Charles de Gaulle

La France libre

de Gaulle        de Gaulle        de Gaulle        de Gaulle et Churchill

Le général à la B.B.C.    C De Gaulle

souvenir

" Le calvaire que nous gravissons est la plus grande épreuve de notre histoire. Mais nous savons de quel abîme nous émergeons et vers quels sommets nous montons ". C De Gaulle, Cherbourg, le 20 août 1944

Général et chef d'État français (Lille le 22 novembre 1890 / Colombey-les-Deux-Églises, 1970).
Son rôle dans le destin du pays à partir de 1940 fait certainement de Charles de Gaulle l'homme politique français le plus important du XXe siècle. C'est d'abord dans l'adversité que s'est forgée sa figure : chef de la France libre, il l'a menée à la victoire en 1945. Revenu au pouvoir en 1958 et fondateur de la Ve République, il a mis fin à la guerre d'Algérie et accompli la décolonisation de l'ancien empire ; président de la République jusqu'au 28 avril 1969, il dénoue, au moins sur le plan politique, la crise de Mai 68.

Vers la carrière militaire
Charles de Gaulle grandit à Paris, où son père, Henri, enseigne l'histoire et les mathématiques dans un collège catholique. À quinze ans, il hésite entre la littérature et l'armée. La crise d'Agadir avec l'Allemagne, en 1911, et la " montée des périls " l'orientent vers l'école militaire de Saint-Cyr. Il appartient, avec ses trois frères, à la " génération de la revanche ", qui veut effacer la défaite de 1870. Engagé dès août 1914, il est blessé deux fois, avant d'être laissé pour mort en mars 1916 sur le champ de bataille de Verdun. Pris par les Allemands, il est soigné et envoyé dans un camp de prisonniers. Sa détention, marquée par trois tentatives d'évasion, ne prend fin qu'avec l'armistice de novembre 1918.

La plume au service de l'action
Cette captivité est cependant féconde. Tout en suivant les opérations de guerre – sur lesquelles il fait des conférences –, il essaie, par un vaste programme de lectures, de percer le " mystère " de la France : cinq fois envahie depuis la Révolution, elle n'a pas trouvé les institutions capables de concilier démocratie et stabilité. Mais il laissera dans l'ombre sa réflexion politique pour n'écrire que sur la guerre : la Discorde chez l'ennemi (1924).

En 1920, il accompagne le général Weygand auprès des Polonais en guerre contre les bolcheviks. À son retour en France en 1921, il épouse Yvonne Vendroux, qui lui donnera trois enfants : Philippe, Élisabeth et Anne – cette dernière, handicapée, mourra à dix-neuf ans. Deux années au Liban (1929-1930) achèvent sa formation géopolitique : il y découvre l'Islam résistant à l'Occident et s'interroge sur l'avenir des empires coloniaux.

Les rencontres : Pétain et Paul Reynaud
Ses qualités d'analyste le font remarquer. D'abord par le maréchal Pétain, alors vice-président du Conseil supérieur de la guerre, qui le prend en 1925 dans son cabinet. De Gaulle multiplie alors les articles sur la situation militaire et politique. Ces réflexions donneront naissance au Fil de l'épée (1932), portrait du chef de guerre, et Vers l'armée de métier (1934), esquisse d'une armée de professionnels conçue pour le mouvement et axée sur les blindés, puis à la France et son armée (1938). C'est ensuite Paul Reynaud, plusieurs fois ministre dans les années 1930 avant de devenir président du Conseil en mars 1940, et partisan de la fermeté face à l'Allemagne nazie, qui le fait entrer dans le cercle de ses collaborateurs. De Gaulle rédige ses déclarations ministérielles ; en mai, il est nommé général de brigade à titre temporaire, et, le 5 juin 1940, sous-secrétaire d'État à la Guerre, dans un gouvernement qui ne durera que onze jours.

La guerre, la Résistance
Pour Charles de Gaulle, la guerre a commencé en 1938 avec Munich et l'abandon de la Tchécoslovaquie. Il pense qu'elle sera mondiale, que l'URSS – malgré le pacte germano-soviétique d'août 1939 – et les États-Unis interviendront, que la défaite de l'Allemagne nazie ne pourra être que l'œuvre d'une alliance des nations. Cette vision stratégique explique sa lucidité pendant la " drôle de guerre " (septembre 1939 - mai 1940), quand les Français se croient à l'abri, et son refus presque solitaire de l'armistice de juin 1940, dont le défaitisme lui paraît " abominable ".

La campagne de France et l'appel du 18 Juin

La guerre éclair de mai-juin 1940 jette les Français sur les routes de l'exode. À la tête de ses chars, de Gaulle exécute à Montcornet l'une des rares actions brillantes au milieu du désastre. C'est alors que Paul Reynaud l'appelle au ministère et lui demande d'aller à Londres, où il discute avec Winston Churchill d'un pacte d'union franco-britannique. Rentré en France – à Bordeaux, où le ministère s'est réfugié –, il assiste à la démission de Reynaud puis à l'arrivée de Pétain, qui s'informe auprès des Allemands des conditions d'un armistice. De Gaulle décide alors de retourner à Londres.

Chronologie (1940): Appel du 18 juin 

Grâce à l'appui de Churchill, il accède au micro de la radio britannique, la BBC et, dans la soirée du 18 juin, lance son appel à la poursuite de la lutte par une armée modernisée et régénérée.

Charles de Gaulle : discours du 18 juin 1940, Résistance : l'appel du 18 juin 1940, par le général de Gaulle 

Le combat de la légitimité
Reconnu " chef des Français libres " par Churchill dès le 28 juin, de Gaulle entame un dur combat pour faire valoir la légitimité de son action. En France, l'Assemblée nationale, réunie à Vichy le 10 juillet 1940, donne les pleins pouvoirs au maréchal Pétain ; en Grande-Bretagne même, beaucoup de soldats français réfugiés après Dunkerque, choqués par la destruction de la flotte française basée à Mers el-Kébir (3 juillet 1940), préfèrent retraverser la Manche. En outre, la majeure partie de l'empire colonial proclame sa fidélité à Vichy.

Cependant, Félix Éboué, gouverneur du Tchad, se rallie dès juillet 1940. Le capitaine Leclerc réussit, à la fin août, à rattacher l'Afrique-Équatoriale à la France libre. De Gaulle le rejoint au Cameroun et, malgré un échec devant Dakar fin septembre – il a été reçu à coups de canon – lance le 27 octobre 1940, à Brazzaville, son premier manifeste politique. Il y dénonce le régime " inconstitutionnel " du maréchal et proclame sa volonté de " rendre compte de ses actes devant les représentants du peuple français dès qu'il lui sera possible d'en désigner librement " ; il crée le Conseil de défense de l'Empire, reconnu par la Grande-Bretagne le 24 décembre. Il s'oriente désormais vers le combat diplomatique, pour que la France libre soit reconnue par les Alliés comme la " seule " France.

L'Empire français dans la balance
Le ralliement du Moyen-Orient au printemps 1941 se réalise dans des conditions dramatiques. Restés fidèles à Pétain, les soldats français résistent aux Britanniques et aux Français libres. La victoire remportée, Churchill tergiverse, ne voulant pas accepter que la France libre devienne la puissance mandataire en Syrie. Une grave crise de confiance éclate entre le Premier ministre britannique et le général de Gaulle.

L'invasion de l'URSS par l'armée allemande en mai 1941, puis l'attaque japonaise contre Pearl Harbor en décembre étendent la guerre au monde entier. De Gaulle, pour qui " la présence soviétique dans le camp des Alliés offre, vis-à-vis des Anglo-Saxons, un élément d'équilibre ", envoie l'escadrille de chasse Normandie (Normandie-Yemen) combattre auprès des Russes. Les Américains et les Britanniques songent cependant à ouvrir un second front par un débarquement. L'Afrique du Nord française est choisie, et la date – le 8 novembre 1942 – arrêtée, sans que le chef de la France combattante en soit prévenu. Bien plus, le président Roosevelt choisit de remettre le gouvernement civil et militaire de l'Afrique du Nord libérée entre les mains d'un homme de Vichy, l'amiral Darlan ; puis, Darlan ayant été assassiné en décembre 1942, les Américains favorisent l'arrivée au pouvoir du général Giraud, évadé d'Allemagne et amené à Alger par les Britanniques.

Alger, capitale de la France

C'est le soutien de la Résistance intérieure unie – dans une France entièrement occupée par les Allemands depuis le débarquement à Alger – et le succès de la troupe de Leclerc en Libye et en Tunisie qui permettent à de Gaulle de prendre pied en Afrique du Nord, le 30 mai 1943. La veille, Jean Moulin, initiateur du Conseil national de la Résistance – qui réunit partis traditionnels et mouvements de la Résistance – lui a envoyé un télégramme de fidélité. Face à Giraud, qui n'a pas su rompre avec la législation de Vichy, de Gaulle incarne le retour à la légalité républicaine. D'abord coprésident, puis, à partir du 3 octobre 1943, président du Comité français de libération nationale (CFLN), il gouverne l'Empire français revenu dans la guerre.

Une Assemblée consultative siège à Alger ; composée de parlementaires ralliés et de représentants des mouvements de la Résistance, elle est chargée de préparer l'avenir. Ainsi entouré, le CFLN se transforme, le 3 juin 1944, en Gouvernement provisoire de la République française, selon le vœu unanime de l'Assemblée, et est reconnu officiellement par les Alliés. Tous les partis y siègent, même le parti communiste, avec lequel le colonel Rémy, agent secret de la France libre, a pris contact dès 1942.

Le débarquement allié en Normandie a lieu le 6 juin 1944. Dès le 14, le général de Gaulle est à Courseulles-sur-Mer, où la population l'applaudit. Il obtient d'Eisenhower que la division Leclerc libère Paris, et gagne lui-même la capitale le 25 août. Le lendemain, il descend triomphalement les Champs-Élysées.

Charles de Gaulle : discours après la libération de Paris 
Débarquement des Alliés en Normandie (1944), Le général Eisenhower annonce le débarquement allié en Normandie (1944) 

La querelle du bonapartisme

Libérée, la France de 1944 n'est pas encore victorieuse. Il lui faut participer à la guerre et aller jusqu'à Berlin, où le général de Lattre réussit à imposer la signature de la France aux accords d'armistice, le 8 mai 1945. Le combat engagé si difficilement en 1940 est gagné. Reste à reconstruire le pays.

Le maréchal de Lattre de Tassigny 

À la tête du Gouvernement provisoire, le général de Gaulle poursuit sa politique d'union nationale et cherche la " pacification des esprits " – il obtient notamment la dissolution des milices patriotiques formées à la Libération par le PCF. En outre, il veut " rendre la parole au peuple " par voie de référendum : les partis traditionnels, qui voient dans cette pratique un retour aux plébiscites du Second Empire, l'accusent dès lors d'ambitions personnelles, de " bonapartisme ". Prisonniers et déportés étant revenus, les élections législatives peuvent avoir lieu ; elles sont encadrées par deux référendums : l'un pour savoir s'il faut une nouvelle Constitution (95 % de " oui "), l'autre pour décider de soumettre ou non à référendum le texte élaboré par l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945, où dominent les communistes, les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) et les socialistes (66 % de " oui " ).

Élu chef de gouvernement à l'unanimité, le 13 novembre 1945, de Gaulle se trouve pourtant rapidement en désaccord avec la majorité de l'Assemblée sur le projet de Constitution : opposé à un système de souveraineté parlementaire, dans lequel il voit la raison de la faiblesse et des errements de la IIIe République, il veut un exécutif plus fort. Le 20 janvier 1946, il démissionne. Était-il convaincu qu'on le rappellerait bien vite ? Toujours est-il que, avec la ratification de la nouvelle Constitution, en octobre 1946, la IVe République s'installe sans lui, et sans doute contre lui.

En avril 1947, de Gaulle lance alors le Rassemblement du peuple français (RPF) pour obtenir la réforme du régime. Malgré un succès immédiat aux élections municipales, il échoue aux élections législatives de 1951. En 1953, il rend leur liberté à ses élus et se retire à Colombey-les-Deux-Églises, où il entreprend la rédaction de ses Mémoires de guerre (1954-1959). Il ne sort guère de son silence que pour s'opposer, en 1954, au projet d'armée européenne.

Le retour de juin 1958

La guerre d'Indochine se termine en 1954 après la défaite de Diên Biên Phu. La même année commence en Algérie une guerre où le contingent sera bientôt envoyé en renfort de l'armée de métier. Pour prix de cet effort, l'armée exige les pleins pouvoirs afin de faire aboutir sa politique d' " intégration " des musulmans dans l' " Algérie française ". Le 13 mai 1958, après une émeute à Alger, le général Massu lance un appel à de Gaulle. Le 15 mai, le général se déclare prêt à former le gouvernement. Le président Coty fait appel à lui le 29 mai, et le Parlement l'investit le 1er juin. Comme en 1946, il pose comme préalable la rédaction d'une Constitution instituant un exécutif fort et soumise à la ratification populaire. Cette condition est acquise en septembre, avec l'aide de Michel Debré, garde des Sceaux : le projet constitutionnel obtient 80 % de " oui ", en France et dans l'ensemble du vieil Empire d'outre-mer, transformé en " Communauté " (seule la Guinée a voté " non "). En décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la Ve République par un collège de notables.

Chronologie (1958) : De Gaulle, président de la République 
Discours de Charles de Gaulle sur la nouvelle Constitution (extrait) 

Le stratège de la légitimité

Pendant les dix années où il restera à la tête de l'État, le général de Gaulle va demander au suffrage universel, dans le calme ou la tempête, d'être à la fois la " source " de son action et son " recours ". L'œuvre la plus urgente est le règlement de la question algérienne. Paisible en Afrique noire, la marche vers l'autodétermination puis vers l'indépendance est dramatique en Algérie : le chef de l'État doit surmonter la révolte des Européens " pieds-noirs " en janvier 1960 (" journées des barricades " à Alger, 24 janvier) ; le putsch des généraux en avril 1961 ; les vagues d'attentats de l'OAS (dont lui-même manque d'être victime, le 8 septembre à Pont-sur-Seine), et, une fois l'indépendance ratifiée (accord d'Évian, 18 mars 1962), il échappe à un nouvel attentat de l'OAS, sur la route du Petit-Clamart (22 août).

Le 28 octobre 1962, il demande aux Français d'approuver pour l'avenir l'élection du président de la République au suffrage universel. Adoptée par 62,25 % des voix contre l'ensemble des partis, sauf l'Union pour la nouvelle République (UNR) créée pour le soutenir, cette réforme assure la seconde fondation de la Ve République.

À l'extérieur, de Gaulle conduit avec ténacité une politique d'indépendance nationale. En 1963, il signe avec le chancelier allemand Adenauer un traité qu'il souhaite de réconciliation pour le passé et, pour l'avenir, de construction d'une Europe redevenue maîtresse de son destin. Il le dit à Moscou, où il se rend en 1966 ; il le dit en Pologne et en Roumanie. Le Cambodge et le Québec entendent ses appels à la liberté des peuples. Il s'attire ainsi l'hostilité des États-Unis et même celle d'Israël, qu'il prévient contre les méfaits à venir – le terrorisme – de sa guerre de 1967. À l'intérieur, avec la prospérité économique, les progrès de la recherche civile et militaire (avion Caravelle ; mise au point de la bombe atomique) sont les instruments de sa politique d'indépendance qui lui permettent de sortir la France de l'OTAN, en 1966.

Chronologie (1960) : La France possède la bombe atomique, 
Chronologie (1966) : La France se retire de l'OTAN 

Mai 68 : la fin de la légitimité ?

Réélu en 1965, de Gaulle doit affronter l'opposition des partis de gauche réunis autour de François Mitterrand. Mais c'est à l'université que la crise éclate en mai 1968. Devant l'émeute qui enflamme Paris et les grèves qui paralysent le pays, de Gaulle, dont les premières actions pour rétablir l'ordre puis la proposition d'un référendum sur la participation ont échoué, quitte l'Élysée pour rejoindre le général Massu à Baden-Baden, le 29 mai. Va-t-il se retirer ? Il revient le lendemain, pour dénoncer à la radio, comme il l'a fait dans les heures graves, la " menace totalitaire " et dissoudre l'Assemblée. Le parti gaulliste, l'Union pour la défense de la République (UDR), remporte triomphalement les élections de juin 1968.

Mais, dès avril 1969, le Général entreprend de tester la confiance des Français en organisant un référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le " non " l'emporte : il démissionne aussitôt, et assiste silencieux à l'élection de son successeur, Georges Pompidou, qui assure la pérennité du régime. Retiré à Colombey, il rédige le premier tome de ses Mémoires d'espoir (1970) et meurt brusquement, le 9 novembre 1970, dix-huit mois après avoir quitté le pouvoir.

escadrilles Normandie-Niémen

le commandant Kieffer à la tête de ses commandos


http://www.charles-de-gaulle.org/

6 juin 1944  

La bataille suprême est engagée, après tant de combats, de fureur, de douleur, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré, bien entendu c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France !

25/8/1944 l’Hôtel de Ville de Paris

Paris, Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré, libéré par lui même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France toute entière, c'est à dire de la France qui se bat, c'est à dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle !

8 mai 1945 Paris-Radio diffusion française

La guerre est gagnée, voici la victoire, c'est la victoire des nations unies et c'est la victoire de la France, l'ennemi allemand vient de capituler devant les armées alliées de l'ouest et de l'est.

Discours de Bayeux le 16 juin 1946 

Dans notre Normandie, glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs furent témoins d'un des plus grands événements de l'Histoire. Nous attestons qu'ils en furent dignes. C'est ici que, quatre années après le désastre initial de la France et des Alliés, débuta la victoire finale des Alliés et de la France. C'est ici que l'effort de ceux qui n'avaient jamais cédé et autour desquels s'étaient, à partir du 18 juin 1940, rassemblé l'instinct national et reformée la puissance française tira des événements sa décisive justification. 

En même temps, c'est ici que sur le sol des ancêtres réapparut l'État ; l'État légitime, parce qu'il reposait sur l'intérêt et le sentiment de la nation ; l'État dont la souveraineté réelle avait été transportée du côté de la guerre, de la liberté et de la victoire, tandis que la certitude n'en conservait que l'apparence ; l'État sauvegardé dans ses droits, sa dignité, son autorité, au milieu des vicissitudes du dénuement et de l'intrigue ; l'État préservé des ingérences de l'étranger ; l'État capable de rétablir autour de lui l'unité nationale et l'unité impériale, d'assembler toutes les forces de la patrie et de l'Union Française, de porter la victoire à son terme, en commun avec les Alliés, de traiter d'égal à égal avec les autres grandes nations du monde, de préserver l'ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction. 

Si cette grande oeuvre fut réalisée en dehors du cadre antérieur de nos institutions, c'est parce que celles-ci n'avaient pas répondu aux nécessités nationales et qu'elles avaient, d'elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente. Le salut devait venir d'ailleurs. Il vint, d'abord, d'une élite, spontanément jaillie des profondeurs de la nation et qui, bien au-dessus de toute préoccupation de parti ou de classe, se dévoua au combat pour la libération, la grandeur et la rénovation de la France. Sentiment de sa supériorité morale, conscience d'exercer une sorte de sacerdoce du sacrifice et de l'exemple, passion du risque et de l'entreprise, mépris des agitations, prétentions, surenchères, confiance souveraine en la force et en la ruse de sa puissante conjuration aussi bien qu'en la victoire et en l'avenir de la patrie, telle fut la psychologie de cette élite partie de rien et qui, malgré de lourdes pertes, devait entraîner derrière elle tout l'Empire et toute la France. 

Elle n'y eût point, cependant, réussi sans l'assentiment de l'immense masse française. Celle-ci, en effet, dans sa volonté instinctive de survivre et de triompher, n'avait jamais vu dans le désastre de 1940 qu'une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d'avant-garde. Si beaucoup se plièrent, par force, aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur coeur fut littéralement infime. Jamais la France ne crut que l'ennemi ne fût point l'ennemi et que le salut fût ailleurs que du côté des armes de la liberté. À mesure que se déchiraient les voiles, le sentiment profond du pays se faisait jour dans sa réalité. Partout où paraissait la croix de Lorraine s'écroulait l'échafaudage d'une autorité qui n'était que fictive, bien qu'elle fût, en apparence, constitutionnellement fondée. Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. Ce serait risquer de voir l'édifice crouler une fois de plus à l'occasion d'une de ces crises auxquelles, par la nature des choses, notre pays se trouve si souvent exposé. 

Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l'État, dans la victoire remportée et l'unité nationale maintenue, la tâche par-dessus tout urgente et essentielle était l'établissement des nouvelles institutions françaises. Dès que cela fut possible, le peuple français fut donc invité à élire ses constituants, tout en fixant à leur mandat des limites déterminées et en se réservant à lui-même la décision définitive. Puis, une fois le train mis sur les rails, nous-mêmes nous sommes retirés de la scène, non seulement pour ne point engager dans la lutte des partis ce qu'en vertu des événements nous pouvons symboliser et qui appartient à la nation tout entière, mais encore pour qu'aucune considération relative à un homme, tandis qu'il dirigeait l'État , ne pût fausser dans aucun sens l'oeuvre des législateurs.

Cependant, la nation et l'Union Française attendent encore une Constitution qui soit faite pour elles et qu'elles aient pu joyeusement approuver. À vrai dire, si l'on peut regretter que l'édifice reste à construire, chacun convient certainement qu'une réussite quelque peu différée vaut mieux qu'un achèvement rapide mais fâcheux.

Au cours d'une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d'un homme, la France fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans les malheurs d'un peuple. Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de traverser n'ont fait, naturellement, qu'aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des Puissances entre lesquelles nous sommes placés, ne laisse pas d'introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'Histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des
administrations, le prestige et l'autorité de l'État .

C'est qu'en effet, le trouble dans l'État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l'égard des institutions. Il suffit alors d'une occasion pour faire apparaître la menace de la dictature. D'autant plus que l'organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ire, la IIème, la IIIème Républiques ? Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux régimes que l'on sait ? Et pourtant, qu'est la dictature, sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises. À mesure que se fait jour parmi les citoyens l'impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu'il s'agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure. À chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. À la fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que l'aventure commençât.

Il suffit d'évoquer cela pour comprendre à quel point il est nécessaire que nos institutions démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. Il y a là, au surplus, pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle où nous sommes, où la position, d'indépendance et jusqu'à l'existence de notre pays et de notre Union Française se trouvent bel et bien en jeu. Certes, il est de l'essence même de la démocratie que les opinions s'expriment et qu'elles s'efforcent, par le suffrage, d'orienter suivant leurs conceptions l'action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés et, qu'au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons.

Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une Assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d'une telle Assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième Assemblée, élue et composée d'une autre manière, la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les grands courants de politique générale sont naturellement reproduits dans le sein de la Chambre des Députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits. Elle les a dans la Métropole. Elle les a, au premier chef, dans les territoires d'outre-mer, qui se rattachent à l'Union Française par des liens très divers. Elle les a dans cette Sarre à qui la nature des choses, découverte par notre victoire, désigne une fois de plus sa place auprès de nous, les fils des Francs. L'avenir des 110 millions d'hommes et de femmes qui vivent sous notre drapeau est dans une organisation de forme fédérative, que le temps précisera peu à peu, mais dont notre Constitution nouvelle doit marquer le début et ménager le développement.

Tout nous conduit donc à instituer une deuxième Chambre dont, pour l'essentiel, nos Conseils généraux et municipaux éliront les membres. Cette Chambre complétera la première en l'amenant, s'il y a lieu, soit à réviser ses propres projets, soit à en examiner d'autres, et en faisant valoir dans la confection des lois ce facteur d'ordre administratif qu'un collège purement politique a forcément tendance à négliger. Il sera normal d'y introduire, d'autre part, des représentants, des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que se fasse entendre, au-dedans même de l'État , la voix des grandes activités du pays. Réunis aux élus des assemblée locales des territoires d'outre-mer, les membres de cette Assemblée formeront le grand Conseil de l'Union Française, qualifié pour délibérer des lois et des problèmes intéressant l'Union, budgets, relations extérieures, rapports intérieurs, défense nationale, économie, communications.

Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations. Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l'Assemblée Nationale Constituante le Président du Gouvernement Provisoire, puisque, sur la table rase, il n'y avait aucun autre procédé acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu'une disposition du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline intérieure du Gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était, à son poste, que le mandataire d'un parti ?

C'est donc du chef de l'État , placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l'Union Française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d'abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l'État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c'est envers l'État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. À lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d'y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. À lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France.

Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : " Quelle est la meilleure Constitution ? " Il répondait : " Dites-moi, d'abord, pour quel peuple et à quelle époque ? " Aujourd'hui, c'est du peuple français et des peuples de l'Union française qu'il s'agit, et à une époque bien dure et bien dangereuse ! Prenons-nous tels que nous sommes. Prenons le siècle comme il est. Nous avons à mener à bien, malgré d'immenses difficultés, une rénovation profonde qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d'aisance, de sécurité, de joie, et qui nous fasse plus nombreux, plus puissants, plus fraternels. Nous avons à conserver la liberté sauvée avec tant et tant de peine. Nous avons à assurer le destin de la France au milieu de tous les obstacles qui se dressent sur sa route et sur celle de la paix. Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous somme capables, pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner et pour observer des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche nous sommes portés à nous diviser contre nous-mêmes ! Toute notre Histoire, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'un État fort.

Extrait des tomes de " Discours et messages " parus aux éditions Plon.

Discours de Gaulle

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