1 juin – 20 h00 – Saint-Lô – Direction des P.T.T.

En cette fin de journée où nous avons vu le maréchal Rommel examiner et juger la situation avec lucidité et prémonition, dans les sous-sols de la direction des P.T.T. de Saint-Lô, le groupe des postiers résistants est réuni. Clément Seger, chef du centre d'amplification est venu tout spécialement pour fournir les indications sur les actions à entreprendre :

" Voici le plan de nos interventions sur les câbles et les centraux au jour J, il m'a été remis hier par Leveillé " (responsable des groupes Action-P.T.T. pour le Calvados et la Manche).

René Crouzeau, chef du groupe de la ville, le détaille aussitôt : détruire les deux centraux surtout celui du sous-sol où aboutissent toutes les lignes du front de mer, détruire les stations d'harmoniques au 1er  étage, couper tous les câbles prioritaires et les lignes aériennes, rendre inutilisables les L.S.G.D.

Autour de lui ses camarades examinent gravement les schémas.

Marcel Richer, Jean Sanson, Étienne Bobo, Raymond Robin, Auguste Lerable, Jacques Albertini, et Auguste Sénécal, tous vieux briscards des sabotages, jaugent immédiatement les difficultés des actions demandées. Marcel Richer qui fut à la base de la constitution du groupe fait la grimace :

" Pour parvenir jusqu'aux centraux, il faut neutraliser la garde allemande. "

" Je ne pense pas que cela soit un problème, répond Crouzeau, nous venons de recevoir des armes et nous savons les utiliser, et il faut compter sur l'effet de surprise. Voilà ce que je propose comme plan d'action : l'équipe de Marcel avec Étienne et Auguste s'occupera du central de l'étage. Nous demanderons à Blin, rédacteur à la direction, de faire une diversion et à Charles Marchesseau du contrôle d'en créer une autre à l'I.E.M. (Installations électromagnétiques). Avec Jean, je couvrirai l'action. Pour le central du sous-sol, le groupe de Raymond interviendra simultanément avec le renfort de l'équipe de Deschamps. Clément aura repéré le point de coupure des L.S.G.D. et des câbles prioritaires, et nous y conduira ensuite. Les lignes aériennes seront l'affaire de Raymond Chivet et de son groupe d'Avranches. Sitôt que tout sera terminé, nous nous replierons, comme le précisaient les directives précédentes, au camp de Beaucoudray et nous y resterons à la disposition de Fillâtre et de Pruvost. Ah ! encore une chose, n'oubliez pas d'appliquer les consignes de sauvegarde pour les familles qui devront immédiatement rejoindre leurs lieux de recueil prévus le mois dernier. C'est une mesure de sécurité car il faut redouter une possible réaction des Allemands à leur égard après les sabotages. "

Après une réflexion commune sur les actions à venir, le groupe se sépara. Cette petite formation résistante appartenant depuis fin 1941 au mouvement Action P.T.T. a déjà beaucoup donné pour la lutte clandestine, plusieurs de ses membres arrêtés le 13 mars ont été incarcérés à la prison de Saint-Lô et ils seront ensevelis sous les décombres de cette maison d'arrêt lors des bombardements qui anéantiront la ville un peu plus tard. Mais c'est un rescapé de ce groupe-franc, Maurice Loridant, qui réussira à se procurer une carte d'état-major allemand indi­quant les routes stratégiques, les dépôts de munitions, de car­burant, les bases de l'aviation et les P.C. ennemis dans le Cotentin. Cette carte expédiée à Londres par le canal du réseau de Renaud-Dandicolle, coordinateur parachuté pour diriger le maquis de Saint-Clair dans la région du bocage virois, arriva bien à Londres puisque les principaux points indiqués furent bombardés par la R.A.F.

Malheureusement la tragédie du maquis de Beaucoudray le 14 juin se termina par la mort de onze membres de l'équipe de Saint-Lô, dont son responsable René Crouzeau..

Les maquis de Beaucoudray dans la Manche et de Lignières dans l'Orne anéantis.

Le maquis de Beaucoudray dans la Manche au Village du Bois est un maquis refuge où se sont regroupés, dans l'attente de la participation qui va leur être demandée pour la bataille, les Corps-francs des P.T.T. de Saint-Lô, que nous avons vus à l'oeuvre dans la nuit du 5 au 6 juin.

Situé en retrait de la départementale 13 entre le carrefour de Villebaudon et Tessy-sur-Vire, ce petit réduit a été préparé par le cultivateur Alphonse Fillâtre de Villebaudon et le res­ponsable du mouvement Action P.T.T. Ernest Pruvost pour servir de relais et de camp de transit aux francs-tireurs dépen­dant de Résistance P.T.T. de Saint-Lô.

On a vu plus haut que, après leurs actions importantes de sabotages sur les liaisons téléphoniques allemandes, les hommes de Marcel Bicher et de René Crouzeau ont été a mis au vert dans ce refuge champêtre. Ils doivent y attendre l'ordre de l'envoyé de Londres, le capitaine Renaud-Dandicolle, de préparer leur intervention dans le cadre de la grande offensive américaine de début juillet. Leur mobilisation s'effectuera dès la réception du message " Quelle ne fut la surprise " et viendra en coopération avec les actions du maquis de Saint-Clair dont le P.C. est situé à la ferme Grosclaude à l'orée de la forêt de Cinglais.

Cette " décompression " a pour effet de relâcher la vigilance et d'assouplir la détermination, et ce sera fatal aux résistants de Beaucoudray.

Le 14 juin, à l'aube, apparaît dans le chemin d'accès un véhicule de reconnaissance de la 17e  S.S. Panzer, la Götz von Berlichingen qui vient d'établir son P.C. à Marigny, soit à une vingtaine de kilomètres de Beaucoudray. Son chef, le Gruppenfuhrer Werner Ostendorff, a ordonné un large ratissage de la zone dont il a le contrôle, d'où l'apparition de la Volks­wagen dans le chemin creux menant au Village du Bois. Le relâchement de la surveillance a permis cette intrusion, seule Mme Leblond, une jeune institutrice réfugiée dans une maisonnette au débouché du sentier menant au maquis, a vu le véhicule allemand avant qu'il ne fasse demi-tour. Elle file avertir les francs-tireurs qui réagissent en envoyant deux éclaireurs en reconnaissance. N'ayant rien remarqué d'anormal, et pour cause puisque la voiture est repartie, ils rentrent au P.C. de Pruvost.

Vers 6 heures, une dizaine de S.S. arrivés silencieusement cernent la maison et enfoncent brutalement la porte. Simultanément, le gros de la troupe attaque le poste principal, surprenant les maquisards au repos. Mais ceux-ci réagissent et retrouvant leur vigueur patriotique ripostent immédiatement. Une courte échauffourée permet à quatre francs-tireurs de s'enfuir par une porte dérobée sur l'arrière, mais les autres, dont deux sérieusement blessés, sont appréhendés.

Ils sont acheminés vers le P.C. allemand de La Réauté, y compris Mme Leblond et son fils tout juste âgé de onze ans. Interrogés avec la traditionnelle sauvagerie des S.S., les prisonniers sont enfermés dans une écurie de la ferme Lalleman.

Le lendemain, vers 4 h du matin, on les fait sortir et s'aligner, sauf Mme Leblond et son enfant qu'un gradé repousse à l'intérieur. Elle ne saura jamais à quel sentiment a obéi cet officier, mais un peu plus tard, elle et son fils seront transférés à Saint-Jean-du-Corail près de Mortain où siège la Gestapo repliée de Saint-Lô. L'avance des Alliés les délivrera. Quant aux onze maquisards, y compris le blessé sur une civière (Alfred Guy) ils sont abattus dans un fossé au bout de l'herbage.

Un monument situé à l'endroit où sont tombés les résistants est érigé à Beaucoudray. Les patriotes exécutés sont : Jacques Albertini, Étienne Bobo, René Crouzeau, Alfred Guy, Ernest Hamel, Jean Lecouturier, Auguste Lerable, Francis Martin, André Patin, Raymond Robin, Jean Sanson.