Généralités sur le sujet

Il existe une abondante littérature relative au Vercors. La chronologie des événements, au moins pour ceux qui se sont déroulés sur le plateau en juin et juillet 1944, est connue. À juste titre, de nombreux articles et ouvrages exaltent l'héroïsme et le sacrifice de plusieurs centaines de maquisards et d'habitants et font état de la Férocité de la répression allemande. Pourtant, des zones d'ombre persistent autour d'une bataille devenue mythique. Son issue tragique a été imputée à des causes diverses : on a parlé du Vercors trahi, du Vercors abandonné..., de grossières erreurs de conception de l'État-Major, de l'incapacité des chefs militaires locaux, d'utopies dangereuses de responsables politiques, de multiples querelles et inconséquences à divers niveaux.

Si l'on peut exclure l'énormité d'une trahison délibérée ou d'un abandon volontaire, certains des arguments énumérés précédemment ne peuvent être négligés. Des rapprochements - les mêmes causes ayant produit les mêmes effets - sont possibles avec le déroulement d'autres tragédies, comme celles des Glières ou du Mont Moucher.

La naissance du Vercors

Il est évident que la configuration particulière du relief, la position géographique du massif, sa situation dans une zone non occupée par l'ennemi puis confiée, à partir de novembre 1942, aux Italiens - dont la réputation guerrière est limitée -, ne peuvent qu'inciter à y imaginer un abri pour tous ceux qui ont maille à partir avec l'autorité, tant celle de Vichy que celle de l'occupant : israélites, réfractaires de toutes sortes... À partir de novembre 1942, des militaires de l'Armée d'Armistice dissoute seront également tentés de gagner le plateau avec l'arrière pensée d'une reprise des combats. La création du S.T.O., au début de 1943, conduira sur le plateau un certain nombre de jeunes hommes. Dès janvier 1943, des structures d'accueil sont mises en place. On les baptise " camps ", bien qu'elles ne soient constituées que par des stationnements souvent provisoires dans des fermes abandonnées, ou des entreprises de forestage, comme à Ambel. Une douzaine de ces structures sont répertoriées fin de 1943, regroupant environ 300 " maquisards " pratiquement sans arme. Tous n'ont pas la volonté farouche de participer à une résistance active.

Ces réfractaires vivent très inconfortablement, dans une sécurité relative, acceptés, aidés par une population sympathisante, animée par un réel sentiment national. La constitution de ces camps destinés à la survie discrète d'hommes pour la plupart du temps en situation irrégulière est le fait d'un groupe grenoblois qui, dans un premier temps, a entrepris la reconstitution clandestine du Parti Socialiste S.F.I.O. interdit par Vichy. Ces hommes sont entrés en relation avec le mouvement de Résistance Franc Tireur et avec Yves Farge, personnage important de la Résistance pour la région Rhône-Alpes, qui fournira une partie des moyens financiers nécessaires à l'entreprise.

Genèse du " projet Montagnards "

Parallèlement à cette construction évolutive quasi spontanée, une autre opération à arrière-pensées militaires va naître et se mettre en place sur le plateau. À l'origine de cette perspective originale qui, en 1943, aboutira à l'élaboration d'un " projet Montagnards ", deux intellectuels installés dans la région grenobloise; Pierre Dalloz et Jean Prevost. Dès 1941, ils imaginent le Vercors en forteresse quasi inexpugnable, apte à recevoir des unités aéroportées qui agiraient sur les arrières ennemis. En janvier 1943, cette idée quelque peu mûrie est soumise par Dalloz à Yves Farge. Ce dernier, intéressé, transmet les premiers éléments d'information à Max, qui émet un avis favorable à ces propositions. Vidal se charge de transmettre cet avant-projet à Londres et, pour éviter toute confrontation entre les principales organisations, décide que Franc Tireur en assumera la réalisation, le cas du Vercors relevant de l'échelon militaire national. Le 25 février, l'accord de

Londres parvient sous la forme d'un message personnel diffusé par la B.B.C. : " Les Montagnards doivent continuer à gravir les cimes. " En liaison avec Farge, Dalloz constitue une équipe de spécialistes qui l'aidera à bâtir le projet aboutissant à des propositions plus élaborées.

Alors qu'en février des contacts suivis d'accords s'établissent, sous l'égide de Franc Tireur, avec l'organisation des camps déjà en place, le capitaine Le Ray devient la cheville ouvrière du projet qu'il bâtit en fonction de deux hypothèses.

Dans la première, le plateau du Vercors devient la base opérationnelle d'un certain nombre de Corps Francs composés de volontaires bien armés, bien entraînés, opérant à partir du jour J. Dès le débarquement allié dans le Sud de la France, ils s'en prendraient aux infrastructures régionales et aux éléments armés de l'ennemi de manière à désorganiser les possibilités d'action de ce dernier.

La seconde proposition, infiniment plus ambitieuse, consiste à créer une zone libérée d'où, avec l'appui de forces parachutistes, partiraient des raids offensifs, des actions importantes en direction de Valence, Grenoble et Lyon. Parallèlement au débarquement allié, une véritable insurrection nationale serait déclenchée, d'autant que la présence physique du général de Gaulle sur le terrain est envisagée... Dans cette perspective, il faudra sûrement faire face à une réaction allemande, ce qui nécessitera le blocage défensif du plateau pendant quelques jours, le temps de l'arrivée des troupes aéroportées. Il faudra donc mettre en œuvre des moyens importants en hommes, en armement, d'où de nécessaires parachutages massifs de la part des Alliés.

La seconde hypothèse semble être retenue. Il est précisé que dès le jour J, le plateau sera isolé par des destructions sur l es axes routiers de pénétration pour interdire l'accès aux véhicules et surtout aux blindés, le temps que les unités parachutées soient mises en place pour une action offensive. Compte tenu de l'autorité du général et ses relations avec Londres, l'avenir du projet paraît assuré...

Une croissance difficile

Sur le terrain, l'augmentation du nombre des réfractaires au STO accroît les difficultés matérielles des maquisards, malgré l'extrême compréhension de la population civile. La discrétion nécessaire à la conduire de ce genre d'entreprise est loin d'être respectée... En mars, une opération de type commando, mal préparée et mal exécutée par un groupe d'un des camps, échoue piteusement et fournir à l'adversaire de multiples informations. Les Italiens entreprennent plusieurs expéditions contre les camps. Faute d'un armement suffisant, les maquisards n'engagent pas le combat mais subissent cependant des pertes et sont réduits à une " nomadisation " difficile.

Des arrestations sèment également le désordre dans l'équipe de le Ray. Farge et Dalloz, menacés, se réfugient momentanément à Paris. Dalloz espère gagner l'Angleterre pour y suivre l'évolution du projet. En outre, le 9 juin, le général Delestraint est arrêté par la Gestapo à Paris. Le 21 juin, Jean Moulin est arrêté à Caluire. Avec la disparition de ces deux autorités, le " projet Montagnards " perd ses deux correspondants les plus efficaces auprès du B.C.R.A. et des Alliés.

À partir de juillet, la cellule conceptrice se reconstitue autour de Le Ray, avec Jean Prevost, le lieutenant Costa de Beauregard Chavant, rescapé du groupe de Grenoble. Le Ray devient responsable d'un " Vercors militaire ", Chavant assume les fonctions de responsable civil de l'entreprise.

Les relations entre Londres et l'organisation se mettant en place se poursuivent grâce aux liaisons radio et, en septembre, une mission alliée, chargée d'évaluer les potentiels et les besoins des maquis en cours de constitution dans les Alpes, est parachutée. C'est l'époque où la capitulation italienne amène des changements radicaux dans la situation régionale. Les Allemands remplacent les Italiens, leurs services de sécurité vont se montrer particulièrement efficaces, d'autant que la Milice va prendre une part de plus en plus active dans la lutte contre la Résistance. Sur le terrain, la perspective des rigueurs de l'hiver apporte la certitude de conditions d'existence difficiles pour les clandestins du plateau et provoque chez ces derniers inquiétude, baisse du moral et diminution des effectifs. En novembre, au moment où, à Grenoble, la Résistance et l'occupant s'affrontent férocement un événement d'une extrême importance est à noter : le premier parachutage allié sur le Vercors. Cette opération est une preuve formelle de l'intérêt qu'apporte Londres au Vercors. Mais comme les responsables locaux n'ont pas respecté les règles de sécurité, l'annonce du parachutage est connue à l'avance dans les camps et l'opération du 13 novembre sur le plateau d'Arbounouze donne lieu à une véritable foire d'empoigne de la part de ceux qui attendent depuis longtemps les moyens d'engager le combat. Ce comportement regrettable, imputable à l'insuffisance d'encadrement, à l'indiscipline des participants, ne sera pas sans conséquences. Le colonel Descours, chef d'État-Major régional de l'A.S., estime que cette attitude fournit la preuve d'un grave défaut d'organisation... Sa réaction provoque la démission du capitaine Le Ray. Le lieutenant Geyer, alias " Thivollet ", nommé capitaine pour la circonstance, le remplacera. Cette mutation ne se fera pas sans difficultés. Ce militaire de carrière qui, au maquis, a conservé sa tenue réglementaire, son képi, le fanion de son unité et son cheval, va entretenir avec Chavant des relations difficiles. La détermination, le courage physique du nouveau responsable militaire ne sont pas en cause mais il amène chez les maquisards un signe particulier qu'on retrouve d'ailleurs dans le comportement d'autres cadres issus des chasseurs alpins qui rêvent de reconstituer leurs unités régulières avec leurs traditions, leur discipline, leur esprit de corps. On peut aussi s'étonner et tirer des conclusions attristées sur le fait que pour des maquis de l'importance du Vercors ou des Chères, on n'ait trouvé que des officiers subalternes pour en assumer les risques et les responsabilités.

À Alger, dès son arrivée, Dalloz rencontre Louis Joxe. Ce dernier, secrétaire général du Comité Français de libération, lui laisse entendre que de Gaulle et son entourage sont davantage préoccupés par les problèmes politiques que par les problèmes militaires dont les Alliés, étant maîtres des moyens, se réservent le traitement. À ce moment, la confrontation de Gaulle / Giraud est à son paroxysme et produit des effets déplorables. Cette atmosphère empoisonnée se complique encore davantage en raison de discussions hideuses entre Passy, chef du B.C.R.A. et d'Astier, ministre de l'intérieur, politiquement opposés. Ce dernier, jouant le jeu des communistes, a imposé en France la création de Comités départementaux de libération en prévision des lendemains de la Libération.

Dalloz rencontre divers interlocuteurs : Passy, d'Astier, le colonel Billotte, secrétaire général du Comité de Défense nationale. Il ne rencontrera pas de Gaulle. Il quitte Alger pour Londres où l'État-Major allié, de notoriété publique, prépare un débarquement en France. À cet effet, le Spécial Projects Operation Center est chargé de la coopération entre les services spéciaux alliés et français. La dualité des organismes de la France Libre, les uns à Alger, les autres à Londres, ne lui facilite pas la compréhension rigoureuse dès événements et la conception des décisions qui en découlent. Longuement questionné par ses différents interlocuteurs sur l'importance et les ambitions du PCF et de ses partisans. Dalloz retrouve chez ses compatriotes le clivage politique déjà perçu à Alger. Au B.C.R.A., le dossier " projet Montagnards " est difficilement exhumé des archives où il est classé depuis son dépôt par le général Delestraint.

Le 2 Février 1944, Dalloz rencontre le colonel Fourcaud, chef de la mission " Union ", qui doit être expédiée en France afin d'y évaluer le potentiel et les besoins des maquis de la région Rhône Alpes. Il ne semble pas que le colonel et son équipier anglais Thackthwaite aient réellement étudié le projet proposé par Delestraint. Fourcaud va se faire le partisan d'un Vercors forteresse, territoire libéré, au profit duquel on parachuterait quatre bataillons, deux sur le plateau, deux dans le nord immédiat de Grenoble. Cette suggestion est contestée par Chambonnet, responsable de l'A.S. régionale, mais bénéficie du soutien du colonel Descours, son chef d'État-Major. Le rapport de Thackthwaite, fin avril, est plus réaliste. Il considère que le bouclage défensif du plateau peut être forcé par des troupes bien entraînées. Dans ce cas, les maquisards devraient procéder à une défense mobile, par de petites unités harcelant l'adversaire. La défense devrait pouvoir disposer de réserves, d'armes lourdes, en particulier de mortiers et les unités de moyen radios nombreux et efficaces. Ces recommandations tomberont dans le vide : au printemps, ni Londres, ni Alger, ne feront état d'une conception arrêtée concernant le devenir du Vercors. Le " projet Montagnards " est devenu l'objet d'interprétations différentes, peu conciliables. Dès janvier, sur le terrain, les événements vont démontrer avec insistance l'extrême fragilité de l'implantation réalisée sur le plateau. Ni les responsables, ni les exécutants, n'en tireront les enseignements nécessaires. L'occupant, particulièrement actif dans sa répression dans le reste de la région, semble admettre l'existence de ce curieux abcès de fixation. Il est au courant de l'existence de plusieurs camps maintenant assez - convenablement armés, grâce aux parachutages. -

Les maquisards d'Ambel travaillent à une exploitation forestière qui livre sa production à l'occupant, ce dernier ne se faisant aucune illusion sur ses fournisseurs. Car l'ennemi est bien informé, non seulement ses représentants en uniforme circulent parfois sur le plateau, mais il a des informateurs ! Les relations avec l'extérieur se poursuivent à peu près normalement, des " déserteurs ", des " permissionnaires " parlent...

L'indiscipline, provenant de la diversité du recrutement, de ses motivations, parfois de la faiblesse de l'encadrement, de l'inconséquence des uns et des autres, vont provoquer la réaction allemande qui n'aura rien de comparable avec les timides intrusions des Italiens l'année précédente. Le 19 janvier, deux Allemands d'un certain rang et un journaliste hollandais, partis de Valence pour une excursion touristique déjeunent à La Chapelle en Vercors. Sur le chemin du retour, ils sont interceptés et capturés. L'opération a eu lieu malgré les consignes permanentes du capitaine Geyer. Cette imprudence de l'ennemi semble indiquer qu'il ne prend guère au sérieux les 2 ou 300 réfractaires du plateau. L'envoi d'une patrouille de 4 feld-gendarmes confirme cette impression. Comme la veille et malgré les ordres renouvelés, les gendarmes sont pris à parti. L'un est tué, les 3 autres s'enfuient. Cette fois, l'adversaire ne peut que réagir avec violence. Le 22 janvier, 300 hommes sont lancés contre le centre du plateau par Saint-Jean-en-Royans et les Grands Goulets. Ils ont affaire à une tentative de résistance organisée, d'abord au Pont de la Venaison puis aux Baraques en Vercors. Puissantes, manœuvrières, les troupes allemandes l'emportent rapidement et détruisent les Baraques, poussant Jusqu'à Saint Martin et La Chapelle qu'elles épargnent. Le maquis perd 5 tués, une vingtaine de blessés. Preuve est faite que malgré le terrain favorable, les maquisards ne sauraient résister à une force entraînée, faute de moyens suffisants, de discipline et d'instruction militaire.

Le 29 janvier le camp installé dans le hameau de Malleval, sur la lisière N.W. du Vercors est attaqué par surprise et détruit. Malleval est un gros hameau dominé par des hauteurs, au bout d'une route difficile longeant les gorges du Nan. Le détachement de l'A.S. est constitué d'une quarantaine de maquisards, convenablement armés. Les difficultés proviennent de la proximité d'un camp FTP à La Lia, à quelques kilomètres au nord, en bordure de la plaine. Les communistes ont refusé d'intégrer le dispositif général. Leur absence de discrétion, de nombreuses exactions ont attiré sur eux l'attention des forces de l'ordre. Une tentative de discussion entamée par les chasseurs de Malleval s'est traduite par l'assassinat de deux de leurs gradés. Curieusement, deux jours avant l'action ennemie sur Malleval, le camp de La Lia est évacué... À Malleval, les Allemands, parfaitement renseignés et guidés, neutralisent le poste de sécurité à rentrée de la vallée et, au cours de la nuit, occupent, sans être détectés, les crêtes dominant le village. Après un bref combat, les maquisards tombent, 34 seront tués. Malleval est incendié, des civils abattus ou déportés. Le 3 février, le camp n° 8 - une trentaine d'hommes dont la moitié seulement est armée

- installé dans l'ancien monastère de l'Espadon, sur la face Est du plateau, est attaqué par surprise et anéanti.

Début mars, une force allemande surprend a Pont-en-Royans le dispositif de défense d'un des principaux axes de pénétration. Là encore, les maquisards, malgré leur courage, doivent céder le terrain avec des pertes sérieuses. Pourtant, l'espoir n'est pas détruit pour autant car le 10 mars un parachutage près de Vassieux, et, le 16, un autre largage à Saint-Martin apportent armes et munitions. En prévision d'un débarquement allié qu'il estime proche, le colonel Descours installe un PC. opérationnel à la Matrassière près de Saint-Julien. Le 18 mars, les Allemands surprennent cette installation, l'alerte n'ayant pas fonctionné. Plusieurs maquisards seront tués, des civils exécutés.

Fin avril 1944, le nombre des maquisards du Vercors n'a guère augmenté. L'armement, en armes légères s'est amélioré grâce aux parachutages, les demandes concernant mortiers et mitrailleuses restent insatisfaites. Si la population est toujours favorable, les relations entre Thivollet et Chavant sont très tendues. Le second, socialiste, antimilitariste, reproche au premier son esprit et son comportement d'officier de carrière, ses opinions qu'il juge réactionnaires. Le responsable civil se voit reprocher ses procédés politico-démagogiques. La liaison radio fonctionne bien, mais rien ne vient de l'Autorité supérieure mi ce qui concerne le devenir du Vercors dans le cadre d'un débarquement allié.

Inquiet de ce silence obstiné, Chavant se met en route pour Alger. Pris en charge par une filière de l'OSS, transporté par une vedette de l'US Navy de la côte provençale à Calvi, il est à Alger le 23 mai. De son côté, Dalloz, à Londres depuis février, malgré plusieurs rencontres avec les représentants des différents services spéciaux, n'a pu obtenir aucun engagement ou directive relatifs au projet Montagnards.

À Alger, Chavats rencontre les spécialistes alliés du SPOC qui se contentent de le questionner, puis Soustelle. Ce dernier confirme par écrit qu'il y a lieu de poursuivre les dispositions prises par le général Delestraint. Parmi les interlocuteurs de Chavant, le lieutenant colonel Constans responsable de la D.G.S.S. et représentant français au sein du S.P.O.C. se montre enthousiaste. Il promet le parachutage de 4 000 hommes sur le plateau. D'autres informations confortent Chavant dans la certitude d'un débarquement prochain.

Le 3 juin, un Lysander dépose Chavant dans l'Ain, le 5 il rencontre le colonel Descours à Lyon. Ce dernier, à la satisfaction de son interlocuteur, vient de confier

le commandement du Vercors au chef d'escadrons Huet, Thistollet ayant en charge le Sud, Costa de Beauregard le Nord.

La montée de l'orage

Dans la soirée du 5 juin, parmi les messages personnels diffusés par la BBC donnant le signal de l'insurrection générale, " Le chamois des Alpes bondit " concerne le Vercors. Le lendemain marin les maquisards apprennent le débarquement de Normandie. Descours donne à Huet l'ordre de boucler défensivement le plateau. Il installe son PC à Saint Agnan disposant de deux équipes radio ; l'une assure le liaison avec Londres, l'autre avec Alger. L'ordre d'insurrection provoque la mobilisation générale et un afflux de volontaires venant des régions périphériques du Vercors dont la renommée comme terre de Résistance n'est plus à Faire. Ni Descours, ni Chavant n'ont été prévenus que le débarquement sud ne serait pas concomitant avec celui de Normandie. L'ordre d'insurrection a été donné par les alliés, avec l'accord du chef de la France libre... Il s'agissait, paraît-il, d'intoxiquer les Allemands afin que toutes leurs forces ne soient pas engagées à l'Ouest. Cette initiative a eu pour effet le sacrifice inutile de nombreux Français des FFI.

Quatre jours plus tard, un message émanant du général Kœnig conseille d'éviter les rassemblements importants et de freiner la guérilla. Le Commandement du Vercors ne tient pas compte de ceste décision incohérente, la mesure étant évidemment inapplicable et démontrant l'irréalisme des Alliés. Descours réclame des armes et les parachutistes promis par Alger a fait état de l'enthousiasme général. Ces volontaires n'ont pour leur quasi-totalité aucune expérience ou formation militaire et, sur le terrain, Huet doit faire far dans ce qui ressemble à une gigantesque kermesse, aux exigences de Chavant qui réclame la création d'une " force de maintien de l'ordre " parallèle aux formations militaires, en vue de la prise en main politique de la région libérée.

L'afflux des volontaires se poursuit sur le plateau. D'énormes difficultés d'organisation en découlent. Si la discipline militaire que tentent d'imposer certains responsables a un côté positif dans ce désordre généralisé, elle est contrebalancée par le poids d'une administration traditionnelle, routinière, héritée d'une armée conventionnelle largement dépassée et inadaptée-Ainsi, on va mettre sur pied dans un hôtel de Saint-Martin, puis dans une villa confortable, un Ètat-Major classique avec ses bureaux réglementaires, ses secrétaires, ses plantons, ses estafettes, ses notes de service. On va, obstinément s'efforcer de reconstituer des unités régulières et leurs structures sans souplesse, analogues à celles de 1940 qui ressemblaient tellement à celles de 1918...

Au cours des nuits du 12 et du 13 juin, des parachutages apportent des armes, mais les demandes relatives aux armes lourdes et aux parachutistes ne sont pas satisfaites.

Il est évident que l'ennemi ne saurait rester sans réaction. Il en a les moyens et ce rassemblement hétéroclite de partisans est un objectif dont il connaît les faiblesses. Les surveillances aériennes complètent les multiples informations de ses agents infiltrés.

La logique et les renseignements fournis par la Résistance de l'Isère laissent penser que l'action ennemie en préparation sera dirigée contre la trouée de Saint-Nizier, proche de Grenoble, l'accès le plus facile à l'est du massif. Dès le 10 juin, la mise en défense consiste en l'installation d'environ 200 hommes dont la plupart n'ont encore jamais manipulé une arme. Sous les ordres de Costa de Beauregard, le capitaine Jean Prevot " Goderville " assure le commandement du dispositif. Le 13 juin, un détachement allemand d'environ 300 hommes, tente de forcer la position, il se replie après un combat de la journée. L'attaque est renouvelée le 15. L'ennemi contraint les défenseurs au repli. Saint-Nizier est incendié, les Allemands laissent des postes d'observation dans le secteur conquis. La porte principale du Vercors est ouverte.

À la mi-juin, alors qu'à l'est du Vercors les Allemands semblent observer une expectative menaçante, les zones voisines de la Drôme, au sud et à l'ouest du massif se sont également soulevées. L'ennemi y impose rapidement son autorité, l'aérodrome de Chabeuil, proche de Valence, devient un point de concentration important de ses troupes et des moyens aériens. Cependant, une euphorie totalement injustifiée règne sur le plateau. Le 25 juin, dans la matinée, les alliés parachutent à Vassieux 300 containers, toujours sans armes lourdes. L'après-midi est occupé par des cérémonies à Saint-Martin : défilé, prise d'armes, discours, remise de décorations... Certains estiment l'atmosphère irréelle, en tous cas stupidement inconséquente et provocatrice.

Dans la nuit du 28 au 29 juin, le largage à Vassieux, de 15 parachutistes américains et du major Longe, officier britannique de la " Mission Eucalyptus " renforce les illusions. L'Anglais a pour mission d'évaluer la situation mais aussi de faire comprendre aux responsables que le Vercors n'a pas de rôle particulier à jouer dans les perspectives alliées et doit se contenter de pratiquer la guérilla. Le commando américain est destiné à instruire les maquisards sur le maniement des armes parachutées et le combat non conventionnel. Ces arrivées entretiennent un espoir irréaliste malgré la menace allemande grandissante.

De nombreux télégrammes émanant de Zeller, de Destour, de Cammaerts, agent du S.O.E. pour le Sud-Est de la France, font état de la gravité de la situation, réclamant avec insistance et en vain le bombardement de Chabeuil, le parachutage de mortiers... En Normandie, Overlord semble piétiner. Le 3 juillet, Yves Fange, Commissaire de la République désigné pour la région Rhône-Alpes, proclame à Saint-Martin le retour de la République. Les journaux d'Alger titrent : La République indépendante du Vercors. Chavant, en tant que Président du Comité de Libération a rédigé le texte affiché partout. La foule rassemblée applaudit, la rumeur fait état de la présence prochaine de de Gaulle sur le plateau... Une manifestation monstre est annoncée pour le 14 juillet.

L'absence de coordination entre les autorités françaises, d'Alger et celles de Londres, l'intervention directe des services spéciaux alliés dans les problèmes du Vercors compliquent à loisir la situation sur le terrain.

Le 9 juillet, le B.C.R.A. d'Alger expédie la " mission Paquebot " dont le responsable est chargé de l'établissement d'un terrain d'atterrissage pour DC3 sur le plateau, ce qui est immédiatement entrepris avec la participation de la population sous l'observation aérienne quotidienne de l'ennemi.

Le 13 juillet l'aviation allemande bombarde Vassieux et La Chapelle... Le 14 juillet, 72 avions de l'US Air Force venant d'Angleterre parachutent 862 containers, soit environ 80 tonnes d'armes, de munitions et d'équipements divers sur le terrain de Vassieux, en cours d'aménagement. Cette démonstration, en fin de matinée, complète une manifestation rassemblant un maximum de participants, civils et maquisards en armes à l'occasion de la fête nationale. Ces événements laissent évidemment croire un peu plus à l'intervention prochaine et promise des parachutistes. Mais le parachutage de Vassieux est immédiatement suivi par l'intervention de la Luftwaffe qui mitraille et bombarde jusqu'à la nuit, causant des pertes sérieuses. Si les volontaires du plateau, environ

4 000 hommes, sont bien équipés en armes légères, les mortiers font toujours défaut. Un reliquat important de matériel devra être stocké dans le tunnel du Col du Rousses. Avec l'accord d'Alger, le commandement du Vercors a obtenu de recréer les unités régulières : 6e BCA, 11es cuirassiers ; il n'existe aucun moyen de liaison, radio ou téléphone de campagne, entre les différentes formations.

Des combats sans espoir

Tous les renseignements confirment que l'ennemi prépare contre le Vercors une action d'importance.

" Le déploiement de nos forces pour l'opération entreprise dans la région du Vercors est terminée le 20 juillet au soir ", déclare le rapport journalier du général Pflaum, commandant la 157e Division basée à Grenoble et maître d'œuvre du dispositif offensif ennemi. Au sud, les forces allemandes progressant vers l'est par la RN 93 qui longe la Drôme, se heurtant aux maquisards de la Drôme-Sud, les bousculant dans la journée du 20 et du 21, parachevant l'encerclement de la zone opérationnelle. À l'Ouest, des barrages efficaces sont établis aux débouchés des rares axes de pénétration. De la pointe Nord du plateau à Romans, la vallée de l'Isère facilite la surveillance et d'éventuelles interceptions.

L'offensive qui se déclenche le 21 juillet comporte trois directions principales d'effort :

a) venant de l'Est, depuis la région de Gresse, environ 2 500 hommes progresseront vers Saint-Agnan et l'Ouest du massif ;

b) venant du Nord-Est, depuis la trouée de Saint- Nizier, une force à peu près équivalente attaquera en

direction de Villard-de-Lans, La Chapelle en Vercors, Vassieux, ou elle fera liaison avec les parachutistes ;

c) deux compagnies de parachutistes seront déposées par planeurs au centre du plateau près de Vassieux.

Les troupes engagées, appuyées par des éléments d'artillerie et du génie sont composées par les 1er et 98e

Régiments de Gebirgsjäger, montagnards bien entraînés. L'aviation apportera un appui permanent : observation, mitraillage, bombardements.

Au nord, le 21 juillet, dans la zone confiée à Costa de Beauregard, dès le lever du jour, l'ennemi débouche de Saint-Nizier et entreprend sa progression. Il occupe Lans et poursuit d'une part, vers Villars-de-Lans et Corrençon qu'il occupe sans combat en fin d'après-midi, d'autre part, vers l'Ouest. Dans cette direction, il bouscule une compagnie du 6e BCA qui subit des pertes et se replie. En fin d'après-midi, l'ennemi est à Autrans et à Meaudre. Huet établit une ligne de défense à partir de deux compagnies du 6e BCA confiées à Prévot-Goderville, face à Villars-de-Lans. Simultanément, le groupement offensif venant de l'Est a entamé sa progression. Face à lui, sur 50 kilomètres, une barrière rocheuse importante délimite le Banc oriental du plateau, parallèlement à la RN 75. Cet obstacle naturel est malaisément franchissable par une domaine de " Pas ", itinéraires difficiles, tour juste à la portée de piétons entraînés. Ce relief est surveillé, plus que défendu, par une centaine d'hommes médiocrement armés, répartis en petits postes isolés, sans liaison entre eux, des agents de liaison assurent éventuellement le contact avec le Commandement. Les militaires qui président aux dessinées du Vercors ont estimé l'obstacle quasiment infranchissable. Or, les Gebirsjäger sont des montagnards et d'excellents soldats, ils enlèveront les postes des maquisards par des manœuvres habiles, franchiront tous les obstacles naturels avec leurs mortiers, leurs impedimenta. Le soir du 21 juillet, le Pas des Chattons, le Pas de la Selle sont tombés, les autres succomberont le lendemain. Non seulement l'accès au Vercors par le nord et l'est est chose faite mais le 21, à 9 h 30 du matin, 300 parachutistes ont été postés à proximité de Vassieux, au cœur du plateau. Vingt bombardiers remorquant autant de planeurs ont décollé de Lyon. Chaque planeur transporte une vingtaine de combattants d'élite bien armés. La formation emprunte d'abord la Vallée du Rhône jusqu'à Valence, pique à l'est et remonte vers le nord en direction du Vercors. Son passage est signalé vers 9 heures dans la région de Dieulefit. Le message à destination de l'État-major du plateau ne semble pas lui être parvenu, à moins qu'il n'ait ému personne. Libérés un peu avant leurs objectifs, les planeurs surgissent du ciel nuageux et piquent vas Vassieux. Ils sont précédés, accompagnés par des chasseurs qui mitraillent et bombardent. Plusieurs appareils se posent avec une extrême précision, prouvant la qualité du renseignement ennemi, à proximité des hameaux voisins de l'agglomération.

Des unités de maquisards y cantonnent partageant les locaux avec les habitants. Ainsi, à La mure, un peloton des 11e cuirassiers est surpris et pratiquement anéanti en quelques minutes par la ruée et les tirs intenses des assaillants qui, dans leur action, n'épargnent pas les civils... Un des planeurs s'écrase au sol, un autre est abattu par une arme automatique. Sur le terrain en cours d'achèvement les hommes au travail ont d'abord cru à l'arrivée de parachutistes alliés. La faible défense a tardé à réagir dans l'affolement général vite transformé

en fuite éperdue. Le mitraillage aérien provoque de très lourdes pertes. Des planeurs qui ont atterri sur le terrain préparé pour d'autres, aux lisières de Vassieux, les paras allemands sont immédiatement dans le village. Ils n'y trouvent aucune résistance sérieuse. Là aussi, des civils sont abattus. Plusieurs maisons touchées par des bombes brûlent. Très vite, les Allemands organisent leurs positions. L'appui aérien leur assure une sécurité momentanée. À 11 heures, la radio de l'État-major alerte Alger.

Depuis Saint-Martin, Huet et son État-major décident d'organiser une contre-attaque pour reprendre Vassieux à partir des lisières emmurant la cuvette. Geyer en est chargé. Il faut rassembler et disposer sur le terrain un certain nombre d'unités. L'absence de moyens de liaison, les difficultés du terrain, peut-être aussi le manque d'ardeur de certains responsables handicapent sérieusement la manœuvre. Tous ne sont pas au rendez-vous lorsque l'action est déclenchée dans l'après-midi. Ni les maquisards du 11es Cuirassiers ni le commando américain n'entament les défenses adverses. Il faut se replier avec des pertes. Le lendemain n'apportera pas le moindre secours d'Alger, sollicité en vain. Dès la veille au soir Chavant a expédié son fameux appel qui se termine par ces mots :

... pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n'ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches.

Une nouvelle tentative pour reprendre Vassieux, prévue pour la fin de l'après-midi, n'a lieu que pendant la nuit. Faute d'avoir pu rameuter un effectif suffisant, faute d'armes lourdes, elle échoue comme la précédente. D'autant qu'au cours de la journée, sous la protection de la Luftwaffe, les parachutistes ont reçu des renforts. Plusieurs planeurs se sont posés sur le terrain de Vassieux ainsi que des Junker 52, avions tri-moteurs de transport.

Ils ont, en retour, évacués les morts et les blessés. Du côté des maquisards et de la population, les pertes sont lourdes...

À l'Est, ce samedi 22 juillet, la plupart des " Pas " sont tombés, l'avance ennemie se poursuit. Au Sud, dès le 21, la colonne ennemie progressant par la RN 93 a occupé Saillans de vive force. Mais, confrontées aux fantassins et aux blindés dans un combat frontal, les unités FTP de la Drôme ont abandonné le terrain. Là encore, le commandement FFI n'a pas eu d'autres réflexes que ceux imposés par une formation classique, inadaptée aux circonstances et au terrain. Maintenant, les responsables du Vercors savent que l'accès au plateau par le Sud-Est ouvert. Après cette première journée d'affrontement il n'est plus possible de s'illusionner sur l'issue du combat. Au cours de la nuit, une longue discussion à laquelle participent Zeller, Cammaerts, le Major longe, Chavant, Huet et son État-major envisage d'abord l'évacuation du plateau : sortie en force ou par petits éléments... Finalement, Huet décide la poursuite de la résistance jusqu'à à l'épuisement des moyens. Ensuite, les maquisards se disperseront en petites troupes pour nomadiser dans les secteurs les plus difficiles d'accès. Zeller et Cammaerts qui ont d'autres responsabilités importantes à l'extérieur du Vercors disparaissent. Ils franchiront l'encerclement sans trop de difficultés dans la journée du 22. Pendant 24 heures, l'ennemi

consolide les positions acquises. Au cours de l'après-midi du 22, il tente une reconnaissance offensive vers Valchevrière ; il est repoussé. Mais le lendemain, les positions des chasseurs de Goderville s'effondrent. Malgré l'héroïsme et le sacrifice de ces hommes, à 16 heures, Saint-Martin est occupé. Sur le plateau, il n'y aura plus que des combats sporadiques. Huet donne l'ordre de dispersion. Le 24 juillet, dans la matinée, l'équipe radio en liaison avec Londres reçoit de sa Centrale l'ordre de gagner la Drôme, ce qu'elle fera avec difficulté. Les opérateurs qui dépendent d'Alger ne reçoivent pas d'ordre, mais, en fin de journée, prennent des dispositions analogues. Des isolés se joindront à eux, ainsi 70 hommes s'échapperont par le Col de Menée. Jusqu'à la fin, la coordination entre les deux capitales aura été absente des préoccupations du Haut Commandement. Sur le terrain, des restes d'unités constituées, celles de Costa, de Geyer, l'État-major de Huet, grâce à la discipline imposée par l'encadrement sur vivant malgré les difficultés et les dangers. Mais, dans le désordre général qui tourne vite au " sauve qui peut ! ", de nombreux groupes, des isolés, ignorent l'ordre de dispersion. Pendant plusieurs jours, totalement désorientés, ils vont tenter de quitter le plateau avec des fortunes diverses. Bon nombre réussiront d'autres, épuisés, seront abattus au hasard des rencontres avec l'ennemi, se noieront en tentant de traverser l'Isère. Nombreux sont ceux qui, interceptés par les barrages et les patrouilles installés à la périphérie du massif, seront exécutés sur place, tel Goderville, le 30 juillet, ou fusillés après un simulacre de jugement. Lorsque, depuis la forêt de Lente, le 25 juillet, Huet informe Alger de la fin tragique du Vercors, depuis la veille, les Allemands ont entamé la phase de nettoyage et de répression. Les multiples exemples de leur férocité sont connus. Cette période durera près de 15 jours avec pour but la récupération des matériels militaires, le pillage des biens civils, l'arrestation des suspects. Des 4 000 maquisards de juin, certains sont restés sous les armes. Au nord du plateau, Costa qui a pu garder en mains les meilleurs de ses hommes, mettra en œuvre la technique de guérilla qui aurait du être la règle du combat dans le Vercors. Il mènera avec succès plusieurs actions jusqu'au départ définitif de l'ennemi, fin août. Ceux de Geyer libèreront imprudemment Romans le 22 août. Dans les combats du Vercors sont tombés officiellement 840 Français, 639 maquisards, 201 civils. On y ajoutera 41 déportés. Des chiffres invérifiables font état de 158 tués chez les Allemands. En outre, il faut noter la ruine économique de la région en raison du pillage systématique et des destructions, l'énorme choc psychologique subi par les populations concernées.

En guise de conclusion

Hors du comportement héroïque indéniable de la plupart des combattants, il faux bien reconnaître que l'affaire Vercors et sa conclusion tragique constituent une longue suite d'erreurs grossières, d'inconséquences dramatiques, tant au niveau du Haut Commandement qu'au plan local. Il faut admettre que le " plan Montagnards " tel que rédigé par Dalloz et le Ray, déposé au B.C.R.A. Londres par Delestraint n'a jamais été réellement étudié par les décideurs de Londres ou d'Alger. Il n'y a jamais eu de réponse claire aux deux hypothèses d'emploi proposées par les rédacteurs. Manifestement le Vercors n'a pas été considéré comme un argument particulier dans les prévisions alliées de Dragoon. La double hiérarchie des services spéciaux français à Londres et à Alger a généré et entretenu l'ambiguïté sur le terrain, où les responsables ont bâti un Vercors conforme à leurs propres conceptions, voire leurs impulsions.

Du côté français, le poids des arrières pensées politiques n'est pas négligeable. Les préoccupations dont Joxe fait état à Dalloz, celles affirmées de l'Astier à Londres, se rapportent directement à l'utilisation de la Résistance après la Libération. Elles font sentir leur effet sur le terrain dans le comportement de Farge et de Chavant, pour lesquels le Vercors est intéressant, en tant que territoire libéré, redevenu République. Cette conception va dans le sens d'une mise en défense immédiate en attendant l'intervention aéroportée, qui ne viendra pas, et l'arrivée des Alliés dont la date de débarquement restera inconnue pendant 2 mois. Les Services Spéciaux français et alliés ont expédié dans le Vercors plusieurs missions d'évaluation, à la suite desquelles aucun ordre formel ni même de direction générale n'ont été donnés. Elles ont procuré une aide matérielle comme elles l'ont fait pour d'autres maquis importants (Massif Central, Jura, Savoie). L'ordre d'insurrection générale, donc de mobilisation, a été une erreur dramatique que le contre-ordre ultérieur n'a pas modifié. Le prix à payer a été lourd pont les Français de l'hexagone, en particulier pour ceux du Vercors.

À Alger, les querelles de personnes, de services, les divergences et les appétits politiques ont considérablement nui à l'exploitation des informations venant du terrain par des messages radio retardés, non transmis ou transformés. Les promesses faites, tant par radio qu'oralement, dépassent l'entendement. Elles laissent le choix entre enthousiasme naïf et duplicité arrêtée. En effet leurs auteurs ne disposaient d'aucun moyen aérien d'aucun matériel ; toutes les unités et le potentiel militaire français étaient engagés sur le plan de débarquement allié, rigoureusement programmé. Il est vraisemblable que pour le Vercors (comme pour " l'opération Caïman " dans le Massif Central), l'état-major de de Gaulle a fantasmé, rêvant d'une stratégie qui n'entrait pas dans les perspectives anglo-américaines, s'illusionnant sur ses propres capacités d'intervention à partir de rassemblements importants de maquisards opérant sur les arrières ennemis. À partir de ce flou où le " projet Montagnards ", d'abord oublié, a ressurgi comme une opportunité, sous une forme non précisée, vont se commettre, sur le terrain, d'autres erreurs tout aussi gravissimes.

L'idée d'un rassemblement important de combattants a manifestement tenté les responsables militaires, voire civils. Les premiers, inconsciemment, prisonniers de leur

formation aux thèmes de la guerre classique, rêvant d'affrontements tels qu'étudiés dans les écoles de guerre. À défaut d'imagination, faute de réalisme, ils ont privilégié la version " Vercors forteresse ", en attendant un parachutage hypothétique conditionné, éventuellement, par la date inconnue du débarquement. Or, ils n'avaient ni les moyens, ni surtout les hommes pour assurer cette forme de combat face à un ennemi déterminé, bien entraîné, bien équipé, bien commandé. Il était totalement illusoire d'imaginer faire front avec des combattants, certes volontaires, mais inexpérimentés, indisciplinés faute d'un encadrement insuffisant en nombre et en qualité. Au cours du maigre délai qui a suivi l'ordre d'insurrection, du temps a été perdu en rassemblements inutiles, défilés prises d'armes, proclamations ostentatoires que l'ennemi, bien renseigné, a pu considérer comme autant de provocations. Il n'était pas raisonnable de constituer un État-major pléthorique dans des locaux de préférence confortables, fournisseur de notes de services pour la plupart inutiles, ou s'atteler au retour des traditions militaires, à l'esprit de corps plutôt qu'à la manipulation de l'armement ou l'apprentissage des règles de la guérilla. Faute de moyens de transmission, auxquels personne ne parait avoir songé, les renseignements, les ordres déterminant avec urgence la vie et les mouvements des unités, n'ont pu être transmis convenablement...

L'imbrication étroite et permanente des hommes en armes et de la population ne pouvait que rendre plus difficile le rôle de l'encadrement, plus conséquente la répression à l'égard des civils, sans préjudice du non respect des règles de sécurité. Les querelles entre une autorité politique aux ambitions arrêtées et un commandement militaire aux qualifications discutables ont aussi participé à l'évolution incertaine de la situation. Dans le commandement militaire du Vercors, on relèvera ainsi de multiples négligences : il n'a été tiré aucun enseignement des incursions et des attaques ennemies qui ont précédé à plusieurs reprises les opérations de juillet. Bien que les Allemands aient survolé quotidiennement le plateau, bien que de toute évidence ils aient toujours été bien renseignés sur les effectifs et les intentions des maquisards, le terrain d'atterrissage en cours d'aménagement n'a jamais été sérieusement protégé, comme si on avait cru que seuls les Alliés pourraient l'utiliser. Les hommes appelés à combattre ont été sommairement préparés à un combat analogues à ceux de 39-40. Sauf chez Costa, au Nord, où d'ailleurs les pertes ont été moindres et les actions positives, ils ont combattu suivant des règles traditionnelles. À Valchevriére, on a

fait " Sidi Brahim ", ce qui n'était pas plus indiqué que le combat frontal sans espoir de Saint-Nizier.

En contrepoint, on peut citer les actions de guérilla menées par la compagnie " Stéphane ", à proximité de Grenoble et du Vercors. Ces 120 hommes, sous le commandement du capitaine Poitau, officier d'active, ont su exécuter un combat adapté au terrain, à l'ennemi, aux circonstances, sans pertes importantes, évitant la répression à l'égard des populations, avec des résultats extrêmement positifs.

Les parachutages de jour, massifs et spectaculaires, ne pouvaient que provoquer la réaction de l'adversaire. Le parachutage du 14 juillet, bien trop tardif, n'a pu être complètement utilisé. Considéré comme un des hauts faits de la Résistance, la bataille du Vercors est aussi une longue suite d'erreurs attristantes. Les responsables de la tragédie sont nombreux, les héros aussi. Nous laisserons ceux du sommet de la hiérarchie face à leur conscience, et les autres avec le sentiment justifié du devoir accompli. Mais il faut savoir, comme le disait Lawrence d'Arabie, que " Mener une guerre de rébellion, c'est aussi ingrat et désordonné que manger la soupe avec un couteau. "

" Vidal " est le pseudonyme du général Delestraint, délégué militaire national de la résistance.

Vercors