GEORGE SMITH PATTON, Junior
Pour les Français qui avaient vingt ans en 1945, le nom de Patton évoque les heures brillantes de la libération du pays. de la Normandie à la Lorraine, le long d'un itinéraire qu'on appellera un jour la Voie de la Liberté. Pour les jeunes gens des années 1960, le mot " Patton " rappelle un char de combat à la silhouette caractéristique avec la nuque de sa tourelle et son long canon, d'une conduite confortable assortie d'une étonnante consommation en carburant. Plus tard, en 1970, " Patton " évoque ce film magistral dans lequel Facteur américain George C. Scott, qui en obtiendra l'Oscar du meilleur acteur, s'identifie à son personnage avec une telle vérité que désormais son visage a presque remplacé celui du vrai général dans la mémoire populaire. Pourtant, ce général George Smith Patton Jr., mérite que sa véritable destinée ne soit pas oubliée aujourd'hui, en particulier des Français, qui ont au moins conservé son souvenir en baptisant de son nom de nombreuses avenues, rues ou ponts, dans les villes ou les villages que sa glorieuse 3e Armée a libérés.
Tout a pu être dit du général Patton, en bien comme en mal. Individu particulièrement doué, c'était un athlète accompli, plus spécialement dans les sports martiaux tels que le tir, l'équitation et l'escrime. C'était un érudit - surtout féru d'Histoire militaire -, un musicien et un poète. Il s'intéressait aux langues étrangères : c'était un des rares généraux américains capable de suivre une conversation en français. Il pouvait être brutal, voire ganache, ce qui lui porta un lourd préjudice au meilleur moment de sa carrière, mais il savait se montrer affectueux et prévenant (il suffit de lire les lettres envoyées à partir de juillet 1942 à sa femme Beatrice). Il ne manquait pas d'humour et savait raconter de savoureuses histoires ; il avait des dons d'orateur et savait les utiliser dans le style direct qui plaît aux foules.
Élevé dans le souvenir d'un grand-père, George Patton I, brigadier-général confédéré, tué au cours de la dernière année de la Guerre de Sécession, éduqué au grand air des ranchs de Californie et des plantations de Virginie, Patton se tourne tout naturellement vers le métier des armes qui lui offrira la renommée qu'il recherchait. Personnage complexe, aussi souvent haï qu'adulé, de ses subordonnés comme de ses pairs, ait un véritable homme de guerre. Bon organisateur, excellent tacticien, très à l'aise dans le commandement, il révélera ses talents dans la conduite directe de la bataille. Il y gagnera alors toute une série de surnoms, que Flash Gordon, le Martien, Georges le magnifique et bien d'autres, mais surtout celui qui lui est définitivement resté : Old Blood and Guts littéralement Sang et Tripes, l'expression française la plus proche pouvant être Coups et Blessures). Les âges qui suivent n'ont d'autre ambition que d'éclairer la vie du général Patton et d'expliquer comment cette figure de l'Histoire a mérité une telle notoriété.
Jeunesse et formation
George S. Patton, Jr. naît le 11 novembre
1885, un mercredi, dans le ranch de San Pascual, à proximité de Los Angeles en
Californie, où son père, George S.
Patton, est District Attorney, sorte de Procureur de la République. La famille
Patton est d'origine écossaise ; arrivée en Amérique au milieu du XVIIIe
siècle, elle est notamment alliée à la famille Washington. Après la Guerre
de
Sécession, Madame Patton quitte la Virginie avec ses quatre enfants pour
s'installer en Californie. Ils y retrouvent les WiLson, riche famille terrienne
dont le fondateur, Benjamin Davis Wilson, est arrivé là tout enfant en 1837.
Alors que la Californie est encore province mexicaine, Ben Wilson réussit
quelques belles opérations immobilières, tout en parcourant la piste
de l'Orégon et en luttant contre les Indiens. Don Benito sera même alcalde
(maire) de Los Angeles et participera à la création de la ville de Pasadena
sans compromettre ses richesses foncières. Le mont Wilson, où se trouve le
fameux observatoire, tire son nom de cette forte personnalité qui a aussi
introduit l'orange et les vignobles en Californie du Sud C'est ainsi que le fils
du héros tué à Winchester épouse la fille de Don Benito, qui lui apporte,
avec de nombreuses propriétés, une sécurité financière définitive.
George S. Patton se partage alors entre la gestion de ses biens et l'application de la Loi, tout en veillant lui-même à l'éducation de son fils, à travers des commentaires de la Bible et de l'Iliade (dont les héros marqueront longtemps le jeune George). Celui-ci passe ainsi sa jeunesse entre le ranch de Pasadena et Los Angeles, où il va enfin à l'école, à douze ans, pour y apprendre à lire et à écrire. Il conservera de cette formation tardive de grandes lacunes en mathématiques et en orthographe. Mais simultanément il devient un excellent cavalier (il recevra de son parrain la première selle anglaise jamais vue encore sur la côte Ouest) et découvre la poésie, révélant dans ces premières activités d'adolescent, chevauchées et poèmes, sa double et complexe personnalité.
Bercé par le souvenir du grand-père tué pour la Confédération, familier d'Achille et d'Hector, George Patton rêve d'héroïsme, de gloire, de grandeur. Il veut être le premier en tout et attirer le regard de ses contemporains. Il se tourne donc vers le métier des armes, rejoignant le Virginia Military Institute, à Lexington, où son père lui-même avait été élève. Il y passe une année pour préparer et réussir, avec difficulté, l'examen d'entrée à West-Point. Il est reçu à l'Académie Militaire (USMA) en 1904. Voulant être le premier partout, il ne le sera en rien : brillant athlète, il ne fera jamais partie des équipes premières ; intelligent et cultivé, ses résultats médiocres lui vaudront de redoubler sa première année ; il voulait devenir le premier général de sa promotion mais ce ne sera pas le cas non plus. Une chose est sûre : il n'est pas aimé de ses condisciples qui lui reprochent son arrivisme et son zèle obséquieux (Patton ne sera puni qu'une seule fois au cours des cinq années passées à l'Académie). En1909, il sort de West-Point, 46e sur 103 : il a pu choisir la cavalerie.
L'année suivante, il épouse Beatrice Ayer, qu'il a rencontrée en Californie mais qui appartient à une riche famille du Massachussetts. Arrivée en Amérique presqu'en même temps que les Pilgrins Fathers (1660), la famille Ayer avait développé sa fortune dans le commerce de la laine. L'alliance des deux familles confirme l'aisance matérielle de Patton, qui n'aura jamais à se soucier de sa solde. Beatrice est une jeune femme raffinée, éduquée en français, langue qu'elle maîtrise parfaitement : au cours d'une affectation à Hawaï, elle écrira un ouvrage dans notre langue, Légendes Hawaïennes, qui sera publié tel quel à Paris. Béatrice était également très sportive, remarquable en yachting. Les Patton eurent trois enfants : Beatrice II en 1911, Ruth Ellen en 1915, et George Smith en 1923. Les filles épouseront des officiers et George S. Patton III entrera à son tour à West-Point.
Mari comblé, brillant cavalier, fréquentant la haute société de la Nouvelle-Angleterre, Patton est prêt à attirer l'attention sur lui. Envoyé d'abord à Fort Sheridan (Michigan), il rejoint dès 1911 Fort Myer, près de Washington. C'est l'affectation idéale pour unjeune officier ambitieux. Rencontrant officiers généraux et hommes politiques, il participe à des courses de chevaux, à des concours hippiques, à des rencontres de polo. Le lieutenant Patton attire ainsi par son exubérance et son enthousiasme, l'attention et l'amitié du Chef d'Etat-Major de l'Année, le général Leonard Wood, et du secrétaire d'Etat à la Guerre, de 1911 à 1913, Henry Stimson. Bien que républicain, Stimson retrouvera ce poste avec Roosevelt, trente ans plus tard, de 1940 à 1945, ce qui ne nuira point à la carrière du général Patton. Mais il faut de grands exploits à ce jeune officier : les Jeux Olympiques de 1912 à Stockholm vont lui en fournir l'occasion.
Les jeux olympiques et la découverte de l'Europe
En 1912, les Jeux Olympiques sont organisés par la ville de Stockholm et, parmi les compétitions prévues, apparaît pour la première fois le Pentathlon moderne, épreuve quasiment réservée à des équipes militaires car elle regroupe le tir au pistolet, la natation, la course à pied, l'équitation et l'escrime. Grâce à ses capacités athlétiques, Patton est choisi avec cinq autres officiers pour représenter les Etats-Unis dans cette compétition. Avec le reste de l'équipe américaine, il part pour la Suède à bord du Finland, accompagné de ses parents, de sa soeur Anne et de sa femme Béatrice. Le séjour à Stockholm est un succès : Patton, avec sa silhouette athlétique - il mesure plus de 1,80 m - devient populaire, autant parmi ses compatriotes que chez les Suédois. Il n'obtient pas de médaille au Pentathlon car il est devancé sur le podium par trois Suédois, mais il termine quatrième des quarante-trois concurrents initiaux, seul Américain à avoir franchi les épreuves préliminaires. Malchanceux au tir, il finit premier en escrime et reçoit l'ovation de vingt-cinq mille spectateurs à la finale du 4000 mètres.
Après le séjour en Suède, George et Beatrice entreprennent un voyage en Europe, plus particulièrement pour venir à l'École de Cavalerie de Saumur. Patton compte certes y pratiquer l'équitation mais il veut surtout se perfectionner en escrime auprès du Maître d'Armes Cléry. Il regagne alors Fort Myer où il applique son savoir récent, faisant adopter un nouveau modèle de sabre pour la cavalerie. C'est un succès flatteur pour un jeune sous-lieutenant. Il revient en France avec Beatrice dès l'année suivante, en 1913, rejoignant Saumur une seconde fois, améliorant ses talents d'escrimeur pour obtenir le brevet de Maître d'Armes. Il pratique la langue française et entreprend, avec l'aide de Beatrice, la traduction anglaise des manuels d'escrime français. Tous deux profitent de ce second séjour en France pour visiter la Bretagne et la Normandie, en particulier la région de Saint-Lô. Comment auraient-ils pu prévoir que trente ans plus tard, devenu commandant d'armée, Patton retrouverait pour sa plus grande gloire ces paysages familiers ?
À l'issue de ce second voyage en Europe, Patton est affecté à l'Ecole de Cavalerie de Fort Riley (Kansas), en tant qu'instructeur d'escrime, recevant le titre nouvellement créé de Master of the Sword (Maître d'Armes). Puis c'est une affectation au Texas, à Fort Bliss, près d'El Paso, sous les ordres du brigadier-général John J. Pershing, commandant la 8e Brigade d'infanterie.
L'Expédition Punitive
Depuis deux ans, la Grande Guerre a éclaté en Europe ; elle va devenir mondiale mais les Etats-Unis sont encore en dehors du conflit. C'est sur leur frontière méridionale que leur attention est retenue. Le Mexique est en pleine anarchie ; le pouvoir fédéral est convoité par des gouvernements rivaux, tandis que des bandes armées parcourent le pays, proposant leurs services au mieux offrant. Le gouvernement américain a renforcé la surveillance de la frontière pour prévenir les incursions de pillards. Le 9 mars 1916, le fameux Pancho Villa vient attaquer la petite ville de Columbus au Nouveau Mexique, y tuant quinze citoyens américains, dont sept hommes du 13e de Cavalerie qui y tient garnison. Aussitôt, ordre est donné à Pershing d'organiser une expédition pour poursuivre, même jusqu'en territoire mexicain, et châtier Pancho Villa.
Restée dans l'Histoire sous le nom d'Expédition Punitive, cette opération engage trois régiments d'infanterie, trois régiments de cavalerie, deux batteries de campagne et, le fait est à souligner, une escadrille d'aviation, l'ensemble étant placé sous les ordres de Pershing qui prend avec lui comme aide de camp le lieutenant Patton. Celui-ci est chargé de nombreuses tâches : la discipline et les activités du petit groupe de commandement, l'expédition des messages, la surveillance des dépêches des journalistes, la censure du courrier ainsi que toutes les missions de liaison et de contact. En mai, une occasion va s'offrir d'ajouter un peu de gloire à toute cette activité. Avec une patrouille de deux automobiles Dodge et une poignée d'hommes, Patton part à la recherche de fourrage pour les chevaux du quartier-général. S'approchant du ranch Rubio, au bord du lac Itascate, le détachement est accueilli par des coups de feu. Sautant à bas de leurs véhicules, Patton et ses hommes entreprennent de réduire cette résistance par un déluge de mitraille. Les Mexicains sont abattus (ils étaient trois); Patton rentre au quartier-général, rapportant les cadavres attachés sur le capot des véhicules. Patton conservera en souvenir les éperons de l'un des Mexicains. Cette aventure lui vaut une brève célébrité durant une semaine, mais peut-être était-ce là justement la première opération motorisée de l'armée américaine ? L'Expédition Punitive fait long feu : Pancho Villa disparaît dans les sierras mexicaines, tandis que le dispositif américain s'alourdit (plus de 175.000 hommes à la fin de 1916). Un accord de cessez-le-feu est signé en janvier 1917, Washington constatant l'impossibilité de retrouver Villa au milieu d'un terrain difficile et d'une population largement hostile aux Gringos venus du Nord. En outre, la situation en Europe s'aggrave et le président Wilson veut se débarrasser de l'épine mexicaine.
L'expédition mexicaine est une expérience très positive pour Patton. Il a connu le vrai bruit des balles, il a montré ses talents de chef et d'organisateur et surtout il a observé Pershing, ses méthodes de commandement, son comportement vis-à-vis de ses subordonnés, sa façon de donner les ordres. Dans une lettre à sa femme, Patton reconnaît " qu'il a beaucoup appris sur son métier " . Il revient du Mexique avec la barrette de lieutenant (il a été nommé en mai 1916) et en tant que commandant du quartier général de Pershing. Les Etats-Unis vont entrer dans la guerre aux côtés des Alliés Pershing est désigné pour prendre le commandement de l'American Expeditionnary Force (A.E.F). Il emmène donc Patton avec lui en Europe.
L'expérience du front
En 1914, lors de l'ouverture des hostilités en Europe, Patton, encore tout frais de son second séjour en France, avait songé à s'engager soit dans l'armée française, soit dans l'armée canadienne, ainsi que le faisaient de nombreux jeunes Américains. Il s'en était ouvert au général Wood, qui quittait alors son poste de chef d'État-Major de l'Année ; Wood lui avait très nettement déconseillé de le faire car, pensait-il avec raison, tôt ou tard les Etats-Unis seraient officiellement impliqués dans le conflit. En un sens ce conseil avait été profitable puisqu'il avait permis à Patton de faire son expérience mexicaine et de se retrouver dans l'équipe de Pershing lorsque celui-ci fut désigné pour commander la force expéditionnaire américaine en Europe.
C'est ainsi que, partis de New York le 28 mai 1917, Pershing et son état-major arrivent en Ecosse le 8 juin, traversent la Grande-Bretagne avec un court arrêt à Londres, débarquent à Boulogne le 13 juin et arrivent à la gare du Nord le même jour, accueillis par les ovations des parisiens. Le lendemain, Patton escorte Pershing aux Invalides où celui-ci s'incline devant le tombeau de l'Empereur ; à partir du 16 juin, il installe le quartier-général de l'A.E.F. nie de Constantine, puis au 73 de la rue de Varenne, dans le VIIe arrondissement. Patton, lui, s'installe au 40 de la rue d'Artois. C'est ensuite le premier défilé américain dans les rue de Paris à l'occasion de l'Independance Day (4 juillet), puis les visites aux quartiers-généraux français à Compiègne et anglais à Montreuil-sur-mer, où le général Douglas Haig remarque dans ses carnets " ce capitaine qui semble vouloir manger du feu " . Pershing fixe son quartier général opérationnel à Chaumont en Haute-Marne le let septembre 1917.
Quand Patton eut achevé l'installation et la mise en marche du Q.G. américain, il demanda à Pershing la permission de servir dans une unité combattante. Pershing lui donna le choix entre un bataillon d'infanterie ou le nouveau Tank Corps, qui n'existait pas et où tout était à faire. Sans hésiter, il choisit le Tank Corps, commençant par un stage de formation au camp de rassemblement des unités françaises à Champlieu, au Sud de la forêt de Compiègne. Le 18 novembre, il quitte Chaumont pour ce stage de quinze jours au cours duquel il apprend à conduire, tirer, entretenir et connaître les mécanismes compliqués du nouvel engin de combat. Il s'entretient en français avec le général Estienne, le père des chars, et reprend la traduction des manuels et des bulletins français. De Champlieu il se rend à Albert (Somme) où les Britanniques ont installé le P.C. de leurs formations de chars. Ceux-ci ont été engagés le 20 novembre et Patton recueille auprès des officiers anglais, en particulier du colonel J.F.C. Fuller (futur théoricien des blindés avec le capitaine Liddell Hart) le récit instructif de leurs succès et de leurs déboires (l'offensive de Cambrai débute par une remarquable percée du Royal Tank Corps, mais échoue par manque d'unités de réserve et de coordination avec l'aviation britannique). Après Champlieu. Patton revient à Paris pour visiter les usines Renault où, pendant une semaine, dans les ateliers de Boulogne, il se familiarise avec la fabrication du FT 17, dont le gouvernement français songe à passer commande à l'industrie américaine pour compléter les fabrications prévues en France en 1918.
De retour à Chaumont, Patton rédige un rapport très apprécié sur l'ensemble de sa mission et se voit aussitôt chargé de créer l'École des chars légers américaine à Langres, tout en prenant le commandement du Centre d'entraînement des Tanks n° 302, qu'il installe à quelques kilomètres plus au Sud, à Bourg. Les premiers volontaires arrivent au début de janvier 1918 ; l'instruction commence et le capitaine Patton (nouvellement promu) reçoit son premier char le 23 mars. D'autres suivent bientôt et en avril il peut organiser devant des représentants de l'état-major américain un premier exercice combiné chars-infanterie. Puis fin avril, sur sa demande, il se rend avec cinq de ses lieutenants dans le secteur de Montdidier (dans l'Aisne), où les Français du général Debeney ont préparé une contre-attaque avec des chars. Il passe ainsi une semaine à visiter les unités, à connaître la ligne de feu, à subir des tirs d'artillerie ennemie et à interroger aussi bien les équipages français que les Sammies de la le Division U.S., qui vient de faire ses premières armes à Cantigny. Tout se serait bien passé s'il n'avait failli avoir la gorge tranchée au cours d'un accident de voiture. Le major G.S. Patton - les promotions sont rapides en temps de guerre, quoiqu'elles ne soient jamais définitives dans l'armée américaine - suit les cours du General Staff College, que Pershing a installé à Langres, tout en poursuivant l'instruction de ses unités de chars qui forment la 304e Tank Brigade, à deux bataillons blindés, sur chars Renault.
Enfin le 20 août la 304e Tank Brigade reçoit l'ordre de rejoindre le front devant la poche de Saint-Mihiel, que la 1re Armée américaine, commandée par Pershing, est chargée de réduire. Un groupement de chars, composé d'unités américaines et d'unités françaises (14e et 17e groupes de chars), doit être engagé en appui des 1re D.I. US. et 42e D.I. US. (dans laquelle le jeune général Mac Arthur commande une brigade). L'axe d'attaque prend la Woëvre dans sa longueur : Flirey, Essey, Beney. L'offensive débute le 12 septembre ; le 15 au soir, les Allemands (Détachement d'Armée Fuchs) ont été rejetés sur une ligne Fresnes-en-Woëvre-Champey : Saint-Mihiel est libéré. Durant ces trois jours de combat, Patton a montré tous ses talents d'expert en blindés. Impatient de suivre ses bataillons, il quitte son P.C. et se retrouve auprès des éléments de tête à diriger la progression de ses chars. La question du ravitaillement en carburant sera pour lui la leçon de cette première grande attaque. Après ce succès, Patton, nommé lieutenant-colonel, reçoit l'ordre de conduire sa brigade au Nord-Ouest du secteur Meuse-Argonne, dans la zone de Clermont-sur Argonne.
Toujours avec les 16 divisions de sa 1re Armée, Pershing attaque le 26 septembre entre la Meuse et la Suippe. Mais la résistance allemande se durcit, menée par de petites unités de vétérans qui font des massacres dans les rangs serrés des Américains. Patton tombe victime des mitrailleuses allemandes le soir de l'attaque ; une balle lui a traversé la cuisse alors qu'il essayait de rallier ses équipages et l'infanterie d'accompagnement. Son ordonnance le traîne dans un trou d'obus, d'où il donne ses derniers ordres avant d'être évacué. Hospitalisé à Dijon, il rejoint la ligne de front clandestinement, ne voulant pas manquer la grande offensive prévue pour le Groupe d'Armées américain, nouvellement créé sous les ordres de Pershing. Malgré cette incartade il est nommé colonel le 17 octobre et reçoit la Distinguished Service Cross (pour ses actions d'éclat) et la Distinguished Service Medal (pour avoir créé et organisé l'Ecole des Chars), et bien entendu la décoration des blessés, le Purple Heart. Il avait conduit ses hommes au feu avec distinction. avait acquis une expérience unique, mais il s'était fait peu d'amis.
Quand il rejoint le Q.G.. de Pershing, Patton apprend que l'armistice est signé ; la guerre est finie ; il a trente-trois ans. Il profite de sa convalescence pour revoir les champs de bataille où il s'est battu, puis rejoint sa brigade de chars. Il la conduit à Marseille à la fin de février 1919, où il embarque avec elle pour regagner les États-Unis. Le premier livre de son expérience militaire vient de s'achever.
L'entre-deux-guerres
De retour aux Etats-Unis en mars 1919, Patton subit la première conséquence du temps de paix : le réajustement des promotions de guerre. De colonel, il redevient capitaine pour être immédiatement renommé major (1er juin 1919). Viennent ensuite les grandes décisions politiques : un National Defense Act est voté par le Congrès le 4 juin 1920, qui réorganise l'année américaine en tenant compte de l'expérience opérationnelle et logistique des années 1917-1918.
Pour Patton, tout est dans le devenir du Tank Corps. Dès 1919 celui-ci a été dispersé ; ensuite le National Defense Act décide que le Tank Corps sera rattaché à l'infanterie et non pas à la cavalerie. Le Congrès sui' ainsi la tendance générale héritée des derniers combats de la Grande Guerre : le char accompagne le fantassin. Patton, qui connaît son sujet, sait bien que le char est le complément du cheval, en attendant de le remplacer. Aussi demande-t-il à retourner dans la cavalerie, tout en continuant à s'intéresser au tank, à son évolution technique comme à sa doctrine d'emploi. Malgré ce choix, il est nommé au Tank Board, comité technique chargé de suivre l'évolution des matériels et de doctrines. Ayant ainsi conservé une qualification pou les " Blindés " , Patton sera toujours considéré comme apte à revenir dans cette spécialité. Le Chief Cavalry, équivalent de l'Inspecteur de la cavalerie français, écrira de lui : " En même temps que remarquable cavalier, il est aussi d'une remarquable compétence dans le domaine de la mécanisation, grâce à son expérience en France avec le Tank Corps et à son intérêt constant dans les études sur ce sujet " . Patton sait bien que les tanks rattachés à l'infanterie y gagneraient en puissance de feu, mais qu'appartenant à la cavalerie ils y gagneraient en mobilité. Il imagine également sans peine que les études et le développement de nouveaux matériels vont être un poids pour un budget militaire constamment anémique et que ce n'est pas dans ce domaine qu'il pourra poursuivre sa recherche de célébrité. Enfin, il sait que Pershing doit devenir chef d'État-Major de l'Armée, en remplacement du général March. Pershing est un cavalier, il est donc sage de retourner dans la cavalerie pour entretenir une vieille amitié.
Ainsi, Patton retrouve-t-il les unités à cheval et redevient-il le gentleman-rider qu'il était avant la campagne de France. Il rejoint d'abord Fort-Riley (Kansas), puis suit les cours du Command and General Staff College à Fort-Leavenworth (Kansas), équivalent de l'Ecole d'Etat-Major française ; il est affecté à Boston, avant d'être envoyé à Hawaï. Il revient sur le continent pour suivre les cours de l'Army War College (Ecole de Guerre américaine) à Washington D.C., d'où il rejoint Fort-Myer, tout proche, au 5e de Cavalerie. Il est encore major, mais il va connaître une célébrité relative en participant sous les ordres directs de Mac-Arthur à la répression de la Marche du Bonus (21 juillet 1932). À la suite de la Grande Dépression de 1929-1930, un certain nombre d'anciens combattants de l'American Expeditionnary Force réclame au gouvernement fédéral un " bonus " pour leurs services militaires de 1917-1919. Les manifestants et leurs familles marchent sur Washington et s'installent dans les parcs autour de la Maison Blanche. Roosevelt demande à l'armée de faire dégager les lieux. Mac-Arthur, qui est chef d'État-Major depuis 1930, mène en personne l'opération avec six cents fantassins et cavaliers. Les deux officiers chefs de détachement sont respectivement le major D.D. Eisenhower et le major G.S. Patton. L'Histoire sait parfois faire des clins-d'œil. Après cet épisode, Patton repart pour Hawaï, puis retourne à Fort-Riley, puis à nouveau à Fort-Myer. Il a été promu lieutenant-colonel, puis colonel ; en 1939 il commande le 5e Régiment de cavalerie, toujours à Fort-Myer (Washington D.C.). Il a cinquante-quatre ans. Ses deux filles sont mariées et le jeune George est au Virginia Military Institute, en attendant d'entrer à West-Point. Il semble que la carrière de Patton doive s'achever tout banalement par une retraite en temps de paix.
La guerre a de nouveau éclaté en Europe, dans la suite logique du Traité de Versailles. Patton a entretenu ses connaissances sur les tanks et leur emploi. Il a lu Fuller et Liddell Hart, Guderian et même les écrits d'un officier français, le colonel Charles de Gaulle. Il a travaillé, grâce au Tank Board, avec l'ingénieur J.W. Christie qui développe un nouveau type de suspension permettant aux blindés une plus grande vitesse (c'est ce type de suspension que les Soviétiques retiendront pour leur fameux T 34 et que les Allemands copieront pour leur PANTHER). Il s'est également intéressé à l'infanterie en proposant pour les divisions une organisation ternaire (cette organisation sera celle des divisions mises sur pied par l'U.S. Army à partir de 1942), mais, toujours cavalier, il améliore le dessin de son sabre 1912 et propose un nouveau paquetage de selle. Son intuition le pousse enfin à passer son brevet de pilote d'avion. A côté du polo et des concours hippiques, Patton est resté très au courant de l'évolution de l'outil militaire et de son emploi. Il a suivi les conflits qui marquent la montée des dictatures : invasion de la Mandchourie, guerre italo-éthiopienne, guerre d'Espagne, guerre sino-japonaise, au cours desquelles des tanks sont employés, le plus souvent en appui de l'infanterie. Avec le coup de tonnerre de la campagne de Pologne (septembre 1939), où l'armée allemande donne le meilleur rendement aux caractéristiques de mobilité et de puissance de feu des blindés, la Wehrmacht illustre parfaitement une remarque que Patton avait faite jadis : " Une armée sans tanks est un homard sans pinces... "
La révélation du rôle des blindés dans une guerre moderne provoque une grande agitation dans les hautes sphères militaires de Washington. Les Etats-Unis peuvent être à nouveau entraînés dans le conflit, bien que pour l'heure, dans le souvenir de la Première Guerre mondiale, l'opinion américaine soit très isolationniste. Pour Patton, une série d'événements va favoriser un nouveau départ. En premier lieu, depuis septembre 1939, le nouveau chef d'État-Major de l'Armée est le général George Marshall. Marshall a servi pendant la campagne de France en tant que chef du Bureau des Opérations de Pershing ; Patton et lui se connaissent bien, même s'ils ne sont pas particulièrement proches (peut-être parce que l'un est fantassin et l'autre cavalier ?). Ensuite, dès juin 1940, Marshall décide la création d'une Armored Force en vue d'expérimenter l'organisation et les matériels des nouvelles unités blindées qui viennent d'être mises sur pied, et pour donner une caractéristique moderne à l'armée américaine. Cette Armored Force est confiée au général Adna Chaffee Jr. Au même moment, le président Roosevelt appelle au Secrétariat d'Etat à la Défense Henry Stimson, qui, on l'a vu, avait déjà tenu le poste en 1912 et dont le jeune lieutenant Patton s'était fait remarquer. Le colonel Patton n'hésite pas à envoyer à ces trois personnalités des lettres de félicitations flatteuses, hébergeant même Marshall dans sa résidence de Fort-Myer en attendant que les appartements du Chef d'État-Major soient remis à neuf. Au général Chaffee, Patton peut rappeler sa prestation d'arbitre dans les récentes manœuvres de Louisiane et, grâce aux notes que lui avaient données jadis l'Inspecteur de la Cavalerie, il se voit placé sur la liste des colonels méritant une promotion au rang de brigadier-général, aptes à commander une brigade blindée. Aussi, en juillet 1940, alors qu'il est en permission dans sa propriété du Massachussetts, apprend-il par la presse qu'il est désigné pour rejoindre la 2e Division Blindée à Fort-Benning (Géorgie). Le commandant de cette division, le général C. Scott, est un vieil ami ; il confie à Patton le commandement de la 2e Brigade Blindée. Celui-ci entreprend de former et d'entraîner ses hommes avec la vigueur et le réalisme qui le caractérisent, autant pour le combat que pour la connaissance technique de leur matériel. En avril 1941 il est nommé major-général et prend le commandement de la 2e Division Blindée.
La préparation à la guerre
Sans délai Patton se consacre à la prise en main et à l'entraînement de sa division. Il obtient la première par des allocutions inspirées des harangues napoléoniennes, il développe le second grâce aux mouvements rapides sur route et en tout terrain, et aux écoles à feu, d'abord en Géorgie puis dans des grandes manœuvres, en particulier dans le Tennessee, à Camp Forrest, dès juin 1941. C'est à cette occasion qu'il baptise ses unités blindées l'Enfer sur roues : en effet, il réussit à percer le dispositif du parti adverse et à s'emparer de son quartier général. La manoeuvre n'a duré que neuf heures, au lieu des plusieurs journées prévues. Il est noté comme " un chef extrêmement énergique et capable " . Après les manoeuvres du Tennessee, la 2e D.B. fait mouvement en août vers la Louisiane pour une nouvelle série d'exercices combinés. C'est alors que l'ami et le protecteur de Patton, le général A.
Chaffee meurt d'un cancer généralisé. Il est remplacé par le général Jacob Devers, un artilleur sorti également de West-Point en 1909, comme Patton. Celui-ci n'est pas retenu pour commander l'Armored Force ; il en conservera une certaine rancune contre Devers, qui commandera plus tard un Groupe d'Armées sur le front occidental. Néanmoins, les manoeuvres de Louisiane sont à nouveau un succès militaire et (le mot n'existait pas alors) médiatique. La Presse suit les exploits et les performances de la 2e D.B. et de son chef. Le magasine " Life " consacre un numéro spécial à la Défense, le 7 juillet 1941 ; la couverture est illustrée d'une magnifique photo en couleurs de Patton, casqué, à bord de son char T 2, portant la plaque à deux étoiles de major-général. C'est dans ce reportage sur la Second Armored Division que Patton qualifie celle-ci de " force la plus puissante encore jamais créée par l'Homme " . Fin octobre, cet outil comparable à la Panzerdivision allemande est en Caroline pour de nouvelles manœuvres, où l'on expérimente le jumelage des 1re et 2e D.B. en un groupement blindé. Durant tout le mois de novembre, équipages et formations rivalisent d'enthousiasme et d'agressivité, voire d'esprit d'innovation, pour atteindre le succès. Les méthodes de Patton ne sont pas toujours orthodoxes mais elles réussissent. Le général Marshall vient assister à la fin des manœuvres de Caroline. Il est justement impressionné par le style de commandement de Patton. Son audace est impressionnante, sa volonté de vaincre, éclatante. À qui d'autre confier le commandement des soldats américains lorsqu'ils devront être engagés en de réels combats ?
Ces combats réels sont proches. De retour à ses cantonnements de Fort-Benning, la 2e D.B. apprend, en même temps que le reste des États-Unis, la nouvelle dramatique de l'attaque japonaise contre Pearl-Harbor. Patton, en historien, aura pu apprécier la surprise stratégique obtenue par ce nouvel adversaire. En officier américain, il aura pu réagir en défenseur de la patrie attaquée. En parfait " supporter " de sa propre destinée, il y aura vu un signe de Dieu pour retrouver la gloire et l'admiration de ses contemporains. En 1936, il avait souligné que " la guerre est l'épreuve suprême pour l'Homme " . L'Histoire lui donne ainsi une seconde occasion de se mesurer à lui-même et à ses pairs, amis ou ennemis. Ainsi, pour Patton, le passage de la paix à la guerre n'est-il pas aussi brutal et traumatisant que pour ses compatriotes ; simplement le cadre général de ses responsabilités et la finalité de l'entraînement rigoureux qu'il impose à ses subordonnés sont maintenant parfaitement clairs : il s'agit de se battre et de vaincre.
Dans la suite logique des manœuvres de l'année 1941, l'instruction des grandes unités est poussée au niveau supérieur : après les manoeuvres de division se placent les manoeuvres de corps d'armée. Patton, confirmé major-général, est désigné pour commander le 1re Corps Blindé qui regroupe les 1re et 2e Divisions Blindées. Il doit l'entraîner aux combats dans le désert : pour ce faire, il organise un centre d'entraînement sur une immense zone du Sud-Ouest des Etats-Unis, mordant sur les Etats de Californie, du Nevada et de l'Arizona. Il place son P.C. à Indio, en Californie. Le site est bien choisi : importante variation de température journalière, quelques points d'eau, des dunes de sable et peu de végétation. Installé au début de mars 1942, le camp est utilisé avec intensité sous l'autorité de Patton pendant trois mois ; marches, contre-marches, nuits dans le désert, tir à toutes les armes, exercices avec munitions réelles, tout est fait pour préparer aux rudes conditions de la guerre en Libye.
En effet, l'entrée en guerre des Etats-Unis laisse entrevoir l'ouverture d'un second front pour soulager l'armée soviétique, qui ne cesse de recevoir les coups de boutoir de la Wehrmacht. Les Américains voudraient débarquer en Europe et marcher directement vers le coeur de l'Allemagne. Les Anglais préfèrent occuper l'Afrique du Nord pour menacer les arrières de l'Afrika Korps et soulager la pression des Germano-italiens de Rommel sur la 8e Armée britannique. Après une période d'hésitations, engagé par ses promesses à Staline et à Molotov, Roosevelt impose à son état-major réticent le débarquement en Afrique du Nord. L'opération Gymnast anglaise devient l'opération Torch anglo-américaine (25 juillet 1942) ; elle doit être entreprise le plus tôt possible pour aider les Russes. Roosevelt refusant de se séparer de son chef d'état-major de l'année, le général Marshall. C'est l'adjoint de celui-ci, le général Eisenhower, qui est désigné pour commander l'ensemble des forces engagées. Dès le 31 juillet, les travaux de préparation commencent à Londres, dirigés par le général Gruenther. Le débarquement aura lieu sur trois grandes zones : deux en Méditerranée, autour des ports d'Alger et d'Oran, avec des troupes anglaises et américaines, et une zone en Atlantique, sur la côte occidentale du Maroc, autour de Casablanca, uniquement avec des troupes américaines. Le major-général Patton est choisi par Marshall pour commander la Western Task Force. Il avait été pressenti dès la fin de juin pour commander une division blindée que Roosevelt voulait envoyer en Égypte pour aider les Anglais à ralentir l'avance de Rommel sur El-Alamein. L'affaire n'avait pas eu de suites à cause des délais mais, fin juillet, à Indio, Patton reçoit l'ordre de rejoindre Washington. Il en repart pour Londres quelques jours plus tard, pour rejoindre Eisenhower et préparer la participation de la Western Task Force à l'opération Torch.
L’opération Torch
Conservant avec lui les officiers de l’état major du 1er corps blindé, Patton planifie les opérations de débarquement et l'engagement de ses grandes unités. La Western Task Force est composée de trois divisions : les 3e et 9e d'Infanterie, la 2e Blindée, plus un certain nombre d'éléments de corps d'armée (tank-destroyers, transmissions, génie). Chacune des divisions est chargée d'un secteur de débarquement mais leurs moyens se répartissent en trois groupements :
- au Sud, le groupement Harmon (2e D.B.) a pour objectif Safi,
- au centre, le groupement Anderson (3e D.I.) doit s'emparer de Fédala et de Casablanca,
- au Nord, le groupement Truscott (9e D.I.) vise Port-Lyautey et Rabat.
Après s'être entraînées en Californie, pour la 3e D.I., et en Caroline du Nord, pour la 9e D.I. et la 2e D.B., les troupes (37.000 hommes et 252 chars) se regroupent à Norfolk et à Hampton Road, dans la baie de la Chesapeake en Virginie. Elles embarquent sur trente-neuf transports et cargos, escortés par trois cuirassés, six croiseurs, cinq porte-avions et trente-cinq destroyers. Patton embarque sur le croiseur Augusta d'où l'amiral Henry Hewitt commandera les phases de mouvement, puis de conquête des plages. Le 24 octobre, la Western Task Force prend la mer. A la différence des deux autres Task Forces qui viennent de Grande-Bretagne, la Western Task Force doit traverser l'Atlantique et éviter de se faire repérer par les sous-marins allemands. Prenant la route de l'Angleterre puis se rabattant vers le Sud comme pour aller à Dakar, Hewitt n'a été menacé que par deux jours de mauvais temps, entre le 28 octobre et le 7 novembre, lorsqu'il se présente au soir devant les côtes marocaines. Quant à Patton, il a apprécié les menus de la table du commandant.
Le débarquement a lieu à l'aube du 8 novembre sur les trois zones d'attaque repérées. Les troupes françaises du Maroc, fermement tenues en mains par leurs officiers fidèles au maréchal Pétain, se défendent avec opiniâtreté. Le général Béthouart avait essayé sans succès d'empêcher l'affrontement entre Alliés et Français. Les débarquements à Casablanca et à Port-Lyautey sont très durs. L'artillerie côtière, les sorties de la 2e escadre légère (amiral Gervais de Lafond) et l'artillerie principale du cuirassé Jean Bart retardent la mise à terre, puis la progression des groupements Nord et Centre. Patton ne peut débarquer que le lendemain, 9 novembre. La 3e D.I. est arrêtée devant Casablanca ; la 9e D.I. doit enlever de force la Casbah de Port-Lyautey défendue par le lei Régiment de Tirailleurs Marocains. En revanche, à Safi, Harmon a débarqué sans difficultés et lance ses blindés sans retard vers Casablanca.
Aussitôt débarqué, Patton prend ses troupes en mains. Il réorganise les unités, assigne des missions, fixe des objectifs, encourage les uns, morigéne vertement les autres. Tout en regardant vers l'avant, il surveille l'arrivée des appuis et des approvisionnements. Ensuite, il mène lui-même l'attaque contre la batterie de Fédala et prépare l'attaque générale contre Casablanca, la 9e D.I. venant de Rabat, la 3e D.I. reprenant son mouvement et les blindés de la 2e D.B. accourant de Safi. Pour réduire l'obstination de la Marine française qui continue d'interdire l'accès de la ville en dépit de l'ouverture de pourparlers entre les unités françaises et les forces débarquées, l'assaut est prévu pour le 11 novembre. Pendant ce temps, les événements politiques ont évolué, notamment à Alger où le général Mark Clark, adjoint d'Eisenhower, a rencontré l'amiral Darlan pour exiger et obtenir un cessez-le-feu sur toute l'Afrique du Nord. Ordonné le 10 novembre, cet armistice n'est effectif au Maroc que le lendemain 11 novembre au matin. Patton peut une nouvelle fois marquer son anniversaire d'un événement mémorable.
Maroc et Tunisie
Patton installe le P.C. de la Western Task Force à Casablanca, dans l'immeuble de la compagnie Shell. La W.T.F. a une double mission : défense extérieure et sécurité intérieure. Il s'agit d'empêcher une intervention allemande ou espagnole à travers le détroit de Gibraltar. Les troupes alliées risqueraient de se retrouver dans la situation où elles-mêmes avaient mis les Germano-italiens de Tunisie et de Libye. Après avoir été réorganisées et recomplétées, les trois divisions de la W.T.F. se regroupent autour de Casablanca : au Nord, la 3e D.I. s'installe dans la zone Fédala-Rabat, détachant un régiment à Oujda, ville-étape importante entre Maroc et Algérie, la 9e D.I. s'installe à Port-Lyautey et la 2e D.B. se concentre aux sorties du petit port de Salé.
Quant au commandant de la W.T.F., il se familiarise avec l'environnement politique. Percevant bien la situation complexe entre les autorités marocaines, l'administration du Protectorat français et la présence des troupes américaines, il s'efforce de ménager les susceptibilités, de flatter les amours-propres, tout en manifestant la prééminence américaine. Le 16 novembre il se rend à Rabat pour y rencontrer le général Noguès, résident français, puis le Sultan du Maroc, Mohammed ben Youssef. Patton est impressionné par la Garde Noire du sultan et par le chapeau chinois de la Nouba. Cette première visite sera suivie de nombreuses autres, au cours desquelles se développera une certaine amitié entre les deux hommes, ainsi qu'avec le prince héritier, Hassan, actuel roi du Maroc, alors âgé d'une quinzaine d'années. Patton se garde d'entamer la crédibilité des Français auprès des Marocains, n'intervenant pas dans les affaires administratives ou politiques. Il reconnaît que seule la présence française garantit l'ordre. Sans être particulièrement chaleureuses, les relations entre les deux armées, française et américaine, sont bonnes : Patton exige que les G.I. saluent les officiers français, faisant remarquer que " jusqu'à présent les troupes françaises sont plus correctes avec nous que nous avec elles " . En reconnaissance de son passé, de son rôle au cours des journées critiques du débarquement et de sa francophilie, il est fait Commandeur de la Légion d'Honneur. Le sultan du Maroc, quant à lui, le décore de la Grand Croix du Ouissam-Alaouite, assortie d'une citation où il est écrit : " ...et les lions dans leurs tanières tremblent en le voyant approcher " . Nul doute que cette comparaison épique avec un paladin médiéval l'ait profondément touché.
Durant quatre mois, Patton est maintenu au Maroc, administrant sa W.T.F., rendant visite aux autorités espagnoles, les impressionnant par le déploiement de la 2e D.B. Toutefois, Patton subit personnellement une déception : Eisenhower crée la 5e Armée américaine et la confie à son adjoint Clark. Plus jeune en âge et en grade, Clark était encore lieutenant-colonel en 1940, alors que Patton était déjà major-général. Pis encore, les deux généraux sont appelés à se voir fréquemment, le P.C. de la 5e Armée étant fixé à Oujda. Néanmoins, Patton s'intéresse à ce qui se passe en Tunisie. Il va, à la mi-décembre, inspecter les unités blindées détachées auprès des Anglais. Leur situation est grave : les chars légers M 5 ne peuvent rivaliser avec les blindés allemands. Les Sherman M 4 ne sont pas encore arrivés des Etats-Unis. Patton rapporte toutes ses observations à Eisenhower lorsqu'il s'arrête à Alger, à son retour. La 5e Année est officiellement activée le 4 janvier 1943 ; Clark est désormais responsable des forces américaines au Maroc. Patton s'efface devant lui dans les relations avec les autorités françaises et marocaines.
Il est toutefois responsable de la sécurité de la Conférence que Roosevelt et Churchill sont convenus de tenir à Casablanca. Justement codifiée sous le nom de Symbol, cette réunion est plus connue sous le nom de Conférence d'Anfa. Elle regroupe les États-majors et les conseillers des deux leaders alliés. Patton y trouve l'occasion de revoir ses anciennes relations de Washington, notamment le général Marshall, et d'approcher les Grands du moment : Roosevelt, Churchill, Harry Hopkins, le général Alan Brooks, l'amiral Cunningham... La Conférence d'Anfa tente, entre autres sujets, de régler les relations entre le général Giraud, qui a succédé à l'amiral Darlan assassiné, et le général de Gaulle, venu de Londres où il a animé la " France Libre " depuis juin 1940. Sur le premier, Patton porte ce jugement sévère : " Type même du vieux gaulois aux yeux bleus et à l'intelligence limitée. J'ai bien peur qu'il soit trop militaire pour faire un bon dictateur " .
L'une des décisions prises à Anfa concerne la Sicile où les forces alliées devront débarquer au printemps suivant. Eisenhower est désigné pour commander l'opération. Les forces engagées comprendront la 8e Armée britannique avec Montgomery, et le IIe Corps américain dont Patton conserve le commandement. Celui-ci se met au travail sans tarder avec son équipe de fidèles. Survolant le champ de bataille tunisien, il se rend même à Tripoli pour y rencontrer Montgomery ainsi que ses officiers, originaires de tout le Commonwealth.
La campagne de Tunisie avait commencé sous de mauvais augures. Les Français, divisés en partisans de la résistance aux Allemands et fidèles du maréchal Pétain, n'avaient pas su organiser et assurer la sauvegarde de la zone stratégique Tunis-Bizerte, qui avait été rapidement occupée par des éléments germano-italiens. Les Anglais, débarqués à Bône, n'avaient pas profité des premières heures de surprise pour pousser leurs éléments rapides vers Tunis. 1è lors, il fallait reprendre la Tunisie aux forces de l'Axe. qui pouvaient espérer recevoir le renfort des unités de l'Afrika Korps se repliant après l'échec que leur avait infligé la 8e Armée britannique à El-Alamein.
En janvier 1943, la 1re Armée britannique conduit les opérations sur le front occidental de Tunisie : elle coiffe le Ve Corps britannique au Nord, le XIXe Corps français au centre et le IIe Corps américain au Sud, commandé par le major-général Fredendall. Celui-ci avait mené le débarquement allié sur Oran mais ses capacités de commandement et sa pugnacité semblaient fortement atténuées depuis le début des combats en Tunisie. Du côté adverse, Rommel qui a pu se dégager de ses poursuivants britanniques, arrive sur la ligne Mareth. Laissant ses corps d'armée italiens surveiller l'arrivée de Montgomery, il se retourne face à l'Ouest, avec ses deux divisions blindées (la 10e et la 21e PzD) et la division Centauro italienne. Articulées en deux puissantes colonnes, ces forces débouchent le 14 février sur la ligne tenue face au Sud-Est par le IIe C.A.U.S. et un rideau de troupes françaises. La 1re D.B.US (général Ward) est culbutée au col de Faid, entraînant le repli général du IIe Corps sur la crête de la Grande Dorsale, et l'abandon de Gafsa. Prenant comme objectif la petite agglomération de Sbeitla, Rommel entreprend de franchir la Grande Dorsale. La 21e PzD. est arrêtée à la passe de Sbiba par le XIXe Corps français ; en revanche, la 10e PzD. force la passe de Kasserine tenue par la 1re D.I.US (général Allen) et marche sur Tébessa, en territoire algérien. L'alerte est générale chez les Alliés qui se voient tournés sur leurs arrières,
avec une grave menace sur Constantine. Fredendal songe à abandonner Tébessa pour se concentrer su Thala et le massif de l'Ouenza. Le général Juin convainc de n'en rien faire, alors que la 6e D.B. britannique " roque " vers le Sud pour renforcer le Américains. Le premier véritable engagement à troupes américaines contre un adversaire déterminé ne s'était pas conclu par beaucoup de gloire : le IIe Corp avait perdu 7.000 hommes (dont 4.000 prisonniers 235 chars et 110 véhicules blindés, sans compter les impedimenta logistiques. Aussi, pour insuffler un esprit plus combatif et remonter le moral des unités étrillée Eisenhower convoque-t-il Patton à Alger le 4 man tandis qu'il prépare ses bagages, le général Be& Smith, chef d'État-major d'Eisenhower, lui apprend par téléphone qu'il vient d'être désigné pour remplace Fredendall, relevé de son commandement et renvoyé aux Etats-Unis, où il prendra le commandement de la 2e Armée. Outre une certaine satisfaction professionnelle ( " les combats de Tunisie sont affaire de chars et j'en connais davantage sur les chars... "), cette désignation le touche personnellement : en effet, son gendre, le colonel Waters, mari de sa fille aînée Béatrice, a été fait prisonnier à Sidi-Bon-Zid le 16 février avec les survivants de son groupement. Pour l'heure, Patton abandonne les préparatifs de Husky (l'opération de Sicile), mais emmène avec lui quelques-uns de ses officiers : il veut avoir le plus d'atouts possibles dans son jeu lorsqu'il arrivera au Kouif (Sud-Constantinois) où est installé le P.C. du IIe Corps. Comme Patton est maintenu dans le projet de Sicile, Eisenhower lui affecte comme adjoint le général Omar Bradley qui lui succédera dès que l'évolution des combats le permettra. Enfin, en vue d'assurer son autorité, pour autant que cela soit nécessaire, Patton reçoit sa troisième étoile (lieutenant-général) le 12 mars. Comme ce fut souvent le cas dans l'histoire de l'armée américaine, c'est par la radio qu'il en sera informé. Un de ses rêves d'enfant s'est réalisé, mais " il y en a tellement que cela a perdu de son charme " (lettre à Béatrice, 13 mars 1943, dans Blumenson).
À peine installé au Kouif, Patton commence la reprise en mains de ses troupes en imposant une stricte discipline dans le comportement comme dans la tenue. Il compte ses unités : la 1re D.I., la 9e D.I. et la 1re D.B. La 1re D.I. US avait participé, avec la 1re D.B. , aux combats pour la prise d'Oran (Central Task Force) ; la 9e D.I. avait combattu avec Patton pour la conquête de Port-Lyautey. La 1re D.B., quant à elle, était la seule unité américaine à avoir combattu les Germano-italiens depuis le début ; ses soldats se considéraient comme des vétérans. Sur le terrain, Rommel doit se retourner contre Montgomery ; la mésentente dans le Haut-commandement de l'Axe et l'arrivée de la 8e Armée dans le Sud empêchent l'exploitation des succès allemands de la mi-février. En échange, la Ire Armée italienne et la 5e PzD. allemande sont désormais sur la défensive. Patton projette de lancer son 11e Corps sur l'axe Feriana-Gafsa-Gabés pour couper les arrières de Rommel et peut-être abréger les combats d'Afrique du Nord de plusieurs semaines. Les Allemands en sont également parfaitement conscients. Ils se retirent rapidement vers Gabés, laissant derrière eux d'immenses champs de mines. Le temps pour Patton de réorganiser son commandement et l'occasion est perdue. Néanmoins, Patton a l'intention de lancer son attaque sur Gafsa le 15 mars. Soudainement, les conditions météorologiques deviennent catastrophiques : des trombes d'eau se déversent sur les objectifs et les routes. L'attaque débouche le 17, avec deux jours de retard. Gafsa est occupée sans coup férir : les Allemands l'ont abandonnée mais, en revanche, ils s'accrochent aux cols de Maknassy et d'El-Guettan. Patton partage le IIe Corps en trois groupements : au Sud, des éléments de la 1e et de la 9e D.I. repoussent les Italiens de la Centauro sur El-Guettar ; au centre, la 1re D.B. est lancée sur Maknassy qu'elle occupe le 22 mars, mais elle se voit arrêtée par un fort groupement blindé équipé des nouveaux chars lourds TIGRE. Le général Ward, en dépit des stimulations de Patton, ne peut forcer la passe ; il est blessé dans les combats. Le général Harmon, que nous avons connu à Safi avec sa 2e D.B., vient le remplacer. Enfin au Nord, la 34e D.I., qui vient d'arriver, est poussée sur Sbeitla puis au-delà vers Fondouk-el-Aouareb. Le 7 avril, une colonne américaine rencontre la 8e Armée britannique sur la route d'El-Guettar à Gabés.
Patton a rempli sa mission mais il n'est pas autorisé à pousser jusqu'à la mer. Il en est particulièrement désappointé, furieux même ; désormais, tout au long de la guerre, il conservera beaucoup de ressentiment contre les Anglais. La dernière démonstration de ses capacités à la tête du IIe Corps consiste à regrouper ses divisions à l'arrière du front : la 9e D.I. autour de Bon Chebka, la 1re D.I. autour de Morsott et la 1re D.B. à Sbeitla ; il a perdu la 3e D.I. qui a été prêtée à un corps d'armée britannique. Ensuite, il réalise une belle performance logistique en organisant le mouvement de ses trois grandes unités, de la région de Tébessa au Nord de la Tunisie, par des itinéraires Sud-Nord qui coupent les axes principaux Est-Ouest. Une fois le IIe Corps installé dans sa nouvelle zone du Dejebel-Abiod à Beja, Patton passe, comme convenu, son commandement à Bradley, puis rejoint l'état-major du 1er Corps pour reprendre l'étude du débarquement en Sicile.
La campagne de Tunisie a fait connaître Patton comme chef de guerre, autant auprès des Alliés anglais et français que dans l'opinion américaine à qui la presse l'avait révélé peu avant la guerre. On peut mettre à son crédit les circonstances de sa prise de commandement, ses méthodes de reprise en mains, son talent de manoeuvrier. En revanche, déjà, son esprit vindicatif (surtout à l'égard des Britanniques), son (trop) rude langage de soudard, son obsession d'une " obéissance entière et d'une soumission de tous les instants " , ainsi que le disait le vieux règlement français, le rend insupportable à ses subordonnés et d'un commerce difficile avec ses chefs comme avec ses pairs. L'invasion et la conquête de la Sicile ne vont pas atténuer les contradictions de son personnage.
La campagne de Sicile
Dès son retour à la tête du 1er Corps, Patton reprend la mise au point de l'opération Husky. A la fin d'avril, les réunions reprennent à Alger sous la présidence du général anglais Alexander, commandant le 15e Groupe d'Armées, chargé de mener à bien l'opération. La date du débarquement est fixée au 10 juillet mais deux plans s'opposent : le plan américain, appuyé par Alexander, prévoit de débarquer à la pointe Nord-Est de l'île, de s'emparer de Palerme et de foncer en diagonale à la rencontre des Britanniques qui auront débarqué au Sud de l'île ; cette audace ne plaît guère à Montgomery qui préfère un débarquement de part et d'autre du cap Passero, sa 8e Armée à l'Est, le 1er Corps US (Patton) à l'Ouest. Il espère ainsi atteindre rapidement, et le premier, la ville de Messine, en face de l'Italie continentale. Après une série de réunions contradictoires et d'échanges de notes, c'est le plan Montgomery qui l'emporte ; Patton finit par s'y rallier, les préparatifs se poursuivent. En cette occasion, Patton porte un jugement que l'Histoire ne confirmera pas : dans son journal personnel, il note fin mai que : " Churchill dirige cette guerre et Husky ne l'intéresse pas " . En réalité, il s'est avéré que la politique anglaise cherchait bien à frapper le " ventre mou " de l'Axe pour pénétrer en Allemagne par l'Italie et l'Autriche, en opposition avec celle de Roosevelt et de Marshall, partisans de l'invasion par la France et la Belgique. Quoi qu'il en soit, le débarquement en Sicile est aussi l'occasion de mettre à l'épreuve tous les nouveaux matériels de débarquement : Landing Craft Motor (LCM), qui porte un char léger, Landing Craft Tank (LCT), qui emporte deux chars Sherman, Landing Ship Tank (LST), capable de transporter de quarante à soixante véhicules.
Après l'occupation de Pantellaria au beau milieu du détroit de Sicile, le 12 juin 1943, la 6e Armée italienne du général Guzzoni, avec ses deux corps d'armée, le 12e (Général Arisio) et le 16e (Général Rossi), et deux divisions allemandes, la 15e PzD et la PzD " Hermann Goering " , s'attend à l'évidence à recevoir l'invasion alliée sur les rivages de l'île. Le 10 juillet, comme prévu, le débarquement a lieu sur les plages de Cassibile, à l'Est, et de Gela, à l'Ouest.
Pour Patton, cette opération commence bien : il reçu en pleine mer notification que le 1er Corps Blindé, ex Western Task Force, devenait la 7e Anm américaine, coiffant le IIe Corps de Bradley (à deux divisions : la 1re D.I., qui deviendra célèbre sous le surnom de Big Red One - " le grand numéro Un rouge - et la 45e D.I.), et deux divisions indépendantes, la 3e D.I. et la 2e D.B., la 9e D.I. restant en réserve. Le débarquement britannique a lieu sans difficultés XXXe C.A. du général Leese avance plein Ouest pour donner la main aux Américains qui ont également débarqué facilement à Gela, à l'Est du petit port a Licata. Au matin du lendemain, la Panzer Divisé " Hermann Goering " et une division italienne déclenchent une violente contre-attaque blindée. La 1re D.I.US plie sous le choc, laissant les Mark IV allemands près d'atteindre les plages. Patton fait dong l'artillerie des croiseurs Savannah et Boise qui écrase l'attaque ennemie. L'alerte a été chaude, mais, à partir de ce moment, la résistance italienne va s'évaporer en face de la 7e Armée. Patton lance alors Bradley vers le centre de l'île (dès le 14 juillet la liaison est établie avec la 8e Armée britannique à Ragresa et à Comino) et s'empare d'Agrigente, à l'Ouest de Licata, mettant ainsi la main sur un port assez important pour recevoir son propre ravitaillement. Pendant ce temps, Montgomery a du mal à atteindre Messine par la côte. Il transfère donc le corps d'armée de Leese à l'Ouest de l'Etna, empiétant de ce fait sur la zone américaine. Il vient alors à Patton une idée de génie : il fait obliquer Bradley en direction de Termini, puis, formant un groupement de marche avec la 3e D.I. et la 2e D.B., il le confie au général Keyes avec l'objectif d'atteindre Palerme au plus vite. En quatre jours, du 18 au 22 juillet, Keyes remplit sa mission à un rythme de guerre-éclair ! Une fois la ville prise, la 9e D.I. qui était en réserve, y débarque et file le long de la côte en direction de Messine. La côte septentrionale étant alors neutralisée, Bradley, pendant ce temps, enlève Enna et marche sur Troina. Les Allemands, sous les ordres du général Hube, raidissent leur défense, recevant le renfort, tardif mais important, de la 29e PzG Division et de la 1re Parachutiste. Avec ces quatre grandes unités, Hube va ralentir la progression alliée, ce qui lui permet de se replier par le détroit de Messine avec l'essentiel de ses moyens. Patton, pour accélérer sa marche sur Messine, fait effectuer des débarquements en sauts de grenouille le long de la route littorale. II tient à parvenir le premier à Messine pour damer le pion à Montgomery. Celui-ci est toujours empêtré dans les chemins qui contournent l'Etna et, malgré les efforts des commandos de la 8e Armée, ce sont les G.I. de la 3e D.I. US (Général Truscott) qui pénètrent les premiers dans Messine dans la nuit du 16 au 17 août. Hube a pu sauver 35.000 hommes mais a laissé aux Alliés les trois-quarts de son matériel : 256 chars, 2.320 véhicules, 1.100 canons. L'ordre du jour que Patton adresse à sa 7e Armée est chaleureux et plein de fierté : " La rapidité de votre attaque qui vous a livré Palerme n'a d'égales que la ténacité et l'agressivité avec lesquelles vous avez enlevé Troina et saisi Messine Votre renommée ne périra jamais " . La campagne de Sicile n'a duré que cinq semaines ; Patton y a confirmé ses capacités de manœuvrier et de meneur d'homme car, plus d'une fois, il s'est trouvé sur le terrain pour galvaniser ses hommes de la voix et du geste (sur les plages de Gela), ou pour prendre la bonne décisif opérationnelle (la prise de Palerme) ou tactique (les débarquements de Sant'Agata et de San Fratello).
Néanmoins cette campagne de Sicile va ternir énormément la réputation de Patton. On rapporte d'abord des incidents comme celui d'une charrette mule barrant la route de son escorte ; on raconte que Patton abattit de sa main la bête récalcitrante avec son fameux revolver à crosse de nacre, aidant ensuite à basculer l'attelage et l'animal mort dans le ravin proche. Il y a ensuite l'affaire du général Terry Ailen qui avait conduit le Big Red One du débarquement en Oranie jusqu'à la prise de Tunis, et que Patton relève de son commandement en pleine action, devant Troina, soulevant l'indignation des officiers et des soldats de sa division. Enfin et surtout, il y a le drame du soldat giflé, qui achève de disqualifier Patton aux yeux de ses subordonnés, de ses chefs et surtout de l'opinion publique américaine alertée par des correspondants de guerre avides de copies à sensation. (Une première affaire d'exécution de soixante-dix prisonniers allemands par un capitaine et un sergent du IIe Corps avait déjà agité le cercle des correspondants de guerre en Sicile.
Plus tard, en Angleterre, Patton eut encore à défendre ses subordonnés, encore qu'il ait dit qu'il aurait fallu les fusiller, eux aussi)
Il est certain que George S. Patton n'a jamais été un calme. Déjà en 1910, il avouait à Beatrice avoir injurié et brimé un palefrenier. Plus tard, sur les plages de Fédala, il n'hésite pas à " botter les fesses " des uns, injurier et à frapper d'autres parce qu'ils manquent de zèle dans le déchargement des péniches de débarquement. En Sicile, il pousse le paroxysme de son agressivité jusqu'à gifler, en deux occasions, deux soldats évacués sans blessures apparentes, dans le même hôpital d'évacuation, le 15e. Le 3 août, il s'agit du soldat Charles Kuhl du 26e R.I. (justement de la 1re D.I.), hospitalisé pour épuisement, atteint en fait de la malaria : Patton le frappe de son gant, l'empoigne et le jette hors de la tente où il était abrité. Le l0 août, au cours d'une visite identique, le canonnier Paul Bennett du 17e d'Artillerie lui avoue qu'il est là à cause de ses nerfs ; Patton éclate d'une colère rageuse, le secoue et dégainant son revolver menace de l'abattre comme il l'a fait de la mule. Des journalistes ont vent des deux affaires, d'autant que Patton a déjà envoyé à ses grands subordonnés une note relative aux faux malades et autres cas de lâcheté. En outre, les responsables du corps médical ont fait leur rapport à leur propre hiérarchie. Finalement, Eisenhower doit envoyer son adjoint, le général Lucas, pour enquêter sur ces affaires et obliger Patton à faire des excuses aux deux soldats, au personnel de l'hôpital qui a été témoin des incartades et en fin de compte à toute la 7e Armée. La censure laisse passer les informations sur " l'affaire des gifles " : tous les États-Unis sont au courant ; le Congrès s'empare de l'affaire - on songe à suspendre les nominations de Patton -, Béatrice et ses enfants reçoivent des lettres d'injures. Dans ce tourbillon, dans cette tempête, une amitié lui reste sûre : celle d'Eisenhower qui a apprécié la façon dont Patton a conduit sa campagne de Sicile. " Patton est essentiellement et avant tout un combattant... C'est un homme entier... d'un tempérament excessif. Cela dit, des qualités exceptionnelles doivent entrer en ligne de compte quand (vous aurez à) déterminer les affectations de vos officiers généraux les plus anciens " : ainsi le futur " Ike " s'adresse-t-il au général Marshall à la fin d'août 1943, au moment où s'ouvrent les préparatifs de l'opération Oi'erlord, le débarquement en Normandie. Beaucoup d'autres gardent leur confiance à Patton, qu'il retrouvera dans quelques mois avec la 3e Armée que l'on va former en Grande-Bretagne.
La campagne de France
L'opération Husky a été à la fois un succès et un drame pour Patton. Avec son état-major, il attend la prochaine étape de la guerre, l'invasion de l'Italie que Mark Clark a préparée avec sa 5e Armée. Patton n'y est pas directement impliqué, toutefois Eisenhower lui a demandé de revenir à Alger pour en étudier les plans. Patton perçoit rapidement une des faiblesses de la phase de débarquement : une rivière a été choisie comme limite entre le VIe Corps US et le Xe Corps britannique. Elle ne sera donc pas spécialement surveillée ni gardée et Patton jure que " si Dieu existe, c'est par là que les Allemands contre-attaqueront " .
Effectivement, trois jours après le débarquement anglo-américain à Salerne, les 14e et 76e Panzer Korps allemands percent le front allié comme à Gela en Sicile et parviennent à huit kilomètres de la mer. Là encore, il faut que l'artillerie des cuirassés et des croiseurs écrasent les colonnes blindées ennemies. Ce coup d'œil tactique qui caractérise Patton devrait en faire un des leaders de l'assaut en Normandie. Cependant, au début de septembre, la 7e Armée est dépouillée de toutes ses divisions, les unes envoyées en Angleterre, les autres en Italie. Patton est profondément déçu : il croyait mener le débarquement en France, fort de l'expérience que son état-major et lui-même avaient acquise dans les opérations Torch et Husky. C'est Bradley qu'Eisenhower désigne pour commander la 1re Armée qui débarquera au jour J sur les plages de Normandie. Cette opération, rebaptisée Overlord demande calme, équilibre et doigté, surtout avec les partenaires britanniques. Indéniablement, ce ne sont pas les qualités majeures de Patton. Ainsi donc Bradley, qu'Eisenhower considère comme le meilleur de ses chefs de guerre, aura la charge de prendre pied sur le continent et d'affermir la tête de pont. Patton, " véritablement ardent et agressif " , recevra la mission de percer et d'exploiter. Eisenhower propose donc à Marshall que lui soit confié le commandement de l'armée de poursuite (fin décembre 1943).
Au même moment, " l'affaire des gifles " rebondit à l'occasion d'une émission radiophonique au cours de laquelle l'animateur, un nommé Drew Pearson, la raconte à ses auditeurs. Une nouvelle fièvre des " mass media " , une nouvelle intervention des parlementaires et voici Patton derechef à la première page des journaux des Etats-unis. Un flot de courrier inonde les responsables politiques mais tout compte fait, les lettres en sa faveur sont plus nombreuses que celles qui lui sont hostiles. Une grande déception l'attend cependant : Pershing, âgé alors de quatre-vingt-trois ans (il mourra en 1948) lui fait connaître sa totale désapprobation. Surpris et blessé, Patton rompt toute relation avec le héros exemplaire de ses jeunes années d'officier.
En attendant que son sort soit fixé, Patton voyage. Il se rend au Caire, qui lui paraît une " ville véritablement dégoûtante " , mais où il est accueilli avec honneur par les Britanniques du général Maitland Wilson. Il est particulièrement impressionné par sa rencontre avec le général Anders, héros de l'armée polonaise. Puis il visite Malte, dont le gouverneur est Lord Gort, celui qui commandait la British Expeditionnary Force en France en 1940. Il est alors question de reconstituer la 7e Armée en vue du débarquement dans le midi de la France (opération An vil) et de lui en rendre le commandement, en particulier à cause de sa connaissance de la France et de ses bonnes relations avec les Français. Mais Eisenhower tient à l'avoir avec lui : le 22 janvier, Patton reçoit l'ordre de rallier l'Angleterre. Il atterrit à Prestwick, en Ecosse, le 26 janvier, d'où il rejoint Londres où " Ike " est installé depuis un mois.
L'état-major de la 3e Armée a été constitué aux Etats-Unis, temporairement aux ordres du général Courtney Hodges. Celui-ci, une fois en Angleterre, rejoint la 1re Armée en tant qu'adjoint de Bradley, à qui il doit succéder plus tard. Patton n'est plus le leader des opérations, comme jadis au Maroc ou en Sicile. Il fait partie d'une équipe dont les membres ont tous la même importance. Le P.C. de l'Armée de Poursuite est installé à proximité de Knutsford, dans le Cheshire, au Sud de Manchester. Les quatre corps d'armée sont constitués au fur et à mesure qu'arrivent les divisions : Ville Corps (Troy Middleton, qui commandait la 45e D.I. US en Sicile), XVe Corps (Wade Haislip, qui a combattu à Saint-Mihiel en 1918), XXe Corps (Walton Walker, lui aussi à Saint-Mihiel, qui a succédé à Patton au Desert Training Center d'Indio) et, plus tard, le XIIe Corps (Gilbert Cook). Patton s'est déjà rendu en Irlande du Nord où Haislip rassemble ses divisions ; une quinzaine de jours a passé lorsqu'à la mi-février, il reçoit un appel d'Ike lui demandant de se préparer à repartir pour l'Italie où le général Lucas est bloqué avec le VIe Corps dans la poche d'Anzio. C'est finalement Truscott, autre ancien de la Sicile, qui remplacera Lucas, mais Patton n'est pas peu fier que le général Alexander, qui commande le théâtre d'opérations italien, ait pensé à lui en ce moment de crise.
La prise en mains et l'entraînement de la 3e Armée reprennent, avec exercices et séances d'ordre serré, tandis qu'à l'échelon du haut commandement les " briefings " se succèdent à Londres en présence de Montgomery - qui va commander l'ensemble des troupes terrestres au jour J -, mais également du roi George VI et de Churchill, qui a la bonne grâce de reconnaître Patton et de l'appeler par son nom. C'est à cette époque (avril-mai 1944) que Patton se montre le plus prolixe en discours et en ordres du jour (bien qu'en 1943, Ike lui ait dit un jour : " pense à tourner dix fois ta langue dans ta bouche avant de parler " ). Il faut reconnaître que ses maximes pour le combat sont pleines de bon sens : " il n'y aura jamais trop de reconnaissances " , " l'information, c'est comme les œufs, plus elle est fraîche, meilleure elle est " , " la responsabilité du ravitaillement est également partagée entre celui qui le fournit et celui qui le reçoit " , ou encore " les décorations doivent être remises rapidement " , et enfin " courage : ne prenez pas conseil de vos craintes " .
L'opération Overlord débute le 6 juin 1944 ; l'Histoire s'est déjà emparée du " Jour le plus long " , mais on rappellera ici combien furent difficiles les premières semaines devant la résistance tenace des unités allemandes de la côte, renforcées par des divisions rameutées de l'intérieur. Le plan qui prévoyait la chute de Caen au lendemain du débarquement s'avère totalement caduc ; la 2e Armée de Montgomery reste bloquée dans la plaine de Caen, tandis que la 1re Armée de Bradley, bien qu'ayant enlevé Cherbourg dès le 26 juin, n'arrive pas à déborder la ligne Lessay-Caumont. Le paysage du bocage avec ses haies et ses chemins encaissés, l'expérience des vétérans des Panzerdivisionen et le fanatisme des jeunes recrues allemandes permettent à Rommel et à von Rundstedt de retenir leurs adversaires anglo-saxons dans cette vaste tête de pont du Cotentin et du Calvados jusqu'à la fin de juillet.
Anticipant la prochaine phase de la bataille, Eisenhower a déjà transféré en Normandie le VIIIe C.A. (Middleton) pour qu'il se glisse à l'Ouest de l'armée Bradley, à laquelle il est provisoirement subordonné. La 3e Armée traverse la Manche à partir du 6 juillet, débarquant à Utah Beach pour se regrouper dans le Cotentin. Patton atterrit en Dakota près d'Omaha Beach, non loin du P.C. de Bradley. Il va fixer le sien à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Afin de percer les lignes allemandes, Bradley fait adopter le principe de l'écrasement par l'aviation de bombardement et par l'artillerie, d'une zone bien délimitée à travers laquelle il lancera un corps d'armée, le Vile du général Collins. L'opération Cobra a lieu le 25 juillet mais Collins met deux jours pour exploiter le " matraquage " subi par la Panzerlehr car les survivants allemands se sont ressaisis ; il faut relancer l'attaque avec des divisions fraîches. Entre le VIIe C.A. et la mer, le VIIIe C.A. est prêt à s'élancer. Le 28 juillet, Bradley demande à Patton de reprendre son C.A. et de l'engager en avant de la 3e Armée, laquelle ne doit entrer en ligne que le let août. Aussitôt Middleton lance sa 4e D.B. (Wood) et sa 6e D.B. (Grow) à travers ses divisions d'infanterie. Wood file sur Coutances, qui est enlevée dans la soirée du 28, puis sur Avranches, franchissant la Sée dans la foulée, et s'empare enfin du pont de Pontaubault, sur la Sélune, porte de la Bretagne et de la vallée de la Loire. Middleton et son VIIIe Corps ont réussi la percée parce que Patton leur avait insufflé son style et son audace. Derrière Middleton, Patton pousse les deux autres corps, le XVe d'Haislip et le XXe de Walker. Tandis que le VIIIe Corps va se répandre en Bretagne, dans l'espoir de se s'emparer de Brest et de Lorient à la hussarde, Haislip franchit le seuil d'Avranches et se tournant vers l'Est, pousse sur Laval et Le Mans (aux côtés des 79e et 90e D.I. et de la 5e D.B.US, il a sous ses ordres la 2e Division Blindée française commandée par le déjà fameux général Leclerc). Walton Walker arrive enfin, avec son XXe Corps, orienté vers Chartres. Pour le commandement allemand, la surprise réside dans la capacité de la IIIe Armée à occuper la Bretagne tout en poussant deux puis trois corps d'armée vers le coeur de la France. Patton, qui a un regard presque napoléonien, comprend bien qu'il peut encercler par le Sud la VIIe Armée allemande qui résiste face à Bradley et à Montgomery. Le XVe Corps d'Haislip, flanqué au Sud par Walker, oblique vers le Nord à partir du Mans en deux colonnes, 5e D.B. et 79e D.I. à l'Est, 2e D.B. (Leclerc) et 90e D.I. à l'Ouest. Leclerc atteint Alençon, puis Argentan et Ecouché (13-16 août). Patton est prêt à pousser jusqu'à la Manche pour refermer la poche de Falaise, mais Bradley l'arrête pour permettre aux Anglais, aux Canadiens et aux Polonais de la 2e Armée britannique de marquer quelques points sur les Allemands. Patton imagine alors un encerclement plus vaste sur la Seine mais le Groupe d'Armées B du maréchal Model réussit à dégager la 7e Armée et la 5e Panzerarmee. Comme le VIIIe C.A. est encore engagé en Bretagne, où les Allemands se sont retranchés dans les poches de Lorient et de Saint-Nazaire, Patton reçoit le XIIe C.A. qu'il place à l'extrême Sud de son dispositif.
A la mi-août, quinze jours après l'engagement de son armée, il a donc aligné ses trois corps sur une ligne Dreux-Chartres-Orléans. Il les lance alors en plein vers l'Est sur des itinéraires aboutissant à Paris, Fontainebleau et Montargis. Le 19 août, le XVe C.A. d'Haislip est sur la Seine à Mantes, tandis que la 2e D.B. (Leclerc) se détache pour soutenir la population parisienne soulevée contre la garnison allemande. Patton est contraint de faire glisser le XVe C.A. sous la capitale, mais s'il n'a pas la gloire d'en être personnellement le libérateur, du moins toute l'Ile-de-France lui doit-elle sa libération. Le
21 août, Walton Walker atteint Melun et Fontainebleau. Alors que le 16 août le XIIe C.A. a libéré Orléans, le 21 il est à Sens et le 26 à Troyes. Paris vient à peine de se libérer ! Cette charge remarquable du XIIe C.A. inquiète son chef dont l'aile droite se trouve à découvert le long et au-delà de la Loire. Il demande à Patton s'il doit se préoccuper de son flanc droit ; réponse de celui-ci : " Cela dépend de l'état de vos nerfs " . Patton ne ralentit pas son allure : il voudrait pousser Haislip vers Beauvais pour tenter un nouvel encerclement, mais Bradley qui coiffe désormais le 12e Groupe d'Armées américain (ayant laissé le commandement de sa 1re Armée à Courtney Hodges comme convenu) a fixé les grands axes d'efforts : Hodges, franchissant la Seine au Sud de Paris, s'avancera vers le Nord de la France et la Belgique intérieure, Patton marchera sur Metz et Sarrebruck.
Depuis le 15 août, la 7e Armée (l'ancienne de Patton, commandée à présent par Patch) a débarqué en Provence avec le Détachement d'Armée du général de Lattre de Tassigny. Ils ont pour objectif la vallée du Rhône, puis le Rhin de Haute-Alsace. C'est alors qu'une grave crise logis-tique s'abat sur le front occidental : la ruée anglo-américaine après la percée de Normandie a été telle que le ravitaillement n'a pas suivi, en particulier l'approvisionnement en carburant. Les colonnes blindées ou mécanisées doivent s'arrêter à bout de souffle. Ce n'est pas tant le carburant qui fasse défaut que les moyens efficaces de l'apporter aux unités déjà bien en avant vers les Vosges et la Meuse. Bien pis, Eisenhower semble favoriser les Britanniques, qui remontent le long de la Manche vers la Belgique maritime et les Pays-Bas, au détriment des unités de Patton. Celui-ci entre dans une noire fureur. Lorsque le 1er septembre Montgomery est nommé field-marshall, Patton en est vraiment ulcéré, de même que Bradley.
Une nouvelle phase s'ouvre dans la marche au Rhin. Le temps que les armées se réorganisent et se rempiètent, les Alliés ne repartiront à l'attaque qu'au début de novembre. Septembre voit tout de même le XIIe C.A. s'emparer de Nancy, le XVe C.A. d'Epinal et le XXe, plus au Nord, border la Moselle en amont de Metz. Mais finalement, il faut marquer le pas. Patton en profite pour rendre visite aux lieux qu'il avait connu en 1917-18 : Chaumont, Langres, Bourg. Vers la fin de septembre, une alerte devant Nancy lui offre l'occasion de montrer son flegme en face d'une situation critique (une contre-attaque allemande menace d'enfoncer la 35e D.I.) et sa capacité à reprendre en mains les chefs et les troupes en difficultés. Après avoir apostrophé en termes choisis les généraux Eddy, Grow et Baade (de la 35e D.I.), il leur impose son idée de manoeuvre, les oblige à gagner la partie, et les décore à l'issue de la bataille. C'est l'affaire de Nancy, du 29 septembre au 4 octobre. Pendant ce temps, Walker entame la réduction des forts entourant Metz mais la résistance se révèle plus forte que prévu. Les combats dureront un mois.
Au début de novembre, la IIIe Année connaît son axe d'offensive : Metz, la Sarre où elle doit franchir la ligne Siegfried, Worms et Mayence sur le Rhin, et audelà, Francfort-sur-le-Main et Cassel. Le 8, c'est l'offensive, en dépit de pluies diluviennes et des crues conséquentes de tous les cours d'eau lorrains. Le XIIe C.A. enlève Château-Salin puis Morhange (15 novembre). Le XXe C.A., avec trois divisions d'infanterie, investit Metz, puis s'empare de la ville après de pénibles combats de rues (13-15 novembre), tout en réduisant les forts (le dernier capitulera le 13 décembre). Le 26 novembre, Patton accueille Giraud dans Metz libérée : ces deux hommes aux personnalités si différentes, se rencontraient pour la troisième fois dans des circonstances originales. Nous ne parlerons plus du XVe C.A. d'Haislip, ni de la division Leclerc ; ils ont été transférés à la VIIe Armée qui vient de parvenir à la bordure occidentale des Vosges. Patton est furieux, une fois de plus ; il a perdu très tôt le Ville C.A., transféré à la 1re Armée, et voilà qu'un autre corps lui fait défaut. À cela s'ajoute une grave crise d'effectifs ; les remplacements ne s'effectuent pas, aussi Patton verse-t-il dans les divisions d'infanterie le personnel des états-majors et des services. Il n'en parvient pas moins sur la Sarre à la mi-décembre et va s'attaquer à la ligne Siegfried. Il songe à avancer son P.C. de Nancy sur Saint-Avold, dès lors que ses divisions de tête sont déjà à Sarrelouis et à Merzig, en territoire sarrois. Le déplacement est prévu pour le 19 décembre ; il ne pourra pas avoir lieu. La fameuse contre-offensive des Ardennes débouche le 16 décembre, par un temps couvert et glacial, surprenant les unités du VIIIe C.A. et provoquant la rupture du dispositif allié.
La bataille des Ardennes
Déjouant la surveillance des services de renseignements alliés et les analyses du G-2 d'Eisenhower, le général anglais Strong, et profitant des conditions météorologiques médiocres du début de décembre, Hitler lance trois armées blindées à travers les Ardennes le 16 décembre 1944. Les trois divisions d'infanterie du VIIIe C.A. américain (toujours sous les ordres de Middleton) tiennent plus de cent kilomètres de front ; l'une d'elles, la 106e, vient tout juste d'arriver d'Angleterre, étalant sur trente-cinq kilomètres sept bataillons sans expérience du combat. La surprise, autant stratégique que tactique, est totale : le VIIIe C.A. s'effondre, se disloque et recule de vingt-cinq kilomètres en trois jours. La 6e Armée blindée S.S. et la 5e Panzerarmee, reconstituée depuis les combats de Normandie, filent vers la Meuse de Namur et de Liège. Heureusement, les flancs de la poche, le Bulge, résistent en cédant pas à pas à la pression de l'ennemi. Le dispositif occidental allié menace d'être coupé en deux : Montgomery rejeté vers le Nord et Bradley, enfoncé au centre, repoussé vers le Sud.
Patton est averti de la percée allemande dès le soir du 16 décembre, lorsque Bradley lui demande de prélever la 4e D.B. sur le corps d'armée de Walker et de l'envoyer sans retard vers le VIIIe C.A. Tout en renâclant, car la situation ne lui apparaît pas encore clairement, Patton met en mouvement cette grande unité. Le 18 au matin, convoqué à Luxembourg avec ses officiers d'état-major, il propose à Bradley de déplacer une partie de sa 3e Armée face au Nord, pour étayer le Sud de la poche et lancer une contre-attaque sur le flanc de la 7e Armée allemande. Le chef d'état-major de Patton, le général Gay, prépare déjà les mouvements de la 4e D.B. (Gaffey) déjà arrivé à Longwy, de la 80e D.I. (Mac Bride) encore à Thionville, et de la 26e D.I. (W.S. Paul). L'état-major du IIIe C.A. (Millikin) venait d'être entraîné en vue de l'offensive sur la Sarre : c'est lui qui va coiffer l'engagement de ces trois divisions sur leur nouvel axe. La grande difficulté tient en ce que leurs itinéraires vont cisailler les axes Ouest-Est par lesquels les XIIe et XXe C.A. sont ravitaillés. Simultanément, ces deux derniers corps doivent glisser vers le Nord, pour serrer sur les bords de la poche, tandis que la VIIe Armée (Patch) doit étendre son aile gauche pour tenir les anciennes lignes de Walker.
C'est à Verdun, le 19 au matin, au Grand Quartier Général d'Eisenhower que se tient la réunion au cours de laquelle se décide la manoeuvre qui doit arrêter la poussée allemande. Ike demande à Patton à quel moment il pourra attaquer. Patton lui répond sans hésitation : " Dans trois jours, le 22 décembre, avec mes trois divisions " . Dans son journal, Patton ajoute : " certains parurent surpris, d'autres enchantés " . Cette manœuvre et ces délais extrêmement courts sont un défi au temps et à l'espace : mise en place des unités à plus de cent kilomètres de leur zone d'attente, ravitaillement et munitions à faire suivre, création de dépôts hors des zones initialement prévues, élaboration et diffusion des ordres dans un laps de temps considérablement réduit, divisions recomplétées au maximum de leurs effectifs et de leur matériel pour leur donner le plus grand nombre de chances dans l'attaque, etc. De Nancy, l'état-major de la IIIe Armée accomplit un travail remarquable, et, sous l'impulsion de Patton, réussit le déplacement de la IIIe Année, de l'Est vers le Nord. Ainsi, le 10e R.I.US (5e D.I.) parcourt en une nuit le trajet Sarreguemines-Arlon, par cent kilomètres de routes secondaires. La 90e D.I., engagée à Dillingen dans la Sarre, est déplacée en deux jours sur plus de soixante-quinze kilomètres sans un seul accident de personnel ou de véhicule. Cette activité intense ouvre une période de six semaines pendant lesquelles se produiront quarante-deux mouvements de divisions de cent kilomètres chacun, en moyenne. Cette brillante performance est, à grande échelle, la même manoeuvre réalisée en avril 1943 en Tunisie, lorsque le IIe C.A.US est passé de la région de Tébessa au Sud, au secteur de Béja-Cap Serrat tout au Nord. Patton avait conservé sa fidèle équipe d'état-major à travers les vicissitudes siciliennes et ceux qui déplacent trois corps d'armée en 1944 sont les mêmes qui mettaient en route trois divisions deux ans auparavant, mais cette fois ils le font trois fois plus vite.
Cette brillante manœuvre logistique a un objectif opérationnel. En premier lieu dégager Bastogne, carrefour de l'Ardenne belge, tenue par la 101e Division aéroportée (Mac-Auliffe) qui est cernée par la 26e Panzergrenadiere. C'est la mission de la 4e D.B., qui rejoint le 26 décembre les parachutistes encerclés, tout en résistant aux tentatives désespérées du XLVIIe C.A. allemand pour enlever la ville jusqu'au 9 janvier 1945. Simultanément, sur la droite de la 4e D.B., débouchent les 26e et 80e en direction de Houffalize, au centre même de la poche, dont elles grignotent les bords. La 7e Armée allemande (Brandenberger), assommée par l'intervention ininterrompue de l'aviation alliée (le vif soleil d'hiver a réapparu) se met sur la défensive ; les Panzerdivisionen ont perdu la quasi-totalité de leurs blindés. Pis encore, il n'y a plus de carburant chez les Allemands. La grande offensive des Ardennes se termine par un échec, prévisible dès lors que le beau temps et la logistique interviennent en faveur des Alliés. Le 16 janvier, les éléments de tête de la 1re D.B. entrent à Houffalize, où les rejoint peu après la 2e D.B. de la 1re Armée, qui a attaqué du Nord. Durant les quinze jours suivants, les Allemands sont refoulés sur la ligne de l'Our et de la Rier. La bataille des Ardennes est terminée ; Patton est très flatté lorsqu'il apprend qu'Eisenhower a dit de lui à un officier de la IIIe Armée : " Savez-vous que George est réellement un très grand soldat " . La presse américaine a bien compris le rôle de Patton dans cette bataille puisqu'il apparaît, pour la seconde fois, sur la couverture de " Life " , le 15 janvier 1945.
La chevauchée à travers l'Allemagne
Le saillant des Ardennes étant éliminé, les armées alliées vont reprendre leur poussée en direction du Rhin. D'abord au Sud, le 6e Groupe d'Armées (commandé par Devers) réduit la poche de Colmar, conjointement avec la 1re Armée française renforcée par le XXIe C.A.US (Milburn) ; réduction acquise le 7 février 1945. L'offensive générale est justement fixée au lendemain 8 février. Le Groupe d'Armées Centre (Bradley), avec la 1re Armée (Hodges) et la 3e Armée (Patton), doit engager le front allemand du Groupe d'Armées B, afin de fixer sur place les divisions ennemies et d'empêcher tout renfort vers le Nord où Montgomery, une fois encore, est chargé de l'effort principal. Le Groupe Sud (ex-6e Groupe d'Armées) reçoit même l'ordre de demeurer sur la défensive. La colère des généraux américains est unanime ! " Nous étions tous consternés " lit-on dans le journal de Patton à la date du 3 février. Il a du moins une consolation : le général Van Fleet (90e D.I.US) et le général Leclerc ont demandé, chacun de leur côté, sans s'être concertés, à être remis sous les ordres de la 3e Armée. Patton monte une offensive en direction du Rhin avec les VIIIe et XIIe C.A. Le démarrage est rude, difficile ; Patton pousse ses généraux, rend visite aux éléments de tête et finalement le Rhin est atteint le 7 mars au Nord de Coblence par la 4e D.B., mais le IIIe Corps (Millikin), transféré à la 1re Armée depuis la fin de février, en souffle la notoriété à Patton en s'emparant du fameux pont de Remagen. Qu'importe : Patton nettoie le Palatinat à grandes chevauchées avec ses quatre divisions blindées, 4e, 10e, 11e et 12e. À la mi-mars, Patton peut annoncer qu'il a capturé son 230.000e prisonnier de guerre depuis que la 3e Année est entrée en opérations, 230 jours auparavant. Le XIIe Corps s'est rabattu le long du Rhin, toute l'armée Patton se concentre au Sud de la Nahe et le 23 mars, la 5e D.I. franchit le fleuve à Oppenheim, en amont de Mayence, là où Napoléon avait aussi jadis " traversé le Rhin " .
Patton poursuit sa chevauchée au delà du
Rhin. Il semble qu'il n'y ait plus de forces cohérentes en face de ses corps
d'armée : le 4 avril, ils sont déjà sur la Fulda. Le XIIe C.A.
s'empare de Cobourg et de Saalfeld, le Ve C.A.US., remis aux ordres
de la IIIe Armée, franchit la frontière tchécoslovaque et atteint
Pilsen.
Le XXe Corps atteint Ratisbonne, marchant sur la frontière
autrichienne par le Danube de Passau. Au cours de cette avance, Patton et ses
hommes libèrent les camps de prisonniers de guerre et
découvrent l'atrocité des camps de concentration (c'est le XXe
Corps qui trouve Buchenwald). Patton fait visiter ces camps par toutes les
unités de son armée, car son intention, à ce moment, est d'éviter toute
fraternisation. Il a aussi une grande joie car il est sentimental : il libère
son gendre le colonel J. Waters, fait prisonnier à Kasserine en février 1943,
que les Allemands avaient transféré dans un Oflag de Franconie. Autre joie
plus intime : Truman, tout juste président des Etats-Unis par la mort de
Roosevelt le 12 avril 1945, lui accorde sa quatrième étoile le 17 avril
(équivalent au grade français de général d'Armée). Quelques jours
auparavant, Patton avait écrit quelques lignes critiques sur l'ex-vice
président ; il a dû alors regretter son jugement un peu hâtif. Enfin pour lui
qui fut un brillant cavalier, survient un épisode typique de la tourmente de
cette fin de guerre : le XXe C.A. (toujours commandé par Wallon
Walker) a découvert les écuyers de l'Ecole Espagnole de Vienne, et leurs
fameux Lippizans, que le commandement allemand avait mis à l'abri dans la
forêt de Bavière.
Les grands événements de la guerre se déroulent en dehors de Patton : suicide de Hitler, prise de Berlin, pourparlers de Donitz pour la capitulation, enfin Victory-Day en Europe, le 8 mai 1945. À ce moment, Patton a ses quatre étoiles, il a sous ses ordres quatre corps d'armée qui coiffent, entre autres, six divisions blindées, dont la toujours fameuse 4e. Le Ve C.A. est parvenu à quatre-vingt kilomètres de Prague (où les Tchèques vont massacrer la garnison et la population allemandes), le XIIe C.A. est à Pizek, à soixante kilomètres en territoire tchèque, le XXe a dépassé Linz en Autriche et le IIIe est au fond de la Bavière, sur la frontière avec l'Autriche. Le contact a été établi par Walker avec les armées soviétiques remontant le Danube, rencontre entre la IIIe Armée américaine et le 3e Front d'Ukraine (général Zvataïev). Patton n'a pas négligé de réfléchir à l'avenir. Bien entendu, tout Blood and Guti qu'il est, il a la nostalgie des combats, exaltation des vertus et des défauts humains ; il est volontaire pour se battre en Chine (il a bien connu Stilwell). Mais il s'interroge aussi sur le nouvel équilibre entre les vainqueurs. Recevant le Sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, il lui dit son inquiétude devant le colosse militaire soviétique. Il recommande que " nous offrions aux Russes une image de force et de puissance... sinon,... je voudrais vous dire que nous avons perdu la guerre " .
La fin
La guerre en Europe est donc finie. Patton a le sentiment que sa carrière et sa vie sont également terminées. Il avait eu des ambitions politiques : ses mésaventures avec la presse l'ont convaincu que ce n'était pas là son ultime destin. Pour l'instant, il regroupe la IIIe Armée en Bavière, dont Eisenhower le nomme gouverneur militaire. Il installe son P.C. à Bad Tölz, s'appliquant à mener de front la démobilisation de son armée, la mise en place d'une administration civile et la poursuite des dignitaires et responsables nationaux-socialistes de tout niveau. C'est aussi la période des festivités et des célébrations entre vainqueurs de l'Allemagne. Ses rencontres, très arrosées, avec les généraux russes le confirment dans son sentiment d'inquiétude devant la masse de leurs armées et le caractère primitif de leur comportement. Il pressent leur ambition secrète de pousser plus avant sur le plan politique les résultats territoriaux déjà obtenus en Europe centrale. Il estime donc qu'il ne faut pas laisser l'Allemagne se désintégrer. Ce pays est nécessaire à l'équilibre de l'Europe. Aussi son comportement vis-à-vis des Allemands est beaucoup moins sévère que certains le souhaiteraient, d'autant que Patton, de par ses origines aristocratiques et bostoniennes, a un cordial mépris pour toutes les populations hétéroclites qui peuplent les camps pour " personnes déplacées ". La presse, toujours à l'affût de ses faux-pas, guette ses déclarations ou ses actes pour exploiter la saveur du scandale. Dès la mi-mai 1945, la tension monte à propos de Trieste dont les Yougoslaves veulent se sasir. C'est à Patton qu'Eisenhower demande d'être prêt à intervenir contre le leader yougoslave. L'affaire ne se développe pas jusqu'à l'affrontement mais Patton se demande jusqu'à quel point les Russes n'ont pas utilisé Tito pour éprouver la détermination des Occidentaux. Là, intervient une pause dans ces moments de tension ; il retourne aux États-Unis pour la première fois depuis octobre 1942, lorsqu'il était parti sur le croiseur Augusta pour débarquer en Afrique du Nord. Il reçoit un accueil triomphal à Boston, où l'attend sa famille puis à Denver et à Los Angeles, avant de revenir Washington. Ce triomphe (il rassemble à chaque fois des foules de plusieurs milliers de fidèles enthousiastes) est, une fois encore, entaché d'une phrase maladroite sur " ceux qui se font tuer bêtement à la guerre ". Comme pour l'affaire des gifles, la presse et la radio exploitent cette déclaration imprudente, des lettres de parents courroucés arrivent à nouveau au Congrès et son fidèle ami, le Secrétaire Stimson, doit s'engager pour le défendre au cours d'une conférence de presse. Le 4 juillet, Patton et son équipe regagnent l'Europe ; il n'en est pas fâché, malgré la joie d'avoir retrouvé les siens. La Troisième Armée lui offre le lendemain une prise d'armes monumentale pour salue son retour à Bad Tölz.
Patton se rend à Postdam à la fin de juillet pour rencontrer les dirigeants américains qui participent à la conférence tripartite avec les Anglais et les Russes. Berlin, qu'il avait visité en 1912, le remplit de tristesse car il craint que l'on " ne remplace une bonne race par... ces sauvages mongols " . Après quelques déplacements de prestige, dans le courant du mois d'août, Patton va se trouver en face des journalistes lors d'une conférence de presse le 22 septembre, à l'issue de laquelle on l'accuse d'être en désaccord avec la politique de dénazification d'Eisenhower en Bavière et sur le traitement infligé aux prisonniers de guerre allemands, et, en filigrane, de favoriser les Allemands au détriment des réfugiés. Venant après l'affaire des gifles, après celle, toute fraîche, des " héros tués bêtement " , l'histoire de la dénazification achève d'user la patience d'Eisenhower, qui n'est plus gêné par Stimson, celui-ci ayant démissionné fin juillet. Patton n'a plus de défenseur à Washington. Dès lors, après quelques heures d'entretien, Eisenhower relève Patton de son commandement et le remplace par Truscott (qui a fait une belle guerre en Italie et en France). George S. Patton est nommé à la tête de la XVe Armée, état-major sans troupes chargé d'étudier les enseignements de la Deuxième Guerre Mondiale (7 octobre).
On pourrait penser que Patton, féru d'Histoire militaire, est bien à sa place dans cette organisation, mais il est conscient de sa disgrâce, songeant déjà à démissionner à la fin de l'année pour " pouvoir dire ce qu'il veut " . A la fin octobre, il se rend à Paris pour recevoir, le 25, des mains de de Gaulle le cordon de Grand Officier de la Légion d'Honneur. Il rend visite au tombeau de Napoléon, tout comme l'avait fait Pershing, vingt-huit ans auparavant. Puis il se rend en Bretagne et en Normandie pour y être fait Citoyen d'Honneur de toutes les villes que la IIIe Armée à libérées. À la fin de novembre, c'est Metz qui célébre le premier anniversaire de sa libération ; il est à nouveau fait Citoyen d'Honneur de nombreuses villes, de Château-Thierry à Luxembourg. Il regagne enfin Bad Nauheim, au Nord de Francfort, où est cantonnée la Quinzième Armée. Il y prépare ses archives et ses bagages car il compte partir pour les Etats-unis à bord du cuirassé New-York qui doit quitter Southampton le 14 décembre. C'est ce qu'il annonce à Béatrice dans sa lettre datée du 5 décembre 1945. Ce sera sa dernière lettre à sa femme.
Le dimanche 9 décembre au matin, comme il se rend à la chasse avec son fidèle ami le général Gay, sa Cadillac est heurtée par un camion G.M.C. qui se met en travers de sa route. Les véhicules ne roulaient pas particulièrement vite ; néanmoins Patton est projeté en avant, sa tête heurte la barre métallique située au-dessus du siège du conducteur. Sous le choc, plusieurs vertèbres cervicales sont brisées ; il est le seul blessé de l'accident. Il est midi moins le quart. Il est admis aux urgences de l'hôpital d'Heidelberg une heure après. Des rumeurs courront plus tard sur les circonstances de cet accident. Rien n'a pu être confirmé dans un sens ou dans un autre.
Sa femme, alertée, arrive des Etats-Unis le 11 après-midi. Elle va le veiller durant deux semaines d'espoir et de pessimisme alternés ; les médecins tentent de maintenir en vie le fameux Blood and Guts qui, s'il devait vivre, resterait hélas probablement totalement paralysé. Conscient de son état, Patton demeure courageux et optimiste, du moins en apparence. Il lutte également pour retrouver un peu de sa sensibilité et de ses mouvements. Finalement, c'est la lente paralysie des muscles abdominaux qui provoque un oedème pulmonaire fatal. Il meurt dans un sommeil paisible à 17h 45 le vendredi 21 décembre 1945. Il est enterré au cimetière de Hamm, à la sortie de la ville de Luxembourg, parmi les 5076 tombes des soldats de la IIIe Armée américaine. Sa croix porte son matricule 02605 et son grade.
La destinée du général George S. Patton s'achève donc dans le silence d'une chambre d'hôpital, alors que le héros de trente ans de guerres américaines ne rêvait que plaies et bosses, gloire et honneurs, bruits et fanfares. Il avait été un grand sportif, un grand aristocrate, un grand meneur d'hommes. Plus qu'un autre, le métier des armes était celui pour lequel il était né et pour lequel il avait vécu. Pétri d'Histoire militaire, maîtrisant la tactique et la stratégie des grands hommes de guerre, Alexandre, César, Napoléon ou Lee, il avait essayé de se hisser à leur niveau ; dans une grande mesure, il y est arrivé. Indéniablement, il lui a aussi manqué le sens de la politique, mais non le sens politique, car ses analyses étaient le plus souvent trop justes et il avait le tort de les énoncer publiquement. En outre, et c'est particulièrement important aux Etats-Unis, il avait un souverain mépris pour les milieux de presse qui ne le lui pardonnèrent
jamais. Pour la France, et les Français, Patton, plus que tout autre général allié, est celui qui a libéré la plus grande partie du territoire national, avec sa seule Troisième Armée. Parlant la langue française, ayant visité Paris et la province bien avant l'entrée des États-Unis dans la guerre, Patton a toujours eu un faible pour les qualités et les défauts des Français. Avec sa disparition, la France perdait un allié parmi les personnalités militaires des États-Unis ; dans les années qui ont suivi 1945, cette absence a eu des effets certains. En conclusion, on ne peut que citer cette phrase de son aide de camp le colonel Codman : " ce qui semble avoir échappé à la plupart des journalistes contemporains, c'est que Patton n'était pas une figure contemporaine ". Héritier des pionniers de la Frontière, il était aussi un chevalier comme les décrit Walter Scott ou un bâtisseur d'empires à la Kipling. C'est parce qu'il s'est réalisé lui-même en tant que héros militaire et qu'il a réalisé de grands moments de son génie militaire que Patton a créé sa légende et que celle-ci vit encore aujourd'hui.