ORADOUR SUR GLANE

souvenir

ALLOCUTION PRONONCÉE PAR MONSEIGNEUR RASTOUIL, EVÊQUE DE LIMOGES, LE 16 JUIN 1944, EN LA CATHÉDRALE SAINT ÉTIENNE, DEVANT DES MILLIERS DE PERSONNES.

Le bourg d'Oradour-sur-Glane (en Haute-Vienne) a été, samedi dernier 10 juin 1944, le théâtre d'atrocités qui n'ont jamais eu leurs pareilles sur la terre de France, soit en 1914-1918, soit en 1939-1944, et qui sont condamnées au nom de la simple morale naturelle, proclamant qu'il n'est jamais permis de tuer des Innocents, parce qu'ils sont incapables d'injures.

J'ai le devoir de faire connaître à mes diocésains que j'ai exprimé à M. le Général commandant les Forces d'occupation, à Limoges, ma douloureuse indignation du fait que l'Église d'Oradour-sur-Glane a été souillée par l'exécution, dans ses murs, de centaines de femmes, de jeunes filles et d'enfants, et profanée par la destruction du tabernacle et l'enlèvement de la Sainte Eucharistie, et j'ai demandé qu'une enquête soit menée et conclue dans le sens de la justice et de l'honneur.

Mes très chers frères,

Prions d'abord pour les âmes des centaines de victimes, hommes, parmi lesquels trois de nos prêtres, femmes et enfants, jetés si tragiquement et si subitement dans leur éternité, le 10 juin.

Prions ensuite pour les nombreuses familles en deuil qui presque toutes pleurent plusieurs victimes. '

Enfin, demandons pardon è Dieu pour le double sacrilège de l'effusion du sang dans le lieu saint et pour la profanation de la Sainte Eucharistie.

EXTRAIT DU SERMON PRONONCÉ PAR M. LE PASTEUR CHAUDIER, LE 18 JUIN 1944, AU TEMPLE DE L'ÉGLISE RÉFORMÉE DE LIMOGES.

L'épouvante est partout, dit l'Éternel. (Jérémie, 46/V.5)

L'épouvante qui s'est ainsi répandue sur un petit bourg de notre Limousin nous dicte un autre devoir que celui de rendre hommage aux victimes et de pleurer sur elles. La conscience humaine et la conscience chrétienne se rejoignent pour se dresser contre de pareilles tueries.

C'est pourquoi nous faisons entendre ici la solennelle, la déchirante, la nécessaire protestation de l'église de Jésus-Christ devant le massacre hallucinant qui nous a tous plongés dans la consternation et dans le deuil. Car, si nous pouvons admettre, déjà le coeur bien amer et bien déchiré, comme le lot fatal des grands conflits armés actuels, l'anéantissement prétendu nécessaire des populations civiles, paisibles, sous prétexte de destruction des objectifs militaires, nous refusons d'admettre, une seule seconde, l'abatage systématique de créatures maintenues hors du combat, nous condamnons comme attentatoire à l'honneur humain et aux données fondamentales, élémentaires, de la révélation chrétienne, des actes que l'imagination dépassée, déroutée, se refuse même à concevoir et nous déclarons au nom de la morale courante et par conséquent, et à plus forte raison, au nom de Jésus-Christ, que, dans cette guerre sauvage, il suffit que soit évitable un massacre d'innocents pour qu'il soit partout, toujours réellement évité.

M. Freund-Valade, Préfet régional de Vichy, s'est lui-même trouvé dans l'obligation de s'élever contre cette barbarie

EXTRAIT DE SON ALLOCUTION PRONONCÉE AU CIMETIÈRE d'ORADOUR-SUR-GLANE, LE 21 JUIN 1944.

Français, qui avez fait comme moi-même ce pèlerinage d'indicible douleur, dans cette enceinte sacrée où dorment les morts, aucune parole de haine ne saurait être prononcée sans offense à celui dont les croix qui nous environnent rappellent le sublime sacrifice.

Quelles que soient les raisons invoquées, rien ne peut justifier le caractère effroyable de ce drame contraire a la Convention de La Haye, contraire aux lois françaises et allemandes.

Le sac d'Oradour-sur-Glane et le massacre de ses habitants révoltent la conscience qui demeure saisie d'épouvante.

La langue française ne connaît pas de mot assez fort pour qualifier cet acte, mais celui qui s'y est livré a commis un crime, même contre sa propre patrie.

Adieu, habitants d'Oradour-sur-Glane, morts d'un supplice sans nom.

Nous jurons sur vos tombes que nous ne reculerons devant aucun effort pour empêcher qu'a l'avenir d'autres subissent votre sort.

Ce sera là toute notre raison d'être ; que votre martyre serve a sauver les vivants.

Le nom d'Oradour-sur-Glane est devenu célèbre dans le monde entier, et tristement célèbre. Lorsqu'un poste radiophonique ou le correspondant militaire d'un grand journal étranger veut évoquer à nos yeux le spectacle effrayant de la destruction totale d'une bourgade ou d'un quartier d'une ville importante, il rappelle immédiatement le souvenir d'Oradour. En 1914-1918, notre province avait enrichi le vocabulaire International du mot Limogé, la guerre mondiale vient d'y ajouter le nom d'Oradour comme l'expression du plus épouvantable forfait que l'histoire ait jamais eu à enregistrer.

Oradour-sur-Glane était une des plus charmantes localités du département de la Haute-Vienne, située dans une plaine fertile qu'arrosent les eaux claires de la Glane, rivière chère aux pêcheurs, aimée du grand peintre Corot et que dominent au Nord les gracieuses ondulations des monts de Blond, la terre des légendes limousines. La commune comptait 1.800 habitants, dont 350 environ pour le chef-lieu, pour la plupart artisans et commerçants, travailleurs aisés vivant dans un esprit d'entente et de bonne fraternité. La proximité de Limoges, l'existence d'une ligne des chemins de fer départementaux en avaient fait un centre d'échanges de quelque importance. Ses foires étalent très fréquentées.

Or, brusquement, sans que rien pût faire prévoir la tragédie, le samedi 10 juin 1944, le bourg entier ainsi que les villages rapprochés. avec leurs maisons, granges, habitants, animaux domestiques, etc. ..., disparaissaient dans les flammes d'un vaste incendie. toute. trace de vie s'était subitement évanouie. Des habitations, il ne restait plus que des monceaux de pierres informes ; des êtres vivants, on ne retrouvait que des ossements calcinés, des traces de vêtements, de souvenirs personnel épars, d'objets familiers tordus par les flammes et que l'on ne pouvait attribuer à tel ou tel des êtres vivants de la veille. Quel cataclysme insoupçonné avait passé par là ? Quel volcan avait subitement révélé son existence dans cette plaine tranquille et englouti une population entière ? Hélas ! la cause n'en était point dans la nature impassible et inconsciente, mais dans la préparation minutieusement calculée, méthodique jusque dans les moindres détails d'une volonté humaine Inflexible, volonté aussi réfléchie dans l'organisation de son plan de destruction, que tenace dans son exécution.

Des précautions Infinies avalent été prises pour obtenir un secret absolu sur les diverses péripéties de la scène, et notamment sur les auteurs du crime. Que pas un des témoins n'en réchappe. Qu'aucune lumière ne puisse se faire concernant les faits et les responsables, rien ne sera plus facile que d'en attribuer la paternité a des engins anglais ou à la vengeance de ces jeunes patriotes du maquis dont l'action commence à devenir Inquiétante. C'est l'hypocrisie s'ajoutant à la cruauté. Fort heureusement, quelques-unes des victimes marquées pour le sacrifice purent échapper aux bourreaux, à demi brûlées ou estropiées par les balles. Et c'est d'elles que nous tenons les renseignements qui vont suivre et dont nous pouvons garantir l'absolue authenticité.

Donc, le 10 juin, une animation particulière régnait dans la petite ville. C'est un samedi, jour oit se presse la population rurale en vue du ravitaillement, ainsi que les fumeurs Informés de la distribution du tabac. Une visite médicale scolaire y a rassemblé tous les enfants de la commune. Enfin, récemment, l'arrivée de réfugiés et d'écoliers en vacances a sensiblement augmenté le chiffre des habitants. Au gré des tortionnaires, ce samedi est un jour de choix. En vue du drame grandiose qui s'organise, il n'y aura jamais trop de victimes.

La matinée passée, rien ne trouble encore les esprits. La population entière va et vient dans une calme confiance lorsque, vers 14 heures, débouche à l'entrée du bourg un groupe de mitrailleuses et de camions que l'on sait aujourd'hui appartenir au groupe de S. S. division " Der Führer ", et commandée par un certain Von der Rot (le Rouge), grand blond, figure typique de la brutalité prussienne). En un clin d'œil, Oradour est cerné. Ordre est donné aussitôt à la population de se réunir sur le champ de foire, et des autos blindés vont même chercher dans les champs les paysans encore au travail. Il s'agit, dit tout d'abord l' interprète, de vérifier la validité des cartes d'identité. Puis, sur un ton menaçant, il ajoute : Il existe ici un dépôt d'armes cachées par les terroristes, nous allons le rechercher. Malgré cette menace déguisée, la confiance de la population n'est pas ébranlée ; le pâtissier demande même l'autorisation de s'absenter un instant pour surveiller la cuisson de sa fournée : elle lui est refusée.

Le tri de la foule s'opère rapidement - d'un côté femmes et enfants ; de l'autre, hommes de tout âge, dont le curé de la commune accompagné de deux confrères : Le premier groupe est dirigé vers l'église, tandis que le second reste, face au mur.

À ce dernier appartenait M. Darthout, jeune rescapé qui a bien voulu nous raconter quel sort lui fut réservé dans cette tragique journée. Laissons-lui la parole :

Au bout d'une heure environ. les S.S. nous divisent en plusieurs sections, chacune d'elles devant se rendre vers un local bien déterminé qui deviendra... un centre d'extermination. On en compte six, deux granges, deux garages, un chai et un hangar.

Nous partons, toujours en colonne, escortés par nos gardiens qui ramènent à coups de crosse les personnes inquiètes ou hésitantes. Puis notre section arrive au hangar qui lui est destiné. Quelques-uns d'entre nous le vident de son matériel, puis on se tasse, debout dans un espace restreint. Notre gardien, posément, comme chargé d'un service ordinaire, balaie le sol devant l'entrée, s'allonge à terre et avec dextérité engage une bande dans sa mitrailleuse.

Toute défense comme toute fuite est impossible. Alors, le drame éclate dans toute son horreur. À bout portant, les rafales de l'arme automatique fauchent les hommes qui hurlent de douleur et de rage impuissante. Les deux jambes atteintes, je me jette à terre au moment même où deux balles me pénètrent dans les cuisses. Dix secondes à peine ! Tous sont morts ou grièvement blessés. Écrasé par le poids des cadavres dont je suis recouvert, dégouttant de sang, j'entends encore les Allemands armer leurs fusils et achever ceux qui remuent. Deux fois. Ils font le tour de l'amas sanglant pour bien s'assurer que personne n'est vivant. Puis, croyant leur œuvre de mort achevée, ils nous recouvrent de foin et de fagots, bûcher préparé et abandonné pendant quelques instants. Il reste bien encore des vivants parmi nous, et certains chuchotent des mots d'encouragement et d'espoir. À côté de moi, un camarade qui, les deux jambes brisées, essaie en vain de se soulever. Hélas ! il périra brûlé vif comme tant d'autres.

Car, après un quart d'heure d'absence, les bourreaux sont de retour. On entend le craquement d'une allumette, puis d'une seconde. et le feu s'allume. Par une amère dérision. Juste à ce moment un poste de radio nous inonde des flots de sa musique. On ne l'entendra pas longtemps. La chaleur rapidement devient intolérable. N'y pouvant tenir. une épaule à demi brûlée, je me dresse au-dessus du brasier. m'offrant inconsciemment à la balle qui pourrait mettre fin à cet horrible supplice. Stupéfait, je regarde : plus personne. Vite, les amis, fuyons. Mais quatre seulement pourront me suivre. Rapidement nous franchissons le mur. Blottis dans un fenil, voici qu'un autre soldat survient et allume la paille qui nous recouvre, Nouveau départ : un clapier sera notre dernière étape, car l'incendie gagne toujours. Enfin, nous filons à travers bois.

Dans ce même temps, le nettoyage des immeubles s'est organisé. Les Allemands pillent, incendient, massacrent sans pitié les vieillards,

les malades, les impotents restés dans les maisons. Bientôt d'ailleurs. chaque immeuble, chaque grange, atelier, hangar, est la proie des flammes. Oradour n'est qu'un immense brasier. Dans les champs environnants les coups claquent sans cesse, a la poursuite des fuyards. Sans méfiance, des femmes viennent chercher leurs enfants ; des promeneurs s'arrêtent stupéfaits : eux aussi front grossir la liste des martyrs : Tel est le premier acte du drame. Le second a pris place dans l'église où, nous l'avons vu, avait été emmené le groupe des femmes et des enfants que conduisent leurs cinq maîtres et maîtresses. Il ne le cède en rien â l'autre, au double point de vue de la froide cruauté des acteurs et de l'affreuse souffrance des victimes. Nous en tenons le récit de la bouche de Mme R..., la seule femme qui réussit, au prix de mille efforts douloureux, à sortir de l'église. C'est sur son lit d'hôpital, où l'ont même poursuivie la colère et le dépit des assassins, déçus de voir des témoins leur échapper, que cette malheureuse créature, avec une jambe brisée, une omoplate fracturée, a pu nous donner des détails précis sur cet autre massacre odieux, dont la description dépasse l'imagination la plus pervertie.

Nous sommes restés là, nous dit-elle, plusieurs heures, ignorants du sort qui nous était réservé, les bébés criant et pleurant sans comprendre. Vers 19 h. 30, une caisse est amenée dans la nef, puis deux cordons ayant été allumés, les gardiens se retirent. Une explosion se produit, immédiatement suivie d'une épaisse fumée dégageant une forte odeur de phosphore. Suffoquant, j'abandonne l'autel derrière lequel tout d'abord je m'étais réfugiée, et je pénètre dans la sacristie où se trouvent quelques personnes anxieuses sur ce qui va suivre. Lentement, les gaz se dissipent. Les Boches en profitent pour ouvrir un feu nourri sur la foule éperdue, horrifiée, les mères étreignant contre leur sein les petits êtres innocents qu'elles voudraient sauver. Avec une férocité impitoyable, ils tuent, massacrent, insensibles aux appels désespérés de ces mères, de ces jeunes filles, de ces enfants, toutes créatures innocentes et inoffensives.

Tous les recoins sont visités, et seule dans la sacristie, je reste indemne sans doute parce qu'on m'a cru morte. Pour parfaire leur abominable besogne, nos bourreaux préparent un bûcher qui bientôt devient un brasier devant lequel ils battent en retraite. Affolée par ce spectacle terrifiant, je m'empare d'un escabeau servant à allumer les cierges de l'autel et, par un vitrail, je me jette dans le vide d'une hauteur de trois mètres, saluée par des rafales de mitraillettes. Grièvement blessée, perdant mon sang en abondance, je suis restée étendue clans un carré de pois jusqu'au lendemain à 16 heures, puis placée sur un brancard par des mains compatissantes et transportée ici.

Quelle émotion étreint les coeurs à la vue de cette malheureuse femme de 46 ans étendue sur son lit d'hôpital, peut-être à jamais infirme, et pour toujours certainement seule dans la vie, tous les siens ayant disparu dans la tourmente)

Durant toute la nuit, insouciants comme des brutes sans conscience de leur Infamie, les nazis vont se réconforter et faire ripaille dans une

maison particulièrement pourvue de provisions diverses et d'une bonne cave, marquée à l'avance et détruite aussitôt après (celle de M. Dupic).

Pendant plusieurs jours encore, ils reviendront, s'efforçant de dissimuler dans des semblants de fosses les cadavres les moins pulvérisés. Un peu partout, on trouvera ainsi des charniers grossièrement cachés sous les branches dans les jardins. Derrière l'église,, sont des voitures d'enfants criblées de balles ; au presbytère, un bébé de quelques mois gît, la boite crânienne ouverte probablement d'un coup de crosse ; sa mère l'ayant transporté la dans l'espoir de le sauver. Sur un corps de femme, on a vidé un tombereau de fumier. À travers une palissade, est accroché le garagiste, ayant vainement tenté de s'enfuir. Dans un puits, dans des fossés, dans l'étouffoir même du boulanger, on retrouve des cadavres, toujours et encore des, cadavres. Par endroits, des bouffées d'air nauséabond révèlent un charnier insoupçonné.

Nous avons parcouru ce village, riant et gai jadis, cherchant en vain une trace de vie humaine. Ici des murs criblés de balle ou lézardés par les explosions et l'incendie semblent encore vouloir protéger le petit tas de cendres et de tuiles brisées d'où émerge la carcasse tordue d'une bicyclette. Là, un fourneau de cuisine s'incline dangereusement au-dessus d'une cave. Nulle part, on ne volt trace de meubles ou d'ustensiles de vaisselle. La chaleur dégagée fut telle que la cloche même de l'église a fondu comme beurre au soleil. Seules, quelques rares charpentes métallique ont résisté.

Du haut du clocher, nous avons pu embrasser dans son ensemble ce désolant spectacle qui évoque celui de certaines villes ruinées, ou encore l'amas étonnant de roches déchiquetées de Montpellier-le-Vieux, la " citadelle du diable " comme le nomment les habitants du pays des Causses. Plus un toit n'apparaît aussi loin que la vue se porte. Avec un acharnement sans nom, les lance-flammes ont tout balayé : voitures, charrettes dans les rues, salle d'attente du tramway, même le transformateur électrique. Les fermes environnantes ont subi le même sort. Dans la cour de l'une d'elle, les moutons apeurés bêlent tristement ; des poulets picorent, attirés par l'appât de la chair grillée ; dans les prés d'alentour, les foins coupés sont restés, se desséchant au soleil, tous attendant en vain leurs maîtres qui ne reviendront jamais.

Çà et là, des groupes de terrassiers visitent les ruines, cherchant encore des cadavres. De nombreux volontaires séminaristes ou scouts, gantés et masqués, s'affairent vers les charniers les plus malsains. Derrière l'église, nous apercevons six corps calcinés, tordus par l'agonie, une jambe d'enfant qui se crispe, un corps difforme horrible qui donne l'impression d'un tronc d'arbre pourri et rongé par le temps.

Dans ce qui fut l'église, de gros moellons venus on ne sait d'où, jonchent le sol couvert de cendres. Dans un coin, on a entassé pêle-mêle des clefs, des ferrures de sabots et des baleines de corsets. Une aile abrite un petit autel encore garni de fleurs fanées. En face, le confessionnal a été également épargné ; Ici, me dit-on, se retirèrent deux enfants échappés aux flammes meurtrières qui furent ensuite desséchés par l'intense chaleur.

Dans une grange, une équipe de volontaires enlèvent avec une remorque d'auto les restes du bétail : lambeaux de chair fumants, cadavres achevant de se consumer; puis les entassent, puants, dans une fosse hâtivement creusée. Plus loin, une autre équipe munie de`pelles, retourne minutieusement les restes humains, pour découvrir des objets pouvant aider à l'identification des victimes : une clef, un couteau, une bague aux initiales " A. V. ", etc. ... C'est là, nous dit-on, devant ce mur criblé de balles, que furent rassemblés les hommes du bourg. Il ne subsiste d'eux que le souvenir ou quelques fragments d'os dans lesquels on peut reconnaître une phalange ou un bout de mâchoire.

Nous avons enfin terminé notre lugubre promenade par le cimetière, un petit cimetière de campagne dont les nombreux caveaux attestent à la fois l'aisance et le culte du fidèle souvenir des habitants du bourg. Une étiquette en carton nous dit qu'ici repose le maire, là le garagiste. De grandes fosses y reçoivent les débris humains informes et sans nom, apportés parfois dans des lessiveuses ou de grands seaux. Exceptionnellement, une charrette à bras amène un cercueil couvert de branchages.

En quelques heures, a été ainsi effacé de la carte un gros bourg totalement anéanti avec une partie de la population rurale. Le nombre des victimes s'établit à environ 800. Des familles complètes ont disparu : la région tout entière est en deuil.

En présence de ce crime inconcevable, une question se pose naturellement dans tous les esprits : Quelles raisons ont pu l'inspirer ? Qu'avait-on à reprocher aux habitants d'Oradour ? Mais personne n'y a répondu. Il n'existait dans la localité ni dépôt d'armes, ni forces de résistance: aucun coup de feu n'avait été tiré sur un Allemand. Au contraire, la commune, administrée par un maire (également disparu) jouissant de l'estime et de la confiance de ses concitoyens, était réputée comme une de celles dont l'attitude avait été la plus calme. Les Allemands, a-t-on dit, désiraient intimider la région de Limoges par une punition exemplaire, et ils auraient choisi un bourg se prêtant particulièrement par sa situation topographique 8 un encerclement facile. Certes, un tel argument n'est pas propre à atténuer la responsabilité de la division S. S. Der Führer.

Le 1er août 1944, l'organe du Comité des Écrivains du Front National, Les Lettres Françaises, alors clandestines, consacraient un numéro spécial au massacre d'Oradour. Elles le faisaient suivre du célèbre appel de Victor Hugo pour la levée en masse contre l'envahisseur allemand qui foulait déjà aux pieds, en 1871. le sol de la patrie :

Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bols. Levez-vous ! Levez-vous ! Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberté. L'Allemagne attaque la France. Qu'à la sombre chaleur de notre sol, cette colossale armée tonde comme la neige ! Que pas un point du territoire ne se dérobe au devoir ! Organisons l'effroyable bataille de la Patrie. Au front, derrière, traversez les halliers. passez les torrents : Profitez de l'ombre et du crépuscule, serpentez. glissez-vous. rampez, exterminez l'invasion, défendez la France avec héroïsme. Soyez terribles, oh ! Patriotes !

Cet appel a été entendu. La levée formidable du peuple français à l'appel de l'insurrection nationale décidée par le C.N.R., en conformité des ordres du général Charles de Gaulle, fit fondre, en effet, la formidable armée de nos oppresseurs.

Mais la guerre n'est pas terminée, la guerre continue. Il n'est qu'une façon d'honorer nos morts et nos martyrs : c'est de les venger.

Les nations libres, les nations alliées poursuivront la guerre jusqu'à l'extermination du fascisme, la destruction du Reich et l'extermination du nazisme.

Ils n'auront pas vainement foulé aux pieds toutes les lois de la civilisation. Ils n'auront pas vainement fait ressurgir, en plein XXe siècle, une barbarie qui se rapporte à la plus lointaine époque de la haute antiquité assyrienne. Non, ce crime, les nazis et le militarisme allemand devront en rendre compte.

Nous suivrons l'exemple russe qui, à Kharkov, a jugé et abattu les responsables du massacre des habitants de la grande cité ukrainienne. Car, il n'est pas qu'un Oradour. Nous en avons d'autres en France : C'est hier que nous avons appris que, dans les Vosges, Saint-Dié et Gérardmer étaient complètement rasés par l'envahisseur.

Aujourd'hui encore, des Français, des Françaises à Royan, à, La Rochelle, à Lorient, à Dunkerque, subissent le joug odieux.

Nous ne pouvons avoir d'autre pensée, d'autre volonté que de les libérer. Tout l'effort de notre peuple doit se consacrer dans sa volonté guerrière, dans son effort militaire. Toute pensée qui détruit l'élan populaire de la cause sacrée de la libération, de la bataille pour la grandeur et l'Indépendance de la France est une trahison de nos morts, de nos martyrs, une trahison aussi de nos prisonniers et de ces 600.000 déportés politiques qui comptent parmi les plus glorieux soldats de la lutte clandestine.

Il est bon de parler de paix, mats il ne sera de paix que quand les fauteurs de guerre seront châtiés comme ils le méritent. Il n'est pas d'ordre dans l'Injustice. Il n'est pas de paix possible non plus dans l'injustice. Il n'était plus de paix en Europe depuis Munich et la paix ne régnera dans le monde qu'avec le triomphe définitif, complet, des nations démocratiques débarrassées aussi de ces intérêts privés, de ces trusts internationaux qui sont à l'origine du fascisme et qui sont les causes premières de la tourmente sanglante.

C'est à Berlin que les Français, aux côtés de nos grands alliés anglais, russes et américains, feront rendre justice bientôt aux victimes d'Oradour, à tous nos martyrs, à toutes les victimes du Reich que nous n'oublierons jamais.