Le
sort tragique des maquisards de Beaucoudray.
Prologue
Dans
la nuit du 9 au 10 mai 1944, des avions ronronnent au dessus de la petite commune de Sainte-Marie-Outre-l'Eau, près de
Pont-Farcy. Tapis dans les
champs, des hommes attendent anxieux, le regard tourné vers le ciel. Tout à coup, ombre dans l'ombre, surgissent des parachutes. Aucun être vivant
ne s'agite au bout des câbles. Ce ne sont pas des êtres humains qui viennent de se poser là avec un bruit sourd, mais des " containers "
bourrés d'armes, de munitions et d'explosifs. Il y en a trois tonnes.
Rapidement
une petite armée silencieuse se dirige vers les points de chute. La dangereuse cueillette se fait avec rapidité. Les camionnettes des P.T.T.
dissimulées non loin de là sont chargées avec célérité, puis elles prennent la direction de Beaucoudray. Dans une ferme
inhabitée, perdue à l'extrémité d'un dédale de chemins vicinaux et de chemins de terre, en bordure du bois de Moyon, au village du Bois,
précisément, armes et explosifs sont déchargés et entreposés dans le grenier. Il y a là des fusils-mitrailleurs, des mitraillettes, des
" colt ", des mines, du " plastic ", des munitions, tout ce qu'il faut pour faire de l'excellent travail.
Le
groupe de Résistance des P.T.T., dont le responsable est Pruvost, vient de réceptionner un parachutage d'armes !
Vingt-six
jours ont passé. Nous voici à quelques heures du Débarquement ; déjà les parachutistes alliés ont pris pied sur notre sol. Avec calme et méthode,
conformément aux ordres reçus, les postiers résistants coupent les lignes et les câbles téléphoniques de la région de Saint-Lô puis leur
besogne accomplie, ils gagnent séparément le 6 au matin la petite ferme isolée où nous les avons vus
entreposer leurs armes. Là se retrouvent rené Crouzeau, inspecteur du service technique ; Étienne Bobo, contrôleur des installations électromécaniques
; Marcel Richer, agent des installations ; Raymond Robin, mécanicien, dépanneur ; Jean Sanson et Maurice Deschamps, commis N.F. ; Auguste Lerable,
Auguste Raoult et Auguste Sénéchal, agents des lignes, bientôt rejoints par la section O.C.M. d'Alphonse Fillâtre, qui groupe des résistants de
la région de Percy, Villebaudon, Villedieu, etc. ... Abdon, Lecouturier, Hamel, Albertini, Pierre,
Alliet, Guy, Patin, Martin auxquels vient fréquemment rendre visite une institutrice, Mme Leblond.
Le
petit groupe, auquel doivent parvenir des renforts et qui a l'ordre d'attendre un message lui indiquant où et comment il doit venir en aide à des
troupes aéroportées organise sa vie ; Lerable est cuisinier, Sanson met en état quelques armes et en explique le maniement à ses camarades. Un
tour de garde est établi et deux hommes font constamment le guet aux abords des deux, chemins aboutissant à la ferme et dont un seul est praticable
par les voitures.
Un
jour, une lampe du poste récepteur de radio " claque ". Un cultivateur de la commune, Mr Haupais prête son propre appareil aux maquisards.
Huit
jours se passent sans incident puis, d'un seul coup, le 14, le drame éclate. Tôt le matin : 6h, 7 h peut-être, une auto occupée par deux Allemands
arrive à proximité du refuge, puis repart rapidement, comme si le chauffeur s'était trompé de chemin. Pas un homme n'a bougé. Les boches n'ont
probablement rien vu. Erreur !
Soudain
c'est l'attaque conduite par des hommes de la 2e Panzer, appartenant à la division " Das Reich " (voir autres documents) : Ils pénètrent
d'abord chez Mme Leblond dont la petite maison est située à courte distance
de la ferme du village du Bois. La jeune femme a compris. Sans perdre son sang froid, elle tente une ultime
manœuvre pour prévenir les maquisards en utilisant un code préalablement mis au
point. :
"
Va chercher le chat ", dit elle à son fils, le petit Gilles. Le gamin sait ce que cela veut dire, il sort rapidement et s'en va. il n'ira pas
loin. Des S.S. l'interceptent et le ramènent chez lui. Sa mère est arrêtée. Pendant ce temps les Allemands ont encerclé tout le secteur.
Rapidement ils avancent vers la ferme, en trois formations. Robin qui était de faction au chemin principal est capturé et ne peut prévenir
personne. Derrière la maison du côté du bois, Richer qui vient de se lever, prend " le frais " ; Deschamps et Guy ramassent des branches
sèches ; Pruvost est également dehors, ainsi que Raoult, de faction, Alliet et Sénéchal. Les autres, à l'exception d'Abdon 1
qui revient de Villebaudon en compagnie de sa femme sont dans la salle commune. Soudain la fusillade crépite. Ceux de l'intérieur sont mis hors d'état
de nuire avant d'avoir pu réaliser ce qui leur arrive, les autres prennent la fuite. Le malheureux Guy, blessé, tombe et est capturé. Par une
chance inouïe ses camarades ne sont pas touchés.
Crouzeau
(il a abattu deux Allemands) et ses amis sont interrogés, ainsi que Mme Leblond ; le petit Gilles ne
dira rien malgré la menace d'être fusillé ou la promesse d'avoir la vie sauve avec sa maman s'il dit ce qu'il sait. Un second interrogatoire, à la
ferme de la Réauté où les maquisards passeront
leur dernière nuit, sera lui aussi inutile.
Ce
que fut cette dernière nuit, on le sait par Mme Leblond, libérée à l'aube avec son petit garçon. Jusqu'à ce que ce dernier s'endorme, les
captifs eurent pour souci de le rassurer, se montrant même joyeux, puis, lorsque le sommeil eut emporté l'enfant, ils s' enfermèrent dans le
silence, remuant des pensées à jamais inconnues. Et lorsque, à trois heures et demie du matin, les S.S. vinrent
les chercher pour les conduire au lieu de leur exécution, Jean Sanson dit simplement : " Allons les gars, on va leur faire voir comment
savent mourir des patriotes français ".
Crouzeau,
Robin, Lerable, Sanson, Bobo, Lecouturier, Hamel, Albertini,
Patin, Guy et Martin ont été abattus ensemble près des deux fosses où leurs cadavres ont été retrouvés : six dans l'une, cinq dans l'autre. À
l'exception de Guy, le blessé, les onze martyrs, dont le département de la Manche tout entier honore la mémoire, avaient les mains attachées avec
du fil de fer. C'est une balle dans la nuque qui a mis fin à leur existence laborieuse d'hommes loyaux et droits, ayant choisi avec simplicité la
route la plus rude mais la plus belle, celle de l'honneur !
Abdon
qui apportait dans une brouette divers ustensiles de ménage fut arrêté par les Allemands auxquels il
expliqua qu'il était sinistré de Saint-Lô. Ceux-ci ne l'inquiétèrent pas.
Extrait de " Chemins de l'été 1944 ".