CET ALBUM A ÉTÉ ÉDITÉ PAR LE MOUVEMENT DE LIBÉRATION NATIONALE À LIMOGES

AU PROFIT DU CENTRE D'ENTRAIDE SOCIALE DE LA RÉSISTANCE

MM. LÉONIE, directeur régional du M.L.N.

REYNAUD, responsable régional de la Propagande-diffusion du M.L.N.

JACQUES, chef régional à la Propagande du M.L.N.

Et leurs services ont rassemblé les documents.

La rédaction de cette plaquette a été confiée à M. L.H. FELLOT, chef régional à l'Information du M.L.N.

M. J. De PAEPE en a conçu la présentation et la mise en pages, et M. DUPEYRON s'est chargé de l'illustration.

AUX MARTYRS D'ORADOUR-SUR-GLANE, AUX FAMILLES ENDEUILLÉES, AU LIVRE NOIR DES ATROCITÉS ALLEMANDES,
AU MONDE ENTIER, CONFIANT DANS SA FOI ET SES DROITS,

NOUS DÉDIONS CES LIGNES POUR, SIMPLEMENT, MAIS FERMEMENT, QUE JUSTICE SOIT FAITE.

AVANT-PROPOS

Le 10 octobre 1944, le Conseil des ministres, réuni sous la présidence du général de Gaulle, créait, sur le rapport de M. de Menthon, ministre de la Justice, un Service des crimes de guerre. Ce Service devait avoir pour but de rassembler les preuves des crimes commis en France par les Allemands et de les faire connaître par la publication d'un " Livre noir sur les atrocités allemandes ".

Quatre mois - jour par jour - séparent cette ordonnance ministérielle de la tragédie d'Oradour. Quatre mois n'ont pas encore effacé l'odeur de cendre, de chair et de carnage.

... Il y a toujours l'odeur du sang. " Tous les parfums de l'Arabie ne rendraient pas suave cette main... ", dit lady Macbeth.

Les S.S. ont noyé dans l'orgie le spectre d'Oradour.

Pauvre et stérile, apparaît ainsi l'horreur des tragédies shakespeariennes.

Le réel, cru, sous le silence des murs, où, dans l'air lourd encore des cendres saturées, le never more - le jamais plus ! - du corbeau croassant d'Edgar Poë semble jeter sa note déchirante, repousse la limite des concepts criminels de l'esprit.

Notre littérature s'arrêtera là.

Nous avons noté tous les faits, tous les actes, tous les détails qu'ont pu nous apporter les collaborateurs connus ou inconnus, nous avons consigné tout ce que des témoins oculaires ont gardé vivant dans la mémoire, nous avons consulté les rapports officiels, compulsé et trituré ce qui a pu déjà être dit ou écrit.

Et alors, cette journée tragique du 10 juin 1944 s'étale avec une brutalité que la plus stricte objectivité suffit à rendre cruelle.

PRÉFACE

11, 12... juin 1944... Sur les ondes mondiales court un nom inconnu, le nom d'une modeste bourgade du bocage limousin : Oradour ... Aujourd'hui, nul ne peut prononcer ces syllabes, qui eussent fait le charme d'une claire poésie de chez nous, sans ressentir au fond du coeur l'âpre et dévorant frisson de l'angoisse.

Le M.L.N. a voulu, dans les pages qui vont suivre, mettre à même les générations présentes et futures de mesurer jusqu'où peut mener la folie démoniaque d'un chef d'État suivi par un peuple fanatisé.

Que ce livre, plaçant sous nos yeux des images d'épouvante et d'horreur, tienne en nos foyers la place d'un souvenir douloureux et d'un avertissement salutaire.

ORADOUR, le sommet de la barbarie, ORADOUR, l'abîme d'une " civilisation " qui eût pu, sans l'héroïsme, le sacrifice de tous les fils de la Résistance, devenir " européenne " et peut-être mondiale.

Le M.L.N. édite " Les Huns à Oradour-sur-Glane " sous le signe de la solidarité le bénéfice de l'œuvre ira tout entier au Centre d'entr'aide sociale de la Résistance, groupant les familles des déportés et fusillés de notre région.

MOUVEMENT DE LIBÉRATION NATIONALE.

CE QUI FUT...

Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes,

Les cieux n'ont plus d'enfer, les lois n'ont plus de bagnes.

Tout renaît.

Victor Hugo

Dans un de ces paysages classiques du Limousin... au milieu de grands prés parsemés de bois que traverse un ruisselet filtrant une eau claire et qui cache dans ses pierres les truites et dans ses recoins les écrevisses, s'élevait Oradour-sur-Glane.

Sa campagne agréable, sa réputation de bonne table et sa proximité de Limoges en faisaient un séjour idéal pour les citadins aux désirs humbles et aux joies tranquilles.

Rien encore n'était venu troubler le rythme des saisons. Les paysans, fiers d'étreindre les mottes de ce sol ingrat (où les séchères se couvrent de bruyère et les mouillères de joncs, de carex ou de prèles), fiers de ce sol fertilisé par eux et nourrissant un cheptel nombreux, goûtaient la joie de vivre et jouissaient en toute quiétude du profit de leur labeur.

Le bourg ronronnait au soleil comme une bête satisfaite. Leurs plaisirs étaient purs, car ils ignoraient la haine.

Les jours de foire, une foule nombreuse, arrivant par toutes les routes, déversée par le tortillart départemental qui traverse la ville, venait faire ses emplettes dans les boutiques achalandées ou sceller quelque marché chez Milord, au Café du Chêne, ou bien chez Dagoury.

Les écoles, nombreuses, retentissaient des cris des gosses heureux. Il y avait " l'enfantine ", l'école des filles, celle des garçons, et celle des Bordes (pour les petits réfugiés lorrains). Et puis, dans ce village tout était accueillant.

Chacun se connaissait de longue date. De grandes familles composaient le bourg dont les rameaux allaient loin, s'égaillant aux hameaux voisins, aux communes mêmes, à Javerdat ou Vayrac en passant par la Plaine, le Repaire ou Peury. Il y avait aussi les " cousins " et les " neveux " qui avaient gagné la ville.

Aussi quand un mariage avait lieu, ou quelque fête (fête de famille, ou fête de la terre), les liens se resserraient.

Car l'amitié et les joies de l'union fortifiaient leurs âmes.

Ainsi vivait Oradour dans le souvenir des veillées d'autrefois, réunissant autour des foyers les gens de tout âge, alors que les femmes tricotaient et filaient à la lueur du chaneu, quand les hommes pelaient des châtaignes ou teillaient le chanvre.

Il restait cependant les refrains des chansons limousines.

Ainsi vivait Oradour, car les jeunes chantaient encore Lou cœur de mo mio ou Lou chobretcure. Ainsi vivait Oradour, comme tant d'autres villages et tant d'autres bourgs. Ainsi s'écoulait une vie paisible et féconde.

Jusqu'au 10 juin...

Jusqu'au jour où des hommes vinrent, comme autrefois étaient venus les Huns. Jusqu'au jour du massacre.

Jusqu'au jour où la crosse, les balles et le feu semèrent deuils et ruines.

Où tout fut ruines, où tout fut cendres...

CE QUI RESTE... RUINES et cendres...

Là où le vocabulaire d'une langue trop humaine, où le raffinement des nuances qui se prêtent à l'abstraction se heurtent, impuissants au réalisme barbare de la force.

Est-ce donc là cette " volonté de puissance " ? La parure du génie " surhumain " ?

Lorsque, des pans de mur calcinés, des matériaux en monceaux de brique, de bois, de pierre, de fer et de verre ou encore de quelques poutres maîtresses de vieilles demeures du XVe siècle, craquant, pliant, cédant sous le poids des murs qu'elles supportent, s'échappe l'odeur du roussi, le silence, le silence lourd et pesant de ce qui est mort, est le seul cercueil et le seul linceul du bourg anéanti.

La vie pourtant est là. Il y a de la vie dans les plantes. Des graines ont germé sous l'action des cendres. Des oiseaux, des hirondelles, aussi, volent, et pourtant leurs nids ont été brûlés. Les chiens, craintifs, rôdent encore vers l'ombre des foyers ; ils ne savent même plus hurler. La volaille des basses-cours : canards, poulets; lapins échappés des clapiers, bêtes ivres d'une liberté inconnue frottent leurs poils et leurs plumes au soleil qui se lève, inconscient du crime des hommes, redonnant la chlorophylle aux plantes et l'épanouissement aux fleurs innocentes des jardins paisibles qui ne sont plus que des cimetières. Des boeufs, parmi des cadavres de boeufs, sont couchés dans les étables détruites.

À l'orée du bourg, avant d'avoir seulement franchi le pont de pierre dont l'arche unique enjambe la Glane, on aperçoit déjà les premières fermes incendiées, mais on n'imagine pas encore...

Tout a l'air si tranquille, tout est si calme et si paisible !

Quand on a parcouru la rue Émile Désourteaux, qui est la rue principale du village, quand on a enfilé les routes adjacentes, celle des Bordes, le chemin du Cimetière, les ruelles qui mènent au Champ-de-Foire, la route de Dieulidou, pour parvenir enfin à la route de Cieux qui marque la limite nette, distincte et réfléchie du carnage, quand on a vu les tranches de maisons et les *anches de murs pelés, les toits défoncés, éventrés, les pans de murailles calcinées, rongées, dévorées par le feu, les façades dénudées avec leur allure de cyclopes, alors que ni vitres ni volets ne s'agrippent aux fenêtres crevées, quand dans ce triste pèlerinage on a fouillé, la gorge sèche, les derniers débris et les derniers amas et les derniers tas d'ardoises et de tuiles, on comprend à ce moment toute la valeur du recueillement.

Les enseignes pendent partout, mutilées... On dirait des plaques funéraires. Elles sont là pour rappeler qu'ici fut le Café Milord, ou le Café du Chêne, et que là Jean Dupic habillait les jeunes mariées insouciantes alors de leur destin. Dans ce garage anéanti un écriteau " Energol " tient encore solidement fiché, mais celui de l'Huile Castrol, qui lui fait vis-à-vis, se balance, lamentable, au gré du vent. La boulangerie a conservé ses grandes lettres. On devine çà et là un café, une épicerie, une école, le dépôt des " Sels de potasse d'Alsace " ou les bureaux du " Conservateur " (assurances incendie, vie, accidents).

Lisez bien : " assurances vie, incendie, accidents ". Il y manque le viol pour parfaire l'ironie. Mais il reste le cauchemar...

Le cauchemar des demeures dévastées, celui des maisons où plus rien ne subsiste (une machine à coudre, peut-être, au milieu du fer tordu, du verre fondu), celui des magasins où, dans une poussière âcre, subsiste seulement un bout de marbre de comptoir ou un crochet de boucherie, celui des boutiques où ne se vend plus que la mort, celui des fermes et de leurs dépendances et celui des champs, celui des puits infectés par les cadavres, le cauchemar au. chlorure de chaux. C'est le mot qui reviendra toujours d'ans le 'compte rendu de la Commission d'hygiène et de salubrité.

Durant trois jours, un village de France a dû être lavé au chlorure de chaux et lessivé au crésyl.

De fait, l'odeur répugnante, l'air suffocant, tout ce qui a pu se dégager de cadavres carbonisés, des moignons de cadavres, de ces chairs brûlées, de la pourriture des bêtes - maintenant putréfiées - dont les crânes et les os ont éclaté sous la chaleur, cette odeur nauséabonde de mort, de viandes fétides et putrides, qui émane de ce lugubre charnier (il n'est point de mots pour le décrire), cette odeur de brûlé et de cendre humide monte du sol vers le ciel, effluves de l'horreur, honte tragique de l'ineffaçable.

Une carcasse de voiture, à livrée de rouille acide, repose sur l'essieu, face à ce qui fut une école de filles, une école de petites fillettes avec de grands nœuds dans les cheveux nattés.

L'église, enfin, demeure autrefois inviolable, édifice sacré, dernier refuge du pardon dans les luttes les plus acharnées, dans les combats les plus féroces, sanctuaire de la foi et, pour le non-croyant, asile de recueillement et symbole de charité, - l'église, avec sa tour carrée, n'est plus qu'une humble ruine, sous sa voûte crevée et son toit écroulé. Le plafond de maçonnerie et les murs noircis par les flammes portent en larges sillons des traînées de suie. Une Vierge en prière, les mains jointes, reste seule intacte. À l'intérieur, du porche au transept, de la nef à l'abside, entre les piliers écornés par les larges éraflures des balles, parmi les autels profanés et les statues mutilées : la cendre humaine...

Le 13 juin, on retrouva sur le sol jonché de décombres, à côté des objets du culte, une masse de bronze : c'était tout ce qui restait des cloches fondues par le feu.

On pouvait encore voir au milieu des ossements et des débris humains un pied d'enfant, dans une pantoufle. Les prêtres et les Scouts chargés de recueillir les derniers restes des victimes devaient emplir les lessiveuses d'os et de fragments de mâchoires, de doigts et de pieds, avant de les déverser dans la fosse commune.

On devait également assembler dans la cour six cadavres d'enfants, aux mains encore crispées, sans yeux et sans visage, dont les cuisses portaient les larges traces des brûlures. Un tronc de femme avait l'aspect d'un bâton noueux.

Partout des traces de balles. Des douilles traînent encore à terre, voisinant avec les objets les plus humbles : fers de sabots de bols, loques de vêtements, peignes, clefs, dés et menues pièces de monnaie ternies comme après dix siècles d'existence.

La plaque commémorative des morts de la guerre 1914-1918 n'a pas été épargnée. Soldats Clavaud, Desbordes, Vareille, qui avez donné votre sang pour votre Patrie, et qui, dans l'ombre de l'humble église de votre village natal, n'aspiriez sans doute qu'au souvenir respectueux de vos fils et de vos cadets, de nouvelles balles vous ont frappés, comme pour souligner vos inutiles sacrifices.

Durant quatre jours on s'efforça de combler les fosses, de dégager les lambeaux de cadavres.

Partout on découvrit des charniers. Dans la cave d'une ferme isolée, dans les jardins du presbytère, dans les fossés et dans les haies on trouva les cadavres des hommes et des femmes qui ont tenté de fuir. Sous un appentis, à côté de l'église, on découvrit, parmi vingt autres, le cadavre du maire.

Dans les granges et les garages des corps calcinés semblent encore témoigner de la souffrance horrible supportée par des infortunés brûlés vifs. Des puits on procéda à l'extraction des corps qui y avaient été jetés. Pendant des mois on fit encore des identifications.

Durant des mois Oradour gardera en son sein le mystère de ses morts.

Quand le soir, tombe, troublé par les sanglots des parents et amis, quand les âmes les plus paisibles sont agitées par l'instinct de révolte le plus juste, en attendant que l'aube nouvelle vienne , auréoler d'un voile velouté les ruines lugubres de la petite ville; quand le soir tombe et que tout dort, parce que le sommeil est le néant, les oiseaux de nuit, dans la dernière traînée du soleil qui se meurt, glissent lentement dans l'air assombri.

Un rapport officiel signale que " deux mètres cubes de restes calcinés de femmes et d'enfants ont été retirés de l'église et de la sacristie ".

LA JOURNÉE DU 10 JUIN

La cruauté avec laquelle s'acharnèrent les bourreaux d'Oradour, décidés à faire disparaître - jusqu'au dernier - les témoins du crime, poursuivant dans les caves, les granges, les taillis, les champs, les fermes et les trous les malheureux qui tentaient de s'enfuir, rend difficile la reconstruction des péripéties du crime. C'était sans aucun doute le but recherché. Qu'aucune lumière ne se fasse concernant les faits et les responsables, c'était pouvoir par la suite donner libre cours aux explications les plus fantaisistes, dégager les responsabilités et couvrir les coupables. C'était, en un mot, amplifier le machiavélisme de cette férocité.

Par bonheur, grâce au réflexe et à l'esprit de décision de quelques-uns, et par miracle même pour quelques autres (n'est-ce pas simplement le libre arbitre du jeu de la destinée ?); des hommes et des femmes ont échappé au massacre. Et encore il a fallu user de précautions et de ruses pour que . ces vivants du Village des Morts ne soient pas inquiétés ! Un de ces témoins, une femme, a déclaré :

" Blessée de quatre balles, après avoir passé la nuit à souffrir, cachée dans les rangées de petits pois, on m'a transportée enfin le lendemain sur une brouette de Puy-Gaillard à Laplaud. Un vieux docteur m'a soignée ; on m'a emmenée avec une voiture jusqu'à Saint-Victurnien, on m'a mise dans un train de marchandises allant à Limoges. En sortant de la gare des Bénédictins sur un brancard, j'ai été suivie par deux policiers de la Gestapo. On leur a dit que j'étais tombée dans un escalier ; ils se sont enfin éloignés.

C'est par ces témoins oculaires, qui garderont jusqu'à leur mort cette vision indélébile du feu, de la mort et du sang, qu'on a pu, par recoupements, retracer cette infernale journée.

Nous sommes le 10 juin 1944, un samedi. Il fait une de ces belles journées du printemps limousin, quand tout bourgeonne et tout fleurit et qu'il fait bon vivre sous cette chaude haleine. Les hôtels sont pleins (car comment résister à l'envie de pêcher la truite, en fin de semaine, sous les petites roches de la Glane ?). L'animation est extrême. Ah ! le jour a été bien choisi. Songez donc ! Les hommes viennent chercher leur tabac, les femmes, les ménagères ont profité du jour de vaccination pour les enfants, qu'elles amènent des hameaux voisins, pour parfaire leurs emplettes. Et puis, à ne rien cacher, c'est demain la Fête-Dieu, c'est demain procession. Il faut bien que l'on se fasse belles et que les

enfants soient coquets (où sont-elles donc les couronnes blanches des fillettes ?).

Il est quatorze heures environ. Soudain, trois autos-mitrailleuses, débouchant de la route de Saint-Victurnien (venaient-elles de Saint-Junien!), traversent le bourg, suivies de camions portant la marque et les insignes distinctifs des Waffen S. S. Dans chaque camion une trentaine d'hommes. Ce détachement, appartenant à la division " Das Reich ", brigade " Der Führer ", devait cerner totalement Oradour. Cependant, deux blindés remontent la rue principale, s'arrêtent, les Boches descendent. Tandis que le gros de leurs forces, une centaine d'hommes, peut-être plus, barrent entièrement les accès du village, poursuivant et mitraillant, aussi bien dans les sentiers que dans les champs, les hommes qu'ils aperçoivent et qui seraient tentés de s'enfuir, les autres se rabattent vers le centre en ramenant la population vers le Champ-de-Foire.

À ce moment M. Depierrefiche bat le tambour pour le rassemblement.

Les gens ne savent que penser. S'agit-il d'une vérification de papiers? De la recherche de réfractaires? Pourtant, ici, il n'y a point de maquis. S'il est un coin tranquille c'est bien Oradour ; tout le monde le sait. Les gens déjà s'inquiètent. Les procédés brutaux apparaissent. Comme un de ceux qu'on entraîne demande à son garde-chiourme : " Was ist los ? Papiere ? ", un coup de pied et un coup de poing lui répondent dans un " Ya " ironique.

Des coups de mitraillettes et de mousquetons claquent dans les maisons.

Et puis on fait sortir les enfants des écoles, dirigés par M. et Mme Rousseau. Et tout le monde, toute la population qu'on a fait sortir des maisons, est amenée sur le Champ-de-Foire, bousculée, frappée, poussée, conduite comme un troupeau de bétail. Un septuagénaire infirme est mené à coups de crosse.

C'est à ce moment qu'un des réchappés, voyant ce qui se passe, tente avec sa femme et un ami de s'enfuir dans un pré. Mais les Allemands veillent. Ils se cachent derrière un mur, essuyant deux rafales de mitrailleuses. Ils font demi-tour, passent par la maison du docteur qui devait quelques instants plus tard être fouillée de fond en comble, se séparent et se terrent dans les noisetiers, puis dans les petits pois. C'est de leur cachette qu'ils purent assister au drame.

Une auto-mitrailleuse patrouille, tandis que des camions ramènent de nouvelles personnes arrêtées. De temps à autre éclatent des coups de feu et des rafales de mitrailleuses. On abat partout où l'on peut des fuyards ou des hommes qui travaillent dans leurs champs, attachés à leur terre, à leur glèbe, étrangers à ce qui les entoure.

Vers quinze heures les mitrailleuses sont braquées autour du Champ-de-Foire. Des femmes s'évanouissent, d'autres pleurent, les enfants crient; femmes et enfants sont alors conduits et enfermés dans l'église.

Soudain un officier s'approche et appelle le maire. Celui-ci se présente. " Il me faut, lui dit-il, la liste des habitants et de 50 otages " et il l'entraîne à la mairie. Peu de temps après le maire vient reprendre sa place dans le rang.

À ce moment un avion survole le bourg.

L'officier interpelle à nouveau le maire. " Avez-vous, lui dit-il, la liste de 50 otages ? - Je n'ai rien à reprocher à mes amis et administrés, répond celui-ci. S'il faut un otage, je me présente, et s'il en faut d'autres, vous prendrez les membres de ma famille, mais je mourrai en Français. " L'officier s'éloigne.

Il revient quelque temps après, étant sans doute allé recevoir des ordres. Il parle de faire une fouille pour rechercher de soi-disant dépôts d'armes. " Nous allons vous mettre dans les granges et, la fouille faite, nous vous relâcherons... ! "

Il s'écoule à peu près trois quarts d'heure. Le temps, sans doute, de préparer les locaux et les granges. Puis les hommes, qui ont dû constamment faire face aux murs, sont mis en rangs par trois, comptés et partagés en plusieurs groupes. Cinq, sans doute, de 60 à 70 hommes. Un groupe devait être enfermé dans le . garage du docteur Désourteaux, un autre dans une grange, un autre dans une étable ; 5 à 6 S.S. barrent toute issue. Les mitrailleuses sont mises en place. Elles vont cracher de partout, elles tireront à ras de terre, fauchant les malheureux sous le commandement sec des officiers.

L'affaire n'est pourtant pas terminée.

Ceux qui bougent sont achevés à coups de revolvers, de fusils. Puis on mettra de la paille, du bois et des poutres par-dessus les cadavres. Les S.S. y mettront le feu avant de s'éloigner.

Là, encore, un homme, quoique blessé, réussit à se sauver. Se dégageant du charnier, il se hisse sur le mur et tombe dans un fenil auquel un Allemand met le feu. Il s'échappe à nouveau, se cachant derrière, les clapiers, retraverse sans être vu le Champ de Foire et va se terrer, jusqu'à la nuit, dans une haie près du cimetière. Il verra les S.S. revenir le lendemain brûler les maisons intactes, entasser les cadavres et les jeter dans. les puits. Enfin du fameux hangar de M. Senon, quatre hommes, doués d'un sang-froid et d'un courage admirables, vont également réussir à se sauver dans des circonstances absolument extraordinaires et que nous 'relatons plus loin.

Entre temps les femmes et les enfants sont conduits, sous bonne escorte, à l'église. En particulier les filles et garçons des écoles, menés par leurs maîtres et maîtresses, font partie de ce convoi qui y est gardé dans l'attente de son sort.

Le claquement sec des armes rend encore plus atroce cette attente. S'il ne s'agissait que de leurs demeures ! Enfin, vers 6 heures, une porte s'ouvre sur la droite. Les Boches installent un engin sur la table de communion, une espèce de caisse d'où pendent des mèches. À peine y ont-ils mis le feu qu'en sortent des flammes gigantesques rendant l'atmosphère irrespirable. L'église est pleine de fumée. Les malheureuses victimes qui tentent de sortir sont mitraillées. Celles qui se sont réfugiées dans la sacristie sont fusillées du dehors. Les soldats allemands tirent sur les vitraux de l'église, puis y pénètrent

pour achever à la mitraillette et au revolver les derniers survivants. Enfin, croyant tout le monde mort, ils prennent les bancs et les chaises de l'église, les mettent avec les bottes de paille en travers du porche arrosent le sol d'une matière inflammable, et l'incendie embrase alors le ciel. '

Le seul témoin de ces atrocités, une femme, s'échappe par un vitrail ouvert. Elle venait à peine de s'y hisser que les cris d'une mère voulant lui confier son enfant attirèrent l'attention d'une sentinelle, qui, tirant sur elle, la blessa de quatre balles. Elle resta couchée jusqu'au lendemain, allongée sur le sol, contrefaisant la morte, dans des rangées de petits pois, près de la croix de la Mission.

Vers 19 heures le clocher de l'église brûle. Le village est en feu. L'écho des fusillades et des coups isolés ne cessera pas avant la nuit. Des motos et des autos circulent dans la fournaise. De nouveaux incendies s'allument. À 23 heures, c'est l'école des filles qui flambe. Des grenades incendiaires explosent de temps à autre. Des chiens hurlent à la mort.

Entre temps, vers 18 heures, les S.S. font arrêter le tramway départemental qui passait à une centaine de mètres du village. Ils font descendre les voyageurs et les emmènent dans un champ voisin. Là, on leur fait creuser leurs tombes. Mais le Feldwebel qui commande ces opérations n'a pas reçu d'ordre de ses supérieurs ; aussi, au bout d'un certain temps, leur dit-il de s'enfuir.

Le dimanche matin, les habitants des hameaux environnants essayent vainement de s'approcher du village. Ils sont mitraillés ou éloignés de force par les sentinelles qui continuent à garder toutes les issues.

Ce n'est que dans l'après-midi que les premiers témoins pénétrent dans les ruines.

CE QUE DANTE N'AVAIT PAS PRÉVU

Certes, les visions d'horreur des premiers spectateurs sont à peine concevables.

Est-il besoin de s'étendre, de s'appesantir avec un goût malsain du morbide sur l'atrocité des premières découvertes, sur les déchets de cervelles qui, dès l'entrée du bourg anéanti, tapissaient le pont, ou bien, au coin de la route des Bordes, sur les restes des cadavres finissant de se consumer et jonchant l'immense chai, sur les bouts et lambeaux de bras et de jambes, sur l'atroce et le hideux ?

Ce qui terrifie peut-être davantage c'est de penser que ces S. S., ayant physiquement l'aspect d'hommes, ripaillèrent. à l'envi au milieu du cataclysme qu'ils déchaînèrent, c'est de penser à l'orgie qui se prolongea toute la nuit et dont témoignèrent les reliefs de porc et les bouteilles de champagne retrouvés le lendemain.

La fête d'ailleurs continua à Nieul.

Néron dans Rome qui brûle ? Piètre image !

La barbarie, peut-être raffinée par deux mille ans d'expérience, ou quoi ?

On se demande vainement quels peuvent être les fondements, les raisons, quels peuvent être les motifs, les mobiles d'un tel drame.

Qu'on ne nous dise pas que les Allemands aient pu croire à l'existence de dépôts d'armes ou d'explosifs cachés, qu'ils aient pu confondre Oradour-sur-Glane avec Oradour-sur-Vayres, ou même, selon leur version officielle, qu'un de leurs officiers ait été malmené par la population, les poings liés.

Tout cela est faux.

Et même si c'était vrai...

Qu'on ne nous dise pas que, l'esprit égaré par la hantise du terrorisme, ils soient en partie excusables comme on a attribué, lors de la dernière guerre, leurs actes de cruauté, en Belgique particulièrement, à leur hantise du franc-tireur.

C'est une chose que nous ne pouvons ni ne voulons admettre.

Discute-t-on avec des assassins ?

Quoi qu'il en soit, rien ne peut excuser, justifier ou donner la moindre circonstance atténuante à un tel acte de folie collective.

Nous savons que l'identification des coupables, et en particulier du principal responsable, se poursuit activement.

À l'heure où nous mettons sous presse nous apprenons l'arrestation dans les Vosges du général von Brodowski, principal auteur du massacre d'Oradour.

Mais la plus stricte justice commande que des hommes comme le général Gleiniger, qui a accepté d'un cœur léger l'accomplissement d'un tel forfait, s'excusant à peine auprès du Préfet indigné, dégageant cyniquement ses responsabilités, participent au même châtiment.

C'est un vœu que nous formons.

C'est l'accomplissement d'un devoir que nous réclamons.

Comme nous réclamons, forts de l'approbation de cette idée par les plus hautes autorités tant civiles que militaires, qu'il ne soit procédé à aucune reconstruction du village d'Oradour. Nous voulons que subsistent les ruines du village martyr.

Nous voulons que les générations futures viennent tous les ans se recueillir dans ce lieu de pèlerinage sacré.

Nous ne voulons pas que l'oubli vienne s'abattre comme une ombre baignant la cité.

Nous voulons que le' souvenir demeure pour que demeurent et vivent les hommes de l'avenir...

LES VICTIMES

QUAND on songe qu'à l'heure actuelle il n'a pu être procédé qu'à une quarantaines d'identifications (dont celle récente, en particulier, de notre camarade Albert Mirablon, photographe clandestin des Mouvements Unis de Résistance, reconnu grâce à une alliance), il est difficile d'indiquer le chiffre exact des victimes. Huit cents... ? Plus ? Il serait osé d'aligner des chiffres précis.

Il ressort des rapports officiels, en particulier des chiffres cités par M. Joyeux, secrétaire provisoire de la Mairie, qu'il manque trois cent trente-quatre rationnaires de la commune. Il y avait soixante-douze Alsaciens-Lorrains sur lesquels quarante ont disparu. Deux cent quarante-deux enfants étaient inscrits à l'école. Trente-cinq d'un village proche étaient absents.

Mais, à ces manquants il convient d'ajouter les habitants des hameaux voisins venus pour faire leurs achats, ceux de Limoges dans le but de chasser leurs soucis, et combien d'autres ?

La liste des victimes n'est pas encore terminée : le deuil s'étend sur toute une région de la France.

Français, Limousins, souvenez-vous !

Souvenez-vous que le fer des S.S. portait gravé le mot Honneur (Ehre) et que cet honneur, ils l'ont souillé et bafoué.

Aujourd'hui, dans ce qui fut un bourg, des pancartes invitent au silence.

Silence donc, et à jamais, aux assassins, aux hommes aux poignards mais sans honneur !

LE RÉCIT D'UN RESCAPÉ

M. Mathieu Borie, diffuseur des journaux clandestins du M.L.N., ouvrier cimentier à Oradour, est un des rares rescapés de la tragédie. Son témoignage, parmi tous ceux que l'on connaît, est peut-être à la fois le plus précis et le plus complet. Nous donnons ici les extraits de son cahier qui a toute la valeur d'un document.

Après avoir exposé et confirmé les faits déjà connus, il raconte comment, enfermé dans le garage de M. Senon, il parvint à s'échapper.

... J'entends dans la direction du garage de M. Jacques Désourteaux un coup de mitraille terrible. C'est le signal... Moi j'ai compris ; me trouvant au dernier rang, je me jette par terre. Les armes claquent contre nous. Des cris de douleur, des hurlements, des pleurs se mêlent au fracas des détonations.

La première rafale a été dirigée contre nos jambes ; sans perdre un instant les rafales se succèdent, les unes après les autres.

Des plaintes montent et les Boches tirent dans le tas de cadavres. Nous avons reçu vingt charges de fusil-mitrailleur.

Moi j'attendais toujours la dernière cartouche avec patience, mais une ne fut pas loin de m'atteindre au bras gauche. Je me dis que ce n'était pas celle-là encore. Une autre décharge vient qui me blesse au côté gauche. Je sens une vague de sang. Puis une balle frappe un copain au crâne, qui me couvre le visage de sang.

La dernière rafale est terminée.

Ramassant la fourche, le Boche nous couvre de paille et enfonce la fourche dans les cadavres qui se trouvent en face de lui. Rien ne bouge... Il continue à nous couvrir de paille, une première couche, puis une couche de fagots, puis une autre de paille et nous laisse. Ensuite il détache les vaches, les boeufs de M. Senon et les fait sortir.

Mon visage et mon corps baignent dans une mare de sang de mes camarades. Je faisais toujours le mort, ne respirant pour ainsi dire pas ; si j'avais pu m'enfoncer dans le sol je l'aurais fait, car au moindre mouvement les Boches tiraient.

Puis, l'opération faite, ces Messieurs les bourreaux partent tous, nous laissant seuls. Je les entends chez le buraliste, par la porte derrière le hangar. Les verres tintent, les bouchons des bouteilles sautent, le poste de T.S.F. marche à plein.

Tous mes camarades ne sont pas morts. J'entends parler : Qui es-tu, toi ? - Je m'appelle Poutaraud le garagiste, et toi ? - Duqueyroix garde-chasse et pêche, et toi ? - Joseph Coiffeur, ouvrier. Puis Darthout, Hébras, Roby, Broussaudier, Santrot, et moi, voilà les survivants dans cet enfer.

Les Boches reviennent. Un bourreau : Il y en a un qui bouge ! Deux coups de mousqueton. C'était l'aviateur Dialoti qui avait remué ; il était à l'agonie.

J'entends comme un coup de soufflet (ils nous ont sulfatés d'un produit chimique) puis une allumette. Les voilà repartis. Le feu faisait rage, drôle de bûcher !... J'ai vu brûler les pauvres copains. Santrot, les jambes coupées et blessé au ventre, me disait : Viens me sortir ! Le père Brissaud, charron, mutilé de la guerre 1914-1918, une jambe de bois, me disait : Je suis blessé au bras et au ventre, je n'en puis plus. Il me regardait et pleurait.

J'arrive à me dégager, tenant deux fagots pour me garantir des flammes, car la chaleur devenait intenable.

Avec les camarades qui eurent la chance de pouvoir sortir de cet enfer, nous nous réfugiâmes dans les étables à droite et à gauche. Ne perdant pas une minute, je me mets au travail tout seul. Des balles égarées viennent se piquer dans le mur. Je fais un trou qui communique avec une autre grange ; le trou finit dans un coin de mur de la grange de M. Thomas, Café et Restaurant. Le passage fait, il fallait aller en avant pour prendre la fuite, car le feu faisait rage à ma gauche et à ma droite ; les mitraillettes, les fusils tiraient toujours, les grenades éclataient dans les maisons ; tout cela faisait un bruit infernal. Me voilà dans la grange. Dans le grenier à foin, je pense que j'aurai beaucoup plus de chance de m'en sortir. Quelques instants après, mon copain Hébras me rejoint, puis Broussaudier, Darthout, Roby. Nous voilà tous les cinq. Je leur dis : Mettez-vous sous la paille et pas un mot, car nous sommes encore en danger.

Tout à coup un Boche monte dans le grenier à foin, son fusil en bandoulière. Il prend une allumette, met le feu dans la paille, dans les fagots, et redescend. Il fallut partir à nouveau, car le feu commençait à faire rage ; ils mitraillent alors la toiture avec des balles incendiaires, les flammes passent sous les tuiles et brûlent chevrons et lattes. Avec mon compagnon Hébras nous sautons dans une flamme qui montait plus haut que nous. Sur le grenier à foin, par une fenêtre on monte la garde, nous regardons et étudions un autre bastion. Les copains Broussaudier et Roby, blessés au bras, repassent par le trou du mur. Nous voilà séparés : sur cinq, plus que trois.

Ne perdant pas de temps, je descends dans la grange ; puis, par un passage dans l'étable, je ramasse Darthout par les jambes et je le descends, car ce dernier avait été blessé aux deux jambes. La toiture s'effondre, la fumée dans l'étable nous étouffe ; impossible de résister. À côté de la grange trois étables : une à lapins, la deuxième à cochons, et la troisième à petits poussins.

Nous voilà tous les trois dans celle à lapins. Là je montais la garde par la porte entr'ouverte.

De notre première demeure, une vague de chaleur se dégage de plus en plus, le brasier s'approche. Une échelle à côté de la porte prend feu, la porte fume et la fumée vient nous étouffer. Nous crevons de soif.

Il faut aller plus loin ; nous allons dans la troisième, c'est celle des petits poussins. Nous voilà éloignés du foyer. Mon camarade Darthout, blessé aux deux jambes, meurt de soif aussi. Il boit l'eau de l'abreuvoir.

Vers 19 heures nous décidons de partir, car le calme semble revenir. Mon chemin est tracé : il s'agit d'aller au cimetière, et nous serons peut-être sauvés.

Je traverse le Champ-de-foire pieds nus. Je m'approche de la porte du jardin ; le chien de M. Senon me regarde d'un air comme s'il comprenait mon travail. J'ouvre la porte, puis je passe. Mon compagnon Hébras refuse de me suivre. Cela me touche au cœur. Ils vont peut-être faire les étables.

Quand je traverse la place du Champ-de-Foire, le feu fait rage de tous côtés. Les grenades incendiaires éclatent. Dans les maisons, les planchers, les toitures tombent en flammes et une fumée épaisse, noire, s'en dégage. J'entends toujours des coups de feu.

Toujours en route derrière chez Senon, dans un pré, nous arrivons enfin au cimetière. J'ouvre la porte. Nous nous camouflons derrière les tombes pour nous masquer. Nous atteignons le mur d'enceinte et nous l'escaladons.

Nous voilà dans le bois à côté, puis derrière les haies, ensuite à travers les prés et dans un champ de blé, toujours tous les deux. On doit se cacher ; les hautes tiges de blé nous préservent de la vue des quelques bandits qui pourraient encore surveiller les alentours. Le champ de blé traversé, nous voilà dans un chemin.

Nous voici au Theil d'Oradour, arrivés enfin ; je meurs de soif, j'ai la fièvre. Je demande à boire au patron de la maison. Comme cela fait du bien de boire !

Un Boche se présente et me demande : C'est bien ici Dieulidou ? ; je lui réponds que non, c'est le Theil. Il demande à mon voisin sa carte d'identité : Je me suis trompé, dit-il, et il repart.

Le fermier dit à son fils : Tu n'as qu'à les suivre toi aussi, car ils peuvent revenir. Nous voilà un compagnon de plus. Traversant terre et blé, on en aperçoit deux de plus qui ont réussi à s'échapper. On leur fait signe. Ils s'approchent. Je les reconnais : c'est Broussaudier et Roby, que nous avions quittés dans la deuxième grange. Nous voilà quatre rescapés, plus le fils du fermier.

En traversant un champ, surgit tout à coup un avion ; tous nous nous couchons par terre, l'avion poursuit sa route.

Nous arrivons dans un village, au Champ-du-Bois. Les gens nous regardent et nous demandent ce qui s'est passé à Oradour. Nous les mettons au courant de la tragédie. Nos amis s'enfuient de nouveau à travers bois. Ils se séparent tandis que les trois autres se dirigent vers le Mas-de-Glane. Hébras et Roby arrivent à Martinerie. Ils reçoivent les premiers soins. Ils retrouvent deux autres rescapés qu'un Allemand un peu moins sauvage avait laissé filer. Borie se sépare de son compagnon. La terreur règne dans les hameaux. Il passe au village de Banèche où il répand la nouvelle; il traverse le Verger tandis que des fusées rouges illuminent le ciel.

Mais il veut à tout prix regagner son village, Boissounnet, et retrouver sa mère. Encore des prés, des champs et des bois à traverser.

Il est 4 heures du matin quand il arrive à 200 mètres de chez ses parents.

Laissons lui la parole :

...Il est 4 heures du matin, me voilà à 200 mètres de chez mes parents. Je pense qu'il serait plus prudent de coucher dehors. Alors, je m'étends sous un hêtre. La lune rayonne. Je regarde mon village, puis je m'endors. Le jour se lève; il faut se rendre à la maison, car le froid et la faim s'emparent de moi. Il est 6 ou 7 heures, je vais à la maison. J'appelle ma mère et lui dis : Descends, j'ai froid et faim ; elle me dit : D'où viens-tu à cette heure-ci ? J'ai couché un moment dans notre pré et passé la nuit à courir. Tu ne sais pas que les Boches ont passé à Oradour et qu'Oradour est tout à feu et à sang. Ils ont tué tous les habitants, puis les ont fait brûler. Elle descend et me regarde : Et ce sang après tes habits ? C'est le sang de mes pauvres camarades. C'est un beau travail que les Boches ont entrepris, mais je ne puis te le raconter aujourd'hui, cela m'est impossible tant j'ai besoin de repos. Elle me questionne. Je lui réponds que je suis blessé au bras et derrière le dos sur le côté, mais ce n'est pas grave.

Je casse la croûte, puis en route pour Pellechevent, pour donner de mes nouvelles aux camarades de la Résistance.

Me voilà à Pellechevent, les gens du village me regardent et me trouvent étrange. Je marchais raide en boitant légèrement : Tu as une drôle de tête, dirent-ils. - Oui, je reviens de loin...

Je leur ai raconté tout ce qui s'était passé. Les habitants répètent les uns aux autres la nouvelle avec la même douleur, car les gens de tous les environs connaissaient Oradour. C'était un centre de ravitaillement.

Je vais chez un camarade, le sabotier, pour lui raconter mon histoire et pour lui demander où je pourrais trouver le docteur Denès, car le docteur travaille pour le maquis et les gars de la Résistance. Il me dit qu'il est au village et qu'il m'appellera. Au bout de dix minutes, voilà un petit jeune homme qui vient : Vous viendrez chez nous avant de partir ! - Entendu, lui répondis-je. Je me rends dans la maison où il était réfugié, il me fait déshabiller, puis me consulte. Tu en as pour quelques jours, mais ce n'est pas grave. Je lui raconte aussi ma tragique journée.

Lundi 12 juin, je pars voir les copains.

Je rentre ensuite à la maison. Quel cafard ! J'ai toujours devant mes yeux la vision des Boches en train de me fusiller et de me brûler.

Ce n'est pas tout ; il faut que je retourne à Oradour voir l'endroit où mes camarades ont été assassinés lâchement.

Je pars à Oradour, non par la route mais par un chemin de traverse. Je passe à la Tuillière, je ne vois personne ; j'arrive à la Croix des Bordes, je rencontre un homme, je lui demande si les . Boches étaient toujours à Oradour ; il me répond que non, mais qu'ils revenaient de temps en temps.

Cheminant, j'arrive au sommet de la côte qui domine le bourg. Je m'arrête, je regarde autour de moi, je suis devenu prudent... À ma gauche j'aperçois une charrette et un cheval, et puis des hommes en train de charger un mort. C'était le corps de M. Foussat, minotier, qui avait été assassiné le samedi 10.

Me voilà dans le hangar tragique. Je reconnus trois cadavres calcinés comme je l'explique à des visiteurs, puis, comme un fou, je pars avec un regard étrange. Les gens se regardent ; une fois parti, je retourne la tête, une personne mettait sa main à la tête comme pour dire : Il devient fou.

Elle ne se trompait pas.

C'était la vérité...

APPENDICE I

Extraits du rapport du Préfet régional de Limoges (ou la carence des pouvoirs publics)
15 juin 1944

Comme suite à mes communications téléphoniques, j'ai l'honneur de vous apporter les précisions suivantes sur le drame d'Oradour-sur-Glane :

Le dimanche 11 juin, j'étais informé par la rumeur publique, toutes communications téléphoniques étant interrompues dans cette région, que le village d'Oradour-sur-Glane avait été rasé par les troupes allemandes en opérations.

Je souligne, à cette occasion, les carences des services de police qui échappent de plus en plus à mon autorité depuis que mon intendant de police a été mis aux arrêts par les autorités régionales du maintien de l'ordre, sans que j'en connaisse avec précision les motifs, et remplacé par un commandant de G.M.R. désigné à cet effet par le représentant de M. de Vaugelas, et sans que j'aie encore été saisi d'aucun rapport à ce sujet, alors que les faits, ainsi que je l'ai su par la suite, remontaient au samedi 10 juin après-midi.

En raison du verrouillage total de la ville de Limoges, je demandai aux autorités allemandes un laissez-passer pour pouvoir circuler librement dans ma région. Cette demande, que j'ai présentée personnellement dimanche soir au général Gleiniger, commandant de la région de Limoges, m'a été refusée ainsi qu'au préfet délégué.

J'ai donc dû me résoudre à alerter le sous-préfet de Rochechouart qui, ayant conservé la possibilité de circuler dans son arrondissement, s'est rendu aussitôt à Oradour-sur-Glane; le lendemain, 12 juin, il me rendait compte des résultats de sa visite et du spectacle d'horreur qu'il avait eu en arrivant. Le village, qui comptait 85 maisons, n'était plus qu'un amoncellement de ruines, et la population tout entière, y compris les femmes et les enfants, avait été massacrée par les troupes allemandes.

Le mardi, 13 juin, j'obtenais l'autorisation de me déplacer et je me rendais, accompagné de Mgr Rastouil, évêque de Limoges, et du préfet délégué, sur les lieux, où je pus me rendre compte de l'exactitude des faits rapportés.

APPENDICE II

Rapport du docteur Bapt, médecin inspecteur du Service de Santé

Compte rendu de ma mission à Oradour-sur-Glane les 14, 15; 16, 17 et 19 juin 1944

CONFORMÉMENT aux instructions qui m'ont été données, et avec l'autorisation des autorité allemandes (Ausweis n° 11 en date du 14 juin 1944, du général major) je me suis rendu avec mon adjoint, le docteur Benech, à Oradour-sur-Glane, afin de faire procéder à l'inhumation des victimes, à l'enfouissement des cadavres d'animaux et en vue de prendre toutes mesures de salubrité utiles.

Le commandant de Praingy, adjoint au général Sigaud, directeur des services départementaux de la Défense passive, a bien voulu m'apporter son concours. La Croix-Rouge française, le Secours national, les Services techniques, les jeunes des Equipes nationales et de Jeunesse-Secours, en mettant à notre disposition leurs équipes spécialisées, nous ont permis d'accomplir rapidement et dans les meilleures conditions la tâche qui nous avait été confiée.

Nous nous rendîmes, le commandant de Praingy, le docteur Benech et moi, le 14 juin, dans l'après-midi, à Oradour-sur-Glane, accompagnés d'une vingtaine de secouristes appartenant aux équipes d'urgence de la Croix-Rouge.

Le but de ce premier voyage était de nous rendre compte sur place de l'importance des différents travaux à exécuter : déblaiement, inhumations, désinfections, etc., afin de prendre toutes dispositions nécessaires concernant notamment la main-d'oeuvre indispensable et l'utilisation aussi rationnelle que possible de celle-ci.

Les équipes de secouristes qui nous accompagnaient avaient pour mission d'inhumer les cadavres qui pouvaient être facilement relevés dans les décombres sans le secours des équipes de déblaiement.

Après avoir examiné la situation, nous décidâmes avec le commandant de Praingy de demander à la Préfecture, par téléphone, qu'on mette à notre disposition, dès le lendemain matin, des équipes de déblaiement (environ 60 à 80 hommes), des équipes d'urgence de la Croix-Rouge, des équipes de Jeunesse-Secours et des jeunes des Equipes nationales. En outre, qu'on nous procure le matériel et les produits nécessaires à la désinfection : chlorure de chaux, crésyl, masques, gants en caoutchouc, etc. En même temps, le Secours national était prévenu d'avoir à préparer pour le lendemain et les jours suivants des repas pour 150 à 180 individus environ.

Ce premier jour, quatre cadavres ont été retrouvés. L'un devant la boulangerie Bouchoule. Il s'agit d'un homme dont il ne restait que la tête et le tronc calcinés, les bras et les jambes ayant été complètement carbonisés. Un second, dans la grange de Mme Laudy, tronc et tête calcinés, jambes et bras carbonisés, cadavre de femme reconnu par un de ses parents pour être celui de Mme Desbordes. Enfin, dans le jardin de Mme Laudy, à proximité de la grange dont nous venons de parler, un cadavre de femme et un cadavre d'homme tués par les projectiles, légèrement calcinés, très reconnaissables. La femme est une réfugiée lorraine, identifiée par M. H. Désourteaux; l'homme, M. Thomas, boulanger. Ces cadavres ont été placés dans des cercueils et inhumés dans le cimetière.

La prospection faite ce premier jour a permis de découvrir des ossements de femmes et d'enfants, en quantité considérable, dans la sacristie et dans l'église, des ossements et des débris humains en partie carbonisés dans plusieurs granges et garages, un charnier près de l'église, des cadavres d'animaux, les uns asphyxiés, les autres en partie calcinés, dans différentes étables incendiées au bourg et dans une ferme de la rive gauche de la Glane.

Le jeudi 15, un train de la C.D.H.-V. nous ramenait à Oradour avec les équipes des différents services, soit au total . 149 hommes. Le commandant de Praingy a bien voulu me charger de prendre la direction du service d'ordre et des opérations de déblaiement, de prospection et de récupération des valeurs ou d'objets précieux. De notre côté, avec le docteur Benech, nous nous occupions de l'inhumation des cadavres, éventuellement de leur identification, de leur transfert au cimetière et de leur inhumation, opérations qui ont été confiées aux équipes de secouristes de la Croix-Rouge et plus spécialement aux séminaristes. Nous nous sommes chargés également de l'incinération des cadavres d'animaux et de leur enfouissement. Enfin nous avons dirigé les opérations de nettoyage et de désinfection.

Ces mêmes opérations se sont déroulées les jours 'suivants : vendredi 16, samedi 17 et lundi 19, dans les conditions ci-après :

1. - Service d'ordre.

Sous la direction du commandant de Praingy le service d'ordre a été assuré par l'une des équipes d'urgence mises à notre disposition. Des barrages ont été établis à l'entrée du bourg. Les curieux ont été refoulés. Seules les personnes qui pouvaient justifier d'un intérêt quelconque à entrer dans le village étaient autorisées à se rendre à la mairie où M. Moreau leur délivrait un laissez-passer leur permettant de circuler librement. En outre, l'équipe du service d'ordre assurait également une surveillance sévère à l'intérieur du bourg afin d'éviter tout pillage.

II. – Déblaiement.

Les équipes du secours technique en furent chargées, sous l'autorité du commandant de Praingy. Ne furent d'ailleurs déblayés que les immeubles, granges, garages, maisons, sous les décombres desquels la présence de cadavres était présumée. Ces mêmes équipes furent chargées d'ouvrir les charniers et de creuser les fosses pour l'enfouissement des animaux.

III. – Prospection.

Dès le premier jour, des équipes de jeunes, sous la direction du commandant de Praingy, furent désignées pour prospecter les décombres. Elles avaient pour mission de rechercher les cadavres humains ou d'animaux, les tombes et les charniers. Il leur avait été signalé que certains indices devaient particulièrement retenir leur attention : terre fraîchement remuée, odeur, essaims de mouches, présence de débris ou d'ossements humains, etc... Ces équipes devaient également rechercher les objets précieux et les remettre à la mairie en indiquant très exactement l'emplacement où ils avaient été découverts.

IV. - Récupération des valeurs et objets précieux

Tous les objets qui furent trouvés soit sur les cadavres soit dans les décombres : cassettes, pièces d'or, bijoux, titres, papiers d'identité, etc., furent déposés soit à la Banque de France soit à la permanence de la rue Fitz-James, ou remis à M. Moreau. Une fiche pour chaque objet indique le nom du propriétaire ou le lieu où il fut trouvé.

V. - Emplacements où furent découverts les cadavres humains

Le mardi 13 juin et dans la matinée de mercredi 14, une équipe composée de cantonniers et de personnes de bonne volonté de Saint-Victurnien était venue relever les cadavres. 36 très exactement furent retirés des décombres par leurs soins. En outre, d'autres victimes furent relevées et transportées ce même jour par les habitants des villages voisins.

Voici très exactement les emplacements où furent retrouvés les cadavres :

1° Buvette chez M. Mercier, à Puy-Gaillard

Dans la cave, sous un escalier en pierre, ossements calcinés, vraisemblablement de femme et de nourrisson.

2° Hameau des Bregères

Un cadavre retrouvé par M. Brun, de Seguières, dans l'après-midi du 14 juin. II s'agit du corps de Mme Victor Milord.

3° Dans la Glane

Le cadavre de M. Chalard, employé de la C. D. H.-V.

4° Grange de M. Bouchoule, boulanger, sur le Champ-de-Foire, près de l'église

Débris calcinés et ossements d'hommes, femmes et enfants. En outre, un cadavre, tronc et tête en partie calcinés, vraisemblablement d'un homme.

5° Sacristie

Débris calcinés, ossements de femmes et d'enfants, en grande quantité.

6° Église

À côté du maître-autel, ossements et débris calcinés, dont un pied d'enfant de 6 ans environ, intact.

Dans la deuxième chapelle latérale droite, environ un tombereau de cendre et d'ossements de femmes et d'enfants.

Dans un confessionnal deux cadavres d'enfants de 10 à 12 ans qui ont été retirés le lundi 12.

7° Charnier (à côté de la petite porte de l'église) Dix cadavres et des débris humains de quinze personnes en furent retirés.

8° Appentis sous le presbytère

Dix cadavres dont 6 d'enfants et 2 de femmes parmi lesquels furent reconnus : Mme Hyvernaud, Mlle Marie-Rose Bastien, les enfants Raymond et Georges Thomas.

9° Jardin du presbytère

Deux fosses isolées avec cadavres de Mme Hyvernaud et de son enfant.

10° Garage Milord

Ossements et débris calcinés.

Sept cadavres d'hommes retrouvés par les équipes de Saint-Victurnien.

11° Garage de M. Desourteaux Ossements et débris calcinés.

12° Boulangerie Bouchoule

Cadavre de M. Milord, enlevé par la famille Milord, de Dieulidou, le mercredi 14 après-midi. Cadavre de M. Bouchoule, tronc et tête calcinés.

Un cadavre dans l'étouffoir.

13° Charnier du jardin Denis

Environ 25 cadavres d'hommes dont le cadavre du docteur Désourteaux. Il fut retrouvé, en outre, dans cette fosse une carte de tabac au nom de M. Denis.

14° Ferme de M. Picat

Dans le puits situé dans la cour de la ferme, cadavre d'une femme et autres débris humains.

15° Chai de M. Denis Ossements et débris calcinés de femmes et d'hommes.

16° Jardin de M. Jean Dupic Le cadavre de M. Dupic enlevé par M. Quériaud, à Cieux, le jeudi 15.

17° Jardin de la Mairie : Le cadavre d'un jeune homme de 20 ans non identifié.

18° Hangar de Mme Laudy, née Monnier

Ossements et débris calcinés.

Trente cadavres, en partie calcinés, uniquement d'hommes, furent relevés par les équipes de Saint-Victurnien et enterrés dans la première fosse commune.

19° Chemin du cimetière

Le long du chemin du cimetière à gauche, à hauteur de l'avant-dernière maison, cadavre de M. Poutaraud, garagiste, relevé par son beau-frère, de Limoges.

Plus près du cimetière les cadavres de MM. René Mercier et Camille Texier.

20° Grange de Mme Laudy, née Monnier (métayère Desbordes)

Le cadavre, tête et tronc, calciné de Mme Desbordes.

Dans le jardin, cadavre d'une réfugiée lorraine, reconnu par M. Désourteaux. Cadavre de M. Thomas, boulanger.

21° Route des Bordes

Cinq cadavres

Raymond (Pierre), relevé par sa famille ; Foussat, minotier, enlevé par ses parents; Avril (Michel), enlevé par M. Laroudie; Lachaud (Léonard), enlevé par sa famille; Duvernay, enlevé par sa famille.

22° Dans une petite maison à côté de l'église

Restes calcinés d'une femme, reconnus par L. Ledot, père de Mlle Devoyon.

23° Remise de M. Beaulieu

Vingt à vingt-cinq cadavres, dont celui de M. Besson.

VI. - Identification et inhumation des victimes

À ma connaissance vingt-huit victimes ont pu être identifiées, soit qu'elles aient été reconnues par des parents, des voisins ou des personnes habitant les environs d'Oradour, soit qu'on ait retrouvé sur leurs cadavres des pièces ou des objets ayant permis leur identification :

1° Réfugiée lorraine ;

2° Duvernet (François), né en 1898 ;

3° Raymond (Pierre), au Valleix ;

4° Villoutreix (Henri) ;

5° D'Albois ;

6° Roumy ;

7° Besson ;

8° Mme Hyvernaud (Henriette) (nom exact : Joyeux, fille Hyvernaud) ;

9° Thomas (Raymond) ;

10° Thomas (Georges) ;

11° Bastien (Marie-Rose) ;

12° Docteur Désourteaux ;

13° Mme Hyvernaud ;

14° Mme Milord (Victor) ;

15° Employé C.D.H.-V. (M. Chalard) ;

16° Enfant Hyvernaud, un mois et demi (nom exact : Joyeux) ;

17° M. Milord ;

18° M. Bouchoule ;

19° M. Dupic ;

20° M. Thomas, boulanger ;

21° M. Poutaraud, garagiste ;

22° Mme Desbordes ;

23° M. Foussat, minotier ;

24° M. Avril, marchand de bois ;

25° M. Lachaud (Léonard) ;

26° M. Mecier (René) ;

27° M. Teyie (Camille) ;

28° Mme Devoyon, 78 ans.

Les corps des personnes identifiées furent mis en bière et déposés soit dans des caveaux soit dans les fosses particulières. Il fut placé sur chacune des fosses une croix sur laquelle est inscrit le nom de la victime. Les ossements et restes humains ainsi que les corps non identifiés furent déposés dans deux fosses communes.

VII. - Mesures de salubrité et de prophylaxie

Une équipe de jeunes, placée sous la direction de M. Duchet, de l'Inspection de la Santé, fut chargée des opérations de désinfection, suivant les consignes et directives que nous avions données :

a) Charniers

Après l'enlèvement des cadavres, du chlorure de chaux fut répandu dans les charniers qui furent ensuite comblés et arrosés avec une solution concentrée de crésyl.

b) Puits Picat

En raison de l'impossibilité absolue de retirer les cadavres, une dizaine de seaux de chlorure de chaux (à défaut de chaux vive qui eût été préférable) ont été jetés dans le puits qui a été ensuite comblé.

c) Fosse commune du cimetière

Du chlorure de chaux a été déposé entre chaque tombe de cadavres.

d) Cadavres d'animaux

Incinérés, les restes furent enfouis après avoir été recouverts de chlorure de chaux.

Partout où les cadavres ont été retrouvés, le sol a été largement arrosé d'eau crésylée pour chasser mouches et insectes.

e) Protection individuelle

Les équipiers chargés de relever les cadavres e` de recueillir les restes humains é aient munis die gants en caoutchouc. En outre, tous ceux qui ont effectué l'exhumation, le transport et l'inhumation des cadavres étaient munis de masques imbibés d'essence d'eucalyptus pour combattre l'odeur nauséabonde qui était rendue plu, pénible encore du tait de l'extrême chaleur.

f) Mesures de sécurité et de prophylaxie générale

Des pancartes furent placées dans le bourg afin d'attirer l'attention des visiteurs sur le danger qui existe à circuler dans les décombres et pour interdire formellement de consommer de l'eau des puits, sources et fontaines.

VIII. - Incidents

Aucun incident n'est survenu au cours des cinq premiers jours.

Le lundi 19, alors que j'étais allé à bicyclette, accompagné de Mlle Dumay, assistante sociale, au village des Bordes, voir des malades privés de soins médicaux par suite de la mort du docteur Désourteaux et que n'avaient pu visiter les docteurs Badie et Zimmer, de Cieux, malgré plusieurs appels, quelques villageois apeurés sont venus nous avec tir que des soldats allemands se trouvaient à Oradour. Craignant quelques incidents et pour couvrir éventuellement les hommes de mes équipes, je suis rentré sur-le-champ.

À l'entrée du bourg, je me suis trouvé en présence de trois camions allemands, le premier armé d'un fusil-mitrailleur en batterie; deux sentinelles gardaient la route; une dizaine de soldats, armés de mitraillettes, entouraient l'abattoir, tandis que quelques autres démontaient .roues et pneus d'une des deux seules voitures qui avaient échappé à l'incendie.

Après avoir montré mon Ausweis et fait vérifier mon identité je pus pénétrer dans le bourg et me dirigeai vers le cimetière. Là je rencontrai M. Fichaud qui m'apprit qu'il avait été arrêté sur la place de l'église alors que les soldats allemands chargeaient dans leurs véhicules plusieurs bicyclettes appartenant à nos hommes. Après explications il put les faire restituer.

Dans le bourg, les équipes avaient cessé leur travail et s'étaient dispersées dans la Campagne. Elles revinrent me rejoindre au cimetière après quelques minutes. C'est alors qu'on entendit une quinzaine de coups de feu. Quelques jeunes gens envoyés en reconnaissance nous apprirent que les Allemands tiraient sur des animaux de basse-cour échappés dans les champs.

Au bout d'une demi-heure le calme revint; les troupes étaient parties et les différentes équipes se remirent au travail.

Au cours de ces opérations nous fumes amenés, le commandant de Praingy et moi-même, à faire certaines observations concernant particulièrement l'organisation, le fonctionnement et le rendement des différentes équipes mises à notre disposition.

Enquête du Mouvement de Libération nationale

Deux jours après : MM. Léonie, responsable régional du Mouvement de Libération nationale ; Reynaud, responsable régional de Propagande-diffusion, et sa femme ; Roubeyrolle, responsable régional du Service des renseignements ;

Trichard, adjoint au responsable régional Propagande-diffusion, se sont rendus sur les lieux et ont fait une enquête au nom du Mouvement.

Ils ont constaté une certaine carence des Pouvoirs publics qui n'avaient rien fait pour soulager immédiatement les misères effroyables des quelques sinistrés qui avaient survécu au massacre.

Le Service social du Mouvement de Libération nationale s'est immédiatement occupé de rechercher les survivants et a fait remettre la somme de mille francs à chaque personne retrouvée.

Mouvements Unis de Résistance. - Combat, Franc-Tireur, Libération C. G. T., Parti Socialiste, Armée Secrète

Un Éditorial que Philippe HENRIOT ne fera pas

LES HUNS SONT PASSÉS PAR LÀ

Un village n'est plus ! Un coin de notre chère tente de France est mort, la horde allemande a déferlé sur lui.

Samedi 10 juin, un peu après midi, alors que la petite bourgade d'Oradour-sur-Glane mire ses toits de tuiles dans les eaux limpides de la Glane et que le soleil amène des visiteurs amis, venant au ravitaillement, tin bruit se répand rapidement : le village est cerné de voitures blindées allemandes de la division Der Führer passant deux par deux.

Presque aussitôt des patrouilles apparaissent, armées jusqu'aux dents, C'est une histoire de maquis, une erreur, pense-t-on !

Des gens, mieux informés. précisent : On cherche un dépôt d'armes. Et chacun de sourire sachant très bien que dans son calme village il n'y a aucun dépôt de matériel ou d'armes depuis déjà longtemps.

Tant pis ; il nous faut des otages, disant Les Allemands. Désigner les, exigent-ils du maire, M. Désourteaux. Courageusement, celui-ci fait front et s'oppose à une teiller manœuvre. Mais qu'à cela ne tienne. Sous l'excuse de perquisitions et de contrôle, on groupe sous la menace de la mitraillette toute la population sur le champ de foire. En quelques minutes, les hommes sont parqués dans trois granges (vidées de leurs matériels, charrues, faucheuses, herses, etc. par la population elle-même).

Les femmes et les enfants sont enfermés dans l'église. Aucune exception n'est tolérée. Une femme, accouchée, doit venir aussi, elle porte sur les bras son nouveau-né, tandis que l'instituteur amène tous ses marmots.

Alors commence, le plus terrible drame du siècle. Une chose inconcevable, que personne n'ose croire encore.

les soldats de la Der Führer Palmer sans un mot, tirent par rafales d'armes automatiques. Ils abattent les hommes qui hurlent de douleur, de rage, d'impuissance. Mais cela ne suffit pas. Les armes sont dirigées sur les enfants et les femmes groupés dans le lieu saint." Ils tirent lâchement dans les jambes afin de prolonger le supplice. Les flammes cacheront, pensent-ils ce témoignage odieux ; et, sur les mourants, sur les enfants, les femmes indemnes, ils lancent leurs engins incendiaires.

Tandis que s'allume cet immense bûcher, le pillage et la destruction s'organisent. Ils tuent les vieillards impotents, incendient, font sauter chaque maison, chaque grange, chaque hangar.

Sans méfiance, les mères des alentours viennent chercher leurs enfants. Les promeneurs étonnés s'arrêtent, Signant ainsi leur arrêt de mort.

Et lorsque le soir tombe sur cette sauvagerie sans nom, on pleure dans les champs, à la campagne à la ville, les quelques 1.000 ou 1.200 morts, innocents martyrs de la barbarie teutonne.

Il reste quelques granges ou maisons debout ; il faut les incendier aussi et, dimanche, il ne reste plus rien à 18 heures. La mission est remplie. Il ne reste plus un toit, plus une âme qui vive.

Un village de France n'est plus.

Des cadavres, mal carbonisés, trahissent la barbarie allemande ; on en fait un charnier où le lendemain une ou deux femmes, miraculeusement épargnées, viendront chercher le reste de leurs enfants.

Une rescapée me raconte avoir vu sortir de l'église une femme avec son enfant mort sur les bras, implorant la pitié ; les S.S. l'exterminent à coups de crosses.

J'ai parcouru le surlendemain le fin reste de ce riant pays. J'ai vu une église à l'entrée effondrée, où se trouvaient encore des voitures de bébés, victimes eux aussi. Dans le confessionnal, deux enfants, une petite fille et un garçon, gisent morts, les mains jointes, semblant encore implorer la justice divine. Sur l'autel, le curé semble être plié en quatre ; à ses pieds, l'institutrice, tenant un enfant dans ses bras, est presque complètement. carbonisée Son fiancé devait la reconnaître le lendemain. Partout, le sol est jonché de crânes, de lambeaux de chair. Une odeur nauséabonde règne partout dans ce lieu saint ; une couche de cendres recouvre le sol de l'église sur plusieurs centimètres d'épaisseur. C'est tout ce qu'il 'reste de centaines d'innocents. Derrière l'église, le cadavre mutilé d'un bébé d'un an gît, la tête écrasée, les deux jambes coupées. Plus loin, dans une grange, des cadavres d'hommes à moitié consumés, m'apparaissent. L'un d'eux, le buste seul intact, les liens en croix. a le visage ravagé par la douleur Dans le four d'un boulanger, l'on découvre le cadavre de cinq personnes : le père, la mère et les trois enfants.

Voilà de quoi sont capables les hordes d'Hitler !

Les S.S. de la Der Führer ont trouvé plus facile et moins dangereux, de s'attaquer à une population sans défense que de faire face au Maquis, capable de leur répondre,

De notre envoyé spécial qui a pu s'introduire clandestinement sur les lieux du crime.