorganisé, le 116e R.I. piétine. Après 6 heures de combat les G.I. n'ont gagné que 6 haies exactement ! Le village en ruine de Saint André de l'Épine est tout proche, et plus loin Cloville avec ses canons détruits, et le Kraut Corner où les " Indiens " de Robertson encerclent les derniers Allemands.

Au prix de douloureux combats, mètre par mètre, baie après haie, les Sammies parviennent à la route de Martinville et pénètrent dans l'église de La Luzerne, transformée en hôpital.

Le lendemain 12, nouveau bond en avant jusqu'au Calvaire sur la route de Bayeux. Le 116e est à 3 kilomètres de Saint-Lô !

Meindl câble aussitôt à Hausser : " Tout le front du 2e corps, de la Meauffe à Bérigny, est en flammes. Il réclame des renforts. Hausser refuse :

- Que diable Meindl ! Le front de Bayerlein a failli se rompre... Vous n'en êtes pas encore là, je pense, répond Hausser au bout du fil.

Meindl hausse les épaules. faute de renforts, il déplacera ses meilleures unités pour barrer la route aux Américains devant Martinviile. Trois bataillons de parachutistes, soutenus par des 88, et appuyé par l'artillerie en position à La Barre­de-Semilly, interdisent tout mouvement. Paralysés, les G.I. sont cloués sur place, mais au prix de quelle hécatombe ! 4 064 parachutistes allemands disparaissent en quatre jours ! Les assauts succèdent aux assauts sans aucun résultat.

Le 14 juillet, Américains et Allemands épuisés marquent le pas. La position fortifiée du Carillon, à demi encerclée, tient toujours, tandis que la hauteur 122 est déjà menacée. À Saint-Vigor, Meindl reçoit le maréchal Rommel.

Le lendemain, Gerhardt lance le 116e R.I. à l'attaque, appuyé par des chars pour tenter de couper la retraite de la 352e D.I. ; hélas tout est vain. Sept chars explosent sous les coups des 88. Mais à 19 h 30, l'aviation arrive à la rescousse. Des bombes de 500 livres retournent les haies, neutralisent les batteries. Les G.I. attaquent de nouveau.

Emporté par son élan, le 2e bataillon du 116e, aux ordres du major Bingham, pénètre dans les lignes allemandes et, sans repli possible,  se trouve encerclé près du carrefour de La Madeleine. Malgré la pénurie d'approvisionnement, le 2e bataillon va résister héroïquement à tous les assauts des parachutistes de Stephani soutenus par les Panzer. Pour le général Gerhardt, la situation est extrêmement confuse, ses pertes très lourdes ; la bataille redouble d'intensité, la lutte atteint son paroxysme, De nouveau, les chasseurs-bombardiers se jettent sur les positions allemandes.

" À 20 ou 30 mètres au ras des arbres, les Jabos surgissaient soudain par groupe de quatre, prenant à la fois chaque haie d'enfilade en crachant de tous leurs canons. Ils faisaient alors un massacre terrible des parachutistes surpris dans leurs trous. Tous les hommes se trouvaient cloués à mort dans l'abri qui devait les protéger. Comme des lapins courant en tous sens, nous sautions d'un trou à l'autre, d'une haie à l'autre pour éviter les rafales maudites. Des haies entières étaient éclaboussées de sang ; 70 14 des parachutistes du 11e corps furent tués par les rafales des Jabos ! "

Deux jours plus tard, le 17 vers 4 h 30, le 3e bataillon du 116e aux ordres du major Thomas D. Howie, attaque à son tour pour secourir le bataillon perdu et si possible atteindre Saint-Lô. L'attaque est faite dans la brume par surprise. Les G.I. se frayent un passage au couteau ou à la baïonnette. À 6 heures du matin, Bingham est délivré, mais aussitôt après, le major Howie est blessé mortellement par un obus de mortier. L'attaque est définitivement compromise.

Après une attaque des chasseurs, une nouvelle colonne veut rejoindre les encerclés. Half-tracks, chars-destroyers escortés de véhicules armés de quatre mitrailleuses de 50, trouvent les routes ombragées près de Martinville si obstruées par des débris de toutes sortes, chevaux morts et engins blindés allemands, que toute avance sous le feu ennemi est un suicide. Seul un Piper-Cub permettra d'envoyer du plasma aux 35 blessés isolés à 1 kilomètre de là ! Au soir du 17, Gerhardt semble avoir échoué devant Saint-Lô.

À Saint-Vigor, Meindl lance un appel de détresse.

Tandis que des combats sans espoir se déroulent autour de la colline 122, Meindi dans l'après-midi du 17 lance à Hausser un appel de détresse :

- L'ennemi s'est infiltré à l'arrière de mes lignes, Herr Gencraloberst ! Les Américains ont réussi à franchir la Vire au nord de Rampan pour prendre à revers mes positions et marcher sur Saint-Lô. À mon aile droite, la situation est plus grave encore, Un bataillon ennemi a percé l'anneau défensif à l'est de la ville et se trouve à 1 kilomètre à l'arrière de mes avant-postes. Mes hommes ne peuvent plus tenir. La défense se désagrège, mes dernières forces au nord de Saint­Lô sont menacées d'un rapide encerclement. Je vous demande, Herr Generaloberst, poursuit Meindl, de m'accorder avant 18 heures, les autorisations nécessaires pour tenter un repli qui dès maintenant s'annonce périlleux.

Jamais jusqu'ici Meindl n'avait lancé un tel ultimatum à ses supérieurs!

- C'est entendu Meindl, lui répond Hausser, prenez toutes les mesures que vous jugerez nécessaires !

Et dans la nuit du 17 au 18, les dernières forces allemandes évacuèrent tout le secteur nord de Saint-Lô.  À vrai dire, Meindl fut le premier étonné de voir à quel point le commandement reconnaissait l'inanité de ses efforts, alors que 48 heures plus tôt on lui ordonnait de " Tenir à tout prix ! " Cette réponse invraisemblable transmise par Hausser s'explique si l'on songe qu'au même moment, à l'O.B. West et au groupe d'armées B, on venait d'apprendre le tragique accident survenu au maréchal Rommel.

Le 18 juillet, la 29e D.I. donne le coup de grâce.

Ayant appris la conquête de la colline 122 sur son aile droite, Gerhardt demande au 116e R.I. de maintenir sa pression à Martinville. Plus mordants que jamais, les parachutistes se battent avec acharnement : les Américains ne passe­ront pas. Or, entre la colline 122 et la crête de Martinville, une vallée sinueuse qu'emprunte la route de Saint-Clair permet d'accéder aisément à la ville sans trop redouter l'ar­tillerie ennemie. C'est cette route qui fascine le général Gerhardt. Le 115e R.I. doit s'en emparer. C'est la clef de Saint-Lô.

Au matin du 18, deux bataillons s'élancent pendant que le général Norman Dutch Cota rassemble, près de Couvains, une petite Task Force d'environ 300 hommes. Vers midi. Le général Gerhardt l'appelle :

- Dutch ! lui dit le général, je désire que le corps du major Howie accompagne vos garçons pour pénétrer dans la ville.

À 15 heures, la Task Force Charlie s'ébranle, passe au travers des fantassins du 115e et roule vers Saint-Lô. À 18 heures, elle pénètre dans les ruines, nettoie la place près de l'église Sainte-Croix et s'assure de 17 positions clés. Une heure après, le fanion " Gris et Bleu " flotte au carrefour de la Bascule, P.C. provisoire du général Gerhardt où le général Cota sera grièvement blessé par un projectile ennemi.

C'est alors que parmi les colonnes qui montent, sous le feu de l'artillerie allemande, une jeep escortée de soldats fait un entrée remarquée dans Saint-Lô. Elle transporte la dépouille du major Howie que ses hommes déposent sur l'un des murs en ruine de l'église Sainte-Croix. À l'endroit précis où l'on a placé aujourd'hui le buste en bronze du major de Saint-Lô).

Drapée dans les plis du drapeau étoilé, cette dépouille du major Howie restera au milieu clos ruines le douloureux symbole de l'héroïsme des G.I.

Les Américains tiennent maintenant Saint-Lô, où seuls les ponts sont intacts, mais il leur faudra encore près de huit jours pour chasser les snipers ennemis qui infestent les ruines. Parcourant les décombres, les patrouilles restent à la merci de l'artillerie allemande qui tire des hauteurs de Saint-­Gilles et de Saint-Thomas. Occuper Saint-Lô devient intolérable.

Pendant ce temps, au sud de la ville, de petits groupes de soldats isolés et fourbus descendent la vallée pour traverser la Vire. Se cachant des avions, les bottes sur l'épaule, trempés comme des canards, ils remontent sur l'autre rive à la recher­che d'une ferme habitée pour quémander un morceau de pain, voire un verre de cidre car ils crèvent de faim. Quelques Français sont encore là. Les Allemands expliquent que depuis huit jours, ils ont couru à travers champs, poursuivis par les obus, traqués par les Jabos. Ils arrachent les casques rivés sur leurs têtes, puis s'effondrent sur les bancs :

- Ach ! American, viel munitions ! viel munitions ! Schrecklich disent-ils en montrant la fenêtre. Viel canône ! mitrailleuses !... Nous Allemands avoir seulement fusils, grenades et beaucoup camarades kaput ! Oh ! Saint-Lô ! Grand boum ! boum ! Fini la guerre ! Fini !

Dégoulinant d'eau, les hommes mangeaient pour oublier leur terreur.

Ces petits groupes d'isolés, c'est tout ce qui restait de la 352e D.I. et des défenseurs de Saint-Lô.

Hausser ordonna bien à plusieurs reprises de reprendre la ville, mais avec quoi ?

Les hommes de la 352e D.I. n'en voulaient plus.

11 juillet, 18 juillet, deux dates où Bradley a porté un double coup mortel au front allemand de Normandie.

Par suite de la perte d'une trentaine de chars, l'orgueil­leuse Panzer Lehr en est réduite à jouer un rôle défensif et à se terrer dans les haies. La contre-attaque des Panzer du 11 juillet aura été la dernière pour la division Bayerlein.

Huit jours plus tard, le 18, Corlett s'emparait de Saint-Lô, le bastion ennemi le plus important de toute la tête de pont U.S. et la porte grande ouverte sur toutes les routes du bocage et de la France intérieure, décimant du même coup deux divisions, la 352e D.I. et la 3e division parachutiste qui ne se relèveront jamais de cette sanglante défaite.

Mais Bradley n'a pas encore dit son dernier mot car une déconvenue encore plus tragique attend les Allemands dans le secteur de Marigny à quelques kilomètres de là.

Décidément pour Hausser, cette vallée de la Vire n'a pas fini de lui ménager des surprises.

Extrait de La trouée de Normandie (voir bibliographie).