LA BATAILLE DE SAINT-LÔ
Chapitre premier
La guerre des haies
Le lundi 5 juin 1944, à 4 h 15, les chefs météorologistes ayant annoncé une chute temporaire des vents et une dislocation partielle des nuages, Eisenhower décide brusquement : " All right ! we move ! " Et c'est ainsi que le 6 juin, devenu le D Day, voit se déclencher la formidable attaque dont tant de mémoires gardent le vivant souvenir.
" Ce que Philippe d'Espagne n'a pu mener à bien, ce que Napoléon ne réalisa point, ce qu'Hitler n'eut jamais le courage d'entreprendre, nous allons le réussir ", s'écrie avec orgueil un officier anglais.
En fait, tandis que la 2e armée britannique de Dempsey piétine devant Caen où veillent encore tant de clochers mutilés, tandis que le Ve corps du général Gerow ne peut se saisir de Saint-Lô et s'immobilise à quelques kilomètres de la cité ruinée, le VIIe corps du général Collins, jeté sur la côte en face de Sainte Marie du Mont, fonce sur Portbail et Barneville, atteints le 18 juin, et balaye tout le nord du Cotentin.
Le 26 juin, Cherbourg tombe aux mains des 9e, 79e et 4e divisions qui, par Bricquebec, Valognes et Montebourg, ont opéré une rapide marche concentrique.
Succès en apparence facile et décisif.
En fait, 21 jours de combats ininterrompus ont été nécessaires et le port, saboté par les allemands, est pour longtemps inutilisable.
À ce moment, le front passant légèrement au sud de Portbail, Saint Sauveur le Vicomte et Carentan rejoint, après avoir suivi la Vire jusqu'aux abord de Saint-Lô, les lignes britanniques un peu au delà de Caumont.
On est encore loin d'Avranches et de Domfront qu'Eisenhower pensait atteindre à D + 20, c'est à dire le 26 juin !
Mais Bradley, à la tête de la ière armée américaine, regroupe ses forces face au sud, décidé à ne laisser aucun répit son adversaire.
Il dispose de quatre corps d'armée :
Le VIIIe à l'ouest, comprend le 79e et 90e divisions, appuyées par la 82e division de parachutistes, que la 8e division d'infanterie remplace bientôt.
Le VIIe corps, au sud de Carentan, rassemble les 4e et 83e divisions.
Le XIXe corps devant Saint-Lô, formé initialement des 30e et 29e divisions, se trouvera très renforcé par l'arrivée des 9e et 35e divisions.
Enfin à l'est, les 1re et 2e divisions d'infanterie, soutenues par la 2e division blindée, constituent le Ve corps.
Au total douze divisions de 165 à 20.000 hommes.
Pour leur tenir tête les Allemands comptent sur le LXXXIVe corps d'armée qui groupe à gauche de la Vire des éléments très divers empruntés à de nombreuses unités et, à droite de la Vire, sur le IIe corps de parachutistes plus homogène mais décimé déjà par de sanglants combats.
À ces nazis courageux et encore riches d'illusions, Bradley va retirer une dernière chance, celle de la stabilisation du front.
La rupture, recherchée d'abord au début de juillet dans le secteur de La Haye du Puits, se trouvera réalisée trois semaines plus tard dans la région de saint-Lô. Quand on parle de " Percée d'Avranches ", on emploie un langage trompeur : c'est devant La Chapelle en Juger, sur la route de Saint-Lô à Périers, à six kilomètres à l'ouest des ruines du chef lieu de la Manche que s'accomplira cette opération capitale, clef de toute la campagne de France.
Dans ses grandes lignes, le plan " Cossac " qui réglait les diverses phases de la bataille de Normandie, est respecté. Il prévoyait déjà cette dislocation du front allemand à l'ouest de la zone de débarquement et en soulignait l'importance. Le rapport ultérieur d'Eisenhower précisera les éléments successifs de ce " break through " que nous appellerons la " Bataille de Saint-Lô ".
John Edmondson avec le manuel du soldat américain le 18 juillet 1944
Tous les commentaires, militaires ou non, ont souligné l'importance des évènements dont le centre du Cotentin et la région de Saint-Lô en particulier, sont le théâtre, au lendemain de la victoire de Cherbourg. Pour l'historiographe de la 2e division, Saint-Lô " centre vital de communications " est la " cité clef ". Pour les hommes de la 35e division, c'est la " porte de la France intérieure ", et pour la Ixe T.A.C., la bataille de Saint-Lô constitue le " Tournant de la bataille de France ".
Dans l'ouvrage " the world at war ", publié aux États-Unis, on lit, à propos de Saint-Lô – que Bill Davidson qualifie de " hérisson " dans le " yank " du 13 août 1944 : " la chute de la ville désarticula tout le flanc ouest du front allemand et ouvrit un chemin vers le sud et l'est à travers lequel les Américains, ayant toute liberté de manœuvre, purent foncer hors de la Normandie ". Enfin Ralph Ingersoll proclame : " La bataille de Saint-Lô gagna la France ", rejoignant Eisenhower qui affirme : " Une fois que nos troupes eurent brisé les lignes, relativement stabilisées, de la tête de pont, à Saint-Lô et infligé à l'ennemi les lourdes pertes de la poche de Falaise, sa faculté de résistance en France devint négligeable ".
Cette bataille de Saint-Lô comprend, du 3 au 25 juillet, une série d'épisodes dont il importe de préciser la succession.
Il est indiscutable que les américains disposent, après quatre semaines de combats, d'une solide base de départ. Mais il est certain aussi que ce secteur de terre reconquise est insuffisant, que les alliés n'y ont pas les " coudées franches ", que la mise en place des renforts, la concentration des approvisionnements, le déplacement des troupes sont constamment gênés par le caractère étriqué de cette tête de pont. La préparation de la " percée " vers laquelle tendent désormais tous les efforts, est rendue lente et difficile. Rien n'illustre mieux le caractère de cette zone côtière que le voyage en avion imaginé par Ingersoll et permettant d'apercevoir à la fois, tant la distance qui les sépare est réduite, les plages où se poursuit un débarquement fébrile et la ligne de feu soulignée par un panache de fumée noire et blanche.
En face des yanks, le terrain à conquérir se déroule, varié. À l'est de la Vire, le pays est morcelé, vallonné, parcouru de rides perpendiculaires à l'axe de l'avance alliée. À l'ouest de la rivière, le sol semble plus favorable à une offensive rapide, mais avant de l'atteindre, les Américains ont à franchir une zone marécageuse de dix à quinze kilomètres de profondeur, où l'effort risque de s'émousser et de perdre un temps précieux. Deux corridors seulement sont propices à la progression des troupes et des véhicules ; ils correspondent aux routes Carentan Saint-Lô et Carentan Périers. Les allemands les surveillent jalousement. À l'ouest des marais de Gorges, au sud du bois de Limor et des prairies marécageuses s'étend une ceinture de collines qui couvre l'important centre routier de La Haye du Puits. Mais de ce côté l'ennemi a eu le temps d'organiser une forte ligne de résistance pour protéger son flanc gauche jusqu'à la mer.
Le but de l'offensive, au début de juillet, est de résoudre ces difficultés de terrain. L'objectif assigné à la Ire armée est la ligne Coutances-Marigny-Saint-Lô. Il faut donc occuper la charnière de Saint-Lô et faire pivoter autour d'elle l'ensemble du front, ce qui exige, à l'ouest, le long de la côte, une avance des troupes de trente kilomètres. Ce résultat paraît devoir être atteint par une série d'offensives commençant à l'ouest et s'étendant progressivement vers l'est. Le succès permettrait aux américains de disposer d'un sol plus dur et d'un pays plus découvert où les blindés pourraient jouer le rôle capital qui leur a été réservé dans la grande opération envisagée. Il leur fournirait aussi la possibilité d'utiliser, outre la route Bayeux-Cherbourg, par Carentan, toujours sous la menace du feu ennemi, les route Saint-Lô–Périers et Saint-Lô-Coutances encore aux mains des allemands. Or, pour le déplacement des troupes et des approvisionnements, le long du front, ces routes longitudinales est-Ouest sont beaucoup plus importantes que les routes transversales nord-sud qui caractérisent le nord du Cotentin.
Au 3 juillet, lorsque Bradley ouvre la deuxième phase de la bataille, il fait entrer en action, l'un après l'autre, les divers corps dont il dispose : le VIIIe le 3 juillet, le VIIe le 4 (83e division) et le 6 (4e division, le XIXe le 7 (30e division) et le 11 (35e division).
Eisenhower, lorsqu'il contemple, le 3 juillet, d'une tour allemande de D.C.A., près de Saint-Lô, le bocage normand aux lointains mystérieux, ou lorsqu'il survole dans un mustang, avec le général Quesada les lignes ennemies, au tracé sinueux et imprécis espère certainement de rapides résultats. Mais son inspection commencée le Ier juillet au quartier général de Bradley, à Isigny, poursuivie pendant quatre jours à travers les divisions engagées, tout en lui montrant le dynamisme de ses troupes, lui révèle les multiples difficultés de l'entreprise.
C'est le 18 juillet seulement qu'une puissante attaque aboutit, après des vicissitudes diverses, à l'occupation par la 29e division, des ruines de Saint-Lô. Quelques jours plus tard, les allemands, brisés par la violence d'un bombardement, dense et concentré, par l'intervention d'un nombre inattendu de blindés, doivent laisser s'ouvrir les routes d'Avranches, de Vire et de Mortain.
Mais les combats qui se sont prolongés pendant trois semaines, du 3 au 25 juillet, comptent parmi les plus âpres de la campagne.
D'abord se pose le problème difficile du ravitaillement. Contrairement à tous les espoirs, le port de Cherbourg demeure à peu près inutilisable pendant toute cette période ; le port " Winston Churchill ", le seul Mulberry achevé après le tempête du 19 juin, n'atteint que lentement son plein rendement. Il faut se contenter des installations provisoires des premiers jours, renoncer à utiliser les gros cargos ou procéder à de longs et pénibles transbordements, accélérer le plus possible la rotation des navires, bien que la nécessité de rapatrier les blessés provoque des retards en obligeant les " landings crafts " à déposer leurs passagers sur un quai et à charger ensuite, le long d'un autre bassin, troupes et approvisionnements. Les américains ont besoin pourtant d'une grande densité de feu pour compenser les difficultés d'observation inhérentes au bocage et réduite le plus possible les pertes d'hommes.
Du 4 au 15 juillet on enregistre, en dépit de sévères mesures d'économie, une terrible consommation d'obus : la plus grande des deux premiers mois de l'invasion. Un hommage très légitime sera rendu au " service of supplies " (S.O.S. qui assume la responsabilité, avec des installations de fortunes, du débarquement des tanks et du renouvellement des approvisionnements.
Mais en face des américains, la résistance est opiniâtre. Le front allemand s'est, en effet, renforcé et durci. Sans doute, le haut commandement montre peu d'empressement à répondre aux demandes de renforts que chaque jour lui adressent les chefs des unités engagées. Ceux-ci responsables d'un front qui plie au risque de se rompre, ne voient d'autre solution que dans l'intervention des troupes nouvelles. Mais les chefs suprêmes de la Wehrmacht, prudents, souhaitent constituer une force de réserve et même retirer de la ligne de feu des éléments qui, comme la 352e division, épuisés par de terribles engagements, ont besoin d'être reconstitués. La nécessité de pourvoir au plus pressé ne leur permettra pas de réaliser cette opération dont les conséquences auraient pu être graves.
Le secteur de Caen préoccupe d'ailleurs beaucoup plus le haut état major que celui de Saint-Lô. C'est vers l'est que sont dirigées les divisions sont l'utilisation sur le front de Normandie est maintenant décidée. À l'ouest, on ne relève pas le nom d'unités nouvelles.
Sans doute, des convois, la nuit, par des itinéraires détournés et des chemins abrités, montent vers le front. Les éclats rauques des voix, le piétinement des équipages troublent le sommeil inquiet des civils dans les bourgs. Ils sont revenus ces tombereaux allongés aux capotes basses dont les interminables files ont, pendant quatre ans, parcouru les routes de France, telles des hordes de Huns et qui, bientôt, fuiront affolés et misérables, devant les camions rapides venu d'outre atlantique ! À eux se mêlent
Les voitures familières de la campagne normande. Les paysans qui les conduisent sont souvent contraints, pour retrouver leur liberté, d'abandonner la rage au cœur, chevaux, harnais ou voitures.
Mais il s'agir presque toujours d'unités dont l'utilisation dans le Cotentin a été prévue des les débit de Juin et que les sabotages et les coupes de mains opérés par les F.F.I., le bombardement des dépôts d'essence et des gares, la dislocation d'un réseau routier jalonné d'entonnoirs et de véhicules incendiés, n'ont pas permis d'amener plus rapidement. Certaines divisions ne sont représentées que par des " groupes de bataille " qui doivent leur acheminement plus rapide à une exceptionnelle mobilité. À côté de troupes excellentes, comme les deux divisions blindées de SS Goetz von Berlinchingen et Das reich, que le fuehrer a marqué de son fanatisme, à côté des vétérans de Russie, rompus au dur métier de la guerre, il y trop d'adolescents et de mercenaires. Seules, la peur des représailles, une surveillance constante, maintiennent sur leur épaules les emblèmes ternis de la Wehrmacht. Mais les campagnes de Russie ont rendu nécessaires l'utilisation de ces éléments de fidélité douteuse. Stalingrad a été la " pompe à sang " que les allemands évoquaient jadis à propos de Verdun.
De nouveaux chefs se voient confier de lourdes tâches : Von Kluge remplacera, le 6 juillet, Von Rundstedt, responsables des forces allemandes de l'ouest, et Paul Hausser, qui a succéder le 28 juin à Dollman, contrôle la 7e armée ; seul, à la tête du groupe d'armées B, Erwin Rommel conserve toute la faveur du maître.
Ils ne conduiront pas leur soldats à la victoire, mais pendant trois semaines, ils parviendront à retarder l'irréparable défaite avec l'aide, imprévue mais puissante, du temps et du terrain.
" Le mauvais temps, constate Eisenhower dans un rapport écrit le 5 juillet, au lendemain de son inspection du front, empêche notre aviation de donner son maximum. La pluie et la boue étaient telles durant ma visite, qu'elles me faisaient penser à l'hiver tunisien. Il était absolument impossible de repérer les objectifs bien que disposions de canons en grande quantité ". Le sol naturellement humide devient une mer de boue au cœur de ce déconcertant été.
Plus encore, le terrain est éminemment propice à une défensive dont les allemands semblent connaître tous les secrets et utiliser toutes les ruses.
Quiconque parcourt les souvenirs de guerre des américains demeure frappé par l'impression profonde que leur a laissée ce pays de chemin creux, de fossés, de " rues " et de " chasses " où il leur fallu combattre.
Les hommes de la 9e division parlent de l'enfer des haies, " hedgerox hell ", évoquent la progression lente d'un champ à un autre au milieu des hasards meurtriers d'une lutte aveugle. L'hebdomadaire " Life " y trouve l'explication de cette avance américaine de juillet si " douloureusement lente ". Les haies qui parsèment le bocage lui paraissent " fort agréable à contempler aux jours calmes de le paix ", mais il déclare qu'il est infernal, " hellish ", d'y combattre. Chaque petit champ est encadré par un étrange enchevêtrement d'arbres, d'arbustes et de plantes rampantes auquel le terme de haies, " hedgerow" est appliqué bien à tort.
Au travers des champs immenses du jeune pays américain, il n'existe point de haies et en Angleterre, où, dit-on, les Normands les introduisirent en 1066, elles n'ont point cette étonnante ampleur. Ainsi s'explique la minutie des descriptions des correspondants de guerre, des historiens des diverses divisions et des simples combattants eux-mêmes. La 90e division dépeint les haies comme des murs de terre durcie, " hardpacked ", remplis de racines, élevés de quatre à cinq pied (1 m 30 à 1 m 65), larges d'autant, recouverts de buissons épais, d'arbres dressant parfois à vingt mètres de hauteur leur épaisse couronne de feuillage, doublés souvent de fossés profonds. " De hauts murs de terre, couronnés de broussaille, d'arbres et de ronces ", c'est aussi l'expression de la 29e division. Quant au journaliste Bill Davidson, pour souligner la solidité de ces blocs auxquels la pression des siècles a donné, dit-il, " la dureté du ciment ", il raconte avoir vu, creusés par des obus de 88 ou de 105, dans des haies que le choc n'a pas ébranlées, des trous assez larges pour permettre à deux hommes de s'y blottir.
Le service historique de l'armée américaine, dans l'ouvrage qu'il a consacré à " Omaha-Beach ", souligne la grande variété de ces haies et oppose deux types. Les unes sont de simples fourrés de 1 m 80 à 2 m, plantés directement au niveau du sol, faciles à traverser, les autres sont des haies touffues, de véritables murailles épaisses et épineuses, ayant jusqu'à 3 mètres de haut, parsemées d'arbres et couronnant un talus ou une digue de terre de 1 m 50 à 2 m d'élévation. Les chars, conclut-il, ne peuvent franchir de tels remparts.
L'ennemi qui les connaît bien, les a transformées en positions fortifiées. Il a placé les engins automatiques et les petites armes dans une première haie, les mortiers dans une seconde en arrière et, pour finir, quelques uns de ces 88 qui déplaisent si fort aux combattants alliés dans une troisième. On rencontre même, ça et là, quelques tanks. Les haies qui s'allongent dans la direction suivie par les assaillants peuvent dissimuler d'autres armes automatiques et d'autres mortiers ensevelis dans le calme trompeur d'une fraîche verdure. À ce tir de flanc s'ajoute encore souvent l'action sournoise de " snipers " isolés, grimpés dans les arbres.
Derrière les haies, les fossés d'écoulement, recouverts de branchages, parfois de rondins, deviennent des tranchées invulnérables à l'artillerie. Les allemands y placent souvent des mitrailleuses capable de tirer par dessus les broussailles et parfois même relient ces tranchées entre elles grâce à des tunnels creusés sous le talus.
On comprend avec quelle prudence les américains s'aventurent dans ces champs et ces près, franchissent la barrière rustique qui, dans un angle, constituent la seule issue, suivent les sentiers mystérieux dont les cartes ne parlent point et qui, entre des haies troublantes, conduisent vers d'autres champs aussi énigmatiques.
Toute liaison à un échelon inférieur à celui d'une compagnie se trouve rendue à peu près impossible ; une grande part est laissée à l'initiative et à l'audace de chacun. Lute étrange qu'Ernie Pyle a évoquée d'une manière saisissante. Le terrain, que les haies encadrent, explique t-il, a rarement plus de cinquante mètres de large et de cent mètres de long. On y trouve un champ de blé, un verger de pommes ou, le plus souvent, un simple pâturage d'herbe épaisse, domaine habituel de ces magnifiques bêtes que les américains verront, le plus souvent, dressant vers le ciel des pattes stupides, au-dessus d'un ventre étrangement ballonné.
Quand les troupes américaines s'apprêtent à pénétrer dans l'un de ces domaines, surveillé peut-être par d'invisibles défenseurs, leurs canons ouvrent un feu croisé, puis, à leur tout, les mortiers couvrent le terrain d'éclats. Mais ce tir incertain est, malgré sa densité assez peu efficace. Seule l'action des fantassins est capable d'obtenir un résultat tangible. Action lente, tâche délicate, qui ne ressemble en rien à ces charges spectaculaires dont le cinéma dispense à un public mal informé les trop faciles images.
Le gros du peloton, resté en arrière, couvrent les haies où les allemands commencent à réagir, de projectiles divers : balles, grenades, petits obus, avec l'intention moins de les détruire que de les obliger à se terrer. Pendant ce temps, de petits groupes remontent lentement les côtés des champs en se couvrant avec la haie latérale, où parfois cependant, tout à coup, se découvre un adversaire patient et sournois. Séparés de quelques mètres les uns des autres, les yanks rampent prudemment jusqu'à l'extrémité du champ : là, ils essaient tout d'abord d'éliminer les points principaux de résistance, généralement les angles, avec des grenades à fusil ou à main et des mitrailleuses.
Quand la pression devient trop forte, les allemands reculent, emmenant leurs pièces, et, deux ou trois champs plus loin, en garnissent une nouvelle ligne de défense, tandis que quelques isolés retardent la progression américaine. Les yanks, ayant atteint la haie à demi abandonnée, la criblent de balles, balancent des grenades de l'autre côté. Et les derniers allemands, ou bien jaillissent de leur trou, les bras levés, ou bien tentent de s'enfuir et de traverser le champ balayé par la mitraille. Parfois ils refusent de sortir jusqu'au moment où une grenade jetée dans leur abri broie leur courage et pétrit leur chair avec la terre normande.
Lutte déprimante que celle où l'on ignore qui se trouve devant soit, où l'on cherche en vain à deviner si le champ voisin, si la haie proche, est à ses amis ou à ses ennemis. Et dans cette terrible compétition que Bill Davidson, correspondant de Yank, compare au jeu enfantin des gendarmes et des voleurs, il n'est même pas possible de se fier au bruit caractéristique des armes, car très souvent les soldats utilisent les fusils ou les engins automatiques abandonnés par leurs adversaires.
Lentement, le front progresse, toujours vivant, toujours fluide, et cette grande bataille se décompose en une multitude de petits engagements où, dans un coin de haie, se mêlent brusquement en un duel aveugle tout l'héroïsme et toute l'horreur d'une lutte implacable.
Les haies jouent un tel rôle dans cette bataille de Normandie, elles tendent l'esprit des G.I. à un tel point, que ceux-ci n'apprécient plus leur progression en " yards " ou en " miles " mais en haie et parlent d'un gain non de 200 m mais de six ou sept haies, de six ou sept champs.
" Demandez, écrit l'un des combattants de la 79e division, à l'un quelconque des " doughs ", le souvenir qu'il garde de ces monticules innombrables et centenaires de terre, de pierres et de broussailles qui bordent champs cultivés, vergers et routes, sollicitez de lui l'impression qu'il rapporte des combats qui s'y déroulèrent, il vous dépeindra cette terre comme tout à fait étrangère aux américains (unamerican) ". Ironique, Bill Davidson pense que le souvenir de cette " guerre des haies " (hedgerow warfare) restera si fortement marqué dans les annales militaires que la tactique qu'elle impose sera l'objet d'études minutieuses qui feront, les jours d'examen, " sécher " plus d'un des élèves officiers de West Point.
Dans ce bocage inconnu, l'enseignement des camps d'entraînement ne sert à rien, les livres d'art militaire paraissent désuets et ridicules. Chacun doit imaginer lui-même une méthode appropriée à la situation, à cette lutte sans trêve contre un ennemi invisible, qui impose une tension nerveuse permanente. Les blindés n'apportent pas dans cette lutte l'appui espéré. Sans doute la formule : une escouade, un tank paraît susceptible d'une certaine efficacité, mais le tank doit se borner à couvrir l'avance des fantassins dont le rôle demeure essentiel. Les allemands apprendront à leur tour, devant Mortain, que la guerre de haies n'est pas une guerre de Panzer.
Les chars ne peuvent sans danger suivre les chemins encaissés, sinueux, à l'issue incertaine, où toute manœuvre est impossible. S'ils se lancent à travers les talus, ils doivent, pour les franchir, prendre une position fortement inclinée qui découvre la partie inférieure, la plus vulnérable. Sans doute le sergent Cuclin a l'idée d'adapter aux tanks des fourches, fabriquées, dit-on, avec l'acier des obstacles côtiers. Elle leur permettent de défoncer les haies ou, tout au moins, d'y creuser des trous que le génie remplit d'explosifs. Mais ces fourches assez vite tordues et inutilisables sont en fait assez décevantes. Le fantassin supporte à peu près seul tout le poids de la guerre des haies.
Le crépuscule amène quelque repos et l'historiographe de la 29e division a noté l'opposition entre le combat incessant et rude de la journée et le calme de la nuit. Le soldat se creuse alors un trou de taupe dans l'épaisseur de la haie, reçoit de l'arrière, parfois, nourriture chaude, lettres, " stars and strips " et oublie un peu l'incertitude de cette trêve nécessaire.
Ses réflexions sont courtes, comme son champ de vision. Coucher à même le sol, porter des vêtements toujours mouillés, perdre toute notion d'hygiène, se contenter de rations peu variées, toujours redouter la balle d'un sniper, voir tomber tour à tour ses meilleurs camarades : la guerre pour le " dough " n'a point d'autre sens.
Les jours s'écoulent monotones et décevants. Le courage et la peur sont toujours proches l'un de l'autre. Sans vin, sans chanson, sans témoin devant lequel il soit possible de jouer au héros, la guerre n'est point le spectacle terrible mais exaltant que décrivent les magazines. Comme ils paraissent étranges aux Yanks, ces illustrés tapageurs où la pin-up girl, charme standard, maintient les droits d'une publicité audacieuse ! Ne sont-ils pas étudiés, avant tout, ces clichés " réalistes " de la guerre lointaine pour nourrir la sensibilité avide de civils impatients.
Cette longue évocation de la guerre dans la campagne normande, étonnera certainement tous ceux qu'une longue habitude a rendus insensibles à toute l'originalité du bocage. Et pourtant, ces haies que l'on appelle des " fossés " et la " répare " qui les accompagne, sont d'une grande importance pour les paysans normands. Pour s'en convaincre, il suffit de songer à tous les usages locaux qui en régissent d'une manière si précise la propriété et la jouissance. Ces haies plongent leurs racines dans le plus lointain passé. Ce paysage caractéristique de la France de l'ouest a peut-être eu ses traits définitifs fixés dès l'occupation celtique.
Mais les Yanks, indifférents à ces spéculations et à ces antiques origines, songent seulement aux difficultés immédiates qui s'impose à eux et qui, à chaque instant, posent le problème de la vie et de la mort.
Ainsi s'explique, sans doute, le ralentissement apparent de l'activité américaine en Juillet.
Si les soldats d'outre Atlantique éprouvent quelque peine à s'adapter à cette nouvelle forme de guerre, à surmonter ces épreuves inattendues, à remplir cette tâche immense, cette " tâche de mammouth ", dit un homme de la 35e division, les pauvres civils trouvent bien longue la terrible attente à laquelle ils sont condamnés. Avec quelle anxiété, ils guettent l'arrivée des américains, signe tangible de leur libération ! fin certaine de leur cauchemar !
En Grande Bretagne, l'impatience grandit aussi. Dans la nuit du 12 au 13 juin, entre 4 h 05 et 4 h 30, sept bombes volantes s'abattent au sud est de l'Angleterre et l'une d'elles frappent Londres. Depuis l'automne, les allemands ont entrepris la construction de rampes de lancement pour bombes volantes et rockets, près du Pas de Calais et dans la région de Cherbourg, les premières dirigées vers Londres, les secondes vers Bristol. Les alliés, prévenus, ont entrepris, en dépit d'un camouflage sévère, l'attaque de ces pistes ou " noballs " depuis le 5 décembre précédent : c'est l'opération " Crossbow ". Sur 104 " noballs " reconnus, 88 ont été atteints mais les allemands modifiant leurs dispositifs sont parvenus à édifier en secret, 74 autres " noballs ". Ils espèrent lancer chaque jour 6.800 de ces engins, dits V1. En fait, jusqu'au 31 août, la moyenne quotidienne ne dépasse pas 95 bombes volantes.
Il en résulte cependant une sérieuse perturbation de la vie anglaise. Des forces qui auraient pu jouer leur rôle en Normandie doivent être mises à la disposition du maréchal de l'air, Sir Roderic Hill. C'est pourquoi ces " robots ", arme de diversion, intéressent le Cotentin. Le succès de Bradley privera d'ailleurs les allemands de toute une série de rampes.
La lutte contre ces engins – vaine par temps brumeux ou pluvieux – est toujours difficile. Il faut en outre éviter de provoquer leur chute sur un quartier habité. Néanmoins du 13 juin au 30 Septembre, des 7.500 bombes volantes envoyées au-delà de la manche, 5.5431 seulement explosent au sol.
Les effets meurtriers sont limités. Il faut pourtant tout le solide flegme Britannique pour supporter patiemment cette action déprimante. Le 18 juin, à 11 heures, un robot atteint la " chapelle des gardes : il y a 480 morts dont plusieurs collaborateur d'Eisenhower. La lecture du journal de Butcher révèle à quel point le quartier général lui-même se trouve menacé et lorsque, pour mieux suivre les opérations de Normandie, Eisenhower doit gagner le poste avancé de Portsmouth, il craint que son départ ne soit interprété comme une lâcheté.
Ces attaques de V1 ont d'ailleurs une conséquence inattendue. Comme la plupart proviennent des bords du pas de calais, l'aviation alliée multiplie ses attaques contre ce secteur et les allemands ne peuvent savoir s'il s'agit de détruire leur arme secrète ou de préparer un nouveau débarquement.
Chapitre 2
L"offensive vers la Haye du Puits et Lessay.
Dans son journal, le capitaine Butcher note, à la date du 1er juillet, " Ike a regretté que Bradley ait ajourné sa grosse attaque pour ouvrir la base de la Péninsule ". Il avait décidé de frapper le vendredi 30 juin, mais l'attaque a du être retardée jusqu'au lundi. Le mauvais temps est l'explication officielle, et probablement exacte, de ce retard. Le lundi 3 juillet, les américains prenant pour objectif la Haye du Puits, tentent de rompre la ligne de défense allemande. Et Butcher inscrit, le 4 juillet, sur son carnet : " Bradley a commencé son avance à la base de la péninsule de Cherbourg, vers Coutances. Les premiers rapports indiquent des progrès satisfaisants ".
De son côté, Montgomery, dans son ouvrage " Normandy to the baltic ", affirme avoir donné le 18 juin, des ordres qui, précisés le 19, tendent à développer les opérations entre La Haye du Puits et Coutances, sans même attendre la chute de Cherbourg. Avec l'aide des trois divisions d'infanterie du XVe corps, dont le débarquement est prévu à Omaha Beach le 24 juin, la Ire armée doit, dès que possible, foncer vers Granville, Avranches et Vire – l'aile gauche américaine se bornant à maintenir le contact avec la 2e armée Britannique.
Les américains auraient donc cherché dans l'offensive déclenchée le 3 juillet la possibilité d'une rupture du dispositif ennemi.
Et ce sont les allemands qui, prélevant sur les forces engagées plus à l'est une partie de la 2e division Panzer SS (Das reich " pour l'amener le long de la côte Ouest, auraient empêché l'avance vers La Haye du Puits et Lessay de se transformer en victoire décisive.
Toutefois, dans " The Saturday Review of Literature " du 14 avril 1945, Ita Wolfert prétend qu'il s'agit là d'une simple feinte destinée à induire les allemands en erreur, à les amener à concentrer leurs troupes aux deux extrémités du front de Normandie, à dégarnir le secteur central où doivent se dérouler les évènements essentiels.
Et confirmant cette opinion, " Ike lui-même, dans " Crusade in Europe ", assure que Bradley, dès le 20 juin, avait décidé que la percée, tout d'abord envisagée plus au sud, aurait lieu près de Saint-Lô.
Toutefois, la publication officielle " Saint-Lô ", rédigée par le département de la guerre américain nous présente une thèse plus nuancée, plus conforme sans doute aux espoirs primitifs, plus en rapport en tout cas avec la réalité : avant de lancer leur grande offensive, les américains désirent amener leur base de départ sur une ligne Coutances Saint-Lô. À l'ouest, cette rectification porte sur trente kilomètres de profondeur et prend l'aspect d'une rupture locale du front.
En fait, les américains ne réalisent qu'une partie de leur projet et n'atteignent même pas Lessay. Les allemands ayant compris l'importance de l'opération tentée, réussissent, au prix de lourds sacrifices, à contenir leurs adversaires. Le déclenchement de l'attaque ne les surprend d'ailleurs pas. Le 2 juillet, la 7e armée estime que les alliés ont achevé leur préparation et précise qu'elle s'attend à une offensive dirigée de Carentan vers Périers. Lorsque les premiers mouvements se produisent plus à l'ouest, la 7e armée pense tout d'abord à des opérations de reconnaissance mais, le soir, change d'avis lorsqu'elle apprend que trois divisions essayent de se frayer un chemin vers La Haye du Puits : la bataille de Saint-Lô est commencée.
§1. Vers Lessay
Arrivée dans le Cotentin le 12 juin seulement, la 79e division a brillamment relevé la 90e division épuisée par de durs engagements. Fière de son emblème, la croix de Lorraine, souvenir de ses combats de France en 1918, bien entraînée par Ira T.Wiche, le plus petit et le plus âgé (il a 56 ans) des généraux de la Ire armée, elle a enlevé avec beaucoup d'intrépidité le fort du Roule. Mais au début de Juillet, lancée en direction de la Haye du Puits, elle suit une route jalonnée de souffrances et de déceptions. Contre un ennemi qui s'accroche désespérément à un sol qui n'est pas le sien, mais où se joue sans doute son destin, tout autant qu'aux portes de la Prusse orientale, les gains, lentement réalisés, sont médiocres.
Sa ligne de départ court de Saint-Lô d'Ourville au Boulay (au sud est de Saint Sauveur le Vicomte). En face, la 243e division d'infanterie allemande couvre la route Carteret-La Haye du Puits et la 91e surveille la voie Saint Sauveur-La Haye du Puits). Un peu plus à l'est, se trouve également la 353e division récemment amenée. Mais victimes des précédentes opérations, ces unités ne sont pas complètes. Leur système défensif a pour pivot La Haye du Puits fortifié avec un soin extrême. On trouve là, selon le mot du mémorialiste de la 79e division, l'épitome de la ruse diabolique. Les approches nord sont soigneusement minées, les haies avoisinantes bourrées d'armes automatiques et de pièces légère d'artillerie ; ça et là, quelques tanks sont adroitement camouflés et, dans les arbres, nichent des " snipers " qui opèrent avec une efficacité affolante. Le bourg, lui-même, est tout hérissé de petites batteries et de canons fixes, de pill-boxes, de trappes pour les tanks, de pièges pour les hommes et d'un minutieux enchevêtrement de fils de fer barbelés. Derrière la ville, des mortiers et des pièces d'artillerie plus importantes lancent leur projectiles par-dessus la tête des défenseurs et criblent d'éclats la route que doivent suivre les assaillants.
Et partout, des hitlériens courageux. Le Fuehrer leur a demandé de se battre jusqu'au dernier homme et, fidèles à la consigne donnée, ils vont tenir jusqu'à l'épuisement total de leur forces.
Le 3 juillet, l'attaque est déclenchée à 5 h du matin, après un violent bombardement des lignes allemandes qui a duré toute la nuit. La 79e division, partant de l'embouchure de l'Ollonde, à travers une nappe de boue et une interminable succession de haies, s'engage vers le sud. Négligeant quelques îlots de résistance, elle s'avance hardiment de 8 Km, entraînée par le 315e régiment. Lorsque la nuit arrête les Yanks, ils ont franchi la moitié de la distance qui les séparait de la petite cité.
Le lendemain, c'est la fête nationale américaine du 4 juillet, le 168e anniversaire de la proclamation par le 3e congrès, à Philadelphie, de l'indépendance des États-unis de l'Amérique du Nord. Eisenhower et Bradley viennent visiter le poste de commandement de la division, installé au village " les Fosses ". La présence du chef de l'armée soutient l'ardeur des troupes et cette fête de la liberté est marquée pour les allemands par une violente sérénade d'artillerie et par de nouveaux reculs. Les américains occupent une série de hauteurs dominant La Haye du Puits dont certains éléments se sont approchés à moins de 2 km. La petite ligne de chemin de fer Carentan-Carteret est coupée.
Le temps s'est peu amélioré ; l'aviation toutefois participe à l'effort général en bombardant les villages fortifiés et les dépôts de munitions dans la région de Lessay, de même que le réseau ferré et les trains à l'arrière du front. À gauche, le 314e régiment reçoit l'ordre, à 18 h 10, d'appuyer l'effort parallèle de la 82e division, il lance son troisième bataillon à l'assaut d'une petite colline de 95 mètres, située à 1.800 m au nord est de La Haye du Puits, au sud du village de La Flèche. À 21 h, il s'en rend maître.
À droite, l'étreinte se resserre également et un mouvement enveloppant parti de Saint-Lô d'Ourville se dessine par l'occupation, le 3 juillet, de Denneville et de Saint Rémy des Landes. Le centre de la résistance est constitué de ce côté par une colline voisine de Montgardon. Fortifiée, elle couvre à l'ouest le bourg de La Haye du Puits. Ardemment défendue, elle est arrosée de tant de sang que les américains l'appelleront désormais la colline sanglante (bloody hill). Arrêté par un violent tir de l'artillerie ennemie, le 315e ne peut se saisir de la position. Une semblable concentration du feu allemand accable la compagnie K du 313e et de la compagnie A du 749e bataillon de tanks qui s'étaient glissées jusqu'à la lisière des positions adverses.
C'est par le nord que, finalement, les américains vont pénétrer dans la petite cité. Le 2e bataillon du 314e régiment ouvre la voie en suivant la route encaissée. Puis le 312e bataillon F. A. du lieutenant colonel James B. Kraft, surnommé " boulet de canon " et le Ier bataillon du 314e sous les ordres du colonel Olin E. Teague, dit " le tigre ", atteignent les défenses de la ville.
Mais La Haye du Puits n'appartient pas encore aux alliés qui en annoncent pourtant, dès le 5 juillet, l'occupation. Chant de victoire prématuré, puisque le 6, le jour même où Von Kluge remplace Von Rundstedt " limogé ", une contre attaque allemande rejette les américains qui se sont aventurés dans la bourgade.
La compagnie K du 314e régiment peut, cependant, y pousser une pointe et obtenir le contrôle de la gare le 7 juillet. C'est elle, sans doute, qui pose déjà les pittoresques pancartes " off limits " que les forces d'assaut suivantes trouveront avec surprise encore humides d'une peinture fraîche, alors que nombre d'allemands se refusent à crier " Kamarad " ou " Uncle ".
Les américains ne parviennent pas à s'accrocher solidement aux ruines de la ville. Toutes leurs tentatives sont brisées par la violence des contre attaques adverses. Le 7 juillet, les allemands espèrent même reprendre le terrain perdu, grâce à l'intervention d'un groupe de combat envoyé par la 2e Panzer division de SS. Vain espoir. L'artillerie américaine joue un rôle efficace. Le commandant du LXXXIVe corps déclare que, guidée par des avions, appuyée par des attaques aériennes, cette artillerie réduit les batteries allemandes au silence et détruit l'infanterie dans ses trous.
L'occupation progressive des collines qui encadrent La Haye du Puits amène un fléchissement de la résistance ennemie. Une quatrième tentative américaine, le 8 juillet, soit près d'une semaine après le début de l'offensive, est enfin couronnée de succès.
À cinq heures du matin, le colonel Teague emmène le Ier bataillon du 134e pour un ultime assaut. Le 749e bataillon de tanks et le 83e bataillon de tanks destroyers appuient son action. Quarante minutes plus tard, le succès semble se dessiner. À neuf heures, enfin, le lieutenant colonel Earl Lerette pénètre dans la ville et aussitôt s'emploie à chasser les derniers défenseurs. Walter Peters, correspondant de " Yank " trouve le poste de commandement déjà installé dans une maison fortement ébranlée dont les portes disloquées pendent lamentablement, retenues à quelques gond à demi-arraché, où le plafond forme un amas poudreux sur le sol de la pièce. Par les encadrements déformés et béants pénètre une odeur de fumée et de sang, la fumée des voitures allemandes ou américaines qui achèvent de brûler, le sang versé par les indomptables assaillants comme par les héroïques défenseurs. Dans une salle voisine, quelques soldats tentent de sécher leur habits, en dévorant leur ration K. " P.C. " animé et heureux où l'on parle des maudits snipers qui, çà et là, continuent à jouer de mauvais tours, où l'on s'amuse de l'enseigne aperçue de l'autre côté de la rue : " A. Céron " – Monuments funéraires et mortuaires ". Quelle ironie dans cette ville dévastée : On plaisante l'un des vainqueurs, le sergent Syman Klotz qui, le matin même, a appris la naissance d'une petite fille, là-Bas, en Amérique.
À 22 heures, les diverses colonnes lancées contre la ville, opèrent leur jonction. Les allemands, lentement, se replient par les routes secondaires que, sans relâche, bombarde l'artillerie américaine. Mais avant de s'engager dans d'autres opérations, les Yanks doivent liquider quelques groupes tenaces, isolés ça et là, en ville, et surtout dans les environs. La " colline sanglante " voit se dérouler les derniers combats du secteur.
L'ennemi n'a abandonné La Haye du Puits qu'à contre cœur et il s'apprête à résister farouchement, au sud, dans une région infestée de mines. Des unités spécialisées dans les combats de tranchées sont laissées aux carrefours et dans les villages.
Mais les allemands n'obtiennent pas les renforts dont ils ont besoin et qui pourraient, non sans danger d'ailleurs, être prélevés sur la 5e division de parachutistes, encore en Bretagne, et sur la 275e division. Aussi, alors que le 9 juillet, la 79e n'a progressé que de 300 mètres, la défense allemande fléchit le 10.
À l'ouest, l'objectif essentiel est constitué par le secteur Hierville Angoville ; il est atteint le 12 juillet, mais le 749e bataillon de tanks et le 813e bataillon de tanks et le 813e bataillon de tanks destroyers doivent intervenir pour appuyer l'infanterie et écraser de nombreuses poches de résistance.
Le 12 juillet, les américains pénètrent dans Saint-Germain sur Ay sans rencontrer d'opposition. Deux jours plus tard, ils sont signalés à la ferme de Semilly et au village de Cartot, à environ 3 km, au nord ouest de Lessay.
Mais la 79e division épuisée doit abandonner la poursuite de l'offensive au reste du VIIe corps, se limiter à la défense de la rive nord de l'Ay et se contenter de lancer des groupes de reconnaissance qui s'approchent à moins de 700 mètres du bourg de Lessay. Au sud de la rivière – large fossé renforcé par des inondations volontaires – les allemands tiennent une ligne solide. Ils peuvent profiter de champs de mines étendus dont ils connaissent seuls la fantaisiste mosaïque. Le temps toujours peu clément, maintient à terre l'aviation alliée. Les allemands font sauter la plupart des ponts qui franchissent l'Ay, enterrent leurs canons et leurs mortiers et lacent plusieurs contre-attaque pour sonder la puissance de leur adversaire au nord de la rivière.
Un fait divers témoigne assez bien de l'intensité de la lutte et de l'héroïsme déployés des divers côtés. Le soldat Fredéric F. Richardson, de la compagnie F. du 315e est chargé de surveiller un pont dynamité le long de l'Ay. Il installe son B.A.R., face à l'issue du pont, dans la fenêtre d'une maison de pierre dont les murs tremblent sous les coups directs des mortiers allemands.
Richardson demeure à son poste pendant plus de vingt quatre heures consécutives. À plusieurs reprises, l'ennemi tente de traverser le pont et d'enlever la maison. Chaque fois le B.A.R. lui fait payer un lourd poids de passage. La lutte épuisante ne s'interrompt que deux fois. Au cours de l'après midi du second jour, l'ennemi obtient une trêve de trois heures pour lui permettre de dégager ses morts et ses blessés. Peu après, un officier allemand et 19 hommes lèvent un drapeau blanc. Richardson assiste au départ de ses prisonniers puis reprend son guet. Mais, vers le soir, un obus de mortier éclate juste devant la fenêtre. La jambe sectionnée, il est emmené et étonne le médecin par son sang froid et sa bonne humeur. Il n'exprime qu'un regret : celui de ne pouvoir retourner tuer des allemands.
Les Français, les normands de la Manche notamment, sont souvent surpris par la violence des sentiments qui animent les américains, leur haine des " nazis ", la joie qu'ils éprouvent à les détruire. Ainsi le sergent Frank Kviatek, de la 2e division, un vétéran fier de ses 27 années de service, profite de ses qualités de tireur pour abattre trente-six allemands ; mais il n'atteint pas le but qu'il s'était fixé, vingt-cinq pour chacun de ses deux frères tombés en Italie.
Faut-il voir dans ces faits le témoignage d'une aversion féroce à l'égard de l'hitlérisme, la preuve d'une violence un peu primitive des caractères ou tout simplement la griserie perfide du combat ! Tout concourt sans doute à cet acharnement suprême.
9.2 À l'est de la Haye du Puits
Dans sa rude tâche, la 79e division est appuyée à sa gauche par deux autres unités américaines.
C'est d'abord la 82e division qui, à la pointe du combat depuis le 6 juin, participe encore brillamment à l'offensive du 3 juillet et, sous une pluie battante, s'empare de la colline 131 (ou bois d'Etenclin), puis du pont de la Poterie. Son chroniqueur prétendra plus tard, affirmation incontrôlable, qu'elle aurait pu pénétrer dans La Haye du Puits, mais que des ordres précis s'y opposèrent. La 82e Airborne, déjà riche de la gloire cueillie à Sainte Mère Église, peut se contenter d'avoir, en ce début de Juillet, peu avant son retour en Angleterre, effectué l'attaque la mieux réussie.
La 8e division remplace la 82e A.B. Débarquée le 4 juillet sur le continent, rassemblée près de Montebourg, elle prend position de 8 juillet, sur la ligne de feu. Mais le 28e régiments, qui relève les 2e et 3e bataillons du 314e et le 121e régiment contre lequel les allemands lancent de vigoureuses contre-attaques, mettent trois jours à atteindre l'objectif qu'ils se sont tout d'abord assigné : la conquête de 1.000 mètres de sol français. Blessé le deuxième jour de l'action, le brigadier général Nelson M. Walker, commandant en second de la division, meurt le lendemain. Le 3e bataillon du 28e régiment se trouve un moment isolé à un kilomètre en avant des autres unités et la compagnie L est fortement éprouvée .
Ces difficultés s'expliquent par la présence, aux côtés de la 353e division allemande, d'éléments appartenant à la 2e division de SS et au 15e régiment de la 5e division de parachutistes amenés en renfort.
Mais la 8e division bénéficie du fléchissement allemand constaté, le 10 juillet, dans tout le secteur occidental. Les américains libèrent Meobecq le 11, Vesly le 13.
Le général Stroh, qui vient de prendre le commandement de la division, remplace sur la ligne de feu le 28e régiment par le 13e, tenu jusque là en réserve et la 8e division atteint en même temps que la 79e division, la rive nord de l'Ay. Elle suspend ensuite son effort dans l'attente des grand évènements qui la jetteront, le 28 juillet, parmi l'effondrement allemand vers Coutances et Avranches.
§ 3. La bataille du Montcastre
De toutes les divisions qui composent le VIIe corps, c'est sans doute à la 90e division qu'incombe la plus lourde tâche. Mais ses trois régiments (357e, 358e, 359e) recrutés dans le Texas et l'Oklaoma, sont formés de rudes gars ( " Tough'ombres ") qui ont encore dans les veines un peu de sang espagnol. Son aile gauche se trouve, le 2 juillet, au nord des marais de Gorges vers Baupte et Appeville, son aile droite s'étire au nord ouest vers Prêtot et Varenguebec). En face d'elle se dresse " une porte d'acier massif qui ne peut tourner sur des gonds incrustés de rouille ".
Elle est formée à l'est par les marais de Beaucoudray, à l'ouest par la colline 122 qui porte l'épaisse forêt du mont Castres. Cette colline est un bastion naturel que l'on suppose avoir été utilisée par T. Titurius Sabinus lorsque, au cours de la première conquête de la Gaule par les romains, il eut à se défendre d'une attaque de l'armée gauloise de Viridorix. Cette dernière s'épuisa en tentant au pas de course l'escalade de la colline au sommet de laquelle les soldats de César s'étaient retranchés.
Au nord, le sommet de la colline est dénudé, mais au sud la forêt se développe, impénétrable, semblable, disent les américains, à une jungle tropicale. Pendant trois ans, les allemands ont fortifié ce belvédère et en ont étudié chaque mètre. Dominant la péninsule, il commande l'accès du bocage qui, vers le sud, développe son quadrillage de haies. Sa possession est indispensable aux américains.
Le premier jour de l'attaque, le 359e régiment, opérant à l'ouest, avance à travers Prétot de deux kilomètres, en dépit des mines et du tir de l'artillerie. Le 358e, à l'est, progresse également de mille mètres vers Saint Jores. À 14 h 10, une patrouille pénètre dans cette petite bourgade mais doit se replier devant le tir d'un group de tanks. Le 3e bataillon menace alors de déborder le flanc est de l'ennemi qui se replie et, à 19 h 30, le Ier bataillon peut dépasser Saint Jores et marcher sur les Belle Croix. Ce dernier village est libéré, malgré le tir violent des canons allemands, par les tanks du 712e bataillon fraîchement débarqué et qui va associer son sort à celui de la 90e division. Le 4 juillet, le 358e rejette une contre attaque et, à la fin de la journée, pousse vers la Butte. Pendant ce temps, le 259e se glisse jusqu'à la route du Fry, mais rencontre une certaine opposition au bourg de Sainte Suzanne dont, chassé dans la matinée, il ne s'empare qu'au cours de l'après midi. Le même jour, Madame de haute cloque voit les Yanks surgir, méfiants, dans le château voisin où de nombreux civils ont trouvé asile et où, quelques semaines plus tard, le général Leclerc, lancé avec tant de hâte et de gloire vers Paris et Strasbourg, s'arrêtera un court instant.
Le 5 juillet, à l'est, le 357e relève une partie du 358e et entre à son tour dans la bataille. Mais de ce côté, le front reste stationnaire pendant près d'une semaine. Les américains sont " stoppés " devant Beaucoudray après vint quatre heures de combats. Des coups assez durs continuent d'être échangés pendant six jours, mais le but est moins de donner du jeu aux gonds de la formidable porte que de retenir dans ce secteur le plus d'adversaire possible.
L'effort principal se déplace vers l'ouest. C'est là que le verrou sera forcé. Un mouvement tournant vers le sud est fera pivoter lentement la porte sur la charnière de Beaucoudray.
Le 6 juillet, le Ier bataillon du 359e atteint le piton ouest de la colline du Montcastre et surprend les allemands qui s'attendaient à une attaque principale venant de l'est. Les ennemis, un moment débordés, reculent. Mais, dans une réaction désespérée, profitant de leur supériorité en artillerie, ils parviennent à encercler le 1er bataillon qui les a dépassés, et le 3e qui progressait à gauche du Ier. Les américains lancent de violentes contre attaques : dix en vingt quatre heures ; mais, mal ravitaillés, réduits à compter leur balles, ils se trouvent dans une situation tragique. Enfin, au bout de trente heures, le 2e bataillon du 358e, appuyé par huit tanks, parvient le 7 juillet, à 18 h 30, à briser le cercle ennemi.
Pendant ce temps, le 2e bataillon du 359e et le Ier bataillon du 358e, appuyé par huit tanks, parvient, le 7 juillet, à 18 h 30, à briser le cercle ennemi.
Pendant ce temps, le 2e bataillon du 359e et le Ier bataillon du 358e franchissent la lisère orientale de la forêt, le 6 juillet, tandis que le 3e bataillon du 358e, venant de Lithaire, pousse droit vers le sud, en direction de la crête de la colline 122, occupée le 8 juillet.
Un front continu courant à travers les sommets est établi. Il est le fruit de deux jours d'âpres combats qui ont encore permis de capturer 430 prisonniers.
Mais le flanc droit de la division se trouve découvert au moment même où l'ennemi, chassé de La Haye du Puis, tente de s'infiltrer vers l'est. Il faut, pour protéger l'aile menacée, former une nouvelle compagnie avec les cuisiniers et les mécaniciens du 359e. Le danger s'éloigne. Pourtant les allemands ne désespèrent pas de chasser les américains du sommet de la colline tant disputée et le 315e bataillon du génie, qui en assure la garde, connaît toujours des tirs éprouvants.
La mission de la 90e division n'est pas terminée. L'ascension de la colline a été difficile, la descente vers le sud se révèle encore plus pénible. Les parachutistes allemands (15e régiment de la 5e division) fanatiques, habitués aux combats corps à corps, bien camouflés, sont aidés par le temps couvert qui réduit souvent la visibilité à 25 mètres, parfois même à cinq mètres.
Le 3e bataillon du 358e, au centre du secteur, est appuyé à gauche par le 2e bataillon et à droite par le Ier bataillon du 359e. L'attaque débute le 10 juillet.
Quelques faits illustrent l'âpreté du combat.
Un nid de résistance ennemi se trouve derrière une éminence de quelque huit mètres de haut. Le soldat William L. Smiley bondit sur l'obstacle et accable l'ennemi d'un feu direct. Son camarade, Théodore Wagner imite son exemple, lance plusieurs grenades et invite les allemands à se rendre. Huit nazis abandonnent la lutte : près d'eux, on trouvera neuf cadavres. Les américains n'enregistrent pas seulement des succès. Leurs adversaires, profitant de la fluidité du front, s'insinuent à travers les divers groupes et surgissent brusquement sur le flanc ou à l'arrière de compagnies obligées de faire face tout à coup à une tache inattendue.
Les tanks rendent aux allemands de précieux services : ils portent le ravitaillement et évacuent les blessés, ouvrent des brèches ou épaulent les groupes qui fléchissent. Beaucoup, victimes du feu ennemi ou des marais perfides, jalonnent les routes et parsèment les champs.
Le 11 juillet, enfin, les compagnies de tirailleurs du 3e bataillon du 358e glissent vers la droite et, flanquées du 359e régiment, chassent les allemands de la foret du Montcastre.
Les américains ont été plus habiles, ou plus forts, que les gaulois de Viridorix.
Tandis que la forêt retrouve peu à peu le calme des siècles passés, les Yanks poursuivent leur avance. Les allemands qui peuvent craindre, après les progrès de la 79e division, un mouvement d'encerclement, " décrochent " assez rapidement.
Au sud de la forêt du Montcastre, les américains enlèvent, le 13, la colline 92 et le 14, libèrent Laulne. La direction générale du mouvement est N.O. S.E. La 90e division approche de Saint patrice de Claids et dépasse bientôt le Haut Perrey sur la vieille route romaine dite de " la reine blanche ".
Dans le secteur oriental de la division, le front subit une semblable évolution. Devant Beaucoudray, l'activité reprend le 10 juillet. Le 2e bataillon du 357e exécute, le 11, par l'est, un mouvement de flanc. Dans la nuit, les " Krauts " s'enfuient et le lendemain, le 2e bataillon peut saisir Le Plessis tandis que le Ier et le 3e traversent Beaucoudray. Bientôt Gorges et Gonfreville sont dépassés par les américains, dont certains éléments atteignent les bords de la Sèves dès le 14 juillet. Mais derrière cette défense naturelle, les allemands reprennent confiance. Ils occupent, en particulier dans l'île de Sèves, une solide position et les alliés ne parviennent pas à les déloger. Le Ier et le 2e bataillon du 358e régiment réussissent bien à franchir la rivière mais, incapables de se maintenir sur la rive sud, ils doivent opérer une difficile retraite qui permet aux allemands de capturer quatre officiers et deux cent hommes. La 90e division renonce à s'ouvrir la route de Périers et à opérer avec la 4e au sud du marais de Gorges, une jonction pourtant nécessaire. Une dizaine de jours s'écoulent avant qu'elle puisse, à la faveur d'autres évènements militaires, reprendre sa marche victorieuse.
L'offensive vers Lessay et Coutances, si elle n'a pas donné tous les résultats escomptés, a tout de même obligé les allemands à reculer de 12 kilomètres en 12 jours. Les chefs du LXXXIVe corps et de la 7e armée, qui ont arraché à Rommel et à Hitler l'autorisation d'un repli déjà consommé, connaissent une inquiétude grandissante. Ils se voient refuser tout secours et leurs troupes sont épuisées par trop de vaines contre attaques. Qu'adviendra t-il lorsque les américains reprendront l'offensive.
Chapitre 3
Le secteur central
Entre les marais de Gorges et la vallée profonde de la Vire, s'étend un vaste trapèze de terrains bas et marécageux que partage en deux le fossé bourbueux de La Taute. Cette rivière paresseuse s'étend parfois sur plusieurs kilomètres de large, en inondant au moment des fortes pluies, les prairies qui bordent ses rives. L'été 1944, aux averses fréquentes, a gonflé, d'une manière anormale, ce cours d'eau qui forme une barrière difficile à franchir. Il n'existe qu'un seul passage est ouest, celui du port à Tribehou. Divisés le plus souvent en un grand nombre de bras, la Taute et ses affluents, enserrent de petites îles de terrain sec. Avant que ne soit atteinte la route Périers Saint-Lô, les opérations combinées de blindés et d'infanterie demeurent impossibles.
Les américains – parachutistes et fantassins – se sont arrêtés depuis trois semaine sur une ligne qui, à quelques kilomètres seulement de Carentan, unit Méautis à Airel. Pour s'infiltrer vers le sud, ils n'ont à leur disposition que deux routes vraiment praticables : celle de Carentan à Périers, à l'ouest, et celle de Carentan à Saint-Lô à l'est. Ces routes forment ligne de partage des eaux et sont en principe favorables aux tanks. Mais les allemands ont établi de solides défenses échelonnées en profondeur. La nature du sol environnant, qui interdit toute manœuvre de flanc, accroît l'efficacité de ce dispositif.
Pour les américains, résorber cette poche, aligner leur front sur le saillant que les soldats d'Omaha ont, dès les premiers jours, allongé jusqu'aux abords de Saint-Lô, est une nécessité absolue.
Depuis la mi juin, les " doughs " se terrent face à ce sol gluant et sournois. Seules, l'aviation et l'artillerie américaine demeurent vigilantes. Au-delà du canal de la Vire à la Taute, elles accablent Saint-André de Bohon, Auxais et la ferme de Champeaux, à Marchesieux, qui dissimule une importante batterie allemande. Tribehou reçoit le 13 juin, à 6 h 30, des bombes et le 16 juin, à 18 h, des obus. ça et là, des camions sont mitraillés et incendiés sur les routes, notamment le 14 juin, à 14 heures, dans la côte de Gournay. Les ponts, cibles étroites, sont l'objet d'attaque répétées. Ainsi les ponts de Tribehou, sur la Taute et sur la Terrette, bombardés déjà le veille du D. Day, le sont, de nouveau, les 24 et 25 juin, sans résultats d'ailleurs. La tâche est sans doute au-dessus des possibilités des aviateurs alliés, trop rapidement déclarés incapables par les civils dont l'attente nerveuse fausse le jugement. C'est seulement au début de Juillet que ce secteur prend quelque importance. Il ne s'agit plus alors d'opérations de surveillance mais d'une poussée calculée. L'objectif lointain est cette route de Périers à Saint-Lô promise à une subite et brutale renommée. Mais les américains veulent alors doter leur tête de pont d'une profondeur suffisante pour la mise en place des renforts et dépasser le redoutable obstacle des marais.
Ils disposent de quatre divisions d'infanterie ; les 4e et 83e entre les marais de Gorges et la Taute, les 9e et 30e entre la Taute et la Vire. En outre, la 3e blindée et, un peu plus tard, la 4e blindée, apportent aux fantassins un précieux concours.
Les allemands savent que leur présence aux abords de Carentan fait peser sur la base d'opération américaines une lourde hypothèque. Pour conserver cet avantage, ils amènent aux côtés de la 17e division SS Panzer grenadier, quelques éléments empruntés à la 2e division SS, à la panzer lehr et à la 3e division de parachutistes : troupes de valeur mais fatiguées et insuffisantes.
§ 1. Entre les marais de Gorges et la Taute.
Serrée entre deux zones inondées, la 83e division livre sa première bataille le 4 juillet sur un isthme de trois à quatre kilomètres de large. Les allemands ont organisé le terrain et la première journée de combats coûte trois cent hommes à la division qui ne réalise, ni le 4, ni le 5 juillet, aucune avance sensible. Méautis toutefois est dépassé et la lisière de la zone inondée au nord de Sainteny est atteinte lorsque, le 6 juillet, la 4e division passe à travers la 83e pour aller prendre position à son aile droite. Elle doit, suivie de la 3e blindée et de la 9e division d'infanterie, s'emparer de Périers. Les allemands, inquiets, redoutant une opération aéroportée en arrière de leurs lignes, amènent des renforts importants. Entre le 6 et le 9, la 2e division Panzer contre-attaque, mais sans profit. Série monotone de combats ardents. 83e et 4e divisions avance de concert mais n'arrachent qu'à grand peine aux allemands ce sol mouvant qui fuit sous leur pas.
À partir du 6 juillet, les rapports annoncent chaque jour une nouvelle avance, mais combien limitée ! deux kilomètres, un kilomètre parfois et souvent moins. Tout un régiment est engagé, toute une journée harassante et c'est un gain de cent mètres en profondeur sur trois cent mètres de largeur. Le soin avec lequel les communiqués insistent sur les difficultés rencontrées est un éloquent témoignage de la lenteur des progrès. Pour les civils, les dures épreuves ne cessent même pas après la libération des villages, accablés tour à tour par l'artillerie américaine et allemandes.
À droite, le 10 juillet, la 4e division qui, la veille, a définitivement repoussé la contre attaque de la 2e panzer et avancé de quatre cents mètres, frappe un coup bien calculé, brise le front ennemi et enfonce un saillant vers un terrain découvert où elle pourra utiliser son artillerie.
Le 11 juillet, , le saillant est élargi, le 13, la Maugerie et la Roserie, deux petits hameaux de part et d'autre de la route 171 , sont atteints. Le 14 juillet, Raids est occupé, mais les destructions opérées soulignent la violence de la bataille.
La 83e division réalise des gains analogues au prix de difficultés semblables. Le 6, elle progresse jusqu'à Culot et la Semellerie. Le même jour, des éléments avancés atteignent Sainteny, objectif principal de la division, mais ce bourg change cinq fois de mains avant que les américains ne s'en rendent définitivement maîtres, le 10 juillet. Pendant un mois, obus et bombes pleuvent sur ce pauvre village que les allemands ont la cruauté d'incendier avant leur départ : même le cimetière porte d'affreuses blessures. Le 11 juillet, le front de la division est au nord d'Auxais, vers la Brechellerie et le Port. Le 14, Tribehou et Auxais sont libérés et les américains approche du carrefour des Champs de Losque. Les allemands accablés, le 13, par un violent tir d'artillerie – le plus terrible qu'ils aient connus, déclarent-ils – donne sur l'ensemble du front des signes évidents d'épuisement.
C'est uniquement entre la Taute et la Vire que la Wehrmacht est capable de monter, avec l'aide la Panzer Lehr, une attaque de quelque envergure.
Après le 14 juillet, les 4e et 83e divisions, refoulant la 17e division SS Panzer grenadier et divers éléments de la 3e division de parachutistes, poursuivent leur progression vers le sud. Mais les yanks, las eux aussi, n'exploitent pas à fond la défaillance adverse. D'ailleurs le commandement américain ayant atteint l'essentiel de ses objectifs songe avant tout à préparer la rupture de 25 et 26 juillet.
Une nouvelle unité alliée est venue prendre place à l'ouest de ce secteur central : la 4e division blindée. Débarquée à Utah Beach le 11 juillet, elle se rassemble, le 16 juillet, sous les ordres du major Général Hugh J. Gaffey, près de Barneville sur Mer. Le 17, par une chaude nuit d'été, le 53e bataillon en tête, la 4e blindée s'installe près d'Auxais et de Raids. Aussitôt, le premier contact avec l'ennemi est établi : cent allemands qui parviennent à s'infiltrer sur le flanc gauche sont rejetés après avoir causé quelques pertes aux américains surpris.
Le 19, la 4e division blindée réalise un gain léger de terrain, mais son quartier général installé au bourg écroulé de Méautis, est couvert d'éclatements de 88. L'artillerie alliée doit réagir avec vigueur. Les jours suivants, on voit les tanks se glisser vers l'ouest et gagner une nouvelle position au sud des marais de gorges, assurant une liaison précaire entre les 90e et 4e divisions.
L'important centre routier de Périers, où se croisent les routes nationales 171 et 800 est maintenant sérieusement menacé. Les américains n'en sont plus qu'à six kilomètres. Mais, pour l'instant, c'est plus à l'est que Bradley concentre l'effort de ses troupes.
§ 2 – Entre la Taute et la Vire.
Le 7 juillet, le feu de la guerre embrase les rives de la Vire : les américains s'apprêtent à forcer le passage de la rivière et du canal qui relie celle-ci à la Taute.
Au sud du canal, le terrain monte doucement et atteint 43 mètres d'altitude à Saint Jean de Daye. Plus loin, le long de la route de Saint-Lô, on ne rencontre aucun accident notable. Ici ou là, quelques fossés étroits, quelques bombardements irréguliers ajoutent aux difficultés naturelles de l'observation dans un pays de haies où se dispersent villages et fermes. Les chemins d'exploitation rurales sont nombreux, mais il y a seulement deux routes importantes : l'une nord sud, relie Carentan à Saint-Lô par Pont Hébert, l'autre est ouest se dirige d'Airel vers Le Désert.
Près de Pont Hébert, le niveau général se relève et on pénètre dans une région de collines dont la plus importante, la colline 91, surmontée du petit hameau des Hauts vents, constitue le meilleur observatoire de la région.
Au-delà, vers le sud, toute attaque est condamnée à suivre une étroite digue, entre la Terrette, affluent de la Taute, et la Vire qui s'encaisse dans un étroit couloir bordé de berges rapides.
La liaison avec les forces américaines à l'est de la Vire, ou à l'ouest de la Taute, demeure précaire et les allemands pourront développer dans ce secteur, avec la panzer lehr, l'une de leurs plus vigoureuses contre attaques de Juillet.
La 30e division entre dans la lutte le 7 juillet. Débarquée dès les premiers jours de l'opération Overlord, elle a collaboré avec la 101e Airborne dans le secteur de Carentan où ses équipes du génie ont construit un pont dès le 13 juin. Mais, demeurée à la base de la péninsule pendant trois semaines, elle ne participe à aucune des grandes offensives engagées à l'ouest et au nord du Cotentin.
Le major général Leland S. Hobbs doit franchir la Vire le 7 juillet. À 3 h 30, tandis que l'artillerie accable les positions ennemies, le 2e bataillon du 117e régiment, qui conduit l'attaque, se rassemble derrière une haie, à 400 mètres de la rivière. À l'endroit choisi, un peu au nord de Saint Fromond, la Vire dessine une courbe qui permet aux troupes d'échapper au tir des canons situés près du pont de saint Fromond. À 4 h 30, par un temps brumeux, les compagnie E et F s'élancent sur un front de 400 mètres de large. Le 103e bataillon du génie a amené trente deux bateaux qui, difficulté inattendue, embarquent de l'eau lorsqu'ils sont mis à flots : la pente est trop rapide. Munis d'échelles à crampons, les soldats gravissent le rive opposée et traversent rapidement 400 mètres de terrain découvert pour aller s'abriter derrière la première haie. Les compagnies G et H franchissent la rivière à leur tour et l'ensemble du bataillon progresse vers l'ouest. Son objectif est un important carrefour situé au sud de saint Jean de Daye. L'artillerie maintient un barrage roulant devant l'infanterie qui, selon les précisions, doit avancer de cent mètres toute les cinq minutes.
Pendant ce temps, le 103e bataillon du génie travaille fiévreusement à la construction d'un pont léger. Deux fois endommagé par l'ennemi, il est deux fois remis en état mais coûte la vie à vingt hommes. Il double le pont-route de Saint Fromond partiellement détruit mais vite réparé par le 247e bataillon et complété par un pont de bateaux et une passerelle pour l'infanterie. Le 3e bataillon du 117e, le 2e bataillon du 119e régiment, peuvent rejoindre les forces déjà engagées.
L'offensive se développe lentement, gênée par l'inexpérience des troupes et par le feu de l'artillerie allemande qui cherche à atteindre les ponts et les routes. Les encombrements qui se produisent entraînent des difficultés de contact et de soutien. Dans la soirée cependant, le 117e parvient à joindre, au sud de Saint Jean de Daye, le 120e régiment. Celui-ci a franchi à 13 h 45 le canal de la Taute à la Vire auprès du pont de la Tringale. Les opérations déjà engagées autour de Saint Fromond facilitent la tâche du colonel Birks qui, retardé d'abord par le manque de matériel pour la construction des ponts, avance rapidement le long de la route Carentan Saint-Lô.
Les gains réalisés donnent à Bradley l'impression qu'une rupture du front peut être tentée.
Dans la nuit, deux groupes importants de blindés viennent prendre leur place dans la bataille. C'est, d'une part, le 113e groupe et le 125e escadron de cavalerie qui, franchissant le canal à 2 h du matin, se chargent de couvrir le flanc ouest de la 30e division. Devant la résistance opposée par le 38e régiment SS panzer Grenadier, ils doivent se contenter de tenir une ligne défensive ; la Goucherie – Le Mesnil Véneron. C'est d'autre part le " Combat command B " qui, formé d'une grande partie de la 3e division blindée, traverse le pont de Saint Fromond à partir de 22 h 30, le 7 juillet. Tout de suite, les tanks subissent le feu adverse, notamment près de l'église de Saint Fromond. Le terrain conquis n'a pas été suffisamment nettoyé par la 30e division : l'intervention de la 3e blindée est prématurée.
Fait plus grave, aucune coordination des plans n' a été réalisée entre les éléments divers qui évoluent dans le même secteur. Aussi, lorsque le " combat command C " veut pousser vers le sud-ouest, à travers la zone d'attaque des 117e et 119e régiments, de fâcheuses méprises et une lamentable confusion se produisent. Un observateur ironique note qu'introduire des tanks au milieu de l'infanterie est le plus sûr moyen de paralyser une attaque. L'infanterie, ce n'est pas seulement une ligne bleue ou rouge tracée sur la carte, mais un ensemble complexe d'éléments divers, chargés de tâches multiples : ravitaillement, positions de mortiers, liaisons téléphoniques, dont la cohésion ne peut être maintenue si des unités étrangères viennent s'y mêler. Aussi la " task force X " en tête de la 3e division, doit s'arrêter le 8 juillet, au nord de la Bernaderie, tandis qu'à l'est, le 119e régiment s'approche de Cavigny.
À l'ouest du front, tandis que le 3e bataillon du 117e atteint le carrefour des Osmonds, le 320e régiment pousse jusqu'aux abords du Désert. Comprenant la gravité de la situation, les allemands amènent des renforts. Les avions de reconnaissance signalent leur progression et les P 47 de la IXe T.A.C. les attaquent le long des routes. Prudents, les américains font appel au " combat command A ". Au surplus, le haut commandement estime que le terrain gagné par le XIXe corps au cours de ces deux journées d'attaque permet, à la première armée, de déployer sa force. Ordre est donné à la 9e division du major général Manton S. Eddy de venir se placer à l'ouest de la 30e division. Son but est de pousser le long de la route qui, du Désert, conduit aux Champs de Losque. La 30e division peut donc reprendre le 9 juillet sa marche en avant : son flanc droit est solidement protégé. La confusion, il est vrai, ne fait que croître et la pluie persiste, épuisante aux soldats mouillés et boueux des leggins au casque. L'attaque débute à 7 h et se développe lentement. L'objectif immédiat est maintenant le secteur autour des Hauts Vents, à 4 km au-delà des positions avancées de la 30e division. Là commence une arête courant vers le sud, entre la Vire et la Terrette et de cette colline se découvre un large horizon. Le " combat command C " attaque au centre, le 120e à droite entre la hauteur et la Terrette. À gauche s'échelonnent ou s'emmêlent le 117e et le 119e. Les tanks avancent difficilement ; s'ils suivent la route de Pont Hébert, ils sont freinés par la présence de l'infanterie ; s'ils se risquent à travers champs, ils doivent s'ouvrir des passages dans les haies et glissent sur le terrain trop humide. Les rapports entre blindés et infanterie deviennent difficiles : à 11 h 15, le Ier bataillon du 117e se plaint du feu venant de sa gauche et accuse le C.C.B. des pertes qu'il subit.
À l'ouest, le 120e, gêné d'abord par le feu ennemi, progresse ensuite rapidement avec l'aide du 743e bataillon de tanks et dépasse l'objectif qui lui a été assigné : la colline 32, à l'est du château de la Mare de Cavigny. À 13 h, le poste de commandement du colonel Birks reçoit la visite des généraux Patton, Eddy et Watson. Déjà une certaine inquiétude de développe le long du front du 120e, car du sud monte le roulement des chars allemands. Après une fausse alerte, à 12 h 30, l'orage éclate à 14 h 30.
La compagnie B du 743e bataillon de tanks, accablée par un ennemi décidé, perd, en quinze minutes, une partie de ses chars et abandonne les autres. Le 2e bataillon du 120e subit de lourdes pertes et, démoralisé par ce combat, le plus dur de toute la guerre, recule de 400 mètres; Le 3e bataillon du 117e est, lui aussi, victime de cette attaque déprimante. En réalité, il s'agit d'une action purement locale et non pas, comme le suppose un moment les américains, surpris par la violence du choc, d'une large offensive appuyée par l'infanterie et aboutissant à la rupture de tout le front de la division. Le point critique est atteint entre 16 h et 17 h et la situation ne se rétablit que vers 18 h 30 grâce, en particulier, à l'intervention de l'artillerie divisionnaire du général Mac Lain.
Les éléments de la 2e division panzer qui ont attaqué n'ont obtenu que de médiocres résultas : le 120e régiment perd quelques heures précieuses à retrouver son sang froid ; le combat command B doit suspendre une progression, d'abord rapide, en raison de la vulnérabilité de son flanc droit.
Les américains profiteront de la leçon du jour et s'efforceront, à l'avenir, d'organiser avec plus de soin la coordination des unités. Les allemands constatent avec regret l'échec de leur tentative et l'affaiblissement chaque jour plus grand du groupe de bataille " Heintz " qui, avec quelques éléments de la 30e brigade mobile, contient avec peine l'effort patient de la 30e division.
Après une nuit calme, la lutte reprend le 10 juillet, mais les américains ne parviennent pas au sommet des Hauts Vents. Le C.C.B. multiplie en vain ses tentatives. Les routes étroites sont encombrées de véhicules endommagés et les tanks qui préfèrent s'engager dans les champs se heurtent à leurs deux grands ennemis : les haies et les 88. Belle-lande, que les américains croient abandonnée, est solidement tenue. Les batteries allemandes à l'est de la Vire gênent l'avance du 119e régiment, le long de la rive gauche.
Pourtant, au cours d'une conférence qui réunit les généraux Hobbs et Watson, les colonels Ednie et Roysdon, un plan audacieux est imaginé. Le 119e est chargé de l'exécution : tandis que Ier et 2e bataillons, protégeant le flanc gauche du régiment, passeront vers la Bessinière, le 3e bataillon se saisira de la Foutelaie, sur le rebord sud de la colline 91, débordant ainsi les défenses des hauts Vents. C'est compter sans la résistance opiniâtre des allemands. Rien n'aboutit.
À l'ouest des Hauts Vents, des succès importants sont cependant obtenus. Le 120e régiment, poussant à travers le terrain où la veille s'est déroulé la contre attaque allemande, atteint le rocher. Mais il convient surtout de noter le rôle joué par la 9e division du général Manton S. Eddy, héroïne de Bizerte et de Sicile. Elle a pour mission d'éliminer le saillant ennemi qui subsiste encore au nord de Graignes et qui contrarie la progression de la 83e division, à l'ouest de la route. L'objectif, encore lointain, imposé à la 9e division, est constitué par le terrain élevé au sud de la route Saint-Lô Périers, à l'ouest de la Terrette.
Le 60e régiment, aidé par le 113e groupe de cavalerie, attaque à l'ouest de Groucherie, dans la " péninsule " de Graignes et le soir il peut se vanter d'avoir nettoyé le terrain jusqu'au canal. Toutefois, la résistance allemande demeure forte dans le voisinage de Tribehou.
Le 47e régiment rencontre quelques difficultés à l'ouest de la Charlemenerie, mais atteint la lisière du bois du Hommet où les allemands sont solidement retranchés.
Le 39e régiment qui ne parvient pas à dépasser le Désert, creuse un vide dangereux entre la 9e et la 30e divisions.
Le 11 juillet est pour le XIXe corps du général Corlett une journée décisive. Les allemands lance dans la mêlée la panzer lehr. C'est une excellente unité, mais elle vient de subir un mois épuisant, dans le secteur anglais, où elle a perdu 5.000 hommes ; sur les 10.000 qui lui restent, 2.200 sont toujours à Tilly sur Seulles. Le général Bayerlein a groupé ses troupes en trois formations : la première au nord de Pont Hébert, doit pousser vers Cavigny, la seconde, au sud du Désert, espère atteindre St Jean de Daye, la troisième près du bois du Hommet a pour objectif le Mesnil Véneron. La rencontre est prévue vers Saint Jean de Daye. Quelques officiers estiment qu'il sera possible de pousser jusqu'à Carentan. En fait, attaquée en cours de route par l'aviation alliée, la division panzer Lehr sera loin de jouer un rôle aussi brillant.
Les américains sont néanmoins surpris par l'âpreté de cette contre offensive survenant au moment même où le XIXe corps est prêt à étendre sa zone d'attaque à l'est de la Vire. C'est le plus grand effort tenté par les allemands depuis le début de la bataille des haies. Se produisant deux jours plus tôt, avant l'entrée en scène de la 9e division, il eût été fort dangereux.
À minuit les hommes du 39e entendent, au sud ouest du Désert, le bruit inquiétant des véhicules ennemis qui montent du Hommet d'Arthenay. Bientôt, les colonnes allemandes apparaissent, exploitant la fissure qui s'est produite entre les 39e et 47e régiments, refoulent de 600 mètres le Ier bataillon du 39e, dépasse le P.C. du 3e bataillon du 47e régiment. Certains éléments parviennent même à deux kilomètres derrière les lignes américaines.
La 9e division prend aussitôt les mesures nécessaires. Le Ier bataillon du 47e, avec quatre tanks destroyers, reçoit l'ordre de descendre la route au sud du Mesnil Véneron, d'enter en contact avec le 3e bataillon du 47e isolé et de détruire les points de résistance allemands dans ce secteur. Le 3e bataillon du 39e est envoyé pour arrêter l'infanterie adverse, vers La Scellerie-La Buhotrie. À 12 h 30, le 3e bataillon du 60e est attaché au 47e régiment pour couvrir son flanc droit et son arrière.
Ces mesures donnent d'heureux résultats. Les américains se ressaisissent assez vite pour tirer profit du flottement qui se produit parmi les tanks après la rupture locale du front. Blindés, artillerie, infanterie, toutes les armes participent à la réduction des infiltrations ennemies.
À 16 heures, la percée est neutralisée ; à 21 h les 39e et 47e régiments réoccupent leurs positions primitives, le 3e bataillon du 47e retrouve même son P.C. à peu près intact.
Les allemands prétendent qu'après avoir atteint Cavigny et s'être approchés de Saint Jean de Daye, ils ont dû se replier par suite d'une contre attaque américaine qui, entre ces deux pointes avancées, aurait pénétré jusqu'à Esglandes. En réalité, ni les uns ni les autres ne sont allés aussi loin. Le général Bayerlein est plus sincère en évoquant pour excuser son échec la mauvaise condition physique de ses hommes et la nature du terrain qu'on lui avait présenté comme favorable à l'évolution des tanks !
Pendant que la 9e division résiste au sursaut ennemi, la 30e conduit une attaque décisive qui lui permet d'occuper les Hauts Vents. À 17 h 30, les tanks du colonel Roysdon prennent position au sommet de la colline 91, tandis que le 120e tient solidement le rocher et que le 119e atteint Belle Lande.
Le 12 juillet, par une journée claire et chaude, l'offensive du 119e régiment se poursuit en direction de Pont Hébert, passage important sur la Vire, au nord de Saint-Lô. Le pont ruiné, au fond de la vallée encaissée, ne peut être utilisé que par l'infanterie, mais il constitue un lien indispensable pour les allemands entre le XXXIVe corps et le 11e corps de parachutistes. Il apparaît aux américains tout aussi précieux à la coordination des efforts des 30e et 35e divisions.
Malheureusement, la progression de cette dernière unité a été retardée et les allemands, qui tiennent encore la rive orientale de la Vire, peuvent couvrir d'éclats les chemins suivis par le 119e régiment, tandis que l'artillerie de la 30e division riposte mal, craignant de lancer ses obus sur les hommes du général Badee, dont la position est mal définie.
Le 119e régiment ne réalise aucun progrès sérieux les 12 et 13 juillet et ne s'empare du pont convoité que le 14, au moment où la 35e division apparaît au débouché est du passage.
Les autres éléments de la 30e division se heurtent à des difficultés identiques. Leur objectif est un léger dos de terrain, le Haut-Denier, près de la route Périers Saint-Lô. Le 117e régiment essaie de l'atteindre en suivant le chemin qui vient des Hauts-Vents, tandis que le 120e longe, à l'ouest, la vallée de la Terrette. Mais l'attaque de la panzer lehr a retardé ma marche de la 9e division et les hommes du général Hobbs tient un saillant aux flancs particulièrement vulnérables.
En face de la 30e division, le 902e régiment Panzer grenadier et la 2e division SS panzer, ainsi que le bataillon de reconnaissance de la 3e division de parachutistes, exploitent cette situation. Les canons de 105 et de 150, les 88 mobiles, les tanks déployés dans les champs ou transformés au détour d'une haie en petite redoute ancrée au sol, causent des pertes lourdes aux américains que la crainte d'une nouvelle contre attaque rend nerveux.
C'est seulement dans l'après midi du 15 juillet qu'une offensive générale de la 30e division déclenchée le matin même, à 5 h 15, après une intervention brève, mais énergique, de l'artillerie, aboutit à un brusque repli des allemands. À 15 h, le 117e régiment du colonel Kelly réalise une soudaine avance de 1.600 m et atteint avant la nuit le Mesnil Durand.
À ce moment – exactement le 15 juillet à 24 heures – la 30e division, affectée au VIIe corps, passe sous le contrôle du général Collins responsable maintenant de tout le secteur entre Périers et la Vire. Les ordres ne sont d'ailleurs pas changés et, le 16 juillet, le 120e régiment du colonel Birks relaie le 117e à la pointe de l'offensive. Il dépasse le Mesnil Durand, repousse deux contre attaques allemandes et s'arrête le soir en vue de la Houcharderie qu'il atteint le lendemain.
Pendant ce temps, dans la vallée de la Terrette, le 117e régiment a reçu la mission difficile de s'emparer des ponts de la Huberderie afin d'aider la 9e division dans son effort vers le sud. Le 15 juillet, cette division nettoie divers points de résistance à l'est de la route et gagne le contrôle du carrefour des Champs de Losque. Mais, au sud de ce village, elle se heurte à une nouvelle ligne de résistance et doit, les deux jours suivants, fournir un très sérieux effort sans réaliser de gains appréciables. Enfin, le 18 juillet, le 39e régiment franchit cette ligne et la 9e division peut pousser jusqu'à quelques centaines de mètres de la route Saint-Lô-Périers que traversent des patrouilles.
Ensemble les 9e et 30e divisions ont conquis le terrain que la Ire armée s'est fixée pour base de départ de l'opération Cobra. L'instant est venu de livrer l'assaut des ruines de Saint-Lô et de tenter la rupture du front ennemi.
R. Patry.
Chapitre premier
Trois hommes : Eisenhower, Bradley, Gerhardt
Un but : Saint-Lô
C'est autour de Saint-Lô que vont se dérouler les évènements majeurs.
Dans ce secteur, un premier bond a amené les XIXe et Ve corps au pied des collines qui constituent les défenses naturelles d'une cité que la guerre avait épargnée depuis les troubles religieux du XVIe siècle. Mais pendant un mois, les deux adversaires se sont fixés, l'un face à l'autre, sur une ligne dessinant un arc de cercle de la Meauffe à Bérigny. Le saillant déborde l'ensemble du front, à l'ouest de la Vire, d'environ quinze kilomètres.
C'est pourquoi l'offensive au nord et à l'est de Saint-Lô n'est déclenchée que le 11 juillet. Le terrain où elle se développe est beaucoup moins marécageux que celui des vallées de la Taute et de la Terrette mais il est parcouru de lignes de hauteurs est ouest séparées par des vallées encaissées. Ces collines, parsemées d'innombrables haies, offrent aux allemands une série de bons postes d'observation ou d'artillerie.
Si on néglige la 1re division engagée près de Caumont et d'ailleurs bientôt relevée par la 5e, on constate qu'à partir du 11 juillet trois divisions conjuguent leurs efforts vers Saint-Lô : la 2e division du général Robertson, la 35e du général Badee, la 29e du général Gerhardt. Efforts douloureux, avance lente marquée d'incidents dramatiques le long de chemins sanglants où pendant huit jours, de haie en haie, se resserre l'étreinte patiente qui, le 18 juillet, dans un ultime assaut assure au général Cota un contrôle, précaire encore, de la " capitale des ruines ".
Peut être au seuil de cet acte capital convient-il d'évoquer un instant les " metteurs en scène ".
Dwight D. Eisenhower, " Ike " pour ses familiers, est de taille élevée – cinq pieds onze pouces précisent ses compatriotes. Les 180 livres qu'ils lui attribuent soulignent son caractère robuste. Il aime les bons repas, ne cesse guère de fumer et adore les chiens. Blond avant d'être chauve, de tempérament calme, il a gardé l'accent du Texas où il est né, à Denison, le 14 octobre 1890, laisse traîner les finales, escamote les " r ", mais achève ses phrases et exprime toujours clairement sa pensée. Il possède une mémoire extraordinaire et le don rare de deviner le langage qui convient à chacun, au G.I.
(" government issue " – produit du gouvernement) et au tommy, aux marins et aux parachutistes. Il n'a pas, comme trop d'européens, la hantise de l'échec et se montre toujours disposé à tenter sa chance. C'est pourtant un homme réfléchi, un grand travailleur. Dès sa sortie de West point, la première guerre mondiale a fait de lui un instructeur de recrues et un entraîneur d'hommes. L'armistice le surprend au moment où il caresse l'espoir de conduire en Europe l'unité de tanks qu'il a organisée au camp Colt.
Officier lucide sinon génial, il se révèle surtout en décembre 1941 lorsque cinq jours après Pearl Harbour, George C. Marshall lui confie la direction de la " war plans divisions ". Ses directives stratégiques portent aussitôt la marque de sa claire intelligence. Le 25 juin 1942, deux ans jour pour jour après l'armistice français, il est placé à la tête des forces américaines du théâtre européen. Il connaît les lourdes responsabilités – militaires et politiques – du débarquement en Afrique du Nord avant d'être nommé, le 12 février 1944, " commandant en chef du corps expéditionnaire allié ". Il n' a jamais assumé de responsabilité directe sur le terrain et craint d'être surnommé " le général paperasse " mais, en face d'éléments divers et susceptibles à l'extrême, il sait en habile chef d'orchestre conjuguer, avec discrétion et autorité, les d'exécutants disparates.
Auprès de lui, il a d'ailleurs su grouper, grâce à sa franchise, son honnêteté, sa simplicité, une équipe homogène, active, depuis Mickey Mc Keogh, son ordonnance, et sydney Siegel, le policier motocycliste qui veille sur lui avec tant de vigilance, jusqu'à Butcher, l'attaché naval dont le carnet de notes est si vivant, Walter B. Smith, son chef d'état major et Omar N. Bradley, le chef de la Ire armée américaine.
La nomination de Bradley surprit tout d'abord. Il paraissait avoir moins de titres que Patton, Clark ou Devers, plus anciens que lui. Mais les qualités exceptionnelles dont il a fait preuve en méditerranée ont attiré sur lui l'attention de Marshall et d'Eisenhower. En Afrique, il a su remonter le moral des troupes ébranlé par divers échecs en proposant à ses " yanks " des tâches faciles, au succès certain. En Sicile, il a combattu, côte à côte avec Montgomery – dont il dépend maintenant, en théorie du moins – et le détroit de Messine les a vus surgir en un dead-head magnifique. Mais déjà la différence de température et la raideur britannique se sont manifestées. Devant une localité du centre de l'île, les américains n'ont-ils pas été contraints à l'inaction parce que l'occupation en avait été réservée aux anglais ?
C'est avant tout en Normandie que Bradley révèle ses qualités. Ce fils d'instituteur, cet ancien professeur de mathématiques à West Point est, nous dit Ernie Pyle, un homme sobre, droit, tranquille, modeste et bon. Dur pour lui même, il passe cinq heures par jour en moyenne dans sa " jeep " (General Purpose = voiture tous terrains) et parcourt sans cesse le front ; exigeant pour les autres, il congédie sans hésitation ceux qui n'ont pas su réussir. Sa laideur simiesque, qui à West Point lui avait valu le surnom de " Darwin ", n'empêche pas qu'autour de lui, spontanément, naissent le respect et l'affection. D'une rare courtoisie, il répond au salut de tous les soldats, remercie le téléphoniste militaire qui lui passe une communication, le conducteur de camion qui ralentit pour laisser passer sa voiture ornée de trois étoiles. Il aime parler en public ; son langage est très simple mais il s'en dégage une sincérité qui donne de la puissance à ses paroles. Par sa victoire de Saint-Lô, il saura justifier la fermeté inébranlable de son caractère et la confiance absolue qu'il a en lui.
Cette confiance est partagée par tous ceux qui servent sous ses ordres et notamment par les officiers et les hommes de la 29e division.
Les 115e, 116e et 175e régiments qui composent cette division, recrutés dans les deux états voisins du Maryland et de la Virginie, sont encadrés d'officiers venus pour la plupart de baltimore. Au cours de la guerre de succession, cette lutte fratricide, qui a si fortement marqué l'histoire des États-unis, ces régiments n'ont point combattu du même côté mais maintenant leur " badge ", orné d'une " monade " symbole de la vie éternelle, associe le bleu et le gris, les couleurs du " Nord " et du " Sud ".
Rassemblés en février 1941 au fort Georges Meade, le 29e division débarque au début d'octobre 1942 en Grande bretagne. Elle y poursuit un dur entraînement, à Dartmoor, au milieu d'une boue effroyable où s'enlisent les voitures, à Slapton Sands, où les soldats soumis à des manœuvres amphibies répétées assurent qu'ils auront bientôt les pieds palmés. Des plaisirs plus pacifiques rompent toutefois la monotonie de cette fastidieuse et interminable préparation. Les G.I. s'accoutument au thé, aux " muffins ", apprennent à ...parler couramment l'anglais ; leur chef, le major général Gerhardt, un sportif, organise des rencontres de base-ball ou des matches de boxe.
Charles H. Gerhardt, qui a remplacé en juillet 1943 le major général Leonard T. Gerow promu à la direction du Ve corps d'armée, est l'une des figures les plus vigoureuses su haut commandement américain. Âgé de 49 ans, fils d'un général, c'est un cavalier remarquable et un tireur d'élite qui n'hésite pas à lancer un défi collectif à tous ses hommes et ne trouve qu'un seul officier capable de gagner les deux dollars du challenge. C'est un chef rude, aussi violent mais plus discipliné que Patton. Il se met souvent en colère et selon le mot d'un officier " ce n'est pas pour le seul plaisir d'entendre sa voix ". Il déteste les barbes mal rasées, les jugulaires débouclées et inflige pour toute tenue négligée les amendes prévus par les règlements militaires. Il est surtout très exigeant à l'égard des officiers ; ont le voit, au cours de la bataille de Normandie, leur imposer le port des signes distinctifs de leur grade à l'épaule et au casque, estimant que les soldats doivent pourvoir à tout moment reconnaître leurs supérieurs. Ces derniers obéissent, malgré la crainte des snipers, mais ils recouvrent leur galons compromettants de boue ou de taffetas gommé facile à faire disparaître lors des soudaines inspections du " vieux ". C'est encore ce chef ardent qui, en pleine lutte pour Saint-Lô; fait planter aux carrefours ces pancartes : " Vous êtes maintenant sur le territoire de la 29e division ". Aucune autre unité ne montre un tel dédain du langage conventionnel et du secret militaire.
Aucune ne s'est embarquée avec plus d'enthousiasme, près de Plymouth, aux cris de : " Let's Go ! " (allons-y !). Aucune n'a enregistré plus de pertes, à Omaha-Beach, la terrible " plage sanglante ". Un mois de calme relatif lui a permis de panser ses blessures, de parfaire son entraînement : elle est prête maintenant aux durs combats de haies.
Mais avant de narrer ses hauts faits, il faut d'abord suivre les progrès des 2e et 35e divisions qui lui apportent à gauche et à droite un très efficace soutien.
Chapitre 2
L'assaut des ruines
§ 1 – Un redoutable obstacle est vaincu : la colline 192
Le 12 juin, la 2e division a atteint l'Elle, à deux kilomètres de la colline qui, au nord de la route Bayeux Saint-Lô, entre Bérigny, Saint Georges d'Elle et Saint André de l'Épine, dresse ses pentes monotones jusqu'à l'altitude relativement élevée de 192 mètres. Un attaque, lancée aussitôt par les hommes dont le " shoulder patch " s'orne d'une tête d'indien, se heurtait les 13 et 14 juin à la résistance acharnée de la 3e division de parachutistes. Le 16 juin, une nouvelle tentative mettant en ligne les trois régiments (9e, 23e et 38e) n'obtenait pas de meilleur résultats, malgré un succès momentané du 3e bataillon du 38e régiment. Ces vaines attaques ayant porté sans profit les pertes de la division à 1253 hommes, le général Robertson ordonna à ses hommes de s'arrêter sur les positions conquises tout en préparant avec soin la reprise de l'offensive. Celle-ci se trouve conditionnée par le résultat des opérations engagées progressivement au nord ouest et à l'ouest du Cotentin.
Pendant un mois, la colline 192 reste une épine dangereuse, plantée au flanc de la poche qui se creuse jusqu'à Caumont l'Éventé. De ce merveilleux observatoire, l'ennemi domine tout le pays de la Vire à la Drôme : aussi bien les approches de Saint-Lô que l'arrière du Ve corps, vers la côte où se continue, inlassable, le va et vient des transports.
En dehors des facilités offertes à l'observation, la colline 192 ne présente rien de spécial. De la ligne de départ du 38e régiment – qui occupe les positions les plus avancées – jusqu'au sommet aplati, les pentes montent doucement de cinquante mètres sur une distance d'un kilomètre. Un bois assez étendu ayant, disent les américains, la forme d'un diamant, couvre une partie du versant sud-est, à peu de distance de la Crête : c'est, semble t-il, un élément important du système défensif ennemi. Mais le principal avantage que le terrain offre aux allemands, c'est le dessin fantaisiste, l'enchevêtrement inextricable des lignes de haies serpentant, capricieuses, avec un air faussement candide, entre les champs et les vergers. Il n'y a pas de ligne de défense continue, mais une série de points fortifiés se soutenant les un les autres, un dispositif souple, organisé en profondeur, favorable à la préparation et à l'exécution de dangereuses contre attaques. Les talus sont assez épais pour permettre aux allemands d'y creuser des abris reliés par des tunnels latéraux, assez larges et profond pour dissimuler plusieurs hommes. Des trous de renards, le long des haies, constituent d'excellentes positions de feu. Seuls de tanks dozers pourront ouvrir, à travers broussailles et chemins creux, les brèches nécessaires.
Sur les pentes, quatre petits villages offrent encore la possibilité de nids de résistance : Cloville au N.O. ; le Soulaire au S.O. ; la Croix Rouge au S.E. ; Saint Georges d'Elle au N.E.
Toute attaque contre Saint-Lô doit compter avec cette position. Pour la lutte décisive, chacun se prépare avec soin. Quelques escarmouches rompent le monotonie de cette attente. Un jour, le premier lieutenant Ralph Winsteed, du 38e régiment, conduit une patrouille de quinze hommes qui se fraye un chemin à travers les positions adverses, tuant ou blessant grièvement onze allemands. Se glissant par trois trous pratiqués dans les haies par le génie, les américains regagnent leurs lignes avec un seul homme blessé. Une étoile de bronze ou d'argent récompense leur tranquille audace.
D'autres engagements plus violents, et parfois moins heureux pour les yanks, se déroulent dans les ruines de Saint Georges d'Elle qui changent plusieurs fois de mains. Au moment où s'ouvre, le 11 juillet, la phase finale de la lutte, ce village appartient aux américains, à l'exception des maisons à la sortie sud du bourg, où se cramponnent leurs adversaires. Ces derniers disposent aussi, le long de la route de Bayeux, de fermes dispersées où ils ont installé des armes automatiques. Les allemands chargés de tenir ce secteur appartiennent à la 3e division de parachutistes, notamment aux 9e et 5e régiments séparés par une ligne qui, de Saint Georges d'Elle, court vers le sud ouest. L'ordre de bataille fixé le 4 juillet assure aux homme de Robertson un large appui de l'artillerie et de l'aviation. En même temps, la 1re division d'infanterie et la 2e division blindée doivent troubler l'ennemi par de fortes démonstrations.
C'est directement vers le sommet de la colline 192 que, le 11 juillet, les 23e et 38e régiments sont jetés en avant. Plus à l'est, sur la route de Bayeux, le 9e régiment se borne à des tirs de diversion et de soutien.
L'aviation ouvre l'action utilisant même des bombes au phosphore pour incendier les bois. L'artillerie avec des obus à fumée rouge a marqué les buts à atteindre, mais des erreurs se produisent. Des avions se délestent trop vite, causant quelque confusion parmi les hommes du 38e et les missions ultérieures sont annulées.
L'infanterie, précédée de l'habituel barrage roulant d'artillerie, attaque à 6 h 30. Le 38e, avec le colonel Ralph W.Zwicker est à droite avec pour mission le sommet même de la colline : le 23e du colonel Jay B. Lovless, dans le secteur Saint Gorges d'Elle- la Croix rouge gravit les pentes orientales de la colline, avec la route de Bayeux pour objectif final.
La violence de l'assaut, du feu des batteries déchaînées, réveille chez certains allemands les plus mauvais souvenirs de Russie. Le génie taille dans les haies des passages pour les tanks qui les franchissent, bruyants et rageurs, prêts à pulvériser la haie suivante du feu de leurs canons et de leurs mitrailleuses. Derrière eux, l'infanterie se glisse et, d'un trou à l'autre, massacre les allemands ou les obligent à se rendre.
çà et là, de forts noyaux de résistance arrêtent un moment la progression américaine. Ainsi la compagnie E du 38e, en essayant d'atteindre une petite hauteur dominant un fossé profond, près du hameau de Cloville, se heurte au " kraut corner ", à une demi compagnie d'allemands fanatiques. Il faut, pour briser leur opiniâtreté, que le 1er peloton, remontant en tirailleurs le long des haies, appuyé par des B.A.R., des mortiers, des mitrailleuses montées sur un tank, déborde la position. Huit ou dix hommes pénètrent enfin dans le réduit, capturant quinze survivants tandis que le tank Dozer du pvt John R. Brewer élimine trois nazis trop tenaces qui, dissimulés derrière une haie, sont culbutés sous cinq pieds de terre.
Plus d'une heure est ainsi perdue à nettoyer le " kraut corner ". De nouvelles difficultés attendent encore la compagnie E lorsqu'elle veut franchir le village miné de Cloville. Les allemands, abrités derrière les décombres, neutralisent pendant une heure et demie l'effort de leurs adversaires. La compagnie F qui progresse à gauche se heurte à des obstacles moindres. Après avoir traversé le chemin de Cloville à Saint Georges d'elle, elle dépasse un petit bois à l'ouest du sommet de la colline.
Vers 17 heures, le 2e bataillon, ayant libéré le hameau du Soulaire, parvient le premier à la route Bayeux-Saint-Lô.
À l'aile gauche du 38e régiment, le 1er bataillon du lieutenant colonel Franck T. Mildren, n'a pas atteint tout à fait son objectif et pourtant il a soutenu une dure bataille. C'est qu'il opère dans le secteur le plus solidement occupé et marche directement vers le haut de la butte. Les tanks essuient un feu violent de mortiers et de canons, et ne peuvent jouer un rôle efficace. L'infanterie, avançant seule, doit enlever chaque haie méthodiquement. À 13 h 30, la compagnie B pénètre dans le bois. À travers les squelettes noircis des arbres déchiquetés par les éclats d'obus, les américains peuvent se glisser sans craindre la résistance d'un ennemi qui, ne trouvant plus sous le couvert du bois une efficace protection, s'est replié. Le 1er bataillon redescend vers la plaine, mais doit s'arrêter au soir du 11 juillet à 200 mètres de la route de Bayeux.
À l'est, c'est le domaine du 1er bataillon du 23e régiment aux ordres du lieutenant colonel John M. Hightower. C'est là que se sont déroulées, le mois précédent, les premières tentatives pour la conquête de la hauteur. C'est là que les défenses sont peut-être les mieux organisées grâce à la présence d'un fossé profond, le " purple heart draw ", développant sur 750 mètre, à 300 m devant la ligne de départ de l'attaque, ses versants abrupts, inaccessibles aux tanks, dangereux aux fantassins qui ne peuvent dissimuler leurs mouvements. Les américains doivent également subir le tir pernicieux des allemands, postés dans les maisons qui s'égrènent le long du chemin au sud de Saint Georges d'elle. Mais le courage des yanks surmonte tous les dangers. Les tanks pulvérisent jusqu'aux fondations les blockhaus improvisés, les grenades à fragmentation lancées avec des fusils au-dessus des nids de mitrailleuses déchiquètent les servants et le 1er bataillon, avançant de 1.500 mètres, peut aller le soir même installer ses positions à 400 mètres de la route, but suprême de son effort. Les nazis ne gardent plus qu'un saillant précaire à l'est, dans la partie la plus basse du " purple heart draw ".
La victoire des américains se confirme le lendemain, après l'échec d'une contre attaque allemande, précédée pourtant dans la nuit d'un intense tir d'artillerie. À 11 heures, le 1er bataillon du 38e reprend sa marche et la mission de la 2e division est achevée le soir du 12 juillet, lorsque les 3 bataillons su 23e régiment, malgré les mines et les tirs d'arrière garde de l'ennemi qui se retire, occupent la route Bayeux Saint-Lô, de Bérigny au Calvaire.
Malgré un incontestable héroïsme, malgré l'appui de réserves, les allemands doivent abandonner le redoutable obstacle jusque là dressé devant l'avance américaine, céder à leurs adversaire un terrain excellent d'où l'on peut dominer tout le champ de bataille.
Les américains doivent leur succès rapide et peu coûteux à la supériorité de leur artillerie, qui ne tire pas moins de 20.000 coups, et à la bonne coordination des armes. Un exemple témoigne de cet adroit effort : les hommes du génie étaient chargés, une fois les haies défoncées, de guider les tanks vers les positions de feu ennemies. Dans ce but, des téléphones étaient attachés à l'arrière des blindés mais il était souvent impossible de les utiliser. Le pvt Alton L. Jones trouve un remède à cette difficulté : rampant en avant, il indique au conducteur la direction à suivre, en frappant sur les parois du tank.
La 2e division, fière de son succès, s'immobilise sur les positions conquises. Ce n'est pas elle qui s'emparera de Saint-Lô, dont elle aperçoit maintenant du haut de la colline 192 le squelette tragique. Saint-Lô, image douloureuse de la guerre totale, est l"enjeu d'une course à laquelle, seules, prennent part les 35e et 29e divisions.
§ 2 – La " justice division "
Aux prises avec les parachutistes allemands
Une chevaleresque émulation anime les deux divisions qui ont pour objectif Saint-Lô. Mais les hasard, autant peut-être que les plans dressés par Bradley, va réserver la meilleure part du succès à la 29e division que six semaines de luttes opiniâtres dans le Bocage ont peut être mieux préparées à la guerre des haies.
La 35e division a franchi la Manche houleuse, le jour même de la fête de l'indépendance américaine. Du 5 au 7 juillet, les troupes débarquent sur la plage d'Omaha près de Colleville sur Mer. Les hommes gagnent ensuite les environs de Colombières. À la tête de la 35e division, rattachée au XIXe corps du général Charles H. Corlette, se trouve le major général Paul W. Badee qui possède quelque connaissance de la tactique militaire allemande, ayant déjà combattu en France comme officier d'infanterie pendant la première guerre mondiale. Il installe son poste de commandement à Airel et prend ses dispositifs d'attaque. Devant lui se dresse la porte de la France inférieure.
La porte est verrouillée, il faut l'enfoncer.
Le colonel Butler B. Mitonberger, avec le 134e régiment, engage le combat. Le 2e bataillon prend position dans les trous individuels près de Saint Nicolas, le 8 juillet. Son premier feu écrase la position d'un mortier. D'autres succès sont suivre, facilités d'ailleurs par l'incontestable puissance de feu dont dispose la division.
Dans la nuit du 10 au 11 juillet ; nuit chaude et d'une tranquillité de jungle, la 35e division se glisse, silencieuse, le long d'une route où chaque pas des soldats taciturnes soulève un léger nuage de poussière. Bientôt, la ligne de bataille s'établit au sud est de la Vire et court de Le Meauffe à la Nicollerie. Le 137e régiment du colonel Grant Layng est à droite et le 320e régiment du colonel Bernard A. Byrne à gauche. Derrière eux se trouve l'artillerie groupées sous les ordres du brigadier général Théodore L. Futch.
Le 134e est pour le moment tenu en réserve.
Peu avant l'aube, le 11 juillet, plus de deux cent canons accablent les lignes ennemies pour faciliter la tâche de l'infanterie qui, à 6 heures, bondit au sommet des haies. Mais elle se heure à une violente riposte des mitrailleuses, des mortiers, des 88 allemands. Le colonel Grant Layng tombe sous le tir d'une mitrailleuse et doit être remplacé par le colonel Robert Sears. Le lieutenant colonel John N. Wilson du 219e bataillon F.A. sera lui aussi victime de cette lutte sans merci.
Après un heureux départ; les américains doivent vite s'immobiliser devant des positions trop fortes. Le 137e est arrêté devant l'église du petit village de saint Gilles ; à l'intérieur de l'édifice et derrière les murs du cimetière, l'ennemi a dissimulé des mitrailleuses.
Le 320e régiment acquiert en même temps une expérience tout aussi amère de la guerre des haies. Un peloton de la compagnie E trompé par un ordre allemand truqué, est victime de son imprudence et perd tous ses hommes sauf quatorze. Le front tenu par le 320e présente d'ailleurs une double direction : N.O. S.E. à droite, O.E. à gauche ; il dessine une sorte de " L " et tant que l'aile droite ne sera pas alignée sur l'aile gauche, celle-ci aura à faire face à des sérieuses difficultés.
Le 12 juillet, le 1er bataillon du 137e reprend son attaque contre Saint Gilles et après une terrifiante préparation d'artillerie de 45 minutes, enlève l'église et les maisons voisines. Trois allemands, seuls, acceptent de se rendre, ce qui témoigne de l'âpreté de la lutte. Celle-ci se poursuit plus au sud autour d'un groupe de maisons de pierres, la Petite Ferme, qui change plusieurs fois de mains au cours de la journée.
Malgré l'appui des tanks qui, d'ailleurs, s'embourbent, malgré l'écrasement des haies par l'artillerie, le 137e ne peut progresser davantage et à sa gauche, le 320e ne peut annoncer en fin de journée qu'un gain de 200 mètres.
La 35e division se heurte maintenant à l'un des plus fort et des plus originaux système défensifs du secteur : celui du Carillon. Il a été organisé par les allemands à l'extrémité nord d'un terrain élevé qu'encadrent deux petits ruisseaux. Ils ont appliqué les principes de la défense en profondeur. Les positions avancées sont à 500 m, au nord de la Hauteur, sur la ligne Le Carillon-La Mare. De petits groupes isolés combattent en dehors du réduit principal sur lequel ils se replient en cas de danger/ La butte ne domine le terrain environnant que de 15 à 20 mètres, mais cela suffit pour donner aux krauts un très sensible avantage.
Les 13 et 14 juillet s'écoulent sans apporter de succès sensible. Les américains ont beau tenter de multiples assaut, varier leur points d'attaque et leurs méthodes de combat, tenter des infiltrations à l'est ou à l'ouest, lancer des groupes de quatre à cinq hommes munis de grenade après une lourde concentration de feu, les pertes sont sévères et les gains, minimes, n'entament pas sérieusement la résistance allemande. Celle-ci, toutefois, se trouve ébranlée par un large mouvement débordant tenté à l'est et surtout à l'ouest en direction de la route de Pont Hébert à Saint-Lô. Fortement appuyé par des tanks, il amène les américains à Pont Hébert au moment même où la 30e division enlève la sortie est de cet important passage.
Ainsi les allemands, après s'être félicités des succès défensifs remportés les 12 et 13 juillet dans ce secteur par la 352e division et les groupes de combat qui l'appuient, doivent avouer au feld-maréchal Rommel qui, au soir du 14 juillet, rend visite au poste de commandement du 11e corps de parachutistes, que la pénétration adverse a été difficilement arrêtée. La force combative des unités allemandes engagées a beaucoup diminué mais il est impossible, en dépit du désir d'Hitler en raison de l'absence de réserve, de relever la 352e division. Il semble donc difficile au commandant de la 7e armée d'assurer le maintien de l'actuelle ligne de résistance/
À partir du 15 juillet, l'effort de la 35e division se déplace vers l'est. La 29e division lui a cédé tout le terrain à l'ouest de la route Isigny-Saint-Lô, ce qui permet de mettre en ligne le 134e régiment, engagé pour le 1re fois. Les débuts sont heureux : le 15, dans l'après midi, le 1er bataillon atteint Emelie, où le combat se prolonge de maison en maison, et le 2e bataillon approche du village Les romains. Le général Badee donne l'ordre alors qu général Edmund B. Sebree, commandant en second de la division, de former un groupe de combat avec, outre le 134e régiment d'infanterie, le 737e bataillon de tanks et le 654e bataillons de tanks destroyers. Il s'agit de s'emparer d'une colline de 122 mètres, située près de la ferme Ifs, sur la commune du Mesnil Rouxelin. À 23 heures, les américains s'emparent de la partie nord de cette éminence mais ils ne peuvent pousser plus loin et doivent fortifier leurs positions, dans la crainte d'une contre attaque. Effectivement, les allemands n'ont pas perdu tout courage : on les voit, malgré le manque de vivres, de munitions, de moyens de transport (ils utilisent des voitures à chevaux) se lancer douze fois à l'assaut entre le 15 et le 17 juillet, sans jamais, d'ailleurs, réaliser de gains sérieux, sans obtenir d'autre résultat que de retarder l'avance de la division et de l'empêcher d'atteindre les faubourg Nord de Saint-Lô.
Mais les 17 et 18 juillet, devant le gros effort fourni par la 29e division, effort qui lui donne finalement le contrôle du chef lieu de la Manche, la ténacité allemande fléchit et la 35e division peur pousser en avant.
À droite, le 137e régiment bloqué un moment au nord de la route Pont-Hébert Saint-Lô atteint la courbe de la Vire près de Rampan. Là, les allemands ont installé, près du cimetière, sous vingt centimètres d'eau, un pont de bois qui permet à une partie des défenseurs du Mesnil Rouxelin de se replier sur la rive gauche de la rivière dans la nuit du 17 au 18 juillet. Au centre, le 320e après de sérieuses difficultés (le 15 juillet, les allemands ayant eu copie du plan d'attaque lui ont infligé de lourdes pertes et ne lui ont cédé que quatre haies), étouffe les derniers spasmes de résistance autour du Carillon. Enfin, à gauche, le 134e dépassant la colline 122, parvient à deux kilomètres de limites de Saint-Lô. Des patrouilles sont lancées à travers Saint Georges de Montcoq, commune limitrophe ; elles atteignent successivement les écoles, l'église, puis se glissent par la rue Saint Georges dans la cité elle-même. Mais la rue Saint Georges est fréquemment balayée par des batteries allemandes installées au S.O. de la ville. Le 19, un détachement qui remonte la rue est accablé par un feu meurtrier et durement éprouvé. Un arbre qui, près du lavoir, sert de repère au nazis, est abattu par deux français courageux, Turgis et Durosier, à la demande d'une patrouille américaine. Le 20, un contact est établi avec quelques civils français demeurés dans les jardins de l'école normale. Puis, par la rue Belle Croix et les jardins de la Préfecture, les américains atteignent la cathédrale où une courte lutte s'engage. Quelques allemands y sont capturés et remis à d'autres soldats appartenant à la 29e division qui s'est avancée par la route d'Isigny. Le jonction réalisée entre les deux divisions signifie pour les allemands la perte sans retour de ce nœud routier d'importance vitale : Saint-Lô.
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Voir
La bataille de Saint-Lô*************
Chapitre 3
La rupture du front
L'opération Cobra
Le temps des grands évènements est maintenant venu.
En silence, tandis que les divisions en ligne grignotent les positions allemandes, tout un dispositif offensif est mis en place. Derrière les unités déjà engagées, d'autres se sont glissées dans une tête de pont élargie.
La victoire ne peut échapper aux américains.
Bradley dispose de quatre corps d'armée de quinze divisions dont trois blindées, d'un matériel puissant. Le VIIIe corps a étendu son front du enthousiasme de Lessay jusqu'à la Taute ; à l'ouest, les 79e, 8e et 90e divisions d'infanterie ; au centre, au-delà des marais de Gorges, la 4e division blindé ; à l'est, les 4e et 83 e divisions d'infanterie.
De la Taute à la Vire, le VIIe corps masse, sur un étroit secteur, les 1re, 9e et 30e divisions d'infanterie, appuyés par la 3e division blindée.
À l'est de la Vire, le XIXe corps comprend les 29e et 35e divisions et le Ve corps, la 2e et la 5e. La ligne de séparation de ces deux corps d'armée passe à l'ouest de la colline 192. En réserve se trouve la 2e division blindée.
En face, les divisions allemandes paraissent encore nombreuses mais elles sont incomplètes et épuisées.
De la mer à la Sèves se trouvent des éléments des 243e, 353e, 91e et 77e divisions d'infanterie ainsi que le 15e régiment de la 5e division de parachutistes.
De la Sèves à la Taute, on note la présence de la 17e panzer grenadier et du 13e régiment de parachutistes (5e division) ; la 2e division SS panzer est derrière Périers. La panzer lehr, des éléments de la 5e division de parachutistes (14e régiment) et la 275e division d'infanterie gardent le passage entre la Taute et la Vire.
Enfin, à l'est de la Vire, le front est toujours tenu par trois divisions : une d'infanterie, la 352e, une de parachutistes, la 3e, une de blindés, la 2e.
Le mauvais temps qui recommence le 19 juillet, retarde l'opération primitivement fixée au 21 et n'est en fait réalisée que le 25.
C'est entre Le Mesnil Eury et Hébécrevon, sur la route de Périers à Saint-Lô, l'une des ares voies qui traversent le Cotentin d'est en ouest, que va se jouer le grand drame. À l'ouest, en effet, près de la mer, les américains sont bloqués derrière l'Ay. Ici, au contraire, Bradley atteint l'objectif qu'il s'était assigné avec, il est vrai, cinq semaines de retard sur le plan primitif.
Ses troupes ont dépassé la zone marécageuse et si le bocage déploie toujours devant elles les lignes ombres de ses haies plaines de fantaisie et de mystère, il lui est devenu possible de monter une offensive à grand échelle avec l'espoir d'atteindre, au-delà d'Avranches, un terrain favorable aux amples mouvements.
Bradley sait que cette guerre des haies est une guerre d'infanterie. Pourtant il n'hésite pas à faire appel au concours massif de l'aviation et des blindés. Jamais dans l'histoire militaire on ne vit coopérer en si étroite liaison toutes les armes, tout ce que la guerre a permis aux hommes d'imaginer.
Le succès est rapide et total.
Bradley a un triple mérite. Il comprend que sa jeune armée est assez forte pour, selon le mot d'Ingersoll, parier n'importe quoi sur une simple bataille et gagner la partie. Il sait deviner, en second lieu, que la bataille doit être livrée immédiatement, sans attendre l'arrivée de renforts supplémentaires et Ralph Ingersoll n'hésite pas, lui si sarcastique à l'égard de Montgomery, à emboucher la trompette épique pour saluer un succès comparable en tous points aux plus brillantes victoires livrées en Europe, dit-il, par napoléon ou quelque autre général.
Cette opération a reçu le nom d'opération " Cobra ". Elle a, en effet, suggéré à un jeune officier auquel on expliquait le mécanisme, l'image d'un serpent qui, après avoir ramassé ses anneaux, se détend brusquement. Quand il voulut préciser sa pensée, il ne put trouver qu'un nom de serpent, celui de " Cobra " : il a fait fortune.
Dès le 13 juillet, le détail du plan, est communiqué aux chefs des unités intéressées : au centre, après un formidable bombardement, les 4e, 9e et 30e divisions doivent se lancer à l'attaque. La dislocation du front obtenue, elles s'écarteront pour laisser passer trois unités – 1re division d'infanterie, 2e et 3e divisions blindées – chargées de conduire l'offensive ultérieure et d'établir les flancs de la rupture.
Prévue pour le 24 juillet à 13 h, l'exécution doit être annulée au dernier moment – à midi – en raison du mauvais temps et beaucoup d'appareils déjà en l'air doivent faire demi-tour. Mais, le lendemain, le mécanisme soigneusement monté se détend brusquement.
L'attaque débute par un bombardement d'une violence et d'une intensité exceptionnelles.
Nous avons, de cet épisode d'une ampleur toute homérique, de ce spectacle terrible et grandiose à la fois, plusieurs récits de témoins oculaires, américains ou français, que complètent divers documents officiels. Mais aucun témoignage ne dépasse en réalisme et en émotion celui d'Ernie Pyle.
Le drame commence peu avant dix heures.
D'abord apparaissent, à 3.000 mètres d'altitude, les bombardiers lourds, les forteresses et les liberators. Ils avancent telle une nuée de poissons se déplaçant tous à la même vitesse dans une eau transparente. Les rayons du soleil jouent sur les facettes métalliques des fuselages au point, écrit Dresden, que certaines forteresses paraissent n'avoir plus d'ailes et sembles des chrysalides translucides suspendues dans l'air volumineux. Le grondement des moteurs se mêle au vrombissement des hélices pour ébranler l'air d'une formidable pulsation et la brise change à chaque instant le timbre de ce terrible chant rythmé.
Trois cent bombardiers moyens de la IXe bomber command leur succèdent. Ils attaquent plus particulièrement trois secteurs situés à l'ouest de la zone écrasée par les bombardiers lourds. Viennent enfin les bombardiers légers appartenant au IXe et XIXe T.A.C. Ils comprennent quinze groupes répartis en deux formations qui, alternativement, attaquent les deux secteurs – est et ouest – entre lesquels l'objectif est partagé. C'est merveille de les voir pointer leur nez camus vers la terre, lâcher leurs bombes, prendre de la hauteur et s'égailler dans le ciel comme des oiseaux effrayés par la volée du plomb d'un chasseur.
Les soldats américains, à genoux sur le sol,le corps entièrement renversé en arrière, abritant avec leurs mains des yeux que le soleil éclatant ébloui, admirent sans inquiétude la puissance tranquille de leur aviation. Ils se demandent avec une cruelle ironie quelles peuvent être les réactions des allemands au-delà de la longue bade d'étoffe colorée qui marque le début des lignes yankees au delà du nuage de fumée qui dresse devant les troupes alliées un rempart fragile mais inviolé que le vent fait doucement trembler.
Et les éclatements succèdent aux éclatements. Les oreilles s'engourdissent peu à peu tandis que se prolonge ce diabolique tintamarre. Les yeux s'affaiblissent et ne distinguent plus guère les masses de terre normande, champignons démesurément grossis, fontaines sinistres, dignes de l'enfer, soulevés à travers le ciel jusqu'aux avions implacables. Le souffle des bombes ouvre les manteaux, rejette les casques en arrière. Les gorges s'emplissent de poussière âcre, d'émanations grisantes ou nocives.
Tout d'un coup, une évidence terrible, une paralysante émotion bouleverse toute une partie des soldats d'outre atlantique. Ils ont prudemment reculé de quelques centaines de mètres, certains même, selon les ordres reçus, se sont blottis dans leurs trous individuels. Mais le vent a refoulé peu à peu vers le nord la barrière fumeuse qui se dissout lentement et ce sont maintenant les lignes américaines que les avions alliés martèlent de leurs coups précipités. Une angoisse terrible étreint brusquement ces hommes rudes. Un instant auparavant, un orgueil joyeux emplissait leurs cœurs. Sans doute ils ont tressailli à la vue des avions alliés incendiés par la " flak " allemande, à cette valse lente de l'appareil désemparé, à cette chute finale du vaisseau que dévorent les flammes et qui trace dans le ciel un long trait d'or sur une épaisse colonne de fumée noire. Mais, maintenant, c'est pour leur propre vie qu'ils doivent craindre.
Autour d'eux ce n'est plus le sifflement, le frissonnement des bombes lointaines, c'est le déchirement horrible des explosions et l'angoisse d'une mort stupide qu'un ami va donner.
L'erreur reconnue au bout de quelques minutes, les avions rectifient leur zone de tir et deux Mustangs, tels un couple de colombes, patrouillent le long de la ligne de front pour éviter tout nouvel incident. Il y a, hélas, de nombreuses victimes. On déplore, en particulier, la mort du général Leslie Mac Nair considéré par Eisenhower comme l'un des meilleurs officiers généraux de l'armée américaine. Il avait patiemment entraîné une partie de ces hommes qui, les nerfs brisés et sans forces, ne semblent plus capables de tenter l'assaut prévu et d'exploiter le prodigieux effet de ce gigantesque bombardement.
En fait, il est surprenant de constater combien il y a relativement peu de victimes, même du côté allemand. Et pourtant, en deux heures, 1.495 bombardiers lourds de la VIIIe A.F. et 388 appareils de l'A.E.A.F. ont déversé 4.790 tonnes de bombes. Incapables de riposter, les allemands ont du abandonner tous les postes de D.C.A. ; les trous individuels, les abris improvisés leur ont souvent offert un refuge efficace. Mais ce déploiement d'une force invincible, cette épreuve suprême imposée à des unités décimées par des semaines de luttes et d'échecs, à des soldats qui sentent confusément l'inutilité de leur sacrifice, s'avèrent décisifs. Les officiers sont incapables maintenant de regrouper leurs ligne de défense et de raidir en une résistance désespérée des troupes dont le ressort moral est brisé. M. l'abbé Rault signale l'air hagard et le désarroi profond de six soldats réfugiés le lendemain au presbytère de Dangy et que la moindre rafale précipite vers le sol.
Et le succès apparaît plus grand encore, quand on songe qu'en dépit du nombre élevé des appareils engagés, les pertes se montent seulement à six bombardiers lourds, quatre bombardiers légers et dix neuf chasseurs abattus non par la Luftwaffe, mais par une " flak " dont les réactions d'ailleurs s'affaiblissent graduellement.
Vers midi, le silence, un silence qui semble surnaturel, revient sur cette terre douloureuse, sur cette étroite bande de sept à huit kilomètres de longueur, offerte en holocauste à la victoire avide, sur ces morts encore tièdes et qui semblent dormir, rompus de fatigue après un trop dur effort, sur ces vivants accablés de torpeur, tandis que s'étend, jusqu'auprès de Carentan, un voile épais de fumée et de poussière de six cents mètres de haut et douze kilomètres de large.
Alors, sur le sol crevassé, vrai paysage lunaire, trois divisions d'infanterie entrent dans la brèche ouverte. Dès 11 h 45, elles commencent à refouler les allemands hébétés ; toute résistance est devenue machinale. Prudents, et d'ailleurs gênés par le bouleversement même du terrain, les " doughs " dépassent la route Saint-Lô-Périers et progressent au delà. Le lendemain, Bradley peut annoncer à Eisenhower que la 4e division au centre a gagné 1.200 mètres, le 9e à droite : 2.300, la 30e à gauche : 1.300.
Progrès limités encore, mais cette fois la poussée est irrésistible.
Le 26 juillet, les unités tenues en réserve, c'est à dire la 1re division d'infanterie, les 2e et 3e divisions blindées entrent dans le jeu. Après La Chapelle en Juger atteinte le soir précédent, Marigny et Saint Gilles sont libérées. Quelques groupes ennemis tentent encore de résister. Ainsi, à Marigny, où les premiers américains arrivent le 26 juillet, vers 15 heures, à la fois par la route de La Chapelle en Juger et par celle de Montreuil, de suprêmes assauts se livrent dans les maisons. Les allemands ébauchent même une contre attaque et les hommes de la 1re division ne sont les maîtres du bourg que le jeudi 27.
À l'est, vers Hébécrevon, les allemands, de même, ne se replient que lentement vers Canisy.
Mais lorsque la route de Saint-Lô à Coutances est atteinte, le mouvement se précipite. Les divisions américaines tournant soit à l'ouest, soir à l'est, font craquer le front allemand et préparent une double manœuvre enveloppante. L'opération Cobra, point culminant de la bataille de France, détermine la débâcle allemande.
Il ne faut pas pourtant se le dissimuler : si l'opération a réussi, c'est que Wehrmacht, après avoir usé toutes ses forces disponibles dans " une guerre de villages " n'a pu, au moment décisif, disposer des éléments nécessaires au colmatage de la brèche.
À six reprises différentes, semblable opération est montée au cours de la bataille de Normandie, et " Cobra " n'est ni la première, ni la plus importante. La première a eu lieu devant Caen, le 8 juillet ; elle a ouvert aux britanniques et aux canadiens l'accès de la ville sans leur permettre de franchir l'Orne. La plus importante (la seconde) - opération Goodwood – s'est produite, près d'Hérouvillette, sur la rive droite de l'Orne. 1.676 bombardiers lourds et 343 bombardiers moyens et légers ont déversé 7.700 tonnes de bombes. Mais les troupes de Montgomery, après s'être avancées comme prévu, le long de la ligne Escoville – Cagny, se sont arrêtées au bout de sept kilomètres. Cette double expérience a montré la nécessité d'opérer à la limite des lignes alliées, de couvrir largement de bombes les flancs et l'arrière du secteur d'attaque, d'éviter les cratères par l'emploi de bombes explosives et de lancer l'infanterie et les chars aussitôt après le départ des forces aériennes. Les américains profitent de la leçon et le succès, cette fois, dépasse les espérances.
Est-il possible de conclure que la "blitz krieg " est l'épitome de la guerre moderne ? Sauf le cas de désarroi exceptionnel, de faillite totale du commandement, elle ne paraît devoir réussir que contre un adversaire usé par des semaines de combats lancinants.
Seule la somme des modestes avantages remportés du 3 au 25 juillet dans le bocage normand, de La Haye du Puits à Saint-Lô, a permis l'effondrement de Wehrmacht.
La bataille de Saint-Lô, ce n'est pas une démonstration grandiose de force titanique, c'est le combat obscur des haies et des chemins creux. La victoire de Saint-Lô a été gagnée par l'infanterie et non par l'aviation ou les blindés.
Si la percée avait réussi au début de juillet vers Lessay et Coutances, elle se serait peut-être terminée par un échec. L'ennemi qui tenait encore Caen et gardait des divisions intactes n'aurait-il pas été capable de riposter avec succès ? La contre offensive de Mortain conduite trois ou quatre semaines plus tôt, aurait peut-être scellé non pas le triomphe de Bradley, mais l'interminable stagnation du front jusqu'au printemps suivant.
R. Patry
Docteur ès lettres
transcription
14 juin au 10 juillet 1944 : bataille des haies