À travers la fenêtre du salon, nous voyions des lueurs rouges ; c'était le début des incendies, dont celui des Archives départementales, situées à peu de distance. De l'autre côté, nous pensions que la pharmacie Lefrançois devait brûler ; il valait donc mieux s'en aller avant que le passage soit impraticable dans ce quartier de l'enclos. Nous devions apprendre par la suite que nos voisins immédiats, les Fabre (organiste aveugle), les Duchemin, etc., avaient trouvé la mort dans la cave contiguë à la nôtre. [...]

Pour gagner une route à partir du quartier central de la cathédrale, ce n'était pas facile. Nous avons escaladé les restes de l'immeuble de quatre étages des assurances sociales. Ce n'était plus qu'un tas de pierres, de poutrelles, de fils électriques. Comme j'étais enceinte de cinq mois, je n'étais pas souple, mais dans ces moments là, on a des ailes. Devant Notre Dame, un énorme cratère avec, au fond, un homme implorant " ma jambe, ma jambe ! " J'ai vu quelqu'un portant le brassard et et le casque de la défense passive essayer d'aller vers lui ; qu'a t-il pu faire ? Un autre nous fit des signes pour que nous nous réfugions dans le sous-sol des magasins Letenneur, sur le plateau. Il était temps : une nouvelle vague d'avions arrivait. Là se trouvaient déjà plusieurs personnes, dont un agonisant qu'on administra. Les prières nous semblaient destinées également aux autres présents. Je ne sais plus si c'est au bout d'une heure ou deux qu'on vint nous dire de déguerpir car le feu prenait aux alentours de la porte de la cave. Nous revoilà donc tous les trois dehors parmi une foule d'autres malheureux obligés de descendre la rampe qui mène vers la gare. Un vieux soldat allemand que j'avais remarqué dans les mois passés pour sa laideur, était là et nous disait " attention, bombes à retardement ". Je tiens à le dire car, comme les avions revenaient, il aurait très bien pu lui aussi courir se mettre à l'abri. C'est le seul soldat que nous ayons vu dehors. Nous entendions des hurlements monter de la rue Torteron, située en contrebas, et où beaucoup moururent écrasés sous leur maison [...]. Au lieu d'aller vers la gare, nous obliquons à gauche et entrons sous le rocher que les allemands avaient aménagé ; je refusai à mon mari d'aller dans les salles du fond, j'avais peur qu'un rocher ne se détache et ne vienne bloquer la sortie. J'ai consenti à attendre 6 heures du matin pour partir à l'air libre. Un de nos voisins, méconnaissable sous la poussière noire qui le recouvrait m'annonça en sanglotant la mort de sa jeune fille [...] Au petit jour, nous sommes partis vers la plus proche route, celle de Villedieu. Nous y avons rencontré un ancien collègue, qui nous a indiqué la ferme de madame baudet, à Saint Thomas de Saint-Lô, comme refuge possible. Je me suis retournée et ai pu voir le ciel de Saint-Lô tout rouge avec des incendies. Saint-Lô était-elle maudite et nous avec ? Je n'aurais jamais cru que la vie pourrait reprendre un jour à cet endroit.

Témoignage de Mme Jeanne Moitié, extrait de la page 147 du livre " un mémorial pour la paix ". (voir bibliographie).


6 juin 1944 : le bombardement. Après les " intermèdes " de l'après-midi, c'est-à-dire, bombardement et mitraillage de l'usine électrique d'Agneaux vers 10 h, puis celui de la gare à 16 h, maman et tous les voisins ont vu les habitants de la rue Guillaume Michel et du quartier de la gare remonter avec tous leurs paquets la route de Carentan pour gagner la campagne. (ma guerre en socquettes.)

la pleureuse        la pleureuse        la pleureuse (socle)

La percée américaine